Couverture de STUD_011

Article de revue

Pieter Coecke : auteur de cartons de vitraux ?

Pages 65 à 81

Notes

  • [1]
    La présente contribution est basée sur des recherches en collaboration avec Yvette Vanden Bemden. Son auteur remercie chaleureusement celle-ci de lui avoir permis d’utiliser certaines conclusions de ces recherches. Elle remercie également les organisateurs des journées d’étude consacrées au carton du Martyre de saint Paul du Musée de la ville de Bruxelles de lui avoir offert une tribune de choix et d’avoir œuvré avec patience et compétence à l’édition des Actes.
  • [2]
    “The number of works attributed to Koeck by the latter study [Marlier] is overwhelming, but to date there is not a single work, apart from the Turkish series, that can be regarded as quite definitely from his hand” cité dans VAN MANDER K., The Lives of the Illustrious Netherlandish and German Painters, from the first edition of the “Schilder-boeck” (1603-1604), introduction, traduction et édition de Miedema H., vol. 3, Doornspijk, 1996, p. 73.
  • [3]
    Voir principalement FRIEDLÄNDER M. J., Jan van Scorel and Pieter Coeck van Aelst (Early Netherlandish Painting, XII), Leyden, Bruxelles, 1975 ; MARLIER G., La Renaissance flamande. Pierre Coecke d’Alost, Bruxelles, 1966 ; CLELAND E. (éd.), Grand Design. Pieter Coecke van Aelst and Renaissance Tapestry, cat. d’exp New York (The Metropolitan Museum of Art), 2014 ; ALSTEENS S., The Drawings of Pieter Coecke van Aelst, dans Master Drawings, LII, no 3, New York, 2014, pp. 275-362, ainsi que la bibliographie sur l’artiste citée dans ces ouvrages. Pour un aperçu général mais complet de l’activité de Pieter Coecke dans le domaine de la théorie architecturale, de la traduction et de l’édition de traités d’architecture, dont la prise en compte est fondamentale pour la compréhension de l’œuvre de l’artiste, est donné dans DE JONGE K., Inventing the Vocabulary of Antique Architecture. The Early Translators and Interpreters of Renaissance Architectural Treatises in the Low Countries, dans COOK H. J. et DUPRÉ S. (éd.), Translating Knowledge in the Early Modern Low Countries (Low Countries Studies on the Circulation of Natural Knowledge, vol. 3), Berlin, Münster, Vienne, Zürich, Londres, 2012, pp. 217-240.
  • [4]
    Voir LECOCQ I., Pieter Coecke van Aelst et le vitrail, ou le défi de l’invention à l’échelle monumentale, dans Revue belge d’Archéologie et d’Histoire de l’Art, LXXXVI, 2017/1, pp. 141-169.
  • [5]
    Voir CLELAND E. (éd.), Grand Design… op. cit., p. 78 (cat. 14) : Anno .15 37. den .26. martij. / Also ic peeter coucke alias van aelst aengenome[n] heb te leueren een forme oft glasen venster (inhoudende va[n] / van.Sinte Nicolaus.) vanden dekens vander meersen[iers] de welcke hemlieden geleuert hebbende thandwerpe[n] / in onser lieuer vrouwen kercke en [de] hemlieden voldaen. Kinne mij vanden voerß[eiden] dekens vernoecht en [de] te / vollen betaelt te wetene. vander somme van achtendertich ponden. Vlems.tot.vj.karolus gulden tpo[n]t / also dat ic hemlieden vande voergenoemde comenscap niet meer eischende en bin in kinneßen mij[n]s hantscrifts aldus geteekent / Peeter. Coucke. » Trad. : « 26 mars 1537. Je soussigné Peeter Coucke, connu en tant que Van Aelst, ait été chargé de livrer aux doyens des marchands de tissus un dessin d’un vitrail représentant saint Nicolas. Ce vitrail leur ayant été livré dans l’église Notre-Dame d’Anvers et approuvé par eux, j’ai été pleinement payé par les mêmes de la somme de 38 livres flamandes (une livre valant six florins Carolus). Je renonce ainsi à réclamer toute autre somme d’argent pour ce travail, et signe de ma propre main Peeter Coucke ».
  • [6]
    FRIEDLÄNDER M. J., Pieter Coecke van Alost, dans Jahrbuch der Königlich Preussischen Kunstsammlungen, 38, 1917, pp. 90-91.
  • [7]
    Voir principalement OPSOMER C., Abbaye de Herkenrode à Curange, dans HALKIN L. E., AUBERT R., VAN CAENEGEM R., DESPY G. et WYFFELS C. (dir.), Monasticon belge. VI. Province de Limbourg, Liège, 1976, pp. 137-159 ; CALUWAERTS G., Herkenrode zoals het is. Herkenrode zoals het was, Hasselt, 2003 ; CALUWAERTS G., DE DIJN C. G. et VAN DER EYCKEN M., Monasterium Herkenrode 1, Hasselt, 2008.
  • [8]
    La Lady Chapel est également éclairée par deux vitraux (NVI et SVI) qui ne proviennent pas de l’ancienne abbaye de Herkenrode et dont la provenance exacte n’a pas encore pu être déterminée. Le vitrail de la Crucifixion de la chapelle privée de l’abbesse de Herkenrode, contemporain aux vitraux de l’abbatiale, est conservé dans l’église de Ashtead (Surrey, G.B.).
  • [9]
    En collaboration avec Yvette Vanden Bemden et al., Les vitraux de l’ancienne abbaye de Herkenrode en Grande-Bretagne (Corpus Vitrearum), en préparation. Voir également VANDEN BEMDEN Y., KERR J. et OPSOMER C., The Sixteenth-Century Glass from Herkenrode Abbey (Belgium) in Lichfield Cathedral, dans Archaeologia, CVIII, Londres, 1986, pp. 189-226 ; VANDEN BEMDEN Y., The 16th-century stained glass from the former Abbey of Herkenrode in Lichfield Cathedral, dans The Journal of Stained Glass, XXXII, Londres, 2008, pp. 49-90 ; LECOCQ I., Étude préalable à la conservation-restauration des vitraux de la cathédrale de Lichfield par les soins du Barley Studio, atelier de création et de restauration de vitraux dirigé par Keith Barley, York, 2003, dans Bulletin de l’Institut royal du Patrimoine artistique, 30 (2003), Bruxelles, 2004, pp. 319-325.
  • [10]
    Ce projet conservé à la Staatliche Graphische Sammlung de Munich, d’abord attribué par G. Marlier à un artiste travaillant à la manière de Pieter Coecke (voir MARLIER G., La Renaissance flamande… op. cit., pp. 354-356), est à présent attribué par Stijn Alsteens au Maître des Clinging Draperies. Stijn Alsteens attribue à ce maître proche de Pieter Coecke maints projets de vitraux, dont la fameuse série des Triomphes de Pétrarque, dont on connaît des dessins et des rondels en de nombreux exemplaires (voir principalement HUSBAND T. B., Pieter Coecke van Aelst and his Circle, dans HUSBAND T. B. (éd.), The Luminous Image. Painted Glass Roundels in the Lowlands, 1480–1560, cat. d’exp., New York (The Metropolitan Museum of Art), 1995, pp. 158-165 et sp. pp. 160-163).
  • [11]
    Voir SCHREUDER K., BUIJSEN E., MARTENS D. et VAN DEN BRINK P., Pieter Coecke van Aelst. De Intocht in Jeruzalem. Retabelfragmenten in Diaspora, tijdelijk weer bijeen, cat. d’exp., Maastricht (Bonnefanten Museum), 2000. Le tableau de L’Entrée du Christ à Jérusalem est conservé à Maastricht, au Bonnefantenmuseum, celui du Christ quittant Pilate à Berlin, au Palais Grünewalt, et celui de La Pentecôte au Cap, dans la collection Michaelis.
  • [12]
    Voir LECOCQ I. et KAVALER E. M., The Galerie François Ier at Fontainebleau : an inspiration for Netherlandish artists from the late 1530s, dans FAGNART L. et LECOCQ I. (dir.), Arts et artistes du Nord à la cour de François Ier, Paris, 2017, pp. 51-66.
  • [13]
    Voir HELBIG J., Les vitraux de la première moitié du xvie siècle conservés en Belgique. Province d’Anvers et Flandres (Corpus Vitrearum, III), Bruxelles, 1968, pp. 133-227.
  • [14]
    Voir principalement VAN RUYVEN-ZEMAN Z., Les cartons du xvie siècle de Gouda, dans Vitrail et arts graphiques xve-xvie siècles (Actes de la table ronde organisée par l’École nationale du Patrimoine, Paris, 29 et 30 mai 1997), Paris, 1999, pp. 100-116, et VAN RUYVEN-ZEMAN Z., VAN ECK X. et VAN DOLDER-DE WIT H., Het geheim van Gouda. De cartons van de Goudse Glazen, cat. d’exp., Gouda (Museum Het Catharina Gasthuis), 2002.
  • [15]
    Voir VANDEN BEMDEN Y., FONTAINE-HODIAMONT C. et BALIS A., Cartons de vitraux du xviie siècle. La cathédrale Saint-Michel, Bruxelles (Corpus Vitrearum Medii Aevi, Belgique, série Études, 1), Bruxelles, 1994.
  • [16]
    CENNINI C., Le Livre de l’Art (Il Libro dell’Arte) [1437], trad. critique, commentaires et notes de Déroche C., Paris, 1991, p. 302.
  • [17]
    Pour un aperçu plus détaillé de la technique du vitrail ancien, voir notamment LECOCQ I., La mise en forme du verre plat et la technologie du vitrail ancien, dans HALLEUX R., VANDERSMISSEN J. et TOMSIN Ph. (éd.), Histoire des techniques en Belgique. 1. La période préindustrielle, Liège, 2015, pp. 553-602.
  • [18]
    Voir ROOBAERT E., Kunst en kunstambachten in de 16de eeuw te Brussel (Archives et bibliothèques de Belgique, numéro spécial, 74), Bruxelles, 2004, p. 31.
  • [19]
    Voir JANSEN L., Considerations on the Size of Pieter Coecke’s Workshop. Apprentices, Family and Journeymen. A Contribution to the Study of Journeymen on Micro Level, dans PEETERS N. (éd.), Invisible hands ? The Role and Status of the Painter’s Journeyman in the Low Countries c.1450–c.1650 (Groeningen Studies in Cultural Change, XXIII), Leuven, Paris, Dudley, 2007, pp. 83-105.
  • [20]
    Sur cet aspect, voir LECOCQ I. et VANDEN BEMDEN Y., ʻOser l’ombreʼ. La lumière et l’ombre dans les vitraux de l’ancienne église abbatiale de Herkenrode, dans GEORGI K., VON ORELLI-MESSERLI B., SCHEIWILLER-LORBER E. et SCHIFFHAUER A., Licht(t)räume. Festschrift für Brigitte Kurmann-Schwarz zum 65. Geburtstag, Petersberg, pp. 137-146.
  • [21]
    Voir VANDEN BEMDEN Y., KERR J. et OPSOMER C., The Sixteenth-Century Glass… op. cit., pp. 192-193, 214 et 221.
  • [22]
    Ibidem, pp. 192-193.
  • [23]
    Ibidem, p. 221.
  • [24]
    Ibidem, pp. 192-193. Voir également NICAISE H., Een Antwerpsch glasschilder in de abdij van Herkenrode, dans Antwerpen’s Oudheidkundige Kring, XII, 1936, pp. 56-61; Idem, Notes sur les faïenciers italiens établis à Anvers (1er tiers du xvie siècle), dans Revue belge de philologie et d’histoire, tome 16, fasc. 1-2, 1937, pp. 189-202.
  • [25]
    DUMORTIER C., Note concernant Merten Thymans, vitrier anversois de l’Abbaye de Herkenrode (xvie siècle), dans Bulletin des Musées royaux d’Art et d’Histoire, 56, fascicule 2, 1985, pp. 123-125.
  • [26]
    Voir CLELAND E. (éd.), Grand Design… op. cit., p. 19 et LEEFLANG M., Joos van Cleve. A Sixteenth-Century Antwerp Artist and his Workshop, Turnhout, 2015, p. 21.
  • [27]
    Cité dans NICAISE H., Notes sur les faïenciers italiens… op cit., p. 200.

1Pieter Coecke van Aelst (1502-1550) est-il bien auteur de cartons de vitraux ? Il est impossible de répondre d’emblée clairement à la question, comme on ne le peut d’ailleurs pour la tapisserie et d’autres domaines artistiques dans lesquels Pieter Coecke a été impliqué [1].

2En 1996, l’historien d’art Hessel Miedema déclarait dans son introduction à l’édition de la vie de Pieter Coecke par Karel Van Mander [2] que l’on ne disposait d’aucune œuvre qui pouvait être considérée de façon définitive comme de la main de Coecke, excepté la suite des Moeurs et fachons de faire de Turcz. Cette position critique est plutôt radicale et de nombreux travaux de référence ont montré que, si l’on ne peut effectivement proposer de reconnaître la main de Pieter Coecke lui-même que dans quelques œuvres seulement, l’on peut raisonnablement envisager son intervention, au point de vue de la conception, dans une série d’œuvres [3].

3Cette distinction entre le moment de la conception et les stades ultérieurs de l’exécution est cruciale. Comme d’autres artistes des anciens Pays-Bas du début du xvie siècle, spécialisés dans le dessin et qui signaient leurs œuvres en apposant parfois la mention d’« inventeur », Coecke concevait des compositions destinées à être transposées dans d’autres techniques par des collaborateurs et des praticiens spécialisés. Dans ce contexte, il est clair que les œuvres réalisées – que ce soient des tableaux, des tapisseries, des vitraux – sont le fruit d’un travail d’équipe et que le degré personnel d’implication de Pieter Coecke ne peut être aisément évalué et quand il sera ici question de « Pieter Coecke », c’est implicitement de Coecke et de ses collaborateurs dont il s’agit, plutôt que du seul Pieter Coecke.

Pieter Coecke et l’art du vitrail

4À défaut de traquer la main de Coecke lui-même dans tel ou tel vitrail, le présent essai montrera comment celui-ci a joué un rôle majeur dans le domaine du vitrail. Coecke a abordé cet art en tenant compte de ses spécificités et de ses contraintes propres, pour en tirer toutes les ressources et créer des œuvres bien personnelles, mais en phase avec les productions artistiques contemporaines [4].

5On sait par les archives que Pieter Coecke était impliqué dans le processus de création et de réalisation de vitraux, comme en témoigne par exemple un reçu signé par lui-même le 26 mars 1537 pour un projet dessiné de vitrail commandé par la guilde des drapiers pour leur chapelle dans la cathédrale d’Anvers [5]. Le projet de vitrail correspondant, conservé à l’Albertina de Vienne, a été identifié en 1917 Max Jacob Friedländer [6].

6Plus que les archives ou les projets dessinés, ce sont les œuvres qui permettent le mieux d’apprécier les qualités et les modalités de transposition des inventions de Pieter Coecke dans le domaine du vitrail. Un ensemble est d’une richesse exceptionnelle à cet égard : les vitraux de la cathédrale St Chad & St Mary de Lichfield en Angleterre, originaires de l’église de l’ancienne abbaye de Herkenrode, aujourd’hui détruite, mais autrefois certainement la plus riche de l’ancienne principauté de Liège [7]. Les vitraux de l’abbaye furent achetés par le chapitre de la cathédrale de Lichfield au tout début du xixe siècle, par l’intermédiaire de Sir Brooke Boothby (1744-1824).

Les vitraux de la cathédrale de Lichfield

7Actuellement, douze fenêtres de la cathédrale de Lichfield, dont sept dans la Lady Chapel [8] (fig. 1), rassemblent les restes d’au moins dix-sept fenêtres de l’abbatiale de Herkenrode, qui sont datées par des millésimes de 1532 à 1539. Les vitraux ne se présentent pas à Lichfield comme à Herkenrode, puisque des scènes ont dû être regroupées et des bordures ajoutées pour remplir les grandes fenêtres de la cathédrale.

Fig. 1

Vue de la Lady Chapel de la cathédrale de Lichfield

Fig. 1

Vue de la Lady Chapel de la cathédrale de Lichfield

© KIK-IRPA, Bruxelles

8Cet ensemble de vitraux est celui qui permet le mieux de poser la problématique des rapports entre Pieter Coecke et l’art du vitrail et d’explorer le processus de création d’une œuvre dans les anciens Pays-Bas au début du xvie siècle. Son examen, panneau par panneau, a pu être réalisé à l’occasion de sa restauration en Angleterre, dans le Barley Studio de York-Dunnington (fig. 2), dans la perspective de la publication d’une étude, en collaboration, dans la série anglaise du Corpus Vitrearum [9]. Cet examen minutieux a permis de constater que les vitraux conservent un pourcentage élevé de pièces anciennes. Malheureusement, pour de nombreuses pièces de verre, la peinture est fragilisée et a disparu en grande partie.

Fig. 2

Vitrail de Lichfield en cours d’examen sur une table lumineuse au Barley Studio

Fig. 2

Vitrail de Lichfield en cours d’examen sur une table lumineuse au Barley Studio

© Isabelle Lecocq

Les inventions de Pieter Coecke dans les vitraux de Lichfield

9Plusieurs scènes des vitraux de Lichfield ont des rapports évidents avec l’art et le milieu de Pieter Coecke, comme le montrent des rapprochements avec des dessins, tableaux, gravures et même des tapisseries. Ces rapprochements concernent la totalité d’une scène ou, au contraire, des emprunts limités, et ils mènent à considérer une implication directe de Pieter Coecke dans la conception de certains des vitraux de Lichfield.

Fig. 3

Entourage de Pieter Coecke, Arrestation du Christ, dessin (Munich, Staatliche Graphische Sammlung) et scène correspondante dans la fenêtre SII de la cathédrale de Lichfield, 1534-1539. D’après MARLIER G., La Renaissance flamande… op. cit., p. 355, et photomontage de clichés du Barley Studio

Fig. 3

Entourage de Pieter Coecke, Arrestation du Christ, dessin (Munich, Staatliche Graphische Sammlung) et scène correspondante dans la fenêtre SII de la cathédrale de Lichfield, 1534-1539. D’après MARLIER G., La Renaissance flamande… op. cit., p. 355, et photomontage de clichés du Barley Studio

10Un projet pour un vitrail à trois lancettes conservé à Munich (fig. 3), considéré comme une œuvre de l’atelier de Coecke [10], est manifestement un jalon de la genèse de la scène de l’Arrestation du Christ de Lichfield, datable des années 1534-1539. On peut assurément y reconnaître un projet du vitrail, avec une adaptation iconographique, qui permet dans le vitrail de mieux identifier Judas et de mettre l’accent sur la miséricorde du Christ puisque Pierre rengaine son épée plutôt qu’il ne s’apprête à trancher l’oreille de Malchus.

Fig. 4

Atelier de Pieter Coecke van Aelst, Entrée du Christ à Jérusalem (Maastricht, Bonnefantenmuseum) et scène correspondante dans la fenêtre SII de la cathédrale de Lichfield, 1538 (d’après SCHREUDER K., BUIJSEN E., MARTENS D. et VAN DEN BRINK P., Pieter Coecke van Aelst… op. cit., p. 10, fig. 15, et photomontage de clichés du Barley Studio)

Fig. 4

Atelier de Pieter Coecke van Aelst, Entrée du Christ à Jérusalem (Maastricht, Bonnefantenmuseum) et scène correspondante dans la fenêtre SII de la cathédrale de Lichfield, 1538 (d’après SCHREUDER K., BUIJSEN E., MARTENS D. et VAN DEN BRINK P., Pieter Coecke van Aelst… op. cit., p. 10, fig. 15, et photomontage de clichés du Barley Studio)

Fig. 5

Atelier de Pieter Coecke van Aelst, Pilate se lavant les mains (Berlin, Jagdschoss Grunewald) et scène correspondante dans la fenêtre SIV de la cathédrale de Lichfield, 1539. D’après SCHREUDER K., BUIJSEN E., MARTENS D. et VAN DEN BRINK P., Pieter Coecke van Aelst… op. cit., p. 12, fig. 21, et photomontage de clichés du Barley Studio

Fig. 5

Atelier de Pieter Coecke van Aelst, Pilate se lavant les mains (Berlin, Jagdschoss Grunewald) et scène correspondante dans la fenêtre SIV de la cathédrale de Lichfield, 1539. D’après SCHREUDER K., BUIJSEN E., MARTENS D. et VAN DEN BRINK P., Pieter Coecke van Aelst… op. cit., p. 12, fig. 21, et photomontage de clichés du Barley Studio

11Trois scènes des vitraux peuvent être rapprochées de panneaux d’un retable attribué à l’atelier de Coecke, commandé par l’abbé de Saint-Trond, Joris Sarens (1532 à 1558) et aujourd’hui démembré, entre l’Europe et l’Afrique [11]. Dans les vitraux et les panneaux du retable, des groupes de personnages sont semblables et invitent à penser que des modèles communs ont été utilisés : dans l’Entrée du Christ à Jérusalem (fig. 4), les figures du Christ, du jeune homme dans l’arbre, de l’homme qui dépose son manteau sur le sol au premier plan et de l’homme en arrière-plan levant les bras ; dans Pilate se lavant les mains (fig. 5), Pilate et le Christ ; dans la Pentecôte (fig. 6), la Vierge, les personnages de l’avant plan et plusieurs personnages secondaires. La Vierge est aussi proche pour le mouvement du buste et pour le motif du pli formé sur la tête par le vêtement d’un personnage féminin du carton de tapisserie du Martyre de saint Paul (fig. 7).

Fig. 6

Atelier de Pieter Coecke van Aelst, Pentecôte (Le Cap, collection Michaelis) et scène correspondante dans la fenêtre SIII de la cathédrale de Lichfield, 1534. D’après SCHREUDER K., BUIJSEN E., MARTENS D. et VAN DEN BRINK P., Pieter Coecke van Aelst… op. cit., p. 12, fig. 18, et photomontage de clichés du Barley Studio

Fig. 6

Atelier de Pieter Coecke van Aelst, Pentecôte (Le Cap, collection Michaelis) et scène correspondante dans la fenêtre SIII de la cathédrale de Lichfield, 1534. D’après SCHREUDER K., BUIJSEN E., MARTENS D. et VAN DEN BRINK P., Pieter Coecke van Aelst… op. cit., p. 12, fig. 18, et photomontage de clichés du Barley Studio

Fig. 7

Martyre de saint Paul (détail), 342,6 x 391,8 cm, Bruxelles, Musée de la Ville, Maison du Roi

Fig. 7

Martyre de saint Paul (détail), 342,6 x 391,8 cm, Bruxelles, Musée de la Ville, Maison du Roi

© KIK-IRPA, cliché x112433

12Dans le Couronnement d’épines, le dignitaire de profil enturbanné qui tient une hallebarde a son alter ego dans une planche de la série des Moeurs et fachons de faire de Turcz (fig. 8). La publication des gravures des Moeurs et fachons de faire de Turcz est largement postérieure à la scène du vitrail qui se réfère donc manifestement à des dessins antérieurs. Dans la scène de la Flagellation, à gauche, la pose acrobatique et bien singulière du bourreau est empruntée à Pieter Coecke, comme le montre un petit dessin circulaire conservé à Paris et représentant Neptune et les éléments (fig. 9).

Fig. 8

Pieter Coecke van Aelst, Un camp militaire en Slavonie (suite des Moeurs et fachons de faire de Turcz, publiée en 1553), détail, dignitaire, et scène du Couronnement d’épines dans la fenêtre NII de la cathédrale de Lichfield, ca. 1535-1538

Fig. 8

Pieter Coecke van Aelst, Un camp militaire en Slavonie (suite des Moeurs et fachons de faire de Turcz, publiée en 1553), détail, dignitaire, et scène du Couronnement d’épines dans la fenêtre NII de la cathédrale de Lichfield, ca. 1535-1538

© Isabelle Lecocq et photomontage de clichés du Barley Studio
Fig. 9

Neptune domptant les éléments (Paris, Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts) et scène de la Flagellation de la fenêtre SII de la cathédrale de Lichfield, v. 1535-1538. D’après ALSTEENS S., The Drawings of Pieter Coecke… op. cit., p. 312, fig. 48 et photomontage de clichés du Barley Studio

Fig. 9

Neptune domptant les éléments (Paris, Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts) et scène de la Flagellation de la fenêtre SII de la cathédrale de Lichfield, v. 1535-1538. D’après ALSTEENS S., The Drawings of Pieter Coecke… op. cit., p. 312, fig. 48 et photomontage de clichés du Barley Studio

13À côté de rapprochements précis, la présence de types de personnages et de physionomies propres à Coecke et à son entourage dans les vitraux mérite d’être signalée. Ce sont des personnages nerveux et souples, à la musculature appuyée et aux morphologies bien caractéristiques, représentés dans attitudes dynamiques, des poses chorégraphiques, parfois acrobatiques, ponctuées de gestes expressifs. Dans la scène représentant Pilate qui se lave les mains alors que le Christ est emmené par un soldat, l’attitude du jeune homme se détournant vers Pilate, tout en marchant et en maintenant le Christ, est fréquente dans l’œuvre de Coecke. Celui-ci affectionnait les figures se détournant dans un double mouvement de torsion et de marche, comme dans la tapisserie de saint Paul à Malte, de la série de la Vie de saint Paul, ou celle de l’Orgueil, de la suite des Sept péchés capitaux (fig. 10). Maintes figures féminines représentées dans différents vitraux sont elles aussi apparentées au répertoire de Pieter Coecke, pour la position des mains, de la tête, pour la chevelure et l’aspect gracile.

Fig. 10

L’Orgueil, tapisserie de la suite des Sept péchés capitaux, d’après des projets de Pieter Coecke van Aelst, ca. 1532-1534, Patrimonio Nacional, Palacio Real de la Granja de San Ildefonso, inv. TA 22/1, 10004091

Fig. 10

L’Orgueil, tapisserie de la suite des Sept péchés capitaux, d’après des projets de Pieter Coecke van Aelst, ca. 1532-1534, Patrimonio Nacional, Palacio Real de la Granja de San Ildefonso, inv. TA 22/1, 10004091

14Les inventions de Pieter Coecke n’ont pas été assemblées à la manière d’un patchwork pour composer les scènes historiées des vitraux. Loin d’être artificielle ou maladroite, l’intégration d’une figure, d’un personnage ou d’une partie de scène au sein d’une nouvelle composition est toujours habilement conduite, de manière à assurer l’équilibre et la lisibilité de celle-ci dans le cadre monumental et contraignant de la fenêtre. Des ensembles homogènes ont été harmonieusement construits autour des figures principales du Christ et de la Vierge, bien mises en évidence, le plus souvent au centre de la scène. Les pauses variées et étudiées des personnages concourent à dynamiser les compositions. À l’intérieur d’une scène donnée, les protagonistes communiquent et interagissent par un jeu d’attitudes, de poses et de regards, qui contribue à l’organisation des compositions, comme dans l’Incrédulité de Thomas (fig. 11).

Fig. 11

Incrédulité de Thomas, détail de la fenêtre SIII de la cathédrale de Lichfield, ca. 1535-1538. Photomontage de clichés du Barley Studio

Fig. 11

Incrédulité de Thomas, détail de la fenêtre SIII de la cathédrale de Lichfield, ca. 1535-1538. Photomontage de clichés du Barley Studio

15Quand les thèmes s’y prêtent, les scènes historiées se déroulent au sein d’architectures relativement complexes qui organisent et limitent l’espace, tout en y facilitant la distribution des personnages, dans l’Annonciation par exemple (fig. 2). Ces architectures sont reliées par des avancées latérales aux encadrements architecturaux qui participent à l’insertion des scènes historiées dans les fenêtres. Manifestement, Pieter Coecke est également intervenu dans la conception des décors architecturaux, au moins en partie [12].

16Les inventions déployées dans les vitraux de Lichfield n’ont ni précédent ni équivalent dans les autres vitraux des anciens Pays-Bas conservés. Elles signent l’intervention de Pieter Coecke, sans exclure un autre concepteur, qui resterait à identifier, notamment pour les vitraux les plus anciens datés de 1532 (dont le Portement et la Descente de Croix), pour lesquels aucune référence précise à l’art de Coecke n’a été trouvée. Les œuvres de Lichfield ont bien été rapprochées des verrières réalisées entre 1528 et 1532 pour l’église Sainte-Catherine de Hoogstraten par le « glaesmakere » anversois Claes Mathyssen et empreintes de la manière Pieter Coecke [13]. Mais l’importance des restaurations des vitraux de Hoogstraten confine l’analyse au constat d’analogies dans les choix de composition et le traitement des physionomies.

17L’intervention de Pieter Coecke est donc manifeste au niveau de la conception, mais qu’en est-il des stades ultérieurs ?

La réalisation : carton et transposition dans la technique du vitrail

Fig. 12

Théodore Van Thulden, cartons du vitrail des archiducs Albert et Isabelle, 1663 terminus ante quem (Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire) et vitrail correspondant dans la cathédrale Saints-Michel-et-Gudule réalisé par Jean De Labarre, 1663

Fig. 12

Théodore Van Thulden, cartons du vitrail des archiducs Albert et Isabelle, 1663 terminus ante quem (Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire) et vitrail correspondant dans la cathédrale Saints-Michel-et-Gudule réalisé par Jean De Labarre, 1663

© KIK-IRPA, Bruxelles, pour les deux clichés

18Comme pour la tapisserie, la réalisation de vitraux implique la confection de cartons à grandeur d’exécution à partir de projets à petite échelle. Ces cartons servaient aux étapes ultérieures de la réalisation des vitraux : coupe, peinture et assemblage des verres. On ne conserve malheureusement pas ceux des vitraux de Lichfield. La conservation de cartons de vitraux est d’ailleurs exceptionnelle et très peu d’exemplaires existent encore, dont la série préparatoire aux vitraux de l’église Saint-Jean de Gouda aux Pays-Bas (datés de 1557 à 1596 pour les plus récents) [14] et les cartons de la chapelle Notre-Dame Libératrice de la cathédrale Saints-Michel-et-Gudule à Bruxelles, plus tardifs [15] (fig. 12). Ces cartons sont conformes à la description du peintre toscan Cennino Cennini (v. 1370 – v. 1440) qui recommandait au peintre de confectionner ses cartons de la manière suivante : tu prendras autant de feuilles de papier collées ensembles que tu en as besoin pour ta fenêtre ; tu dessineras la figure, d’abord avec du charbon, puis tu la fixeras avec de l’encre ; tu ombreras la figure d’une manière parfaite, comme <lorsque> tu dessines sur panneau[16]. Les cartons des vitraux de Gouda et de Bruxelles comportent en effet des indications extrêmement précises et concises sur le modelé. Ces cartons ne comportent pas de trace d’utilisation, comme par exemple la marque des clous permettant de fixer, à travers le carton (servant alors de plan d’assemblage), les verres sur la table de travail en bois, lors de leur sertissage dans les baguettes de plombs qui les solidarisent, et l’hypothèse d’un second carton de travail a été émise. Il est à noter également que ces cartons ne sont pas colorés, contrairement aux cartons de tapisserie ; des indications de couleur étaient néanmoins parfois présentes sous la forme d’inscriptions. Le dessin du carton, visible par transparence à travers les pièces de verre, était reporté sur celles-ci par décalque des indications du carton posé horizontalement sur la table de travail [17].

Fig. 13

Martyre de saint Paul (détail), 342,6 x 391,8 cm, Bruxelles, Musée de la Ville, Maison du Roi

Fig. 13

Martyre de saint Paul (détail), 342,6 x 391,8 cm, Bruxelles, Musée de la Ville, Maison du Roi

© KIK-IRPA, cliché x112433

19Les cartons préparatoires aux vitraux de Lichfield ne devaient pas être bien éloignés, dans leur présentation générale, des cartons de Gouda et de Bruxelles… et du carton de la tapisserie du Martyre de saint Paul conservé au Musée de la Ville de Bruxelles, excepté pour la peinture. Tant dans la spécialité du vitrail que dans celle de la tapisserie, la destination monumentale des œuvres impose un dessin au trait, appuyé et précis, avec un modelé subtil des formes et surtout des visages. Des comparaisons de détail entre le carton de Bruxelles et les vitraux de Lichfield (figs. 13 et 14) – à défaut des cartons – montrent une parenté telle que l’on envisage spontanément, mais de manière légitime, l’intervention de mêmes dessinateurs pour les cartons de tapisseries et les cartons de vitraux au sein de l’atelier chargé, dans l’entourage de Pieter Coecke, de la confection des cartons. On le sait, Pieter Coecke avait développé une activité importante dans le domaine des cartons de tapisseries et était reconnu comme tel. Les livres de comptes de la ville d’Anvers le désignent comme « peintre et fabricant de cartons » (1541-1542) et, à ce titre, il reçut une aide financière pour la location de sa maison [18].

Fig. 14

Tête d’un des protagonistes de l’Entrée du Christ à Jérusalem, 1538, Lichfield, cathédrale, détail de la fenêtre SII

Fig. 14

Tête d’un des protagonistes de l’Entrée du Christ à Jérusalem, 1538, Lichfield, cathédrale, détail de la fenêtre SII

© Isabelle Lecocq

20Dans son étude sur la taille et l’examen concret du fonctionnement de l’atelier de Pieter Coecke, Linda Janssen a conclu que cet atelier était l’un des plus grands à Anvers durant la première moitié du xvie siècle [19]. Il est donc d’autant plus vraisemblable que Pieter Coecke ait suivi de près la confection des cartons de vitraux en endossant le rôle d’artiste-chef d’atelier.

21La contribution de l’atelier de Coecke (ou lié à celui-ci) a manifestement concerné à la fois la fourniture de projets à échelle et de cartons. Il est à cet égard intéressant de constater que les dessinateurs de cartons ne semblent pas avoir été spécialement familiers des techniques de peinture sur verre, puisque la technique picturale mise en œuvre dans les vitraux de Lichfield n’est pas vraiment adaptée, particulièrement par une très large utilisation de plages sombres et d’ombres importantes, ce qui est rarement observé dans le domaine du vitrail [20]. Par ailleurs, le dessin est parfois d’une très grande complexité, avec beaucoup de détails, qui n’ont pas toujours été compris et correctement interprétés par les praticiens.

22La question de l’atelier qui a réalisé les vitraux est difficile à traiter. L’analyse matérielle des différentes scènes donne à penser que les vitraux, tant les plus anciens que les plus récents, ont été réalisés sous la responsabilité d’un même atelier ou d’un même maître, vu la constance des techniques observées. Cette constance n’a pas empêché une évolution de celles-ci au cours des sept années de réalisation des vitraux de l’abbatiale, notamment avec un usage progressivement plus important de la sanguine – une peinture vitrifiable riche en hématite – dans le modelé des carnations.

23Les documents d’archives révèlent l’identité d’un maître verrier en rapport avec l’exécution de vitraux pour l’abbaye de Herkenrode : le malinois Lambert Spulberch [21], qui était sans doute apparenté à la célèbre famille de verriers Van den Houte de cette ville [22]. En 1535, ce Lambert Spulberch reçoit 60 florins pour l’exécution du vitrail offert par Érard de La Marck et placé dans le chœur de l’abbatiale. Les termes utilisés sont « voorgescreven, gemaect, gestelt ende gelevert » [23], et il est précisé que le vitrail est signé de son paraphe. Ce vitrail doit correspondre au vitrail d’Érard de La Marck de la cathédrale de Lichfield (figs. 15 et 16), avec la scène du Portement de Croix, daté de 1532, mais aucune signature n’a pourtant été relevée.

Fig. 15

Reconstitution du vitrail d’Érard de La Marck, autrefois dans l’abside de Herkenrode et actuellement dans les fenêtres NIV (partie inf.) et SIV (partie sup.) de la Lady Chapel de la cathédrale de Lichfield

Fig. 15

Reconstitution du vitrail d’Érard de La Marck, autrefois dans l’abside de Herkenrode et actuellement dans les fenêtres NIV (partie inf.) et SIV (partie sup.) de la Lady Chapel de la cathédrale de Lichfield

Fig. 16

Érard de La Marck et saint Lambert, détail de la fenêtre NIV de la cathédrale de Lichfield, 1532. Photomontage de clichés du Barley Studio

Fig. 16

Érard de La Marck et saint Lambert, détail de la fenêtre NIV de la cathédrale de Lichfield, 1532. Photomontage de clichés du Barley Studio

24Un autre verrier, l’anversois Marten Tymus (ou Tymans, Thymans), est cité à deux reprises, mais sans rapport avec la réalisation de vitraux pour l’abbatiale [24]. En février 1533, il reçoit une somme (50 florins de Brabant) pour des colis (« pakken », pouvant aussi désigner des « cartons » ou tout autre chose) d’un dénommé Peter Frans van Venedigen, impliqué dans la réalisation du pavement Renaissance de l’abbatiale. En juin de la même année, pour une raison non spécifiée (sans doute un remboursement), il se voit remettre une somme équivalente (55 florins de Brabant) par l’abbesse Mathilde de Lexhy (1519 – 1548), qui entreprit de restaurer et d’embellir l’abbaye dévastée en 1509 et qui commanda le nouveau pavement. Si ce Tymus n’est pas impliqué dans les textes d’archives pour la réalisation de vitraux de l’abbatiale, il est néanmoins intéressant de remarquer, comme Claire Dumortier l’a établi [25], qu’il était l’oncle d’une religieuse de Herkenrode, et qu’il connaissait suffisamment Pieter Coecke pour être avec lui témoin des dernières volontés et du testament de Joos van Cleve (†1541) [26]. Et H. Nicaise note judicieusement que Tymus, maître (1528) et ensuite doyen (1545) de la gilde de St Luc à Anvers, dut être appelé à Herkenrode pour des travaux « assez importants », et qu’il ne s’agissait pas « d’un simple ouvrier chargé de travaux ordinaires qui auraient pu être confiés à un artisan habitant à proximité » [27].

25Ces données n’éclairent hélas pas les modalités de réalisation des vitraux et ne permettent pas de savoir à qui finalement la commande des vitraux avait été adressée et qui a sous-traité quoi à qui. Il n’est néanmoins pas impossible que Pieter Coecke ait été artiste-entrepreneur responsable de l’œuvre jusqu’à sa livraison, comme dans le cas du vitrail de la guilde des drapiers pour la cathédrale d’Anvers.

26Quoi qu’il en soit, les vitraux de Lichfield enrichissent la compréhension de l’art de Pieter Coecke et peut-être aussi du fonctionnement de son atelier. Ils (dé)montrent la rare capacité qu’avait Pieter Coecke d’adapter ses inventions à la destination des œuvres projetées et d’orchestrer les collaborations grâce auxquelles celles-ci ont pu voir le jour. Dans l’entourage immédiat de l’artiste, vraisemblablement sous la direction de celui-ci, une même équipe de dessinateurs a œuvré à la fois sur des cartons de tapisseries et de vitraux.


Date de mise en ligne : 08/11/2019

https://doi.org/10.3917/stud.011.0065

Notes

  • [1]
    La présente contribution est basée sur des recherches en collaboration avec Yvette Vanden Bemden. Son auteur remercie chaleureusement celle-ci de lui avoir permis d’utiliser certaines conclusions de ces recherches. Elle remercie également les organisateurs des journées d’étude consacrées au carton du Martyre de saint Paul du Musée de la ville de Bruxelles de lui avoir offert une tribune de choix et d’avoir œuvré avec patience et compétence à l’édition des Actes.
  • [2]
    “The number of works attributed to Koeck by the latter study [Marlier] is overwhelming, but to date there is not a single work, apart from the Turkish series, that can be regarded as quite definitely from his hand” cité dans VAN MANDER K., The Lives of the Illustrious Netherlandish and German Painters, from the first edition of the “Schilder-boeck” (1603-1604), introduction, traduction et édition de Miedema H., vol. 3, Doornspijk, 1996, p. 73.
  • [3]
    Voir principalement FRIEDLÄNDER M. J., Jan van Scorel and Pieter Coeck van Aelst (Early Netherlandish Painting, XII), Leyden, Bruxelles, 1975 ; MARLIER G., La Renaissance flamande. Pierre Coecke d’Alost, Bruxelles, 1966 ; CLELAND E. (éd.), Grand Design. Pieter Coecke van Aelst and Renaissance Tapestry, cat. d’exp New York (The Metropolitan Museum of Art), 2014 ; ALSTEENS S., The Drawings of Pieter Coecke van Aelst, dans Master Drawings, LII, no 3, New York, 2014, pp. 275-362, ainsi que la bibliographie sur l’artiste citée dans ces ouvrages. Pour un aperçu général mais complet de l’activité de Pieter Coecke dans le domaine de la théorie architecturale, de la traduction et de l’édition de traités d’architecture, dont la prise en compte est fondamentale pour la compréhension de l’œuvre de l’artiste, est donné dans DE JONGE K., Inventing the Vocabulary of Antique Architecture. The Early Translators and Interpreters of Renaissance Architectural Treatises in the Low Countries, dans COOK H. J. et DUPRÉ S. (éd.), Translating Knowledge in the Early Modern Low Countries (Low Countries Studies on the Circulation of Natural Knowledge, vol. 3), Berlin, Münster, Vienne, Zürich, Londres, 2012, pp. 217-240.
  • [4]
    Voir LECOCQ I., Pieter Coecke van Aelst et le vitrail, ou le défi de l’invention à l’échelle monumentale, dans Revue belge d’Archéologie et d’Histoire de l’Art, LXXXVI, 2017/1, pp. 141-169.
  • [5]
    Voir CLELAND E. (éd.), Grand Design… op. cit., p. 78 (cat. 14) : Anno .15 37. den .26. martij. / Also ic peeter coucke alias van aelst aengenome[n] heb te leueren een forme oft glasen venster (inhoudende va[n] / van.Sinte Nicolaus.) vanden dekens vander meersen[iers] de welcke hemlieden geleuert hebbende thandwerpe[n] / in onser lieuer vrouwen kercke en [de] hemlieden voldaen. Kinne mij vanden voerß[eiden] dekens vernoecht en [de] te / vollen betaelt te wetene. vander somme van achtendertich ponden. Vlems.tot.vj.karolus gulden tpo[n]t / also dat ic hemlieden vande voergenoemde comenscap niet meer eischende en bin in kinneßen mij[n]s hantscrifts aldus geteekent / Peeter. Coucke. » Trad. : « 26 mars 1537. Je soussigné Peeter Coucke, connu en tant que Van Aelst, ait été chargé de livrer aux doyens des marchands de tissus un dessin d’un vitrail représentant saint Nicolas. Ce vitrail leur ayant été livré dans l’église Notre-Dame d’Anvers et approuvé par eux, j’ai été pleinement payé par les mêmes de la somme de 38 livres flamandes (une livre valant six florins Carolus). Je renonce ainsi à réclamer toute autre somme d’argent pour ce travail, et signe de ma propre main Peeter Coucke ».
  • [6]
    FRIEDLÄNDER M. J., Pieter Coecke van Alost, dans Jahrbuch der Königlich Preussischen Kunstsammlungen, 38, 1917, pp. 90-91.
  • [7]
    Voir principalement OPSOMER C., Abbaye de Herkenrode à Curange, dans HALKIN L. E., AUBERT R., VAN CAENEGEM R., DESPY G. et WYFFELS C. (dir.), Monasticon belge. VI. Province de Limbourg, Liège, 1976, pp. 137-159 ; CALUWAERTS G., Herkenrode zoals het is. Herkenrode zoals het was, Hasselt, 2003 ; CALUWAERTS G., DE DIJN C. G. et VAN DER EYCKEN M., Monasterium Herkenrode 1, Hasselt, 2008.
  • [8]
    La Lady Chapel est également éclairée par deux vitraux (NVI et SVI) qui ne proviennent pas de l’ancienne abbaye de Herkenrode et dont la provenance exacte n’a pas encore pu être déterminée. Le vitrail de la Crucifixion de la chapelle privée de l’abbesse de Herkenrode, contemporain aux vitraux de l’abbatiale, est conservé dans l’église de Ashtead (Surrey, G.B.).
  • [9]
    En collaboration avec Yvette Vanden Bemden et al., Les vitraux de l’ancienne abbaye de Herkenrode en Grande-Bretagne (Corpus Vitrearum), en préparation. Voir également VANDEN BEMDEN Y., KERR J. et OPSOMER C., The Sixteenth-Century Glass from Herkenrode Abbey (Belgium) in Lichfield Cathedral, dans Archaeologia, CVIII, Londres, 1986, pp. 189-226 ; VANDEN BEMDEN Y., The 16th-century stained glass from the former Abbey of Herkenrode in Lichfield Cathedral, dans The Journal of Stained Glass, XXXII, Londres, 2008, pp. 49-90 ; LECOCQ I., Étude préalable à la conservation-restauration des vitraux de la cathédrale de Lichfield par les soins du Barley Studio, atelier de création et de restauration de vitraux dirigé par Keith Barley, York, 2003, dans Bulletin de l’Institut royal du Patrimoine artistique, 30 (2003), Bruxelles, 2004, pp. 319-325.
  • [10]
    Ce projet conservé à la Staatliche Graphische Sammlung de Munich, d’abord attribué par G. Marlier à un artiste travaillant à la manière de Pieter Coecke (voir MARLIER G., La Renaissance flamande… op. cit., pp. 354-356), est à présent attribué par Stijn Alsteens au Maître des Clinging Draperies. Stijn Alsteens attribue à ce maître proche de Pieter Coecke maints projets de vitraux, dont la fameuse série des Triomphes de Pétrarque, dont on connaît des dessins et des rondels en de nombreux exemplaires (voir principalement HUSBAND T. B., Pieter Coecke van Aelst and his Circle, dans HUSBAND T. B. (éd.), The Luminous Image. Painted Glass Roundels in the Lowlands, 1480–1560, cat. d’exp., New York (The Metropolitan Museum of Art), 1995, pp. 158-165 et sp. pp. 160-163).
  • [11]
    Voir SCHREUDER K., BUIJSEN E., MARTENS D. et VAN DEN BRINK P., Pieter Coecke van Aelst. De Intocht in Jeruzalem. Retabelfragmenten in Diaspora, tijdelijk weer bijeen, cat. d’exp., Maastricht (Bonnefanten Museum), 2000. Le tableau de L’Entrée du Christ à Jérusalem est conservé à Maastricht, au Bonnefantenmuseum, celui du Christ quittant Pilate à Berlin, au Palais Grünewalt, et celui de La Pentecôte au Cap, dans la collection Michaelis.
  • [12]
    Voir LECOCQ I. et KAVALER E. M., The Galerie François Ier at Fontainebleau : an inspiration for Netherlandish artists from the late 1530s, dans FAGNART L. et LECOCQ I. (dir.), Arts et artistes du Nord à la cour de François Ier, Paris, 2017, pp. 51-66.
  • [13]
    Voir HELBIG J., Les vitraux de la première moitié du xvie siècle conservés en Belgique. Province d’Anvers et Flandres (Corpus Vitrearum, III), Bruxelles, 1968, pp. 133-227.
  • [14]
    Voir principalement VAN RUYVEN-ZEMAN Z., Les cartons du xvie siècle de Gouda, dans Vitrail et arts graphiques xve-xvie siècles (Actes de la table ronde organisée par l’École nationale du Patrimoine, Paris, 29 et 30 mai 1997), Paris, 1999, pp. 100-116, et VAN RUYVEN-ZEMAN Z., VAN ECK X. et VAN DOLDER-DE WIT H., Het geheim van Gouda. De cartons van de Goudse Glazen, cat. d’exp., Gouda (Museum Het Catharina Gasthuis), 2002.
  • [15]
    Voir VANDEN BEMDEN Y., FONTAINE-HODIAMONT C. et BALIS A., Cartons de vitraux du xviie siècle. La cathédrale Saint-Michel, Bruxelles (Corpus Vitrearum Medii Aevi, Belgique, série Études, 1), Bruxelles, 1994.
  • [16]
    CENNINI C., Le Livre de l’Art (Il Libro dell’Arte) [1437], trad. critique, commentaires et notes de Déroche C., Paris, 1991, p. 302.
  • [17]
    Pour un aperçu plus détaillé de la technique du vitrail ancien, voir notamment LECOCQ I., La mise en forme du verre plat et la technologie du vitrail ancien, dans HALLEUX R., VANDERSMISSEN J. et TOMSIN Ph. (éd.), Histoire des techniques en Belgique. 1. La période préindustrielle, Liège, 2015, pp. 553-602.
  • [18]
    Voir ROOBAERT E., Kunst en kunstambachten in de 16de eeuw te Brussel (Archives et bibliothèques de Belgique, numéro spécial, 74), Bruxelles, 2004, p. 31.
  • [19]
    Voir JANSEN L., Considerations on the Size of Pieter Coecke’s Workshop. Apprentices, Family and Journeymen. A Contribution to the Study of Journeymen on Micro Level, dans PEETERS N. (éd.), Invisible hands ? The Role and Status of the Painter’s Journeyman in the Low Countries c.1450–c.1650 (Groeningen Studies in Cultural Change, XXIII), Leuven, Paris, Dudley, 2007, pp. 83-105.
  • [20]
    Sur cet aspect, voir LECOCQ I. et VANDEN BEMDEN Y., ʻOser l’ombreʼ. La lumière et l’ombre dans les vitraux de l’ancienne église abbatiale de Herkenrode, dans GEORGI K., VON ORELLI-MESSERLI B., SCHEIWILLER-LORBER E. et SCHIFFHAUER A., Licht(t)räume. Festschrift für Brigitte Kurmann-Schwarz zum 65. Geburtstag, Petersberg, pp. 137-146.
  • [21]
    Voir VANDEN BEMDEN Y., KERR J. et OPSOMER C., The Sixteenth-Century Glass… op. cit., pp. 192-193, 214 et 221.
  • [22]
    Ibidem, pp. 192-193.
  • [23]
    Ibidem, p. 221.
  • [24]
    Ibidem, pp. 192-193. Voir également NICAISE H., Een Antwerpsch glasschilder in de abdij van Herkenrode, dans Antwerpen’s Oudheidkundige Kring, XII, 1936, pp. 56-61; Idem, Notes sur les faïenciers italiens établis à Anvers (1er tiers du xvie siècle), dans Revue belge de philologie et d’histoire, tome 16, fasc. 1-2, 1937, pp. 189-202.
  • [25]
    DUMORTIER C., Note concernant Merten Thymans, vitrier anversois de l’Abbaye de Herkenrode (xvie siècle), dans Bulletin des Musées royaux d’Art et d’Histoire, 56, fascicule 2, 1985, pp. 123-125.
  • [26]
    Voir CLELAND E. (éd.), Grand Design… op. cit., p. 19 et LEEFLANG M., Joos van Cleve. A Sixteenth-Century Antwerp Artist and his Workshop, Turnhout, 2015, p. 21.
  • [27]
    Cité dans NICAISE H., Notes sur les faïenciers italiens… op cit., p. 200.

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.89

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions