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Article de revue

1979, l’entrée des Soviétiques en Afghanistan : des hypothèses de planification contrariées

Pages 55 à 84

Notes

  • [1]
    La traduction du texte révèle son imprécision et reflète les indécisions soviétiques. L’Afghanistan est désigné comme « A ».
    « La décision sur l’entrée des forces soviétiques fut prise lors de la séance du Politburo du 12 décembre 1979.
    Sur la situation en « A »
    1 - En accord avec les réflexions et les mesures présentées par les camarades Andropov, Oustinov, Gromyko, les autoriser au cours de la mise en œuvre de ces mesures à apporter des corrections de caractère réduits. Les questions qui exigent une décision du comité central, sont à présenter en temps utile au politburo. L’exécution de toutes ces mesures est de la responsabilité des camarades Andropov, Oustinov et Gromyko.
    2 - Les camarades Andropov, Oustinov et Gromyko sont chargés d’informer le comité central du politburo sur le développement des mesures indiquées. »
  • [2]
    Lévesque Jacques, L’URSS en Afghanistan, de l’invasion au retrait, Bruxelles, Éditions Complexes, 1990, p. 27.
  • [3]
    L’assistance militaire que le nouveau régime reçut de Moscou connut un réel développement et la signature en mai 1978, d’un accord relatif aux « conseillers militaires » qui remplaçaient le terme de « consultant » employé auparavant, fit passer leur nombre à 400. En mars 1979, 4 500 conseillers militaires et civils soviétiques se répartirent dans chaque ministère à différents niveaux de responsabilité.
  • [4]
    Runov Valentin, Afganskaia Voïna, Boevie operatsii, La guerre afghane, les opérations militaires, collection Les guerres inconnues du xxe siècle, Moscou, édition Iauza, 2008, p. 18.
  • [5]
    Ivan Gregorievich Pavlovsky (1909-1999). En août 1968, général d’armée, adjoint du ministre de la Défense et commandant des forces terrestres, il reçoit du ministre de la Défense, le maréchal Gretchko, le commandement du groupement de forces unifié qui doit intervenir en Tchécoslovaquie pour réprimer le « Printemps de Prague ». L’opération, du nom de code « DUNAÏ », rassemblait un effectif de 500 000 hommes et de 5 000 chars et s’effectua les 20-21 août 1968. Après son séjour en Afghanistan d’août à novembre 1979, son rapport très défavorable à une intervention provoqua sa relégation, en juin 1980, comme membre du groupe des généraux inspecteurs du ministère de la Défense.
  • [6]
    Alexei Alexeyevich Yepishev (ou Epishev). En 1951, il est nommé adjoint du ministre de la Sécurité d’État (futur KGB). En avril 1962, il est réintégré dans les forces militaires et devient chef de la direction politique de l’armée soviétique et de la flotte. Il y joua un rôle particulier pour soumettre les forces armées aux intérêts de la direction du parti. Il représente un courant politique dogmatique et orthodoxe.
  • [7]
    17 mars 1979 – Transcription des discussions du comité central du PC de l’URSS concernant la détérioration des conditions en Afghanistan et les réponses possibles de l’URSS. Documents on the Soviet Invasion, Washington D.C. : Woodrow Wilson International Center for Scholars, 2011, The national Security archive, The September 11th Sourcebooks, vol. II : Afghanistan : Lessons from the Last War. The Soviet Experience in Afghanistan : Russian documents and memoirs. Edited by Svetlana Savranskaya. October 9, 2001.
  • [8]
    Dimitri Fiodorovich Oustinov devint ministre de la Défense en 1976 en succédant au maréchal Gretchko. Promu maréchal le 30 juillet 1976. Il fit une carrière dans l’industrie militaire et l’économie civile. Il acquit une influence telle grâce au poids de l’appareil militaro-industriel en URSS qu’il eut la réputation d’un faiseur de rois au Kremlin et son soutien fut décisif pour le choix de Iouri Andropov comme successeur de Brejnev.
  • [9]
    Secrétaire du comité central du PC de l’URSS.
  • [10]
    CPSU CC Politburo Decisions on Afghanistan. 18 mars 1979 – Décisions du comité central du PC de l’URSS sur l’Afghanistan face à la détérioration de la situation. Woodrow Wilson International Center for Scholars. e-Dossier n° 4 – New Evidence on the Soviet Invasion of Afghanistan. Documents on the Soviet Invasion of Afghanistan. file :///C :/Users/Philippe/Downloads/e-dossier_4.pdf
  • [11]
    McMichael Scott R., Stumbling Bear. Soviet Military Performance in Afghanistan, Brassey’s (UK) Ltd, 1st edition (December 1991), p. 1.
  • [12]
    Haggerty Jerome J. Colonel, US Army Reserve, « Afghanistan The Great Game », Military Review, 1980.
  • [13]
    Memorandum from Zbigniew Brzezinski for the President, « Reflections on Soviet Intervention in Afghanistan », op. cit. : « With Iran destabilized, there will be no firm bulwark in Southwest Asia against the Soviets to drive to the Indian Ocean. » Pour mieux établir le lien dans ce raisonnement il faut rappeler que l’opération « Eagle Claw », qui avait pour but de libérer les otages américains détenus à Téhéran, fut lancée le 7 avril 1980 à partir du porte-avions Nimitz croisant dans le golfe Persique et de l’île de Masirah, au large d’Oman.
  • [14]
    Wilson Center. Digital Archive. Soviet Invasion of Afghanistan. Minutes of the meeting of the CPSU Plenum on the Situation in Afghanistan, 23 June 1981.
    Dans une démonstration rédigée en 1990, le Major Randy B. Bell, USMC, « Expansion of American Persian Gulf Policy by Three Presidents », montre bien que ce qui était inculqué à l’école de guerre aux officiers américains depuis les années 70 tendait à démontrer que la dépendance accrue et croissante des pays industrialisés vis-à-vis des ressources du golfe Persique interdisait absolument que l’URSS dispose du contrôle politique ou militaire de cette région.
  • [15]
    La Première Direction générale du KGB était chargée du renseignement politique et de l’action clandestine à l’extérieur de l’URSS.
  • [16]
    « We do not want NATO to leave us face to face with jackals of war. After the NATO withdrawal they will spread to Tajikistan and Uzbekistan and this will become our problem », dans « After NATO withdrawal from Afghanistan jackals of war will spread to Tajikistan », Asia-Plus, September 19, 2011
  • [17]
    Le général Varennikov commanda de 1985 à 1989 le groupement soviétique en Afghanistan. Combattant de Stalingrad, il participa à la tentative de coup d’État d’août 1991 à Moscou. Il fut acquitté en 1994 et se retira avec tous les honneurs. Il mourut en mai 2009.
  • [18]
    Sovietskaya Rossiya, Moscou, 11 février 1993.
  • [19]
    Garthoff Raymond, Détente and Confrontation : American-Soviet Relations from Nixon to Reagan, Washington D.C., Brookings Institution Press, Revised edition, September 1994, p. 923.
  • [20]
    J. Bruce Amstutz, Afghanistan : The First Five Years of Soviet Occupation, DIANE Publishing, 1994
  • [21]
    De 1977 à 1981, membre du Conseil national de sécurité, en charge des affaires d’Asie du Sud.
  • [22]
    Cordovez Diego and Harrison Selig, « Did Amin signal Washington ? », Out of Afghanistan : The Inside Story of the Soviet Withdrawal, New York, Oxford University Press, 1995, p. 43.
  • [23]
    Direction Générale des Renseignements (GRU) de l’état-major général des forces armées, Glavnoye Razvédyvatl’noyé Upravliényé (Главное развeдывательное управление Генерального штаба Вооруженных сил).
  • [24]
    Cordovez Diego and Harrison Selig, op. cit.,
  • [25]
    Wilson Center. Digital Archive. Soviet Invasion of Afghanistan. Comité central du PCUS Politburo. Décision sur l’Afghanistan, 10 avril 1980, avec un rapport de Gromyko, Andropov, Ustinov, Zagladin », 7 avril 1980.
  • [26]
    Ibid., « Soviet Foreign Ministry Circular to Soviet Ambassadors on the Situation in Afghanistan, Instructions for Meeting with Heads of Government », December 27, 1979.
  • [27]
    Cold War International History Project. Digital Archive, Soviet Foreign Ministry Circular Cable to Soviet Ambassadors on the Situation in Afghanistan, Instructions for Meeting with Communist Party leaders, December 27, 1979.
  • [28]
    Les missions fixées aux forces de sécurité afghanes en 2012 consistent à interdire aux insurgés la liberté de mouvement sur les frontières internationales, à empêcher que les centres d’entraînement des insurgés soient tranférés de l’autre côté de la ligne Durand à l’intérieur du territoire afghan. Elles doivent aussi : 1) assurer la sécurité à Kaboul, des principales villes et de leurs environs (Kandahar, Helmand, Jalalabad, Nuristan, Kounar, Paktia, Ghazni, Maidan/Wardak, Logar, Kunduz, Baghlan, Herat, Mazar-e-Sharif). 2) assurer la sécurité sur les principales voies de communication d’Afghanistan (en particulier Kaboul-Kandahar, Kaboul-Mazar, Kandahar-Herat avec le point frontalier de Toorghondi, Kaboul-Jalalabad). 3) Bloquer et fermer les axes le long des frontières en particulier le long de la ligne Durand et la frontière iranienne pour contrôler et empêcher les groupes terroristes de franchir la frontière. 4) Conserver les gains opérationnels dans les régions du sud du pays et enfin prendre la responsabilité des opérations et que les responsables militaires afghans planifient et exécutent les opérations de combat en relation avec les menaces. 5) Couper les lignes de mouvement des groupes terroristes (AlQaida et les talibans) de l’est et du sud-ouest ainsi que du nord et du nord-ouest vers Kaboul. Le tranfert de la responsabilité des opérations demeure donc un objectif similaire entre les deux époques mais il représente tout autant un véritable défi permettant à la fois le « retrait » des forces d’intervention et le maintien de la « stabilité » de l’Afghanistan. Il faut également relever la similitude des objectifs : l’interdiction des axes de déplacement des opposants, la protection des centres urbains et des grands axes de communication.
  • [29]
    Baumann Robert F., op. cit., p. 136. Le terme de « génocide migratoire » de population fut utilisé pour décrire cet exode, en particulier par Louis Duprée, « Afghanistan in 1982 : Still no Solution », Asian Survey 23, n° 2, 1983, p. 135.
  • [30]
    Merimsky Viktor Arkadievich, général colonel, « Afghanistan, uroki i Vivodi », Voenno istorisheski jurnal (1994).
  • [31]
    Braithwaite Rodric, Afgantsy : The Russians in Afghanistan, 1979-1989, Oxford University Press, New York, 2011.
  • [32]
    Cold War International History Project. Digital Archive, Meeting of Kosygin, Gromyko, Ustinov, and Ponomarev with Taraki in Moscow, March 20, 1979.
  • [33]
    Nikitenko Evgeni Grigorevich, général de division, L’Orient : une affaire délicate. Afghanistan : de la guerre des années 1980 à la prévision de guerres futures, AST (АСТ). Collection Les grandes confrontations, Moscou, 2004.
  • [34]
    Lev Nikolaevich Gorelov. En Tchécoslovaquie, il commandait la 7e division de parachutistes qui s’empara de trois aérodromes dans la région de Prague, le 22 août 1968. En octobre 1975, il est nommé commandant des conseillers militaires en Afghanistan. De 1978 à 1979, soit avant l’entrée de la 40e armée, il organisa et conduisit avec les conseillers militaires une série d’opérations pour la reprise des villes de Faizabad, Asadabad, Bakirot, Khost occupées par des bandes rebelles et des « mercenaires » pakistanais. En 1980, il est nommé adjoint du commandant des forces de la région militaire d’Odessa. Il prit sa retraite en 1984.
  • [35]
    Liakhovsky Alexandre, général-major, Tragedia i doblect Afghanistan, Трагедя и доблесть Афганистана, Tragédie et vaillance en Afghanistan. Moscou 1998.
  • [36]
    Krasnaia Zvezda, du 18 novembre 1989, article : « Comment la décision fut prise/ kak prinimalos reshenije ».
  • [37]
    Cold War International History Project. Digital Archive, Conversation of the chief of the Soviet military advisory group in Afghanistan, Lt. Gen. Gorelov, with H. Amin, August 11, 1979.
  • [38]
    Sur les résultats du travail effectué par l’adjoint du ministre de la Défense de l’URSS, le général d’armée Pavlovsky en République Démocratique d’Afghanistan, dans Liakhovsky Alexandre, op. cit., p. 263-264. Également sur le site : Cold War International History Project, Wilson Center. Digital Archive. Soviet Defense Minister Ustinov, Report to CPSU CC on Mission to Afghanistan of Deputy Defense Minister Army-Gen. I. G. Pavlovskii.
  • [39]
    « Sem dovodov protiv » (« Sept raisons contre », «Семь доводов против»). Article publié en 1999, dans le journal Patrie, à partir du compte-rendu fait par I. Pavlovsky en 1979 au ministre de la Défense.
  • [40]
    Serguei Fiodorovich Akhromeev. Premier adjoint du chef de l’état-major général en 1979. Maréchal de l’Union soviétique en 1983. De 1984 à 1988, chef de l’état-major général des forces armées soviétique, il dirigea la planification de toutes les opérations en Afghanistan de l’entrée au retrait. Pendant le putsch de Moscou en 1991, Akhromeev revint de Sotchi pour offrir son assistance puis il se suicida.
  • [41]
    Krasnaia Zvezda, Mocou, 25 décembre 1992.
  • [42]
    Alexander Pouzanov est né en 1906 dans l’oblast de Kostroma en Russie, il est décédé à Moscou le 1er mars 1998. Il fut ambassadeur en Corée du Nord de 1957 à 1962, ambassadeur en Yougoslavie de 1962 à 1967, puis en Bulgarie de 1967 à 1972, et enfin en Afghanistan de 1972 à 1979. Il prend sa retraite en 1980.
  • [43]
    Général colonel Sultan Kekkezovich Magometov, né en 1920 en République de Karatchaïévo-Tcherkessie. Il participa à la guerre soviéto-finlandaise, puis à la Grande guerre patriotique qu’il commença comme sergent et acheva comme commandant en ayant combattu sur tous les fronts de Moscou, Stalingrad, Pologne, Baltique. Conseiller militaire en Syrie de 1967 à 1972. Le 27 décembre 1979, après l’entrée des forces soviétiques, il est nommé commandant des conseillers soviétiques en RDA pour un an.
  • [44]
    Les sources du KGB l’emportaient sur celles du GRU, ce qui reflétait le rôle croissant pris par son directeur Andropov qui contrôlait le flux d’informations vers le secrétaire général. Une influence particulière fut attribuée par le général Gorelov au représentant du KGB à Kaboul, le général Boris Semiononich Ivanov, en poste depuis le 17 mars 1979. Il fut en effet le seul à signer un message de situation alarmiste en date du 22 novembre 1979, ce qui aurait effectivement été un facteur déclenchant de l’intervention. Par ailleurs, son inspirateur principal, Papoutine l’adjoint du directeur du ministère soviétique de l’Intérieur, en mission à Kaboul dans cette période se suicida le 28 décembre après avoir compris quel rôle néfaste il avait joué dans la prise de décision.
  • [45]
    Kalinovsky Artemy M., A Long Goodbye : The Soviet Withdrawal from Afghanistan, Harvard University Press, Cambridge, Massachusetts and London, England, 2011.
  • [46]
    Sans nommer l’Afghanistan, ce document manuscrit fut retrouvé dans les archives du Comité central en 1991 lors du procès des conspirateurs du coup d’État qui contribua à la chute de Gorbatchev. (Prechen 14, Document 31 dans le « fond 89 » du centre d’archives pour la documentation contemporaine à Moscou.)
  • [47]
    Iouri Vladimirovich Toukharinov est en septembre 1979, le premier adjoint de la Région militaire du Turkestan, et se rend plusieurs fois en Afghanistan. Quand la décision d’entrée en Afghanistan des forces soviétiques fut prise le 12 décembre 1979, il fut nommé commandant de la 40e armée formée rapidement à partir des unités de la RM du Turkestan qui entra le 25 décembre en Afghanistan. En septembre 1980, il quitte le commandement de la 40e armée et reprend ses fonctions de premier adjoint de la RM du Turkestan. En 1983, il est nommé adjoint du commandant des forces du Pacte de Varsovie et quitte le service en 1990.
  • [48]
    Runov Valentin, Afganskaia Voïna, Boevie operatsii, op. cit., p. 19.
  • [49]
    La directive 312/ 12/ 00133 fut envoyée aux troupes le 10 décembre 1979, soit deux jours avant la signature du document validant l’intervention par le Politburo. Ce fut la seule trace écrite témoignant de la préparation d’une opération militaire en Afghanistan qui sortit du Politburo.
  • [50]
    Sergueï Leonidovich Sokolov. Né en 1911, en Crimée, il sert dans l’Armée rouge à partir de 1932. De 1980 à 1985, tout en conservant sa fonction de premier adjoint du ministre de la défense, il est commandant du groupement opératif de forces du ministère de la Défense de l’URSS en Afghanistan. Il devait formellement assurer l’interaction entre les forces soviétiques et afghanes, mais en fait, il planifia la conduite des opérations de l’armée afghane et des forces soviétiques. Du 22 décembre 1984 au 30 mai 1987, il est ministre de la Défense mais il doit démissionner après l’incident de Mathias Rust qui réussit à poser un avion de tourisme sur la place Rouge.
  • [51]
    Ограниченный контингент советских войск в Афганистане-ОКСВА. Ogranitcheni Kontingent Sovetskiix voisk v Afganistane. Le « contingent limité de forces soviétiques en Afghanistan – CLFSA », c’est l’appellation officielle donnée au groupement de forces soviétiques présent en République d’Afghanistan de 1979 jusqu’en 1989.
  • [52]
    Alexandre Liakhovsky, Général de division, né en 1946 en Géorgie soviétique, il participa à la répression des événements de 1968 en Tchécoslovaquie puis il servit en RDA. De 1974 à 1977, il suit les cours d’état-major de l’académie Frounze à Moscou, puis il sert huit années à l’état-major général des forces armées soviétiques à la direction en charge des affaires africaines. Il sert en Éthiopie en 1983 et en Angola en 1984. À partir de 1988, il sert sous les ordres du général Varennikov tant en Afghanistan que quand celui-ci est nommé commandant des forces terrestres.
  • [53]
    Liakhovsky Alexandre, op. cit., p. 744.
  • [54]
    Gromov Boris, Ogranitcheni kontingent (Борис Всеволодович Громов, Le Contingent limité, Ограниченный контингент,), Edition Progress, Moscou 1993.
  • [55]
    Cold War International History Project Bulletin. « Comité central du PCUS, Politburo. Décision sur l’Afghanistan, 10 avril 1980 », avec un rapport de Gromyko, Andropov, Ustinov, Zagladin, 7 avril 1980. p.171.

1 La guerre conduite en Afghanistan de 1979 à 1989 exerça une influence décisive sur l’évolution du système soviétique déjà fragilisé par des faiblesses intrinsèques. Le développement du conflit révéla surtout toutes les fractures qui existaient en URSS tant sur le plan intérieur qu’en politique extérieure.

2 C’est le 12 décembre 1979, que le Politburo du Comité Central du Parti communiste de l’URSS décida en comité restreint d’intervenir militairement en Afghanistan. Il avait pourtant jusque-là fermement repoussé toutes les demandes de ses protégés de Kaboul qui depuis le soulèvement d’Herat du 17 mars 1979, lui demandaient d’envoyer du matériel mais aussi des personnels de l’armée soviétique pour s’opposer à la révolte des éléments traditionnels de la société afghane.

3 En se lançant dans une vaste opération « spéciale », les dirigeants soviétiques pensaient préserver les intérêts de l’URSS qui se détérioraient du fait de la situation intérieure explosive d’un pays « frère » qui de plus jouxtait les frontières des républiques d’Asie centrale de l’Union. Les espoirs placés dans les effets stabilisateurs d’une opération lourde et rapide comme celles de 1956 en Hongrie et de 1968 en Tchécoslovaquie l’ont finalement emporté lors du processus de décision. Mais pour l’URSS, cette ultime intervention provoqua un véritable soulèvement populaire dans un Afghanistan qui se révéla nettement plus résistant à la force. Elle englua alors l’Armée rouge dans un conflit qu’elle chercha paradoxalement à maintenir sous une forme qualifiée de « limitée ».

4 Son appellation de « Contingent limité de forces soviétiques » voulait d’ailleurs le laisser croire, alors que l’insurrection bénéficiait d’un soutien régulièrement accru de la part d’acteurs extérieurs.

5 Brejnev, Andropov, Oustinov, Gromyko et Souzlov, qui représentaient en fait toutes les facettes du pouvoir soviétique : politique, KGB, forces armées et idéologie, signaient le 12 décembre un simple document manuscrit qui définissait vaguement les objectifs à atteindre [1] mais jetait en fait les forces soviétiques dans le piège afghan.

6 Le 25 décembre la 40e armée traversait l’Amou-Daria et les éléments soviétiques d’assistance et de coopération déjà présents à Kaboul se transformaient en force de frappe pour éliminer le président afghan Afizullah Amin que le Kremlin jugeait désormais irresponsable et incontrôlable.

7 De nombreuses interrogations demeurent encore sur les raisons de l’intervention soviétique et sur les objectifs de cette guerre, mais ce qui devint une erreur majeure n’est pourtant pas le seul exemple car une telle aventure militaire peut se rapprocher de l’opération Barbarossa comme de l’engagement américain au Viet Nam, voire en Irak.

8 Pourtant dès le 28 janvier 1980, la couverture du magazine Time se couvrait d’un dessin représentant l’énorme patte d’un ours prise entre les deux mâchoires d’un piège d’acier posé sur le territoire afghan. Cela anticipait clairement que ce qui devait être une simple opération de soutien ponctuel et limité se transformait en une opportunité d’affrontement décisif de la guerre froide. Alors que des observateurs extérieurs pouvaient résumer ce qui attendait la puissance moscovite, il semble surprenant que la direction politique et l’état-major général soviétiques, pourtant maîtres en analyses, manipulation et en art opérationnel se soient ainsi fourvoyés.

9 À cette époque, en particulier en Europe, l’influence idéologique soviétique ainsi que son action subversive se révélaient particulièrement prégnantes. L’URSS entretenait par ailleurs une série de conflits locaux en Afrique ou en Amérique latine où elle affrontait indirectement les États-Unis et l’Occident. Néanmoins, dans le même temps, cet empire multiethnique était agité de mouvements nationaux tant en Pologne qu’au sein même de l’Union parmi les peuples conquis de plus ou moins longue date, avec en particulier un accroissement démographique des peuples soviétiques de confession musulmane.

10 Comment Moscou avait-il pu commettre une telle erreur d’appréciation en se lançant dans un guêpier qui détruisit la détente et sa propre image de référence idéologique du monde communiste ? Les stratèges soviétiques auraient-ils donc été incapables d’anticiper ces risques ?

11 De fait, en intervenant ouvertement en Afghanistan, l’URSS dut y affronter tout autant la résistance afghane, que la réprobation internationale quasi unanime qui se transforma en soutien actif aux moudjahidines, et enfin le Pakistan et les États-Unis qui y conduisirent avec détermination leur propre guerre par procuration.

Le contexte historique et géopolitique

12 Le « Grand Jeu » du xixe siècle qui vit s’affronter en Asie centrale les empires britannique et russe intégrait déjà toutes les composantes des rivalités de puissances qui se retrouvèrent dans les positions prises par les Soviétiques et leurs adversaires pakistanais et américains après 1979. La vulnérabilité récurrente des gouvernements et le positionnement géographique entre des empires ou des influences de puissances ont prédisposé l’Afghanistan à devenir un lieu d’affrontement et de passage d’une influence dominatrice à l’autre. Dans les années cinquante, l’URSS l’emporta sur les États-Unis pour attirer l’Afghanistan dans son orbite à travers une combinaison d’initiatives diplomatiques, d’assistance économique et de coopération militaire.

13 La grande expansion de l’engagement soviétique débuta sous le premier gouvernement de Mohammad Daoud (1953-1963). Étape majeure : la visite à Kaboul, en décembre 1955, de Khrouchtchev et de Boulganine qui scella l’entente militaire soviéto-afghane. En 1956, un accord fut signé et la « soviétisation » des forces armées alla de pair avec sa modernisation. En 1961, l’Afghanistan commença à envoyer des personnels se former en URSS et en 1963 la présence des officiers soviétiques était devenue très visible en Afghanistan. À la fin des années soixante, 7 000 officiers afghans avaient déjà suivi des cours de formation en URSS et en Tchécoslovaquie. [2] À partir de 1972, une centaine de conseillers et de spécialistes furent envoyés dans les forces armées afghanes, s’ajoutant aux mille cadres et ingénieurs qui travaillaient déjà en Afghanistan. La présence des coopérants militaires ne cessa plus de se renforcer. [3] Ces programmes permettaient bien évidemment d’imprégner idéologiquement le corps des officiers, ce qui contribua aussi à favoriser le coup d’État d’avril 1978, tout en établissant une base de cadres qui restèrent par la suite proches de la Russie, tant sur le plan linguistique qu’idéologique. Ce furent donc la combinaison des initiatives diplomatiques, de l’aide économique et de l’assistance militaire qui avaient établi une dépendance substantielle de l’Afghanistan vis-à-vis de l’URSS.

14 Le 27 avril 1978, le Parti démocratique populaire d’Afghanistan (PDPA), dirigé par Nur Mohammad Taraki, Babrak Karmal et Hafizullah Amin renversa le régime de Mohammad Daoud. Devenu président du Conseil révolutionnaire de la République Démocratique d’Afghanistan, Nur Mohammed Taraki déclara que « l’Afghanistan suivrait les principes du marxisme-léninisme et qu’il appartiendrait au camp socialiste ». Le 5 décembre 1978, Taraki signa à Moscou un accord sur « L’amitié, le bon voisinage et la coopération ». Il permettait au gouvernement afghan de demander à l’URSS une assistance militaire directe et posa de fait la base juridique qui permit à Moscou de justifier l’entrée des forces soviétiques en 1979. [4]

15 En 1978, l’Union soviétique avait atteint une position dominante en Afghanistan. C’était l’aboutissement d’une vision géopolitique qui cherchait à préserver et à renforcer son influence sur sa frontière Sud en associant des initiatives purement diplomatiques, une aide économique et militaire et sans doute une certaine manipulation politique.

16 En parallèle de ces bouleversements politiques, les prémices de l’engagement militaire soviétique se situèrent vers la fin de 1978. À cette date, une délégation soviétique conduite par le général Ivan Pavlovsky [5], adjoint du ministre de la Défense et commandant des forces terrestres soviétiques, accompagné du général Alekseï Epishev [6] transmit à Taraki les inquiétudes du gouvernement soviétique concernant les réformes qui déstabilisaient la société afghane et provoquaient des révoltes armées.

17 À travers cette évolution de la relation soviéto-afghane, il s’avère que c’est en premier lieu la conservation des acquis politiques et stratégiques qui constitua la principale raison de l’intervention soviétique de décembre 1979. Moscou voulait y garantir la pérennité du nouveau gouvernement de Babrak Karmal en remettant sur pied des forces de sécurité en voie de dissolution et en rétablissant l’autorité du régime sur le pays.

18 Pourtant, l’impasse de cette stratégie et les limites de cette approche furent atteintes en particulier à partir de 1984. Il devint clair à ce moment que l’URSS ne pouvait en aucun cas parvenir à un accord diplomatique avec les États-Unis ni avec le Pakistan qui se posaient comme des protagonistes majeurs du conflit. De plus, les forces soviéto-afghanes se révélèrent incapables de réduire la volonté de combattre des moudjahidines ou de faire accepter le régime de Kaboul auprès de la population.

19 Initialement, Moscou espérait aussi que son intervention restât limitée dans le temps et dans les moyens qui y furent consacrés. Mais dans le contexte de la guerre froide, avec la remontée en puissance des États-Unis qui se conjugua à un certain renouveau islamique, l’URSS perdit rapidement sur ce théâtre toute initiative et ne conserva plus son emprise sur les développements du conflit.

Les hypothèses stratégiques

Les prémices d’une planification de l’intervention

20 Après les événements du 17 mars 1979 [7] à Herat, Dimitri Oustinov [8], le ministre de la Défense, Andreï Gromyko, le ministre des Affaires étrangères, et Iouri Andropov, le directeur du KGB, envisagèrent plusieurs options de soutien y compris le déploiement de troupes en Afghanistan, mais en exprimant une extrême réticence concernant cette option. Même si la direction soviétique admettait que les conditions d’une intervention étaient particulièrement défavorables, l’engrenage se mit progressivement en place en posant comme principe qu’un recul d’influence, voire la perte de l’Afghanistan serait inacceptable après soixante années de coopération. C’est donc ainsi que Kossyguine, le président du Conseil des ministres, définissait la ligne rouge, lui qui s’opposait pourtant à l’intervention militaire, quand il déclara : « Nous devons lutter pour l’Afghanistan. »

21 La direction soviétique qui s’appuyait sur les évaluations de ses représentants sur place, et en particulier sur celles du KGB relayées par Andropov, dressait le constat des graves lacunes des forces de sécurité afghanes malgré tous les efforts de formation effectués par les Soviétiques. Ponomarev [9] y voyait d’abord un moyen d’éviter un engagement direct : « Après tout, ils ont une armée de 100 000 hommes et avec nos conseillers, on devrait examiner tout ce qu’il est nécessaire de faire et après seulement et quand cela sera nécessaire, déployer nos propres troupes. »

22 D’autres facteurs de risques y étaient clairement soulignés comme les ingérences extérieures : « Des bandes de saboteurs et de terroristes infiltrés du Pakistan, entraînés et armés, non seulement avec la participation de forces du Pakistan, mais aussi de Chine, et des États-Unis d’Amérique et d’Iran. »

23 Outre ce constat, les membres du Politburo avaient clairement identifié la forme d’opposition traditionnelle qu’ils devraient affronter. Oustinov estimait ainsi que : « La direction afghane n’a pas suffisamment évalué le rôle de l’Islam fondamentaliste, c’est sous la bannière de l’Islam que les soldats se tournent contre le gouvernement. » Pour Andropov le constat était le même quand il relevait que « la religion islamique prédomine et la population rurale est illettrée. Nous savons par les enseignements de Lénine que nous ne trouvons pas en Afghanistan les conditions favorables à une révolution socialiste ».

24 Les dirigeants afghans ne vont pourtant plus cesser en 1979 de réclamer l’intervention de leur allié soviétique. Moscou chercha d’abord à l’éviter en les soutenant par des recommandations et en leur proposant des solutions exprimées selon la rhétorique marxiste, comme « la mobilisation des forces laborieuses capables de soutenir le régime », ce qui pourrait être traduit dans le langage de la contre-insurrection moderne par le besoin d’obtenir l’adhésion et le soutien de la population.

25 Lors de la session du Politburo du 18 mars [10], Gromyko et Andropov s’opposèrent au déploiement de troupes qui seraient immédiatement considérées comme une force d’agression. Gromyko était conscient qu’une telle action ruinerait la détente et les efforts de désarmement tout en suscitant la condamnation des pays non-alignés sans y gagner aucun avantage politique. Tous ces arguments furent suivis par les autres membres du Politburo dont le maréchal Oustinov qui conclut que : « La seule chose à faire c’est d’exclure toute possibilité de déployer des troupes. »

26 Néanmoins, la confusion régnait dans le choix des options et les événements du 17 mars initièrent malgré tout l’idée, voire la planification d’une intervention. [11] Oustinov proposa ainsi le même jour, soit de déployer deux divisions directement en Afghanistan, soit de projeter la 105e division parachutiste directement en Afghanistan tout en positionnant la 68e division de fusiliers motorisés et la 5e division d’artillerie le long de la frontière. Finalement les Soviétiques répondirent en accroissant leur aide économique ainsi qu’une assistance militaire gratuite en proposant de livrer des hélicoptères d’attaque Mi‑24 qui avaient déjà fait leur preuve contre les rebelles érythréens en Éthiopie, tout en portant de 550 à 3 000 le nombre des conseillers militaires.

L’accès aux mers chaudes, l’expansionnisme russe

27 Les raisons qui ont amené l’entrée d’un contingent soviétique en Afghanistan ont provoqué nombre de spéculations et d’interprétations souvent exprimées dans un contexte exacerbé de rivalités de puissances. Néanmoins, la position soviétique s’appuyait sur plusieurs fondements que ses dirigeants justifièrent publiquement tout en repoussant l’argumentaire occidental.

28 L’intervention soviétique en Afghanistan fut plus spécifiquement analysée par nombre d’experts occidentaux comme la marque historique de l’expansionnisme russo-soviétique. La présence militaire dans cette région ne devenait alors qu’une première étape vers la mainmise soviétique sur les ressources pétrolières iraniennes et la prise d’une position stratégique sur le golfe Persique. Cette argumentation fut particulièrement utilisée par les analystes pour justifier un engagement américain et un soutien à la résistance. Elle fut si satisfaisante qu’elle imprègne encore très sensiblement les esprits. Cette perception est ancienne et Sir Kerr Fraser-Tytler, ambassadeur à Kaboul du temps de Nadir Shah (roi d’Afghanistan de 1929 à 1933), la développait déjà en notant que la poussée soviétique de l’après-guerre n’était plus tant dirigée vers l’Inde que vers le golfe Persique et le contrôle du port de Karachi au Pakistan. Quand l’influence britannique fut remplacée par celle des Américains, cette vision d’un expansionnisme russe paraissait logique dans le contexte de la guerre froide.

29 Dans les analyses effectuées pour la Maison-Blanche en décembre 1979, cette idée revenait régulièrement, en particulier dans la note que Zbigniew Brzezinski, conseiller à la sécurité nationale du président des États-Unis, transmit au président Carter le 26 décembre. Dans ce mémorandum il mentionnait en premier lieu qu’en cas de succès en Afghanistan, et avec l’accord du Pakistan, soumis aux pressions des Soviétiques, ceux-ci réaliseraient « le vieux rêve de Moscou d’obtenir un accès direct à l’océan Indien. » Il démontrait ensuite que la barrière historique qui était assurée par les Britanniques avec l’Afghanistan dans son rôle d’État-tampon (« Buffer State ») avait été reprise par les États-Unis en 1945 avec l’Iran, mais que la crise iranienne avait rompu l’équilibre des puissances en Asie du Sud-Ouest et que cette situation pourrait conduire à la présence directe des Soviétiques sur les golfes d’Arabie et d’Oman. Ce retour aux références du « Grand Jeu » se répandit à travers des articles dans les publications militaires américaines dont certaines analyses se retrouvaient presque à l’identique dans les notes secrètes de la Maison-Blanche. [12] Le sentiment d’une menace expansionniste soviétique s’appuyait par ailleurs sur le constat établi à partir des gages territoriaux acquis par les Soviétiques dans la corne de l’Afrique, au Vietnam, au Laos, au Cambodge, au Sud-Yémen et potentiellement au Nord-Yémen. Les desseins soviétiques furent alors anticipés en plusieurs étapes. Après la destruction de la résistance afghane, l’URSS absorberait l’Afghanistan puis elle prendrait le contrôle de l’Iran, comme elle l’avait tenté en 1949, d’où elle s’avancerait vers le golfe Persique et le golfe d’Oman et sa progression ne pourrait alors être contenue que par l’emploi de l’arme nucléaire.

30 L’objectif ultime des Soviétiques, évalué par les analystes américains, aurait donc été d’établir un réseau de points d’appui pour tenir les détroits de Malacca dans l’océan Indien, d’Ormuz dans le golfe Persique et le golfe d’Aden à l’entrée de la mer Rouge vers le canal de Suez. La menace serait alors majeure pour les États-Unis qui perdraient le contrôle des ressources pétrolières du Moyen-Orient, alors que la Chine serait encerclée et que le commerce du Japon vers l’Europe serait interrompu. Par ailleurs, la présence de bases aériennes soviétiques en Afghanistan réduirait les possibilités d’une attaque-surprise américaine contre l’Iran – et donc de la résolution de la crise iranienne –, car elles permettraient aux Soviétiques d’atteindre les porte-avions américains qui croisaient déjà dans l’océan Indien. [13]

31 Néanmoins, les actions menées par les Soviétiques après l’invasion laissèrent peu de substance pour appuyer cette thèse. Ils cherchèrent en effet à éviter toute forme d’hostilité directe contre le Pakistan et le niveau des moyens militaires mis en œuvre en Afghanistan ne permettait pas de faire pression et encore moins d’intervenir contre le Pakistan ou l’Iran ou encore atteindre la mer d’une quelconque façon.

32 Cependant, les Soviétiques étaient parfaitement conscients de la récurrence de cette thèse et ils durent l’intégrer à leurs analyses dans le jeu d’équilibre avec la stratégie américaine. C’est ainsi que dès le 23 juin 1980 lors du Plénum du Comité central du parti communiste, Brejnev déclara que les États-Unis accusaient à tort l’URSS de vouloir mettre la main sur les gisements pétroliers et de chercher à obtenir un accès aux mers chaudes. À l’inverse, Moscou considérait bien la présence américaine dans l’océan Indien comme une menace contre la sécurité de l’URSS qui allait à l’encontre des efforts de stabilisation du Moyen-Orient, confirmant ainsi l’extrême sensibilité de cet espace de rivalité entre les deux puissances antagonistes de la guerre froide. [14]

Les risques liés à une influence islamique. Stabiliser la frontière Sud de l’empire face à la montée islamiste

33 Outre les raisonnements stratégiques qui s’appuyaient sur la rivalité des puissances, une nouvelle menace pouvait se dessiner contre l’empire laïque soviétique. La vulnérabilité se portait sur les populations musulmanes d’Asie centrale qui avaient déjà démontré leur résistance aux bolchéviques pendant la révolte des Basmatchis. Elles pouvaient donc se trouver influencer tant par l’apparition d’un État islamiste à la frontière de l’URSS que par l’attitude et l’influence du nouvel Iran khomeyniste qui restaient encore à définir, après sa prise de pouvoir en février 1979.

34 La perception de cette menace fut en particulier soutenue par Vladimir Aleksandrovich Krioutchkov, le chef de la première direction générale du KGB. [15] Au risque de pénétration islamiste dans les Républiques soviétiques d’Asie centrale, il ajoutait dans son argumentation l’appartenance potentielle d’Amin à la CIA, la menace présentée par le Pakistan et l’Iran ainsi que les intentions des États-Unis de se positionner en Afghanistan au cas où le gouvernement leur serait favorable. Ils pourraient alors y installer des systèmes de reconnaissance et d’interception radioélectrique ainsi que des missiles balistiques ce qui menacerait directement le système de dissuasion soviétique. Le Politburo se révélait en fait très sensible à l’argumentation présentée sur les risques potentiels liés à un changement d’influence sur une frontière de 2 500 kilomètres ce qui s’ajouterait alors aux tensions qui existaient avec la Chine sur les dizaines de milliers de kilomètres communs.

35 L’action défensive conduite par la Russie entre 1996 et 2001 en Asie centrale et sur la frontière tadjiko-afghane, ainsi que les accords de sécurité signés avec les ex-républiques soviétiques d’Asie centrale sont venus par la suite appuyer cette thèse de la perception constante d’une menace constituée par « un arc d’instabilité islamiste » allant du Caucase aux Philippines. Il faut relever dans ce cadre la posture opérationnelle russe entretenue au Tadjikistan avant 2001. La Russie y maintenait la 201e Division de Fusiliers Motorisés (DFM) renforcée d’un détachement aérien (six avions d’attaque Su-25, douze hélicoptères d’attaque Mi-24 et plus d’une douzaine d’hélicoptères de transport Mi-17), alors que la frontière avec l’Afghanistan restait couverte par un groupement d’environ 20 000 gardes-frontières sous contrôle russe. Grâce à ces forces, Moscou apporta son soutien à l’Alliance du Nord de Massoud qui faisait face aux puissantes offensives des talibans, largement soutenus par les services secrets pakistanais renforcés d’unités régulières. La Russie postsoviétique lui fournit de l’armement, voire même parfois un appui direct. Ainsi au cours de l’année 2000, des avions d’attaque Su-25 intervinrent à partir de Douchanbé contre les talibans et l’artillerie lance-missiles russe tira sur le territoire afghan au plus près du Piandj qui traçait la frontière entre le Tadjikistan et l’Afghanistan pour bloquer la progression des talibans. C’était bien la preuve que la prise en compte de la menace islamiste restait un sujet d’inquiétude tant pour Moscou que pour les républiques indépendantes d’Asie centrale, sauf peut-être pour le Turkménistan dont la neutralité officielle s’accommodait de relations avec le régime taliban de Kaboul.

36 Cette évaluation d’une menace historique reste toujours prégnante comme le décrivait Dimitri Rogozin, ambassadeur de la fédération de Russie auprès de l’OTAN jusqu’en 2011, qui résuma ce qui a d’ailleurs défini la politique russe vis-à-vis de la nouvelle intervention militaire en Afghanistan [16] : « Nous ne voulons pas que l’OTAN nous laisse face à face avec ces chacals de la guerre. Après le retrait de l’OTAN, ils vont se répandre au Tadjikistan et en Ouzbékistan et ça va devenir notre problème. »

Les risques de l’influence américaine en Afghanistan ou les dérives du jeu de rivalités des grandes puissances

37 Dans un climat exacerbé par les tensions de la guerre froide, l’intervention soviétique devait permettre à Moscou de préserver ses intérêts de sécurité et de maintenir dans sa sphère d’influence directe un pays limitrophe objet de rivalités avec les États-Unis. Cette constante perception par Moscou du risque de changement d’orientation politique de Kaboul et de l’ingérence américaine trouva un fond de vérité alors que Robert Gates, ancien directeur de la CIA, indiqua dans ses mémoires que l’assistance aux moudjahidines débuta six mois avant l’intervention soviétique. Zbigniew Brzezinski le confirma aussi en rappelant que le président Carter avait signé le 3 juillet 1979 la première directive qui initia le soutien apporté aux opposants au régime prosoviétique de Kaboul : « Cette opération secrète était une excellente idée. Elle a eu pour effet d’attirer les Russes dans le piège afghan. Et ce jour-là, j’ai écrit une note au président dans laquelle je lui expliquais qu’à mon avis cette aide allait entraîner une intervention militaire des Soviétiques. » Ce fut donc l’expression concrète et consciente des enjeux et des risques de l’ingérence américaine en Afghanistan, ce qui fut reconnu par Brzezinski : « Nous n’avons pas poussé les Russes à intervenir, mais nous avons sciemment augmenté la probabilité qu’ils le fassent. » Puis quand ils eurent franchi la frontière, il estima que « nous avons maintenant l’occasion de donner à l’URSS sa guerre du Vietnam », initiant ainsi une stratégie de conflit indirect mais déterminé contre l’URSS.

38 Les dirigeants soviétiques auraient aussi sous-estimé l’ampleur de la réaction américaine qui leur sembla disproportionnée. Ils pensaient pouvoir intervenir dans un pays qui se situait déjà dans la mouvance de l’URSS alors que les États-Unis ne leur avaient jamais signifié de mise en garde sérieuse. Pourtant, pendant les premières années de la guerre, la position soviétique a entretenu cette logique de conflictualité en soutenant la thèse que l’intervention de l’URSS avait pour but d’aider le peuple afghan à préserver sa « révolution » contre les « mercenaires » et leurs soutiens extérieurs venant en particulier des États-Unis, de la Chine et d’un grand nombre de pays musulmans.

39 Dans ce contexte régional, certains Soviétiques estimaient aussi qu’à la suite de la rupture stratégique provoquée par la chute du Shah, les Américains pouvaient chercher à s’implanter en Afghanistan pour y établir un point d’appui de substitution. Le maréchal Oustinov, ministre de la Défense, entretint cette hypothèse et il aurait également contribué à infléchir la position d’Andropov pour anticiper le risque d’une intervention américaine. C’est sous cet angle qu’il analysait la présence de navires américains dans le golfe Persique à l’automne 1979. En s’ajoutant à des informations sur des préparatifs militaires liés à la crise des otages de Téhéran, ces indices auraient constitué un prélude à une invasion potentielle de l’Iran, conduisant ainsi à un renversement de la situation stratégique au détriment des intérêts de l’Union soviétique. Il estimait par ailleurs que si les Américains se permettaient de procéder à de telles manœuvres à des milliers de kilomètres de leurs frontières pour défendre leurs intérêts, pourquoi alors l’URSS devait-elle se retenir de défendre les siens dans un pays allié et voisin ? Pour le comité des affaires internationales du Soviet suprême, l’instabilité qui suivit la révolution iranienne constituait effectivement le premier facteur d’inquiétude des Soviétiques et dans son rapport sur la prise de décision de 1979 il estimait effectivement que : « les faits démontraient que certaines tendances aux États-Unis favorisaient une intervention directe en Iran. »

40 D’autres pensaient également que le nouveau président Hafizullah Amin se préparait à engager des relations plus approfondies avec les États-Unis, voire qu’il était un « agent » américain. Dans un mémorandum adressé à Brejnev au début de décembre 1979, Andropov indiquait que des informations qualifiées d’alarmantes circulaient dans les milieux diplomatiques à Kaboul sur des activités secrètes entreprises par Amin et sur un possible retournement de sa politique vers l’Ouest. Le plus paradoxal, c’est qu’il n’apportait aucune preuve concrète d’un infléchissement effectif de la politique du dirigeant afghan et qu’il en restait à l’interprétation de certains renseignements. Le général d’armée Valentin Ivanovich Varennikov [17] exposa alors les risques d’un tel basculement d’alliance : « Amin pourrait se rapprocher des Américains et les laisser installer des systèmes de renseignement électronique pour remplacer ceux qu’ils avaient perdus en Iran. Ils seraient alors capables de surveiller nos essais de missiles en Asie centrale, ce qui aurait mis l’URSS dans une position délicate. » [18] Influencés par les événements récents, les Soviétiques s’inquiétaient en fait qu’Amin ne prenne le chemin du président Sadate. Il aurait alors pu reproduire le scénario égyptien de 1973 en expulsant les conseillers soviétiques et cette éventualité revenait fréquemment dans les conversations du Comité central. [19] Par ailleurs, la décision effectivement prise le 12 décembre 1979, dans le cadre d’une réunion des ministres de la Défense et des Affaires étrangères de l’OTAN, de déployer en Europe des missiles de moyenne portée « Pershing 2 » et des missiles de croisière fut perçue par Moscou comme un facteur supplémentaire de pression qui orienta aussi le choix des Soviétiques vers une intervention en Afghanistan.

41 Les analyses soviétiques auraient-elles alors surestimé ce risque de changement de camp ? Le chargé d’affaires américain en Afghanistan de 1977 à 1980, J. Bruce Amstutz [20], a voulu contredire ce mythe. Il avait certes rencontré Amin cinq fois à l’automne 1979, mais il n’avait jamais relevé à cette époque la moindre intention de la partie afghane de se rapprocher des États-Unis. Cette position prend ainsi le contre-pied des rapports du KGB établis en 1979, et elle se rapproche de celle tenue par Thomas P. Thornton [21] qui rencontra Amin au début de 1979 et qui conseilla de suspendre l’assistance américaine après la mort de l’ambassadeur Dubs, tirant ainsi les conséquences du manque de fiabilité du régime de Kaboul.

42 Les relations avec les États-Unis s’étaient effectivement déjà distendues depuis le coup d’État communiste de 1978 et les circonstances qui conduisirent à la mort de l’ambassadeur américain Adolph Dubs contribuèrent à limiter encore plus les intentions américaines. Ce dernier fut enlevé le 14 février 1979 par trois terroristes appartenant à un groupe radical islamiste, puis il fut tué lors de la prise d’assaut alors que l’ambassade américaine avait déconseillé une action de force. Pour rétablir un équilibre des partenariats, Dubs voulait favoriser la reprise de la formation d’officiers afghans aux États-Unis qui avait été suspendue après la révolution d’Avril.

43 Pour ajouter à la confusion entre les intentions et les faits, Amin fit un appel explicite vers Washington dans un entretien avec le Los Angeles Times, le 25 octobre 1979, dans lequel il disait : « Nous voulons que les États-Unis d’Amérique considèrent avec réalisme les affaires de cette région et nous fournissent une assistance. » [22] Il n’en demeure pas moins que les tensions qui se multipliaient dans la région troublèrent les perceptions de Moscou, et l’ambiguïté, voire l’inconséquence de la position du président afghan accentuèrent les inquiétudes soviétiques. Ainsi, le 2 décembre 1979, il demanda l’envoi d’un régiment soviétique pour affronter une rébellion dans le Badakhshan, qu’il estimait être soutenue par la Chine et le Pakistan. Le 6 décembre 1979, le Politburo reçut une autre demande d’Amin pour que soit envoyé un bataillon du GRU [23] en uniforme soviétique, afin d’assurer la protection de sa résidence.

44 Malgré toutes ces contradictions et ces démentis sur le positionnement américain, c’est au cours de l’été 1979 que le gouvernement Carter choisit effectivement d’aider la résistance afghane. Ainsi, l’administration Reagan hérita d’un programme d’assistance militaire initié avant l’intervention militaire soviétique.

Intervenir pour soutenir une idéologie

45 Dès la crise du 17 mars 1979 à Herat, les principaux responsables soviétiques esquissaient déjà l’idée d’une réaction et, pour la justifier, ils évaluaient comme un moindre risque l’engagement de troupes soviétiques. Selon Gromyko, la perte de l’Afghanistan représentait un enjeu vital compte-tenu du risque de passage sous une influence hostile à Moscou : « Si nous perdons l’Afghanistan maintenant et qu’elle se tourne contre l’URSS, cela provoquera un sérieux revers à notre politique étrangère. »

46 Cependant, il ne faut pas négliger non plus le fort ressentiment personnel de Brejnev à l’égard d’Amin qui avait fait assassiner Taraki en septembre 1979. C’est ainsi que Gromyko éclaira le contexte de la prise de décision de l’intervention : « Quand nous avons reçu la nouvelle qu’il avait été brutalement assassiné, ce fut plus que ne put supporter Brejnev. La mort de Taraki doit être prise en compte quand on considère les étapes prises après cela par l’Union soviétique. » [24]

47 Finalement, le 7 avril 1980, à l’occasion d’une décision prise par le Comité central du parti communiste soviétique, les justifications de l’intervention furent résumées par le fait que « l’intervention a permis d’écarter une menace militaire aux frontières de l’URSS et elle a mis un terme à la politique aventuriste d’Amin, qui aurait amené le discrédit sur les objectifs de la révolution, à l’abandon de la coopération avec l’Union soviétique et à l’établissement de relations étroites avec l’Occident et que la défense du régime révolutionnaire en République Démocratique d’Afghanistan constitue la première mission des forces soviétiques. » [25]

48 S’inscrivant dans une logique de puissance, une non-intervention auprès d’un pays frère pouvait effectivement directement diminuer le prestige de l’URSS auprès de ses alliés. Cette position servit aussi d’argument au cours des années suivantes pour accentuer les tergiversations sur les délais et les conditions du retrait d’Afghanistan. Cependant, conscient du risque de déclenchement d’une crise de système, en particulier avec ses satellites et ses alliés, le gouvernement soviétique tenta de démontrer que son « assistance » avait été sollicitée par le gouvernement afghan.

49 Dans une première lettre secrète, en date du 27 décembre 1979, adressée aux ambassadeurs soviétiques en poste dans certaines capitales alliées, a priori parmi les plus sensibles (Berlin, Varsovie, Budapest, Prague, Sofia, La Havane, Ulan Bator, Hanoi), Moscou expliquait que l’Union soviétique avait envoyé « un contingent limité et temporaire de forces en Afghanistan pour remplir des missions en répondant à l’appel à l’aide et au soutien de la nouvelle direction afghane afin de repousser une agression étrangère. » [26] Les ambassadeurs devaient donc exécuter une tâche particulièrement délicate pour persuader leurs interlocuteurs dans les pays frères les plus sensibles. Ils devaient soutenir l’idée que c’était le gouvernement afghan qui avait requis l’assistance soviétique et que le changement de direction politique relevait en premier lieu d’une affaire interne. Le message s’appuyait sur le traité d’amitié de 1978 et la Charte de l’ONU, ce qui permettait donc de faire appel à l’autodéfense individuelle et collective pour justifier le déploiement de forces soviétiques. La dépêche de l’agence TASS du même jour s’appuyait également sur cette argumentation. Elle soulignait les demandes répétées du gouvernement afghan au cours des deux dernières années pour que l’URSS le défende des ingérences qui visaient au renversement du gouvernement de Kaboul.

50 Les autres ambassades soviétiques et les partis communistes du monde entier reçurent pour leur part une longue lettre, au contenu très marqué sur un plan idéologique, et qui condamnait le régime du président Amin pour ses « violations répétées des règles élémentaires de la légalité » et « ses actes de terreur contre des personnes honnêtes dévouées à la cause de la révolution ». Le texte fournissait un complément d’argumentation en accusant les « forces réactionnaires étrangères », y compris « la CIA et la direction de Pékin » de soutenir et d’armer les opposants au gouvernement de Kaboul. Il se terminait en louant « les forces internes qui s’étaient soulevées pour écarter Amin du pouvoir et créer de nouveaux organes gouvernementaux pour le parti et le pays. » [27]

Un équilibre impossible à trouver entre les raisons et les risques

Les objectifs de l’intervention ou comment intervenir ?

51 Les intentions initiales du gouvernement soviétique semblaient modestes : il s’agissait de changer la politique désastreuse du gouvernement, de sécuriser les axes routiers majeurs et les grandes villes, d’entraîner la police et l’armée afghanes et de se retirer au bout de six mois à un an. Les moyens qui y furent consacrés reflétaient ce concept initial et la 40e armée entra en Afghanistan par une intervention rapide, brutale et ponctuellement très efficace. Son maintien prolongé, finalement décidé au bout de quelques mois, l’a pourtant conduite, avec un certain succès, à bien adapter ses méthodes à un conflit insurrectionnel.

52 Les Soviétiques concrétisèrent initialement les missions de leurs forces en cinq points. Les unités devaient en premier lieu contribuer à la stabilisation du pays en établissant des garnisons le long des axes de communication et dans les villes principales, les bases aériennes, les centres logistiques. Deuxièmement, les forces de l’armée nationale afghane qui se trouvaient soulagées du fardeau de tenir des garnisons se trouvaient libres de pouvoir conduire des opérations contre la résistance. Troisièmement, les forces soviétiques devaient soutenir les Afghans sur un plan logistique et les appuyer par leur artillerie, l’aviation et des moyens de reconnaissance. Quatrièmement, elles devaient adopter une posture discrète et se retenir autant que possible de rentrer en contact avec la population et de conduire des opérations directes contre les moudjahidines. Enfin, une fois que l’armée afghane aurait été suffisamment renforcée et la résistance réduite, le gros des unités soviétiques pouvait être retiré. [28]

53 Au bout de deux mois, les Soviétiques durent lancer des opérations majeures contre les moudjahidines en engageant leurs propres forces. L’évolution de la situation les amena ainsi à définir cinq objectifs majeurs dont trois étaient purement militaires.

54 Il fallait en premier lieu sécuriser Kaboul et les principales voies de communication qui reliaient la capitale à Kandahar, à Herat et via le tunnel de Salang vers Termez et la frontière de l’URSS. 60 % des effectifs furent affectés à la sécurisation des axes et ce fut en particulier la mission donnée aux unités de fusiliers motorisés. Kaboul devint une ville fortifiée, enveloppée dans une triple ceinture de sécurité d’une profondeur de quinze à trente kilomètres, parsemée de postes fortifiés, d’emplacements d’artillerie et de champs de mines. Le long des axes principaux, l’armée soviétique établit des postes et fit effort pour pacifier les provinces du Nord entre Kaboul et Termez.

55 Puis les Soviétiques portèrent la guerre contre la résistance en conduisant régulièrement des opérations contre les zones contrôlées par les rebelles. Des bombardements aériens ou terrestres, quelquefois massifs, accompagnaient ces offensives et, en 1986, cinq millions d’Afghans avaient trouvé refuge au Pakistan ou en Iran. [29] Ainsi, même si la résistance exerçait son influence sur une vaste portion du territoire, son autorité ne pouvait résister face aux opérations soviétiques. Dans ces conditions, ni la résistance, ni le gouvernement ne pouvaient se maintenir en Afghanistan. Par contre, en contraignant la résistance et en chassant la population qui la soutenait, les Soviétiques espéraient amoindrir ses capacités en réduisant le soutien local dont elle bénéficiait et qui lui assurait son autonomie.

56 Troisièmement, les Soviétiques espéraient fermer la frontière pakistanaise aux caravanes d’approvisionnement des rebelles qui amenaient armes et combattants en Afghanistan. Il n’y eut pas plus de succès pour atteindre cet objectif que les Américains n’en connurent quand ils tentèrent de couper la piste Ho Chi Minh qui approvisionnait les maquis du Viêt-Cong. Le général Merimsky qui servit en Afghanistan les premières années de la guerre rapporte que quand le maréchal Sokolov rencontra le ministre de la Défense Oustinov, il admit l’impossibilité de la tâche à remplir sur le terrain. Oustinov demanda alors à Sokolov de trouver au moins une façon de fermer les frontières et d’empêcher les armes de rentrer en Afghanistan : « Très bien, vous ne pouvez pas venir à bout de la contre-révolution, mais pouvez-vous la défendre contre les intrusions de l’extérieur ? » Sokolov répondit apparemment qu’il le pouvait, mais il s’engagea alors dans un engrenage impossible à résoudre. [30]

57 Les deux objectifs non militaires de la stratégie soviétique n’en étaient pas moins tout aussi importants dans une guerre de contre-insurrection, mais leur échec écarta toute forme de succès.

58 Tout d’abord, les Soviétiques comprirent l’urgence de reconstruire la structure de l’État afghan ainsi que l’administration gouvernementale mais aussi toutes les forces de sécurité disloquées par les dissensions politiques. Ainsi, malgré les demandes des Soviétiques qui avaient toujours déploré les divisions du PDPA, Babrak Karmal et le Parcham, arrivés dans les bagages des Soviétiques, vivaient mal la coopération forcée avec le Khalq. Il détacha les services secrets du ministère de l’Intérieur pour en faire un organisme autonome, le KhAD, qui fut confié au docteur Najibullah du Parcham. Ces manœuvres contre le Khalq furent mal acceptées dans l’armée où son influence restait particulièrement forte. Au printemps 1980, il nomma des officiers du Parcham pour remplacer sept commandants de division provinciale, mais devant la rébellion des soldats de ces formations il fut contraint de revenir sur sa décision. On rapporta trois tentatives de coup d’État militaire contre ce gouvernement au cours de l’été 1980, mais elles furent neutralisées et arbitrées par les Soviétiques. Les querelles entre les deux factions du PDPA continuèrent à miner la cohésion du régime jusqu’au remplacement de Karmal par Najibullah en 1986. Beaucoup d’efforts furent aussi consacrés à la formation de nouveaux cadres et des milliers de jeunes Afghans furent envoyés en URSS. L’armée soviétique s’efforça alors de construire un corps d’officiers compétents pour compenser l’hémorragie subie lors des répressions politiques. Après huit ans, seul un effort massif permit d’atteindre un assez modeste résultat, mais l’on retrouva toujours plus tard chez nombre d’officiers afghans formés en URSS une proximité de vue politique avec leurs anciens alliés.

59 En second lieu, les Soviétiques constatèrent l’impopularité du régime qu’ils soutenaient et ils organisèrent un plan d’action civile et politique pour rallier les populations. Sur l’insistance soviétique, le régime entreprit des campagnes d’agitation/propagande pour mobiliser la population mais les résultats furent tout aussi modestes. La résistance visait tout particulièrement les employés du gouvernement et celui-ci indiqua qu’en 1983, la rébellion détruisit 1 812 écoles et tua 152 instituteurs dans tout le pays. Par ailleurs, la combinaison de ces actions avec les opérations militaires compromettait leur succès en entretenant incompréhension et antagonisme chez la population.

60 Les Soviétiques découvrirent que la plupart des Afghans refusaient de changer leur façon de vivre et que ce n’était pas des étrangers impies et des infidèles locaux qui allaient la leur imposer. Les Russes ne purent jamais circonvenir ce problème fondamental. La guerre civile dans laquelle ils s’étaient introduits bien après son commencement allait se poursuivre encore sept ans après leur départ et s’achever un temps avec la prise de Kaboul par les talibans en 1996, puis se poursuivre dans un conflit entre les talibans et l’Alliance du Nord de Massoud et de Dostoum. [31]

Moscou avait lucidement évalué les risques

61 Si Moscou tentait de justifier politiquement son intervention, le gouvernement soviétique avait clairement anticipé les conséquences désastreuses que son entreprise allait provoquer. Pourtant, malgré leur acuité, elles furent étonnamment écartées face à l’urgence de la situation. Dès la réunion du Politburo du 20 mars 1979, Kossyguine s’adressant à Taraki avait très exactement souligné les conséquences de l’intervention : « Si nous faisons entrer nos troupes, la situation va s’empirer, nous devrons combattre les agresseurs étrangers, mais aussi votre propre peuple et, dès que nous franchirons la frontière, la Chine et d’autres agresseurs (sous-entendu, les Américains et les Pakistanais) vont se déchaîner. Nos ennemis n’attendent que le moment où nous déploierons des troupes, ce qui leur donnera une excuse pour envoyer des troupes hostiles au gouvernement afghan. Ce ne sera pas seulement un conflit avec les pays impérialistes, mais aussi avec votre propre peuple et le peuple ne pardonne pas de telles choses. »[32]

62 Tout au long de l’année 1979, la classe dirigeante soviétique réitéra ses réticences à engager des unités de combat, quel que soit leur volume. Entre le 14 avril et le 1er décembre 1979, Taraki et Amin firent au moins seize demandes officielles pour obtenir un soutien militaire. Ainsi, le 16 juin 1979, une requête faisait état du besoin d’» envoyer des chars et des véhicules blindés d’infanterie avec leurs équipages pour assurer la garde du gouvernement afghan à Kaboul ainsi que les aéroports de Bagram et de Shindand et pour les employer en cas d’aggravation de la situation dans les régions frontalières et centrales contre les terroristes soutenus par le Pakistan » [33], mais cela tout en admettant innocemment qu’il fallait maintenir le secret sur l’implication directe des militaires soviétiques.

63 Le 28 juin, un pas supplémentaire fut franchi quand le groupe des quatre membres de la commission du Politburo sur l’Afghanistan (composée du directeur du KGB Andropov, du ministre des Affaires étrangères Gromyko, du ministre de la Défense Oustinov, et du directeur du département international du Comité central Ponomarev) qui assumait la responsabilité nominale de l’établissement de la politique afghane, admit que les moyens militaires constituaient le principal soutien qui pouvait être accordé au gouvernement afghan pour affronter la contre-révolution. Il convenait par conséquent de renforcer la mission des conseillers pour travailler directement avec les troupes afghanes au sein même des divisions et des régiments. Il était aussi prévu d’envoyer un bataillon de parachutistes revêtus d’uniformes afghans pour assurer la protection des appareils soviétiques implantés sur l’aérodrome de Bagram. Le KGB devait également renforcer la protection de l’ambassade soviétique avec un détachement de 100 à 150 hommes. En application de cette recommandation, le GRU envoya effectivement au début du mois d’août un détachement spécial à Bagram dont la mission était de défendre les installations gouvernementales en cas d’aggravation de la situation.

En prélude à l’invasion : les dissensions internes de la direction soviétique

64 L’engrenage de l’intervention s’enclencha malgré tout quand, le 1er août 1979, l’ambassadeur Pouzanov, le représentant du KGB, le lieutenant-général Ivanov et le lieutenant-général Gorelov [34], chef de la mission d’assistance militaire, proposèrent qu’en fonction d’un possible accroissement du volume des bandes rebelles en août-septembre, il fallait répondre positivement à la demande d’Amin et par conséquent envoyer une brigade spéciale à Kaboul. [35] Reflétant les contradictions de l’époque et prenant conscience des lourdes conséquences de cette recommandation, Gorelov a tenu en 1989 une position totalement différente dans un entretien avec le quotidien des forces armées, Krasnaia Zvezda.[36] Il rappelait sa participation en août 1979 à une réunion avec le directeur du KGB, Iouri Andropov, le ministre de la Défense Dimitri Oustinov, le ministre des Affaires étrangères Andreï Gromyko et le chef de l’état-major général Nikolaï Ogarkov. Il aurait à cette occasion indiqué qu’au contraire « il était inopportun de renforcer notre présence militaire en Afghanistan… et encore plus d’envoyer des troupes là-bas. » En 1989, compte-tenu des lourdes accusations portées contre les militaires, il convenait effectivement de se dissocier de la décision d’intervention.

65 Mais Amin accentuait encore la pression et le 11 août 1979, lors d’une nouvelle rencontre avec Gorelov, il réitéra sa demande de déployer rapidement des unités soviétiques à Kaboul afin de « relever le moral, inspirer confiance et restaurer le calme. Il réfuta par ailleurs la crainte des Soviétiques de se voir accusés au niveau international d’ingérence dans les affaires intérieures afghanes et il tenta également de calmer les inquiétudes des Soviétiques en leur assurant que ces unités n’auraient pas à intervenir dans les opérations et qu’elles ne seraient employées que lors de “situations critiques”. » [37]

66 Au mois de juillet 1979, le Commandant en chef des forces terrestres soviétiques, le général d’armée Ivan Gregorievich Pavlovsky, fut chargé par le maréchal Oustinov de conduire une deuxième visite d’évaluation en Afghanistan. Pavlovsky devait ressentir une impression de déjà vu, car c’est lui qui dirigea l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968. De juillet à décembre 1979, il parcourut le pays avec une commission militaire de cinquante à soixante officiers supérieurs. Il participa même aux opérations pour la réduction de bandes venues du Pakistan vers Gardez, Barikot et Khost. Les observateurs étrangers pouvaient aisément interpréter ces activités comme les prémices d’une intervention. Ils s’ajoutaient en effet à la mise en alerte et au début de travaux de mobilisation de plusieurs divisions implantées en Asie centrale soviétique qui furent effectués à la même période. Néanmoins, début novembre, le rapport que présenta Pavlovsky au maréchal Oustinov et au maréchal Ogarkov s’opposait vigoureusement à toute entrée de forces soviétiques en Afghanistan. Cependant ses recommandations ne furent pas prises en compte et il fut même écarté des travaux de préparation opérationnelle pour finalement devoir quitter ses fonctions quelques mois plus tard.

67 Le rapport de cette mission prouvait aussi l’engagement direct des conseillers soviétiques dans des opérations de combat. Cela leur permettait par ailleurs de constater le besoin de soutenir les Afghans pour atteindre des résultats tangibles [38] : « Cela a permis de prendre l’initiative opérationnelle et de détruire les forces les plus importantes de la contre-révolution dans les provinces de Paktia, Paktika, Ghazni, Parwan, Bamian et quelques autres. Les généraux et les officiers soviétiques ont fourni une assistance directe lors de la préparation des plans d’opérations et leur mise en œuvre. »

68 Le compte-rendu complet qui fut publié dans la presse vingt ans plus tard en 1999, sous le titre « Sept raisons contre », fournit par ailleurs une analyse de théâtre qui anticipait très lucidement les conséquences d’une intervention. [39] Il reprenait globalement toutes les réticences que les dirigeants soviétiques avaient esquissées tout au long de l’année 1979. Certaines prévoyaient très clairement les difficultés opérationnelles futures de la 40e armée : « Quand dans n’importe quel village arrivent des troupes fidèles à Kaboul, alors, refusant de résister, toute la population passe la frontière puis retourne dans ses montagnes après le départ des forces gouvernementales. Il est simplement impossible de déployer des troupes dans toutes les villes et villages et dans toutes les provinces. Toutes les frontières sont ouvertes, ce qui permet aux opposants au régime de Kaboul de pénétrer sans obstacle dans le pays. Les pays qui entourent l’Afghanistan de tous les côtés supportent les moudjahidines avec le soutien des États-Unis et de très riches États musulmans qui peuvent envoyer n’importe quelle quantité d’armes et de matériel dans le pays tout en brandissant le drapeau de “la guerre froide”. L’entrée des forces soviétiques peut attirer contre notre armée toute la haine populaire même dans le cas où elles ne prendraient pas une part active aux opérations de combat. Il est évident que la direction du parti communiste soviétique a oublié l’enseignement de Lénine qui précise que la révolution ne peut être amenée dans un autre pays par la force des armes. Et enfin, l’entrée des forces soviétiques en Afghanistan aggravera nos relations avec les États-Unis et l’OTAN qui ne seront jamais d’accord avec le fait que notre armée occupe des positions stratégiques favorables au centre de l’Asie, près de l’Inde et du Pakistan. »

69 La décision d’envoyer des forces en Afghanistan ne suscitait pas plus d’enthousiasme chez d’autres responsables de l’état-major. Le chef de l’état-major général, le maréchal Ogarkov, son premier adjoint Akhromeev et le directeur des opérations le général Varennikov rejetaient cette option pour des raisons plus professionnelles que politiques. Le maréchal Akhromeev [40] rappela que lors d’une réunion tenue au début du mois de décembre 1979 dans le bureau d’Oustinov, avec Ogarkov et Varennikov, il expliqua au ministre de la Défense que « nos troupes ne résoudront pas les problèmes en Afghanistan ». À la question de savoir s’il serait possible de stabiliser le régime, ils lui répondirent que « peut-être si nos troupes sont stationnées à Kaboul, Jalalabad, Herat, et Kandahar, elles pourraient stabiliser le régime, mais elles ne devraient pas combattre. Laissons les Afghans faire le travail eux-mêmes. »[41]

70 Dans le même temps, les Soviétiques qui étaient déjà des experts sur l’Afghanistan furent progressivement mis à l’écart. Ainsi l’ambassadeur soviétique Pouzanov [42] dut quitter l’Afghanistan « en raison de ses multiples demandes », mais ce fut surtout après qu’Amin eut ouvertement déclaré que : « L’ambassadeur soviétique soutenait l’opposition, il me nuit ». Le 26 novembre, le nouvel ambassadeur Fikrat Akhmedjanovich Tabeev, musulman et ancien premier secrétaire du comité régional du parti communiste du Tatarstan, arriva à Kaboul où il se trouva aussitôt plongé dans le tourbillon des événements.

71 Pouzanov rentra le 21 novembre à Moscou, mais il ne fut pas reçu par la direction gouvernementale en raison d’une mauvaise évaluation de sa prestation et des erreurs d’analyse qui lui furent attribuées et qui eurent des conséquences dramatiques. Peu de temps après, le même sort fut infligé au général-lieutenant Gorelov « conseiller militaire principal des forces armées d’Afghanistan », en place depuis 1975, qui fut remplacé au mois de novembre par le commandant de la région militaire du Baïkal, le général-colonel Magometov. [43]

La décision finale

72 Les conditions dans lesquelles fut prise la décision finale d’intervention du 12 décembre 1979 restèrent longtemps partiellement obscures et conflictuelles. Elle témoignait en premier lieu de la surévaluation de certaines appréciations qui écartèrent finalement les risques majeurs qui étaient encourus. Elle fut obtenue par une lecture orientée de l’information disponible. Elle fut faite par un petit groupe d’intervenants très influents qui maîtrisaient la bureaucratie du système soviétique. Selon le rapport d’un comité d’enquête soviétique publié le 27 décembre 1989, la décision fut prise dans le cercle restreint du Politburo où Brejnev et ses adjoints les plus proches, Oustinov, Andropov et Gromyko jouèrent le rôle principal. Autre facteur non négligeable, il apparut qu’entre l’insurrection de mars et l’automne 1979, les analyses qui parvenaient d’Afghanistan provenaient essentiellement du KGB. Certains responsables soviétiques se reposaient presque exclusivement sur ces évaluations alarmistes en écartant les canaux plus prudents du renseignement militaire et de la diplomatie. Ils constituèrent alors un élément décisif dans le processus de prise de la décision d’intervention.

73 Le 8 décembre 1979, Andropov, Gromyko et Oustinov présentèrent leurs options à Brejnev. La très proche alliance politique entre Andropov et Oustinov aurait écarté les dernières réticences du directeur du KGB. Le ministre de la Défense se trouvait sous la forte pression des doctrinaires du parti, du GRU et du département politique, quant à Andropov c’était un homme du système qui savait quel courant politique il convenait de suivre. Une fois qu’Andropov avait abandonné son opposition à l’intervention, Gromyko se rallia à lui et l’absence de Kossyguine, très opposé à l’envoi de troupes, contribua au choix final. Après avoir présenté les raisons qui plaidaient en faveur d’une action, en insistant sur la menace du déploiement de missiles pointés contre l’Union soviétique, Andropov et Oustinov exposèrent le plan préliminaire qu’ils avaient déjà élaboré pour sécuriser l’Afghanistan en crise. La finalité restait claire : il fallait éliminer Amin et le remplacer par Babrak Karmal. Il sembla néanmoins que ce fut Iouri Andropov [44], le président du KGB et dauphin désigné du Secrétaire général, qui aurait usé de son influence pour finalement convaincre Brejnev du bien-fondé de l’intervention armée. Les sentiments de Brejnev jouèrent également un rôle. Le meurtre de Taraki contribua aussi à le convaincre d’accepter l’option visant à éliminer Amin. Il s’en expliqua d’ailleurs plus tard auprès de Valéry Giscard d’Estaing : « Le président Taraki était mon ami. Il est venu me voir en septembre et juste après son retour, Amin l’a fait assassiner. C’est une provocation. Je ne pourrais pas le pardonner. »[45]

74 La dernière tentative pour faire annuler l’intervention eut lieu le 10 décembre, seulement deux jours avant que soit prise la décision du Politburo. Nikolaï Ogarkov, s’exprimant au nom de l’état-major général, présenta devant Brejnev, Gromyko, Andropov et Oustinov, les raisons pour lesquelles il fallait éviter d’envoyer des soldats soviétiques en Afghanistan. Selon le témoignage de son adjoint, Valentin Varennikov, Ogarkov estima que les Afghans devaient eux-mêmes régler leurs problèmes et que les Soviétiques devaient se limiter à fournir une assistance. Cette réticence des généraux soviétiques n’était pas surprenante face aux particularités et aux nouveautés de ce conflit. Jusqu’alors, les engagements militaires soviétiques dans le tiers-monde s’étaient limités à des missions de conseil et d’assistance auprès des forces locales, et les grandes opérations de reprise de contrôle de Prague et de Budapest restaient des adaptations des succès de 1944 et de 1945. Ils mesuraient les risques d’un échec militaire avec des troupes qui n’étaient pas préparées à une guerre de contre-insurrection. Toute impasse ruinerait la réputation durement acquise par l’armée soviétique pendant la deuxième guerre mondiale, alors qu’elle se révélait être l’un des piliers de la cohésion de tout le système communiste. Mais les arguments, qui étaient pourtant similaires à ceux qui avaient été développés par le Politburo dès le mois de mars, n’avaient plus en décembre le même relief.

75 C’est le 10 décembre que l’état-major général des forces armées de l’URSS reçut finalement l’ordre de se préparer à envoyer une division de parachutistes et de mettre en état d’alerte deux autres divisions de fusiliers motorisés. Les plans d’opération furent adressés à la Région militaire du Turkestan à partir du 12 décembre 1979. Ils prévoyaient que les troupes soviétiques s’installeraient dans les principaux centres urbains et le long des deux routes principales. Le 12 décembre, le Politburo, se réunit dans une brève session et approuva la résolution numéro 176/125 simplement écrite à la main... : « En ce qui concerne la situation en A. »[46] Le principe du consensus, qui avait conduit à la décision finale et qui gérait les décisions politiques soviétiques, fut alors étendu en juin 1980 lors de la réunion du Plenum du Parti communiste.

76 Quand les responsables soviétiques approuvèrent l’intervention, il est certain qu’ils ne voulaient pas mener une guerre en lieu et place des Afghans du PDPA. Andropov préférait d’ailleurs que ne soit envoyé qu’un nombre limité de troupes qui devaient uniquement appuyer l’opération pour renverser Amin, mais c’est Oustinov qui insista pour envoyer une force plus conséquente de 75 000 hommes. Elle devait soutenir le moral chancelant de leurs alliés afghans et prendre en charge la défense de Kaboul ainsi que celle d’autres capitales provinciales. En assurant la protection des installations militaires, les Soviétiques pouvaient ainsi libérer les forces afghanes qui devaient affronter l’insurrection. C’est ainsi que fut mis sur pied le groupement de forces de la 40e armée dont le commandement fut confié au général-lieutenant Iouri Vladimirovich Toukharinov. [47] « C’est donc de ce jour que par la volonté de quelques dirigeants soviétiques les forces armées de l’URSS furent engagées dans une guerre de dix ans pratiquement sans perspective et qui non seulement n’apporta pas de victoire, mais fut l’un des facteurs de la chute de l’Union soviétique. » [48]

77 Certains Soviétiques lucides, militaires et politiques, avaient donc parfaitement anticipé tous les risques d’une intervention forcée : un engagement direct dans une guerre civile, une lourde dépense en vies humaines et en moyens financiers ainsi que l’isolement politique international. Mais tous ces arguments clairs et lucides étaient écartés devant le danger éventuel de voir une autre puissance soutenir une nouvelle direction politique afghane. Il existait cependant un autre facteur important, car la décision d’intervenir en Afghanistan s’appuyait aussi sur le principe de solidarité du monde socialiste qui devait assurer la défense et l’assistance d’un pays ami. Cette conception devenait un engrenage irrationnel et se transformait en piège dans le grand jeu de la politique internationale. Bien plus, si la décision initiale réfutait effectivement l’intervention dans les combats, la spirale de l’engrenage et la prise en compte des arguments de la direction politique afghane allaient entraîner les Soviétiques toujours plus loin.

78 Le général Varennikov se plaignit après le conflit des interventions de Babrak Karmal qui « constamment effectuait des pressions pour que les troupes soviétiques interviennent dans les combats », alors qu’initialement « nous avions favorisé, ce que nous appelions « la variante de garnison », ce qui signifie que nos forces devaient rester confinées dans leurs quartiers et ne pas prendre part aux combats. Malheureusement, aucune directive générale sur la mobilisation et la montée en puissance ne fut transmise officiellement par le ministère de la Défense et les unités se préparaient à partir d’ordres divers et de directives orales provenant du ministère de la Défense. »[49] Les effectifs furent complétés avec des milliers de réservistes de tous grades. La priorité fut donnée aux unités de combat, et les structures de soutien de la 40e Armée ne furent mobilisées que dans un deuxième temps et pour certaines alors que les mouvements étaient déjà effectués.

79 L’heure de franchissement de la frontière fut fixée par le ministère de la Défense au 25 décembre 1979 à 15 heures, heure de Moscou soit à 16 heures 30, heure de Kaboul. À l’heure fixée, tout était effectivement prêt. Le premier adjoint du ministre de la Défense, le maréchal de l’Union soviétique Sergueï Leonidovich Sokolov [50], arriva la veille de l’invasion au poste de commandement de la Région militaire du Turkestan pour prendre le commandement du Contingent Limité de Forces Soviétiques en Afghanistan. [51] Les premiers mouvements offensifs furent initiés dès le 25 décembre. Au matin, le 781e bataillon de reconnaissance de la 108e division de fusiliers motorisés (DFM) et le 4e bataillon de la 56e brigade autonome d’assaut aéroporté de la garde franchirent l’Amou-Daria sur un pont de bateaux à Termez, avec comme objectif le tunnel de Salang. Le même jour, la 103e division d’assaut aéroporté de la garde commença également son déploiement sur Bagram et Kaboul.

80 Le soir du 27, les forces spéciales soviétiques prenaient d’assaut le palais Tadj Bek, résidence du président Amin. La 108e DFM, avait suffisamment progressé pour se trouver désormais concentrée dans les régions de Baglan, Koundouz, Puli-Khumri. C’est à ce moment et sans préavis qu’une nouvelle mission lui fut fixée pour modifier l’itinéraire de progression et entrer le jour suivant à 17 heures dans Kaboul. Elle devait alors effectuer la jonction avec les parachutistes de la 103e division qui étaient intervenus le 25 et qui avaient pris le contrôle des aéroports de Bagram et de Kaboul. Sur l’autre axe de progression, dans la nuit du 27 au 28 décembre, à partir de Koushka au Turkménistan, la 5e DFM entra en Afghanistan pour prendre le contrôle de l’axe qui relie Herat à Shindand, puis elle étendit sa zone de responsabilité jusqu’à Kandahar. L’action militaire était engagée, la guerre allait nourrir la guerre.

Conclusion : une intervention soutenue par certaines hypothèses valables mais avec une prise de risques mal évaluée

81 C’est une certitude pour les responsables militaires soviétiques qui combattirent en Afghanistan d’affirmer qu’ils furent capables de remplir leur mission. Alexandre Liakhovsky [52] qui servit en Afghanistan comme membre de l’état-major du conseil militaire, et qui par la suite s’imposa comme l’auteur russe le plus complet sur ce sujet, estimait que les militaires soviétiques ne perdirent pas la guerre : « Il serait faux de dire que la 40e armée subit une défaite militaire. Il est juste de dire qu’elle dut faire face à des tâches qu’elle n’était pas en mesure de remplir, puisqu’une armée régulière ne peut pas résoudre radicalement le problème d’une révolte. » [53]

82 Le général Boris Gromov, le dernier commandant de la 40e armée, confirma également cette position : « Il n’y a pas de raison de dire que la 40e armée a subi une défaite, de même qu’il n’y a pas de fondement pour dire que nous avons remporté une victoire en Afghanistan. Personne n’a jamais demandé à la 40e armée de remporter une victoire militaire. Bien plutôt, le contingent limité avait pour mission de protéger le gouvernement d’Afghanistan et de prévenir une invasion de l’extérieur, ce qu’il fit. » [54]

83 Ce constat correspond aux missions fixées par le Politburo qui indiqua, en janvier 1980 [55], que la présence des forces soviétiques se justifiait pour défendre le régime révolutionnaire, protéger le pays des menaces extérieures, y compris par la fermeture des frontières et cela en coopération avec les forces afghanes, pour assurer la sécurité des principaux centres et des communications, mais aussi construire et renforcer les capacités opérationnelles des forces armées afghanes.

84 C’est donc un élément essentiel à prendre en compte pour comprendre la stratégie soviétique en Afghanistan, car dès le mois de décembre 1979, il s’agissait effectivement pour les Soviétiques de limiter le niveau de leur engagement militaire. Le but n’était pas de prendre le contrôle ni d’occuper le pays. Compte tenu du volume de forces mis en œuvre, il ne fut effectivement jamais possible d’envisager une conquête effective ou une occupation de l’ensemble du territoire et encore moins de traverser le Pakistan vers le golfe Persique.

85 Moscou se trouva donc engagé dans un conflit qui amena l’URSS au bord du gouffre et cela en s’appuyant sur des perceptions soutenues par de fortes influences exercées au sommet de l’État. Il y eut en particulier des erreurs d’appréciation sur les conséquences et les risques pris rien qu’au niveau militaire purement technique. Cependant les éléments fondamentaux de politique internationale avaient été pris en compte mais certainement en minimisant la volonté de la réaction américaine initiée par Carter et amplifiée par l’administration Reagan qui voulut mettre à genoux l’URSS.

86 L’échelle de valeur des risques fut réévaluée en décembre 1979 et l’appréciation devint plus approximative. L’intervention conduisit, comme cela avait été immédiatement souligné, à une réaction américaine et pakistanaise d’une puissance telle qu’elle devint ingérable pour le Kremlin.

87 Pourtant, si l’histoire peut juger, le 15 février 2015, le président Poutine put affirmer que ce furent de réelles menaces sécuritaires qui justifièrent l’entrée des forces soviétiques en Afghanistan. Il reconnut cependant et en particulier quand la comparaison se fait par rapport à l’engagement aérien russe en Syrie, qu’il y eut de nombreuses erreurs commises au cours de la campagne soviétique en Afghanistan.

88 Ces deux aspects de la problématique résument toute l’ambiguïté de la situation en 1979 mais aussi la difficulté d’appréhender les réactions et la résilience des adversaires.


Mots-clés éditeurs : Afghanistan, processus de planification, erreurs, analyses, Direction politique et militaire, interprétations, intervention militaire soviétique

Date de mise en ligne : 21/12/2016

https://doi.org/10.3917/strat.113.0055

Notes

  • [1]
    La traduction du texte révèle son imprécision et reflète les indécisions soviétiques. L’Afghanistan est désigné comme « A ».
    « La décision sur l’entrée des forces soviétiques fut prise lors de la séance du Politburo du 12 décembre 1979.
    Sur la situation en « A »
    1 - En accord avec les réflexions et les mesures présentées par les camarades Andropov, Oustinov, Gromyko, les autoriser au cours de la mise en œuvre de ces mesures à apporter des corrections de caractère réduits. Les questions qui exigent une décision du comité central, sont à présenter en temps utile au politburo. L’exécution de toutes ces mesures est de la responsabilité des camarades Andropov, Oustinov et Gromyko.
    2 - Les camarades Andropov, Oustinov et Gromyko sont chargés d’informer le comité central du politburo sur le développement des mesures indiquées. »
  • [2]
    Lévesque Jacques, L’URSS en Afghanistan, de l’invasion au retrait, Bruxelles, Éditions Complexes, 1990, p. 27.
  • [3]
    L’assistance militaire que le nouveau régime reçut de Moscou connut un réel développement et la signature en mai 1978, d’un accord relatif aux « conseillers militaires » qui remplaçaient le terme de « consultant » employé auparavant, fit passer leur nombre à 400. En mars 1979, 4 500 conseillers militaires et civils soviétiques se répartirent dans chaque ministère à différents niveaux de responsabilité.
  • [4]
    Runov Valentin, Afganskaia Voïna, Boevie operatsii, La guerre afghane, les opérations militaires, collection Les guerres inconnues du xxe siècle, Moscou, édition Iauza, 2008, p. 18.
  • [5]
    Ivan Gregorievich Pavlovsky (1909-1999). En août 1968, général d’armée, adjoint du ministre de la Défense et commandant des forces terrestres, il reçoit du ministre de la Défense, le maréchal Gretchko, le commandement du groupement de forces unifié qui doit intervenir en Tchécoslovaquie pour réprimer le « Printemps de Prague ». L’opération, du nom de code « DUNAÏ », rassemblait un effectif de 500 000 hommes et de 5 000 chars et s’effectua les 20-21 août 1968. Après son séjour en Afghanistan d’août à novembre 1979, son rapport très défavorable à une intervention provoqua sa relégation, en juin 1980, comme membre du groupe des généraux inspecteurs du ministère de la Défense.
  • [6]
    Alexei Alexeyevich Yepishev (ou Epishev). En 1951, il est nommé adjoint du ministre de la Sécurité d’État (futur KGB). En avril 1962, il est réintégré dans les forces militaires et devient chef de la direction politique de l’armée soviétique et de la flotte. Il y joua un rôle particulier pour soumettre les forces armées aux intérêts de la direction du parti. Il représente un courant politique dogmatique et orthodoxe.
  • [7]
    17 mars 1979 – Transcription des discussions du comité central du PC de l’URSS concernant la détérioration des conditions en Afghanistan et les réponses possibles de l’URSS. Documents on the Soviet Invasion, Washington D.C. : Woodrow Wilson International Center for Scholars, 2011, The national Security archive, The September 11th Sourcebooks, vol. II : Afghanistan : Lessons from the Last War. The Soviet Experience in Afghanistan : Russian documents and memoirs. Edited by Svetlana Savranskaya. October 9, 2001.
  • [8]
    Dimitri Fiodorovich Oustinov devint ministre de la Défense en 1976 en succédant au maréchal Gretchko. Promu maréchal le 30 juillet 1976. Il fit une carrière dans l’industrie militaire et l’économie civile. Il acquit une influence telle grâce au poids de l’appareil militaro-industriel en URSS qu’il eut la réputation d’un faiseur de rois au Kremlin et son soutien fut décisif pour le choix de Iouri Andropov comme successeur de Brejnev.
  • [9]
    Secrétaire du comité central du PC de l’URSS.
  • [10]
    CPSU CC Politburo Decisions on Afghanistan. 18 mars 1979 – Décisions du comité central du PC de l’URSS sur l’Afghanistan face à la détérioration de la situation. Woodrow Wilson International Center for Scholars. e-Dossier n° 4 – New Evidence on the Soviet Invasion of Afghanistan. Documents on the Soviet Invasion of Afghanistan. file :///C :/Users/Philippe/Downloads/e-dossier_4.pdf
  • [11]
    McMichael Scott R., Stumbling Bear. Soviet Military Performance in Afghanistan, Brassey’s (UK) Ltd, 1st edition (December 1991), p. 1.
  • [12]
    Haggerty Jerome J. Colonel, US Army Reserve, « Afghanistan The Great Game », Military Review, 1980.
  • [13]
    Memorandum from Zbigniew Brzezinski for the President, « Reflections on Soviet Intervention in Afghanistan », op. cit. : « With Iran destabilized, there will be no firm bulwark in Southwest Asia against the Soviets to drive to the Indian Ocean. » Pour mieux établir le lien dans ce raisonnement il faut rappeler que l’opération « Eagle Claw », qui avait pour but de libérer les otages américains détenus à Téhéran, fut lancée le 7 avril 1980 à partir du porte-avions Nimitz croisant dans le golfe Persique et de l’île de Masirah, au large d’Oman.
  • [14]
    Wilson Center. Digital Archive. Soviet Invasion of Afghanistan. Minutes of the meeting of the CPSU Plenum on the Situation in Afghanistan, 23 June 1981.
    Dans une démonstration rédigée en 1990, le Major Randy B. Bell, USMC, « Expansion of American Persian Gulf Policy by Three Presidents », montre bien que ce qui était inculqué à l’école de guerre aux officiers américains depuis les années 70 tendait à démontrer que la dépendance accrue et croissante des pays industrialisés vis-à-vis des ressources du golfe Persique interdisait absolument que l’URSS dispose du contrôle politique ou militaire de cette région.
  • [15]
    La Première Direction générale du KGB était chargée du renseignement politique et de l’action clandestine à l’extérieur de l’URSS.
  • [16]
    « We do not want NATO to leave us face to face with jackals of war. After the NATO withdrawal they will spread to Tajikistan and Uzbekistan and this will become our problem », dans « After NATO withdrawal from Afghanistan jackals of war will spread to Tajikistan », Asia-Plus, September 19, 2011
  • [17]
    Le général Varennikov commanda de 1985 à 1989 le groupement soviétique en Afghanistan. Combattant de Stalingrad, il participa à la tentative de coup d’État d’août 1991 à Moscou. Il fut acquitté en 1994 et se retira avec tous les honneurs. Il mourut en mai 2009.
  • [18]
    Sovietskaya Rossiya, Moscou, 11 février 1993.
  • [19]
    Garthoff Raymond, Détente and Confrontation : American-Soviet Relations from Nixon to Reagan, Washington D.C., Brookings Institution Press, Revised edition, September 1994, p. 923.
  • [20]
    J. Bruce Amstutz, Afghanistan : The First Five Years of Soviet Occupation, DIANE Publishing, 1994
  • [21]
    De 1977 à 1981, membre du Conseil national de sécurité, en charge des affaires d’Asie du Sud.
  • [22]
    Cordovez Diego and Harrison Selig, « Did Amin signal Washington ? », Out of Afghanistan : The Inside Story of the Soviet Withdrawal, New York, Oxford University Press, 1995, p. 43.
  • [23]
    Direction Générale des Renseignements (GRU) de l’état-major général des forces armées, Glavnoye Razvédyvatl’noyé Upravliényé (Главное развeдывательное управление Генерального штаба Вооруженных сил).
  • [24]
    Cordovez Diego and Harrison Selig, op. cit.,
  • [25]
    Wilson Center. Digital Archive. Soviet Invasion of Afghanistan. Comité central du PCUS Politburo. Décision sur l’Afghanistan, 10 avril 1980, avec un rapport de Gromyko, Andropov, Ustinov, Zagladin », 7 avril 1980.
  • [26]
    Ibid., « Soviet Foreign Ministry Circular to Soviet Ambassadors on the Situation in Afghanistan, Instructions for Meeting with Heads of Government », December 27, 1979.
  • [27]
    Cold War International History Project. Digital Archive, Soviet Foreign Ministry Circular Cable to Soviet Ambassadors on the Situation in Afghanistan, Instructions for Meeting with Communist Party leaders, December 27, 1979.
  • [28]
    Les missions fixées aux forces de sécurité afghanes en 2012 consistent à interdire aux insurgés la liberté de mouvement sur les frontières internationales, à empêcher que les centres d’entraînement des insurgés soient tranférés de l’autre côté de la ligne Durand à l’intérieur du territoire afghan. Elles doivent aussi : 1) assurer la sécurité à Kaboul, des principales villes et de leurs environs (Kandahar, Helmand, Jalalabad, Nuristan, Kounar, Paktia, Ghazni, Maidan/Wardak, Logar, Kunduz, Baghlan, Herat, Mazar-e-Sharif). 2) assurer la sécurité sur les principales voies de communication d’Afghanistan (en particulier Kaboul-Kandahar, Kaboul-Mazar, Kandahar-Herat avec le point frontalier de Toorghondi, Kaboul-Jalalabad). 3) Bloquer et fermer les axes le long des frontières en particulier le long de la ligne Durand et la frontière iranienne pour contrôler et empêcher les groupes terroristes de franchir la frontière. 4) Conserver les gains opérationnels dans les régions du sud du pays et enfin prendre la responsabilité des opérations et que les responsables militaires afghans planifient et exécutent les opérations de combat en relation avec les menaces. 5) Couper les lignes de mouvement des groupes terroristes (AlQaida et les talibans) de l’est et du sud-ouest ainsi que du nord et du nord-ouest vers Kaboul. Le tranfert de la responsabilité des opérations demeure donc un objectif similaire entre les deux époques mais il représente tout autant un véritable défi permettant à la fois le « retrait » des forces d’intervention et le maintien de la « stabilité » de l’Afghanistan. Il faut également relever la similitude des objectifs : l’interdiction des axes de déplacement des opposants, la protection des centres urbains et des grands axes de communication.
  • [29]
    Baumann Robert F., op. cit., p. 136. Le terme de « génocide migratoire » de population fut utilisé pour décrire cet exode, en particulier par Louis Duprée, « Afghanistan in 1982 : Still no Solution », Asian Survey 23, n° 2, 1983, p. 135.
  • [30]
    Merimsky Viktor Arkadievich, général colonel, « Afghanistan, uroki i Vivodi », Voenno istorisheski jurnal (1994).
  • [31]
    Braithwaite Rodric, Afgantsy : The Russians in Afghanistan, 1979-1989, Oxford University Press, New York, 2011.
  • [32]
    Cold War International History Project. Digital Archive, Meeting of Kosygin, Gromyko, Ustinov, and Ponomarev with Taraki in Moscow, March 20, 1979.
  • [33]
    Nikitenko Evgeni Grigorevich, général de division, L’Orient : une affaire délicate. Afghanistan : de la guerre des années 1980 à la prévision de guerres futures, AST (АСТ). Collection Les grandes confrontations, Moscou, 2004.
  • [34]
    Lev Nikolaevich Gorelov. En Tchécoslovaquie, il commandait la 7e division de parachutistes qui s’empara de trois aérodromes dans la région de Prague, le 22 août 1968. En octobre 1975, il est nommé commandant des conseillers militaires en Afghanistan. De 1978 à 1979, soit avant l’entrée de la 40e armée, il organisa et conduisit avec les conseillers militaires une série d’opérations pour la reprise des villes de Faizabad, Asadabad, Bakirot, Khost occupées par des bandes rebelles et des « mercenaires » pakistanais. En 1980, il est nommé adjoint du commandant des forces de la région militaire d’Odessa. Il prit sa retraite en 1984.
  • [35]
    Liakhovsky Alexandre, général-major, Tragedia i doblect Afghanistan, Трагедя и доблесть Афганистана, Tragédie et vaillance en Afghanistan. Moscou 1998.
  • [36]
    Krasnaia Zvezda, du 18 novembre 1989, article : « Comment la décision fut prise/ kak prinimalos reshenije ».
  • [37]
    Cold War International History Project. Digital Archive, Conversation of the chief of the Soviet military advisory group in Afghanistan, Lt. Gen. Gorelov, with H. Amin, August 11, 1979.
  • [38]
    Sur les résultats du travail effectué par l’adjoint du ministre de la Défense de l’URSS, le général d’armée Pavlovsky en République Démocratique d’Afghanistan, dans Liakhovsky Alexandre, op. cit., p. 263-264. Également sur le site : Cold War International History Project, Wilson Center. Digital Archive. Soviet Defense Minister Ustinov, Report to CPSU CC on Mission to Afghanistan of Deputy Defense Minister Army-Gen. I. G. Pavlovskii.
  • [39]
    « Sem dovodov protiv » (« Sept raisons contre », «Семь доводов против»). Article publié en 1999, dans le journal Patrie, à partir du compte-rendu fait par I. Pavlovsky en 1979 au ministre de la Défense.
  • [40]
    Serguei Fiodorovich Akhromeev. Premier adjoint du chef de l’état-major général en 1979. Maréchal de l’Union soviétique en 1983. De 1984 à 1988, chef de l’état-major général des forces armées soviétique, il dirigea la planification de toutes les opérations en Afghanistan de l’entrée au retrait. Pendant le putsch de Moscou en 1991, Akhromeev revint de Sotchi pour offrir son assistance puis il se suicida.
  • [41]
    Krasnaia Zvezda, Mocou, 25 décembre 1992.
  • [42]
    Alexander Pouzanov est né en 1906 dans l’oblast de Kostroma en Russie, il est décédé à Moscou le 1er mars 1998. Il fut ambassadeur en Corée du Nord de 1957 à 1962, ambassadeur en Yougoslavie de 1962 à 1967, puis en Bulgarie de 1967 à 1972, et enfin en Afghanistan de 1972 à 1979. Il prend sa retraite en 1980.
  • [43]
    Général colonel Sultan Kekkezovich Magometov, né en 1920 en République de Karatchaïévo-Tcherkessie. Il participa à la guerre soviéto-finlandaise, puis à la Grande guerre patriotique qu’il commença comme sergent et acheva comme commandant en ayant combattu sur tous les fronts de Moscou, Stalingrad, Pologne, Baltique. Conseiller militaire en Syrie de 1967 à 1972. Le 27 décembre 1979, après l’entrée des forces soviétiques, il est nommé commandant des conseillers soviétiques en RDA pour un an.
  • [44]
    Les sources du KGB l’emportaient sur celles du GRU, ce qui reflétait le rôle croissant pris par son directeur Andropov qui contrôlait le flux d’informations vers le secrétaire général. Une influence particulière fut attribuée par le général Gorelov au représentant du KGB à Kaboul, le général Boris Semiononich Ivanov, en poste depuis le 17 mars 1979. Il fut en effet le seul à signer un message de situation alarmiste en date du 22 novembre 1979, ce qui aurait effectivement été un facteur déclenchant de l’intervention. Par ailleurs, son inspirateur principal, Papoutine l’adjoint du directeur du ministère soviétique de l’Intérieur, en mission à Kaboul dans cette période se suicida le 28 décembre après avoir compris quel rôle néfaste il avait joué dans la prise de décision.
  • [45]
    Kalinovsky Artemy M., A Long Goodbye : The Soviet Withdrawal from Afghanistan, Harvard University Press, Cambridge, Massachusetts and London, England, 2011.
  • [46]
    Sans nommer l’Afghanistan, ce document manuscrit fut retrouvé dans les archives du Comité central en 1991 lors du procès des conspirateurs du coup d’État qui contribua à la chute de Gorbatchev. (Prechen 14, Document 31 dans le « fond 89 » du centre d’archives pour la documentation contemporaine à Moscou.)
  • [47]
    Iouri Vladimirovich Toukharinov est en septembre 1979, le premier adjoint de la Région militaire du Turkestan, et se rend plusieurs fois en Afghanistan. Quand la décision d’entrée en Afghanistan des forces soviétiques fut prise le 12 décembre 1979, il fut nommé commandant de la 40e armée formée rapidement à partir des unités de la RM du Turkestan qui entra le 25 décembre en Afghanistan. En septembre 1980, il quitte le commandement de la 40e armée et reprend ses fonctions de premier adjoint de la RM du Turkestan. En 1983, il est nommé adjoint du commandant des forces du Pacte de Varsovie et quitte le service en 1990.
  • [48]
    Runov Valentin, Afganskaia Voïna, Boevie operatsii, op. cit., p. 19.
  • [49]
    La directive 312/ 12/ 00133 fut envoyée aux troupes le 10 décembre 1979, soit deux jours avant la signature du document validant l’intervention par le Politburo. Ce fut la seule trace écrite témoignant de la préparation d’une opération militaire en Afghanistan qui sortit du Politburo.
  • [50]
    Sergueï Leonidovich Sokolov. Né en 1911, en Crimée, il sert dans l’Armée rouge à partir de 1932. De 1980 à 1985, tout en conservant sa fonction de premier adjoint du ministre de la défense, il est commandant du groupement opératif de forces du ministère de la Défense de l’URSS en Afghanistan. Il devait formellement assurer l’interaction entre les forces soviétiques et afghanes, mais en fait, il planifia la conduite des opérations de l’armée afghane et des forces soviétiques. Du 22 décembre 1984 au 30 mai 1987, il est ministre de la Défense mais il doit démissionner après l’incident de Mathias Rust qui réussit à poser un avion de tourisme sur la place Rouge.
  • [51]
    Ограниченный контингент советских войск в Афганистане-ОКСВА. Ogranitcheni Kontingent Sovetskiix voisk v Afganistane. Le « contingent limité de forces soviétiques en Afghanistan – CLFSA », c’est l’appellation officielle donnée au groupement de forces soviétiques présent en République d’Afghanistan de 1979 jusqu’en 1989.
  • [52]
    Alexandre Liakhovsky, Général de division, né en 1946 en Géorgie soviétique, il participa à la répression des événements de 1968 en Tchécoslovaquie puis il servit en RDA. De 1974 à 1977, il suit les cours d’état-major de l’académie Frounze à Moscou, puis il sert huit années à l’état-major général des forces armées soviétiques à la direction en charge des affaires africaines. Il sert en Éthiopie en 1983 et en Angola en 1984. À partir de 1988, il sert sous les ordres du général Varennikov tant en Afghanistan que quand celui-ci est nommé commandant des forces terrestres.
  • [53]
    Liakhovsky Alexandre, op. cit., p. 744.
  • [54]
    Gromov Boris, Ogranitcheni kontingent (Борис Всеволодович Громов, Le Contingent limité, Ограниченный контингент,), Edition Progress, Moscou 1993.
  • [55]
    Cold War International History Project Bulletin. « Comité central du PCUS, Politburo. Décision sur l’Afghanistan, 10 avril 1980 », avec un rapport de Gromyko, Andropov, Ustinov, Zagladin, 7 avril 1980. p.171.

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