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Article de revue

Le barbare : une nouvelle catégorie stratégique ?

Pages 683 à 707

Notes

  • [1]
    Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 1968, 6e éd., p. 17.
  • [2]
    Mark B. Salter, Barbarians and Civilization in International Relations, Londres, Pluto Press, 2002, pp. 24-27.
  • [3]
    Cette analyse comporte des points communs avec des recherches focalisées sur l’essentialisme culturel comme Iver B. Neumann, “Self and Other in International Relations”, European Journal of International Relations, 2, 2, 1996, pp. 139-174 et surtout Vilho Harle, European Values in International Relations, Londres & New York, Pinter Publishers, 1990.
  • [4]
    Jean-Louis Fournel, Isabelle Delpla, “Introduction”, Asterion, 2, juillet 2004. http://www.asterion.revues.org/document81.html (journée d’études organisée à l’École Normale Supérieure Lettres Sciences Humaines de Lyon : “Barbarisation et humanisation de la guerre”, 14 et 15 mars 2004).
  • [5]
    La conception des Barbares renvoie à une conscience ainsi qu’à une pratique imparfaite de cet universel. Hector Ricardo Lers, Eduardo Viola, “Les dilemmes de la mondialisation face au terrorisme islamiste”, dans Jean-François Mattéi, Denis Rosenfield (dir.), Civilisation et barbarie, Paris, PUF, 1992, pp. 241-274. Pour ces auteurs, le Barbare ne renvoie pas à une différence de nature puisque dans l’antiquité, les frontières étaient particulièrement poreuses et malléables.
  • [6]
    Samir Amin, L’Eurocentrisme. Critique d’une idéologie, Paris, Anthropos-Economica, 1988, p. 73.
  • [7]
    Dante, La Divine Comédie, Paris, Garnier, 1966, pp. 138-139.
  • [8]
    Alain de Libéra, “Une double amnésie nourrit le discours xénophobe”, Le Monde diplomatique, septembre 1993, p. 17.
  • [9]
    Jean Delumeau, La Peur en Occident, Paris, Fayard, 1978, pp. 270-271.
  • [10]
    L’interprétation de Bernard Lewis nous semble tout à fait pertinente dans Europe Islam. Actions réactions, trad. Paris, Gallimard, 1992, pp. 54-55.
  • [11]
    Voir en particulier Thierry Hentsch, L’Orient imaginaire. La vision politique occidentale de l’Est méditerranéen, Paris, Minuit, 1988.
  • [12]
    Le discours d’opposition envers le Barbare n’est pas frappé par une pérennité. Le rapport à l’Orient, notamment, ne repose pas entièrement sur la peur de populations inférieures en civilisation. L’admiration ou la fascination ainsi que l’idée de régression surgissent dans les représentations européennes. Voir Michael Hefferman, “Representing the Other : Europeans and the Oriental City”, Cahiers de l’Urbama, 24, 1993, pp. 80 et s.
  • [13]
    Les différents dictionnaires ou traités de stratégie n’accordent pas une entrée ou un chapitre particulier à cette catégorie. Voir Hervé Coutau-Bégarie, Traité de stratégie, Paris, Economica, 1999 ; François Géré, Dictionnaire de pensée stratégique, Paris, Larousse, 2000 ; Gérard Chaliand, Dictionnaire de stratégie militaire, Paris, Perrin, 1998 ; Jean Klein, Thierry de Montbrial (dir.), Dictionnaire de stratégie, Paris, PUF, 2000. Robert Steele est peut-être l’exception qui confirme la règle dans son article Robert Steele, “Les nations intelligentes : stratégie nationale et intelligence virtuelle”, Défense nationale, 40, 1996, pp. 161 et s. Il distingue les barbares à haute technologie et sans technologie dans l’action guerrière.
  • [14]
    Dario Battistella, Théories des relations internationales, Paris, Presses de Sciences Po, 2002, pp. 30 et s.
  • [15]
    Ibid., p. 30.
  • [16]
    Ibid.
  • [17]
    Ibid., p. 31.
  • [18]
    L’histoire de la discipline née dans le champ politologique anglo-saxon est ponctuée par une série de débats : le premier oppose dans l’entre-deux guerres les idéalistes pro-SDN aux premiers réalistes ; le deuxième est lié à l’essor du behaviorisme dans les années 1960 et tend à améliorer la méthodologie de recherche ; le troisième se sédimente dans les années 80 autour de trois paradigmes qualifiés d’incommensurables (les réalistes et néoréalistes ; les libéraux et les marxistes). Dario Battistella, op. cit., pp. 73-103.
  • [19]
    David Campbell, “Patterns of Dissent and the Celebration of Difference : Critical Social Theory and International Relations”, International Studies Quarterly, 34, 1990, pp. 269-293.
  • [20]
    Robert O. Keohane, “International Institutions : Two approaches”, dans International Institutions and State Power : Essay in International Relations Theory, Boulder, Westview Press, 1989, pp. 158-179. Cette dichotomie est à nouveau énoncée en 1998 dans International Organization par Keohane et deux autres internationalistes : Peter Katzenstein et Stephen Krasner.
  • [21]
    Keohane affirme ainsi que “L’institutionnalisme néolibéral partage d’importants engagements intellectuels avec le néoréalisme. Comme les néoréalistes, les institutionnalistes néolibéraux cherchent à expliquer les régularités comportementales en examinant la nature de la décentralisation du système international. Pas plus les néoréalistes que les institutionnalistes néolibéraux ne se contentent d’interpréter des textes. Les deux théories croient qu’il y a une réalité politique internationale qui peut être partiellement comprise, même si elle va toujours rester partiellement voilée”.
  • [22]
    Article “Réflectivisme” dans Alex Mac Leod, Evelyne Dufault, F. Guillaume Dufour, Relations internationales. Théories et concepts, Montréal, Athéna, 2002, p. 149.
  • [23]
    Pour une étude détaillée de ce quatrième débat, Ole Waever, “The Rise and Fall of the Inter-Paradigm Debate” dans Steve Smith, Ken Booth, Marysia Zalewski, eds., International Theory : Positivism and Beyond, Cambridge, Cambridge University Press, 1996, pp. 149-180.
  • [24]
    Jean-Jacques Roche, Théories des relations internationales, Paris, Montchrestien, 1999, pp. 25-31.
  • [25]
    Sur ce second point, voir en particulier Robert G. Gilpin, “The Richness of the Tradition of Political Realism”, dans Robert O. Keohane (ed.), Neorealism and its critics, Columbia, Columbia University Press, 1986, p. 304.
  • [26]
    Dario Battistella, op. cit., p. 156.
  • [27]
    Raymond Aron, “Qu’est-ce qu’une théorie des relations internationales ?”, Revue française de science politique, 17, 5, octobre 1967, pp. 837-861.
  • [28]
    Ibid., p. 859.
  • [29]
    Paris, Calmann-Lévy, 1984.
  • [30]
    Aron renvoie le lecteur à l’acception grecque, c’est-à-dire l’étrangeté (Ibid., p. 143).
  • [31]
    Ibid., p. 754. Aron fait référence à un ouvrage de Huizinga, Homo Ludens. Essai sur la fonction sociale du jeu, 1945.
  • [32]
    Mark Salter, op. cit., pp. 24-25. Salter s’appuie sur deux sources : “De systematicus civitatum” dans Hedley Bull, ed., Systems of States, Leicester, Leicester University Press, 1977, p. 34 et Martin Wight, International Theory : The Three Traditions, Leicester, Leicester University Press, 1991, pp. 57-63.
  • [33]
    Martin Wight, International Theory : The Three Traditions, op. cit., p. 50.
  • [34]
    Mark Salter, op. cit., p. 25. Il s’appuie sur Hedley Bull et Adam Watson (ed.), “Introduction”, The Expansion of International Society, Oxford, Clarendon Press, 1984, p. 6.
  • [35]
    Sur ce dernier aspect, voir Dario Battistella, op. cit., pp. 156-161.
  • [36]
    Martin Wight, op. Cit., pp. 82-83.
  • [37]
    Pour une description du débat entre ces deux postures, voir David Sanders, “International Relations : Neo-realism and Neo-liberalism”, dans Robert E. Goodin, Hans-Dieter Klingemann, A New Handbook of Political Science, Oxford, Oxford University Press, 1996, pp. 428-445.
  • [38]
    Charles-Philippe David, La Guerre et la paix. Approches contemporaines de la stratégie et de la sécurité, Paris, Presses de Sciences po, 2000, p. 40.
  • [39]
    Voir notamment, Robert O. Keohane, “International Liberalism Reconsidered”, dans John Dunn (ed.), The Economic Limits to Modern Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1992, pp. 165-194.
  • [40]
    Andrew Moravcsik, “Taking Preferences Seriously. A Liberal Theory of International Politics”, International Organization, 51, 4, Fall 1997, pp. 513-553.
  • [41]
    Dario Battistella, op. cit., p. 163.
  • [42]
    Voir en particulier deux références d’Alexander Wendt : “Anarchy is What States Make of It : The Social Construction of Power Politics”, International Organization, 46, n° 2, 1992, p. 391-425 ; “Collective Identity Formation and the International State”, American Political Science Review, 88, n° 2, 1994, p. 384-396.
  • [43]
    Alexander Wendt, Social Theory of International Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, p. 261.
  • [44]
    Ibid., p. 263.
  • [45]
    Alexander Wendt, “Why a World State is Inevitable”, European Journal of International Relations, 9, 4, 2003, pp. 491-542.
  • [46]
    La consultation de l’index de l’International Political Science Abstracts publié par l’Association internationale de Science politique est révélatrice. Aucune entrée n’est accordée au Barbare depuis la fin de la guerre froide.
  • [47]
    Sur les circonstances historiques en rapport avec l’histoire de la discipline, voir Fred Halliday, Rethinking International Relations, Londres, MacMillan Press, 1994.
  • [48]
    Lucien Poirier, La Crise des fondements, Paris, Economica, 1995, p. 177 et s.
  • [49]
    Ibid., p. 40.
  • [50]
    Thérèse Delpech, Politique du chaos. L’autre face de la mondialisation, Paris, Seuil, 2002, pp. 56-57
  • [51]
    Sur ces questions, voir notamment le numéro spécial de Raisons politiques (13, février 2004) consacré au retour de la guerre et en particulier les contributions de Stephen Launay (“quelques formes et raisons de la guerre”, p. 14 et s., pp. 21 et s.) et de Michel Fortmann et Jérémie Gomand (“L’obsolescence des guerres interétatiques ? Une relecture de John Mueller”, pp. 79-96).
  • [52]
    Ces approches se fondent sur une position métathéorique en rupture avec le néopositivisme de Popper. Très diverses, elles critiquent : l’existence d’un sujet connaissant non influencé par le contexte discursif qui forge sa façon d’analyser son objet, l’étanchéité des jugements de faits par rapport aux jugements de valeurs, le naturalisme qui identifie les objets sociaux à des objets naturels, la croyance en un progrès ou une émancipation liés au développement scientifique.
  • [53]
    Paris, Lattès, 1991.
  • [54]
    Ibid., p. 19.
  • [55]
    Ibid., p. 8.
  • [56]
    Ibid., p. 13.
  • [57]
    Des lignes de fracture surgissent le long du Rio Grande, de la Méditerranée et du fleuve Amour. Ibid., p. 160.
  • [58]
    Si Polybe apparaît bien comme un précurseur quant à la conceptualisation de l’empire, il exprime cependant des réserves relatives à l’efficacité des valeurs impériales. Voir Claude Nicolet (dir.), Rome et la conquête du monde méditerranéen, tome 2, Paris, PUF, 1978, p. 885.
  • [59]
    L. R. Whittaker, Les Frontières de l’empire romain, Paris, Les Belles Lettres, 1989, p. 16.
  • [60]
    Alain Touraine, “Créer un nouvel État-providence”, Le Monde, 30 mars 1994.
  • [61]
    Mark Salter, op. cit., p. 133.
  • [62]
    Ibid., p. 134.
  • [63]
    Ariel Colonomos, “L’éthique de la politique étrangère. Nous et les barbares ou sauver l’autre pour se sauver soi-même”, dans Frédéric Charillon (dir.), Politique étrangère. Nouveaux regards, Paris, Presses de Sciences Po, 2002, pp. 113-138.
  • [64]
    Ibid., pp. 122-123.
  • [65]
    Paris, 10/18, 2003.
  • [66]
    Ibid., p. 108.
  • [67]
    Ibid., p. 114.
  • [68]
    Pour la présentation du débat, voir les contributions d’Eric Dunning, Abram de Swaan et Patrick Bruneteaux, dans Yves Bonny (dir.), Norbert Elias et la théorie de la civilisation. Lectures et critiques, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2003.
  • [69]
    Robert A. Pape perçoit une logique stratégique derrière ce phénomène. Les terroristes visent à contraindre les démocraties libérales modernes à faire des concessions notamment territoriales et, qui plus est, ils associent leur pratique à une action payante puisqu’elle offre des gains (le départ des forces françaises et américaines au Liban, le renversement du régime sri lankais etc.). Voir son article “The Strategic Logic of Suicide Terrorism”, American Political Science Review, 97, 3, août 2003, pp. 343-361. On peut toutefois s’interroger sur la présence d’une logique stratégique similaire au sein du néo-fondamentalisme qui s’exprime à travers Al-Qaïda.
  • [70]
    Stanley Hoffmann, “Théorie et relations internationales”, Revue française de science politique, 11, 3, juin 1961, p. 418.
  • [71]
    Sur cette prise de position, voir Eric Dunning, “Civilisation, formation de l’État et premier développement du sport moderne”, dans Alain Garrigou, Bernard Lacroix (dir.), Norbert Elias. La politique et l’histoire, Paris, La découverte, 1997, p. 131.
  • [72]
    Dans la mesure où elle repose sur l’existence d’une base “indiscutable sur laquelle on peut fonder une interprétation ou une explication des choses”. Evelyne Dufault dans Alex MacLEod, Evelyne Dufault, Frédérick Guillaume Dufourt, op. cit., p. 183.
  • [73]
    Kjell Goldmann, “International Relations : An Overview”, dans Robert E. Goodin, Hans-Dietrer Klingemann, op. cit., p. 402.
  • [74]
    Robert O. Keohane, “International Relations : Old and New”, dans Robert E. Goodin, Hans-Dietrer Klingemann, op. cit., p. 473.
  • [75]
    Ces théories rejettent l’idée défendue par les fondationnalistes.
  • [76]
    Anthony Giddens, Les Conséquences de la modernité, Paris, L’Harmattan, 1996, p. 57.
  • [77]
    Ibid., p. 70.
  • [78]
    Ibid., pp. 133 et s.
  • [79]
    Olivier Roy, “Ben Laden et ses frères”, Politique internationale, 93, automne 2001, p. 67 et s.
  • [80]
    On pourrait même dire renationalisation du monde au profit de certains acteurs considérés comme cibles privilégiés des terroristes. La réaction américaine n’est pas sans influence sur les perceptions et le comportement de l’État israélien face à l’autorité palestinienne à la mi-décembre 2001.
  • [81]
    Ulrich Beck, World Risk Society, Londres, Polity Press, 1999, p. 3 et s.
  • [82]
    Gilles Breton, “Mondialisation et science politique : la fin d’un imaginaire théorique ?”, Études internationales, XXIV, 3, septembre 1993, p. 548.
  • [83]
    Jjell Goldmann, op. cit., p. 424.
  • [84]
    Substituant les figures du barbare et du bourgeois à celles du soldat et du diplomate sur l’actuelle scène internationale, ce dernier parle “d’embourgeoisement du barbare” ou de “barbarisation du bourgeois” : “le mafieux d’aujourd’hui est le business man de demain (…). Sous la pression d’actions terroristes à répétition, les démocraties pourraient se transformer en État policier”. Pierre Hassner, “Le Barbare et le Bourgeois”, Politique internationale, 84, été 1999, pp. 90-91. Sur ce point, voir également “Barbarians at the Gates : the Moral costs of Political Community” dans Igor Primoratz (ed.), Politics and Morality, New York, Palgrave Macmillan, 2007, pp. 185 et s.
  • [85]
    Alain Joxe, “Barbarisation et humanisation de la guerre”, dans Asterion, op. cit.
  • [86]
    L’image ne renvoie pas au locuteur mais bien à l’objet de la désignation.
  • [87]
    Une alliance suppose une relation de collaboration, une agrégation (potentielle) des forces militaires, une communauté d’intérêts stratégiques conçus en termes de menace, une conception de l’action collective comme supérieure à l’action individuelle. Michael D. Ward, Research Gaps in Alliance Dynamics, Monograph Series in World Affairs, Vol. 19, 1, University of Denver, 1982, p. 5.

1Les relations interétatiques s’expriment dans et par des conduites spécifiques, celles des personnages que j’appellerai symboliques, le diplomate et le guerrier... L’ambassadeur et le soldat vivent et symbolisent les relations internationales” [1]. Ces figures du soldat et du diplomate si chères à Aron afin de penser la conduite diplomatico-stratégique sont, aux yeux de certains, incomplètes en raison d’une priorité sur l’agenda contemporain : les guerres irrégulières. À cet égard, elles laissent de plus en plus la place au terroriste qualifié de barbare. Contre lui, le soldat ne peut pas vraiment se battre de manière frontale. Avec lui, le diplomate ne peut pas vraiment négocier. Depuis la fin de la guerre froide, des théoriciens dans le domaine des relations internationales expriment un intérêt à l’égard de cette notion. Les attentats du 11 septembre ont largement renforcé cet engouement. Invisible et incontrôlable, dangereux et menaçant, cet acteur d’un genre considéré comme inédit pénètre le champ théorique. Il devient le prisme à partir duquel l’ensemble des phénomènes est appréhendé, révélant par là la primauté des faits transnationaux sur les faits interétatiques. Ainsi, Mark Salter propose de relier l’essor de ces théories avec l’identité occidentale fondée sur la désignation permanente des Barbares [2]. Depuis Euripide jusqu’aux discours coloniaux du xixe siècle, l’Occident aurait véhiculé de manière constante de telles représentations de l’altérité. Il serait ainsi basé sur la reconnaissance d’un dualisme entre le soi et les autres, dont le Barbare constituerait l’une des figures saillantes qu’il faudrait affronter. Dans cette perspective, la production académique de ces dernières années au sein du champ politologique n’est rien d’autre que l’écho de ce dualisme que l’on retrouve également dans l’imaginaire populaire [3]. Parallèlement à cette première thèse (permanence macrohistorique de la dichotomie civilisé/barbare dans la production scientifique occidentale), l’auteur défend deux idées complémentaires : l’École anglaise en relations internationales place au cœur de sa réflexion la notion de Barbare ; les théories contemporaines s’apparentent à des théories postcoloniales ayant pour objet la domination des récalcitrants.

2Le travail de Salter a l’indéniable mérite de replacer dans le temps long la formulation de discours savants non dépourvus de tout lien avec les représentations ordinaires. Toutefois, il paraît réducteur d’expliquer l’émergence de théories contemporaines à partir d’une donnée macrohistorique comme le dualisme culturel. Deux raisons peuvent ici être convoquées afin de souligner le caractère simplifié d’une telle lecture.

3Tout d’abord, le Barbare ne constitue pas forcément une catégorie dénoncée et/ou qu’il faut repousser de manière constante. Dans l’antiquité, le Barbare, “c’est celui qui est ailleurs et que l’on a des difficultés à comprendre, mais que l’on ne combat pas nécessairement, d’autant que l’on croit à l’occasion que l’on peut apprendre quelque chose de lui. Ainsi on se combat entre Grecs autant sinon plus qu’entre Grecs et Barbares” [4]. Il révèle une distance et une supériorité mais la relation avec lui ne signifie pas ipso facto polarité et conflictualité. “Barbares, c’est le nom que les Grecs donnaient par mépris à toutes les autres nations, qui ne parlaient pas leur langue, ou du moins qui ne la parlaient pas aussi bien qu’eux (…). Dans la suite des temps, les Grecs ne s’en servirent que pour marquer l’extrême opposition qui se trouvait entre eux et les autres nations, qui ne s’étaient pas encore dépouillées de la rudesse des premiers siècles, tandis qu’eux-mêmes, plus modernes que la plupart d’entre elles, avaient perfectionné leur goût et contribué beaucoup aux progrès de l’esprit humain. (…) En cela, ils furent imités par les Romains. (…) Les Grecs et les Romains étaient jaloux de dominer plus encore par l’esprit que par la force des armes”. La notion de Barbares, telle que la livre ici l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, dépasse ainsi le champ lexical du sauvage ou du grossier. Elle rend bien compte de cette distance et de cette supériorité de civilisation entre groupes humains qui développent deux conceptions de l’universel [5].

4Ensuite, les discours et les représentations du Barbare apparaissent à des moments très précis de l’histoire. Ainsi, sous l’effet du développement économique [6] et de l’essor de la Renaissance, les représentations européennes du musulman sont affectées au xvie siècle par la rhétorique du Barbare que l’on rencontre déjà sous la plume de Dante [7]. Pétrarque [8], Erasme ou Luther usent fréquemment du terme [9]. Ces représentations réactivent l’opposition entre Grecs et Barbares [10] mais en l’interprétant de manière étriquée, c’est-à-dire en accentuant son caractère conflictuel : la cruauté l’emporte sur l’étrangeté. En d’autres termes, ces discours refaçonnent l’histoire et donnent une lecture a posteriori des faits à des fins de légitimation ou de mobilisation. Ils révèlent l’existence d’un travail de mémoire qui contribue à l’élaboration d’un imaginaire mythique [11]. Ces remarques invitent à “historiciser” ces théories contemporaines du Barbare, c’est-à-dire préciser leurs conditions historiques d’émergence ainsi que leurs supports de diffusion [12].

5L’objet de la présente contribution vise à mieux saisir les raisons qui poussent à l’introduction de cette catégorie – Barbare - dans la théorie des relations internationales tout en évaluant sa portée alors que la pensée stratégique semble encore fort rétive à son égard [13]. Elle vise également à éprouver les thèses de Mark Salter sur l’Ecole anglaise et les théories contemporaines tout en proposant une explication conjoncturelle et non culturelle quant à l’essor du Barbare comme nouvelle catégorie. Dans une première partie, les théories classiques seront appréhendées afin de souligner la présence plus que secondaire du Barbare en leur sein. Les formulations récentes qui placent le Barbare au cœur des préoccupations théoriques seront ensuite examinées. Enfin, les limites mais aussi les obstacles auxquels se heurtent ces nouvelles conceptions des relations internationales font l’objet d’une troisième et dernière partie.

De nombreuses occultations

6Rompre avec le sens commun. Tel est le socle de toute activité scientifique. En théorie des relations internationales, cette logique de la découverte mais aussi de l’intelligibilité se manifeste à travers deux approches différentes : les tenants de l’explication d’une part, et les représentants de la compréhension d’autre part [14]. Inspirée par le positivisme des sciences sociales, la théorie explicative “ambitionne de donner des relations internationales une explication comparable à celle que donnent des phénomènes naturels les sciences exactes, tant elle estime que les relations internationales sont déterminées par des causes objectives existant indépendamment de la conscience que peuvent en avoir les acteurs et que les mêmes causes provoquent les mêmes effets” [15]. Ancrée dans une tradition à dominante weberienne, la théorie compréhensive insiste sur le caractère irréductible des objets sociaux ainsi que sur la nécessité de rabaisser les impératifs scientifiques, à savoir “interpréter les relations internationales, et ce, à partir du sens, de la signification, que donnent à ces relations les acteurs eux-mêmes” [16]. Le réalisme classique (Morgenthau, Carr) ou le structuro-réalisme (Waltz) mais encore l’institutionnalisme libéral (Keohane, Nye) s’inscrivent dans le sillage de la théorie explicative, alors que la théorie compréhensive trouve son expression, par exemple, à travers l’approche multifactorielle et sociologique de Raymond Aron [17].

7Cette distinction trouve dans le quatrième débat que traverse le champ des relations internationales à la fin des années 80 une acuité renforcée [18]. En effet, un rapprochement s’opère à l’époque entre les néoréalistes et les néolibéraux d’une part, contre l’essor de nouvelles théories qualifiées de dissidentes [19] en raison de leurs objectifs épistémologiques. Robert Keohane introduisit une formule synthétique afin de rendre explicite ce clivage croissant au sein de la discipline lors d’une allocution présidentielle à l’International Studies Association en 1988 : une ligne de front sépare les thèses rationalistes des thèses relevant du réflectivisme [20]. Les premières partagent une même conception du travail scientifique : distinction entre faits et valeur mise en exergue de régularités, examen de la validité des théories par confrontation aux données empiriques, existence d’une seule méthode scientifique applicable aux sciences de la nature et aux sciences sociales [21]. Le réflectivisme se compose, selon Keohane, d’un spectre particulièrement large d’approches (constructivisme, théories critiques, féminisme, postmodernisme ou poststructuraliste) qui présenteraient un dénominateur commun : “mettre l’accent soit sur l’interprétation de la subjectivité des acteurs pour comprendre le fonctionnement des institutions, soit sur l’importance des normes et des règles en tant que phénomènes intersubjectifs en relations internationales. Ainsi, une des thèses importantes, qui furent attribuées aux réflectivistes, était que les institutions n’étaient pas quelque chose que les acteurs rationnels construisaient en suivant leurs propres intérêts, mais plutôt l’inverse, les acteurs agissant au sein de structures méta-institutionnelles qui créent les acteurs” [22]. Depuis, le débat en théorie des relations internationales correspond à un affrontement entre ces deux façons de concevoir à la fois les priorités et les modalités de la recherche [23].

8Le corpus que constituent ces différentes approches théoriques (avant 1989 et après 1989) révèle deux idées majeures. Que ce soit dans le cadre explicatif ou bien compréhensif, avant la fin de la guerre froide, le Barbare n’apparaît pas comme un concept clef et encore moins comme une catégorie à part. Les auteurs intègrent parfois dans la réflexion les dérives barbares d’un conflit ou l’escalade vers la barbarie, mais le Barbare en tant que substantif n’est jamais utilisé. Dans l’après-guerre froide, le Barbare en tant que concept subit le même sort dans les théories rationalistes et dans la plupart des théories réflectivistes.

Pendant la guerre froide

9Le libéralisme et le réalisme s’opposent vivement depuis la fin de la première guerre mondiale. Toutefois, les prédicats de ces deux théories explicatives comprennent un point commun : l’absence de référence au Barbare. Les raisons qui expliquent ce rejet tiennent à la nature de l’argumentation déployée. Les principes du réalisme reposent sur l’existence d’un état de nature entre États qui définissent leur intérêt en termes de puissance de façon rationnelle. Ils s’élaborent sur la base de deux axiomes complémentaires : celui de la centralité de l’État (les relations internationales étudient d’abord et surtout le comportement des acteurs étatiques) et celui de l’impossibilité (le genre humain se révèle incapable de satisfaire tous ses besoins) [24]. Le Barbare en tant qu’acteur non étatique inférieur en capacité et en culture n’est pas intégré dans la réflexion. Il est hors de l’ontologie retenue (seuls les États incarnent des acteurs pertinents à l’échelle internationale), son appréhension demeure à l’extérieur des priorités analytiques (il ne faut pas saisir les modalités de désignation de l’autre où la dimension morale aurait une importance capitale mais évaluer les intérêts en affrontement) [25]. Sous la plume des libéraux de l’entre-deux guerres, comme Norman Angell, John Hobson, ou Leonard Woolf, la catégorie de Barbare non plus n’existe pas. Seules les unités politiques sont prises en considération ainsi que les processus grâce auxquels l’éducation civique des opinions publiques, la régulation économique et la sécurité collective peuvent se réaliser à l’échelle internationale. L’approche reste stato-centrée et étrangère à d’autres catégories que celles de l’État et de la coopération : “les internationalistes libéraux voient dans l’histoire moins un progrès linéaire qu’un processus d’apprentissage, au cours duquel, grâce au coup de pouce des Lumières apporté par la diffusion des connaissances, les bénéfices de la coopération internationale deviennent évidents pour tous. (…) (ils) soulignent l’évolution inégale des relations internationales, et reconnaissent aux unités politiques, ou en tout cas à leurs élites éclairées, la capacité de faire prévaloir les tendances coopératives de ces relations sur leurs tendances conflictuelles” [26].

10Le Barbare n’apparaît pas non plus comme une catégorie, qu’elle soit centrale ou secondaire, sous la plume de Raymond Aron. Sensible à l’impossibilité de forger une théorie pure des relations internationales ainsi qu’aux excès du réalisme classique, il propose une sociologie [27] autour de plusieurs variables dont l’utilisation permet de comprendre l’action ou “compréhension des diverses idéologies – moralisme, juridisme, réalisme, politique des puissances – à l’aide desquelles les hommes et les nations interprètent tout à tour les relations internationales et s’assignent des buts ou s’imposent des devoirs” [28]. Dans Paix et guerre entre les nations[29], Aron se réfère aux Barbares [30] mais n’use jamais du substantif en vue d’en faire une catégorie à part. Il s’interroge uniquement sur les dérives potentielles d’un affrontement vers la barbarie. Selon lui, la guerre chevaleresque, ludique ou agonale pour le prestige et la gloire de la victoire constituent un élément de l’institution belliqueuse. Cette recherche du prestige et de la gloire trouve cependant des bornes dans le partage de valeurs communes. Si le combat sort de ces bornes, la brutalité peut surgir avec une immense intensité. La barbarie résulte ainsi du rejet de toute parenté entre les protagonistes en conflit. La culture aurait pour Aron une fonction de limitation et d’atténuation des excès puisque aussi longtemps que l’affrontement “se livre dans un cercle dont les membres se reconnaissent mutuellement comme des égaux ou du moins des égaux en droit” [31], les risques d’ascension à l’extrême restent limités. La passion de s’affirmer comme supérieur et non égal par rapport à l’ennemi du point de vue culturel favorise la libération des débordements guerriers.

11L’École anglaise, qui revendique le statut d’approche à part entière – c’est-à-dire irréductible aux perspectives analytiques ou compréhensives –, est-elle l’exception qui confirme la règle ? Selon Mark Salter, les représentants de cette École mentionnent spécifiquement les barbares dans leurs théories. D’une part, Martin Wight les utilise afin de distinguer les trois traditions réaliste, rationaliste et révolutionnaire mais aussi et surtout pour appréhender tous les systèmes d’États. Ces derniers se définissent comme civilisés par rapport à la pression des étrangers, ce qui justifie les missions civilisatrices et l’impérialisme [32]. Martin Wight en déduit un lien direct entre la formulation théorique en relations internationales et les administrations coloniales [33]. D’autre part, Hedley Bull et Adam Watson soulignent la tension entre communautarisme et cosmopolitisme au sein même des idées européennes en matière de relations interétatiques. La dichotomie entre les Grecs et les Barbares aurait pris les formes d’un affrontement entre Chrétiens et Infidèles puis entre Européens et non-Européens, révélant par là le caractère régulier et permanent d’une opposition entre le soi et le non-soi, ainsi que l’évanescence d’une unité politique mondiale [34]. Toutefois, trois remarques permettent de relativiser les conclusions formulées par Mark Salter. La référence aux barbares s’effectue non pas dans une volonté d’élaborer une théorie empirique, mais plutôt dans une perspective d’évaluation des discours à caractère philosophique (elle relève plus du champ de l’histoire des idées ou de la philosophie politique). Ensuite, les auteurs ne font pas usage du singulier (le Barbare ne constitue pas une catégorie, mais uniquement un terme qui renvoie à une désignation historique ré-exploitée par les politiques européennes). Enfin, les auteurs n’entendent pas livrer une intelligibilité du réel international à l’aune de la coupure entre civilisé et barbares. Celle-ci est insérée au cœur d’autres concepts clefs comme celui d’anarchie, État, ou surtout de société internationale [35]. À cet égard, le cas de Martin Wight est révélateur. Dans le chapitre 4 de son International Theory (“Theory of mankind : barbarians”), il mobilise la notion de Barbares (au pluriel) afin de préciser l’étendue de la société internationale selon les trois théories : réaliste, rationnaliste et révolutionniste. Pour les réalistes, les barbares n’ont aucun droit (ils sont exploités et dans cette perspective restent en marge des interactions interétatiques). Pour les rationnalistes, les barbares possèdent des droits appropriés invitant à leur tutelle. Enfin, pour les révolutionnistes, les barbares ont des droits égaux. Ils doivent par conséquent être assimilés [36]. Wight ne fait pas des barbares une catégorie à part, mais un instrument analytique qui permet de distinguer les propriétés des trois traditions qu’il perçoit dans la théorie des relations internationales.

Dans l’après-guerre froide

12Les théories rationalistes correspondent essentiellement au néo-réalisme d’une part, et au néo-libéralisme d’autre part [37]. Inspiré du réalisme structurel de Waltz, le premier insiste sur les contraintes du système international qui pèsent sur le comportement des États mais aussi sur la transformation de l’anarchie qui “peut s’avérer moins sévère lorsque la compétition entre États est régie par des mécanismes de sécurité coopérative” (de l’anarchie pure à l’anarchie mûre) [38]. Cette révision du réalisme classique ne repose pas sur une modification ontologique (les États demeurent les acteurs-clefs) ni sur la reconnaissance du Barbare comme catégorie. Le néo-libéralisme doit, quant à lui, beaucoup à Robert O. Keohane [39]. À l’origine des théories de l’interdépendance complexe dans les années 70, Keohane soutient que les États cherchent de plus en plus à réduire l’incertitude qui entoure les relations internationales en favorisant la coopération au sein des institutions internationales. Le Barbare ne constitue pas un concept à partir duquel l’objet de cette coopération est appréhendé. Il s’agit plutôt de dégager la transformation des pratiques étatiques de plus en plus enchâssées dans un système de normes et de conventions internationales qui favorisent une pacification ainsi qu’une stabilité internationales. La position d’Andrew Moravcsik [40] ne relève pas du néo-libéralisme dans sa version institutionnelle, mais se définit comme héritière du véritable libéralisme. L’auteur accorde aux individus membres de la société civile le statut d’acteurs fondamentaux des relations internationales à la fois rationnels et répugnants au risque. L’État devient une “simple courroie de transmission des intérêts de la société civile sur la scène internationale” [41]. Cette réflexion n’exclut pas la possibilité de guerre mais cette dernière résulte plus des avantages que les acteurs sociétaux peuvent retirer que de la définition de priorités stratégiques par l’État. Là encore, la catégorie de Barbare ne fait pas l’objet de mobilisation.

13Une majorité de réflectivistes, composée des constructivistes, adopte, par rapport à la notion de barbare, la même posture. Quand bien même elle n’épuise pas l’ensemble des références constructivistes, la pensée d’Alexander Wendt est assez révélatrice. Trois principes l’animent : les États sont les principales unités d’analyse à l’échelle internationale, les structures clefs dans le système des États ne sont pas d’ordre matériel mais d’ordre inter-subjectif, les identités et les intérêts des États sont pour une part importante produites par ces structures intersubjectives [42]. Ainsi, l’anarchie ne résulte pas seulement d’une absence d’autorité politique au-dessus des États ou de la répartition inégale de la puissance. Cette anarchie est issue de la culture “partagée” par les acteurs significatifs qu’incarnent les États. Pour Wendt, la structure anarchique dépend de la façon dont les États envisagent leurs interactions ou des idées concernant la nature et leurs rôles au sein du système international. Il distingue trois cultures de l’anarchie et, ce faisant, critique l’argumentation réaliste qui conclut à une seule et unique logique de l’anarchie : la culture hobbesienne, lockienne et kantienne. Lorsqu’il décrit les prédicats de la culture hobbesienne et notamment la dynamique de l’inimitié qui la traverse, Wendt fait référence aux images de l’autre. Il cite la dichotomie entre les Grecs et les Barbares [43]. Il insiste sur les conséquences d’une désignation de l’autre comme ennemi du point de vue de la politique étrangère mais, à aucun moment, il n’élève LE barbare au rang de catégorie d’analyse. L’ennemi ne peut-être qu’un acteur de même nature que l’État : “le rôle de l’ennemi est symétrique, constitué par des acteurs situés dans la même position simultanément” [44]. Le concept de barbare est, enfin, d’autant moins pertinent pour cet auteur que les relations entre États favorisent progressivement l’émergence d’un État mondial [45].

14C’est par conséquent hors des approches rationalistes et reflectivistes constructivistes, que la formulation du Barbare comme catégorie apparaît [46]. En effet, seules des théories critiques mais également des théories sans liens manifestes avec les familles de pensée sus-présentées semblent reconnaître le Barbare comme une catégorie dotée de vertus heuristiques.

Des formulations récentes et concentrées

15L’essor de ces approches théoriques plaçant au cœur de la réflexion la notion de Barbare peut s’expliquer par deux facteurs complémentaires qui renvoient, in facto, à deux chocs mentaux. Le premier choc correspond à la fin de la guerre froide. Elle favorise l’émergence d’une conjoncture de crise dans les relations internationales qui prend deux déclinaisons complémentaires [47] : l’incapacité à prévoir les phénomènes (c’est-à-dire l’écroulement de l’Union soviétique et la bipolarité de par ce biais) ; la fébrilité conceptuelle (disparition de l’ennemi au sens d’État régi par une idéologique distincte et de l’arsenal des outils élaborés pendant la guerre froide). Cette seconde dimension de la crise traversée par la discipline engendre un affaiblissement plus ou moins vérifié des repères traditionnels à partir desquels la réalité internationale fut décrite jusqu’alors. Lucien Poirier qualifie ce phénomène par l’expression “crise des fondements” [48] qui contribua à l’adoption d’une posture : celle de l’attente stratégique [49]. Le second choc est le 11 septembre. S’ils prennent l’allure d’un phénomène de “surprise stratégique” [50] selon Thérèse Delpech, les attentats de 2001 accentuent l’intérêt pour le Barbare. Un très grand nombre de conférences, colloques, journées d’études se focalisent sur le terrorisme : assiste-t-on à un changement d’échelle dans l’expression de ce phénomène ou bien sommes-nous les témoins de sa mutation profonde ? Le temps de l’affrontement militaire entre armées laisserait place au temps des massacres dont les civils seraient les principales victimes [51].

16En tant que catégorie, le Barbare surgit essentiellement dans deux tendances théoriques : la première peut-être qualifiée d’impériale (elle livre une représentation globale des relations internationales à partir du concept d’Empire et de son soi-disant corollaire, le Barbare) ; la seconde résulte du développement des approches postpositivistes [52] ou critiques.

La tendance impériale

17Dans l’Empire et les nouveaux barbares[53], Jean-Christophe Rufin cultive une comparaison audacieuse entre le contexte stratégique post-guerre froide et l’histoire de l’Empire romain telle que la dépeint Polybe au iie siècle av. J.-C. Après la victoire contre Carthage (146 av. J.-C.), ne subsiste aucune unité politique susceptible d’inquiéter Rome : seuls demeurent des Barbares. Ceux-ci ne désignent pas des ennemis en temps de guerre mais l’antithèse de l’Empire : “Dans tous les domaines, Empire et barbarie forment des couples contraires. Rome se veut garante de la paix et de l’harmonie, les Barbares guerroient sans cesse. Elle est une république où gouverne le peuple ; ils obéissent à des monarchies violentes. Elle est unie par sa culture et sa langue ; ils sont morcelés et ne se comprennent pas. Elle est rationnelle et sa religion contribue à l’ordre de la Cité ; ils sont ravagés par le fanatisme. Elle pratique la justice et respecte le Droit ; ils ne se contiennent que par la force” [54]. Les Barbares participent de l’identité impériale : “est barbare ce qui n’est pas l’Empire, s’oppose à lui et, a contrario, le conforte et le définit” [55]. Avec la fin de la guerre froide, Rufin perçoit une construction idéologique identique à celle-ci : “la révolution idéologique qu’a connue Rome après la défaite de Carthage est comparable à celle qui, à l’affrontement de l’Est et de l’Ouest substitue aujourd’hui un monde dominé par l’opposition du Nord et du Sud” [56]. Un climat de méfiance voire d’hostilité émerge entre les pays du Nord et du Sud, contribuant par là à sédimenter un nouveau limes non seulement mental mais aussi et surtout géographique [57]. L’Empire cherche à stabiliser ses frontières et à éviter une invasion.

18Cette première analyse comporte des faiblesses, car elle ne s’interroge ni sur les matériaux historiques ni sur la pertinence de leur transfert aux circonstances actuelles. Outre le caractère excessif dont elle témoigne en faisant de Polybe l’inventeur de l’impérialisme romain fondé sur l’opposition aux Barbares [58], l’approche de Jean-Christophe Rufin reflète tout d’abord une erreur quant au limes. Elle fait de ce dernier une ligne. Or, à l’époque romaine, les frontières ne sont ni naturelles, ni clairement façonnées. Elles demeurent “imprécises, plus zonales que linéraires, en dépit de l’illusion que créent les murs” [59]. De plus, la dichotomie civilisé/Barbare à l’aune de celle qui se renforce entre le Nord et le Sud de nos jours écarte la complexité des incidences de la globalisation. Rufin réifie deux entités en leur accordant une unité : le Nord prospère contre le Sud en proie à une déstabilisation politique et une pauvreté endémique. Or, le renforcement des interdépendances à l’échelle internationale et globale entraîne une dualisation interne à chaque société qui ébranle, du même coup, un limes que l’auteur décrit avec tant de précision. Selon François Perroux, le dualisme désigne la différenciation et l’écart de développement entre deux ou plusieurs secteurs d’activité économique. Il se présente sous la forme de deux secteurs, l’un moderne l’autre archaïque d’où il suit qu’une forte croissance appliquée en un point ne se propage pas à l’ensemble. L’ensemble est composé d’îlots de croissance économique, entourés d’espaces économiques vides ou stagnants. Le dualisme efface la dichotomie Nord-Sud puisque “la frontière entre le développement et le sous-développement (…) traverse presque tous les pays et les divise en deux secteurs” [60].

19Mark Salter analyse le choc des civilisations formulé par Huntington comme une version contemporaine des stéréotypes impériaux. Malgré sa reconnaissance du caractère réducteur de toute distinction entre le soi et les autres – du seul fait que les civilisations ne seraient pas monolithiques et donc non-unitaires -, le politologue américain resterait grandement attaché à la thèse des deux mondes en affrontement. Une dichotomie liée à la tendance humaine d’opposer sa propre civilisation aux barbares [61]. Il réactive, selon Salter, les représentations impériales fondées sur une stigmatisation des autres civilisations et en particulier celle de l’Islam considérée comme irrationnelle, fondamentaliste et violente. L’Ouest incarne la seule et unique civilisation véritablement développée [62]. Sans nul doute, la présentation de la civilisation islamique comporte chez Huntington d’incontestables failles, mais il semble exagéré d’envisager le choc des civilisations comme la manifestation d’un “paradigme du barbare”. D’une part, l’auteur n’utilise jamais le singulier, préférant par là l’usage de pluriel ou “des barbares”. D’autre part, la tendance impériale suppose soit le rejet du Barbare hors du limes soit son absorption. Or, chez Huntington, la définition de soi en termes de civilisation (ou plutôt de culture car sous sa plume il y a confusion des deux notions au profit d’une identité religieuse singulière) n’engendre pas indifférence ou intégration, mais polarisation et affrontement. En cela, l’auteur reste totalement attaché aux prédicats du réalisme classique, car il ne fait que substituer les civilisations aux États dans son appréhension des relations internationales.

La tendance critique

20Cette seconde tendance a pour caractéristique essentielle de ne pas s’insérer au sein du dialogue scientifique stricto sensu. Elle ne croit guère dans l’existence d’énoncés vrais, mais plutôt dans celle de discours savants qui reflètent des influences textuelles (James Der Derian). Les auteurs qui se réclament de cette façon de penser comme Walker, Campbell ou Shapiro s’attachent à déconstruire les concepts clefs des positivistes, mais aussi les ressorts de la modernité que ce soit sur le plan philosophique (critique de la rationalité) ou politique (critique de la souveraineté). Le Barbare devient une catégorie à partir de laquelle des discours politiques fondés sur la domination de quelques États sur les autres peuvent être appréhendés. Un premier exemple d’approche critique (ou aussi post-structuraliste) apparaît sous la plume d’Ariel Colonomos [63]. S’interrogeant sur les rapports entre éthique et politique étrangère, l’auteur souligne la rémanence d’une opposition entre l’identité occidentale et le Barbare pris dans son essence. Cette opposition fait du Barbare quelqu’un qui ne connaît pas le commerce, mais également un rustre. L’ensemble de cette désignation contribue à la définition du soi encore actif de nos jours : “un tel rapport à l’Autre est marqué par le sceau d’un universalisme conquérant. C’est dans cette perspective aujourd’hui que l’universalisme de la politique étrangère des États occidentaux se voit critiqué. Quand bien même ils se réclament d’une éthique, ces États dont la prétention universaliste repose sur une supériorité économique et politique sont confrontés à un front du refus de la part de nombre de leurs interlocuteurs soucieux de leur opposer leur particularité culturelle et la spécificité de leur histoire” [64]. Conscients des travers d’une “éthique de la puissance”, les États du Nord chercheraient à élaborer une éthique du recours (prise en considération des risques à l’échelle globale) mais aussi de la repentance (prise de conscience des conséquences de pratiques politiques passées). L’auteur s’interroge sur la portée de ces transformations dues notamment à la mobilisation de réseaux éthiques, mais il place finalement au cœur des relations internationales, la question du rapport à l’autre sous la forme du Barbare (à dresser ou à intégrer dans le cadre de principes qualifiés d’universels).

21Une seconde illustration de cette tendance apparaît dans l’ouvrage de Gilbert Achcan, Le Choc des barbaries[65]. L’auteur s’inscrit dans le prolongement de la théorie critique élaborée par l’Ecole de Francfort et, notamment, Herbert Marcuse [66]. Il se place du point de vue d’une dialectique de la civilisation. Chaque civilisation sécrète sa propre barbarie, c’est-à-dire ses dérives particulières qui contribuent à rendre réversibles le processus d’une atténuation des pulsions tel que le conçoit Elias. Il n’y a donc pas une barbarie définie en termes universels, mais des barbaries. La situation actuelle à l’échelle mondiale se caractériserait par deux formes de barbarie différentes : celle du faible (les terroristes néo-fondamentalistes) et celle du fort (celle de la superpuissance américaine). Cette distinction pousse Gilbert Achcan à dénoncer la seconde et justifier la première : “des deux barbaries, la plus coupable est encore celle du plus fort qui est en situation d’oppresseur. (…) La barbarie des faibles est une réaction à celle des forts” [67]. Si le point de vue adopté contribue à souligner le caractère toujours inachevé du processus de civilisation – caractère déjà pris en considération par Elias lui-même [68] -, il présente toutefois un double inconvénient. D’une part, le différentiel de puissance convoqué semble difficilement applicable du seul fait que les terroristes suicidaires qui agissent avec de plus en plus d’aplomb ne sont pas faibles [69]. D’autre part, la position retenue amène à une comparaison subjective des barbaries. Le principal critère avancé correspond à la domination unipolaire qui résulte de la fin de la guerre froide.

Des limites conséquentes

22Au-delà des critiques particulières qui peuvent être énoncées à l’encontre de l’argumentation propre aux auteurs, se dégage des caractères communs qui révèlent deux types de limites. Les premières sont de nature épistémologique, les secondes tiennent plutôt à la portée des transformations de l’actuel système international.

Des travers épistémologiques

23Que ce soit la tendance impériale ou bien la tendance critique, elles se confrontent à deux difficultés majeures sur le plan épistémologique : celle de la conceptualisation d’une part, celle de l’ambition d’autre part.

24La conceptualisation renvoie à un problème récurrent dans les sciences sociales comme le souligne Stanley Hoffmann : “tantôt le concept de base est difficile à utiliser parce que l’analyse n’a pas été poussée assez loin. (…) Tantôt le concept de base est inutilisable parce qu’il résulte de la généralisation injustifiée d’une notion valable pour une période historique donnée” [70]. Les théories contemporaines qui placent le Barbare au centre des relations internationales n’échappent pas à ces remarques. Tout d’abord, elles n’élaborent pas une catégorie conceptuelle dotée d’indicateurs qui permettent de repérer les dimensions phénoménales du Barbare. Elles restent de ce point de vue évasives. Cette absence de réflexion quant aux dimensions du concept s’explique par une réserve (affichée pour la tendance critique, latente pour la tendance impériale) quant à la constitution d’une théorie empirique des relations internationales, qu’elle soit d’obédience explicative ou compréhensive. Ensuite, elles visent à appliquer une catégorie forgée sous l’antiquité à des situations politiques récentes, voire à toute l’histoire européenne. Elles présentent des similitudes avec les théories fustigées par la British Sociological Association qui seraient enclines à utiliser des termes relevant d’une perception colonialiste du monde [71].

25La seconde difficulté tient au dessein intellectuel défini par ces approches. Elles livrent une représentation globale des phénomènes internationaux à l’aune de la figure du Barbare : la première en élaborant une “grande” théorie, la seconde réfutant l’existence d’une théorie mais aspirant à donner une lecture monolithique des relations internationales. La première perspective – qui peut être qualifiée de “fondationnaliste” [72] – s’oppose à ce qui semble constituer aujourd’hui une ligne assez communément partagée dans le champ : une poussée en généralisation dans le but d’établir une théorie générale relève de la chimère [73]. Il s’agit d’un projet intenable et prétentieux qui répond mal aux exigences actuelles : spécifier les hypothèses et observer leur implication à chaque niveau d’analyse [74]. La seconde perspective – qui présente les traits d’une théorie antifondationnaliste [75], refuse toute forme de discours scientifique rationnel. Si ce point de vue mérite attention car il met l’accent sur les conditions de production académique, il empêche tout cumul de connaissances, celles-ci étant le fait d’orientations idéologiques plus ou moins larvée. Cette façon de concevoir l’activité de recherche devient ainsi hors-champ.

L’attrait de la rupture

26Une autre limite se profile quant à la prétention de ces théories contemporaines. Elle réside dans le socle sur lequel elles se construisent : à savoir la rupture fondamentale dans l’histoire des relations internationales avec la fin de la guerre froide et surtout le 11 septembre. Si la période actuelle se caractérise en effet par une transition d’un système international à un autre du point de vue structurel (c’est-à-dire la configuration des rapports de force qui n’est plus bipolaire), elle ne rime pas forcément avec une transformation complète ; une transformation qui tendrait à intégrer de nouveaux acteurs – non-étatiques – dans le jeu et qui instaurerait un nouveau type de régulation entre ces acteurs. Contrairement à la thèse de la rupture, les événements récents invitent plutôt à renforcer l’idée d’une “radicalisation de la modernité” telle que l’envisage Anthony Giddens [76].

27Pour le sociologue britannique, la mondialisation comme conséquence des propriétés inhérentes à la modernité – dynamismes économique, social et politique favorisant la dissociation du temps et de l’espace, la dé-localisation et la réflexivité (examen et révision constante des pratiques sociales), se définit comme un processus d’étirement d’événements. Giddens parle d’interpénétration d’événements locaux et distanciés. Reposant sur quatre dimensions (le système des États nationaux, l’économie capitaliste mondiale, l’ordre militaire mondial et la division internationale du travail), la mondialisation renvoie ainsi à “l’intensification de relations sociales planétaires rapprochant des endroits éloignés au point où des événements locaux seront influencés par des faits survenant à des milliers de kilomètres et vice versa” [77]. Il convient de souligner ici deux caractéristiques intrinsèques de cette modernité en proie à se radicaliser. L’une des particularités de la mondialisation poussée à son acmé réside dans une nouvelle appréciation des risques. Avec l’avènement d’un sujet individuel libéré de toute influence transcendantale, le terme de risque se substitue à celui de fortune dans la réflexion métaphysique mais aussi pratique. La nécessité d’examiner les contours de ce risque avec précision constitue l’un des préalables à l’action quelle qu’elle soit. Elle révèle une transformation quant à la conception de la nature humaine. La mondialisation accentue cette tendance, car elle entraîne deux phénomènes complémentaires : l’intensification des risques et l’extension des environnements à risques. Ces deux phénomènes n’ont que faire des différences entre riches et pauvres. C’est la fin d’une différence entre “nous” et “les autres” [78]. Qui plus est, la mondialisation ne constitue pas un processus univoque. Il s’agit plutôt d’une dialectique puisque des “événements locaux peuvent aller à l’opposé des relations distanciées qui les façonnent”. Giddens qualifie ces tendances contradictoires de “push and pull”.

28Les événements du 11 septembre 2001 renvoient à cette radicalisation de la modernité en raison des aspects qu’ils revêtent. Tout d’abord, ils participent pleinement de ce processus d’étirement par lequel un événement local interpelle les autres individus de la planète. Grâce à une forte médiatisation des attentats, voulue délibérément d’ailleurs par les protagonistes terroristes, la quasi totalité des populations sur la planète ont pu assister aux différentes catastrophes. En tant que témoin spectateur, chaque individu a eu ainsi l’occasion de “juger” au sens kantien du terme, ce qui a pour principale conséquence de favoriser la sédimentation d’un espace public mondial, certes limité mais bel et bien embryonnaire. Ensuite, les terroristes qui ont procédé aux attentats (indépendamment des commanditaires latents) semblent bien être le fruit de cette mondialisation. Comme le fait remarquer Olivier Roy, le réseau al-Qaïda répond mal aux critères de l’islamisme tel qu’il a pu se développer au sein même des États arabes depuis ces quinze dernières années. Les agents recrutés sont issus de l’immigration et sont formés aux instruments techniques occidentaux. Ils ne correspondent guère à une tradition d’enracinement national qui s’érige en gardienne d’un héritage local face à des structures étatiques considérées comme extraverties et coupées de leurs bases. Bref, il s’agit d’un néo-fondamentalisme plus que d’un réseau d’islamistes avec des revendications d’accès au pouvoir au sein des États arabes [79]. En outre, les événements du 11 septembre s’inscrivent dans ce double processus d’extension et d’intensification des risques qui fragilise les frontières entre riches et pauvres. Ces frontières étaient déjà poreuses dans les domaines de l’écologie et de l’énergie. Mais le 11 septembre a pulvérisé des “lignes maginot” mentales en matière de sécurité physique classique. Il affermit les risques globaux perçus par les populations. Enfin et surtout, il a des effets ambivalents sur le système international. Il est ainsi au cœur de la dialectique entre forces centrifuges et tendances centripètes, renationalisation du monde au profit des États-Unis [80] et appels à une nouvelle gestion en commun des risques. C’est là peut-être le nœud même de la phase de transition que nous vivons entre une première modernité considérant l’État comme seule réponse adéquate aux risques territoriaux et une seconde modernité qui se fixe comme objectif l’établissement de règles et de procédures internationales face à des risques de plus en plus globaux dans leur contenu [81].

Conclusion

29La globalisation nous indique que nous arrivons à une nouvelle étape du développement de la science politique. Notre travail d’accompagnement de construction de l’État-nation souverain est maintenant complété. Ce qu’il importe d’inscrire à notre programme de travail, c’est de redéfinir les grandes catégories constitutives du politique dans une optique qui prenne en charge les mutations essentielles de notre époque, dont la globalisation bien sûr. Il ne s’agit pas de faire table rase du passé. Bien au contraire. Mais simplement de réaliser qu’il vient des moments où l’on ne peut plus se contenter de réduire l’ancien et qu’il faut imaginer du nouveau” [82]. Les théories qui tendent à fabriquer le Barbare comme catégorie s’opposent à cette assertion puisqu’elles envisagent de penser à l’aide d’une notion polysémique et dont les usages historiques diffèrent. Tout comme la barbarisation de la guerre devient un objet d’étude pour les penseurs politiques avec les guerres d’Italie et la multiplication des états d’urgence au sein des cités, l’intérêt pour la notion de Barbare en relations internationales tient à une série d’événements historiques inscrits dans la période post-guerre froide. Ces théories reflètent des positions épistémologiques visant à sortir du quatrième débat au sein de la discipline. Elles ne contribuent pas vraiment à l’élaboration d’énoncés falsifiables et favorisent encore plus la fragmentation d’une discipline [83]. Bref, les oracles qui prophétisent l’arrivée des barbares méritent d’être traitées comme des symptômes d’un débat épistémologique plutôt que comme les prémisses d’une véritable transformation des relations internationales.

30Faut-il alors rejeter la notion de Barbare ? Ce serait trop simple. Plutôt que de raisonner sur la base d’un concept qui irriguerait toute la saisie du réel international (tendance impériale) ou qui influencerait toute les représentations occidentales de l’autre (tendance critique), une autre perspective reposant sur des processus contextualisés de désignation est possible. Elle est suggérée par Pierre Hassner [84] mais aussi et surtout par Alain Joxe [85]. Celui-ci s’interroge sur l’évolution de la politique étrangère et de défense américaines. Sous Bill Clinton, l’administration a déployé une vaste entreprise de développement économique international sans désigner des barbares. Avec George W. Bush, un nouveau militarisme se manifeste qui relève d’une régression vers la définition d’une périphérie au-delà de laquelle se situent les barbares. Se multiplient alors des “guerres de banlieue”. Le propos d’Alain Joxe, quand bien même il s’inspire clairement de la conception impériale de l’ordre politique, met en relief les changements d’orientation stratégique. La figure du Barbare n’apparaît pas comme éternelle, mais plutôt comme une construction historique qui contribue à réaffirmer le rôle de l’État en tant qu’instance protectrice. Cette façon d’envisager le Barbare s’insère finalement dans le cadre d’une réflexion non pas globalisée sur les relations internationales en général, mais ciblée sur le comportement stratégique d’un acteur particulier. Il nous semble possible ainsi de prolonger cette réflexion sur deux plans.

31Du point de vue conceptuel, les attributs du Barbare présentent de sérieuses similitudes avec ceux du dégénéré dans la typologie des acteurs perçus élaborés par Richard K. Herrmann et Michael P. Fischerkeller. Ces auteurs dégagent cinq catégories d’objet cible (le perçu) [86] : ennemi (acteur égal en capacités et en culture qui constitue une menace et qui exprime une volonté hostile), allié (acteur égal en capacités et en culture avec lequel on tisse des liens de collaboration) [87], impérialiste (acteur supérieur en capacités et en culture), colonie (acteur inférieur en capacités et en culture) et dégénéré (acteur en proie à une décadence progressive de ses capacités et de ses valeurs). Il conviendrait de creuser cette conceptualisation qui permettrait de donner une texture empirique plus précise au Barbare.

32Du point de vue des cultures stratégiques, il conviendrait d’examiner la place que revêt cet acteur dégénéré dans les représentations véhiculées à l’Ouest mais aussi ailleurs. Repère-t-on une inflexion des pensées stratégiques (de l’ennemi au dégénéré) ou bien celles-ci sont-elles étanches à cette nouvelle catégorie ? Ces deux propositions s’inscrivent dans un champ d’étude qui relève à la fois des modalités de désignation de l’ennemi, mais aussi de l’action stratégique en lien avec les représentations mobilisées par les acteurs étatiques. C’est à notre sens, une voie médiane et modérée afin d’éviter de tomber dans le piège d’une “invasion des barbares” qui, rappelons-le, peut rimer avec développement des métastases comme le révèle le fameux film de Denis Arcan.


Date de mise en ligne : 17/07/2015

https://doi.org/10.3917/strat.093.0683

Notes

  • [1]
    Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 1968, 6e éd., p. 17.
  • [2]
    Mark B. Salter, Barbarians and Civilization in International Relations, Londres, Pluto Press, 2002, pp. 24-27.
  • [3]
    Cette analyse comporte des points communs avec des recherches focalisées sur l’essentialisme culturel comme Iver B. Neumann, “Self and Other in International Relations”, European Journal of International Relations, 2, 2, 1996, pp. 139-174 et surtout Vilho Harle, European Values in International Relations, Londres & New York, Pinter Publishers, 1990.
  • [4]
    Jean-Louis Fournel, Isabelle Delpla, “Introduction”, Asterion, 2, juillet 2004. http://www.asterion.revues.org/document81.html (journée d’études organisée à l’École Normale Supérieure Lettres Sciences Humaines de Lyon : “Barbarisation et humanisation de la guerre”, 14 et 15 mars 2004).
  • [5]
    La conception des Barbares renvoie à une conscience ainsi qu’à une pratique imparfaite de cet universel. Hector Ricardo Lers, Eduardo Viola, “Les dilemmes de la mondialisation face au terrorisme islamiste”, dans Jean-François Mattéi, Denis Rosenfield (dir.), Civilisation et barbarie, Paris, PUF, 1992, pp. 241-274. Pour ces auteurs, le Barbare ne renvoie pas à une différence de nature puisque dans l’antiquité, les frontières étaient particulièrement poreuses et malléables.
  • [6]
    Samir Amin, L’Eurocentrisme. Critique d’une idéologie, Paris, Anthropos-Economica, 1988, p. 73.
  • [7]
    Dante, La Divine Comédie, Paris, Garnier, 1966, pp. 138-139.
  • [8]
    Alain de Libéra, “Une double amnésie nourrit le discours xénophobe”, Le Monde diplomatique, septembre 1993, p. 17.
  • [9]
    Jean Delumeau, La Peur en Occident, Paris, Fayard, 1978, pp. 270-271.
  • [10]
    L’interprétation de Bernard Lewis nous semble tout à fait pertinente dans Europe Islam. Actions réactions, trad. Paris, Gallimard, 1992, pp. 54-55.
  • [11]
    Voir en particulier Thierry Hentsch, L’Orient imaginaire. La vision politique occidentale de l’Est méditerranéen, Paris, Minuit, 1988.
  • [12]
    Le discours d’opposition envers le Barbare n’est pas frappé par une pérennité. Le rapport à l’Orient, notamment, ne repose pas entièrement sur la peur de populations inférieures en civilisation. L’admiration ou la fascination ainsi que l’idée de régression surgissent dans les représentations européennes. Voir Michael Hefferman, “Representing the Other : Europeans and the Oriental City”, Cahiers de l’Urbama, 24, 1993, pp. 80 et s.
  • [13]
    Les différents dictionnaires ou traités de stratégie n’accordent pas une entrée ou un chapitre particulier à cette catégorie. Voir Hervé Coutau-Bégarie, Traité de stratégie, Paris, Economica, 1999 ; François Géré, Dictionnaire de pensée stratégique, Paris, Larousse, 2000 ; Gérard Chaliand, Dictionnaire de stratégie militaire, Paris, Perrin, 1998 ; Jean Klein, Thierry de Montbrial (dir.), Dictionnaire de stratégie, Paris, PUF, 2000. Robert Steele est peut-être l’exception qui confirme la règle dans son article Robert Steele, “Les nations intelligentes : stratégie nationale et intelligence virtuelle”, Défense nationale, 40, 1996, pp. 161 et s. Il distingue les barbares à haute technologie et sans technologie dans l’action guerrière.
  • [14]
    Dario Battistella, Théories des relations internationales, Paris, Presses de Sciences Po, 2002, pp. 30 et s.
  • [15]
    Ibid., p. 30.
  • [16]
    Ibid.
  • [17]
    Ibid., p. 31.
  • [18]
    L’histoire de la discipline née dans le champ politologique anglo-saxon est ponctuée par une série de débats : le premier oppose dans l’entre-deux guerres les idéalistes pro-SDN aux premiers réalistes ; le deuxième est lié à l’essor du behaviorisme dans les années 1960 et tend à améliorer la méthodologie de recherche ; le troisième se sédimente dans les années 80 autour de trois paradigmes qualifiés d’incommensurables (les réalistes et néoréalistes ; les libéraux et les marxistes). Dario Battistella, op. cit., pp. 73-103.
  • [19]
    David Campbell, “Patterns of Dissent and the Celebration of Difference : Critical Social Theory and International Relations”, International Studies Quarterly, 34, 1990, pp. 269-293.
  • [20]
    Robert O. Keohane, “International Institutions : Two approaches”, dans International Institutions and State Power : Essay in International Relations Theory, Boulder, Westview Press, 1989, pp. 158-179. Cette dichotomie est à nouveau énoncée en 1998 dans International Organization par Keohane et deux autres internationalistes : Peter Katzenstein et Stephen Krasner.
  • [21]
    Keohane affirme ainsi que “L’institutionnalisme néolibéral partage d’importants engagements intellectuels avec le néoréalisme. Comme les néoréalistes, les institutionnalistes néolibéraux cherchent à expliquer les régularités comportementales en examinant la nature de la décentralisation du système international. Pas plus les néoréalistes que les institutionnalistes néolibéraux ne se contentent d’interpréter des textes. Les deux théories croient qu’il y a une réalité politique internationale qui peut être partiellement comprise, même si elle va toujours rester partiellement voilée”.
  • [22]
    Article “Réflectivisme” dans Alex Mac Leod, Evelyne Dufault, F. Guillaume Dufour, Relations internationales. Théories et concepts, Montréal, Athéna, 2002, p. 149.
  • [23]
    Pour une étude détaillée de ce quatrième débat, Ole Waever, “The Rise and Fall of the Inter-Paradigm Debate” dans Steve Smith, Ken Booth, Marysia Zalewski, eds., International Theory : Positivism and Beyond, Cambridge, Cambridge University Press, 1996, pp. 149-180.
  • [24]
    Jean-Jacques Roche, Théories des relations internationales, Paris, Montchrestien, 1999, pp. 25-31.
  • [25]
    Sur ce second point, voir en particulier Robert G. Gilpin, “The Richness of the Tradition of Political Realism”, dans Robert O. Keohane (ed.), Neorealism and its critics, Columbia, Columbia University Press, 1986, p. 304.
  • [26]
    Dario Battistella, op. cit., p. 156.
  • [27]
    Raymond Aron, “Qu’est-ce qu’une théorie des relations internationales ?”, Revue française de science politique, 17, 5, octobre 1967, pp. 837-861.
  • [28]
    Ibid., p. 859.
  • [29]
    Paris, Calmann-Lévy, 1984.
  • [30]
    Aron renvoie le lecteur à l’acception grecque, c’est-à-dire l’étrangeté (Ibid., p. 143).
  • [31]
    Ibid., p. 754. Aron fait référence à un ouvrage de Huizinga, Homo Ludens. Essai sur la fonction sociale du jeu, 1945.
  • [32]
    Mark Salter, op. cit., pp. 24-25. Salter s’appuie sur deux sources : “De systematicus civitatum” dans Hedley Bull, ed., Systems of States, Leicester, Leicester University Press, 1977, p. 34 et Martin Wight, International Theory : The Three Traditions, Leicester, Leicester University Press, 1991, pp. 57-63.
  • [33]
    Martin Wight, International Theory : The Three Traditions, op. cit., p. 50.
  • [34]
    Mark Salter, op. cit., p. 25. Il s’appuie sur Hedley Bull et Adam Watson (ed.), “Introduction”, The Expansion of International Society, Oxford, Clarendon Press, 1984, p. 6.
  • [35]
    Sur ce dernier aspect, voir Dario Battistella, op. cit., pp. 156-161.
  • [36]
    Martin Wight, op. Cit., pp. 82-83.
  • [37]
    Pour une description du débat entre ces deux postures, voir David Sanders, “International Relations : Neo-realism and Neo-liberalism”, dans Robert E. Goodin, Hans-Dieter Klingemann, A New Handbook of Political Science, Oxford, Oxford University Press, 1996, pp. 428-445.
  • [38]
    Charles-Philippe David, La Guerre et la paix. Approches contemporaines de la stratégie et de la sécurité, Paris, Presses de Sciences po, 2000, p. 40.
  • [39]
    Voir notamment, Robert O. Keohane, “International Liberalism Reconsidered”, dans John Dunn (ed.), The Economic Limits to Modern Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1992, pp. 165-194.
  • [40]
    Andrew Moravcsik, “Taking Preferences Seriously. A Liberal Theory of International Politics”, International Organization, 51, 4, Fall 1997, pp. 513-553.
  • [41]
    Dario Battistella, op. cit., p. 163.
  • [42]
    Voir en particulier deux références d’Alexander Wendt : “Anarchy is What States Make of It : The Social Construction of Power Politics”, International Organization, 46, n° 2, 1992, p. 391-425 ; “Collective Identity Formation and the International State”, American Political Science Review, 88, n° 2, 1994, p. 384-396.
  • [43]
    Alexander Wendt, Social Theory of International Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, p. 261.
  • [44]
    Ibid., p. 263.
  • [45]
    Alexander Wendt, “Why a World State is Inevitable”, European Journal of International Relations, 9, 4, 2003, pp. 491-542.
  • [46]
    La consultation de l’index de l’International Political Science Abstracts publié par l’Association internationale de Science politique est révélatrice. Aucune entrée n’est accordée au Barbare depuis la fin de la guerre froide.
  • [47]
    Sur les circonstances historiques en rapport avec l’histoire de la discipline, voir Fred Halliday, Rethinking International Relations, Londres, MacMillan Press, 1994.
  • [48]
    Lucien Poirier, La Crise des fondements, Paris, Economica, 1995, p. 177 et s.
  • [49]
    Ibid., p. 40.
  • [50]
    Thérèse Delpech, Politique du chaos. L’autre face de la mondialisation, Paris, Seuil, 2002, pp. 56-57
  • [51]
    Sur ces questions, voir notamment le numéro spécial de Raisons politiques (13, février 2004) consacré au retour de la guerre et en particulier les contributions de Stephen Launay (“quelques formes et raisons de la guerre”, p. 14 et s., pp. 21 et s.) et de Michel Fortmann et Jérémie Gomand (“L’obsolescence des guerres interétatiques ? Une relecture de John Mueller”, pp. 79-96).
  • [52]
    Ces approches se fondent sur une position métathéorique en rupture avec le néopositivisme de Popper. Très diverses, elles critiquent : l’existence d’un sujet connaissant non influencé par le contexte discursif qui forge sa façon d’analyser son objet, l’étanchéité des jugements de faits par rapport aux jugements de valeurs, le naturalisme qui identifie les objets sociaux à des objets naturels, la croyance en un progrès ou une émancipation liés au développement scientifique.
  • [53]
    Paris, Lattès, 1991.
  • [54]
    Ibid., p. 19.
  • [55]
    Ibid., p. 8.
  • [56]
    Ibid., p. 13.
  • [57]
    Des lignes de fracture surgissent le long du Rio Grande, de la Méditerranée et du fleuve Amour. Ibid., p. 160.
  • [58]
    Si Polybe apparaît bien comme un précurseur quant à la conceptualisation de l’empire, il exprime cependant des réserves relatives à l’efficacité des valeurs impériales. Voir Claude Nicolet (dir.), Rome et la conquête du monde méditerranéen, tome 2, Paris, PUF, 1978, p. 885.
  • [59]
    L. R. Whittaker, Les Frontières de l’empire romain, Paris, Les Belles Lettres, 1989, p. 16.
  • [60]
    Alain Touraine, “Créer un nouvel État-providence”, Le Monde, 30 mars 1994.
  • [61]
    Mark Salter, op. cit., p. 133.
  • [62]
    Ibid., p. 134.
  • [63]
    Ariel Colonomos, “L’éthique de la politique étrangère. Nous et les barbares ou sauver l’autre pour se sauver soi-même”, dans Frédéric Charillon (dir.), Politique étrangère. Nouveaux regards, Paris, Presses de Sciences Po, 2002, pp. 113-138.
  • [64]
    Ibid., pp. 122-123.
  • [65]
    Paris, 10/18, 2003.
  • [66]
    Ibid., p. 108.
  • [67]
    Ibid., p. 114.
  • [68]
    Pour la présentation du débat, voir les contributions d’Eric Dunning, Abram de Swaan et Patrick Bruneteaux, dans Yves Bonny (dir.), Norbert Elias et la théorie de la civilisation. Lectures et critiques, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2003.
  • [69]
    Robert A. Pape perçoit une logique stratégique derrière ce phénomène. Les terroristes visent à contraindre les démocraties libérales modernes à faire des concessions notamment territoriales et, qui plus est, ils associent leur pratique à une action payante puisqu’elle offre des gains (le départ des forces françaises et américaines au Liban, le renversement du régime sri lankais etc.). Voir son article “The Strategic Logic of Suicide Terrorism”, American Political Science Review, 97, 3, août 2003, pp. 343-361. On peut toutefois s’interroger sur la présence d’une logique stratégique similaire au sein du néo-fondamentalisme qui s’exprime à travers Al-Qaïda.
  • [70]
    Stanley Hoffmann, “Théorie et relations internationales”, Revue française de science politique, 11, 3, juin 1961, p. 418.
  • [71]
    Sur cette prise de position, voir Eric Dunning, “Civilisation, formation de l’État et premier développement du sport moderne”, dans Alain Garrigou, Bernard Lacroix (dir.), Norbert Elias. La politique et l’histoire, Paris, La découverte, 1997, p. 131.
  • [72]
    Dans la mesure où elle repose sur l’existence d’une base “indiscutable sur laquelle on peut fonder une interprétation ou une explication des choses”. Evelyne Dufault dans Alex MacLEod, Evelyne Dufault, Frédérick Guillaume Dufourt, op. cit., p. 183.
  • [73]
    Kjell Goldmann, “International Relations : An Overview”, dans Robert E. Goodin, Hans-Dietrer Klingemann, op. cit., p. 402.
  • [74]
    Robert O. Keohane, “International Relations : Old and New”, dans Robert E. Goodin, Hans-Dietrer Klingemann, op. cit., p. 473.
  • [75]
    Ces théories rejettent l’idée défendue par les fondationnalistes.
  • [76]
    Anthony Giddens, Les Conséquences de la modernité, Paris, L’Harmattan, 1996, p. 57.
  • [77]
    Ibid., p. 70.
  • [78]
    Ibid., pp. 133 et s.
  • [79]
    Olivier Roy, “Ben Laden et ses frères”, Politique internationale, 93, automne 2001, p. 67 et s.
  • [80]
    On pourrait même dire renationalisation du monde au profit de certains acteurs considérés comme cibles privilégiés des terroristes. La réaction américaine n’est pas sans influence sur les perceptions et le comportement de l’État israélien face à l’autorité palestinienne à la mi-décembre 2001.
  • [81]
    Ulrich Beck, World Risk Society, Londres, Polity Press, 1999, p. 3 et s.
  • [82]
    Gilles Breton, “Mondialisation et science politique : la fin d’un imaginaire théorique ?”, Études internationales, XXIV, 3, septembre 1993, p. 548.
  • [83]
    Jjell Goldmann, op. cit., p. 424.
  • [84]
    Substituant les figures du barbare et du bourgeois à celles du soldat et du diplomate sur l’actuelle scène internationale, ce dernier parle “d’embourgeoisement du barbare” ou de “barbarisation du bourgeois” : “le mafieux d’aujourd’hui est le business man de demain (…). Sous la pression d’actions terroristes à répétition, les démocraties pourraient se transformer en État policier”. Pierre Hassner, “Le Barbare et le Bourgeois”, Politique internationale, 84, été 1999, pp. 90-91. Sur ce point, voir également “Barbarians at the Gates : the Moral costs of Political Community” dans Igor Primoratz (ed.), Politics and Morality, New York, Palgrave Macmillan, 2007, pp. 185 et s.
  • [85]
    Alain Joxe, “Barbarisation et humanisation de la guerre”, dans Asterion, op. cit.
  • [86]
    L’image ne renvoie pas au locuteur mais bien à l’objet de la désignation.
  • [87]
    Une alliance suppose une relation de collaboration, une agrégation (potentielle) des forces militaires, une communauté d’intérêts stratégiques conçus en termes de menace, une conception de l’action collective comme supérieure à l’action individuelle. Michael D. Ward, Research Gaps in Alliance Dynamics, Monograph Series in World Affairs, Vol. 19, 1, University of Denver, 1982, p. 5.

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