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Article de revue

Les supplétifs ralliés dans les guerres irrégulières (Indochine – Algérie, 1945-1962)

Pages 371 à 397

Notes

  • [1]
    Colonel Némo, “L’organisation de la guérilla et des forces régulières”, Revue militaire générale, avril 1957, p. 528.
  • [2]
    SHD 10 H 3776, Circulaire n° 41-S/CAB/E/CIR du 21 novembre 1952.
  • [3]
    SHD 10 H 2575, Note de service n° 1271/FTVN/INSP/FS du 7 novembre 1953.
  • [4]
    SHD 10 H 3525, Etat des soldes des ralliés du commando SR du sous-secteur Sud de Tourane.
  • [5]
    SHD 10 H 3525, Bordereau d’envoi n° 419/HC du 25 juin 1952.
  • [6]
    SHD 10 H 3525, Fiche sur un interrogatoire de rallié, 8 mai 1952.
  • [7]
    TD : Trung Doan, régiment vietminh.
  • [8]
    SHD 1 H 2581, Directive particulière concernant les redditions et ralliements du 15 mars 1957.
  • [9]
    Idem
  • [10]
    SHD 10 H 3776, Fiche à l’attention de M le conseiller aux affaires politiques du haut commissaire, 31 mai 1951.
  • [11]
    SHD 10 H 5476, Note de service n° 93/2.3.FS du 3 janvier 1950.
  • [12]
    SHD 10 H 5476, Note de service n° 93/2.3.FS du 3 janvier 1950.
  • [13]
    SHD 10 H 3776, Lettre n° 1112/C3.S du 17 septembre 1951.
  • [14]
    SDH 10 H 3525, Fiche d’interrogatoire, Le Trung Tuyen, non datée.
  • [15]
    SHD 7 U 812, Fiche de document n° 968/2 du 25 janvier 1954.
  • [16]
    SHD 1 H 2467 d6, Directive particulière concernant les ralliements, 3° bureau, document non daté, non signé.
  • [17]
    SHD 1 H 2581, Note de service n° 5284/EM.10/2-RIDO du 6 décembre 1956.
  • [18]
    Bernard Moinet, Vanden, le commando des tigres noirs, Paris, France-Empire, p. 137.
  • [19]
    Donnez moi 100 Vandenberghe et l’Indochine est sauvée” se serait exclamé le général de Lattre de Tassigny, alors commandant en chef des forces françaises en Extrême-Orient.
  • [20]
    Le colonel Vy, après avoir servi au sein des commandos 24 et 33 en tant que sergent-chef, rejoignit la mission militaire française prés de l’armée vietnamienne de Saïgon et fut intégré au sein de cette armée le 21 septembre 1952 avec le grade de sous-lieutenant. Capitaine en 1955, il suit différents stages en France. En 1972, il est colonel et commande en second une division d’infanterie. Après la défaite du 30 avril 1975, il fuit le Viet-nam sur une embarcation de fortune et arrive aux États-Unis en mai de la même année. En octobre 1975, il rejoint la France et réintègre, le 26 février 1976, l’armée française, au 1er régiment étranger. Promu lieutenant-colonel en février 1981, il rejoint le SHAT comme commandant en second et quitte le service actif en 1986.
  • [21]
    Lieutenant-colonel Carré, “Moi sergent-chef Vy, adjoint et ami de Vandenberghe”, Revue historique des armées, février 1986, pp. 91-99.
  • [22]
    Idem, p. 92.
  • [23]
    Hugues Tertrais, Atlas des guerres d’Indochine 1940-1990, éditions Autrement, 2004, p. 6.
  • [24]
    Lieutenant-colonel Carré, art. cit., p. 95.
  • [25]
    Idem, p. 96.
  • [26]
    Lors de cet entretien, le colonel Vy refuse d’émettre un avis sur la personnalité de l’adjudant-chef Vandenberghe. Il cite les propos tenus par le capitaine Barral, leur commandant de compagnie au 6e RIC, en 1948 : “Roger Vandenberghe était un homme sans culture, sachant à peine lire et écrire, à qui il fallait des circonstances assez extraordinaires pour révéler ses talents. Ceux qui l’ont connu ne se sont jamais expliqué comment ce garçon lourdaud et taciturne pouvait soudainement devenir subtil et exubérant dès qu’il sentait approcher la bataille. Un pouvoir mystérieux le saisissait. On disait de lui qu’il devinait sans comprendre.
    Son ascension ne s’est pas faite sans un dur apprentissage qu’il s’est volontairement imposé pour parfaire ses connaissances techniques. Son insertion dans l’environnement “partisan-supplétifa été en revanche immédiatement acquise. Dans le cadre d’une unité régulière, aussi longtemps qu’il a été commandé et contrôlé, Vandenberghe est resté le sous-officier modèle, discipliné et hardi. Mais plus tard, à la suite de ses succès, il a été acculé à un chemin sans retour par une publicité tapageuse, des encouragements malheureux, et des complaisances contraires aux traditions de l’armée”.
  • [27]
    Lieutenant-colonel Carré, art. cit., p. 97.
  • [28]
    SHD 10 H 3776, Lettre n° 47/JV-ED/720 du 22 mars 1951.
  • [29]
    SHD 10 H 3776, Fiche n° 2022/IFS/4 du 23 mai 1951.
  • [30]
    SHD 10 H 3776, Lettre n° 1835/SPDN du 30 mai 1951.
  • [31]
    SHD 1 H 2581, Fiche n° 208/RM10/6/SC du 10 mars 1958.
  • [32]
    SHD 1 H 2581, Note de service n° 803/DO/BP du 15 novembre 1956.
  • [33]
    SHD 1 H 2581, Fiche du bureau psychologique du 21 mars 1957.
  • [34]
    SHD 1 H 2581, Note de service n° 404/EM10/PSY/GP du 15 mai 1957.
  • [35]
    SHD 1 H 2581, Note de service n° 2688/CAC/SY du 12 septembre 1957.
  • [36]
    SHD 1 H 2581, Lettre n° 066/EM10/5/GP du 10 janvier 1958.
  • [37]
    Idem.
  • [38]
    Raoul Gaget, Commando Georges, Paris, Granchet, 2000, p. 15.
  • [39]
    Raoul Gaget, op. cit., p. 51.
  • [40]
    SHD 1 H 1301 d1, Note de service n° 598/RM.10/3.OPE du 29 mars 1956.
  • [41]
    Guy Pervillé, Cécile Marin, Atlas de la guerre d’Algérie, de la conquête à l’indépendance, Paris, Éditions Autrement, 2003, p. 31.
  • [42]
    Raoul Gaget, op. cit., p. 71.
  • [43]
    Raoul Gaget, op. cit., p. 124.
  • [44]
    Archives privées.
  • [45]
    Raoul Gaget, op. cit., pp. 111-112.
  • [46]
    SHD 1 H 1924 d1, Note de service n° 248/CAA/3.INS du 22 janvier 1962.
  • [47]
    SHD 1 H 1260 d1, Note de service n° 926/CSFA/EMI/I/EFF du 12 mars 1962.
  • [48]
    SHD 1 H 1260 d1, Note n° 1144/CM du 5 avril 1962.
  • [49]
    Le MNA est crée par Messali Hadj en 1954, peu après les attentats de la Toussaint. Le FLN, créé par Ahmed Ben Bella, au Caire en novembre 1954, s’oppose au MNA, qu’il juge trop modéré. Les deux mouvements indépendantistes vont se lancer dans une concurrence sanglante pour gagner le soutien des travailleurs algériens en métropole mais aussi en Algérie. Plusieurs milliers d’hommes et de femmes auraient péri lors de ces combats.
  • [50]
    Cité par Alistair Horne, Histoire de la guerre d’Algérie, Paris, Albin Michel, 1991, p. 230.
  • [51]
    Général Jacquin, “Bellounis : un boomerang”, Historia Magazine n° 238, aout 1972, pp. 1329-1334. Cité par Chems Ed Din, L’Affaire Bellounis, histoire d’un général fellagha, Éditions de l’aube, 1998, p. 105.
  • [52]
    Cité par Chems Ed Din, op. cit., p. 35. Les fautes d’orthographe et de style ont été conservées.
  • [53]
    Cité par Chems Ed Din, op. cit., p. 267
  • [54]
    Guy Pervillé, Cécile Marin, op. cit., p. 25.
  • [55]
    Si Chérif est alors âgé de 32 ans. Il avait passé onze ans dans l’armée française dont deux séjours en Indochine. Il avait été capturé par le FLN dans une embuscade alors qu’il servait dans les spahis. Après avoir été employé comme coolie, il avait rejoint les rangs de la rébellion et était devenu chef de la Wilaya 6 dont le noyau était formé de Kabyles.
  • [56]
    SHD 1 H 1707 d1, Fiche du 2e bureau du 15 juillet 1958
  • [57]
    SHD 1 H 1707 d1, Instruction personnelle et secrète n° 1046/TS du 23 juillet 1957 relative à la coopération de Si chérif à la lutte contre la FLN
  • [58]
    SHD 1 H 1707 d1, Fiche du 2e bureau sur les contre-maquis, 2 août 1957.
  • [59]
    SHD 1 H 1707 d1, Fiche du 2e bureau du 15 juillet 1958.
  • [60]
    SHD 1 H 1707, Annexe à la lettre n° 885/ZSA/1 en date du 11 mai 1958.
  • [61]
    SHD 1 H 1707, Lettre n° 885/ZSA/1 en date du 11 mai 1958.
  • [62]
    SHD 1 H 1707, Fiche n° 7618/EM/10/2/RIDO du 28/12/1957
  • [63]
    SHD 7 U 786 d11, Statut et organisation des FAFM, pièce n° 4.
  • [64]
    SHD 7 U 786 d11, Statut et organisation des FAFM, pièce n° 4.
  • [65]
    SHD 7 U 786 d11, Statut et organisation des FAFM, annexe 3 à la lettre n° 2585/ZSA/I/FA.IS du 11 septembre 1959.
  • [66]
    SHD 7 U 786 d11, Lettre n° 1199/3 du 5 juillet 1961.
  • [67]
    SHD 1 H 1707, Note n° 60/TS/SNA/Cab du 29 juin 1961
  • [68]
    SHD 1 H 1320 d1, Lettre n° 1852/CSFA/EMI/3 OP/E du 24 mais 1962.

1L’aspect sociologique des guerres irrégulières constitue le cœur du problème pour une armée régulière, d’abord organisée et entraînée pour mener un combat conventionnel, des opérations militaires classiques. Remporter une guerre irrégulière ne se réduit pas à l’utilisation massive du feu, à l’exploitation d’une supériorité technologique et logistique. Bien au contraire, la dimension sociale, à travers le contrôle des populations, la propagande, l’action psychologique revêt une importance capitale. La prise en considération de cette dimension sociale implique le déploiement d’effectifs nombreux, pour contrôler le terrain et limiter la liberté d’action des rebelles, et l’emploi de forces autochtones pour toucher et s’attacher la population locale. Les troupes supplétives, unités autochtones encadrées par quelques cadres français peuvent alors apporter une aide extrêmement précieuse. Cette aide peut être temporaire, elle n’en est pas moins appréciable. Le colonel Némo le souligne lorsqu’il écrit qu’en situation de contre-guérilla, “il serait souhaitable que les unités régulières s’adjoignent provisoirement des unités irrégulières, pour remplir certaines missions qui nécessitent une connaissance approfondie du milieu et du terrain. Ces unités sont connues sous le nom de forces supplétives. On en a souvent fait un usage abusif, en leur demandant d’être de véritables unités régulières, ou de remplacer les forces territoriales d’infrastructure inexistantes, ou mal organisées” [1].

2Parmi ces forces supplétives, en Indochine et en Algérie, les supplétifs ralliés, ayant choisi de quitter les unités rebelles pour rejoindre les forces françaises, se distinguèrent par leur efficacité dans les combats de contre-guérilla. Cependant, leur recrutement présentait de réelles difficultés et dangers, qui coûtèrent la vie à de nombreux soldats français.

Le recrutement des ralliés

3En Indochine, en 1952, est déclaré “rallié”, “tout individu qui, venant avec ou sans arme de la zone rebelle, et ayant appartenu soit à une unité régulière, régionale ou milice rebelles, soit à un organisme politico-administratif VM quelconque, déclare donner son adhésion à la cause du gouvernement national du Viet-nam” [2]. Le rallié est interrogé par les services de police ou de renseignement, puis mis à disposition de l’autorité militaire pour un complément d’information. Les deux interrogatoires sont recoupés pour déterminer la fiabilité du ralliement. L’expérience semble montrer qu’un faux rallié ne fait jamais sa soumission dans sa province d’origine ou de domicile et qu’il apporte presque toujours soit une arme, soit un document, qui peut paraitre intéressant au premier abord. Chaque province doit disposer d’un camp pouvant accueillir les ralliés pendant un ou deux mois afin d’assurer sa protection et de le surveiller jusqu’à réception des renseignements demandés à sa province d’origine ou de domicile. Si aucune information n’est obtenue, en fonction du déroulement des interrogatoires et du comportement du rallié, le rallié sera dirigé vers sa province d’origine, muni d’un laissez-passer provisoire, ou maintenu dans le camp. Si les renseignements donnés par le rallié présentent un intérêt certain, ce dernier peut participer à leur exploitation. Si celle-ci donne des résultats satisfaisants et si le rallié manifeste un réel désir de servir dans les rangs franco-vietnamiens, ce dernier pourra participer, sans armes, à des opérations de plus en plus importantes. Il ne pourra être intégré dans les forces supplétives qu’après un stage probatoire d’une durée minimum de quatre mois. De plus, comme le préciser une note de l’inspection des forces supplétives du Nord Viet-nam, tout rallié VM candidat à un engagement dans les forces supplétives doit être soumis, obligatoirement, préalablement, à une enquête de la Sécurité militaire. “Tout les candidats ayant un avis défavorable ou signalés comme douteux devront être impitoyablement éliminés” [3].

4Sur l’ensemble du théâtre d’opérations, les sections de renseignements, “SR”, sont composées en majorité de ces anciens rebelles ralliés. Dans le sous-secteur Sud de Tourane, l’officier de renseignement disposait d’une section de renseignement, dont l’effectif soldé varia de 14 à 24 ralliés entre août et novembre 1953 [4]. Dans le centre du Viet-nam, dans la province de Quang-Nam, 1129 membres du Vietminh se sont ralliés entre le 1er décembre 1951 et le 15 juin 1952 [5]. Plus généralement, les fiches d’interrogatoires montrent que les raisons des ralliements individuels sont diverses : volonté de rejoindre les familles, sentiment d’injustice ou désir de quitter les forces rebelles. Ainsi, le rallié Hoang Van Ba, âgé de 25 ans, décide-t-il de quitter les rebelles parce qu’il est “las du régime VM, a été l’objet de surveillance. Veut rejoindre la zone contrôlée” [6]. Cet homme donnera de nombreux renseignements sur son unité, le TD [7] 108, tous seront recoupés par le 2e bureau, comme l’atteste la fiche de renseignement établie à l’occasion de son ralliement.

5En Algérie, dans une directive du 12 avril 1957, signée par le général Salan, alors commandant supérieur interarmées, il est précisé que le ralliement “consiste pour un individu ou une communauté, à abandonner son attitude d’expectative, de complicité ou d’hostilité pour apporter son concours à l’instauration et au maintien de la paix française”. La communauté ou les individus “réintégrés” doivent fournir des preuves de bonne foi indiscutables, tels que “remise des armes fournies par les rebelles, des renseignements exploitables” [8]. L’attention des responsables militaires et civils français est appelée sur la probable subsistance d’une infrastructure rebelle au sein de communautés ralliées. Les ralliements sont parfois conduits via la recherche de contacts locaux. Le bureau psychologique cherche à exploiter les avantages tactiques remportés par les troupes françaises sur le terrain en amorçant la reddition des petits chefs locaux et de leurs hommes. Les contacts avec certains rebelles sont même encouragés, mais doivent être rapportés au commandement. Le bureau psychologique rappelle que “en pays musulman, la perception de l’impôt est le signe le plus net de l’autorité rétablie. Il ne saurait être question de faire payer l’impôt des années passées mais un impôt, même léger, prendra toute sa valeur symbolique. La communauté ralliée doit comprendre qu’elle est mise un temps à l’épreuve” [9].

Des ralliements collectifs ou individuels

6Les rebelles qui se rallient collectivement sont peu à peu assimilés à des supplétifs de l’armée française, avec leur encadrement. “Cette façon d’agir n’a donné lieu à aucune remarque et les déboires que nous avons pu connaître dans ce domaine étaient dus au tempérament même de certaines de ces collectivités ralliées plutôt qu’à la façon dont elles étaient traitées” [10]. Parfois des villages entiers se rallient aux autorités françaises, comme le montre le ralliement de plusieurs centaines de personnes dans le secteur d’An Binh, au Sud-Viet-nam, en janvier 1950. La population ralliée est alors rassemblée dans un village dont la défense sera assurée par un poste de partisans. Les forces françaises doivent dès lors assurer la protection de ces ralliés. Le colonel de Crèvecœur, commandant de zone, souligne d’ailleurs que la “défense absolument sûre du village est capitale dès maintenant vis-à-vis des rebelles” [11]. Un commando de supplétifs est créé, le commando 17, commandé par un lieutenant français, assisté de trois sous-officiers, fort de 60 partisans, dont certains sont recrutés parmi les ralliés.

7Les ralliements individuels présentent une problématique différente. Certains, après avoir déposé leurs armes et perçu la somme correspondante à son rachat, rejoignent leur famille. D’autres demandent à rester dans les rangs franco-vietnamiens et sont alors utilisés comme agents de renseignements ou comme combattants. “Dans tous les cas, ils sont l’objet d’une surveillance discrète mais sérieuse et ce n’est pas sans précautions ni temps d’épreuves qu’ils sont enrôlés” [12]. En septembre 1951, l’officier des forces supplétives de Cai Bé, dans le secteur de Mytho, en zone Centre-Conchinchine, est ainsi en contact avec un chef de section rebelle, nationaliste anti-communiste, en fonction depuis 1947. Cet officier rebelle souhaitait se rallier avec la moitié des 52 hommes composant sa section et avec tout l’armement (1 PA, 1 PM, 2 FM, 28 fusils). L’accord passé avec ce chef rebelle stipule que “les ralliés ne seront pas désarmés, ils seront utilisés dans le cadre des forces supplétives, ils toucheront une prime de ralliement” [13].

Des problèmes de sécurité

8Les ralliements posent cependant des problèmes récurrents de sécurité liés aux tentatives de noyautage ou de subversion. Une fiche d’interrogatoire, rédigée à l’occasion de l’arrestation d’un faux rallié dénommé Le Trung Tuyen, engagé en mai 1947 comme partisan sous une fausse identité, montre que ce rebelle avait pour mission de simuler un ralliement en vue de servir dans un poste isolé. Il précise lors de son interrogatoire que “les ralliés devaient faire des croquis des postes à remettre aux agents du “commerce extérieurqui les remettaient au commandement VM. Cette décision est importante car les croquis des emplacements des troupes franco-vietnamiennes facilitent le VM dans le déclenchement des activités au cours de la campagne d’été de mai à juillet 1951” [14].

9Le danger du “faux ralliement” existe et est même organisé par les rebelles. Un document détaille les consignes données, leprogramme pour la formation des camarades faux ralliés” [15]. Le Vietminh donnait une instruction complète à certains de ses éléments, dont la mission était de simuler un ralliement pour infiltrer des unités ou des organisations françaises ou vietnamiennes. Les instructeurs Vietminh expliquent, par exemple, comment présenter des “motifs déguisés : famille pauvre, maladies, manque d’endurance”. Les familles de ces agents ennemis jouent alors le rôle de relais pour la transmission des renseignements. Les faux ralliés causeront des dommages irrémédiables à de nombreuses unités, comme le montreront l’exemple des commandos Vandenberghe et Rusconi.

10En Algérie, les autorités françaises, soucieuses de contrôler les rebelles rejoignant les rangs d’unités supplétives, définissent des conditions drastiques pour contrôler les ralliés : une directive du 3è bureau précise que “le ralliement doit être l’acte volontaire d’un groupe de rebelles ou d’un de ses membres qui ne veulent plus vivre hors de la loi française”, il doit “s’accompagner d’un témoignage non équivoque de sincérité : remise d’une arme, fourniture de renseignements exploitables” [16]. En contrepartie, les forces françaises s’engageaient à assurer la sécurité et la réinsertion de l’ancien rebelle dans la vie sociale. Aucune poursuite n’était engagée pour fait de rébellion, la réintégration dans la vie sociale pouvait se faire “par engagement dans les forces de l’ordre ou par retour pur et simple au foyer avec la possibilité de travailler ou d’apprendre un métier”. La liberté était laissée au rallié “de rejoindre la rébellion si son ralliement est refusé”. Cependant, cette apparente bienveillance mérite d’être tempérée. Une note de service du 2e bureau, du 6 décembre 1956 et signée par le général Salan, souligne que le “refus de reddition ne doit concerner que les cas impardonnables, c’est dans un sens très ferme que la désertion doit être interprétée comme une circonstance aggravante. La même attitude de fermeté doit être tenue vis-à-vis des rebelles reconnus coupables de sabotages graves ou d’assassinats perpétrés dans des conditions particulièrement odieuses” [17].

Des hommes rompus à la contre-guérilla

11Ces hommes, maîtrisant l’ensemble des savoir-faire ennemis, étaient particulièrement efficaces, capables de s’infiltrer derrière les lignes adverses et d’y mener des actions de contre-guérilla extrêmement difficiles ou des opérations de renseignements. Le Vietminh développant les unités à faible effectif, moins facilement décelables et repérables, certains cadres français décidèrent de mettre sur pied des unités en tous points semblables. Le commando de ralliés le plus célèbre fut sans doute celui de l’adjudant-chef Vandenberghe. Le point de départ de ce commando est une unité de supplétifs, dans la région de Ha Dong, au sud de Hanoï. Les supplétifs de cette compagnie, rattachée au 6e RIC, sont chargés des missions de reconnaissance, de patrouilles de nuit, de protection éloignée des postes et de la recherche du renseignement. En 1948, le commandant de compagnie, le capitaine Barral, décide d’exploiter la mobilité, la parfaite connaissance du terrain, de la population et de l’ennemi. Le caporal Vandenberghe devient ainsi chef d’un groupe de quinze partisans. Ce groupe devient rapidement une section, dont le chef décide d’adopter les modes d’action de son ennemi, y compris les tenues noires. Cette section, maitrisant parfaitement le milieu, s’infiltre au milieu des unités Vietminh pour y semer la confusion. “Noyée dans le dispositif adverse, elle demeure insaisissable” [18]. Lorsqu’elle n’est pas en opération, cette section stationne au milieu de la population, les supplétifs ayant été recrutés parmi la population locale. Ces supplétifs sont équipés de FM 24-29, de MAS 36, d’un mortier de 2 pouces et de grenades. En terme d’entraînement, chaque partisan devient polyvalent, capable d’utiliser des armes différentes. En 1949, dans le cadre de la réorganisation des unités de supplétifs, les sections opérationnelles deviennent des commandos, la section Vandenberghe devient le commando 11. Des hommes sont recrutés parmi les prisonniers internés militaires (PIM). Ce type de recrutement permet de disposer de renseignements tactiques de qualité sur les unités rebelles. Ainsi, en janvier 1951, le commando Vandenberghe va lancer une attaque audacieuse au milieu d’une zone de repos d’unités régulières sur la base de renseignements récoltés auprès de trois anciens membres du régiment Vietminh 109. À cette occasion, la section Vandenberghe est dissoute et est immédiatement remplacée par le commando 24, commandé par le même chef, fort de 300 hommes. Le 6 janvier 1952, après avoir remporté des succès éclatants, et être devenu un symbole pour de nombreux soldats français [19], l’adjudant-chef Vandenberghe est tué par un des anciens Vietminh qu’il avait lui-même choisi et enrôlé dans son commando. Les archives spécifiques sur ce commando sont très rares et se limitent à des récits écrits a posteriori, sur ce sous-officier qui fut l’une des figures de la guerre d’Indochine. Des témoignages existent, dont celui de l’ancien adjoint de Vandenberghe, le colonel Tran Dinh Vy [20], alors sergent-chef, paru en février 1986 dans la Revue Historique des Armées[21]. Ce témoignage est d’autant plus intéressant qu’il émane d’un Vietnamien ayant fait le choix de rejoindre les partisans servant au sein de l’armée française le 1er mars 1947 avant d’être intégré dans une unité de supplétifs et de devenir l’adjoint de Vandenberghe en 1950. Il servit donc au sein du commando 24 jusqu’à la mort de son chef, puis rejoignit le commando 33, ou commando Rusconi, dont le chef devait mourir assassiné. Le colonel Vy explique dans cet entretien que les partisans, au début de la guerre d’Indochine, n’étaient “à l’origine que de simples troupes supplétives, ou en tout cas considérées comme telles, cantonnées dans un rôle d’appoint. Le statut de partisans était pour le moins flou et évolutif, soumis aux décisions discrétionnaires des autorités françaises (…). Intégré sans l’être dans l’armée française, ce corps était constitué d’enfants du pays dont un certain nombre de prisonniers « retournés », ce qui expliquait une certaine méfiance de l’état-major à leur égard” [22]. En janvier 1951, la section Vandenberghe est affectée à Nam Dinh, au Sud du Tonkin, elle devient la 11e compagnie légère de supplétifs, avant de prendre le nom de commando 24.

Nam Dinh (Tonkin)[23]

figure im1

Nam Dinh (Tonkin)[23]

12Le colonel Gambiez, commandant la zone Sud du Tonkin, avait décidé de disposer en périphérie du delta du Tonkin un “chapelet” de 120 commandos, issus des compagnies légères supplétives, chargés de renseigner et de harceler l’ennemi. Le commando 24, désormais du volume de la compagnie, dut adapter ses savoir-faire et notamment la recherche de renseignement. Le colonel Vy précise ainsi que “pour faciliter nos missions, nous dûmes accumuler les renseignements. Nous avons dû apprendre à nous déguiser comme eux, soit en tenue noire, soit en tenue verte avec un casque en latanier ou en liège recouvert d’un carré de tissu ou de nylon, avec le même gilet matelassé et piqué de kapok et les mêmes sandales locales fabriquées avec des pneus usés” [24]. De même, son rôle d’adjoint lui imposait de négocier les ralliements, de les provoquer. “Il fallait garder le contact avec les anciens du commando qui « sentaient » les nouveaux recrutés” [25]. Concernant la personnalité de l’adjudant-chef Vandenberghe, il note que celui-ci avait de rares qualités de mimétisme et d’adaptation, un sens tactique au combat remarquable [26]. “Enfin et surtout, il fut victime de l’ambiance créée autour de lui (…). Roger n’a pas su résister à ceux qui l’ont poussé à accroître ses effectifs” [27]. Le chef du commando ne se méfie plus des trop nombreux ralliés, anciens prisonniers, qui constituent en 1951 le gros de son unité. La méthode de recrutement était particulière : dans un camp de PIM, il faisait sortir les grands puis il départageait ceux-ci en fonction des commandements qu’ils avaient exercés au sein des unités rebelles. Il les intégrait ensuite comme voltigeur dans le commando et leur donnait progressivement des responsabilités. L’homme qui le trahit occupait ainsi des fonctions de chef de section au moment de la mort du chef du commando de ralliés.

Mener une action politique et psychologique

13À l’activité opérationnelle des troupes, le commandement souhaitait associer une action politique vigoureuse orientée vers la population et les rebelles. Les causes des ralliements étaient diverses, de l’action personnelle des membres de familles influentes, de l’action énergique des forces du maintien de l’ordre à la lassitude des populations devant les exactions rebelles.

14En Indochine, les autorités militaires cherchèrent à exploiter ces ralliements en menant des opérations d’action psychologique, notamment par la radiodiffusion de déclarations de rebelles récemment ralliés. Ces témoignages devaient éclairer les auditeurs sur les conditions de vie en zone rebelle et sous le régime communiste. Radio France Asie fut ainsi sollicitée par le général Chanson, le 14 mars 1951 pour produire des émissions mettant en scène des ralliés. Le 22 mars 1951, M. Varnoux, directeur de Radio France Asie, donna son accord [28]. L’inspection des forces supplétives fut chargée de gérer les ralliés et les dépenses afférentes via des “crédits ralliés”. Une fiche rédigée à ce sujet, en mai 1951, permet d’observer que, pour le Sud-Vietnam, le volume de ralliés, engagés comme supplétifs, était supérieur à 1 000 hommes (1 178 hommes de troupe, 110 caporaux, 83 sous-officiers, 31 officiers) [29]. Afin d’alléger le coût de ces groupements de ralliés, ordre est donner de transférer les volontaires vers l’armée vietnamienne. Cependant, il est rapidement envisagé de trouver les crédits nécessaires pour que ces groupements soient intégrés comme supplétifs de l’armée français au cas où leur intégration dans l’armée vietnamienne viendrait à poser problème [30].

15Des camps d’internés militaires sont créés, en Algérie, en 1958, pour rassembler les rebelles capturés les armes à la main. Le but de ces camps était d’attaquer le moral des combattants du FLN, de faciliter la récupération des militaires français prisonniers du FLN. Les rebelles fait prisonniers “constituent une ressource précieuse de harkis de qualité” [31]. L’objectif est de “diminuer le mordant des bandes rebelles en laissant espérer aux combattants susceptibles de se rendre un traitement relativement libéral, et non l’extermination ou la condamnation à mort automatique qui leur sont présentés comme la règle”. Dans cette perspective, les prisonniers pourront être ventilés dans les régions où résident leur famille ou sur celles qui éprouvent des problèmes de recrutement de harkis de qualité.

16Dès novembre 1956, le bureau psychologique de l’état-major de la 10e région militaire énonce des règles relatives aux ralliements. Les commandants de zone opérationnelle reçoivent l’autorisation de diffusion de tract, de ralliement. Ces tracts ne doivent pas être de portée générale, mais doivent permettre de “tirer immédiatement profit d’un fait ou de circonstances essentiellement locaux, et d’une diffusion réduite à la zone où un tel tract est susceptible de donner des résultats” [32]. En 1957, ce même bureau définit une campagne de ralliement articulée d’actions conduites par le bureau psychologique régional. Des tracts et sauf-conduits sont produits pour les rebelles, des tracts sont plus particulièrement destinés aux populations civiles féminines et masculines. Des émissions radio sont organisées avec le témoignage d’un “lieutenant” prisonnier, d’un commissaire politique rallié. De plus, “l’action doit se traduire, dans le bled, par des réunions publiques, et des commentaires à la population. La population et les familles sont invitées à agir sur les rebelles. Les tracts et les conditions de ralliement doivent être affichées et commentées partout” [33]. Une exploitation psychologique des ralliements est organisée. Les officiers d’action psychologique sont autorisés, en 1957, à conserver quelque temps à leur disposition des rebelles ralliés à des fins de propagande. Ces officiers sont notamment chargés de recueillir une déclaration de l’intéressé, si possible sur bande magnétique. Le rallié devra préciser “les raisons de son ralliement (certitude de l’échec de la rébellion, connaissance du tract sauf-conduit, auditions de déclarations déjà diffusées,…), tous points conférant le caractère d’authenticité indiscutable (précisions géographiques, appels nominatifs aux amis demeurés dans les rangs rebelles,…), tous arguments susceptibles de convaincre les hésitants” [34]. Les rebelles ralliés participent à des séances de propagande près des populations. Des tournées de propagande locales sont organisées dans la région où l’ex-rebelle avait ses activités. Comme le montre une note de service précisant les modalités d’exploitation des ralliements, “sa présence physique constitue un témoignage concret de la façon dont il a été traité. Le témoignage visuel sera accompagné de déclarations orientées faites à la voix ou au micro d’un public-adress et que la rumeur publique diffusera largement. Ces déclarations seront d’autant plus valables que les intéressés se sentiront plus rassurés en ce qui concerne leur sauvegarde et leur protection” [35].

17Le commandement français est par ailleurs conscient de la peur qu’éprouvent certains rebelles à rallier les troupes françaises. Une lettre du 10 janvier 1958 du général Salan explique que les “hors-la-loi venant de Tunisie, craignant d’être fusillés dans le cas où ils seraient capturés par nos unités, préféreraient le plus souvent combattre jusqu’à la mort” [36]. Aussi, le commandant supérieur interarmées décide de faire relâcher, après simple interrogatoire d’identité, les jeunes prisonniers de moins de 20 ans qui seraient capturés près des frontières tunisiennes ou marocaines. “Leur retour prouvera à tous leurs camarades que nous n’exécutons pas les prisonniers et diminuera la volonté de combattre de ceux-ci” [37].

Transformer un prisonnier en harki, l’exemple du commando Georges

18En Algérie, la transformation d’un prisonnier FLN en harki répond à des exigences précises. Le commandement doit tenir compte du moral des autochtones qui servent depuis longtemps dans les unités de l’armée française et de la population, qui peut avoir subi la violence des rebelles. De plus, un rallié peut déserter après quelques mois. Une procédure est donc mise en place, un prisonnier est obligatoirement envoyé dans un centre militaire d’internés. Des certificats provisoires de ralliement sont établis au niveau des sous-secteurs, des dossiers de ralliement définitif sont ensuite adressés au général commandant le corps d’armée. Une enquête préalable à un engagement dans une harka est obligatoirement conduite par les services de renseignement du corps d’armée.

19L’une des plus célèbres unités de ralliés en Algérie fut peut-être le commando Georges, créé par le capitaine Georges Grillot dans la région de Saïda en 1958, sous les ordres du colonel Bigeard, commandant de secteur. Cet exemple illustre l’organisation et le fonctionnement que pouvait avoir un commando de supplétif chargé de lutter contre des bandes de guérilleros. Ce commando, par ses structures, épousait parfaitement les particularismes des guerres irrégulières, alliant souplesse d’emploi, connaissance du milieu et des populations, action politique et psychologique. La devise du commando parle d’elle-même : “Chasser la misère”. Le capitaine Grillot avait, après son expérience indochinoise, compris l’importance de la population dans la conduite d’une guerre de contre-guérilla. Dès 1947, alors jeune sergent, il commandait une section de partisans dans le delta tonkinois. Ces hommes semblent l’avoir rejoint pour fuir “les inévitables erreurs et les injustices des guerres révolutionnaires” [38]. Cherchant à comprendre et à obtenir des renseignements sur le système Vietminh, il obtient le ralliement d’un commissaire politique, capturé par ses hommes. Cet homme rejoint l’unité de supplétifs et parvient à renseigner discrètement et à identifier les hommes du Vietminh sans se dévoiler. Le sergent Grillot peut définir l’organigramme des rebelles dans sa zone et découvre les modes d’action développés et employés par ses adversaires. La réussite est totale, cette section devient l’unité de renseignement de la zone opérationnelle.

20En 1955, il rejoint l’Algérie. En 1959, ce sera le secteur de Saïda pour servir sous les ordres du colonel Bigeard, lequel déclare lors de sa prise de fonction : “Ce qu’il faut ! C’est gagner la population, lui donner du travail, l’occuper, l’éduquer et enlever à l’adversaire les arguments valables sur le plan économique et social qui servent à son action psychologique” [39]. Le colonel Bigeard décide de réorganiser les troupes du secteur et de donner la priorité au renseignement et au retournement des prisonniers détenus au centre de transit de Saïda. La création de ce commando de chasse obtient l’accord du général de corps d’armée Allard, commandant la 10e région militaire et les forces terrestres en Algérie. Dans une note de service du 29 mars 1959, il est précisé que le commandement “approuve et encourage l’expérience de formation d’un commando de chasse musulman tentée par le colonel Bigeard, commandant le secteur de Saïda” [40]. Le colonel Bigeard est notamment autorisé à dépasser le pourcentage de gradés musulmans normalement accordés pour les harkas, le général commandant le corps d’armée d’Oran est habilité à faire délivrer l’armement, l’habillement, l’équipement nécessaires pour équiper ce commando comme les autres commandos de chasse.

Le corps d’armée d’Oran et la région de Saïda[41]

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Le corps d’armée d’Oran et la région de Saïda[41]

21Le capitaine Grillot débute la constitution du commando qui ne sera composé que de musulmans, des anciens fellaghas ralliés ou prisonniers, d’anciens militaires, des jeunes hommes de la région de Saïda, souvent tentés de rejoindre le maquis. Ce commando, composé uniquement de volontaires, est une harka spécialisée. Le statut de harka permet de recruter les supplétifs sur la base de contrat mensuel renouvelable. Les six premiers hommes sont trois prisonniers d’un camp de transit temporaire et trois de leurs amis civils. L’un d’eux est l’ancien responsable des liaisons et du convoyage d’armes et de fonds entre le Maroc et deux zones rebelles, Youcef Ben Brahim. Ce dernier, choqué de voir les chefs rebelles réfugiés à l’étranger vivre dans un confort inconnu sur le sol algérien, ne tarde pas à se rallier. Le recrutement s’accélère, les candidatures se multiplient, et dès le début, “Georges sera le chef militaire et Youcef le chef politique” [42]. Youcef est chargé de recruter les membres du commando : en 3 jours, 75 volontaires le rejoignent. Youcef recrute également des agents de renseignements, il entretient des contacts avec les autorités locales et traditionnelles. Il met en place un réseau de renseignement parfaitement implanté dans la zone de responsabilité du commando. Les succès contre les éléments rebelles se multiplient, en coordination avec les troupes du secteur de Saïda et les éléments aériens de la marine nationale, hélicoptères armés, et de l’armée de l’air, avions de reconnaissance et d’appui au sol (Piper, T6).

22Le commando de 150 hommes est composé de 30 % de rebelles ralliés, tous mis à l’épreuve avant d’être définitivement intégrés, de 40 % d’anciens militaires, de 30 % de nouvelles recrues pris par les plus anciens. L’unité est articulée en quatre katibas, équivalant à une section, de trois sticks (un groupe de dix hommes). Un stick de “choc”, composé de dix hommes spécialement choisis, est aux ordres directs de Youcef, l’adjoint politique. L’armement est conséquent : AA52, MAS 56, PM et les katibas sont dotées de moyens radios leur permettant de se coordonner avec les hélicoptères et les avions d’appui. Les chefs de katiba sont tous des ralliés, ils sont adjudants. Les chefs de sticks ont le grade de sergent-chef. Les chefs de groupe et de commando sont élus par leurs pairs, chacun se sent d’autant plus responsable qu’il a été choisi. Une particularité supplémentaire organise les règles appliquées aux soldes et à la hiérarchie. “Les galons sont prêtés et il n’y a pas d’avancement automatique. Les chefs sont choisis par leurs hommes dans une liste de « possibles » établies par Georges et Youcef” [43]. Notons que le capitaine Grillot considère cependant, “qu’à la tête de ces unités de supplétifs, il doit toujours y avoir au moins un officier métropolitain” [44].

23Dans le même temps, le chef de secteur lance une multitude de travaux destinés à “chasser la misère” et intensifie l’action vers la population. La situation générale s’améliore de façon certaine. “Vivant au contact direct de cette population misérable dans laquelle ils ont des parents, des frères, des cousins, les commandos de Georges prennent conscience de la noblesse de leur mission et croient très fort que la rébellion cessera d’elle-même lorsque la prospérité et le bien-être seront revenus, que le droit au travail et l’égalité sociale auront redonné à chacun sa dignité” [45]. L’adjoint de Georges est d’ailleurs élu aux élections locales, la majorité de la population bascule vers la France.

24L’organisation géographique est calquée sur celle de la rébellion. Ainsi, dans le secteur de Saïda, l’organisation rebelle comprend une zone, deux régions, quatre secteurs. Youcef dirige la zone amie et chaque chef de katiba se voit attribuer un secteur de chasse : Youcef nomme deux chefs de régions et quatre chefs de secteur chargés de “marquer” leur alter ego rebelle. Les sticks agissant souvent isolés, chaque chef de stick est placé sous le contrôle d’un commissaire politique dont la mission est de surveiller les hommes lors des missions ou dans la vie quotidienne. Ce commissaire a en fait une lourde tâche. Outre ses prérogatives en matière de discipline, il conduit les interrogatoires, gère les contacts avec les autorités traditionnelles et locales. Il est également chargé de porter le message du commando vers la population en insistant sur les méfaits d’un régime FLN. Le commando Georges parviendra à détruire l’organisation rebelle dans la région de Saïda. L’efficacité du commando est telle que le commandement diffuse des consignes demandant la reprise des méthodes employées par le commando Georges. Une note de service du 3e bureau du corps d’armée d’Alger, portant sur “l’emploi des commandos dans des opérations de recherche et de destruction de bandes” présente, à l’ensemble des unités, les enseignements qui pouvaient être tirés des modes d’action développés par le commando Georges. Cette note insiste sur cinq points : la recherche minutieuse du renseignement par tous les moyens, notamment par l’étude des traces et les patrouilles de pistages ; la transmission immédiate des renseignements obtenus, leur étude, leur exploitation ; la mise en place discrète d’éléments d’embuscade, la manœuvre qui s’organise autour de l’élément qui a pris le contact ; l’aide efficace et primordiale apportée par les moyens “air”. La note s’achève sur une prescription intéressante : “l’assaut doit être mené par le Chef de l’unité au contact, il faut impérativement éviter toute superposition de commandement” [46].

25Le désengagement français décidé par les accords d’Evian entraînera la disparition du commando. En mars 1962, l’évolution de la situation en Algérie conduit à régulariser le sort des harkis du commando Georges, qui constitue une “unité solidement organisée, qui a obtenu d’excellents résultats opérationnels”. Il est décidé que ce commando, “tel qu’il est constitué actuellement, soit à l’effectif de 242 personnels FNSA, sera considéré provisoirement comme une unité supplémentaire du 1/8°RI où il comptera en sureffectif réalisé. Quatre aspirants FSNA à titre fictif sont inscrits sur une liste d’aptitude au grade de sous-lieutenant d’active, au titre de la loi 59-1431 du 21 décembre 1959 sur la promotion musulmane” [47]. Le 5 avril 1962, une note du directeur du cabinet militaire du haut-commissaire de la République en Algérie indique qu’il était prévu d’intégrer le commando Georges “tel qu’il est actuellement constitué” [48]. Néanmoins, la situation n’évoluant pas comme le prévoyaient les accords de paix, certains cadres supplétifs décident de rejoindre les rangs de l’ALN. Ils seront tués par les rebelles.

L’Algérie et les armées privées

26L’existence de petites “armées privées”, composées d’anciens rebelles du FLN ralliés aux troupes françaises, mérite une attention particulière. Ces forces très particulières, assimilées aux forces supplétives, présentent l’avantage de limiter le risque de pertes françaises, de disposer de troupes adaptées aux conditions de combat locales. Elles permettent également d’afficher le soutien de groupes autochtones. Mais leur emploi soulève des inquiétudes, notamment en termes de fiabilité. Deux exemples sont emblématiques : Bellounis et Si Chérif.

L’armée nationale populaire algérienne (ANPA) du général Bellounis

27À l’été 1955, Amirouche, un des principaux dirigeants des rebelles algériens, chef de la Wilaya 3, connu pour sa violence, encercle et anéantit en Kabylie, à Guenzet, un camp armé de dissidents du Mouvement National Algérien (MNA) [49], commandé par un chef de clan nommé Bellounis. Cet affrontement s’expliquait par la rivalité sans pitié qui opposait le FLN et le MNA. Le groupe armé de Bellounis, le “foudj”, devait affronter les troupes françaises et les rebelles du FLN. Ce dernier avait réussi à s’enfuir avec quelques hommes et avait réussi à rejoindre la région de Mélouza, zone aride et inaccessible située dans le sud profond de la Kabylie. En 1956, les hommes de Bellounis s’étaient ralliés au FLN après des représailles sévères conduites par les troupes françaises. Bellounis finit par prendre le commandement de tous les rebelles présents dans la région de Mélouza. Des frictions apparurent avec la population locale et le chef de la Wilaya 3 envoya des émissaires qui furent tués par des hommes de Bellounis. Amirouche donna l’ordre à son second “d’exterminer cette vermine” [50]. Le 31 mai 1957, le gouvernement général d’Alger annonçait que l’armée était tombée par hasard sur un massacre de paysans à Mélouza. Plus de 300 hommes de plus de 15 ans avaient été sauvagement assassinés, 14 blessés graves avaient survécus. Les katibas du FLN s’étaient lancées dans une guerre sans merci contre les dissidents du MNA. Mais ces affrontements s’inscrivaient aussi dans une animosité plus ancienne entre Kabyles et Arabes.

28Après ce massacre, Bellounis et les survivants kabyles se rallièrent aux Français. “En mai 1957, le capitaine Pineau, du 11° choc, rencontre Bellounis et convient avec lui des bases de sa coopération : se battre contre le FLN, fournir des renseignements aux forces de l’ordre, respecter les populations ralliées” [51]. Bellounis, au moment de son ralliement, prétendait disposer de 500 hommes, la réalité semble plus proche d’une centaine. Ses troupes furent autorisées à avoir leur propre drapeau, leur uniforme et devinrent la “troisième force” musulmane alliée, mais non subordonnée aux Français. Au moment de son ralliement, Bellounis précisa publiquement son point de vue : “si l’on me reconnaissait comme représentant de l’Armée Nationale du Peuple Algérien et le Mouvement National (MNA) et Messali Hadj comme interlocuteur valables je suis disposais à participer à la pacification de l’Algérie avec mon Armée. Après cette pacification, mon armée ne devait pas déposer les armes avant que ne soit résolu le problème algérien. D’autre part ma participation était subordonnée à la fourniture d’armements, d’habillement et de soins médicaux…” [52].

29Les Bellounistes formaient la principale des armées indépendantes présentes en Algérie. Le massacre de Mélouza avait provoqué l’engagement spontané de deux cent cinquante hommes, originaire de la région, dans les harkas voisines. Ces volontaires étaient principalement motivés par la vengeance. Parallèlement, des groupes entiers se rallient, et plus de 800 hommes sont recrutés dans les régions d’Aumale et de Sidi-Aïssa. En août 1957, Bellounis compte plus de 1 500 hommes sous ses ordres et opère dans les régions marginales situées juste au nord du Sahara. Il finit même par apparaître en uniforme de général de brigade et décerne à sa troupe le titre d’“Armée nationale populaire algérienne” (ANPA), lui donnant un drapeau orné d’un croissant rouge et d’une étoile sur fond vert et blanc, comme le drapeau de l’Algérie indépendante. À partir de décembre 1957, les services du gouvernement général lui versent la somme de 45 millions de francs pour entretenir son armée, tout en l’obligeant à renoncer aux multiples impôts qu’il prélevait dans les zones qu’il contrôlait. La coordination entre ses forces et les troupes françaises est assurée par des officiers de liaison ou des postes radio. Il remporte de réels succès. L’“armée” de Bellounis neutralise plusieurs bandes FLN dans l’Atlas saharien et permet d’assurer la libre circulation du trafic pétrolier vers Hassi Messaoud, mais “la dureté avec laquelle il traitait la population locale et ses propres hommes commença bientôt à faire détester l’ANPA” [53]. Bellounis refusait de remettre ses prisonniers aux Français et surtout d’intégrer ses “commandos” aux opérations de l’armée française contre le FLN.

30Le 22 mai 1958, il adressa une série de lettres au président Coty et au général de Gaulle, dans lesquelles il menaçait de reprendre les armes contre la France. Les forces françaises se préparèrent alors à des mesures de rétorsion, tout en menant des campagnes d’action psychologiques dirigées vers les populations et les troupes contrôlées par Bellounis. Il disparut au début du mois de juillet 1958. Les autorités françaises furent accusées de l’avoir tué, ainsi que ses 400 derniers partisans. Il semblerait, en fait que le 3e RPC du colonel Trinquier, qui avait succédé au colonel Bigeard à la tête de ce régiment, ait été envoyé pour désarmer Bellounis et ait trouvé celui-ci et ses hommes assassinés. Les archives consultables au SHD n’apportent pas de précisions sur ce point particulier. Le 14 juillet 1958, le corps percé de balles de Bellounis était découvert près de Bou Saada et exposé longuement comme celui d’un traître à la France.

Le village de Melouza et la zone d’action de Bellounis[54]

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Le village de Melouza et la zone d’action de Bellounis[54]

Les forces auxiliaires franco-musulmanes (FAFM) de Si Chérif

31En juillet 1957, Si Chérif [55] et son groupe armé se ralliaient à l’armée française. Chef militaire de la Wilaya 6, il avait pour commissaire politique un homme surnommé “Rouget” qui abusait de son pouvoir pour exiger une sorte de “droit du seigneur” sur les jeunes filles des villages dans lesquels il passait. À la suite des exactions commises par les chefs rebelles contre les populations, “Si Chérif entre en désaccord avec son chef Si Rouget, l’abat en avril 1957, ainsi qu’un nombre important de rebelles d’origine kabyle, et entre en dissidence” [56]. Les premiers contacts furent pris à l’initiative d’un sous-officier de la SAS de Maginot, qui avait connu Si Chérif en Indochine. Ce chef rebelle disposait d’une force composée d’une compagnie de “réguliers”, de 100 hommes, organisé en trois sections, armés essentiellement de fusils de chasse de calibre 16, et d’une unité supplétive composée de 200 hommes armés sommairement (baïonnettes, vieux revolvers…). Lors des premiers contacts, ce chef rebelle exprima son souhait de “réorganiser sa bande, reprendre en main les douars qui lui sont favorables et qui sont fréquemment envahis par des unités FLN dépendant de la Wilaya 4, de faire une ralliement spectaculaire, une fois les deux premiers objectifs atteints, sans poser de préalable politique, de se mettre ensuite à la disposition de l’autorité militaire pour organiser ses propres unités en harkas” [57]. Devenus harkis, les hommes de Si Chérif se firent remarquer par une efficacité remarquable contre les bandes du FLN. Dès août 1957, le 2e bureau de l’état-major du commandement supérieur interarmées note que “le contre-maquis Si Chérif présente au départ de très bonnes garanties. Cette affaire mérite d’être valorisée et, en même temps, son contrôle doit être renforcé” [58]. En mars 1958, un combat qui les opposa à une bande armée de l’armée nationale de libération (ALN), se solda par la mort de 70 rebelles et la récupération d’importantes quantités d’armes.

32En juillet 1958, cette force constitue une harka de 600 hommes, bien équipés et armés, dénommée Forces Auxiliaires Franco-Musulmanes (FAFM). Le 2e bureau du commandement en chef en Algérie, juge que cette harka a déjà rendu et pourra continuer à rendre d’excellents services à la cause de la pacification et que “son attitude actuelle est celle d’une franche collaboration. Après les événements du 13 mai, il est venu avec sa garde au Forum d’Alger et a pris la parole, manifestant publiquement son loyalisme à la cause française” [59]. Il est intéressant de noter que ce chef rallié s’inquiétait régulièrement sur le statut de ses hommes. Le 11 mai 1958, il adresse un message au général commandant la 20e DI : “M’étant rallié à vous, mon général, j’ai l’honneur de vous faire part des mes inquiétudes. Depuis dix mois, servant sous le drapeau français, mes hommes ont risqué leur vie chaque fois qu’on leur a demandé. Ceux qui sont morts ont laissé derrière eux des femmes et des enfants aujourd’hui sans ressources. Ceux qui sont en vie s’interrogent sur leur avenir. J’aimerais pouvoir vous parler de ces questions” [60]. Le général de Pouilly, commandant la 20e DI, adressant ce message au général commandant le corps d’armée d’Alger, souligne que “son angoisse est légitime. Il est urgent de donner un statut aux ralliés servant sous le drapeau français” [61].

33Le souci de Si Chérif de voir ses hommes dotés d’un statut clair reprend en partie les termes d’une lettre envoyée le 10 décembre 1957 au général Salan, commandant supérieur interarmées, en réaction au ralliement de Bellounis et à la création de l’ANPA. Il y déclare : “Je viens d’apprendre avec stupéfaction et une profonde amertume qu’il y avait désormais deux armées en Algérie. L’armée française, celle à laquelle je me suis entièrement rallié avec mes hommes pour lutter contre notre ennemi le FLN (…). Une armée de Bourbaki, commandée par un pseudo-général Mohammed Bellounis, dénommée “Armée Nationale du Peuple Algérien(…). Si M. Mohammed Bellounis veut participer aux opérations qui ramèneront la paix en Algérie, qu’il fasse comme moi, c’est-à-dire qu’il se rallie purement et simplement au drapeau français, le seul respectable sur cette terre. Comme il a trompé les 1 200 FLN qui se sont engagés chez lui parce que justement ils le considéraient toujours comme indépendant de la France et futur interlocuteur valable, il trompera également la France. Soyez en persuadé mon général” [62].

34À partir de septembre 1958, les hommes de Si Chérif disposent d’un statut particulier, à mi-chemin entre les harkis et les soldats réguliers. “Sur la demande de leur chef, et pour reconnaître les nombreuses preuves d’attachement données à la mère patrie par les FAFM, le commandant a fait étudier la possibilité d’accorder à cette unité une situation matérielle améliorée et plus stable” [63]. En fait, Si Chérif ne souhaitait pas que ses forces soient transformées en unité régulière, ni que ses hommes contractent un engagement définitif. De plus, le commandement français comprit rapidement qu’il était impossible de connaître et de tenir à jour la situation personnelle de chacun des membres des FAFM. Pourtant, les responsables français accordèrent des avantages précis à cette force : la solde des FAFM était calculée sur le taux des Groupes Mobiles de Sécurité, des allocations familiales furent versées individuellement aux membres des FAFM chargés de famille, les membres des FAFM bénéficiaient des avantages accordés aux harkis en matière de soins médicaux. À cette date, les FAFM comprennent, administrativement, 5 compagnies de 110 hommes, 1 compagnie de commando à 110 hommes, 1 groupe d’agents de renseignement à 40 hommes et un effectif de 20 hommes considéré comme “volant” [64]. En septembre 1959, le général commandant en chef les forces armées en Algérie décide de réorganiser progressivement la situation des FAFM. Six officiers, dont un médecin, 12 sous-officiers et 72 hommes de troupes métropolitains sont affectés aux FAFM pour encadrer les supplétifs [65]. Notons cependant que le directeur du service de l’intendance en Algérie, en conclusion d’une étude sur la situation administrative du djich de Si Chérif, explique que “les FAFM n’ont pas d’existence légale. Elles constituent des forces que l’armée utilise en mettant à leur disposition de l’armement et des matériels gérés par une formation régulière, le 2° RI” [66].

35Un rapport de la direction de la sûreté nationale en Algérie du 29 juin 1961, explique que le colonel Si Chérif, à la tête de 900 hommes armés, “aurait été contacté par des “officiers de l’OAS (sans doute les ex-colonels Godard et Gardes) et il y aurait eu une entente formelle, selon laquelle, il prendrait le « djebel », chercherait à conquérir les sympathies de la population civile musulmane et se rallierait ensuite à l’OAS” [67]. Il n’existe pas, dans les archives actuellement consultables, de documents permettant d’étayer cette hypothèse de ralliement à l’OAS. Bien plus, une lettre du commandant supérieur des forces en Algérie, le général de corps aérien Fourquet, rédigée en mai 1962, montre que les FAFM du colonel Si Chérif ont été mises à disposition de l’exécutif provisoire pour renforcer les forces de l’ordre. Notons que le général Fourquet insiste sur le caractère particulier de cette unité. Il précise que “l’exécution de missions comparables à celles des compagnies de la force locale, ne doit soulever aucune difficulté. Si par contre il était envisagé d’engager offensivement les FAFM contre des bandes dissidentes, il conviendrait alors de faire connaitre à l’Exécutif provisoire l’obligation dans laquelle nous nous trouverions de retirer au préalable tous les personnels, cadres et techniciens de souche européenne. J’ajoute que l’utilisation de matériels de l’armée française dans de telles opérations peut être, à bien des égards, inopportune” [68].

36* * *

37Ainsi, dans une guerre irrégulière, le ralliement d’anciens rebelles présente d’évidents avantages tactiques et politiques. Une parfaite connaissance du milieu humain et physique, une maîtrise des méthodes de l’adversaire, des réseaux de renseignements solides et efficaces constituèrent les atouts des unités de ralliés supplétifs engagés aux côtés des troupes françaises dans les guerres d’Indochine et d’Algérie. Les commandos de ralliés du Tonkin illustrent parfaitement cette aptitude à la contre-guérilla et à la recherche de renseignements.

38Cependant, la ralliement d’anciens adversaires suppose une prise de risque certaine qui ne doit pas être occultée par les responsables militaires et politiques. Les trahisons et les manipulations restent une possibilité qui ne peut être écartée. Le commando Vandenberghe a été détruit par le Vietminh par la faute d’un traitre, l’expérience Bellounis s’est terminée dans le sang.

39Recruter d’anciens adversaires doit répondre à une stratégie claire, où la prise de risque est calculée, mais reste indubitablement un facteur d’efficacité pour des troupes étrangères peu habituées à la guerre irrégulière. L’exemple récent des tribus sunnites de la province d’Al Anbar, en Irak, ralliées aux forces américaines, le montre.


Date de mise en ligne : 17/07/2015

https://doi.org/10.3917/strat.093.0371

Notes

  • [1]
    Colonel Némo, “L’organisation de la guérilla et des forces régulières”, Revue militaire générale, avril 1957, p. 528.
  • [2]
    SHD 10 H 3776, Circulaire n° 41-S/CAB/E/CIR du 21 novembre 1952.
  • [3]
    SHD 10 H 2575, Note de service n° 1271/FTVN/INSP/FS du 7 novembre 1953.
  • [4]
    SHD 10 H 3525, Etat des soldes des ralliés du commando SR du sous-secteur Sud de Tourane.
  • [5]
    SHD 10 H 3525, Bordereau d’envoi n° 419/HC du 25 juin 1952.
  • [6]
    SHD 10 H 3525, Fiche sur un interrogatoire de rallié, 8 mai 1952.
  • [7]
    TD : Trung Doan, régiment vietminh.
  • [8]
    SHD 1 H 2581, Directive particulière concernant les redditions et ralliements du 15 mars 1957.
  • [9]
    Idem
  • [10]
    SHD 10 H 3776, Fiche à l’attention de M le conseiller aux affaires politiques du haut commissaire, 31 mai 1951.
  • [11]
    SHD 10 H 5476, Note de service n° 93/2.3.FS du 3 janvier 1950.
  • [12]
    SHD 10 H 5476, Note de service n° 93/2.3.FS du 3 janvier 1950.
  • [13]
    SHD 10 H 3776, Lettre n° 1112/C3.S du 17 septembre 1951.
  • [14]
    SDH 10 H 3525, Fiche d’interrogatoire, Le Trung Tuyen, non datée.
  • [15]
    SHD 7 U 812, Fiche de document n° 968/2 du 25 janvier 1954.
  • [16]
    SHD 1 H 2467 d6, Directive particulière concernant les ralliements, 3° bureau, document non daté, non signé.
  • [17]
    SHD 1 H 2581, Note de service n° 5284/EM.10/2-RIDO du 6 décembre 1956.
  • [18]
    Bernard Moinet, Vanden, le commando des tigres noirs, Paris, France-Empire, p. 137.
  • [19]
    Donnez moi 100 Vandenberghe et l’Indochine est sauvée” se serait exclamé le général de Lattre de Tassigny, alors commandant en chef des forces françaises en Extrême-Orient.
  • [20]
    Le colonel Vy, après avoir servi au sein des commandos 24 et 33 en tant que sergent-chef, rejoignit la mission militaire française prés de l’armée vietnamienne de Saïgon et fut intégré au sein de cette armée le 21 septembre 1952 avec le grade de sous-lieutenant. Capitaine en 1955, il suit différents stages en France. En 1972, il est colonel et commande en second une division d’infanterie. Après la défaite du 30 avril 1975, il fuit le Viet-nam sur une embarcation de fortune et arrive aux États-Unis en mai de la même année. En octobre 1975, il rejoint la France et réintègre, le 26 février 1976, l’armée française, au 1er régiment étranger. Promu lieutenant-colonel en février 1981, il rejoint le SHAT comme commandant en second et quitte le service actif en 1986.
  • [21]
    Lieutenant-colonel Carré, “Moi sergent-chef Vy, adjoint et ami de Vandenberghe”, Revue historique des armées, février 1986, pp. 91-99.
  • [22]
    Idem, p. 92.
  • [23]
    Hugues Tertrais, Atlas des guerres d’Indochine 1940-1990, éditions Autrement, 2004, p. 6.
  • [24]
    Lieutenant-colonel Carré, art. cit., p. 95.
  • [25]
    Idem, p. 96.
  • [26]
    Lors de cet entretien, le colonel Vy refuse d’émettre un avis sur la personnalité de l’adjudant-chef Vandenberghe. Il cite les propos tenus par le capitaine Barral, leur commandant de compagnie au 6e RIC, en 1948 : “Roger Vandenberghe était un homme sans culture, sachant à peine lire et écrire, à qui il fallait des circonstances assez extraordinaires pour révéler ses talents. Ceux qui l’ont connu ne se sont jamais expliqué comment ce garçon lourdaud et taciturne pouvait soudainement devenir subtil et exubérant dès qu’il sentait approcher la bataille. Un pouvoir mystérieux le saisissait. On disait de lui qu’il devinait sans comprendre.
    Son ascension ne s’est pas faite sans un dur apprentissage qu’il s’est volontairement imposé pour parfaire ses connaissances techniques. Son insertion dans l’environnement “partisan-supplétifa été en revanche immédiatement acquise. Dans le cadre d’une unité régulière, aussi longtemps qu’il a été commandé et contrôlé, Vandenberghe est resté le sous-officier modèle, discipliné et hardi. Mais plus tard, à la suite de ses succès, il a été acculé à un chemin sans retour par une publicité tapageuse, des encouragements malheureux, et des complaisances contraires aux traditions de l’armée”.
  • [27]
    Lieutenant-colonel Carré, art. cit., p. 97.
  • [28]
    SHD 10 H 3776, Lettre n° 47/JV-ED/720 du 22 mars 1951.
  • [29]
    SHD 10 H 3776, Fiche n° 2022/IFS/4 du 23 mai 1951.
  • [30]
    SHD 10 H 3776, Lettre n° 1835/SPDN du 30 mai 1951.
  • [31]
    SHD 1 H 2581, Fiche n° 208/RM10/6/SC du 10 mars 1958.
  • [32]
    SHD 1 H 2581, Note de service n° 803/DO/BP du 15 novembre 1956.
  • [33]
    SHD 1 H 2581, Fiche du bureau psychologique du 21 mars 1957.
  • [34]
    SHD 1 H 2581, Note de service n° 404/EM10/PSY/GP du 15 mai 1957.
  • [35]
    SHD 1 H 2581, Note de service n° 2688/CAC/SY du 12 septembre 1957.
  • [36]
    SHD 1 H 2581, Lettre n° 066/EM10/5/GP du 10 janvier 1958.
  • [37]
    Idem.
  • [38]
    Raoul Gaget, Commando Georges, Paris, Granchet, 2000, p. 15.
  • [39]
    Raoul Gaget, op. cit., p. 51.
  • [40]
    SHD 1 H 1301 d1, Note de service n° 598/RM.10/3.OPE du 29 mars 1956.
  • [41]
    Guy Pervillé, Cécile Marin, Atlas de la guerre d’Algérie, de la conquête à l’indépendance, Paris, Éditions Autrement, 2003, p. 31.
  • [42]
    Raoul Gaget, op. cit., p. 71.
  • [43]
    Raoul Gaget, op. cit., p. 124.
  • [44]
    Archives privées.
  • [45]
    Raoul Gaget, op. cit., pp. 111-112.
  • [46]
    SHD 1 H 1924 d1, Note de service n° 248/CAA/3.INS du 22 janvier 1962.
  • [47]
    SHD 1 H 1260 d1, Note de service n° 926/CSFA/EMI/I/EFF du 12 mars 1962.
  • [48]
    SHD 1 H 1260 d1, Note n° 1144/CM du 5 avril 1962.
  • [49]
    Le MNA est crée par Messali Hadj en 1954, peu après les attentats de la Toussaint. Le FLN, créé par Ahmed Ben Bella, au Caire en novembre 1954, s’oppose au MNA, qu’il juge trop modéré. Les deux mouvements indépendantistes vont se lancer dans une concurrence sanglante pour gagner le soutien des travailleurs algériens en métropole mais aussi en Algérie. Plusieurs milliers d’hommes et de femmes auraient péri lors de ces combats.
  • [50]
    Cité par Alistair Horne, Histoire de la guerre d’Algérie, Paris, Albin Michel, 1991, p. 230.
  • [51]
    Général Jacquin, “Bellounis : un boomerang”, Historia Magazine n° 238, aout 1972, pp. 1329-1334. Cité par Chems Ed Din, L’Affaire Bellounis, histoire d’un général fellagha, Éditions de l’aube, 1998, p. 105.
  • [52]
    Cité par Chems Ed Din, op. cit., p. 35. Les fautes d’orthographe et de style ont été conservées.
  • [53]
    Cité par Chems Ed Din, op. cit., p. 267
  • [54]
    Guy Pervillé, Cécile Marin, op. cit., p. 25.
  • [55]
    Si Chérif est alors âgé de 32 ans. Il avait passé onze ans dans l’armée française dont deux séjours en Indochine. Il avait été capturé par le FLN dans une embuscade alors qu’il servait dans les spahis. Après avoir été employé comme coolie, il avait rejoint les rangs de la rébellion et était devenu chef de la Wilaya 6 dont le noyau était formé de Kabyles.
  • [56]
    SHD 1 H 1707 d1, Fiche du 2e bureau du 15 juillet 1958
  • [57]
    SHD 1 H 1707 d1, Instruction personnelle et secrète n° 1046/TS du 23 juillet 1957 relative à la coopération de Si chérif à la lutte contre la FLN
  • [58]
    SHD 1 H 1707 d1, Fiche du 2e bureau sur les contre-maquis, 2 août 1957.
  • [59]
    SHD 1 H 1707 d1, Fiche du 2e bureau du 15 juillet 1958.
  • [60]
    SHD 1 H 1707, Annexe à la lettre n° 885/ZSA/1 en date du 11 mai 1958.
  • [61]
    SHD 1 H 1707, Lettre n° 885/ZSA/1 en date du 11 mai 1958.
  • [62]
    SHD 1 H 1707, Fiche n° 7618/EM/10/2/RIDO du 28/12/1957
  • [63]
    SHD 7 U 786 d11, Statut et organisation des FAFM, pièce n° 4.
  • [64]
    SHD 7 U 786 d11, Statut et organisation des FAFM, pièce n° 4.
  • [65]
    SHD 7 U 786 d11, Statut et organisation des FAFM, annexe 3 à la lettre n° 2585/ZSA/I/FA.IS du 11 septembre 1959.
  • [66]
    SHD 7 U 786 d11, Lettre n° 1199/3 du 5 juillet 1961.
  • [67]
    SHD 1 H 1707, Note n° 60/TS/SNA/Cab du 29 juin 1961
  • [68]
    SHD 1 H 1320 d1, Lettre n° 1852/CSFA/EMI/3 OP/E du 24 mais 1962.

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