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Article de revue

La théorie du partisan de Carl Schmitt

Pages 31 à 71

Notes

  • [1]
    Cf. notre thèse de doctorat : La pensée de Carl Schmitt (1888-1985), ainsi que notre livre : Carl Schmitt. Biographie politique et intellectuelle, Paris, Cerf, 2005.
  • [2]
    “Dem wahren Johann Jakob Rousseau”, Zürcher Woche, 29 juin 1962, article écrit à l’occasion du 250e anniversaire de la naissance de Rousseau, dans lequel Schmitt se réfère longuement à l’ouvrage de Rolf Schroers, Der Partisan. Ein Beitrag zur politischen Anthropologie (Cologne, Kiepenheuer u. Witsch, 1961).
  • [3]
    Cf. Ex Captivitate Salus. Expériences des années 1945-1947, Paris, Vrin, 2003 (1950), présenté et annoté par A. Dorémus.
  • [4]
    Paris, Calmann-Lévy, 1972 (1963), 96 pages. À compléter avec les deux textes suivants : “Conversation sur le partisan. Carl Schmitt et Joachim Schickel” (1970), in La Guerre civile mondiale (recueil de six textes de Schmitt parus entre 1943 et 1978), Maisons-Alfort, Ere, 2006, préf. C. Jouin, pp. 113-136 ; “Clausewitz comme penseur politique” (1967), in Carl Schmitt : Machiavel, Clausewitz. Droit et politique face aux défis de l’histoire (recueil), Paris, Krisis, 2007, pp. 43-85, étude de fond sur Clausewitz, Fichte, les réformateurs prussiens, le choc des légitimités dynastique et populaire, la formation du nationalisme et la lutte contre Napoléon. Cf. notre article : “L’interprétation schmittienne de Clausewitz”, Stratégique, n° 78-79, 2000.
  • [5]
    Telle qu’elle s’est développée, tout d’abord au cours de la guerre sino-japonaise depuis 1932, puis dans la seconde guerre mondiale et enfin, après 1945, en Indochine et dans d’autres pays, la guerre de partisans de notre époque conjugue deux processus opposés, deux formes de guerre et d’hostilité totalement différentes : d’une part, la résistance autochtone, de nature défensive, que la population d’un pays oppose à l’invasion étrangère, et, d’autre part, le soutien et le téléguidage de cette résistance par des tiers intéressés, des puissances d’agression jouant au plan mondial” (préf. à La Notion de politique-Théorie du partisan, Paris, Calmann-Lévy, 1972, 1963, p. 55).
  • [6]
    Sur cet aspect, cf. Théorie du partisan, op. cit., pp. 218-227, 231-253, 267, 286-289. Rappelons que deux types de crimes internationaux commis par des Allemands furent distingués par les Alliés : les crimes localisés ou mineurs, soumis à répression par les Puissances alliées séparément, notamment par leurs tribunaux nationaux ou leurs tribunaux d’occupation en Allemagne ; les crimes majeurs, sans localisation géographique particulière, soumis à répression par les Puissances alliées conjointement, à travers le Tribunal militaire international pour l’Europe, sis à Nuremberg (en zone américaine). Du 14 novembre 1945 au 1er octobre 1946, le TMIE constitua le procès principal, celui des dirigeants et des organisations accusées d’être criminelles (Cabinet du Reich, Corps des chefs du NSDAP, SS et SD, Gestapo, SA, État-Major général et Haut Commandement des forces armées). Le TMIE fut suivi par une série d’autres procès contre les cadres des organisations jugées criminelles (Corps des chefs du NSDAP, SS, SD, Gestapo), notamment les douze procès tenus par le Tribunal militaire américain à Nuremberg, du 9 novembre 1946 au 14 avril 1949, contre 195 accusés. Britanniques, Français et Soviétiques conduisirent également des procès en Allemagne, de moindre importance. Par la suite, la répression fut confiée aux Allemands eux-mêmes, via l’Office central pour l’instruction des crimes de guerre, basé à Ludwigsburg. Fut notamment institué le “procès des gardiens d’Auschwitz” à Francfort en 1963-65 (celui des “ingénieurs d’Auschwitz” eut lieu à Vienne en 1972). S’ajoutent les jugements rendus à l’encontre de ressortissants allemands par les cours des pays ayant été occupés par l’Allemagne, ou encore l’affaire Eichmann en Israël.
  • [7]
    Rappelons que le jus in bello, ou droit de la guerre au sens strict (relatif à l’action de guerre), régit l’usage de la force armée en déterminant qui a le droit de faire la guerre et comment, autrement dit, qui sont les acteurs (les combattants) et quels sont les instruments (les armements) et les modalités des conflits armés ; le jus ad bellum, ou droit de la guerre au sens large (relatif à l’état de guerre), régit le recours à la force armée en déterminant qui a le droit d’ordonner la guerre et pourquoi, autrement dit, qui sont les auteurs (les belligérants) et quels sont les causes ou les buts des conflits armés.
  • [8]
    Cf. Heinrich Meier : Carl Schmitt, Léo Strauss et la notion de politique. Un dialogue entre absents, Paris, Commentaire/Julliard, 1990, préf. P. Manent.
  • [10]
    Paris, PUF, 1993 (1928), préf. O. Beaud.
  • [11]
    Le Nomos de la Terre dans le droit des gens du jus publicum europaeum, Paris, PUF, 2001 (1950), préf. P. Haggenmacher.
  • [12]
    Rappelons que le Concept du politique, toujours traduit en français par La notion de politique, a connu différentes versions. La version de 1963 a été présentée par Julien Freund et traduite par Marie-Louise Steinhauser en 1972 sous le titre : La notion de politique - Texte de 1932 avec une préface et trois corollaires, plus la Théorie du partisan (Paris, Calmann-Lévy), le tout réédité en collection Champs, Flammarion en 1999. Cf. Piet Tommissen : “Contributions de Carl Schmitt à la polémologie”, Revue européenne des sciences sociales. Cahiers Vilfredo Pareto, n° 44, 1978, pp. 141-170, pp. 142-145.
  • [13]
    Schmitt développe les éléments de la lutte contre “l’ennemi intérieur” : état d’exception, dictature, interdiction des partis révolutionnaires, limitation matérielle de la révision constitutionnelle, mutation politique du droit pénal… Cf. notre article : “L’ennemi intérieur dans l’œuvre de Carl Schmitt”, Stratégique, à paraître.
  • [14]
    Théorie de la Constitution, op. cit., pp. 301-312 ; La Notion de politique, op. cit., pp. 95-96 ; “Légalité et légitimité”, in Du politique. “Légalité et légitimitéet autres essais (recueil de quinze textes de Schmitt parus entre 1919 et 1952), Puiseaux, Pardès, 1990, préf. A. de Benoist, pp. 39-79, p. 62 ; “Le Führer protège le droit” (1934), Cités, n° 14, 2003, pp. 165-171 ; “L’État comme mécanisme chez Hobbes et Descartes” (1937), Les Temps modernes, 1991, pp. 1-14, pp. 7-8 ; “Il Leviatano nella dottrina dello stato di Thomas Hobbes. Senso e fallimento di un simbolo politico” (1938) et “Il compimento della Riforma. Osservazioni e cenni su alcune nuove interpretazioni del’Leviatano’” (1965), in Scritti su Thomas Hobbes (recueil des cinq textes de Schmitt sur Hobbes), Milan, Giuffré, 1986, préf. C. Galli, pp. 60-143, 159-190, pp. 119-120, 175 ; “Führung und Hegemonie”, Schmollers Jahrbuch, LXIII, 1939, pp. 513-520, p. 514 ; “Entretien sur le pouvoir” (1954), Commentaire, n° 32, 1985-86, pp. 1113-1120, pp. 1114-1115.
  • [15]
    Carl Schmitt compare les trois personnages dans les pages 300 à 302 de la Théorie du partisan. Raymond Aron a répondu à cette comparaison dans Penser la guerre, Clausewitz, Paris, 2 t., Paris, Gallimard, 1976, t. 2, pp. 117-123, 219-222. Rappelons que le 18 juin 1940, jour de l’Appel, le gouvernement en place, de manière parfaitement légale, en France, n’était pas celui de “Vichy”, mais celui de la IIIe République, qui s’apprêtait, de manière tout aussi parfaitement légale, à signer un armistice avec l’Allemagne et l’Italie.
  • [16]
    Op. cit., pp. 61-79, 97-123, 187-207, 219-222. Cf. aussi Hervé Savon : “L’ennemi absolu”, Guerres et paix, n° 12, 2-1969, pp. 76-79 (recension de Théorie du partisan), ainsi qu’Emile Perreau-Saussine : “Raymond Aron et Carl Schmitt lecteurs de Clausewitz”, Commentaire, n° 103, 2003, pp. 617-622.
  • [17]
    Les ouvrages récents d’Alain de Benoist (Carl Schmitt actuel. Guerre “juste”, terrorisme, état d’urgence, “nomos de la terre”, Paris, Krisis, 2007) ou de Jérôme Monod (Penser l’ennemi, affronter l’exception. Réflexions critiques sur l’actualité de Carl Schmitt, Paris, La Découverte, 2006) ont montré la pertinence et l’utilité des concepts schmittiens pour penser la politique internationale contemporaine, notamment la problématique de la guerre irrégulière et du terrorisme.
  • [18]
    Sur les rébellions, la guerre irrégulière, la contre-guerre irrégulière et le droit applicable, cf. respectivement, se détachant d’une vaste bibliographie : Jean-Marc Balencie, Arnaud de La Grange : Mondes rebelles. Acteurs, conflits et violences politiques, Paris, Michalon, 2001 (1996) ; Gérard Chaliand : Les Guerres irrégulières, xxe-xxie siècles. Guérillas et terrorismes (recueil), Paris, Gallimard Folio, 2008 (1979) ; David Galula : Contre-insurrection. Théorie et pratique, Paris, Economica, 2008 (1963) ; Henri Meyrowitz : “Le statut des guérilleros dans le droit international”, Journal du Droit International, 1973, pp. 875-923.
  • [19]
    Cf. les articles 1 et 2 du Réglement de La Haye du 18 octobre 1907 sur les lois et coutumes de la guerre sur terre ; l’article 6 de la Ve Convention de La Haye du 18 octobre 1907 sur les droits et devoirs des Puissances et personnes neutres en cas de guerre sur terre ; les articles 13 et 14 de la Ière Convention de Genève du 12 août 1949 pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne ; les articles 13 et 16 de la IIe CG pour l’amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés dans les forces armées sur mer ; l’article 4 de la IIIe CG relative au traitement des prisonniers de guerre ; les articles 43 à 47 et 77-2 du Protocole additionnel I du 8 juin 1977 (P1) aux CG relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux. Cf. aussi Stanislaw E. Nahlik : “L’extension du statut de combattant à la lumière du Protocole I de Genève de 1977”, Recueil des Cours de l’Académie de Droit International, La Haye, 1979 III, pp. 171-250, ainsi que notre article : “Qui est combattant ?”, Inflexions. Civils et Militaires, n° 5, 2007, pp. 151-164.
  • [20]
    Décret du 24 février 1793 sur la levée exceptionnelle de 300 000 hommes, qui introduit le principe de la réquisition ; décret du 24 août 1793 sur la levée en masse, qui rend permanent le système de la réquisition et interdit le remplacement ; loi Jourdan du 5 septembre 1798, qui institue la conscription. Cf. Jean-Paul Bertaud : La Révolution armée. Les soldats-citoyens et la Révolution française, Paris, R. Laffont, 1979.
  • [21]
    Théorie du partisan, op. cit., p. 231.
  • [22]
    Ibid., p. 230.
  • [23]
    Ibid., p. 285.
  • [24]
    Ibid., p. 288.
  • [25]
    Cf. l’alinéa 2 du préambule, les articles 1-2, 55, 73-b, 76-b de la Charte des Nations Unies du 26 juin 1945 ; l’alinéa 8 du préambule, les articles 16-1, 22-1, 22-3, 28-1, 29-1 et 30-1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 ; la résolution 1514 de l’Assemblée générale des Nations Unies du 14 décembre 1960, “Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux” ; la résolution 1541 de l’AGNU du 15 décembre 1960, “Déclaration sur les territoires non autonomes” ; l’article 1er du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 ; l’article 1er du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966 ; les alinéas 2-b et 5 du principe 5 de la résolution 2625 de l’AGNU du 24 octobre 1970 ; l’article 7 de la résolution 3314 de l’AGNU du 14 décembre 1974 ; l’article 1-4 P1 ; la résolution 47/135 de l’AGNU du 18 décembre 1992, “Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques”. Cf. aussi Spyros Calogeropoulos-Stratis, Le Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, Bruxelles, Bruylant, 1973 ; Jean Charpentier, “Autodétermination et décolonisation”, Mélanges Chaumont, Paris, Pédone, 1984, pp. 117-133 ; Théodore Christakis, Le Droit à l’autodétermination en dehors des situations de décolonisation, Paris, La Documentation Française, 1999.
  • [26]
    Théorie du partisan, ibid., p. 217.
  • [27]
    Ibid., p. 253. “Mouvoir l’Achéron”, c’est ce qu’envisagea Bismarck en 1866, lorsqu’il était décidé à utiliser les nationalismes hongrois et même slaves contre l’Empire des Habsbourg. C’est ce que tenta le gouvernement allemand en 1914-1918, lorsqu’il soutint les mouvements nationalistes contre les empires coloniaux français et britannique et les mouvements socialistes contre la Russie tsariste.
  • [28]
    Les premiers théoriciens de la “guerre populaire” furent des Allemands. Mais c’est contre l’armée prusso-allemande que fut proclamée la “levée en masse” en 1870. À l’époque, les francs-tireurs furent traités comme des criminels, dès lors qu’ils n’étaient pas (à l’époque) considérés comme des combattants légaux. Mais ils laissèrent un souvenir d’effroi parmi les vainqueurs. C’est ainsi que l’armée allemande fut élevée dans l’abomination de la “guerre populaire”.
  • [29]
    Les unifications italienne et allemande furent essentiellement le fait d’armées régulières (franco-piémontaise et prussienne), même si l’action des volontaires de Garibaldi en Italie ne fut pas négligeable.
  • [30]
    Dans les sociétés sans État, tous les hommes valides sont des combattants potentiels, aussi la guerre peut-elle prendre un caractère “total” : la conquête européenne, menée avec le concours de groupes locaux, notables ou supplétifs, passe alors, à défaut de soumission, par la réduction de peuples entiers.
  • [31]
    Ce sera encore le cas, durant l’entre-deux-guerres, au Maroc (campagnes d’Abd el-Krim contre les Espagnols puis les Français en 1921-26), au Liban (Djebel druze), en Libye (campagnes d’Omar Moukhtar contre les Italiens en 1922-32) ou en Palestine (face au mandat britannique et à la colonisation juive en 1936-39).
  • [32]
    Non sans affrontements entre partisans communistes et partisans anticommunistes (guerres civiles yougoslave, grecque, albanaise). Des guérillas antisoviétiques se poursuivent en Pologne de 1945 à 1947 et en Ukraine de 1944 à 1950.
  • [33]
    Les guerres d’Indochine, d’Algérie et d’Angola furent militairement les plus importantes.
  • [34]
    Même si elles continuent d’être utilisées contre la Rhodésie, l’Afrique du Sud, Israël ou en Amérique latine.
  • [35]
    Au Cambodge, à partir de 1978, le gouvernement soutenu par le Viet-nam et l’URSS est confronté à la guérilla des Khmers rouges, soutenue par la Chine populaire.
  • [36]
    Le “jihadisme” localisé correspond aux luttes indépendantistes mais aussi à des luttes purement internes, révolutionnaires au sens où elles visent le renversement des régimes établis, contre-révolutionnaires au sens où elles obéissent à des motivations antimodernes. Ainsi, hier ou aujourd’hui, en Afghanistan, au Cachemire, à Aceh, à Mindanao, en Ogaden, en Algérie, en Bosnie, en Tchetchénie, en Irak… Le “jihadisme” délocalisé correspond aux attentats dans le monde entier ou contre les Occidentaux, notamment à New York 2001, Bali 2002, Casablanca 2003, Madrid 2004, Londres 2005… Les deux théoriciens respectifs seraient Abdallah Azzam et Ayman al-Zawahiri. Cf. Gilles Kepel, Jean-Pierre Milelli (dir.) : Al-Qaida dans le texte. Ecrits d’Oussama ben Laden, Abdallah Azzam, Ayman al-Zawahiri et Abou Moussab al-Zarqawi, Paris, Quadrige-PUF, 2008 (2005).
  • [37]
    Assez semblable à la figure jüngerienne du Rebelle. Cf. Ernst Jünger : Traité du Rebelle ou le Recours aux forêts, Paris, Ch. Bourgois, 1995 (1957).
  • [38]
    Théorie du partisan, ibid., pp. 284, 288, 291.
  • [39]
    Schmitt élargit même le phénomène partisan à l’espace extra-atmosphérique, parallèlement aux problèmes d’appropriation, partage et exploitation (nehmen, teilen, weiden). “Le progrès technique propose aux conquêtes politiques des défis nouveaux et illimités, car les espaces nouveaux peuvent et doivent être pris en possession par des hommes”. La technique ne fait qu’intensifier les conflits. “De ce point de vue, quel que soit le progrès par ailleurs, les choses restent ce qu’elles ont toujours été”. Ainsi, la compétition Est-Ouest dans “la course gigantesque aux espaces nouveaux et illimités” déterminera le destin politique de la Terre ; mais en retour, “seul, celui qui dominera cette Terre que l’on dit devenue minuscule, saura occuper et exploiter ces (espaces) nouveaux”. Les cosmonautes, jusque-là utilisés comme stars de la propagande, “auront alors la chance” de se transformer en “cosmopartisans” (ibid., pp. 294-295). L’article de Schmitt : “Nehmen/Teilen/Weiden” (1953), a été traduit sous le titre : “À partir du ‘nomos’ : prendre, pâturer, partager. La question de l’ordre économique et social”, Commentaire, n° 87, automne 1999, pp. 549-556.
  • [40]
    Théorie du partisan, ibid., pp. 291, 292.
  • [41]
    Ibid., pp. 292, 293, 294. Cf. aussi R. Aron, op. cit., pp. 208-210.
  • [42]
    Cette terminologie renvoie à la guerre irrégulière. Lorsqu’elle n’est pas l’auxiliaire de la guerre régulière, la guerre irrégulière possède les caractéristiques suivantes. Elle a pour milieu, la population ; pour acteur, le partisan ; pour origine, l’insurrection, avec ou sans tentative préalable de coup d’État ; pour modalité, la clandestinité, avec ou sans “vitrine légale” ; pour tactique, la guérilla, parallèlement aux actions non violentes ; pour objectif stratégique, la subversion, avec ou sans structuration des forces irrégulières en forces quasi-régulières ; pour objectif politique, la prise du pouvoir, avec ou sans alliés. Pour éviter la confusion sémantique, il importe de distinguer les trois niveaux de la tactique, de la stratégie, de la politique. Tactiquement, des partisans, id est des insurgés issus de la population, s’organisant clandestinement, usent de la guérilla. C’est pourquoi on parle de “guerres de partisans”, de “guerres populaires”, de “guerres insurrectionnelles”, de “guerres clandestines”, de “guérillas”. Stratégiquement, les partisans visent la subversion. C’est pourquoi on parle de “guerres subversives”. Politiquement, les partisans, lorsqu’ils ne sont pas de simples francs-tireurs luttant contre l’envahisseur, visent un changement par la violence de l’autorité établie : chasser l’occupant ; obtenir l’indépendance, la libération ou la réunification nationales ; renverser le régime ; obtenir la sécession. C’est pourquoi on parle de “guerres révolutionnaires”.
  • [43]
    C’est le parti qui est totalitaire, bien plus que l’État, écrivait-il (Théorie du partisan, ibid., pp. 224-225).
  • [44]
    L’étanchéité des structures et des activités doit limiter l’étendue des renseignements qui pourraient résulter de la capture d’un membre de l’Organisation.
  • [45]
    La terreur est sélective, coupant les “ponts”, ne frappant que les “ennemis du peuple” et libérant les “opprimés”, pour être présentée comme une “justice” extra-gouvernementale.
  • [46]
    Plus personne ne désirera occuper ces postes, enviés auparavant, ou même fréquenter leurs titulaires de peur de passer pour un “traître”, si bien que l’appareil d’État se recroquevillera, que les autorités ne disposeront plus de relais locaux, que les liens entre elles et le peuple seront rompus, et qu’elles n’auront plus qu’à “légiférer dans le vide” (David Galula).
  • [47]
    La différence entre “organisation clandestine” et association de malfaiteurs, “impôt révolutionnaire” et racket… ne réside que dans l’animus, c’est-à-dire l’intention.
  • [48]
    Exemple des partisans de l’Algérie française contre la politique du général de Gaulle à partir de 1960.
  • [49]
    Les OC doivent être reconnues ou soutenues par des Puissances régulières : la résistance française l’était par les Alliés en 1940-44, le Viet-minh par la Chine populaire, le FLN par la Tunisie, l’OLP par les États arabes, la guérilla afghane par le Pakistan, l’Arabie Saoudite, l’Égypte et les États-Unis, l’ANC par les États de la “ligne de front”, etc.
  • [50]
    Théorie du partisan, ibid., p. 299.
  • [51]
    Grèce 1949, Philippines 1952, Malaisie 1957, Kurdistan 1975, FARC, Sentier Lumineux, UNITA, RENAMO, Algérie 1999, Khmers rouges, rébellion irakienne… Qu’en sera-t-il des talibans afghans ?
  • [52]
    D’où la volonté américaine, hier ou aujourd’hui, de vietnamiser, d’irakiser ou d’afghaniser… la contre-guérilla.
  • [53]
    Une intervention étrangère s’explique par le fait que le gouvernement local n’est pas capable de vaincre une rébellion, cependant qu’elle implique une coopération entre l’État assisté et l’État assistant. De cette dépendance coopérative résultent : d’inévitables querelles entre les deux types d’États, aggravées s’il existe une forte différence socio-culturelle entre eux, redoublées par les querelles entre gouvernements et forces coalisés si l’assistance s’effectue dans le cadre d’une coalition ; une “extranéisation” des affaires du pays, éventuellement jusqu’à la prise en charge, donc la mise sous tutelle, qui alimente la propagande nationaliste de la rébellion.
  • [54]
    Sur ce point, cf. le Nomos de la Terre, mais aussi Die Wendung zum diskriminierenden Kriegsbegriff, Berlin, Duncker u. Humblot, 1988 (1938), Das internationalrechtliche Verbrechen des Angriffskrieges und der Grundsatz “Nullum crimen, nulla poena sine lege”, Berlin, Duncker u. Humblot, 1994 (1945), ainsi que notre article : “Le concept de guerre en droit international selon Carl Schmitt : la critique de l’évolution vers un concept discriminatoire en jus ad bellum”, Etudes internationales, à paraître.
  • [55]
    Le sens du régime des combattants en jus in bello est précisément de rétablir la possibilité d’une stratégie au sens classique, en obligeant les combattants irréguliers à se rendre visibles, distincts des civils inoffensifs, au moins avant l’engagement armé, s’ils veulent bénéficier du statut de combattants légaux.
  • [56]
    Il arrive fréquemment aussi que plusieurs mouvements insurgés se disputent la représentation insurrectionnelle de la population.
  • [57]
    En cas de capture ou de reddition, le combattant irrégulier illégal ne bénéficiera ni du statut de PG (exempté d’interrogatoire et de poursuite pénale) ni du statut de civil interné (exempté de travail, de transfert dans un autre pays que le sien, de rétention durant toute la durée des hostilités), il sera assimilé à un détenu politique ou à un détenu de droit commun, bénéficiant des dispositions du “minimum humanitaire” de l’article 3 commun aux quatre Convention de Genève de 1949 ou du “noyau indérogeable” du droit international des droits de l’homme.
  • [58]
    Théorie du partisan, ibid., pp. 219, 240.
  • [59]
    Ibid., p. 218.
  • [60]
    Ibid., p. 236.
  • [61]
    Ibid., p. 238.
  • [62]
    D’après Schmitt, l’évolution discriminatoire du jus ad bellum ou sa mutation en jus contra bellum précipite la ruine du jus in bello : comment borner la violence entre ennemis ne se reconnaissant plus sur un même plan juridique ? Comme le rappelle Henri Meyrowitz (Le Principe de l’égalité des belligérants devant le droit de la guerre, Paris, Pedone, 1970, pp. 2-6, 400-401), cette doctrine de la liaison subordonnée du jus in bello au jus ad bellum est démentie, selon le droit positif, par l’indifférence du jus in bello vis-à-vis du jus ad bellum, donc relativisée par le principe de l’égalité des belligérants devant le jus in bello quelle que soit leur inégalité devant le jus ad bellum. Il n’en reste pas moins qu’existe une contradiction entre un jus in bello qui, par nature, promeut la limitation de la guerre et un jus ad bellum qui, par évolution, entend promouvoir la discrimination des belligérants. Si la guerre devient un “crime”, comment justifier sa régulation ?
  • [63]
    Théorie du partisan, ibid., pp. 243, 248-249.
  • [64]
    Ibid., p. 241.
  • [65]
    Cf. Victor Duculesco : “Effet de la reconnaissance de l’état de belligérance par des tiers, y compris les organisations internationales, sur le statut juridique des conflits armés à caractère non international”, Revue générale de Droit International Public, 1975, pp. 125-151 ; Djamchid Momtaz : “Le droit international humanitaire applicable aux conflits armés non internationaux”, RCADI, 2001, pp. 9-145.
  • [66]
    Théorie du partisan, ibid., pp. 241, 288.
  • [67]
    Ibid., p. 311.
  • [68]
    Cf. La Dictature (1921), suivi de La Dictature du Président du Reich d’après l’article 48 de la constitution de Weimar (1924), Paris, Seuil, 2000 ; Parlementarisme et démocratie (recueil de six textes de Schmitt parus entre 1923 et 1931), Paris, Seuil, 1988, préf. P. Pasquino. Le noyau du léninisme est constitué par le mythe de la révolution (la foi en la volonté politique), la dictature éducative du Parti (le parti idéologique promet à ses membres le pouvoir absolu aux fins de contraindre les “non libres” à devenir “libres”), la légitimation de la violence par la philosophie de l’histoire (la marche du progrès autorise l’avant-garde du prolétariat à user de la coercition contre les ennemis du prolétariat et du progrès), la réduction de la complexité sociale à la dualité ami-ennemi (la substitution du clivage prolétariat/bourgeoisie à la pluralité réelle des classes). Poussé à son degré extrême par la nécessité dialectique de la lutte, le rationalisme du marxisme s’est retourné en un irrationalisme. Cf. aussi François Furet : Le Passé d’une illusion. Essai sur l’idée communiste au xxe siècle, Paris, Calmann-Lévy/R. Laffont, 1995.
  • [69]
    Théorie du partisan, ibid., pp. 261, 287.
  • [70]
    Ibid., p. 263. Sur la Leninskaya Tetradka et la pensée de Lénine sur la guerre et la paix, cf. Berthold C. Friedl : Cahier de Lénine sur Clausewitz, in Les Fondements théoriques de la guerre et de la paix en URSS, Paris, Médicis, 1945, pp. 39-90.
  • [71]
    Théorie du partisan, ibid., pp. 267, 268, 269.
  • [72]
    Cf. R. Aron, ibid., pp. 61-76, 97-116, 187-207.
  • [73]
    Théorie du partisan, ibid., pp. 270, 271, 274.
  • [74]
    Ibid., p. 268.
  • [75]
    “Die Ordnung der Welt nach dem zweiten Weltkrieg”, Schmittiana II, 1990, pp. 11-30, p. 12 (trad. allemande de “El Orden del Mundo despuès la Segunda Guerra mundial”, Revista de Estudios Politicos, n° 122, mars-avril 1962, pp. 19-36).
  • [76]
    Théorie du partisan, ibid., p. 222.
  • [77]
    Ibid., p. 303. L’arrestation puis le procès du général Salan donnent également l’occasion à Schmitt d’évoquer “le problème de la justice politique”, problème qui est lancinant, chez lui, depuis Nuremberg. L’accusation porta sur la tentative de putsch des généraux et sur les attentats de l’OAS. À l’ouverture de l’audience, Salan assuma une responsabilité plénière, en tant que chef de l’organisation secrète. Il protesta contre la réduction du procès à la période d’avril 1961 (putsch des officiers) à avril 1962 (arrestation du général), qui revenait à estomper les mobiles véritables des membres de l’OAS et à transformer un processus politico-historique en faits délictueux d’un Code pénal. Après avoir dénoncé, à la fin de sa déclaration, la “parole reniée” et les “engagements trahis”, il garda le silence pendant toute la durée des débats. Schmitt souligne cette volonté de garder le silence, qui fut aussi la sienne après 1945, volonté que le président du Haut Tribunal militaire respecta. Les propos religieux de l’avocat général lors de son réquisitoire -non content d’interpréter le silence de l’accusé comme de “l’orgueil” et comme un refus de se “repentir”, il s’était mis à parler en “chrétien qui s’adresse à un chrétien” pour lui reprocher d’avoir repoussé la “grâce du Dieu miséricordieux” et de s’être voué à la “damnation éternelle” par son “obstination irrémissible” – permettent à Schmitt de faire “entrevoir les abîmes que cachent les subtilités et la rhétorique d’un procès politique” (ibid., pp. 279). Cf. aussi Yves-Frédéric Jaffré, Les Tribunaux d’exception, 1940-1962, Paris, Nouvelles Editions Latines, 1962.
  • [78]
    Théorie du partisan, ibid., p. 280.
  • [79]
    Ibid., pp. 297, 299, 300.
  • [80]
    Observons toutefois que Schmitt a accordé, tout au long de son œuvre, beaucoup plus d’attention à l’ennemi qu’à l’ami.
  • [81]
    Théorie du partisan, ibid., pp. 300, 301, 307.
  • [82]
    Réclamer l’extradition des partisans réfugiés à l’étranger, superviser l’aide humanitaire, empêcher les trafics et les transferts d’armes ou de fonds, couper les partisans de leur logistique ou de leurs sanctuaires extérieurs sinon attaquer ces derniers, retourner la Puissance voisine.

1Carl Schmitt (1888-1985) [1] a été un universitaire et un “partisan intellectuel” : en parlant ainsi de Rousseau [2], c’est de lui-même qu’il parlait, à l’instar de ses écrits sur Machiavel, Hobbes, Savigny, Tocqueville ou Donoso Cortès, véritables autobiographies [3] déguisées. Avec sa Théorie du Partisan[4], Schmitt a voulu faire œuvre scientifique : il a analysé le phénomène d’un point de vue historique, philosophique, politologique, juridique, soit une réelle contribution à la polémologie contemporaine, s’intéressant aussi bien aux guerres napoléoniennes et à la guerre franco-prussienne de 1870 qu’à la seconde guerre mondiale et aux guerres d’Indochine ou d’Algérie. Mais, contre-révolutionnaire allant sur le terrain de la révolution, Schmitt a aussi voulu faire œuvre militante : le nationaliste antimarxiste a contre-distingué le partisan patriote et le partisan communiste [5] ; le juriste hostile aux juridictions de Nuremberg [6], utilisant l’anticommunisme, a cherché à réhabiliter la Wehrmacht confrontée à la guerre de partisans en URSS et a entendu dénoncer les conséquences de ce type de guerre sur le jus in bello[7] ; le théologien politique a renouvelé son affirmation éthique du politique à l’encontre du libéralisme et du pacifisme [8]. Schmitt n’a pas plus rédigé un manuel de stratégie consacré à la guerre irrégulière ou à la contre-guerre irrégulière, qu’il n’a rédigé des manuels de droit constitutionnel, de droit international ou de science politique.

2Pourtant, sa Théorie du partisan peut être considérée comme l’équivalent de la Théorie de la Constitution[10], du Nomos de la Terre[11] ou du Concept du politique[12], c’est-à-dire comme un ouvrage de référence, en tout cas, une étape incontournable dans l’appréhension du phénomène. Il y a là un paradoxe logique. Figure de la “Révolution conservatrice” allemande, Schmitt a été le doctrinaire de l’Eglise catholique et de l’État. Il a aussi été le Kronjurist de la Reichswehr, le laudateur puis le défenseur de l’institution militaire prussienne : c’est ainsi qu’on peut interpréter le sens de son œuvre. Or, cet adepte de l’autorité, expert du droit de crise, théoricien de la dictature et promoteur de la défense de la constitution, donc de la lutte contre “l’ennemi intérieur” [13], s’intéresse à la rébellion et à l’insurrection ! Il s’y intéressait, comme toujours, de son point de vue de juriste érudit et engagé. Le connaisseur de la tradition chrétienne, le philosophe de l’État et le taxinomiste des droits fondamentaux, mais aussi l’opposant à la République de Weimar comme à la République de Bonn, évoquait non seulement la distinction -aussi révolutionnaire qu’antipositiviste- de la légalité et de la légitimité, mais encore le droit de résistance à l’oppression [14]. Lorsque l’État ne protège plus, le devoir d’obéissance à la loi cesse (protego ergo obligo, tel est le cogito ergo sum de l’État hobbésien, disait Schmitt). Si du refus d’obéir aux autorités on passe à la désobéissance puis, violence ajoutée, à la résistance, s’ouvre la perspective de la guerre civile, antithèse de l’État. La problématique du droit de résistance à l’oppression mène ainsi à la question de savoir si une guerre civile peut être légitime : de même qu’il existe, dans toutes les traditions religieuses, éthiques ou juridiques, des guerres justes, existerait-il des guerres civiles justes ? Il s’avère donc que le thème de la guerre civile était l’un des horizons de sens de l’œuvre du Juriste de l’Armée ! C’est pourquoi Schmitt ne pouvait qu’être amené à saisir la question du Partisan, celle de l’insurgé qui désigne lui-même l’ennemi, soit l’étranger, soit l’autorité, et le combat ou appelle à le combattre les armes à la main. Tel est le point commun entre ceux qu’on appelle “terroristes”, tous les partisans de l’histoire universelle, le général York en 1813, le général de Gaulle en 1940 ou le général Salan en 1961 [15] : ce sont des individus qui ont “déclaré la guerre”, y compris la guerre civile, sans être des autorités publiques légales, qui ont “fait la guerre”, y compris la guerre civile, sans être des agents publics légaux ou sans bénéficier d’une délégation publique légale.

3Avec la Théorie du partisan, Schmitt se concentre sur le concurrent et l’adversaire du Soldat, l’un, acteur de la guerre irrégulière ou subconventionnelle, l’autre, acteur de la guerre régulière ou conventionnelle. Il en établit la généalogie, la typologie et la critériologie. À proprement parler, sa réflexion n’est pas d’ordre stratégique : pour pluridisciplinaire et multidimensionnelle que fût son œuvre, le savant n’a pas été un stratégiste ; elle s’inscrit dans la poursuite de la réflexion sur le politique. La Théorie du partisan est étroitement liée au Concept du politique, comme l’indique son sous-titre : Note incidente relative au Concept du politique. L’une a été publiée et l’autre a été réédité la même année 1963 ; les deux livres ont été réunis en un seul volume dans la traduction française de 1972. On y retrouve la même idée fondamentale : le politique défini par la relation d’hostilité, d’où résulte la tension dialectique entre le politique et l’État. Le noyau de l’État, c’est la relation de protection et d’obéissance ; le noyau du politique, c’est la relation ami-ennemi. L’État, en tant qu’unité politique, doit conserver le monopole de la désignation de l’ennemi (le monopole de la violence légitime, disait Max Weber) s’il veut continuer d’assurer la protection et d’imposer l’obéissance ; mais tout antagonisme n’est jamais complètement supprimé au sein de l’État ; les situations exceptionnelles que sont la révolution ou la guerre civile montrent que le monopole étatique peut voler en éclats. Cette idée fondamentale exprimée dans les années 1930, Schmitt l’expose dans un nouveau contexte, celui de la guerre froide et des guerres de décolonisation, propice aux guerres civiles internationalisées dans lesquelles s’illustrent les partisans. La Théorie renouvelle ainsi les réflexions schmittiennes sur le problème de la désignation de l’ennemi, la distinction légalité/légitimité, la théorie et le droit de la guerre, le contraste entre la guerre sur terre et la guerre sur mer, le déclin du jus publicum europaeum et la problématique du nouveau nomos du globe. C’est dire si la Théorie du partisan ne contient pas qu’une théorie du partisan ! Connue et traduite depuis longtemps, commentée par Raymond Aron [16], on la présentera en la complétant et en montrant en quoi elle a été une étape indispensable au développement de l’analyse du phénomène [17], évidemment menée par d’autres auteurs [18].

Détermination de l’irrégularité et dualité de la figure du partisan

4En faisant la rétrospective des guerres irrégulières, Carl Schmitt présente un matériau empirique très diversifié. En ressortent, d’une part, un point commun fondamental, qui réside dans l’irrégularité, d’autre part, la dualité de la figure du Partisan.

5D’après Schmitt, la guérilla espagnole de 1808 à 1813 fut le point de départ historique du phénomène partisan au sens moderne, même si les protagonistes étaient encore animés par des idéaux traditionnels. Toutes les époques ont connu des règles de la guerre et, par conséquent, des transgressions de ces règles. Légalité et régularité, illégalité et irrégularité ne se confondent cependant pas : des combattants irréguliers (des partisans) peuvent être des combattants légaux s’ils respectent les conditions posées par les Conventions pertinentes [19] ; inversement, des combattants réguliers (des soldats), même s’ils sont toujours des combattants légaux, peuvent devenir des criminels de guerre s’ils ne respectent pas le jus in bello applicable. Le contraste entre combat régulier et combat irrégulier dépend du type de régularité en vigueur : l’irrégularité moderne est déterminée par la régularité étatico-militaire, en l’occurrence, celle qu’a établie la République française entre 1793 et 1798 [20]. Celle-ci a créé l’armée nationale de masse, dont a hérité l’Empire napoléonien : type révolutionnaire par rapport à l’armée de métier d’Ancien Régime, devenu néanmoins le nouveau type d’armée légale et régulière. L’intégration du peuple à la belligérance a ainsi pris une forme régulière avec la conscription (les civils en uniforme du service militaire), les partisans (les civils sans uniforme de l’insurrection) représentant la forme irrégulière. Quant à la “levée en masse”, autrement dit, l’appel aux armes par les autorités de citoyens non encore enrégimentés pour lutter contre l’envahisseur, elle s’apparente à une forme intermédiaire. L’irrégularité étant l’antonyme de la régularité, la définition de la guerre irrégulière est négative : la régularité renvoyant à l’armée étatique, la guerre irrégulière désigne la guerre qui n’est pas livrée de part et d’autre par des armées étatiques, mais par des partisans contre des soldats. Ajoutons une transformation que Schmitt a suggérée lorsqu’il comparait les capacités d’embrigadement des partis et des États : lorsque les partisans parviennent à s’équiper en armements lourds et à se structurer en force hiérarchisée avec uniforme (un Parti a cette capacité, presqu’autant qu’un État !), on pourrait parler de guerre quasi-régulière ou quasi-conventionnelle (exemple du Vietminh).

6La guérilla espagnole contre Napoléon se déclencha après la défaite de l’armée régulière. Si l’insurrection fut encadrée par le clergé local, elle ne fut ni ordonnée ni autorisée par les autorités de Madrid, c’est-à-dire les Bourbon, bientôt réfugiés au Mexique. C’est plus tard que la Junte de Séville se mit à la tête de la guérilla. Cette décision d’une fraction du peuple de désigner et de combattre elle-même l’ennemi, est le point essentiel que retient Schmitt. L’autre point essentiel est le soutien qu’apporta la Grande-Bretagne, “tiers intéressé”, à la guérilla espagnole, notamment en débarquant une armée régulière au Portugal voisin, qui servit ainsi de base arrière. Le partisan espagnol, souligne Schmitt, s’engagea dans la lutte armée contre l’étranger et pour la patrie, alors qu’une grande partie des élites étaient afrancesadas. L’armée française apportait avec elle les idées et les institutions de la Révolution, synthétisées dans le Code civil (le Code Napoléon), autrement dit, la modernité. Les partisans espagnols associaient, par conséquent, modalités révolutionnaires et buts contre-révolutionnaires : ils étaient des paysans qui combattaient en insurgés pour “Dieu, la patrie et le roi”, autrement dit, pour le maintien des valeurs et institutions traditionnelles. On sait que la tenue en échec de l’armée française par la guérilla espagnole, immobilisant 300 000 hommes, pesa lourdement dans la défaite finale de Napoléon. La Grande Armée dut affronter d’autres partisans : les réformateurs prussiens (“partisan” ne possède ici qu’un sens intellectuel), les cosaques russes (“partisan” possède ici son sens guerrier réel). De Tolstoï à Staline en passant par Bakounine, la figure du partisan russe s’est élevée au rang de mythe politique, observe Schmitt. Mais alors, le partisan patriote s’était métamorphosé en partisan communiste.

7Après la période inaugurale des guerres napoléoniennes, l’histoire des guerres irrégulières montre que le Partisan se dédouble en deux types. La mise en exergue de cette dualité est l’un des principaux apports de la théorie schmittienne. En 1963, Schmitt brossait un rapide tableau des guerres de partisans en cours depuis la guerre civile chinoise, la seconde guerre mondiale (URSS, Yougoslavie, Grèce, Albanie…), les guerres de décolonisation (Palestine, Indochine, Malaisie, Philippines, Algérie…) et d’autres guerres révolutionnaires (Cuba…). De la guérilla espagnole aux focos guévariens, s’étend “un vaste domaine d’où la science historique et la science militaire ont extrait un ensemble énorme de matériaux” [21]. Il en ressort que la figure du Partisan est double : il y a la figure, plus enracinée, de la guerre étrangère, c’est-à-dire le défenseur d’une patrie, qui en appelle à la lutte contre l’invasion ou l’occupation (idéalement par un soulèvement général), à la libération du territoire, au refoulement de l’ennemi extérieur ; il y a la figure, plus idéologique, de la guerre civile, c’est-à-dire le militant d’un parti, qui en appelle à la prise du pouvoir (idéalement par un coup d’État), au changement de régime, à l’anéantissement de l’ennemi intérieur. Parfois mais pas toujours, ces deux aspects ne font qu’un, et apparaît la figure de la guerre civile internationale, par exemple lorsque le résistant lutte contre l’occupant et le collaborateur, qu’il entend chasser l’étranger et prendre le pouvoir.

8Schmitt associe chacune des deux figures aux rapports qu’elle entretient avec la terre et la technique. Notre auteur a toujours insisté, dans sa Théorie comme dans ses “Conversations” avec Joachim Schickel, sur le caractère “tellurique” et “défensif” du partisan patriote, par opposition au caractère “agressif” et “délocalisé” du partisan communiste. Le “partisan motorisé”, “technicien de la lutte clandestine dans les situations de guerre froide”, n’est plus que “l’outil transportable et interchangeable” de la Puissance qui l’utilise dans la guerre ouverte ou occulte qu’elle mène [22]. Le Partisan a besoin du soutien d’une Puissance tierce. Mais leurs rapports peuvent être totalement paradoxaux. Ainsi, la Grande-Bretagne soutenait la guérilla espagnole contre la France : une “méthode de combat… typiquement tellurique était mise au service d’une politique mondiale typiquement maritime, qui… criminalisait implacablement, dans le… droit de guerre maritime, toute irrégularité sur mer” [23]. Quelque 130 ans plus tard, la Grande-Bretagne utilisa à nouveau les partisans, contre l’Allemagne cette fois, qui, elle, de son côté, se servit du sous-marin, vainement dénoncé comme étant une arme illicite. Le partisan, lui aussi vainement assimilé à un bandit, est tombé (avant le retournement de la fin des années 1970) dans les mains des Puissances communistes : “les défenseurs autochtones de la terre natale” sont devenus les instruments de la révolution mondiale [24].

La fin de la monopolisation étatico-militaire de la belligérance et la légitimation du partisan

9Comment l’irrégulier, dans sa double figure, a-t-il pu être légitimé et même légalisé ? Répondre à cette question revient à se demander comment l’État a-t-il pu accepter que soit remise en cause la monopolisation gouvernementale et militaire de la désignation de l’ennemi et du combat contre lui. L’évolution qu’a fait subir le principe du droit des peuples à l’autodétermination au droit international a permis la légitimation juridique du Partisan. Mais celle-ci remonte à plus loin : à une légitimation philosophique, qui a eu lieu en Allemagne à l’époque des guerres napoléoniennes, puis à une légitimation politique, qui a eu lieu contre l’Allemagne entre la guerre franco-prussienne de 1870 et la seconde guerre mondiale. C’est le paradoxe que le juriste allemand souligne. Lui propose une légitimation éthique du Partisan, du moins de la première figure.

10A) La légitimation juridique L’histoire de l’État en Europe du xviie siècle à 1914, qu’avait résumée l’auteur du Nomos de la Terre, est celle de la monopolisation, de la concentration et de la subordination de la force armée. En découlent cinq distinctions : entre guerre et paix, entre belligérance (conflit entre États) et rébellion (conflit au sein d’un État), entre combattants et criminels, entre fonction militaire (combattre l’ennemi) et fonction judiciaire (réprimer les infracteurs), entre commandement militaire et pouvoir politique (civil). Autant de distinctions remises en cause par la guérilla : celle-ci est-elle paix ou guerre ? belligérance ou rébellion ? les partisans sont-ils des combattants légaux ou des criminels ? et la contre-guérilla : l’armée doit remplir des fonctions de police, voire exercer l’ensemble des pouvoirs publics. Entre 1789 et 1815, l’invocation du droit de résistance à l’oppression et la guerre irrégulière remirent en cause le principe purement étatique et interétatique de l’emploi de la force. Mais le Congrès de Vienne, dont Schmitt fait l’éloge, restaura ce principe : seul l’État, via le gouvernement et/ou le parlement, était en droit d’ordonner la guerre et seuls les militaires (exceptée la “levée en masse” face à l’envahisseur) étaient en droit de la faire, sous l’autorité du gouvernement. La population civile devait rester à l’écart, c’est-à-dire ne pas être le sujet ni l’objet de la guerre. Restaurée une première fois, cette monopolisation étatique et militaire de la belligérance fut remise en cause, une seconde fois et sans restauration, par le principe, proclamé en 1789 puis réaffirmé en 1918 par Wilson et Lénine, du droit des peuples à l’autodétermination, au sens du droit de conserver ou d’acquérir l’indépendance nationale.

11Celui-ci détermina l’évolution du droit de la guerre après 1945 : le jus ad bellum érigea en justes causes les résistances à l’occupation et les luttes de libération nationale (au sens anti-colonial et anti-apartheid) ; le jus in bello érigea en combattants légaux, quoique sous conditions, les membres des mouvements de résistance et ceux de libération nationale. Admis par le droit international contemporain, le droit d’insurrection est une modalité révolutionnaire. Ses objectifs restent cependant conservateurs : la levée en masse face à l’invasion et la résistance face à l’occupation renvoient à la sauvegarde ou au rétablissement de la souveraineté, de l’indépendance politique et de l’intégrité territoriale de l’État envahi ou occupé. Quant à la lutte de libération nationale, elle renvoie au droit à l’autodétermination pour les peuples en situation coloniale ou d’apartheid, c’est-à-dire le droit à l’indépendance étatique ou à l’abolition d’un régime racial (il s’agit du seul “droit à la révolution” entériné par le droit international), le tout dans le cadre des limites territoriales tracées par les Puissances coloniales (l’uti possidetis ita possideatis ou “les frontières issues de la colonisation”). À ce jour, le droit à l’autodétermination a consacré l’obligation de décoloniser, non pas le droit à l’indépendance (au plan externe), ni le droit à la démocratie (au plan interne) pour l’ensemble des peuples[25].

12B) La légitimation philosophique Avant la légitimation juridique, la légitimation philosophique du Partisan nous ramène à l’époque des guerres napoléoniennes. Les intellectuels allemands étaient divisés face à l’Empereur des Français, comme l’illustra l’admiration de Goethe ou de Hegel à son égard. C’est pourtant à Berlin que la figure du partisan fut consacrée philosophiquement, sur trois plans : doctrinal, avec le Vom Kriege de Clausewitz ; législatif, avec l’édit du 21 avril 1813 relatif au Landsturm ; littéraire, avec La bataille d’Arminius de von Kleist. D’après Schmitt, l’ouvrage de Clausewitz “contient… in nuce une théorie du partisan dont la logique a été menée jusqu’au bout par Lénine et Mao Tsé-Toung” [26]. Le drame de von Kleist représente “la plus grande œuvre de littérature partisane de tous les temps”. Quant à l’édit de 1813, signé par le roi de Prusse et publié dans le Recueil des lois, il montre que l’État prussien était prêt à “mouvoir l’Achéron” en 1813, lorsqu’« une élite d’officiers d’état-major chercha à déchaîner et à prendre en mains les forces nationales hostiles à Napoléon” [27]. Le texte, inspiré des précédents espagnols, est un appel au soulèvement général, puisque tout Prussien s’y voit sommé de désobéir à l’ennemi et de lui nuire par tous les moyens. Bref, il constitue une sorte de Magna Carta du partisan, dans laquelle la résistance nationale à l’occupant justifie le déchaînement de la violence, au risque même d’emporter la monarchie prussienne. Toutefois, l’édit fut modifié trois mois plus tard, si bien que la guerre de Libération se déroula sous forme de combats réguliers, sans que l’occupation française fût troublée par aucun partisan allemand. L’Allemagne, le pays de la Réforme, ne connut pas la Révolution : celle-ci lui vint de l’extérieur, de France après 1792, de Russie après 1918, de l’Est et de l’Ouest après 1945. C’est pourtant en Allemagne que fut légalisé et légitimé le partisan patriote, avec les réformateurs prussiens (Scharnhorst, Gneisenau), la doctrine de la guerre de Clausewitz et la doctrine du nationalisme de Fichte. Puis la philosophie de l’histoire de Hegel ouvrit la voie à la réinterprétation marxiste puis léniniste de la théorie du partisan.

13Schmitt établit ainsi à la fois la généalogie et la métamorphose de la légitimation philosophique du partisan, c’est-à-dire l’évolution du partisan patriote au partisan communiste. Les guérillas espagnole et russe étaient des mouvements de peuples agraires et religieux, dont la tradition n’avait pas été touchée par l’esprit de la Révolution française. Il manquait à l’Espagne et à la Russie une culture philosophique moderne pour que la figure du partisan y fût consacrée. C’est en Prusse qu’existait la combinaison de l’Aufklärung, de l’occupation étrangère et du nationalisme. Cette combinaison finit par se retourner contre la France en 1808-1813, contre l’Allemagne en 1941-1945. Clausewitz fut donc le premier théoricien de la guerre populaire ; son dessein n’était pas révolutionnaire mais patriotique ; “l’armement du peuple” s’inscrivait dans le cadre de la défense nationale ; face à l’envahisseur ou à l’occupant, les forces irrégulières n’étaient que les auxiliaires des forces régulières. Cette doctrine stratégique se combina à une doctrine politique : le “nationalisme de libération”, dont Fichte fut le premier théoricien. Associée à la “philosophie de l’histoire” de Hegel (l’idée du Progrès et la guerre au nom du Progrès), cette double doctrine fut à la fois reprise et transformée par les théoriciens et praticiens du socialisme du xixe au xxe siècles : Marx et Engels, Lénine et Trotski, Mao Tsétoung et Lin Biao, Ho Chi-Minh et Giap, Castro et Guevara. La guerre irrégulière désignait la lutte populaire, essentiellement paysanne, contre l’invasion ou l’occupation étrangère, lutte rurale appuyée par des forces régulières et soutenue par des États. Elle désignera la lutte populaire, essentiellement ouvrière, contre “l’État bourgeois”, lutte urbaine appuyée par des partis légaux ou illégaux et soutenue par l’Internationale ou des États socialistes. L’histoire montra la combinaison possible de la lutte patriotique et de la lutte révolutionnaire, et l’intégration de la classe ouvrière à des luttes patriotiques ou celle de la paysannerie à des luttes révolutionnaires. Premier exemple : la guerre franco-prussienne de 1870-71, suivie par Marx et Engels, montre le basculement de la “levée en masse” face à l’invasion [28], à la Commune de Paris, insurrection prolétarienne. Second exemple : les mouvements de libération nationale du xxe siècle, animés par des idéaux patriotiques, luttent pour l’indépendance politique ; parfois aussi, animés par des idéaux révolutionnaires, ils luttent pour la transformation des rapports économiques et sociaux.

14C) La légitimation politique La légitimation philosophique du Partisan et sa métamorphose en figure duale se corrèlent à son histoire politique depuis la fin des guerres de la Révolution et de l’Empire. Quatre périodes se détachent.

15Au xixe siècle, apparaissent les premiers “mouvements de libération nationale” en Europe (guerre d’Indépendance grecque, soulèvements hongrois, polonais, italien, guerres d’Indépendance dans les Balkans), tous dirigés contre des empires plurinationaux (Habsbourg, Romanov, Ottoman) [29]. En Amérique latine, les guerres d’Indépendance sont menées par des forces quasi-régulières, sauf à Haïti et à Cuba. En Afrique et en Asie, l’expansion des Européens s’effectue à l’aide d’idées, d’institutions et de technologies modernes. Elle se heurte à des formes de guerre régulière et irrégulière, menées par des sociétés traditionnelles avec ou sans État [30]. Face aux États européens, la guérilla afro-asiatique garde quoi qu’il en soit un caractère défensif, patriotique et rural [31].

16La première guerre mondiale ne voit pratiquement pas de combats de partisans en Europe (tout au plus quelques francs-tireurs belges ou serbes) ; hors d’Europe, les seules opérations notables sont menées par Lettow-Vorbeck contre les Britanniques au Tanganyka, par Lawrence contre les Turcs en Arabie. La guerre civile russe, après le coup d’État réussi de Lénine, comme la guerre civile espagnole, après le putsch raté de Franco, et la guerre civile chinoise, après la rupture entre le parti communiste et le Kuo-Min-Tang, opposent des forces militaires gouvernementales, dont l’idéologie (sauf en Chine) est révolutionnaire, à des forces insurgées militarisées, dont l’idéologie (sauf en Chine) est contre-révolutionnaire : combats subconventionnels et quasi-conventionnels se mêlent. Au contraire de la première, la seconde guerre mondiale voit l’essor des combats de partisans, du fait du caractère idéologique du conflit, de la stratégie périphérique britannique et de l’appel soviétique (l’appel de Staline du 3 juillet 1941). La figure du partisan, dans son double aspect patriotique et communiste [32], trouve sa légitimation politique dans la résistance à l’occupant et à ses collaborateurs ; la légitimation juridique viendra avec les Conventions de Genève de 1949. Le premier contexte idéologique et géopolitique est donc “l’antifascisme”, dans le cadre de la “Grande Alliance” Est-Ouest contre l’Axe Rome-Berlin-Tokyo. La résistance n’était cependant qu’une force auxiliaire dans les stratégies anglo-américaine et soviétique. Son rôle était de porter les hostilités sur les arrières ou les communications de la Wehrmacht, en étendant la profondeur du théâtre des opérations et en obligeant la Wehrmacht à disperser ses forces.

17Ce sont les conflits de la décolonisation [33] qui donnent à la guérilla une place centrale au plan opérationnel. De la seconde guerre mondiale à ces conflits, apparaît donc la distinction entre le Partisan auxiliaire du Soldat et le Partisan figure principale de la belligérance. Mao et Lin Biao furent au xxe siècle les deux plus grands théoricien et praticien des forces irrégulières auxiliaires des forces quasi-régulières. Les méthodes chinoises utilisées depuis 1927 inspirèrent les Soviétiques en 1941-44, puis les Viet-namiens en 1946-54. Face à l’armée japonaise (lutte patriotique et défensive) et face aux forces gouvernementales chinoises (lutte révolutionnaire et offensive), l’armée rouge chinoise, disposant de l’appui soviétique, mêlait combats subconventionnels et quasi-conventionnels, en tendant à transformer la guérilla en guerre quasi-régulière. En même temps, Mao associait la théorie léniniste de la dictature et du Parti d’avant-garde à la paysannerie et au nationalisme : le potentiel révolutionnaire des revendications foncières et patriotiques était intégré à la lutte armée pour le socialisme. Telle fut l’innovation décisive : l’invention d’un marxisme agraire et national, donc adapté à la révolte des peuples afro-asiatiques, transformés par le processus de modernisation, contre l’Occident. Le deuxième contexte est donc “l’anti-impérialisme”, dans le cadre de l’alliance entre le tiers-mondisme et le communisme russe ou chinois.

18La seconde moitié des années 1970 marque un nouveau tournant : l’organisation et les méthodes de la guerre irrégulière sont retournées contre l’URSS et ses alliés [34]. Ainsi en Ethiopie, en Angola, au Mozambique, au Nicaragua, en Afghanistan, les partis se réclamant du marxisme-léninisme, à peine arrivés au pouvoir, se trouvent confrontés à des partis rivaux, anciens ou nouveaux, soutenus par des États tiers [35]. Le troisième contexte devient “l’anticommunisme”, le soutien américain aux combattants irréguliers contre-révolutionnaires du tiers monde devenant un élément décisif de la phase finale de la guerre froide. La guerre d’Afghanistan fut typique d’une situation renversée : le gouvernement socialiste de Kaboul et l’armée soviétique durent lutter contre une guérilla soutenue par le Pakistan, l’Arabie Saoudite, l’Égypte et les États-Unis : guérilla patriotique et défensive (celle menée par les mudjahidins afghans) mais aussi internationaliste et offensive (celle menée par les “volontaires arabes”). Paradoxale association de la résistance islamique traditionnelle et de la grande Puissance occidentale moderne ! Depuis la fin du conflit Est-Ouest, on sait que la principale figure du partisan est celle du “jihadiste”, à la fois localisée et délocalisée [36]. Le quatrième contexte correspond au front transnational entre l’Occident et les gouvernements locaux d’un côté, le radicalisme islamique de l’autre.

19D) La légitimation éthique La légitimation que Schmitt, lui, veut donner au Partisan, du moins au premier type, est fondamentalement d’ordre éthique, dérivée du pro patria mori et liée à son affirmation théologico-morale du politique à l’encontre du libéralisme et du pacifisme.

20Le partisan patriote est une figure héroïque [37], autrement dit, “un scandale pour tout esprit rationaliste et utilitariste”. En tant que telle, il est peut-être aussi une figure archaïque : “il est l’un des derniers à monter la garde sur la terre ferme, cet élément de l’histoire universelle dont la destruction n’est pas encore parachevée”. Mais cette “force élémentaire” arrive à tenir en échec des armées régulières modernes : “la perfection technique et industrielle” est combattue avec succès par une “primitivité agraire et pré-industrielle” [38]. Schmitt souligne ainsi que dans la guerre de partisans, comme dans la guerre de masse et de matériel ou dans la guerre high tech, ou bien face à la guerre de masse et de matériel ou à la guerre high tech, c’est en définitive le courage du peuple prêt à la lutte ou celui de l’individu prêt au combat qui est décisif. La guerre étant devenue une activité bureaucratique, industrielle, scientifique, logistique, l’individu combattant tend à n’être qu’un rouage minuscule et remplaçable dans un immense mécanisme en mouvement. Tout continue cependant à dépendre du courage qu’il a de rester à son poste ou de remplir sa mission. Il y a donc encore une place pour les “guerriers”, id est les combattants qui maintiennent la forme héroïque du combat, celle où l’on risque sa vie dans la confrontation physique directe avec l’adversaire. Précisément, le rapport physique entre combattants revient avec la guérilla et la contreguérilla.

21D’autre part, le partisan se tient au niveau de l’évolution technologique et il participe à cette évolution : il combat sur/sous terre, sur/sous mer, dans les airs, il localise ou délocalise son combat, il maîtrise ou apprend à maîtriser les circuits et les instruments les plus perfectionnés [39]. Disposera-t-il un jour “d’armes atomiques” ? La vie tout entière, y compris la vie politique et la vie guerrière sont placées devant la question de la technique. “Dans un monde où plus rien n’échappe à l’organisation technique, les anciennes formes et conceptions… du combat, de la guerre et de l’ennemi disparaissent… Mais le combat, la guerre et l’ennemi disparaissent-ils pour autant, pour subsister sous la forme plus bénigne de conflits sociaux ? Le jour où la rationalité et la régularité… d’un monde pris en charge par l’organisation technique l’auront emporté totalement, le partisan ne sera peut-être même plus un gêneur. Il aura tout simplement disparu de lui-même dans ce déroulement sans à-coups de processus… fonctionnels… Pour une imagination réglée sur la technique, il sera à peine encore un problème de police…, il ne sera certainement plus un problème philosophique, moral ou juridique” [40]. En reprenant le style des pages du Begriff des Politischen de 1932 où il repoussait l’idéal de la dépolitisation, le juriste montre qu’il renouvelle son affirmation théologico-morale du politique. Telle est la sympathie de Schmitt doctrinaire du politique envers le Partisan. Le Partisan désigne et combat l’ennemi ; il s’oppose à un monde dépolitisé, purement économique et technique ; en même temps, il empêche l’avènement d’un tel monde, qui ne donne plus de sens à l’existence, alors que ce sont l’hostilité et l’épreuve qui fondent la dignité humaine. Le Partisan est le nouvel obstacle auquel se heurte l’idéal du One World et de la paix universelle, idéal qui restera vaine “illusion” tant qu’il y aura des hommes prêts à risquer leur vie pour la cause de leur patrie.

22L’optimisme technique… espère en un monde nouveau et en un homme nouveau”. Du point de vue de cet “optimisme technique”, l’irrésistible développement industriel de l’humanité résoudra tous les problèmes et fera disparaître les partisans. “Mais que se passera-t-il si un type humain qui, jusqu’à présent, a donné le partisan, réussit à s’adapter à son environnement… industriel, à se servir des moyens nouveaux et à développer une espèce nouvelle… du partisan, que nous nommerons le partisan industriel ?”. Face à “l’optimisme du progrès”, le “pessimisme du progrès”, celui qui croit à la dangerosité humaine (langage anthropologique) ou au péché originel (langage théologique), dispose d’un vaste champ avec “les moyens d’extermination modernes”. Schmitt passe du partisan agraire au partisan nucléaire, n’hésitant pas à donner la vision d’un futur apocalyptique. “L’imagination technique connaît… une solution d’un pessimisme radical, celle de la tabula rasa. Dans une région traitée aux moyens de destruction modernes, tout serait mort évidemment, ami et ennemi, régulier et irrégulier. Il demeure toutefois concevable, d’un point de vue technique, que quelques êtres humains survivent à la nuit des bombes et des fusées. En regard de cette éventualité, il serait pratique, et même rationnellement opportun, de prévoir dans les plans la situation d’après les bombes et de former dès aujourd’hui des hommes qui, dans la zone ravagée par les bombes, s’installeraient immédiatement dans les cratères pour occuper la région détruite” [41]. Soviétiques et Américains n’ont-ils pas envisagé, à l’époque où écrit le juriste, la possibilité d’une guerre nucléaire et d’une victoire nucléaire ?

La théorie de la guerre irrégulière

23Carl Schmitt discerne quatre critères généraux délimitant le champ conceptuel de la théorie du partisan : l’irrégularité, l’engagement politique, la mobilité tactique, le caractère rural, plus le “tiers intéressé” (Rolf Schroers). Mais il ne distingue pas les différents types de conflits : interétatiques, internationaux mais non interétatiques, non internationaux, dans lesquels agissent les partisans. Il ne précise pas non plus la terminologie, ni ne développe de praxéologie, ni ne distingue les différents niveaux de la tactique, de la stratégie et de la politique, ni ne traite des problèmes de la contre-guerre irrégulière. C’est sur ces points là : typologie des contextes conflictuels (invasion, occupation, situation coloniale ou d’apartheid, lutte révolutionnaire, lutte sécessionniste), terminologie (“guérilla”, “guerre de partisans”, “guerre populaire”, “insurrectionnelle”, “clandestine”, “subversive”, “révolutionnaire”) [42], praxéologie (les volets politique et militaire de la guerre irrégulière menée par les partisans), contre-guerre irrégulière (la combinaison des activités de combat et de police exercées par les forces militaires), que la Théorie du partisan de Schmitt et, avec elle, sa critériologie, doivent être complétées.

24A) De la “défense de la constitution” au “conflit de basse intensité” S’agissant de la contre-guerre irrégulière, le théoricien de l’état d’exception et de la défense de la constitution aurait pu fournir des indications. Les partisans étant d’abord des militants politiques, il y a trois façons “pacifiques” ou “légales” de lutter contre eux : la contre-propagande ; la réduction de leur publicité (la privation de l’accès aux mass media) ; la proscription partielle ou totale… au risque de les précipiter dans la voie insurrectionnelle ! Le raisonnement des détenteurs du pouvoir et de leurs alliés est celui de la “défense de la constitution”. Elle implique d’interdire les partis anticonstitutionnels, donc de limiter le pluralisme politique, de garantir la loyauté des agents publics, donc de les assermenter à la constitution, de limiter la révision constitutionnelle, donc de distinguer les principes fondamentaux (intangibles) des principes secondaires (révisables). Les moyens utilisés pour dissoudre les associations et réprimer leurs membres relèvent de pouvoirs de police administrative et judiciaire extraordinaires au nom de “circonstances exceptionnelles”… soumis normalement au jugement des tribunaux compétents dûment saisis et à la critique des autres partis d’opposition ! S’ils ne suffisent pas, par exemple en cas d’insurrection, il faut alors recourir à la force militaire pour livrer un “conflit de basse intensité” à des fins de “pacification”. Tel est le continuum politique de la paix à la guerre, même si les deux états marquent une rupture juridique. La guérilla est ainsi un “trouble interne” qui s’est métamorphosé en un “conflit armé” se déroulant au sein la population. Il s’agit d’un “conflit de basse intensité”, cependant susceptible d’une double escalade, politique et militaire. Il est probable que l’état de droit (la légalité ordinaire divisant les pouvoirs et protégeant les libertés) cède à l’état d’exception (la légalité extraordinaire concentrant les pouvoirs et restreignant les libertés), avec transfert des compétences de police lato sensu des autorités civiles aux autorités militaires. Il est possible que la “guerre dans la population” se transforme en “guerre contre la population” (de la contre-guérilla au génocide, le pas peut être franchi).

25B) La critériologie de la guerre irrégulière Dûment complétée, la critériologie schmittienne de la guerre irrégulière - lorsque cette dernière n’est pas la simple auxiliaire de la guerre régulière- comprendrait quatre séries d’éléments : l’insurrection et la clandestinité, la guérilla, l’usure et la subversion, la prise du pouvoir, auxquels s’ajouterait le “tiers intéressé”.

261. Insurrection et clandestinité Les partisans sont des insurgés, c’est-à-dire des civils qui appartiennent à une organisation clandestine (OC) ayant choisi la lutte armée. Souvent, pour être admis dans cette organisation et pour y maintenir une discipline rigoureuse, il faut commettre, sous peine de châtiment, un attentat sur une personne désignée, homme politique ou agent public, en tel lieu et à tel moment. Définitivement compromis, le militant n’aura d’autre cause que celle de l’OC. L’appartenance à un parti révolutionnaire, dans la guerre révolutionnaire, implique “rien moins qu’une réquisition totale”, remarquait Schmitt [43]. L’appartenance à une OC engendre le “holisme organisationnel” : les individus, poursuivis, vivent dans l’illégalité, si bien que l’Organisation est simultanément leur direction (elle donne les ordres) et leur protection (elle sert d’abri). D’où l’importance à la fois de la solidarité et de la segmentation du groupe [44], qui font ressembler l’OC à une “communauté atomisée”. La clandestinité, paradoxalement, s’associe à la recherche de la notoriété et de la légitimation. Elle peut n’être que partielle, en cas de “dualité de structure” : certaines OC disposent d’une “vitrine légale”, parti, syndicat, organe de presse…

272. La guérilla La tactique qui découle de l’insurrection et de la clandestinité est la guérilla, du moins une fois parvenue à un certain degré d’implantation, dépassant le simple “trouble interne”. La guérilla est une tactique de harcèlement visant les points faibles de l’adversaire régulier (postes isolés…). Elle requiert : connaissance du terrain ; dissimulation, furtivité et mobilité ; faible logistique et coordination souple, afin d’alterner rapidement attaque et retraite, embuscades et accrochages, sabotages et attentats. Les partisans ont besoin de la population ; ils vivent chez elle et ils comptent sur elle : par la persuasion ou la coercition, ils doivent en tirer, au moins partiellement, leurs sources de financement, hébergement, ravitaillement, recrutement. Ils cherchent à “l’éduquer” et à la solidariser, y compris en la compromettant pour la rallier : l’obliger à coopérer (à fournir des vivres, abris, fonds, hommes, renseignements) en escomptant que la crainte de la répression de la part des forces régulières la fera basculer dans le camp des partisans. Ces derniers utilisent différentes techniques de mise au défi des forces de l’ordre, qui obligent les autorités, soit à une capitulation politique, soit à une répression impopulaire. D’autre part, l’alternance des attaques et des appels à la négociation sert à saper la volonté de combattre de l’adversaire, à apparaître comme un ami de la paix et permet de s’ériger en interlocuteur à égalité avec les autorités. En usant de violence et de propagande sur cette violence, les partisans cherchent à exacerber les tensions sociales, à rompre les inhibitions des gens habitués à obéir, à transformer les critiques individuelles en contestation collective. Il leur faut, en effet, enclencher d’autres formes d’action que la lutte armée, à partir de la lutte armée et parallèlement à la lutte armée, car la violence, à elle seule, ne représente pas un danger décisif pour l’autorité établie. La violence doit agréger et mobiliser les groupes sensibilisés puis les couches passives de la population, donc renforcer l’organisation clandestine.

283. L’usure et la subversion Le but stratégique de la guérilla, combinée à d’autres formes de contestation, est l’usure et la subversion. Par leur lutte prolongée, multisectorielle et multidimensionnelle, les partisans veulent attirer l’attention des médias (qui se considèrent comme des “contre-pouvoirs” en démocratie), des États tiers et des organisations internationales. Au-delà de la recherche de la notoriété et de la légitimation, ils veulent faire jouer la “critique de la domination” en défaveur du plus fort et le “principe de la compassion” en faveur du plus faible (bien gérée, l’image du faible devient gagnante face à celle du fort, dès lors qu’elle attire la sympathie des tiers). Ils visent à décourager l’opinion, les forces, l’autorité adverses, après avoir montré aux masses la vulnérabilité d’un pouvoir qu’elles croyaient peut-être invincible. Parallèlement, ils entendent imposer, par leur encadrement politique clandestin et leur force armée, leur domination auprès de la population qu’ils prétendent représenter. Pour cela, il leur faut : éliminer les éléments hostiles, rivaux ou modérés de cette population [45], notamment le personnel politique, administratif et judiciaire local [46] ; instituer des “zones libérées” (conquérir le pouvoir à la base et le conserver) dans lesquelles ils surveilleront, agrégeront et mobiliseront les habitants, leur imposeront silence, lanceront des campagnes de dénonciation ou des mots d’ordre permettant de savoir qui est sympathisant et qui ne l’est pas, puniront toute insoumission ; saper l’autorité officielle, la doubler, se substituer à elle, montrer qu’elle n’est pas capable de se faire obéir ni de protéger ses collaborateurs ou même tout citoyen, de manière à ce que la population finisse par transférer son allégeance. Il importe, en effet, non seulement que les anciens rapports sociopolitiques soient rompus, mais que de nouveaux soient instaurés.

294. La prise du pouvoir La finalité politique de l’usure et de la subversion est la prise du pouvoir au nom d’une cause. Les partisans revendiquent une légitimité qu’ils opposent à la légalité en vigueur. Ils traitent en ennemis ceux qui obéissent à la légalité qu’ils rejettent ; ils traitent en amis ceux qui adhèrent à la légitimité qu’ils invoquent. Parce qu’ils sont le plus souvent considérés comme des criminels [47] et qu’ils peuvent sombrer dans le banditisme, leur priorité est de faire connaître et reconnaître le caractère politique, id est désintéressé et collectif, de leur action (qui les distingue à la fois des mercenaires, des pirates et des criminels de droit commun, motivés par le gain personnel). Ensuite, il s’agit pour eux de trouver des alliés, à l’intérieur et à l’extérieur, puis d’obliger les autorités à négocier, en s’imposant comme des interlocuteurs incontournables. Des partisans ne remportent pas de victoire militaire, à moins qu’ils ne se structurent en forces quasi-régulières. Mais il leur suffit de tenir en échec les efforts de “pacification”, d’obliger l’autorité à maintenir l’état d’exception, avec les coûts économiques, politiques, moraux, à l’intérieur et à l’extérieur, pour qu’ils soient en mesure de convaincre les autorités, soumises à des campagnes de presse, à la pression des électeurs ou à celle de tierces Puissances, qu’elles ne pourront l’emporter définitivement, qu’il ne leur reste donc qu’à négocier ou à céder… Au risque de susciter l’indignation voire la rébellion d’une partie de l’opinion ou des militaires [48] ! La participation au pouvoir clôt la phase de la lutte armée, à moins qu’elle ne précède la monopolisation du pouvoir, par la voie légale et/ou la poursuite de la lutte armée via la structuration en force quasi-régulière.

305. Les “tiers intéressés” ne sont ni des co-belligérants ni des neutres. Ce sont les Puissances qui s’engagent en deça de l’intervention militaire directe aux côtés des partisans et à l’encontre du gouvernement. Par exemple, elles envoient de l’aide humanitaire ou instaurent des “zones humanitaires” (servant de refuges), donnent asile aux membres des organisations partisanes, versent des fonds, livrent des armes, dépêchent des instructeurs voire des troupes déguisées, procurent des bases aux mouvements partisans leur permettant de poursuivre la lutte à l’abri de leurs frontières étatiques, leur confèrent une reconnaissance politique donc une légitimité internationale [49]. Cette amitié politique est d’autant plus décisive que l’irrégulier doit inévitablement se légitimer par référence au régulier, soit en se faisant reconnaître par un régulier, soit en imposant une nouvelle régularité : “l’irrégularité à elle seule n’est constitutive de rien, elle devient simplement une illégalité” [50]. En cas d’intervention militaire directe aux côtés des partisans, éclate un conflit armé interétatique, dans lequel les partisans ne sont plus que les auxiliaires de l’armée régulière intervenante. Les mouvements dénués ou privés de soutien extérieur échouent [51]. L’intervention étrangère joue un rôle asymétrique selon qu’elle se place aux côtés des partisans ou aux côtés du gouvernement : elle confère une légitimation aux premiers, à moins qu’ils n’apparaissent comme de simples “organes de fait” de la Puissance étrangère ; elle tend à délégitimer le second, si bien que l’intervention étrangère, même nécessaire dans l’immédiat, peut s’avérer contre-productive à terme [52]. En effet, le nationalisme (l’aspiration à être gouvernée par des compatriotes) a pour conséquence qu’aucune Puissance étrangère (occidentale) n’a le pouvoir de doter un gouvernement local (afro-asiatique) de la légitimité ; inversement, l’association d’un gouvernement à une Puissance étrangère érode la légitimité de celui-ci. Il importe que les forces étrangères donnent l’impression qu’elles sont présentes à l’appel authentique et révocable du gouvernement local [53].

Du partisan patriote au partisan communiste ou : de l’hostilité réelle à l’hostilité absolue

31La légitimation “démocratique” du Partisan paraît épouser le “progrès de l’histoire”. Elle aboutit, en fait, à une “régression de la civilisation”, au sens où la guerre irrégulière, se déroulant au sein de la population, ouvre une voie vers la “guerre totale”, parallèlement à l’évolution discriminatoire de la belligérance [54]. À cet égard, la légalisation de la guerre irrégulière : la résistance à l’occupation en 1949, les luttes anti-coloniales et anti-apartheid en 1977, aboutissent, montre Schmitt, à une aporie. Le doctrinaire du politique aimait le Partisan ; le juriste du jus publicum europaeum dénonce le Partisan ! Pour échapper à la contradiction, l’auteur de la Théorie du partisan entreprend à nouveau, en retraçant la trajectoire du phénomène de Clausewitz à Lénine et à Mao, de contre-distinguer les deux figures. Il entend montrer qu’elles ne sont pas animées par le même type d’hostilité et qu’elles ne livrent par conséquent pas le même type de guerre.

32A) Le contraste entre la guerre régulière et la guerre irrégulière La théorie et la pratique stratégiques au sens moderne reposent sur le postulat que la force armée est monopolisée et concentrée par l’État, id est l’institution militaire, dont les membres portent ostensiblement l’arme et l’uniforme. Lorsque l’armement (léger) est diffusé dans la population, ou que les combattants s’y dissimulent, ou que chaque civil est un combattant potentiel, il n’est plus possible à un belligérant de concentrer l’effort de guerre sur les forces adverses. Les partisans créent ainsi un nouvel espace du conflit armé : la population civile elle-même, bouleversant les conditions de la guerre sur terre [55]. Dans la guerre irrégulière, il n’y a pas de front, à peine un théâtre : tout le territoire et sa population sont susceptibles d’être visés, sinon ravagés, par l’agitation d’un côté, le quadrillage de l’autre. De plus, la guerre irrégulière renvoie toujours à une forme de guerre civile : non seulement l’affrontement entre les autorités et un ou plusieurs mouvements, mais encore l’affrontement entre fractions de la population, insurgés d’une part, loyalistes d’autre part [56]. Or, la guerre civile et la “guerre totale” ont des traits communs : elles abolissent les distinctions combattants/non-combattants ; elles tendent à discriminer l’ennemi au nom d’une idéologie et à exiger sa capitulation ; elles impliquent la mise en place d’un pouvoir dictatorial, pour réaliser l’effort guerrier ou vaincre l’insurrection. D’autre part, il n’y a généralement pas, en temps de guerre irrégulière, d’application du statut de prisonnier de guerre (PG), puisqu’il s’agit de retourner l’adversaire capturé ou, surtout, d’obtenir des renseignements, y compris en appelant la population à la délation. De toute façon, les combattants irréguliers remplissent assez rarement les conditions pour être considérés comme des combattants légaux ayant droit au statut de PG [57]. C’est en ce sens qu’ils se livrent à une belligérance “risquée”, non pas au sens du droit des assurances, soulignait Schmitt : le partisan “sait que l’ennemi le rejettera hors des catégories du droit… et il accepte de courir ce risque… Il n’attend… ni justice ni grâce. Il s’est détourné de l’hostilité conventionnelle de la guerre… pour se transporter sur le plan d’une hostilité différente… dont l’escalade, de terrorisme en contre-terrorisme, va jusqu’à l’extermination” [58].

33B. L’aporie de la légalisation de la guerre irrégulière Parallèlement à la montée des luttes irrégulières, le jus in bello au xxe siècle a élargi les catégories de combattants de facto susceptibles de prétendre au statut de combattants de jure (donc à celui de PG en cas de capture ou de reddition, n’encourant pas de responsabilité pénale, puisque leurs actes ne sont plus considérés comme criminels). Des combattants irréguliers, id est des civils insurgés, peuvent devenir des combattants légaux, à l’instar des combattants réguliers, id est des soldats. En 1963, Schmitt entreprend de démontrer que cette légalisation de la guerre irrégulière aboutit à la dissolution du jus in bello et du régime de l’occupatio bellica.

34La guerre du jus publicum europaeum est un conflit armé livré par des armées étatiques entre des ennemis étatiques “qui se respectent… dans la guerre en tant qu’ennemis sans se discriminer mutuellement comme des criminels, de sorte que la conclusion d’une paix est… l’issue normale… de la guerre”. Au regard de cette régularité classique, le partisan ne peut être qu’une figure marginale, “ce qu’il fut effectivement encore durant toute la première guerre mondiale” [59]. De fait, les Allemands ne se heurtèrent pratiquement à aucune résistance armée en Belgique, dans le nord de la France ou en Pologne russe, en 1914-1918. Mais la conscription a transformé les guerres entre États en guerres entre nations. En résultent des situations difficiles voire insolubles pour le droit international, car les “milices”, les “corps de volontaires” ou la “levée en masse”, dont les membres ont droit au statut de combattants légaux selon le Réglement de La Haye de 1907, sapent la distinction des civils et des militaires. Qui est non combattant à l’heure de la “nation armée” ? Parallèlement, la “mobilisation totale” entraîne l’élargissement de la notion d’objectif militaire. Bref, la “démocratisation” et “l’industrialisation de la guerre” tendent à la “totalisation de la guerre”, donc à la négation du jus in bello, même si celui-ci réaffirme normativement la distinction des combattants et des non-combattants, des objectifs militaires et non-militaires. Dans ce contexte, la guerre irrégulière surajoute des problèmes spécifiques.

35À la suite de l’occupation allemande, de la résistance à cette occupation et des représailles allemandes, en 1940-44, de longues et difficiles controverses juridiques se sont développées. Les Conventions de Genève de 1949 assimilent la résistance à l’occupation à un conflit armé international, du moins si les mouvements de résistants et leurs membres remplissent les conditions posées. Le régime de l’occupatio bellica, dont traite la IVe Convention relative à la protection des populations civiles, s’en trouve rendu complètement contradictoire. Pour résumer, il est dit que les agents publics et les particuliers doivent obéissance à l’autorité militaire occupante, même si leur allégeance continue d’aller à l’État dont ils sont ressortissants, d’où résulte le droit de résistance armée à l’occupant ! La IVe Convention essaye de trouver un compromis entre les intérêts de l’armée occupante et ceux de son adversaire : le résistant, c’est-à-dire le partisan. Celui-ci trouble dangereusement l’ordre en vigueur dans le territoire occupé, “non seulement parce que le territoire situé à l’arrière du front… est son théâtre d’opérations spécifique, où il perturbe les transports et les (communications), mais encore du fait qu’il est plus ou moins soutenu et caché par la population de ce territoire” [60]. Les partisans comptant sur la population, la protection de cette dernière équivaut à une protection indirecte des premiers. Mais, souligne Schmitt, la population ne doit pas être protégée uniquement vis-à-vis de l’armée d’occupation, elle doit l’être aussi vis-à-vis des partisans ! La IVe Convention confirme que l’autorité militaire occupante a le droit de prévenir et de réprimer les actes hostiles. À cette fin, elle conserve la faculté de réclamer le concours de la police et de la justice locales. Le policier local se trouve ainsi placé au centre d’exigences périlleuses et contradictoires. L’occupant attend de lui l’obéissance dans le maintien et le rétablissement de l’ordre, c’est-à-dire la lutte contre les résistants ; les autorités de l’État dont il est le ressortissant et l’agent exigent qu’il garde son allégeance, et elles lui demanderont des comptes à la fin des hostilités ; la population dans laquelle il opère escompte de lui une solidarité qui peut s’opposer à sa mission de police administrative ou judiciaire. Les partisans et l’armée qui les combat auront tôt fait de le précipiter “dans le cycle infernal de leurs représailles et contre-représailles” [61].

36Le Réglement de La Haye de 1907 et les Conventions de Genève de 1949 ont posé des conditions à la reconnaissance des combattants irréguliers comme combattants légaux. S’agissant des mouvements de résistance, les conditions sont les suivantes : lien avec une partie au conflit, organisation sous un commandement responsable, signe distinctif fixe et visible à distance, port ouvert des armes, respect des lois et coutumes de la guerre. Il est alors facile de comprendre le caractère aporique de ces conditions, eu égard à la nature même de la guerre des partisans. L’irrégularité des partisans se manifeste dans leur rébellion à l’autorité et dans la pratique qui découle de cette rébellion : le fait de se fondre dans la population, de ne pas arborer de signes distinctifs et de ne pas porter ouvertement les armes, de préférer les actions perfides au combat loyal, de chercher à provoquer des réactions disproportionnées de la part de l’armée régulière en espérant que la population se soulèvera. Comment pourraient-ils renoncer aux méthodes de la guerre de partisans sans cesser d’être des partisans et sans perdre les avantages que procurent ces méthodes face à une armée régulière ? D’autre part, la “partie au conflit” peut être l’État dont les résistants sont ressortissants ou un État allié. L’État dont ils sont ressortissants peut être représenté : par le gouvernement légal demeurant sur la partie libre du territoire national ; par le gouvernement légal réfugié sur le territoire d’un État allié cobelligérant ; par une autorité “représentative” qui se réfugie sur le territoire d’un État allié cobelligérant et qui désire poursuivre la lutte bien que le gouvernement légal ait signé un armistice (on aura reconnu le cas français en 1940-44). La résistance à l’occupation devient alors guerre civile contre le gouvernement !

37À cette énorme réserve près, les Conventions de Genève représentent une grande œuvre humanitaire. “En faisant preuve, à l’égard de l’ennemi, non seulement d’humanité mais encore de justice au sens où il est reconnu, elles se maintiennent sur la base du droit international classique et de sa tradition, sans lesquels une telle œuvre d’humanité ne serait guère possible”. Mais le fondement de ce droit classique procède du concept non discriminatoire de guerre, avec ses distinctions entre guerre et paix, belligérance et rébellion, militaires et civils, ennemi et criminel. Or, “les Conventions… ouvrent la porte à une forme de guerre qui détruit sciemment ces distinctions nettes”. Du point de vue de la thèse schmittienne de la liaison subordonnée du jus in bello au jus ad bellum, l’évolution vers un concept discriminatoire de belligérance sape à la base les tentatives de limitation des conflits armés [62]. Cette limitation s’appuie en effet “sur certains aspects qui, pour avoir été écartés par la Révolution française, ont été réhabilités… dans le cadre de l’œuvre de restauration du Congrès de Vienne. Les notions de guerre limitée et d’ennemi juste que nous a léguées l’époque monarchique ne peuvent être légalisées au plan interétatique que si les États belligérants de part et d’autre y demeurent attachés à l’intérieur aussi bien que dans leurs relations réciproques, c’est-à-dire quand leurs concepts intra-étatiques et interétatiques de régularité et d’irrégularité, de légalité et d’illégalité ont le même contenu ou… du moins une structure à peu près homogène. Sinon, la normalisation interétatique, loin de promouvoir la paix, n’aura d’autre résultat que de fournir des prétextes et des mots d’ordre à des mises en accusation réciproques” [63]. Précisément, les concepts classiques ne sont plus que des instruments tactiques mis au service de la révolution mondiale.

38C) De Clausewitz à Lénine Toute théorie de la guerre, selon Schmitt, a pour objet d’identifier l’hostilité qui lui donne son sens et son caractère propre. L’hostilité étant par rapport à la guerre le concept premier, il s’ensuit que la distinction des différentes sortes d’hostilité précède la distinction des différentes formes de guerre.

39Le jus publicum europaeum avait limité l’hostilité en distinguant l’ennemi du criminel. C’est précisément cela que la guerre irrégulière semble remettre en question : en opposant leur légitimité à la légalité en vigueur, les partisans disqualifient politiquement les autorités ; quant à ces dernières, elles assimilent les rebelles à des bandits (à des “terroristes”, dirait-on de nos jours). Le partisan est ainsi “celui qui exécute l’arrêt de mort prononcé contre le criminel” et celui qui risque aussi “d’être traité comme un criminel” [64]. Les combattants irréguliers sont, en effet, des combattants illégaux s’ils ne respectent pas les conditions conventionnelles, cependant qu’en cas de guerre civile (donc hors “levée en masse”, résistance à l’occupation ou lutte anti-coloniale ou anti-apartheid) les insurgés n’ont la qualité de combattants légaux que s’il y a reconnaissance de belligérance par le gouvernement établi [65]. Le partisan patriote, de par son caractère défensif et localisé, s’en tient cependant à une hostilité politique, “réelle” mais non “absolue”, alors que le partisan communiste, de par son caractère révolutionnaire et mondialisé, développe une hostilité idéologique, “absolue”. Or, le nationalisme de libération a fini par tomber “aux mains d’une direction centrale… supranationale qui apporte… son soutien, mais dans le seul intérêt de ses propres objectifs de nature toute différente, visant une agression mondiale”. Une guerre à but révolutionnaire : destruction de l’ennemi de classe ou suppression du gouvernement adverse, fait du partisan “le personnage central” de la belligérance, et les soldats eux-mêmes, au cours d’une guerre idéologique, deviennent des partisans. “Telle est la logique d’une guerre à justa causa qui ne se reconnaît pas de justus hostis” [66].

40Au xxe siècle, la guerre des États tend donc à être remplacée par la guerre des Partis. Ainsi, la première guerre mondiale, commencée comme une guerre interétatique européenne classique s’est terminée “par une guerre civile mondiale née de l’hostilité révolutionnaire de classe” [67]. C’est à cette évolution que s’intéresse Schmitt, qui néglige, par conséquent, d’une part, la caractéristique des armées industrielles de masse dans la montée aux extrêmes d’une guerre d’usure prolongée, d’autre part, la lutte de la contre-révolution (fasciste) et de la révolution (communiste) dans l’éclatement de la “guerre civile internationale”. Dans les années 1920, il avait reconnu en Lénine le théoricien et le praticien de la dictature révolutionnaire [68]. En 1963, il s’intéresse au théoricien et au praticien de la guerre révolutionnaire. L’originalité du chef bolchevik est d’avoir continué Clausewitz et d’avoir reconnu que la guerre, devenue guerre de classes, devait prendre la place du suffrage universel et de la crise économique dans la dialectique révolutionnaire. Marx et Engels pensaient que “la démocratie bourgeoise finirait, le suffrage universel aidant, par procurer au prolétariat une majorité au Parlement, réalisant de la sorte par des voies légales le passage de l’ordre social bourgeois à la société sans classes”. Ils misaient donc sur la “révolution légale”. Lénine, lui, discerne que le recours à la violence est inévitable. C’est pourquoi il érige le partisan en figure centrale de “la guerre civile révolutionnaire du communisme” [69].

41À cet égard, Schmitt attache une importance particulière au Que faire ? de 1902 et à l’article : “Le combat de partisans” paru en 1906 dans la revue russe Le Prolétaire. “Lénine était un grand familier et admirateur de Clausewitz”. Son analyse approfondie du Vom Kriege et les commentaires qu’il inscrit dans son cahier de notes, la Tetradka, forment ainsi “l’un des documents les plus grandioses de l’histoire universelle”. Leur examen permet de déduire “la nouvelle théorie de la guerre absolue et de l’hostilité absolue qui commande l’ère de la guerre révolutionnaire et les méthodes de la guerre froide”. D’après Schmitt, le chef bolchevik est convaincu “que la distinction de l’ami et de l’ennemi est… la démarche primaire et qu’elle commande aussi bien la guerre que la politique”. Il renverse les bornes à la belligérance que le jus publicum europaeum avait fixées et que le Congrès de Vienne avait restaurées. Pour lui, seule la guerre révolutionnaire est une guerre véritable, parce qu’elle naît d’une hostilité absolue, la guerre interétatique limitée n’étant finalement, en comparaison, qu’une sorte de “jeu”. Seule importe donc la question décisive : existe-t-il un ennemi absolu et qui est-il concrètement ? Réponse : cet ennemi, c’est le bourgeois, le capitaliste occidental et son ordre social. Le partisan, fer de lance de la lutte des classes et négation radicale de l’ordre bourgeois, a précisément pour vocation de mettre en œuvre l’hostilité absolue. Le but est la révolution dans tous les pays du monde. Tous les moyens, légaux ou illégaux, pacifiques ou violents, réguliers ou irréguliers, qui servent ce but, sont bons et justes, suivant la conjoncture [70].

42D) De Lénine à Mao De Lénine à Mao Tsé-Toung, “ce nouveau Clausewitz”, la nouvelle théorie de l’hostilité a poursuivi sa course. Dans la guerre contre l’Allemagne, Staline associa la force de la résistance patriotique à la force de la révolution communiste. “L’association de ces puissances hétérogènes domine aujourd’hui les luttes de partisans par toute la Terre”. L’élément communiste a “jusqu’à présent” gardé l’avantage “du fait de sa constance dans la poursuite de ses buts et de l’appui qu’il trouve à Moscou ou à Pékin”. Le nouveau stade du phénomène partisan n’a toutefois pas été inauguré par Staline, mais par Mao. De 1927 à 1949, celui-ci a développé les méthodes de la guerre subconventionnelle et quasi-conventionnelle contre le Kuo-min-Tang et contre les Japonais, unifiant le parti communiste chinois “en un parti de paysans et de soldats dont le partisan était la pièce maîtresse” [71].

43Dans ses écrits de 1936-1938, Mao développe de manière systématique les concepts clausewitziens, mais avec le “degré de totalité” inhérent à la théorie et à la pratique de la révolution. Le noyau de la doctrine maoïste, selon Schmitt, c’est l’idée de la “nation en armes”. Ce mot d’ordre était précisément celui des officiers prussiens qui organisèrent la lutte contre Napoléon. À cette époque, les énergies patriotiques furent canalisées par l’armée régulière, et la guerre était considérée comme un état exceptionnel distinct de l’état normal qu’était la paix. Clausewitz n’aurait pu mener jusqu’à son terme la logique du partisan, comme l’ont fait les révolutionnaires professionnels. Ce sont les communistes russes et chinois qui ont saisi la portée du chapitre 26 du livre 6 du Vom Kriege, consacré à l’armement du peuple. La participation des masses brise les obstacles au déchaînement de la guerre, qui prend une allure révolutionnaire. Voilà ce qui, chez Clausewitz, fascine Lénine, qui écrit dans la Tetradka :rapprochement avec le marxisme”. En 1813, dans le cadre de la défense nationale, l’officier prussien esquissait une doctrine d’emploi de la guerre irrégulière, auxiliaire de la guerre régulière. Cette doctrine réinterprétée par Lénine a été reprise par Mao, en même temps qu’il renouvelait le sens de la formule sur la guerre, continuation de la politique. Dans la guerre civile prolongée, la relation entre la politique et la guerre revêt une évidence accrue. La guerre étant la poursuite de la politique, celle-ci inclut un principe d’hostilité. La paix portant en elle la possibilité de la guerre, elle porte donc également ce principe d’hostilité. L’hostilité est le concept déterminant. Celle-ci étant absolue, la politique comme la guerre tendent vers l’absolu. Victoire militaire et fin politique étant confondues, l’anéantissement de l’ennemi équivaut à la prise du pouvoir pour la transformation sociale par le Parti Communiste [72].

44Si Mao a précédé l’alliance stalinienne entre la résistance patriotique et la révolution communiste et s’il a développé la formule clausewitzienne bien au-delà de Lénine, c’est en raison de la situation concrète qui était celle des communistes chinois. “La révolution de Mao a un meilleur fondement tellurique que celle de Lénine”. Le partisan chinois unit les deux figures. Le parti qui a pris le pouvoir en Russie en 1917 et celui qui y est parvenu en Chine en 1949 sont deux groupes très différents, tant du point de vue de leur structure interne que de “leur relation au pays et au peuple dont ils s’emparèrent”. D’où vient le conflit idéologique entre Moscou et Pékin ? Non pas de la querelle sur “l’authenticité” du marxisme professé par Mao, mais, selon Schmitt, de la réalité différente du partisan chinois par rapport au partisan russe. Les bolcheviks russes de 1917 étaient une minorité urbaine dirigée par des intellectuels, dont la plupart avaient vécu en exil à l’étranger. Les communistes chinois de 1949 ont derrière eux plus de vingt ans de combats de partisans sur leur sol national contre un ennemi intérieur : le Kuo-min-Tang, et extérieur : l’occupant japonais. La source profonde des divergences “idéologiques” entre Soviétiques et Chinois provient de ce que ces derniers prétendent développer un communisme, non pas ouvrier et citadin, mais paysan et agraire, et qu’ils greffent la théorie léniniste du parti d’avant-garde sur la paysannerie chinoise et le nationalisme chinois. Divers types d’hostilité se sont ainsi conjugués dans la lutte des partisans chinois pour aboutir à une hostilité absolue : hostilité de race contre le colonialisme blanc, hostilité nationale contre le Japon, hostilité de classe contre la bourgeoisie. Tout cela s’est intensifié dans la réalité du combat. Mao amalgame “un ennemi mondial absolu, global et universel, non localisé, l’ennemi de classe du marxisme, avec un ennemi réel, délimitable sur le terrain, l’ennemi de la défensive chinoise et asiatique contre le colonialisme capitaliste”. La théorie du partisan devient ainsi “la clé de la découverte de la réalité politique” : en l’occurrence, elle permettrait de découvrir les raisons profondes du conflit entre l’URSS et la RPC, celle-ci favorable au pluriversum politique, celle-là à l’universum[73].

La “réponse” à la guerre révolutionnaire (de Mao à Salan)

45Carl Schmitt ne fait pas que se tourner vers son ennemi communiste. Il se demande aussi comment s’opposer à la révolution et à la guerre révolutionnaire. À cet égard, la phrase centrale est la suivante : les écrits majeurs de Mao datent de 1936-1938, “dans les années mêmes où l’Espagne se dégage de l’emprise du communisme international par une guerre de libération nationale” [74]. Rappelons qu’à l’origine de la Théorie du partisan, il y a deux conférences prononcées en mars 1962 au-delà des Pyrénées. Cette localisation n’est pas indifférente, puisque le juriste voyait dans l’Espagne de Franco la première nation qui ait affronté et vaincu le communisme dans une “guerre de libération nationale”, si bien que tous les peuples libres lui seraient redevables [75]. On l’aura compris, il importe à Schmitt que le “nationalisme de libération” ne soit plus coopté par le communisme, mais qu’il lui soit opposé : il le sera effectivement à la fin des années 1970, lorsque, par exemple, en Afghanistan, le communisme verra se dresser un “nationalisme de libération” non plus laïc mais religieux. Schmitt veut donc chercher et trouver une “réponse” à la guerre révolutionnaire. En 1963, au lendemain de la guerre d’Algérie, il se tourne vers la figure du général Salan. Celui-ci, après Clausewitz, Lénine et Mao, est ainsi la quatrième personnalité étudiée de manière substantielle dans l’ouvrage. Le général français, devenu l’un des chefs de l’OAS, a dévoilé un conflit existentiel décisif : le conflit qui naît inévitablement lorsqu’un combattant régulier lutte contre un combattant irrégulier. “Il faut opérer en partisan partout où il y a des partisans”, disait Napoléon [76]. C’est à ce défi qu’ont été confrontées la Wehrmacht en 1940-1944, puis l’armée française en Indochine et en Afrique du Nord, ultérieurement l’armée américaine au Viet-nam et l’armée soviétique en Afghanistan… Dans sa lutte contre le FLN et par son refus d’abandonner l’Algérie, Salan s’est transformé lui-même en partisan, jusqu’à déclarer la guerre civile à son propre gouvernement, s’arrogeant le droit de décider lui-même qui était l’ennemi réel. C’est à cette “rébellion tragique” [77] que s’intéresse Schmitt.

46À partir de l’expérience de la guerre d’Indochine, les officiers français entreprirent d’appliquer en Algérie une doctrine de la contre-insurrection, de la contre-guérilla, de la contre-subversion et de la contre-révolution. Salan, en tant que commandant en chef à qui le gouvernement de la IVème République avait donné les pleins pouvoirs, “se trouva au cœur d’une situation où 400 000 soldats français bien équipés se battaient contre 20 000 partisans algériens, avec ce résultat que la France renonça à sa souveraineté sur l’Algérie” [78]. Dans une telle situation, il tenta de retourner les méthodes – clandestines, psychologiques et terroristes – de la guerre de partisans, d’abord contre les partisans du FLN et leurs sympathisants, ensuite contre le gouvernement de la Vème République. La tentative échoua. Pourquoi ? Schmitt donne trois raisons principales.

471) Les officiers français ne pouvaient se transformer en partisans, car si le partisan peut devenir un combattant régulier en s’engageant dans l’armée dont il était l’auxiliaire, ou un combattant quasi-régulier après structuration des forces irrégulières en forces quasi-régulières, l’officier de métier, lui, ne peut retourner aux formes subconventionnelles de la belligérance. “On peut disparaître dans l’ombre, mais transformer l’ombre en un espace stratégique d’où partiront les attaques qui détruiront le lieu où jusqu’ici l’imperium s’est manifesté, qui démantèleront la vaste scène de la vie publique officielle, voilà ce qu’une intelligence technocratique ne saurait organiser”.

482) Les partisans ont besoin d’une légitimation s’ils veulent éviter de rester ou, en l’occurrence, de tomber dans l’illégalité pure et simple. Or, dans le cas de Salan, la légalité prouva sa suprématie sur toute forme de légitimité. Le ministère public au cours du procès devant le Haut Tribunal militaire ne cessa d’invoquer la “souveraineté de la loi”, à laquelle ne sauraient être opposés aucun “droit” ni aucune distinction entre “droit” et “loi”. Salan en appela à la nation contre l’État, à la légitimité contre la légalité, comme de Gaulle en juin 1940. Mais, face à un chef d’État ayant la loi de son côté, il ne pouvait plus qu’opposer une illégalité à la légalité, “position désespérée pour un soldat”, car la loi reste “le mode de fonctionnement irrésistible de toute armée étatique moderne” [79].

493) La seule chance de l’OAS était de trouver le soutien d’un “tiers intéressé”, pour contrebalancer son illégalité intérieure par une légitimation internationale. Comme l’écrit Schmitt, le partisan a un ennemi, mais il a aussi un ami, à savoir la Puissance tierce qui le reconnait. La figure du partisan en général et celle de Salan en particulier montrent que “la réalité centrale du politique ne se ramène pas à la seule hostilité, (qu’) elle est distinction de l’ami et de l’ennemi et (qu’) elle présuppose les deux, l’ami et l’ennemi” [80]. Lorsqu’il déclara la guerre civile, le général français fit en réalité “une double déclaration d’hostilité : face au front algérien, la poursuite de la guerre régulière et irrégulière ; face au gouvernement français, l’ouverture d’hostilités civiles illégales et irrégulières”. Cette double déclaration dévoile la situation sans issue du général. “Toute guerre sur deux fronts amène à se demander lequel est l’ennemi réel. N’est-ce pas un signe de déchirement intérieur d’avoir plus d’un seul ennemi réel ? L’ennemi est la figure de notre propre question. Si notre personnalité est définie sans équivoque, d’où vient alors la dualité des ennemis ?”. Pour Salan, le partisan algérien était l’ennemi. Mais dans son dos, un ennemi plus dangereux surgit : “son propre gouvernement, son propre chef, son propre frère ; dans ses frères de la veille, il découvrit soudain un ennemi nouveau”. Tel est le noyau du drame [81]. La situation du chef de l’OAS était désespérée, car il n’avait aucun ami. Il était à l’intérieur un hors la loi. Il n’avait à l’extérieur aucun soutien. Pire, il se heurtait au front compact de l’anticolonialisme.

50L’attention qu’accorde Schmitt au cas de l’Algérie française révèle quelques éléments saillants de la contre-guerre irrégulière. Pour l’emporter, id est pour “pacifier”, les forces régulières doivent intégrer le volet militaire et le volet politique, tout en répliquant vis-à-vis des tiers [82]. Concrètement, la contre-guerre irrégulière oblige l’armée, appelée en renfort de la police ou de la gendarmerie, à remplir des tâches, non seulement militaires, mais administratives et judiciaires, à grande échelle. Par conséquent, si les partisans vont du politique au militaire, les soldats vont du militaire au politique. Les forces régulières doivent évidemment se livrer à des activités de préparation au combat et de combat visant à localiser, encercler et détruire les insurgés, en infiltrant ou en saturant une zone, qu’il s’agira ensuite de conserver. Ces activités impliquent d’adapter les personnels, les matériels et les logistiques, mais aussi des tactiques et des principes conçus pour des conflits armés conventionnels. L’armée doit se démoderniser et se politiser : voilà au fond ce qu’indiquait Schmitt.

511) Il importe, d’une part, d’alléger les soldats afin qu’ils renouent avec les vertus de la frugalité et de la rusticité, d’autre part, de moduler les règles d’ouverture du feu dans le sens de la retenue. Dans la plus grande mesure du possible, seuls les partisans doivent être ciblés, non pas les groupes au nom desquels ils disent agir, sous peine d’identifier ceux-ci à ceux-là. Or, le souci de limiter les pertes conduit les forces régulières (occidentales) à lourdement s’équiper, donc à perdre furtivité et mobilité ; à éviter les contacts avec la population locale (dans laquelle se dissimulent les partisans), donc à renoncer à la séduire ou à la connaître ; à privilégier les tirs à distance de sécurité, donc à élever la probabilité de dommages collatéraux, à moins d’utiliser des armes de haute précision ou des armes non létales.

522) Le caractère “apolitique” du soldat n’a plus de raison d’être, puisqu’il a pour devoir de gagner le soutien de la population au gouvernement. Le soldat devient ou doit devenir, lui aussi, un partisan : un partisan gouvernemental en cas de guerre civile. Face au partisan animé par une cause, le soldat doit lui aussi s’armer d’une cause, qui lui permette à la fois de soutenir son moral et d’attirer, localement, le maximum de soutiens (à agréger) et le minimum d’opposants (à désagréger).


Date de mise en ligne : 17/07/2015

https://doi.org/10.3917/strat.093.0031

Notes

  • [1]
    Cf. notre thèse de doctorat : La pensée de Carl Schmitt (1888-1985), ainsi que notre livre : Carl Schmitt. Biographie politique et intellectuelle, Paris, Cerf, 2005.
  • [2]
    “Dem wahren Johann Jakob Rousseau”, Zürcher Woche, 29 juin 1962, article écrit à l’occasion du 250e anniversaire de la naissance de Rousseau, dans lequel Schmitt se réfère longuement à l’ouvrage de Rolf Schroers, Der Partisan. Ein Beitrag zur politischen Anthropologie (Cologne, Kiepenheuer u. Witsch, 1961).
  • [3]
    Cf. Ex Captivitate Salus. Expériences des années 1945-1947, Paris, Vrin, 2003 (1950), présenté et annoté par A. Dorémus.
  • [4]
    Paris, Calmann-Lévy, 1972 (1963), 96 pages. À compléter avec les deux textes suivants : “Conversation sur le partisan. Carl Schmitt et Joachim Schickel” (1970), in La Guerre civile mondiale (recueil de six textes de Schmitt parus entre 1943 et 1978), Maisons-Alfort, Ere, 2006, préf. C. Jouin, pp. 113-136 ; “Clausewitz comme penseur politique” (1967), in Carl Schmitt : Machiavel, Clausewitz. Droit et politique face aux défis de l’histoire (recueil), Paris, Krisis, 2007, pp. 43-85, étude de fond sur Clausewitz, Fichte, les réformateurs prussiens, le choc des légitimités dynastique et populaire, la formation du nationalisme et la lutte contre Napoléon. Cf. notre article : “L’interprétation schmittienne de Clausewitz”, Stratégique, n° 78-79, 2000.
  • [5]
    Telle qu’elle s’est développée, tout d’abord au cours de la guerre sino-japonaise depuis 1932, puis dans la seconde guerre mondiale et enfin, après 1945, en Indochine et dans d’autres pays, la guerre de partisans de notre époque conjugue deux processus opposés, deux formes de guerre et d’hostilité totalement différentes : d’une part, la résistance autochtone, de nature défensive, que la population d’un pays oppose à l’invasion étrangère, et, d’autre part, le soutien et le téléguidage de cette résistance par des tiers intéressés, des puissances d’agression jouant au plan mondial” (préf. à La Notion de politique-Théorie du partisan, Paris, Calmann-Lévy, 1972, 1963, p. 55).
  • [6]
    Sur cet aspect, cf. Théorie du partisan, op. cit., pp. 218-227, 231-253, 267, 286-289. Rappelons que deux types de crimes internationaux commis par des Allemands furent distingués par les Alliés : les crimes localisés ou mineurs, soumis à répression par les Puissances alliées séparément, notamment par leurs tribunaux nationaux ou leurs tribunaux d’occupation en Allemagne ; les crimes majeurs, sans localisation géographique particulière, soumis à répression par les Puissances alliées conjointement, à travers le Tribunal militaire international pour l’Europe, sis à Nuremberg (en zone américaine). Du 14 novembre 1945 au 1er octobre 1946, le TMIE constitua le procès principal, celui des dirigeants et des organisations accusées d’être criminelles (Cabinet du Reich, Corps des chefs du NSDAP, SS et SD, Gestapo, SA, État-Major général et Haut Commandement des forces armées). Le TMIE fut suivi par une série d’autres procès contre les cadres des organisations jugées criminelles (Corps des chefs du NSDAP, SS, SD, Gestapo), notamment les douze procès tenus par le Tribunal militaire américain à Nuremberg, du 9 novembre 1946 au 14 avril 1949, contre 195 accusés. Britanniques, Français et Soviétiques conduisirent également des procès en Allemagne, de moindre importance. Par la suite, la répression fut confiée aux Allemands eux-mêmes, via l’Office central pour l’instruction des crimes de guerre, basé à Ludwigsburg. Fut notamment institué le “procès des gardiens d’Auschwitz” à Francfort en 1963-65 (celui des “ingénieurs d’Auschwitz” eut lieu à Vienne en 1972). S’ajoutent les jugements rendus à l’encontre de ressortissants allemands par les cours des pays ayant été occupés par l’Allemagne, ou encore l’affaire Eichmann en Israël.
  • [7]
    Rappelons que le jus in bello, ou droit de la guerre au sens strict (relatif à l’action de guerre), régit l’usage de la force armée en déterminant qui a le droit de faire la guerre et comment, autrement dit, qui sont les acteurs (les combattants) et quels sont les instruments (les armements) et les modalités des conflits armés ; le jus ad bellum, ou droit de la guerre au sens large (relatif à l’état de guerre), régit le recours à la force armée en déterminant qui a le droit d’ordonner la guerre et pourquoi, autrement dit, qui sont les auteurs (les belligérants) et quels sont les causes ou les buts des conflits armés.
  • [8]
    Cf. Heinrich Meier : Carl Schmitt, Léo Strauss et la notion de politique. Un dialogue entre absents, Paris, Commentaire/Julliard, 1990, préf. P. Manent.
  • [10]
    Paris, PUF, 1993 (1928), préf. O. Beaud.
  • [11]
    Le Nomos de la Terre dans le droit des gens du jus publicum europaeum, Paris, PUF, 2001 (1950), préf. P. Haggenmacher.
  • [12]
    Rappelons que le Concept du politique, toujours traduit en français par La notion de politique, a connu différentes versions. La version de 1963 a été présentée par Julien Freund et traduite par Marie-Louise Steinhauser en 1972 sous le titre : La notion de politique - Texte de 1932 avec une préface et trois corollaires, plus la Théorie du partisan (Paris, Calmann-Lévy), le tout réédité en collection Champs, Flammarion en 1999. Cf. Piet Tommissen : “Contributions de Carl Schmitt à la polémologie”, Revue européenne des sciences sociales. Cahiers Vilfredo Pareto, n° 44, 1978, pp. 141-170, pp. 142-145.
  • [13]
    Schmitt développe les éléments de la lutte contre “l’ennemi intérieur” : état d’exception, dictature, interdiction des partis révolutionnaires, limitation matérielle de la révision constitutionnelle, mutation politique du droit pénal… Cf. notre article : “L’ennemi intérieur dans l’œuvre de Carl Schmitt”, Stratégique, à paraître.
  • [14]
    Théorie de la Constitution, op. cit., pp. 301-312 ; La Notion de politique, op. cit., pp. 95-96 ; “Légalité et légitimité”, in Du politique. “Légalité et légitimitéet autres essais (recueil de quinze textes de Schmitt parus entre 1919 et 1952), Puiseaux, Pardès, 1990, préf. A. de Benoist, pp. 39-79, p. 62 ; “Le Führer protège le droit” (1934), Cités, n° 14, 2003, pp. 165-171 ; “L’État comme mécanisme chez Hobbes et Descartes” (1937), Les Temps modernes, 1991, pp. 1-14, pp. 7-8 ; “Il Leviatano nella dottrina dello stato di Thomas Hobbes. Senso e fallimento di un simbolo politico” (1938) et “Il compimento della Riforma. Osservazioni e cenni su alcune nuove interpretazioni del’Leviatano’” (1965), in Scritti su Thomas Hobbes (recueil des cinq textes de Schmitt sur Hobbes), Milan, Giuffré, 1986, préf. C. Galli, pp. 60-143, 159-190, pp. 119-120, 175 ; “Führung und Hegemonie”, Schmollers Jahrbuch, LXIII, 1939, pp. 513-520, p. 514 ; “Entretien sur le pouvoir” (1954), Commentaire, n° 32, 1985-86, pp. 1113-1120, pp. 1114-1115.
  • [15]
    Carl Schmitt compare les trois personnages dans les pages 300 à 302 de la Théorie du partisan. Raymond Aron a répondu à cette comparaison dans Penser la guerre, Clausewitz, Paris, 2 t., Paris, Gallimard, 1976, t. 2, pp. 117-123, 219-222. Rappelons que le 18 juin 1940, jour de l’Appel, le gouvernement en place, de manière parfaitement légale, en France, n’était pas celui de “Vichy”, mais celui de la IIIe République, qui s’apprêtait, de manière tout aussi parfaitement légale, à signer un armistice avec l’Allemagne et l’Italie.
  • [16]
    Op. cit., pp. 61-79, 97-123, 187-207, 219-222. Cf. aussi Hervé Savon : “L’ennemi absolu”, Guerres et paix, n° 12, 2-1969, pp. 76-79 (recension de Théorie du partisan), ainsi qu’Emile Perreau-Saussine : “Raymond Aron et Carl Schmitt lecteurs de Clausewitz”, Commentaire, n° 103, 2003, pp. 617-622.
  • [17]
    Les ouvrages récents d’Alain de Benoist (Carl Schmitt actuel. Guerre “juste”, terrorisme, état d’urgence, “nomos de la terre”, Paris, Krisis, 2007) ou de Jérôme Monod (Penser l’ennemi, affronter l’exception. Réflexions critiques sur l’actualité de Carl Schmitt, Paris, La Découverte, 2006) ont montré la pertinence et l’utilité des concepts schmittiens pour penser la politique internationale contemporaine, notamment la problématique de la guerre irrégulière et du terrorisme.
  • [18]
    Sur les rébellions, la guerre irrégulière, la contre-guerre irrégulière et le droit applicable, cf. respectivement, se détachant d’une vaste bibliographie : Jean-Marc Balencie, Arnaud de La Grange : Mondes rebelles. Acteurs, conflits et violences politiques, Paris, Michalon, 2001 (1996) ; Gérard Chaliand : Les Guerres irrégulières, xxe-xxie siècles. Guérillas et terrorismes (recueil), Paris, Gallimard Folio, 2008 (1979) ; David Galula : Contre-insurrection. Théorie et pratique, Paris, Economica, 2008 (1963) ; Henri Meyrowitz : “Le statut des guérilleros dans le droit international”, Journal du Droit International, 1973, pp. 875-923.
  • [19]
    Cf. les articles 1 et 2 du Réglement de La Haye du 18 octobre 1907 sur les lois et coutumes de la guerre sur terre ; l’article 6 de la Ve Convention de La Haye du 18 octobre 1907 sur les droits et devoirs des Puissances et personnes neutres en cas de guerre sur terre ; les articles 13 et 14 de la Ière Convention de Genève du 12 août 1949 pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne ; les articles 13 et 16 de la IIe CG pour l’amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés dans les forces armées sur mer ; l’article 4 de la IIIe CG relative au traitement des prisonniers de guerre ; les articles 43 à 47 et 77-2 du Protocole additionnel I du 8 juin 1977 (P1) aux CG relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux. Cf. aussi Stanislaw E. Nahlik : “L’extension du statut de combattant à la lumière du Protocole I de Genève de 1977”, Recueil des Cours de l’Académie de Droit International, La Haye, 1979 III, pp. 171-250, ainsi que notre article : “Qui est combattant ?”, Inflexions. Civils et Militaires, n° 5, 2007, pp. 151-164.
  • [20]
    Décret du 24 février 1793 sur la levée exceptionnelle de 300 000 hommes, qui introduit le principe de la réquisition ; décret du 24 août 1793 sur la levée en masse, qui rend permanent le système de la réquisition et interdit le remplacement ; loi Jourdan du 5 septembre 1798, qui institue la conscription. Cf. Jean-Paul Bertaud : La Révolution armée. Les soldats-citoyens et la Révolution française, Paris, R. Laffont, 1979.
  • [21]
    Théorie du partisan, op. cit., p. 231.
  • [22]
    Ibid., p. 230.
  • [23]
    Ibid., p. 285.
  • [24]
    Ibid., p. 288.
  • [25]
    Cf. l’alinéa 2 du préambule, les articles 1-2, 55, 73-b, 76-b de la Charte des Nations Unies du 26 juin 1945 ; l’alinéa 8 du préambule, les articles 16-1, 22-1, 22-3, 28-1, 29-1 et 30-1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 ; la résolution 1514 de l’Assemblée générale des Nations Unies du 14 décembre 1960, “Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux” ; la résolution 1541 de l’AGNU du 15 décembre 1960, “Déclaration sur les territoires non autonomes” ; l’article 1er du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 ; l’article 1er du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966 ; les alinéas 2-b et 5 du principe 5 de la résolution 2625 de l’AGNU du 24 octobre 1970 ; l’article 7 de la résolution 3314 de l’AGNU du 14 décembre 1974 ; l’article 1-4 P1 ; la résolution 47/135 de l’AGNU du 18 décembre 1992, “Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques”. Cf. aussi Spyros Calogeropoulos-Stratis, Le Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, Bruxelles, Bruylant, 1973 ; Jean Charpentier, “Autodétermination et décolonisation”, Mélanges Chaumont, Paris, Pédone, 1984, pp. 117-133 ; Théodore Christakis, Le Droit à l’autodétermination en dehors des situations de décolonisation, Paris, La Documentation Française, 1999.
  • [26]
    Théorie du partisan, ibid., p. 217.
  • [27]
    Ibid., p. 253. “Mouvoir l’Achéron”, c’est ce qu’envisagea Bismarck en 1866, lorsqu’il était décidé à utiliser les nationalismes hongrois et même slaves contre l’Empire des Habsbourg. C’est ce que tenta le gouvernement allemand en 1914-1918, lorsqu’il soutint les mouvements nationalistes contre les empires coloniaux français et britannique et les mouvements socialistes contre la Russie tsariste.
  • [28]
    Les premiers théoriciens de la “guerre populaire” furent des Allemands. Mais c’est contre l’armée prusso-allemande que fut proclamée la “levée en masse” en 1870. À l’époque, les francs-tireurs furent traités comme des criminels, dès lors qu’ils n’étaient pas (à l’époque) considérés comme des combattants légaux. Mais ils laissèrent un souvenir d’effroi parmi les vainqueurs. C’est ainsi que l’armée allemande fut élevée dans l’abomination de la “guerre populaire”.
  • [29]
    Les unifications italienne et allemande furent essentiellement le fait d’armées régulières (franco-piémontaise et prussienne), même si l’action des volontaires de Garibaldi en Italie ne fut pas négligeable.
  • [30]
    Dans les sociétés sans État, tous les hommes valides sont des combattants potentiels, aussi la guerre peut-elle prendre un caractère “total” : la conquête européenne, menée avec le concours de groupes locaux, notables ou supplétifs, passe alors, à défaut de soumission, par la réduction de peuples entiers.
  • [31]
    Ce sera encore le cas, durant l’entre-deux-guerres, au Maroc (campagnes d’Abd el-Krim contre les Espagnols puis les Français en 1921-26), au Liban (Djebel druze), en Libye (campagnes d’Omar Moukhtar contre les Italiens en 1922-32) ou en Palestine (face au mandat britannique et à la colonisation juive en 1936-39).
  • [32]
    Non sans affrontements entre partisans communistes et partisans anticommunistes (guerres civiles yougoslave, grecque, albanaise). Des guérillas antisoviétiques se poursuivent en Pologne de 1945 à 1947 et en Ukraine de 1944 à 1950.
  • [33]
    Les guerres d’Indochine, d’Algérie et d’Angola furent militairement les plus importantes.
  • [34]
    Même si elles continuent d’être utilisées contre la Rhodésie, l’Afrique du Sud, Israël ou en Amérique latine.
  • [35]
    Au Cambodge, à partir de 1978, le gouvernement soutenu par le Viet-nam et l’URSS est confronté à la guérilla des Khmers rouges, soutenue par la Chine populaire.
  • [36]
    Le “jihadisme” localisé correspond aux luttes indépendantistes mais aussi à des luttes purement internes, révolutionnaires au sens où elles visent le renversement des régimes établis, contre-révolutionnaires au sens où elles obéissent à des motivations antimodernes. Ainsi, hier ou aujourd’hui, en Afghanistan, au Cachemire, à Aceh, à Mindanao, en Ogaden, en Algérie, en Bosnie, en Tchetchénie, en Irak… Le “jihadisme” délocalisé correspond aux attentats dans le monde entier ou contre les Occidentaux, notamment à New York 2001, Bali 2002, Casablanca 2003, Madrid 2004, Londres 2005… Les deux théoriciens respectifs seraient Abdallah Azzam et Ayman al-Zawahiri. Cf. Gilles Kepel, Jean-Pierre Milelli (dir.) : Al-Qaida dans le texte. Ecrits d’Oussama ben Laden, Abdallah Azzam, Ayman al-Zawahiri et Abou Moussab al-Zarqawi, Paris, Quadrige-PUF, 2008 (2005).
  • [37]
    Assez semblable à la figure jüngerienne du Rebelle. Cf. Ernst Jünger : Traité du Rebelle ou le Recours aux forêts, Paris, Ch. Bourgois, 1995 (1957).
  • [38]
    Théorie du partisan, ibid., pp. 284, 288, 291.
  • [39]
    Schmitt élargit même le phénomène partisan à l’espace extra-atmosphérique, parallèlement aux problèmes d’appropriation, partage et exploitation (nehmen, teilen, weiden). “Le progrès technique propose aux conquêtes politiques des défis nouveaux et illimités, car les espaces nouveaux peuvent et doivent être pris en possession par des hommes”. La technique ne fait qu’intensifier les conflits. “De ce point de vue, quel que soit le progrès par ailleurs, les choses restent ce qu’elles ont toujours été”. Ainsi, la compétition Est-Ouest dans “la course gigantesque aux espaces nouveaux et illimités” déterminera le destin politique de la Terre ; mais en retour, “seul, celui qui dominera cette Terre que l’on dit devenue minuscule, saura occuper et exploiter ces (espaces) nouveaux”. Les cosmonautes, jusque-là utilisés comme stars de la propagande, “auront alors la chance” de se transformer en “cosmopartisans” (ibid., pp. 294-295). L’article de Schmitt : “Nehmen/Teilen/Weiden” (1953), a été traduit sous le titre : “À partir du ‘nomos’ : prendre, pâturer, partager. La question de l’ordre économique et social”, Commentaire, n° 87, automne 1999, pp. 549-556.
  • [40]
    Théorie du partisan, ibid., pp. 291, 292.
  • [41]
    Ibid., pp. 292, 293, 294. Cf. aussi R. Aron, op. cit., pp. 208-210.
  • [42]
    Cette terminologie renvoie à la guerre irrégulière. Lorsqu’elle n’est pas l’auxiliaire de la guerre régulière, la guerre irrégulière possède les caractéristiques suivantes. Elle a pour milieu, la population ; pour acteur, le partisan ; pour origine, l’insurrection, avec ou sans tentative préalable de coup d’État ; pour modalité, la clandestinité, avec ou sans “vitrine légale” ; pour tactique, la guérilla, parallèlement aux actions non violentes ; pour objectif stratégique, la subversion, avec ou sans structuration des forces irrégulières en forces quasi-régulières ; pour objectif politique, la prise du pouvoir, avec ou sans alliés. Pour éviter la confusion sémantique, il importe de distinguer les trois niveaux de la tactique, de la stratégie, de la politique. Tactiquement, des partisans, id est des insurgés issus de la population, s’organisant clandestinement, usent de la guérilla. C’est pourquoi on parle de “guerres de partisans”, de “guerres populaires”, de “guerres insurrectionnelles”, de “guerres clandestines”, de “guérillas”. Stratégiquement, les partisans visent la subversion. C’est pourquoi on parle de “guerres subversives”. Politiquement, les partisans, lorsqu’ils ne sont pas de simples francs-tireurs luttant contre l’envahisseur, visent un changement par la violence de l’autorité établie : chasser l’occupant ; obtenir l’indépendance, la libération ou la réunification nationales ; renverser le régime ; obtenir la sécession. C’est pourquoi on parle de “guerres révolutionnaires”.
  • [43]
    C’est le parti qui est totalitaire, bien plus que l’État, écrivait-il (Théorie du partisan, ibid., pp. 224-225).
  • [44]
    L’étanchéité des structures et des activités doit limiter l’étendue des renseignements qui pourraient résulter de la capture d’un membre de l’Organisation.
  • [45]
    La terreur est sélective, coupant les “ponts”, ne frappant que les “ennemis du peuple” et libérant les “opprimés”, pour être présentée comme une “justice” extra-gouvernementale.
  • [46]
    Plus personne ne désirera occuper ces postes, enviés auparavant, ou même fréquenter leurs titulaires de peur de passer pour un “traître”, si bien que l’appareil d’État se recroquevillera, que les autorités ne disposeront plus de relais locaux, que les liens entre elles et le peuple seront rompus, et qu’elles n’auront plus qu’à “légiférer dans le vide” (David Galula).
  • [47]
    La différence entre “organisation clandestine” et association de malfaiteurs, “impôt révolutionnaire” et racket… ne réside que dans l’animus, c’est-à-dire l’intention.
  • [48]
    Exemple des partisans de l’Algérie française contre la politique du général de Gaulle à partir de 1960.
  • [49]
    Les OC doivent être reconnues ou soutenues par des Puissances régulières : la résistance française l’était par les Alliés en 1940-44, le Viet-minh par la Chine populaire, le FLN par la Tunisie, l’OLP par les États arabes, la guérilla afghane par le Pakistan, l’Arabie Saoudite, l’Égypte et les États-Unis, l’ANC par les États de la “ligne de front”, etc.
  • [50]
    Théorie du partisan, ibid., p. 299.
  • [51]
    Grèce 1949, Philippines 1952, Malaisie 1957, Kurdistan 1975, FARC, Sentier Lumineux, UNITA, RENAMO, Algérie 1999, Khmers rouges, rébellion irakienne… Qu’en sera-t-il des talibans afghans ?
  • [52]
    D’où la volonté américaine, hier ou aujourd’hui, de vietnamiser, d’irakiser ou d’afghaniser… la contre-guérilla.
  • [53]
    Une intervention étrangère s’explique par le fait que le gouvernement local n’est pas capable de vaincre une rébellion, cependant qu’elle implique une coopération entre l’État assisté et l’État assistant. De cette dépendance coopérative résultent : d’inévitables querelles entre les deux types d’États, aggravées s’il existe une forte différence socio-culturelle entre eux, redoublées par les querelles entre gouvernements et forces coalisés si l’assistance s’effectue dans le cadre d’une coalition ; une “extranéisation” des affaires du pays, éventuellement jusqu’à la prise en charge, donc la mise sous tutelle, qui alimente la propagande nationaliste de la rébellion.
  • [54]
    Sur ce point, cf. le Nomos de la Terre, mais aussi Die Wendung zum diskriminierenden Kriegsbegriff, Berlin, Duncker u. Humblot, 1988 (1938), Das internationalrechtliche Verbrechen des Angriffskrieges und der Grundsatz “Nullum crimen, nulla poena sine lege”, Berlin, Duncker u. Humblot, 1994 (1945), ainsi que notre article : “Le concept de guerre en droit international selon Carl Schmitt : la critique de l’évolution vers un concept discriminatoire en jus ad bellum”, Etudes internationales, à paraître.
  • [55]
    Le sens du régime des combattants en jus in bello est précisément de rétablir la possibilité d’une stratégie au sens classique, en obligeant les combattants irréguliers à se rendre visibles, distincts des civils inoffensifs, au moins avant l’engagement armé, s’ils veulent bénéficier du statut de combattants légaux.
  • [56]
    Il arrive fréquemment aussi que plusieurs mouvements insurgés se disputent la représentation insurrectionnelle de la population.
  • [57]
    En cas de capture ou de reddition, le combattant irrégulier illégal ne bénéficiera ni du statut de PG (exempté d’interrogatoire et de poursuite pénale) ni du statut de civil interné (exempté de travail, de transfert dans un autre pays que le sien, de rétention durant toute la durée des hostilités), il sera assimilé à un détenu politique ou à un détenu de droit commun, bénéficiant des dispositions du “minimum humanitaire” de l’article 3 commun aux quatre Convention de Genève de 1949 ou du “noyau indérogeable” du droit international des droits de l’homme.
  • [58]
    Théorie du partisan, ibid., pp. 219, 240.
  • [59]
    Ibid., p. 218.
  • [60]
    Ibid., p. 236.
  • [61]
    Ibid., p. 238.
  • [62]
    D’après Schmitt, l’évolution discriminatoire du jus ad bellum ou sa mutation en jus contra bellum précipite la ruine du jus in bello : comment borner la violence entre ennemis ne se reconnaissant plus sur un même plan juridique ? Comme le rappelle Henri Meyrowitz (Le Principe de l’égalité des belligérants devant le droit de la guerre, Paris, Pedone, 1970, pp. 2-6, 400-401), cette doctrine de la liaison subordonnée du jus in bello au jus ad bellum est démentie, selon le droit positif, par l’indifférence du jus in bello vis-à-vis du jus ad bellum, donc relativisée par le principe de l’égalité des belligérants devant le jus in bello quelle que soit leur inégalité devant le jus ad bellum. Il n’en reste pas moins qu’existe une contradiction entre un jus in bello qui, par nature, promeut la limitation de la guerre et un jus ad bellum qui, par évolution, entend promouvoir la discrimination des belligérants. Si la guerre devient un “crime”, comment justifier sa régulation ?
  • [63]
    Théorie du partisan, ibid., pp. 243, 248-249.
  • [64]
    Ibid., p. 241.
  • [65]
    Cf. Victor Duculesco : “Effet de la reconnaissance de l’état de belligérance par des tiers, y compris les organisations internationales, sur le statut juridique des conflits armés à caractère non international”, Revue générale de Droit International Public, 1975, pp. 125-151 ; Djamchid Momtaz : “Le droit international humanitaire applicable aux conflits armés non internationaux”, RCADI, 2001, pp. 9-145.
  • [66]
    Théorie du partisan, ibid., pp. 241, 288.
  • [67]
    Ibid., p. 311.
  • [68]
    Cf. La Dictature (1921), suivi de La Dictature du Président du Reich d’après l’article 48 de la constitution de Weimar (1924), Paris, Seuil, 2000 ; Parlementarisme et démocratie (recueil de six textes de Schmitt parus entre 1923 et 1931), Paris, Seuil, 1988, préf. P. Pasquino. Le noyau du léninisme est constitué par le mythe de la révolution (la foi en la volonté politique), la dictature éducative du Parti (le parti idéologique promet à ses membres le pouvoir absolu aux fins de contraindre les “non libres” à devenir “libres”), la légitimation de la violence par la philosophie de l’histoire (la marche du progrès autorise l’avant-garde du prolétariat à user de la coercition contre les ennemis du prolétariat et du progrès), la réduction de la complexité sociale à la dualité ami-ennemi (la substitution du clivage prolétariat/bourgeoisie à la pluralité réelle des classes). Poussé à son degré extrême par la nécessité dialectique de la lutte, le rationalisme du marxisme s’est retourné en un irrationalisme. Cf. aussi François Furet : Le Passé d’une illusion. Essai sur l’idée communiste au xxe siècle, Paris, Calmann-Lévy/R. Laffont, 1995.
  • [69]
    Théorie du partisan, ibid., pp. 261, 287.
  • [70]
    Ibid., p. 263. Sur la Leninskaya Tetradka et la pensée de Lénine sur la guerre et la paix, cf. Berthold C. Friedl : Cahier de Lénine sur Clausewitz, in Les Fondements théoriques de la guerre et de la paix en URSS, Paris, Médicis, 1945, pp. 39-90.
  • [71]
    Théorie du partisan, ibid., pp. 267, 268, 269.
  • [72]
    Cf. R. Aron, ibid., pp. 61-76, 97-116, 187-207.
  • [73]
    Théorie du partisan, ibid., pp. 270, 271, 274.
  • [74]
    Ibid., p. 268.
  • [75]
    “Die Ordnung der Welt nach dem zweiten Weltkrieg”, Schmittiana II, 1990, pp. 11-30, p. 12 (trad. allemande de “El Orden del Mundo despuès la Segunda Guerra mundial”, Revista de Estudios Politicos, n° 122, mars-avril 1962, pp. 19-36).
  • [76]
    Théorie du partisan, ibid., p. 222.
  • [77]
    Ibid., p. 303. L’arrestation puis le procès du général Salan donnent également l’occasion à Schmitt d’évoquer “le problème de la justice politique”, problème qui est lancinant, chez lui, depuis Nuremberg. L’accusation porta sur la tentative de putsch des généraux et sur les attentats de l’OAS. À l’ouverture de l’audience, Salan assuma une responsabilité plénière, en tant que chef de l’organisation secrète. Il protesta contre la réduction du procès à la période d’avril 1961 (putsch des officiers) à avril 1962 (arrestation du général), qui revenait à estomper les mobiles véritables des membres de l’OAS et à transformer un processus politico-historique en faits délictueux d’un Code pénal. Après avoir dénoncé, à la fin de sa déclaration, la “parole reniée” et les “engagements trahis”, il garda le silence pendant toute la durée des débats. Schmitt souligne cette volonté de garder le silence, qui fut aussi la sienne après 1945, volonté que le président du Haut Tribunal militaire respecta. Les propos religieux de l’avocat général lors de son réquisitoire -non content d’interpréter le silence de l’accusé comme de “l’orgueil” et comme un refus de se “repentir”, il s’était mis à parler en “chrétien qui s’adresse à un chrétien” pour lui reprocher d’avoir repoussé la “grâce du Dieu miséricordieux” et de s’être voué à la “damnation éternelle” par son “obstination irrémissible” – permettent à Schmitt de faire “entrevoir les abîmes que cachent les subtilités et la rhétorique d’un procès politique” (ibid., pp. 279). Cf. aussi Yves-Frédéric Jaffré, Les Tribunaux d’exception, 1940-1962, Paris, Nouvelles Editions Latines, 1962.
  • [78]
    Théorie du partisan, ibid., p. 280.
  • [79]
    Ibid., pp. 297, 299, 300.
  • [80]
    Observons toutefois que Schmitt a accordé, tout au long de son œuvre, beaucoup plus d’attention à l’ennemi qu’à l’ami.
  • [81]
    Théorie du partisan, ibid., pp. 300, 301, 307.
  • [82]
    Réclamer l’extradition des partisans réfugiés à l’étranger, superviser l’aide humanitaire, empêcher les trafics et les transferts d’armes ou de fonds, couper les partisans de leur logistique ou de leurs sanctuaires extérieurs sinon attaquer ces derniers, retourner la Puissance voisine.

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