1Si les colonies de vacances ne constituent plus un objet inédit, l’ouvrage de Julien Fuchs vient démontrer de manière convaincante qu’il peut être revisité par les historiens, à condition d’utiliser un prisme différent de ceux jusque-là utilisés, qui abordaient généralement « la colo » sous l’angle de sa vie quotidienne, des mouvements de jeunesse et d’éducation populaire les organisant, de ses finalités hygiénistes puis éducatives, des pédagogies en usage et de ses publics, et ce dans une temporalité plus ou moins étirée. Dès l’introduction, l’auteur justifie l’option historiographique et méthodologique qui est sienne, proposant ici une lecture politique de l’histoire des « jolies colonies de vacances » destinées aux 4/18 ans, et qui, passée la période de Vichy, connaissent une phase de structuration administrative et juridique sans précédent. S’inscrivant au cœur d’un État-providence justifié par le retour de la République et les nécessités de la reconstruction, motivées par l’enjeu que constitue désormais la jeunesse, les « colos » se présentent comme de véritables œuvres sociales, relevant quasiment d’une mission de service public au regard d’un contexte sanitaire, éducatif et culturel justifiant, non pas une mainmise de l’État, mais un accompagnement dont il nous est donné de suivre pas à pas les formes, de la Libération aux premiers contreforts de la Cinquième République.
2Dans une première partie, l’auteur s’attache à décrire et expliquer l’architecture administrative déployée au lendemain de la guerre, sous la houlette de Gaston Roux, Étienne Bécart et Auguste Robert, justement qualifiés de « fonctionnaires militants ». Il faut dire que la tâche est immense, et doit s’accommoder des contraintes budgétaires connues : structurer un corps d’inspection dont les actions seront plus que déterminantes au cours de la période étudiée (notamment dans l’évaluation des conditions d’accueil et d’encadrement), concevoir un cadre pédagogique, gérer au mieux le rationnement et la pénurie de locaux à réhabiliter. Considérées comme un « impératif d’État », les colonies accueillent dans un premier temps une population juvénile urbaine issue de milieux défavorisés, et conjuguent priorités sanitaires (lutte contre la tuberculose, relayée par les campagnes de la « Jeunesse au Plein Air ») et morales (lutter contre le désœuvrement et installer cette nécessaire « culture du dépaysement »). Confronté aux questions de coût des équipements et de subventionnement destinés à aider les familles, l’État s’efforce de gérer au mieux la réelle « crise de croissance » des effectifs (300 000 colons en 1945, plus d’un million en 1955), gérés par les organismes laïcs ou confessionnels (CEMEA, UFCV notamment), les premiers bénéficiant d’une écoute plus attentive, les stages de formation des CEMEA accueillant des instituteurs dont on considère (à tort ou à raison) qu’ils possèdent le profil idéal pour exercer des fonctions d’encadrement.
3Cet « âge d’or » est précisément évoqué dans une deuxième partie qui permet d’observer, in situ, le fonctionnement des colos et leurs évolutions les plus significatives : si les questions sanitaires demeurent prégnantes, sur fond de théories vitalistes (salubrité des locaux, hygiène des colons, contrôle médical via une fiche de liaison et la présence d’assistant(e)s sanitaires), ce sont désormais les considérations éducatives qui deviennent l’objet de ce que Julien Fuchs appelle avec justesse « l’État pédagogue », ce dernier n’hésitant pas à puiser dans le vivier des ressources du CEMEA pour définir les contours de la formation des cadres, affirmant ainsi sa « capacité diplômante ». Il s’agit ici d’uniformiser, sinon les contenus, au moins les orientations pédagogiques des sessions de formation des moniteurs et directeurs (février 1949), de réfléchir aux besoins de l’enfant et aux activités les plus nécessaires à son épanouissement physique et psychique. Si les organismes agitent à un moment donné le spectre d’une « nationalisation » des formations, reste que les stages, ces « communautés provisoires » dont parle Mounier, deviennent pour eux de véritables « colonnes vertébrales » qui autorisent leur révolution copernicienne (à l’image de l’UFCV) et engagent les colonies dans la voie d’une indispensable modernité.
4Ce tournant nécessaire ne va pas sans poser quelques interrogations, évoquées dans la troisième partie. En basculant progressivement vers une civilisation du loisir démocratisée et décontractée, la société française opte pour un sport de masse qui, paradoxalement, demeure un véritable « impensé » dans la programmation des activités des colonies, où le(s) jeu(x), dans toutes leurs acceptions, demeurent hégémoniques. Les réticences éprouvées pour des formes compétitives, jugées peu éducatives, et la complexité d’une réglementation qui vise à limiter les accidents (noyades et accidents de montagne notamment) expliquent sans doute que le sport ne soit pas encore « pédagogiquement » installé dans les colos. Sans qu’elle soit considérée comme un problème depuis l’origine des Œuvres, dans la mesure où elle est justement considérée comme éducative, la mixité devient à l’orée des années 1960 un sujet de réflexion, tout comme l’est celui de la sociologie des publics accueillis. Le socle constitué d’enfants issus de milieux populaires est complété par les strates des classes moyennes et de catégories plus favorisées, au nom des « vacances pour tous », même si cela remet en cause le principe du subventionnement et du montant de la participation des familles. L’expérience des caravanes ouvrières, le développement des colonies municipales (celles proches du Parti communiste s’éloignant de leur logique doctrinale), et l’essor des centres aérés sont les réponses alors offertes pour que demeure cette fonction sociale. Ces inflexions perceptibles changent le paradigme des colonies, au point que certains évoquent avec effroi une possible « logique de l’offre » et l’irruption prémonitoire de considérations marchandes, qui mettraient les organisateurs en concurrence. À cet égard, la Cinquième République et les débuts de « l’ère Herzog » (joliment qualifié d’« anti-Roux », tant leurs options et modes de gouvernance diffèrent) marquent en ce domaine également une rupture véritable, tant le système semble à bout de souffle, y compris d’ailleurs l’Inspection générale elle-même. En imposant de nouvelles règles de financement et en faisant face à la Fronde des grands organismes réunis au sein du GEROGEP, le Haut-Commissaire dessine un nouveau mode de gouvernance, fondé sur la cogestion, dans un contexte financier dégradé, compte tenu des priorités accordées au sport.
5Bien qu’il s’en défende, l’ouvrage de Julien Fuchs est aussi une histoire des colonies de vacances, finement disséquée pour la période considérée, indépendamment du prisme politique qu’il privilégie. On se félicitera également de la présentation exemplaire des sources consultées, où l’auteur explique ses choix et leurs usages, pour ce qui relève notamment des archives audiovisuelles. On soulignera enfin la bibliographie maîtrisée et très complète, et le caractère très exhaustif des bulletins des différents organismes consultés. En « descendant dans la salle des machines » de cette Quatrième République longtemps malmenée par les historien(ne)s, Julien Fuchs démontre avec brio et conviction que ses dirigeants, dans le domaine des colonies de vacances, auront su concilier indépendance des organisateurs et accompagnement par l’État d’une véritable politique qui, comme le rappelle Pascal Ory, n’a pas toujours besoin d’être nommée pour exister.
6Chacun l’aura compris, il s’agit là d’un très bon livre qui deviendra vite, pour les spécialistes du domaine, un ouvrage de référence.