Staps 2018/3 n° 121

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Article de revue

La source archivistique pour une étude des risques liés à l’aéronautique sportive : les dossiers du Bureau d’Enquêtes et d’Analyses (BEA) conservés aux Archives nationales

Pages 167 à 182

Notes

  • [1]
    Jean-François Pilâtre de Rozier et Pierre-Ange Romain meurent lors d’une tentative de traversée de la Manche en montgolfière le 15 juin 1785. Ils sont les deux premières victimes d’un accident aérien.
  • [2]
    Dans son article sur le parachutisme, G. Loirand se réfère notamment aux accidents mortels de parachutisme mentionnés dans les rapports annuels de la Fédération française de parachutisme.
  • [3]
    Il s’agit de l’Organe Central de Coordination Générale de l’Aéronautique (OCCGA) créé courant 1919.
  • [4]
    Son activité n’a pas cessé pendant la Seconde Guerre mondiale, mais elle a chuté mécaniquement dans la mesure où l’aviation civile était réduite à quelques vols du gouvernement de Vichy autorisés par les autorités occupantes.
  • [5]
    https://www.bea.aero/. Tous les rapports ne sont pas en ligne, loin de là. Le seul moyen d’y avoir accès est de venir les consulter aux Archives nationales.
  • [6]
    Par exemple l’enquête sur la disparition de Jean Mermoz et de ses compagnons à bord du Latécoère 300 La-Croix-du-Sud dans l’Atlantique le 7 décembre 1936. Le dossier, conservé sous la cote 19760051/1, contient une série de télégrammes envoyés par les équipes de secours, rendant compte de leurs recherches.
  • [7]
    On peut néanmoins constater dans certains dossiers importants que le secret sur l’enquête a pu être imposé pendant un certain temps, et ce pour diverses raisons : diplomatiques si l’accident implique un autre pays ; politiques en raison de l’identité de certaines victimes ; industrielles et commerciales si des compagnies aériennes ou des constructeurs sont mis en cause. Mais au final le rapport finit toujours par être public et le dossier communicable.

1La prise de risque est dès l’origine consubstantielle aux activités aériennes (Robène, 2001). Depuis les essais en ballons de la fin du XVIIIe siècle [1] et la pratique de l’aérostation au XIXe siècle jusqu’à la naissance de l’aviation au début du XXe siècle (Robène, 1998), l’expérimentation et l’utilisation d’engins peu fiables, en recherche constante d’amélioration, ont rendu la pratique aérienne dangereuse.

2Tout au long du XXe siècle et malgré les efforts de sécurisation des équipements, le danger ne disparaît pas. À cela plusieurs raisons, qui tiennent tant à la machine qu’à son utilisateur. L’homme invente toujours plus de moyens d’évoluer dans les airs, pour assurer son transport certes, mais aussi et parfois surtout en guise de plaisir. À chaque nouvelle invention, à chaque nouvelle pratique aérienne, à chaque nouvelle « glisse » (Jorand, 2000), un nouveau matériel est conçu et de nouveaux dangers apparaissent.

3Au-delà même des risques liés à la pratique d’un nouveau sport aérien et à l’utilisation de son équipement, le danger provient aussi souvent, en grande partie, des comportements humains. Or, comme le souligne Gildas Loirand à propos du parachutisme, la prise de risque semble être une attitude de plus en plus courante, notamment à partir de la fin du XXe siècle (Loirand, 2006).

4Ce goût du risque est dès lors l’objet de l’attention des sciences humaines et sociales, Loirand nous précisant que « la sociologie du sport ou […] l’anthropologie du corps entendent expliquer les raisons pour lesquelles se serait développée dans les sociétés occidentales, à compter des années 1980, une véritable passion collective pour le risque ».

5Parmi les sources qui s’offrent aux chercheurs dans cette quête, la source archivistique est un matériau de tout premier ordre.

1 – La question des sources

6Interroger les pratiques sportives liées à la prise de risque c’est, selon les champs des sciences humaines et sociales dans lesquels on s’inscrit, puiser à la parole des pratiquants, « faire des terrains » ou compiler et analyser des données récupérées directement à la source ou bien assemblées sous forme, par exemple, de statistiques, par des organismes ad hoc[2].

7Mais toutes les sources ne sont pas consultées de la même manière et certaines sont sous-exploitées voire, parfois, oubliées. Ainsi en est-il souvent de la source archivistique qui, en dehors des milieux historiens – et encore ! –, peine à rencontrer les chercheurs. Pourtant, la richesse des documents conservés dans les institutions d’archives est immense et peut intéresser tous les domaines de la recherche. Que ce soit dans les dépôts d’Archives départementales ou aux Archives nationales (pour n’évoquer que les archives publiques), il existe des gisements qui ne demandent qu’à être utilisés. Ils donnent aux chercheurs le point de vue de l’État et des collectivités sur toutes ces questions et offrent une vision à la fois transversale, globale, tout en proposant un zoom sur de nombreux sujets en permettant ainsi, non seulement de dégager des enseignements de portée générale et théorique, mais aussi d’étudier le cas particulier au plus près.

8Un fonds d’archives en particulier s’avère essentiel pour l’étude des risques liés aux pratiques aériennes, il s’agit des archives du Bureau d’Enquêtes et d’Analyses pour la sécurité de l’aviation civile (BEA). Ce fonds est conservé aux Archives nationales par le Département de l’Environnement, de l’Aménagement du Territoire et de l’Agriculture (DEATA), chargé des archives des ministères et établissements publics chargés notamment des transports. Le BEA est l’autorité française chargée d’enquêter sur les accidents ou les incidents graves dans l’aviation civile.

2 – Histoire et missions du BEA

Histoire

9En France, l’histoire de la sécurité aérienne, tout comme l’histoire de l’aviation, est ancienne. Le premier organisme de contrôle de l’aviation civile est mis sur pied au lendemain du premier conflit mondial et placé sous l’autorité du ministère de la Guerre [3]. Dès janvier 1920, un sous-secrétariat à l’aviation civile est créé et placé sous la responsabilité du ministère des Travaux publics, chargé des transports. En 1926, le sous-secrétariat général est supprimé et remplacé par une Direction générale de l’aviation civile dépendant du ministère du Commerce et de l’Industrie. En 1928, cette direction disparaît à son tour et se trouve remplacée par un ministère de l’Air de plein exercice qui, hormis quelques péripéties au cours des années 1930, va rester relativement stable jusqu’à sa suppression en 1940.

10Dès le début des années 1930, un organisme dépendant de l’administration de l’aviation civile, chargé d’enquêter sur les accidents d’aéronefs, est institué. Nous pouvons attester de son existence à partir de 1931 mais nous ignorons sa date exacte de création, en raison de la destruction des archives de l’aviation civile lors du repli des ministères sur Bordeaux en 1940. Les dossiers d’enquêtes du BEA versés aux Archives nationales couvrent une période allant de 1936 à 1990. Au-delà de cette année, les dossiers, archives courantes et intermédiaires, sont toujours conservés par le BEA, en attendant leur versement aux Archives nationales (l’année 1991 est en passe d’être versée aux AN).

11Le BEA, qui exerce sans interruption depuis les années 1930 [4], existe sous sa forme contemporaine depuis 1946. Il est né au même moment que le Secrétariat général à l’aviation civile, son autorité de tutelle, placée elle-même sous la houlette du ministère chargé des transports. Le SGAC est devenu, en 1976, la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), appellation qui est toujours la sienne. Le BEA s’est appelé Bureau Enquêtes-Accidents jusqu’en novembre 2001, date à laquelle il a pris sa dénomination actuelle. Toujours affilié à la DGAC qui verse, pour lui, ses archives aux Archives nationales, il est aujourd’hui directement placé sous la responsabilité du Conseil général de l’environnement et du développement durable qui est lui-même un service du ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer (MEEM).

Missions

12Le BEA est aujourd’hui investi de plusieurs missions :

  • Enquêter sur les accidents aériens survenus sur le sol national. On en compte environ 250 par an.
  • Enquêter sur les accidents aériens survenus à l’étranger dans la mesure où la France est intervenue dans la conception, la construction, l’immatriculation ou l’exploitation des aéronefs accidentés.
  • Endosser un rôle d’observateur dans les accidents ne mettant pas directement en cause la France mais dans lesquels on compte des Français parmi les victimes.
  • Assurer une assistance technique sur demande d’autorités étrangères.

13Les enquêtes du BEA concernent bien sûr les accidents survenus dans les transports aériens, mais aussi dans tous les types d’aviation mettant en cause les aéronefs motorisés et les pratiques aériennes non motorisées (planeurs, parachutisme, deltaplanes…) : loisirs, écoles de pilotage, aviation privée et sportive. Ces investigations sont d’ordre technique et sont doublées d’une enquête judiciaire.

14Afin de mener à bien ses missions, le BEA dispose d’un effectif de 110 personnes dont 50 enquêteurs installés dans le périmètre de l’aérodrome du Bourget, près du musée de l’Air et de l’Espace, ainsi que d’antennes à Lyon, Toulouse, Bordeaux, Rennes et Aix-en-Provence. Les enquêteurs sont des ingénieurs des études et de l’exploitation technique de l’aviation civile (IEETAC) formés par l’École Nationale de l’Aviation Civile (ENAC). Ce sont aussi d’anciens pilotes, civils ou militaires, des acousticiens, des informaticiens…

15Les enquêtes du BEA poursuivent deux objectifs : bien sûr étudier les circonstances d’un accident et en comprendre les causes ; mais aussi en tirer des enseignements et émettre des recommandations afin d’éviter que de nouveaux accidents se produisent pour des raisons identiques. À l’issue d’une enquête, le BEA produit un rapport public. Certains rapports concernant des accidents remontant jusqu’aux années 1950 sont aujourd’hui en ligne sur son site Internet [5]. En revanche, on ne trouve pas sur le site le dossier d’enquête ayant servi à la rédaction des rapports. Ce sont ces dossiers qui sont versés aux Archives nationales.

3 – Les fonds du BEA conservés aux Archives nationales

Description du fonds

16Les fonds du BEA sont pour la première fois entrés aux Archives nationales en 1976. Ce premier versement concernait les dossiers d’enquêtes des accidents survenus entre 1936 et 1967. Il y a eu, depuis 1976, 21 versements d’archives concernant les accidents allant de 1968 à 1990.

17Cette masse d’archives représente un volume de 151,5 mètres linéaires. Les dossiers sont classés chronologiquement par accident. Le premier versement, identifié sous les cotes 19760051/1 à 19760051/394, fait actuellement l’objet d’un travail de reconditionnement qui vise notamment à protéger les nombreuses photographies qui illustrent les dossiers. Dans le même temps, un inventaire est réalisé et permettra à terme de mettre à disposition des chercheurs un instrument de recherche dont le niveau de précision ira jusqu’à la date, le lieu, l’immatriculation de l’aéronef ou l’identification de l’objet accidenté.

Que contiennent ces dossiers ?

18Les dossiers sont le témoignage des enquêtes qui ont été réalisées. Beaucoup plus complets que les rapports finaux, ils contiennent toutes les pièces qui ont émaillé la progression des investigations. Pour les dossiers les plus anciens, pour les accidents très légers ou ceux dont l’enquête a été rapidement close, on trouve quelques feuillets, des rapports techniques, des rapports circonstanciés de l’accident et d’éventuelles photos [6].

19L’évolution dans le temps des techniques aéronautiques et, par ricochet, des techniques d’enquêtes, se ressent sur les dossiers. Les constatations et investigations – relativement – sommaires des années 1930 font progressivement place à des études de plus en plus poussées. On trouve, dans les dossiers, des rapports de gendarmerie, des plans de vols, de nombreux plans, des cartes et photos des lieux des accidents, des relevés météo, des schémas techniques, des retranscriptions de boîtes noires (à partir des années 1960), des témoignages écrits ou enregistrés, de la correspondance, des notes administratives et des pré-rapports, des coupures de presse… Certains dossiers, notamment pour les accidents les plus importants, peuvent remplir plusieurs boîtes d’archives.

20Ces dossiers permettent donc de comprendre le processus de construction du rapport final. Ils mettent aussi en lumière les aléas de l’enquête – hésitation, allers-retours, pistes explorées puis abandonnées – et renseignent le chercheur sur des problématiques qui ne sont pas nécessairement abordées dans le rapport car n’y ayant pas leur place. Ils sont en quelque sorte les « coulisses » et, sans s’attendre à y trouver des informations dissimulées au public [7], ils sont plus foisonnants et riches en informations qu’un strict et sec rapport.

Communication des dossiers

21La communication de ces dossiers est soumise aux délais de communicabilité prévus par la loi de juillet 2008, inscrite dans le Code du patrimoine. Cette loi prévoit que les archives publiques sont, de droit, communicables immédiatement, à l’exception d’un certain nombre de cas. Ces cas ont été prévus pour protéger divers secrets : secret de la vie privée (50 ans), secret industriel et commercial (25 ans), état civil (75 ans), procédures judiciaires (75 ans et 100 ans pour les procédures concernant des mineurs)… Les dossiers d’enquêtes sont couverts par des délais de 50 ans au titre du secret de la vie privée. Ces délais de communicabilité, qui se calculent à partir de la date de la pièce la plus récente contenue dans le dossier, ont été apposés pour protéger les victimes et leurs familles ainsi que les témoins.

22Au regard de la loi de 2008, les dossiers d’enquêtes du BEA aujourd’hui librement communicables sont ceux produits entre 1936 et 1966. Certes, il pourrait y avoir dans ces fonds des pièces judiciaires (délais : 75 ans, voire 100 ans s’il s’agit de mineurs) et des pièces médicales (120 ans après la naissance, 25 ans après le décès). Néanmoins, ces cas sont suffisamment rares pour que les Archives nationales aient décidé d’apposer des délais de 50 ans (vie privée). Tous les dossiers d’enquêtes antérieurs à 1967 sont donc librement consultables.

23En revanche, les restrictions concernant la communication des accidents survenus après 1966 sont bien sûr un frein aux recherches, notamment celles concernant les pratiques sportives aériennes les plus récentes et pour lesquelles l’étude de l’accidentologie à partir des dossiers d’enquêtes apporterait un éclairage nouveau.

24Néanmoins, le Code du patrimoine prévoit un régime dérogatoire permettant d’avoir accès aux documents encore soumis à ces délais de communicabilité. Le chercheur peut en effet soumettre une demande de dérogation au service d’archives qui conserve les documents. Celui-ci saisit l’administration qui a produit les documents, laquelle est la seule habilitée à accorder ou non la dérogation. Néanmoins, au moment de la saisine, le service d’archives émet un avis, souvent suivi par l’administration productrice. Dans le cas de demandes de dérogations concernant des dossiers d’enquêtes du BEA, les Archives nationales saisissent la Direction générale de l’aviation civile (DGAC). La réponse du service producteur est transmise au demandeur par le Service Interministériel des Archives de France (SIAF) qui est, au sein du ministère de la Culture, l’instance chapeautant le réseau archivistique public français.

25La politique d’ouverture des archives encore protégées par des délais de communicabilité varie d’un ministère à l’autre et – surtout – selon la nature des documents. Pour des raisons évidentes, l’accès à des documents de type – par exemple – « plans de prison » ou de « centrales nucléaires » ne sera pas accordé. Concernant les dossiers du BEA, les informations que l’État cherche à protéger relèvent de la protection de la vie privée. Cependant, les demandes présentées par les chercheurs sont en général acceptées, sous condition de ne pas rendre publiques certaines informations personnelles permettant notamment d’identifier les personnes (identité, qualité, adresse, informations personnelles). Le chercheur anonymise le résultat de ses recherches lors de la rédaction d’un article, d’un livre, d’un mémoire ou d’une thèse, ce qui n’enlève rien à la pertinence de son propos.

26Dans le cas assez rare où un refus est opposé au demandeur, celui-ci a encore la possibilité de saisir la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA) qui émet, après étude du dossier, un avis. Cet avis, purement consultatif, est la plupart du temps suivi par les administrations. En dernier recours, il peut aussi saisir le tribunal administratif, cas extrêmement rare.

4 – L’évolution des sports aéronautiques au XXe siècle dans les archives

27La richesse des archives du BEA permet ainsi d’étudier les pratiques sportives aériennes dans toute leur complexité, d’en constater l’évolution au fil des décennies, de pointer l’apparition de nouveaux engins, de nouveaux matériels, de nouvelles pratiques, tout en offrant de multiples angles d’attaque, simples ou combinés, comme (ce ne sont que quelques pistes) :

  • Types d’appareils (aviation légère, hélicoptères, ULM, planeurs, ballons, autogires, deltaplanes, parachutes…).
  • Évolution dans le temps des matériels volants et des équipements.
  • Pratiques sportives, rapport au corps et à la vitesse selon les époques : grandes exhibitions des années 1930 avec exploits et records de vitesse de quelques pionniers/sports extrêmes, recherche du dépassement de soi et records personnels du plus grand nombre aujourd’hui.
  • Genre : par ex. les femmes dans les sports aéronautiques.
  • Aires géographiques (par ex. la pratique du parapente en montagne).

28La complétude des informations contenues dans ces dossiers offre aux chercheurs non seulement la possibilité d’une approche historique, mais aussi et plus généralement toute la gamme des approches anthropologiques.

5 – Présentation de dossiers

Disparition de Jean Mermoz et de ses compagnons dans l’Atlantique à bord du Croix-du-Sud, 7 décembre 1936

29Le 7 décembre 1936, l’aviateur Jean Mermoz, figure de l’Aéropostale, et son équipage survolent l’Atlantique à bord d’un Latécoère 300 baptisé La-Croix-du-Sud.

30À 10 h 43, l’avion lance un dernier message avant de s’abîmer en mer : « avons coupé moteur arrière droit ».

31À 13 h 53, la Direction de l’aéronautique civile du ministère de l’Air reçoit un télégramme lui apprenant la nouvelle de la disparition et le début des recherches.

32C’est le premier d’une série de 55 télégrammes envoyés sur 3 jours faisant état des recherches et qui composent le dossier d’enquête.

Arch. nat., 19760051/1, Dossier F-AKGF, La Croix du Sud, Jean Mermoz, perdu en mer, 5 disparus, 7 décembre 1936

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Arch. nat., 19760051/1, Dossier F-AKGF, La Croix du Sud, Jean Mermoz, perdu en mer, 5 disparus, 7 décembre 1936

Maryse Hilsz (1901-1946), tentative féminine de record de vitesse sur base, accident du 19 décembre 1936, Fos-sur-Mer

33Alsacienne d’origine, modiste de métier, Marise Hilsz s’intéresse très jeune à l’aviation. Elle commence par le parachutisme à 23 ans et effectue 112 sauts d’exhibition pour financer son brevet de pilote qu’elle obtient en 1930. Au cours des années 1930, elle participe à de nombreuses exhibitions aériennes et multiplie les records de vitesse.

34Le 19 décembre 1936, elle fait une nouvelle tentative de record féminin de vitesse sur base au décollage d’Istres, à bord d’un Caudron 460.

35Pendant le vol, l’appareil amorce, selon les termes de l’enquête, une « série d’oscillations longitudinales très serrées et d’amplitude croissante ». La pilote est éjectée de l’appareil et le parachute s’ouvre normalement. Mais en raison du vent, elle n’atterrit brutalement à Fos-sur-Mer qu’au bout de 25 minutes. Maryse Hilsz se blesse en touchant terre et s’en sort au prix de côtes cassées, d’une fêlure à l’omoplate gauche et de contusions multiples.

36Les Archives nationales conservent par ailleurs un autre dossier d’enquête du BEA concernant Marise Hilsz (conservé sous la cote 19760051/12) : il s’agit du dossier sur l’accident qui lui a coûté la vie, dix plus tard, le 30 janvier 1946. Pendant la guerre, M. Hilsz s’engage dans la Résistance. En 1945, elle est recrutée dans le seul corps militaire de pilotes féminins français avec le grade de sous-lieutenant. En janvier 1946, alors lieutenant, son avion, pris dans des conditions météorologiques difficiles, s’écrase dans l’Ain, près de Bourg-en-Bresse. La mort de la pilote lui épargne de voir son unité féminine dissoute le mois de juillet suivant.

Arch. nat., 19760051/1, dossier Caudron 460 n° 6909, Maryse Hilsz, Fos-sur-Mer, rapport d’accident, 19 décembre 1936

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Arch. nat., 19760051/1, dossier Caudron 460 n° 6909, Maryse Hilsz, Fos-sur-Mer, rapport d’accident, 19 décembre 1936

Tentative de record de vitesse sur base (Istres) du pilote Raymond Delmotte, 12 avril 1937

37Raymond Delmotte est un aviateur français (1894-1962), pilote d’essai sur les avions Caudron. Il a été titulaire de 5 records du monde de vitesse. Il est le premier pilote à dépasser les 500 km/h en avion terrestre en 1934. En 1937, il tente un nouveau record sur un Caudron 712, équipé d’un moteur Renault. En pleine tentative, une pièce de l’avion se détache. Arrivé à une altitude de 500 m, Delmotte n’a d’autre choix que de sauter en parachute. L’avion s’écrase au sol et le pilote est légèrement blessé.

38Les années 1920 et 1930 sont riches en exhibitions aériennes sportives et les tentatives de records de vitesse sont nombreuses. Les pilotes appartiennent à un petit milieu et se connaissent souvent bien. Delmotte et Hilsz, par exemple, se côtoient souvent sur les terrains d’aviation.

Arch. nat., 19760051/2, Dossier Caudron 712, terrain d’Istres, Delmotte, photo d’une pièce de l’avion, 12 avril 1937

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Arch. nat., 19760051/2, Dossier Caudron 712, terrain d’Istres, Delmotte, photo d’une pièce de l’avion, 12 avril 1937

Accident de Clem Sohn, 25 avril 1937

39Clem Sohn (1911, Michigan-1937, Vincennes) est un Américain, parachutiste acrobatique, spécialiste de la chute libre dans les années 1930, célèbre en France sous le nom de « l’homme oiseau ».

40Il a mis au point une combinaison très spéciale avec des ailes en toile zéphyr renforcées par une armature en tubes d’acier (qui préfigure très nettement ce que seront les combinaisons du wingsuit contemporain). Il porte un large pantalon qui offre une importante surface portante et joue le même rôle stabilisateur qu’une queue d’oiseau. Sa combinaison et ses grosses lunettes de vol lui ont valu le surnom anglais de « The Batman ». Largué d’un avion à une altitude d’environ 6 000 mètres, il descendait en planant jusqu’à 250 mètres du sol et ouvrait son parachute pour atterrir.

41Le 25 avril 1937, il participe à un festival aérien à Vincennes sous le regard de 100 000 spectateurs. Avant le décollage, Clem Sohn affirme à un journaliste : « Je me sens autant en sécurité que dans la cuisine de votre grand-mère. » Mais lors de la descente, son parachute ne s’ouvre pas. Il tente vainement d’ouvrir son parachute de secours et s’écrase au sol.

42Le dossier d’enquête fait état d’un vol plané humain depuis 2 800 mètres jusqu’à 800 mètres puis d’une descente en parachute. L’hypothèse admise sur les causes de l’accident veut que l’ensemble de la voilure a dû glisser et tourner légèrement autour du corps de l’Américain alors qu’il effectuait un virage de 180°, gênant ensuite le parachute qui sortit en torche.

Arch. nat., 19760051/2, dossier Vincennes, accident de Clem Sohn, photo de l’équipement du parachutiste après l’accident, 25 avril 1937

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Arch. nat., 19760051/2, dossier Vincennes, accident de Clem Sohn, photo de l’équipement du parachutiste après l’accident, 25 avril 1937

Arch. nat., 19760051/2, dossier Vincennes, accident de Clem Sohn, dessin de l’équipement de « l’homme oiseau », 25 avril 1937

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Arch. nat., 19760051/2, dossier Vincennes, accident de Clem Sohn, dessin de l’équipement de « l’homme oiseau », 25 avril 1937

Accident d’autogire à Rouen, pilote Yves Vautier, 29 mai 1938

43L’accident survient au cours d’une manifestation aérienne organisée près de Rouen le 29 mai 1938.

44L’autogire est un aéronef à voilure tournante libre ressemblant à un hélicoptère, inventé en 1923 par l’Espagnol Juan de La Cierva. Lors de la manifestation, la démonstration du pilote a pour but de présenter une méthode de secours destinée à ravitailler une personne ou un groupe isolé et en détresse, en faisant descendre un secouriste le long d’un câble.

45Mais, alors qu’il fait la promotion de la sécurité et des secours dans l’aviation, le pilote de l’autogire ignore délibérément les règles de sécurité en ne décollant pas au bon endroit. Par ailleurs, il adopte une attitude dangereuse en coupant la route à un autre appareil. Quand il s’aperçoit, tardivement, qu’il va droit à la collision, il a une réaction inadéquate et perd son sang-froid en faisant de brusques virages au lieu de continuer à voler en ligne droite.

46Le pilote de l’autogire, pleinement responsable de l’accident, est blessé tandis que son passager, président de l’aéroclub de Normandie, est tué. Le rapport d’enquête indique que le pilote a enfreint en toute connaissance de cause certaines prescriptions concernant la sécurité lors des exercices acrobatiques. Il lui est reproché des faits d’indiscipline et un dédain systématique des règlements pouvant provoquer des accidents graves. Le rapport regrette aussi qu’il n’existe aucun brevet professionnel de pilote pour les autogires.

Arch. nat., 19760051/4, dossier F-AOIO autogire, aérodrome Rouen Saint-Rouvray, planche photos de l’appareil après l’accident, 29 mai 1938

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Arch. nat., 19760051/4, dossier F-AOIO autogire, aérodrome Rouen Saint-Rouvray, planche photos de l’appareil après l’accident, 29 mai 1938

Accident d’ULM à Persan-Beaumont (Val d’Oise), 17 mars 1990

47Les dossiers d’enquêtes du BEA reflètent l’évolution des pratiques aériennes sportives et de loisir. Aux côtés des accidents de l’aviation légère et sportive apparaissent des dossiers sur de nouveaux équipements : parapente, deltaplanes, ULM…

48Ce dossier d’accident d’ULM nous apprend que le pilote était en évolution à basse hauteur au moment de l’accident. Il a été gêné par un soleil de face et n’a pas vu la ligne téléphonique qui était à 5 mètres de hauteur. L’ULM a accroché la ligne avec le train arrière gauche et a heurté le sol.

49Au fil des décennies, les dossiers ont fini par se normaliser. On trouve, d’un dossier à l’autre, un certain nombre de pièces standardisées, comme le rapport de première information du BEA, qui comprend toujours les mêmes cases à remplir : renseignements sur les lieux, personnes, dommages, aéronef, vol, phase de vol, commandant de bord, second pilote, autres occupants, dommages corporels, matériels… On trouve aussi systématiquement à partir des années 1980 des photos, des rapports de gendarmerie, des plans…

50Même si cette normalisation est généralisée, certains dossiers sont bien sûr plus complets et plus volumineux en fonction de la nature de l’accident. Néanmoins, cet effort d’harmonisation facilite l’approche statistique dans l’étude des dossiers.

Arch. nat., 20050148/8, dossier 95-DC, ULM/Pendulaire, planche photos de l’ULM après l’accident, 17 mars 1990

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Arch. nat., 20050148/8, dossier 95-DC, ULM/Pendulaire, planche photos de l’ULM après l’accident, 17 mars 1990

Accident matériel d’un planeur à Saint-Girons Antichan (09), 18 mars 1990

51Les accidents de planeurs sont assez fréquents dans les fonds d’archives du BEA. On les rencontre dès les années 1930.

52Il s’agit ici du vol d’un élève pilote d’un club qui, surpris par le vent et par manque d’expérience, se laisse déporter et corrige trop tardivement sa trajectoire, venant percuter une clôture.

53Le dossier nous indique que le responsable du vol, au sol, voyant arriver l’inéluctable, ne peut intervenir en raison de l’absence d’une radio à sa portée. L’appareil est détruit à 50 % mais le pilote en sort indemne. Dans cet exemple, les conditions météo, le manque d’expérience du pilote, les problèmes de l’absence de matériel radio sont pointés du doigt par le rapport.

Arch. nat., 20050148/8, dossier F-CCKQ, Saint-Girons Antichan, planche photos du planeur après l’accident, 18 mars 1990

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Arch. nat., 20050148/8, dossier F-CCKQ, Saint-Girons Antichan, planche photos du planeur après l’accident, 18 mars 1990

Conclusion

54Les archives du BEA sont un matériau archivistique primordial pour les études – au sens large – menées sur la sécurité dans les sports aériens. Le chercheur dispose d’une source qualitative offrant une véritable richesse typologique parmi les documents présents dans les dossiers (rapports de gendarmerie, rapports techniques, cartes et plan, photographies…). Ce gisement archivistique est aussi une ressource quantitative indispensable, puisque sérielle et constituée sans interruption depuis le milieu des années 1930.

55Deux difficultés viennent néanmoins s’interposer entre le chercheur et l’objet de son étude. Tout d’abord les délais de communicabilité de 50 ans imposés par le Code du patrimoine afin de protéger la vie privée des personnes impliquées dans les accidents. Mais, ainsi qu’on l’a écrit, cette difficulté peut être aisément surmontée grâce à la procédure de dérogation. En revanche, la deuxième difficulté est plus problématique. Il arrive en effet, parfois, que certains dossiers, ou des parties de dossiers, aient disparu. Ce sont des archives dites « en déficit », dont l’absence peut être expliquée de multiples façons : archives égarées par les services versants, par exemple lors de déménagements, archives détruites au cours d’incendies, d’inondations… La disparition de ces documents se fait parfois cruellement ressentir. Fort heureusement, dans le cas du BEA, il existe peu de dossiers en déficit, et ces dossiers sont en général les plus anciens.

56D’autres sources peuvent venir compléter les recherches dans ce domaine et pallier les manques éventuels ou les dossiers manquants. Les Archives de la DGAC conservées aux Archives nationales, par exemple, sont importantes et très riches (certification des aéronefs et engins volants, supervision des aérodromes, législation, normalisation des procédures, contrôle de l’application des règles de sécurité…). Les Archives départementales peuvent, elles aussi, être exploitées à profit. Pour ce qui est des archives privées, les fonds des associations sportives sont bien sûr une piste intéressante.

Bibliographie

  • Jorand, Dominique (2000). Histoire et sociologie du vol libre. Structure, oppositions, enjeux. Thèse de doctorat, Paris, Université Paris 11.
  • Loirand, Gildas (2006). Parachutisme : célébration du danger. Ethnologie française, 36(4), 625-634.
  • Robène, Luc (1998). L’homme à la conquête de l’air (2 vol.). Paris : L’Harmattan.
  • Robène, Luc (2001). Icare et la violence des jours. In Dominique Bodin, Sports et violences (pp. 35-61). Paris : Chiron.

Mots-clés éditeurs : accidents, archives, enquêtes, sports aériens, BEA (Bureau d’Enquêtes et d’Analyses)

Date de mise en ligne : 09/11/2018

https://doi.org/10.3917/sta.121.0167

Notes

  • [1]
    Jean-François Pilâtre de Rozier et Pierre-Ange Romain meurent lors d’une tentative de traversée de la Manche en montgolfière le 15 juin 1785. Ils sont les deux premières victimes d’un accident aérien.
  • [2]
    Dans son article sur le parachutisme, G. Loirand se réfère notamment aux accidents mortels de parachutisme mentionnés dans les rapports annuels de la Fédération française de parachutisme.
  • [3]
    Il s’agit de l’Organe Central de Coordination Générale de l’Aéronautique (OCCGA) créé courant 1919.
  • [4]
    Son activité n’a pas cessé pendant la Seconde Guerre mondiale, mais elle a chuté mécaniquement dans la mesure où l’aviation civile était réduite à quelques vols du gouvernement de Vichy autorisés par les autorités occupantes.
  • [5]
    https://www.bea.aero/. Tous les rapports ne sont pas en ligne, loin de là. Le seul moyen d’y avoir accès est de venir les consulter aux Archives nationales.
  • [6]
    Par exemple l’enquête sur la disparition de Jean Mermoz et de ses compagnons à bord du Latécoère 300 La-Croix-du-Sud dans l’Atlantique le 7 décembre 1936. Le dossier, conservé sous la cote 19760051/1, contient une série de télégrammes envoyés par les équipes de secours, rendant compte de leurs recherches.
  • [7]
    On peut néanmoins constater dans certains dossiers importants que le secret sur l’enquête a pu être imposé pendant un certain temps, et ce pour diverses raisons : diplomatiques si l’accident implique un autre pays ; politiques en raison de l’identité de certaines victimes ; industrielles et commerciales si des compagnies aériennes ou des constructeurs sont mis en cause. Mais au final le rapport finit toujours par être public et le dossier communicable.

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