Ghislain Carlier (dir.), L’apprentissage en situation de travail. Itinéraires du développement professionnel des enseignants d’éducation physique, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, coll. « Recherches en formation des enseignants et en didactique du CRIPEDIS », 2015, 160 p.
1Cet ouvrage, coordonné par Ghislain Carlier, réunit avec succès formateurs et enseignants-chercheurs autour d’une même question, celle de l’apprentissage en situation de travail. Si les enseignants apprennent au quotidien de l’enseignement en classe, les temps de formation peuvent constituer, à certaines conditions, un levier puissant pour développer ses compétences professionnelles. Apprendre suppose toujours une prise de risque, celle de la remise en cause de ses croyances, de ses routines et de ses compétences. Précisément, par la mise à distance qu’elle occasionne dans l’espace-temps accéléré du travail, la formation continue offre une sorte d’« oasis de décélération », un espace protégé et une sécurité psychologique propices à la réflexivité sur sa pratique.
2Les auteurs mettent en évidence toute la complexité de l’apprentissage en situation de travail, que ce soit à partir d’une analyse éclairée de leur propre parcours d’enseignant et de formateur, ou de recherches qualitatives prenant appui sur des cadres théoriques pluriels. Il s’agit de mieux comprendre le développement professionnel des enseignants, ses possibles, sans pour autant négliger les difficultés rencontrées, tant pour les formateurs que pour les formés. Cette complexité est décrite finement, expliquée, en explorant les conceptions personnelles, les singularités des intervenants en fonction de leur histoire, de leurs valeurs, sans pour autant déconnecter le style individuel du genre professionnel. Ainsi, pour reprendre la formule d’André Giordan – « il n’y a pas deux élèves qui apprennent de la même manière » –, cet ouvrage démontre avec force qu’il n’y a pas deux enseignants qui apprennent de la même manière. Si l’enseignant doit faire face à des élèves différenciés, le formateur n’est-il pas lui aussi confronté à l’hétérogénéité des formés ? Comment peut-il faire vivre des dispositifs de formation favorisant l’apprentissage de tous, quand chaque enseignant développe au fur et à mesure de ses expériences un rapport au savoir ou des sensibilités à très personnelles ?
3Apprendre par et pour le travail… Cette formule ramassée exprime incomplètement les liens étroits et significatifs qui associent apprentissage et travail. Dans la préface, Marc Durand montre qu’au-delà de la part contraignante, enfermante voire aliénante que peut prendre travail, les acteurs font plus que travailler : ils apprennent ! Ils acquièrent des compétences et des savoirs, se structurent personnellement et s’émancipent au plan individuel et collectif. L’apprentissage n’est pas une pratique, il est un changement qui se produit lors d’une pratique et consiste en la transformation de l’activité du pratiquant. L’ouvrage apporte, tout au long des cinq chapitres, de précieux éléments de compréhension et de décision sur cette question des transformations de l’activité des professionnels.
4Le chapitre 1, « Œuvrer au développement professionnel des enseignants afin que les élèves apprennent mieux : les méandres de la sensibilité », est signé par Michel Récopé et Denis Barbier. Les auteurs, forts d’une longue expérience dans la formation continue, dégagent quatre profils d’enseignants : ceux qui se développent, ceux qui apprennent, ceux qui réalisent des acquisitions précaires et ceux qui résistent. Il devient alors incontournable, pour le formateur, de faire émerger et de prendre en compte la sensibilité des formés, tout en la respectant. Cela suppose une attitude empathique, une décentration pour se situer dans un jeu complexe d’intersubjectivités sensibles et évolutives. Dans le chapitre 2, Denis Loizon se tourne vers la formation initiale et étudie « Le point de vue des sujets formateurs confrontés au processus de professionnalisation. Itinéraires de trois formateurs en EPS ». Il montre comment les formateurs se débrouillent face à des prescriptions parfois difficiles à tenir et construisent un rapport au savoir personnel, à partir de trois formes de déjà-là : intentionnel, conceptuel et expérientiel. Philippe Gagnaire et François Lavie rendent compte de leur itinéraire personnel dans le chapitre 3 « Plaisir de l’élève et apprentissage du métier d’enseignant d’EPS. Histoire d’un cheminement professionnel singulier… ». Constatant que bon nombre d’enseignants éprouvent une souffrance au travail, une impuissance, ils notent que les enseignants experts sont ceux qui sont convaincus du postulat d’éducabilité de l’élève, s’adaptent aux difficultés, se remettent en cause et inventent, avec ingéniosité, des arts de faire au quotidien. Ils proposent une pédagogie de la mobilisation, qui prend en compte les mobiles d’agir des élèves, s’appuie sur leurs ressources plutôt que sur leurs manques, offre des possibilités de choisir plutôt que des contraintes à respecter et met le plaisir au cœur du processus éducatif. Dans le chapitre 4, « La formation continue comme espace de développement professionnel… Le pas de côté des enseignants d’éducation physique et sportive, formateurs et stagiaires », Sophie Necker montre que la formation, en ouvrant des espaces-temps d’expérimentation et d’évaluation, favorise, pour les enseignants stagiaires comme pour les formateurs, une pluralité d’interactions, l’alternance de points de vue (les enseignants sont tout à tour formateur, élève, observateur, pratiquant), la décentration et transforme en retour les rapports à soi et à l’environnement. Enfin, dans le dernier chapitre, « Les sensibilités à des enseignants en éducation physique : le prisme du réinvestissement des acquis d’une formation continue en situation de travail », Marie Clerx dégage sept sensibilités de genre, communes aux enseignants d’éducation physique, tout en aidant chacun à prendre conscience de son style individuel. En découvrant leur carte d’identité professionnelle, les enseignants déclarent apprendre sur eux-mêmes et sont susceptibles de mieux ajuster leur intervention. Dans la conclusion, Ghislain Carlier met en avant le caractère incontournable de tels travaux pour la formation et la recherche, car ils mettent au jour, sous de multiples facettes, les itinéraires de développement professionnel des enseignants et des formateurs, ponctués d’avancées significatives, de périodes décisives, mais aussi de résistances, de blocages, de besoins de reconnaissance professionnelle.
5Ainsi, cet ouvrage constitue une ressource essentielle pour questionner l’apprentissage en situation de travail, qu’il s’agisse du formateur, de l’enseignant ou même de l’élève. Il nous invite à prolonger la réflexion à partir des nombreuses pistes proposées par les auteurs : identifier les profils des formés, leurs sensibilités à la fois communes et singulières, aider les enseignants à prendre conscience de leurs sensibilités à et à se trans-former, inventer des pédagogies innovantes qui favorisent les apprentissages de tous les élèves, adopter une posture empathique, une décentration pour comprendre autrui, alterner les points de vue selon différents espace-temps, etc. Comme le souligne Étienne Bourgeois dans la postface, ces riches contributions mettent aussi en lumière des questions urgentes relatives à la politique de formation des enseignants, telles que l’articulation entre formation initiale, formation continue et apprentissage en situation de travail, les frontières entre espaces de travail et de formation, à la fois suffisamment distinctes et perméables, la complémentarité entre différentes modalités d’apprentissage (par la réflexivité, par l’action, par l’imitation), le soutien de l’engagement professionnel des enseignants.
6Rédigé par des enseignants-chercheurs-formateurs, cet ouvrage est destiné autant à leurs pairs qu’à leurs publics, étudiants en formations ou professeurs d’éducation physique en exercice. Au-delà de ces lecteurs particuliers, il est susceptible d’intéresser tous ceux qui se préoccupent des liens entre apprentissage et travail. Il est un témoignage éloquent de la puissance et de la complexité des transformations qui s’opèrent chez les acteurs au travail, dans, pour et par le travail.
7Mathilde Musard
8UPFR Sports Besançon
9Laboratoire ELLIADD
Jérôme Palazzolo, Petit précis de psychologie positive, Paris, Connaissances et Savoirs, coll. « Psycho », 2016, 134 p.
11Jérôme Palazzolo est un psychiatre peu ordinaire. Spécialisé en psychopharmacologie et en thérapie cognitivo-comportementale, il fourmille de projets qu’il réalise, cabinet en libéral, enseignant universitaire, coresponsable du Diplôme universitaire de thérapies comportementales et cognitives à l’Université de Nice, professeur à l’Université Senghor d’Alexandrie, auteur prolifique d’ouvrages et d’articles de recherche comme de vulgarisation. Celui-ci est un ouvrage simple mais documenté par des articles scientifiques.
12La psychologie positive accompagne le lecteur vers les voies d’un mieux-être, celle d’un équilibre qui passe par l’estime de soi, des attitudes positives opposées aux négatives, la capacité à comprendre les situations vécues, notamment par une analyse fonctionnelle qui est schématisée sur une grille SECCA : Situation problématique, Émotions, Cognitions (les pensées, les images mentales, les différents systèmes de croyances), Comportement, Anticipation (p. 29).
13Ainsi, à la lecture des vingt premières pages, on comprend qu’il s’agit d’un ouvrage d’éclairage général pour une psychologie « positive » qui aide à mieux vivre, et qu’on va trouver tous les outils présentés de façon simple et interactive pour à la fois mieux maîtriser sa propre vie mais aussi acquérir des compétences de psychologue et de thérapeute. Une description précise de tout un catalogue de comportements, de représentations, d’attitudes conduit alors à se questionner autour d’objectifs clairs, toujours formulés en des termes positifs par un questionnement approprié : « Qu’est-ce que je veux, qu’est-ce que j’attends de moi ? Le résultat visé est-il réalisable ? Quels sont les moyens à mettre en œuvre pour l’atteindre ? De quelles ressources ai-je besoin ? Quelles sont les étapes à parcourir ? À quoi saurai-je que j’ai atteint mon objectif, que je suis prêt pour le jour J ? Par quoi commencer ? » (p. 40).
14S’ensuivent de petits exercices comme celui-ci : « Faites deux listes : choses que vous pouvez changer / choses que vous ne pouvez pas changer, et concentrez-vous sur ce que vous pouvez changer » (p. 42).
15Quittant le champ large d’un Moi social, Jérôme Palazzolo entre dans l’intériorité des émotions et des états d’âme et traite leurs aspects situationnels, cognitifs, physiologiques.
16Ré-élargissant son propos, il aborde la difficile question du vivre en couple, du respect mutuel et des conditions du plaisir d’être en compagnie de l’autre. Puis, revenant à l’intime, il présente la psychologie positive à propos des états psychiques et physiques autour de la fatigue, du sommeil, de la nutrition. Il souligne les bienfaits de l’activité physique sur tous les aspects de santé et de longévité, de la luminothérapie qui harmonise les rythmes biologiques, ceux de la relaxation, les biofeedback, chacun à sa manière favorisant une cohérence neuro-émotionnelle. Les thérapies comme l’EMDR, les thérapies comportementales cognitives, les méditations de mindfulness, etc., engendrent la cohérence cardiaque, comme la sérénité psychique et l’estime de soi. Le but ultime étant finalement de pouvoir exister en pleine conscience, ou conscience pleine du présent vécu, et de dépasser des troubles psychosomatiques autour des déprimes et des angoisses, et divers traumatismes.
17Finalement, à travers ses allers-retours de l’intime au social, Jérôme Palazzolo propose que chacun devienne, en connaissance de cause, responsable de sa bonne santé. Il pourra ainsi devenir utile aux autres, ce qui est une excellente méthode pour se sentir soi-même plus heureux ! : « En effet, la générosité et la bienveillance stimulent des zones de satisfaction dans notre cerveau : quand nous en sommes l’auteur, quand nous en sommes bénéficiaires et même quand nous en sommes témoins ! » (p. 132).
18Nancy Midol
19Maître de conférences/HDR. Université de Nice Sophia Antipolis
20Laboratoire d’anthropologie et de psychologie cognitives et sociales (LAPCOS, EA 3179)
Nancy Midol, De la psychanalyse aux thérapies quantiques : imaginations et consciences en expansion, Paris, L’Harmattan, 2015, 178 p.
21Poursuivant son intérêt pour tout ce qui émerge dans le paysage foisonnant des nouvelles techniques du corps, après les sports de l’extrême, les transes et les thérapies énergétiques, Nancy Midol questionne la nouvelle mode du quantique dans le domaine des psychothérapies et médecines quantiques.
22Quelles sont ces nouvelles thérapies qui se qualifient de quantiques ? Des propositions de soins en bio-thérapie holistique, cohérence cardiaque, conseil en fleurs de Bach, acupression, coaching de vie, PNL, Quantum-Touch, reiki, sophrologie, bio-magnétisme, hypnose, guérisseur, équilibre énergétique, reconnexion, radiesthésie, thérapie par les sons, géobiologie, technique d’harmonisation énergétique, physioscan… viennent alimenter la rubrique de « Thérapies quantiques » sur la toile d’Internet. Surprise, Nancy Midol se demande qu’est-ce qui est quantique dans tout cela et quels rapports ces thérapies quantiques entretiennent-elles avec la physique et la mécanique quantiques, sciences nées au début du XXe siècle et qui ont effectivement révolutionné les façons de concevoir le monde physique qui nous entoure.
23Il ne semble pas facile de remonter aux sources de ce mouvement. L’auteur en repère trois principales (mais il est possible d’en trouver plus probablement !).
24Remontant aux origines de la psychanalyse, elle cite Groddeck pour sa vision cosmique et matriarcale de l’inconscient, puis Jung, initié aux techniques orientales Yoga et Yi King et qui conçoit l’idée d’interférences entre les phénomènes de l’intériorité et d’autres phénomènes extérieurs, culturels et environnementaux : il forge avec le concept d’inconscient collectif, celui d’archétype et surtout celui de synchronicité, après avoir consulté W. Pauli, prix Nobel de physique quantique. Nancy Midol s’intéresse aux psychanalystes qui ont renouvelé les notions de temps (le transgénérationnel) et d’espace (l’espace transitionnel de Winnicott et la systémique de l’école de Palo Alto). Elle y perçoit la principale contribution au renouvellement des regards sur le monde et la place du vivant dans le monde en lien avec la pensée quantique qui parle d’expansion du système cosmique et propose de renouveler les notions de temps et d’espace qui, dans le domaine du quantique, n’existent pas.
25La deuxième piste consiste à suivre l’insertion de la métaphysique orientale et notamment des philosophies taoïste et bouddhiste dans la pensée occidentale, qui s’ouvre par là à la non-dualité, aux cosmologies païennes, à la validation de penser l’humain et le vivant en termes énergétiques et non organiques.
26La troisième piste est technologique et concerne toutes les machines qui mesurent et influencent le rayonnement électromagnétique du corps et des organes pour des applications thérapeutiques. Mais il ne s’agit pas de la médecine officielle, nucléaire par exemple. Ces médecines restent « non conventionnelles » et ne sont pas reconnues par l’ordre des médecins.
27Enfin, sans réellement trouver une matière cohérente au qualificatif de « quantiques » relativement à toutes ces thérapies, l’auteur montre que la physique et la mécanique quantiques ont donné accès à des métaphores nouvelles (la matière est ondulatoire ET corpusculaire), la superpositions d’états, le concept de champ devant se substituer au concept d’objet…, seulement 3 % en astrophysique, l’infiniment grand, et 3 % en physique nucléaire, l’infiniment petit sont connus des experts… L’ignorance est donc massivement ce que nous partageons, mais les nouvelles découvertes sont toutes invraisemblables, c’est dire qu’il ne faut pas craindre de penser l’impensé… et c’est pourquoi l’ouvrage de Nancy Midol est un plaidoyer pour aller sans réserve vers une expansion des imaginations et des consciences.
28La lecture de cet ouvrage est vivifiante, elle renouvelle le jeu interactif entre les neurones, l’imagination et l’environnement ! Elle ouvre des pistes à explorer.
29Jacky Guion
30Ex-Directeur du département STAPS à l’Université de Nice Sophia-Antipolis