Notes
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Nous nous appuyons sur les recensions de Marie Duru-Bellat (1991) et de Claude Dubar (1991). Le modèle proposé n’est qu’un support de réflexion que chacun doit s’approprier.
1Le choix du thème « Nouvelles pratiques, nouvelles valeurs » se conçoit dans une dynamique qui, du point de vue historique, positionne la réflexion à une période charnière de la recherche en STAPS. En 1975, la revue Esprit a eu l’heur de mettre à l’honneur les réflexions et les avancées sur le thème de l’éducation physique. Si Christian Pociello interroge le lien entre Sports et sociétés (1981), si Pierre Arnaud questionne Les savoirs du corps (1982), si Bertrand During se penche sur La crise des pédagogies corporelles (1983) ou si Jacques Defrance cherche à définir, la même année, L’excellence corporelle (1983), ces pionniers achèvent successivement le cycle de leur carrière universitaire. Une deuxième puis une troisième vague d’enseignants-chercheurs se sont inscrites à leur suite. Si les thèses en STAPS apparaissent en même temps qu’un « Nouvel âge du sport » en 1987, si deux revues pluridisciplinaires que sont STAPS et Science et motricité émergent dans les années 1980, la génération des personnels des établissements supérieurs en Sciences du sport et de l’éducation physique est aujourd’hui au rendez-vous d’un premier bilan. En effet, la mutation régulière des acronymes qualifiant les lieux de formation montre comment les IREPS deviennent UEREPS puis UFRSTAPS. Dans une société française faisant suite à sa « Seconde révolution » (Mendras, 1994), les activités physiques sont davantage que leur usage au sein de la discipline scolaire. Le corps en mouvement est partout. La dernière orientation en termes de désignation des UFR marque une forme de relation dialectique entre l’éducation physique et les sciences du sport. Qu’il s’agisse du département de l’ENS-Rennes, mais aussi de l’UFR Sport et Éducation Physique de Brest, qu’il s’agisse de l’UPFR des Sports de Besançon et toutes les nouvelles abréviations qui organisent un agencement pluriel – et non duel – des champs de formation, cette double définition est de plus en plus fréquente.
2La cohorte des pionniers est maintenant passée ; reste l’avenir en construction. Que ce soit à l’occasion de sa conférence inaugurale ou dans sa contribution, la porte ouverte par Christian Pociello dans son article-témoignage sur la construction pratique d’un champ nouveau – ou à défaut innovant – cède ensuite la place à un assortiment d’études émanant de jeunes chercheuses et chercheurs. L’avenir se construit et les travaux publiés ne sont pas des seconds couteaux qui auraient trouvé dans STAPS un secours après avoir été évincés d’une revue mieux cotée. Certains membres du conseil de rédaction se sont interdit de proposer une étude malgré l’intérêt porté à la question, ainsi que l’impose la politique de la revue. L’investissement et la démarche de reconnaissance posent d’ailleurs la question de la difficile coexistence d’un véritable engagement au sein d’une revue d’auteurs maintenant reconnus et l’incapacité de cette population de renom d’abonder par leur propre article. Pour autant, dans la période actuelle de rééquilibrage de sexe dans les instances et dans la grammaire, nous sommes heureux de pouvoir présenter un numéro qui comprenne autant de représentantes que de représentants de la recherche sur la thématique appréhendée. Il s’agit d’un résultat, non d’un choix.
3Ce numéro spécial constitue donc le point d’achèvement d’un processus commencé il y a près de deux ans avec l’accueil de la VIIe Biennale à Rennes. La manifestation, sous l’égide de l’AFRAPS et la tutelle du laboratoire VIP&S, proposait un thème à la portée heuristique indéniable. À l’heure où les démarches d’innovation et d’interdisciplinarité constituent des incitations fortes de l’Agence Nationale pour la Recherche, le travail soumis à la réflexion induisait en son sein tout un champ de questionnements exigeant une remise en cause, de chamboulements, de transformations des modes d’observation usuels. Pour voir les phénomènes, leur traitement, mais aussi les méthodes, il convient d’investiguer les sciences du sport et de l’éducation physique dans ce qui les caractérise et leur donne sens. C’est sur ce point que discutent les pratiques et les valeurs auxquelles elles renvoient.
4Tout d’abord, il convient d’esquisser à grands traits quelques repères et définitions alimentant les prémisses d’une réflexion théorique. Ainsi, une valeur, prise de manière générique, constitue un concept renvoyant au pôle positif d’un continuum flou entre le bien et le mal dans l’espace social de chaque individu. Mais une valeur ne se comprend que par rapport à une norme, elle-même élaborée à partir d’une hiérarchie de valeurs (Reboul, 1989, p. 105). Ce positionnement relatif forme un tout qui structure les comportements selon une balance qui organise le bien et le mal de façon équilibrée. Cette Roberval métaphysique n’aurait pas deux plateaux, mais autant qu’il y a de valeurs.
5Les normes ainsi obtenues structurent de façon dynamique le rapport au monde propre à chacun. Mais tout individu en société interagit avec d’autres personnes qui partagent son lieu de vie, de travail ou de loisirs, que ce soit par une relation directe (conversation, regard, etc.) ou indirecte (journaux, films, réseaux sociaux, etc.). Les normes sociales résultent donc de la somme de toutes ses références morales individuelles. À ce second niveau, l’organisation hiérarchique des différentes valeurs devient commune à tous et identique à personne. Nous postulons, dans les sociétés occidentales actuelles (et concernées par les travaux de recherche publiés dans ce numéro spécial), que le tout est davantage que la somme des parties (Durkheim, 1889). Cette assise constitue un socle partagé d’attitudes, de comportements et modèle les mentalités. Elle donne concomitamment sens aux gestes en fonction du lieu où ils s’accomplissent. Le cadre sportif offre justement des règlements qui institutionnalisent le savoir-vivre. Si le tennis appelle le silence du public, nombre de sports collectifs se jouent dans une ambiance dont on attend qu’elle exprime bruyamment la passion des supporters. Dans le golf, on utilise même le terme, à l’héritage aristocratique, d’étiquette (Guillain, 2014) ; d’autres activités bénéficiant généralement de règles moins explicites. De la même façon, dans le cadre familial ou dans le cadre professionnel, la norme se recalibre en fonction de l’environnement d’expression. Parce que les valeurs n’ont pas de visibilité en soi, elles n’existent qu’à travers les pratiques qui leur donnent une réalité, une dynamique et des conséquences. Cette relation entre deux niveaux de discours apparaît de façon éloquente dans la programmation des APS lors des instructions officielles de l’Éducation Physique et Sportive parues en 1967. Le tableau met en correspondance une valeur et une pratique. Par exemple, les sports collectifs incarnent le « développement de l’initiative des jeunes et du sens de leur responsabilité dans le groupe et dans la société » ; la gymnastique conduit à « la souplesse articulaire normale ». Cette césure est incontournable pour éviter le risque d’essentialisation.
6Les pratiques représentent alors le moyen de donner à voir, plus ou moins consciemment, le niveau d’intégration de ces normes par une influence majeure sur les comportements, les choix usuels, les attitudes normales. Parce que la pratique n’est pas abstraite, à l’instar d’une technique que l’on pourrait isoler de son contexte (Vigarello, 1988) – qu’elle soit sportive ou corporelle (Arnaud & Broyer, 1985) –, elle renseigne d’une activité, de quelque chose mise en œuvre. Lors de la pratique – au sens du mouvement isolé ou d’un ensemble de mouvements ayant communément sens –, il y a rencontre entre la motivation et une norme qui configure la façon d’agir ; le savoir-faire et le savoir-être se confondant par endroit. En psychologie sociale, Grégory R. Maio parle d’une articulation « valeurs-comportement » (Maio, 2010). Au plan sociologique, Max Weber le catégorisait comme une forme de rationalité (Weber, 1995, p. 55). Toujours au plan psychologique, ces valeurs, si elles agissent de façon dynamique « en direction de soi », dans des « objectifs de transcendance », d’« ouverture au changement » ou de « conservatisme » (Souchon et al., infra), émanent d’un terreau éducatif qui, pour individuel qu’il soit, reste de nature sociale. L’identification de ces invariants permet également d’accéder à un niveau de compréhension qui, s’il dépasse les générations et les cultures, structure également les groupes et sous-groupes sociaux hic et nunc. Toute introduction d’une nouvelle valeur dans le construit social modifie l’équilibre délicat des normes en présence. Les pratiques, en tant qu’expression de ces normes, sont mises en œuvre différemment et altèrent leur intelligibilité auprès d’un autrui déconnecté des mutations en cours. Une reconfiguration globale du système en découle. Qui de la/les valeur(s) ou qui de la pratique modifie l’autre ? L’aporie ne se résout que par le choix du regard scientifique porté. Mais, au final, la logique du conservatisme cède le pas devant les autres catégories de valeurs. Alors, le monde change.
7Les normes varient donc en fonction de l’époque, du lieu et des populations considérés. Chaque étude en sciences sociales convoque ces trois éléments dans des proportions et selon des profondeurs différentes. En effet, il ne suffit pas de choisir une époque pour définir la mobilisation du facteur temps ou du facteur espace, encore faut-il en voir la mesure synchronique ou diachronique qui peut lui donner une autre épaisseur. La granulosité de chaque étude dépend donc de l’ensemble majoritairement mobilisé au sein de ce système comprenant ces invariants des sciences sociales. Certains schèmes d’intelligibilité de la réalité (Berthelot, 1991) [1] seront plus prégnants que d’autres.
8Le versant historique se saisit globalement du versant temporel, à l’intérieur d’un espace circonscrit, permettant d’identifier la transformation de valeurs à travers la mutation des pratiques. De manière abrupte, le temps bouge, mais pas l’espace. Ainsi, Julie Grall analyse la trajectoire du badminton en tant que pratique enfermée dans une représentation très ludique et, en cela, très enfantine. L’appréhension d’un objet associé dans de nombreuses civilisations à des pratiques éducatives pour garçonnets, fillettes, jeunes gens et jeunes filles (Guillain, 2010) pérennise une image puérile, devenue symbole ludique. Inférant dans une activité considérée comme secondaire par rapport à la pratique signifiante qu’est le tennis, le badminton peine à se faire percevoir sous un jour sportif. Le couple valeurs/pratique ne construit pas un ensemble intelligible en soi. Son sens est accessible dès lors que cette dialectique résonne de manière cohérente avec tout ou partie des codes en usage dans l’espace social de référence. Affecté d’une sémantique attachée à l’enfant, le badminton ne saurait être identifiable en tant qu’activité compétitive, à une époque où le sport reste très majoritairement l’affaire des adultes. La nouveauté qui existe à l’échelle du réseau originel de joueurs se heurte au mur des représentations en vigueur à l’extérieur du groupuscule d’adeptes et ralentit d’autant sa structuration institutionnelle en tant que sport. L’étude met vraiment en lumière la quête de sens qui justifie l’innovation que représente le badminton pour justifier son appartenance légitime au monde sportif. En ce sens, la pratique s’incarne dans certaines valeurs si la cohérence entre les deux est intelligible.
9Dans un autre cadre, l’analyse des arts martiaux médiévaux par Audrey Tuaillon Demésy emprunte une démarche socio-ethnologique. Deux représentations issues de deux époques coexistent en un même événement. Plus qu’une tradition réinventée (Hobsbawm & Ranger, 2006), les temporalités mettent en tension des gestes, des techniques guerrières, mais aussi un artisanat prenant à rebours l’intelligibilité « naturelle du temps » (Chartier, 2009). L’unité du message vise à un réajustement des symboles avec un sens actuellement saisissable. Ce rattrapage de l’anachronisme induit une comparaison de valeurs héritées d’époques différentes par une introduction de davantage de gestes empreints de tradition dans le fil continu de la modernité (Lenclud, 1997). L’intelligibilité, et donc la recevabilité, de cette pratique tient à l’adaptation des normes actuelles autour des symboles d’un temps passé. La sociabilité sportive (Arnaud, 1987 ; Vivier, 1999) fait donc converger les valeurs de « l’ego », mais également d’« ouverture » autour d’une pratique de convivialité.
10La différence entre la démarche sociale qui affecte le badminton, issue d’une distinction sociologique à l’intérieur de la très select population tennistique, et l’entre-soi des « guerriers des temps modernes », grimés en héritiers de Lancelot ou de Henri II, réside dans la dynamique. La première fait correspondre une activité à des valeurs bourgeoises communes qui préexistent a priori à l’extérieur de cette pratique. Dans ce cas, la formation d’un groupe identifiable est sociologiquement induite autour d’une gestuelle qui le symbolise. La seconde, par le biais de la démocratisation des activités physiques et des activités corporelles de loisir, fait converger des valeurs qui, en amont, avaient une similarité de pratiques, médiévales en l’occurrence. Dans ce cas, le groupe se constitue par et autour d’un noyau de valeurs, a posteriori.
11Le versant sociologique se saisit pour sa part du versant spatial en mettant en lumière des mises en tension entre deux espaces de normes à l’intérieur d’une même temporalité majeure. En regardant comment des femmes investissent, dans la seconde partie de leur vie, leur pratique du fitness, Jeanne-Maud Jarthon capte les effets des différences d’âge. Nous voyons comment des valeurs d’entretien de soi, au sens d’une « transcendance », dans un lieu de pratique collective, isolent l’individu. Ce faisant, les activités n’ont de sens qu’en plaçant la trajectoire des acteurs/actrices dans une temporalité en décalage. Les femmes mûres abordent alors actuellement une pratique de fitness perçue comme à ses origines hexagonales dans les années 1990, tout en pérennisant des valeurs constituant une forme de « conservatisme ». Ces représentantes du « beau sexe » perpétuent une pratique dont la vocation reste de séduire les hommes en vue de se marier. Cette étude sociologique apporte, à la lumière d’un regard historicisant, l’illustration d’une déconstruction des espaces et des pratiques au gré des valeurs qui les portent, les motivent et les structurent. Le mode d’entrée par la place symbolique qu’incarne le corps dans la représentation individuelle permet de saisir comment le sens de la pratique s’arc-boute sur des valeurs qui ont fait sens avant l’apparition de l’activité elle-même.
12Et c’est, par ailleurs, au gré d’une dissociation du temps et de l’espace que Romain Rochedy tente de capter les valeurs de l’ultra-trail, véritable « oasis de décélération ». La rubrique « Chantier en question » expérimente, essaie, donne à voir une réflexion en construction. Le couplage d’une sociologie clinique (De Gaulejac & Roy, 1993) à une sociologie plus classique permet d’interroger le rapport des acteurs/agents à une pratique particulièrement exigeante. L’ultra-trail prend la forme d’une quête, dont l’objectif est autant de se prouver ses capacités et de se transcender que d’identifier son pouvoir de transformation du monde en une forme d’égoïsme. Chaque individu participe à cette pratique particulière avec un bagage normatif différent. Pour autant, les valeurs de transcendance ou de quête de soi s’expriment de façon relativement commune, repérant chez les adeptes un même désir d’affranchissement du diktat du temps par l’impitoyable exigence du trail sur le corps. L’espace supplante ainsi le chronomètre et renvoie le coureur à sa nature humaine. Il y a une dissociation effective du temps et de l’espace (Aubert, 2009). Ce montage théorique accapare le cadre de lecture d’Harmunt Rosa (Rosa, 2012) et offre ainsi un support de comparaison à deux structures sociologiques différentes. Liberté, espace infini et négation de la contrainte du temps constituent les valeurs et symboles qui donnent sens à cette activité. L’intelligibilité de l’ultra-trail n’est accessible qu’à partir du moment où le sens du déplacement est détaché de celui de la course. Sportivement, cette pratique est nouvelle parce qu’elle révolutionne le rapport au temps.
13C’est également dans une considération inversée des fondamentaux sociaux que se positionne l’analyse de Nicolas Souchon, Brigitte Bardin, Stéphane Perrissol et Gregory R. Maio. Les valeurs structurantes des individus influenceraient le choix d’un mode de pratique physique plutôt qu’un autre. Dès lors, cette inversion du questionnement allant du social vers l’individu (et non de l’individu vers le social) autorise à saisir la dialectique entre les schèmes constitutifs de l’intelligibilité que chacun prête à son activité sportive (Berthelot, 1991). Entre le symbole et le sens, entre la pratique et les valeurs qui leur sont associées, le jeu d’aller et retour est tellement intégré qu’il finit par être perçu comme unifié dans grand nombre de discours sous l’intitulé : les valeurs du sport. L’exemple du fair-play illustre magistralement l’intériorisation ultime du rapport à la règle comme valeur intrinsèque majeure chez le sportif alors que tout règlement exprime originellement autant une contrainte extérieure supportée par l’individu qu’un code comportemental qui donne sens à la pratique en tant qu’activité sociale. Le contrepoint que représente la psychologie sociale éclaire donc, d’une autre manière encore, la relation de l’individu au social dès lors que l’expérimentation réduit au maximum la portée du temps et de l’espace dans l’étude. Le rapport direct pratique/valeur devient accessible à travers un travail de décomposition de la complexité.
14Cependant, qu’il s’agisse d’une analyse historique ou sociologique, les espaces sociaux sont d’une porosité certaine. Les moyens de capter les processus qui les traversent obligent à mettre en système les actants sociologiques classiques. Pour autant, les facteurs explicatifs doivent rendre compte d’une intelligibilité des mutations par ceux-là mêmes qui les adoptent. Ce glissement, progressif ou violent, de normes serait théoriquement accessible à travers le décalage existant entre les symboles utilisés et le sens perçu, entre les pratiques et les valeurs qui les portent. In fine, le principe de contextualisation – qu’il soit puissant dans la discipline de Paul Veyne, moindre dans celle d’Émile Durkheim ou sciemment réduit dans le cadre de la psychologie – reste un phénomène majeur des sciences sociales. Parce qu’il s’agit bien ici de sciences sociales.
15La thématique de la Biennale, à l’instar de tout rassemblement initié par l’Association francophone, se voulait ouverte à l’ensemble des disciplines scientifiques du champ des Activités Physiques et Sportives, de l’entraînement à l’école, de l’adulte à l’enfant, du valide au déficient et des Sciences de la vie aux Sciences humaines. Pourtant, les communications se sont principalement centrées sur le champ des Sciences humaines et sociales. Pli de la revue STAPS, l’orientation prise en direction de ces champs de recherche impacte directement les entrées scientifiques des participants. Difficile alors de résister à cette comparaison épistémologique avec les modalités actuelles d’évaluation des chercheurs envisagées comme de nouvelles pratiques scientifiques guidées à l’aune d’expertises tant individuelles (avancements, primes, CRCT, etc.) que collectives (accréditations des laboratoires et des diplômes par exemple), affichant magistralement le curseur sur l’étalon des valeurs de la rentabilité scientométrique. Les lieux de publication ne fonctionnent pas selon une rationalité en valeurs (Weber, 1995, p. 55), mais bien selon une rationalité en finalité ; ce qui importe n’est pas l’endroit où le scientifique partage le plus, mais l’endroit où il abondera au maximum. Pourtant, la pluralité des STAPS naît d’une revendication scientifique (Vigarello, 1975, p. 739) dont l’éparpillement participe à sa richesse. Auparavant symbolisées, voire incarnées, par l’obtention d’un concours de professeur d’EPS (certifié ou agrégé), les trajectoires se tendent et la concurrence réduit le panorama des choix à ceux qui semblent les plus probants. Pourtant, dans ce « petit monde » de l’Université, et en son sein celui des STAPS, la spécialisation conduit à l’affinement et l’affinement confine à l’isolement. En ce sens, le moment fort convivial que les participants à la Biennale ont connu représente une « oasis de décélération » (Rochedy, infra) dans la traversée du désert que les vagues successives d’évaluation de laboratoire, de formations et de carrière font ressembler à des grandes transhumances nomades. L’esprit de la manifestation était en symbiose avec le thème. L’occasion m’est d’ailleurs fournie de remercier les collègues présent(e)s à la VIIe Biennale pour leur participation à cette manifestation, dans un esprit de partage et de confiance. Certains n’ont pas passé le filtre des expertises ; d’autres n’ont pu soumettre leur papier dans les temps ; d’autres ne pouvaient présenter des travaux au regard à leur appartenance au comité de rédaction ; tous ont fait de ce moment un temps de convivialité et d’échanges intellectuels. Nous voulions profiter également de ces lignes pour remercier les élèves du département Sciences du Sport et Éducation Physique (2SEP) et particulièrement Kilian, Lise, Maïté, Oriane et Paoline (par ordre alphabétique).
16Finalement, l’accueil dans cette École normale supérieure de Rennes, fraîchement émoulue, permet de mettre en visibilité le département Sciences du Sport et Éducation Physique, particularité/nouveauté dans le panorama des STAPS. Loin de tourner le dos à la vocation initiale de sa structuration autour de l’EPS, ce lieu de formation de taille modeste ambitionne de vivre au diapason des champs scientifiques pour éclairer, investiguer, développer des recherches autour de la pratique physique, quels que soient ses modes et champs d’expression, libre, fédérale ou scolaire. D’ailleurs, une remarque récurrente a été faite à l’organisation de la Biennale. Il ne pouvait y avoir, semble-t-il, de proposition de communication, orale et ensuite écrite, que sur le thème de l’EPS. L’imaginaire associé au lieu prouve effectivement que les ressorts de l’histoire sont parfois longs à perdre de leur dynamisme. Les forces émanant du monde de la discipline scolaire paraissent avec plus de force dans le champ des STAPS que les dynamiques mises en œuvre dans le giron des Grandes Écoles pour accueillir cet inconnu. La persistance des représentations se jouerait donc toujours un peu de la notion même de nouveauté.
Bibliographie
Bibliographie
- Arnaud, P. (1982). Les savoirs du corps. Lyon, Presses universitaires de Lyon.
- Arnaud, P. & Broyer G. (1985). Psychopédagogie des APS. Toulouse, Privat.
- Arnaud, P. (1987). « La sociabilité sportive. Jalons pour une histoire du mouvement sportif associatif », in Pierre Arnaud, Les athlètes de la république. Gymnastique, sport et idéologie républicaine 1870-1914, Toulouse, Privat, pp. 359-384.
- Aubert, N. (2009). Le culte de l’urgence. La société malade du temps. Paris, Flammarion.
- Chartier, R. (2009). Au bord de la falaise. L’histoire entre certitudes et inquiétude. Paris, Albin Michel.
- De Gaulejac, V. & Roy, S. (1993). Sociologies cliniques. Paris, Desclée de Brouwer.
- Defrance, J. (1983). L’Excellence corporelle : la formation des activités physiques et sportives modernes, 1770-1914. Rennes, Presses universitaires de Rennes.
- Dubar, C. (1991). « Berthelot Jean-Michel, L’intelligence du social. Le pluralisme explicatif en sociologie », Revue française de sociologie, vol. 32, n° 4, pp. 631-634.
- During, B. (1983). La crise des pédagogies corporelles. Paris, Scarabée.
- Durkheim, É. (1889). « Communauté et société selon Tönnies », Revue philosophique, n° 7, pp. 416-422.
- Duru-Bellat, M. (1991). « Berthelot Jean-Michel, L’intelligence du social : le pluralisme explicatif en sociologie », Revue française de pédagogie, vol. 96, pp. 113-115.
- Guillain, J.-Y. (2014). Histoire du golf. Tome 1. Le temps des pionniers. Paris, L’Harmattan.
- Hobsbawm, E. & Ranger, T. (dir.) (2006). L’invention de la tradition. Paris, Amsterdam.
- Lenclud, G. (1987). « La tradition n’est plus ce qu’elle était… Sur les notions de tradition et de société traditionnelle en ethnologie », Terrain, n° 9, pp. 110-123.
- Mendras, H. (1994). La Seconde Révolution française. 1965-1984. Paris, Gallimard.
- Reboul, O. (1989). La philosophie de l’éducation. Paris, Presses universitaires de France.
- Rosa, H. (2012). Aliénation et accélération. Vers une théorie critique de la modernité tardive. Paris, La Découverte.
- Vigarello, G. (1975), « Éducation physique et revendication scientifique », Esprit, n° 5, mai, pp. 739-754.
- Vigarello, G. (1988). Techniques d’hier et d’aujourd’hui… Paris, Revue EPS.
- Vivier, C. (1999). La sociabilité canotière : la société nautique de Besançon. Paris, L’Harmattan.
- Weber, M. (1995). Économie et société. La catégorisation du social. Paris, Seuil.
Notes
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[1]
Nous nous appuyons sur les recensions de Marie Duru-Bellat (1991) et de Claude Dubar (1991). Le modèle proposé n’est qu’un support de réflexion que chacun doit s’approprier.