Staps 2013/2 n° 100

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Article de revue

Les souvenirs laissés par les bons enseignants d'EPS : l'assertivité socio-conative comme concept explicatif

Pages 77 à 87

Notes

  • [1]
    Voir Le Nouvel Observateur, dossier « Qu’est-ce qu’un bon prof ? », n° 2496, 6-12 septembre 2012, p. 82-91.
Sa « culture » doit vraiment être personnelle, capable de répondre à tout, donc d’entendre chaque enfant dans son irréductible originalité.
Georges Jean, Culture personnelle et action pédagogique, Tournai, Casterman, 1978, p. 33

1Dans un monde où l’éducation est représentée comme la pierre angulaire des valeurs, de l’évolution et de l’avenir de la société, comment ne pas porter de l’intérêt à son premier messager : l’enseignant [1]. Certes, Sigmund Freud déclare qu’enseigner est un métier impossible (à l’instar de gouverner et soigner) car pour lui, « on peut d’emblée être sûr d’un succès insuffisant » (Freud, préface d’Aichhorn, 1973, p. 12). Pourtant, et malgré le pouvoir de persuasion et l’impact que ce psychanalyste a eu sur le monde des sciences humaines, bon nombre d’hommes et de femmes continuent de vouloir enseigner, au mépris des difficultés et des conditions rencontrées. Pire, il arrive même que certains d’entre eux aient été suffisamment performants pour que l’on se souvienne d’eux et qu’on les gratifie de qualité d’excellence.

2De nombreuses études (Vygotski, 1934 ; Gagné, 1965 ; Piaget, 1970 ; Skinner, 1971 ; Bandura, 1976 ; Campione, 1984 ; Bruner, 1987) ont jusqu’à maintenant été menées afin d’identifier, de clarifier, de comprendre la façon optimale dont chaque enseignant ou éducateur devait faire passer son message pour obtenir le meilleur résultat possible. De nombreuses théories d’apprentissage ont été développées. Si certaines ne sont plus utilisées maintenant, force est de constater qu’en fonction des activités, du public et du niveau de compétence des apprenants, il est parfois préférable d’utiliser tel mode d’entrée, telle théorie, telle méthode d’apprentissage. Toutefois, à notre connaissance, bien peu de travaux, à l’exception de ceux de Porter et Brophy (1988), Maulini (1998), Dorvillé (1991) ou encore Leloup (2003) notamment, se sont penchés sur les causes, qu’elles soient internes ou externes qui permettaient de juger de la valeur d’un enseignant.

3Or, chacun se souvient d’un professeur (ou de plusieurs) qui l’a marqué tel John Keating, dans le film culte Le cercle des poètes disparus. La question qui fonde cette étude est d’en connaître la raison. Qu’avait-il de plus que les autres ? Que nous a-t-il apporté ? En d’autres termes, pourquoi face à la diversité et la multiplicité des intervenants que nous avons côtoyés, nous souvenons-nous de lui ou d’elle ? Afin de répondre à ces interrogations nous nous appuierons sur la phrase de Jean Jaurès (1964, p. 53), « on n’enseigne pas ce que l’on sait ou ce que l’on croit savoir : on enseigne et on ne peut enseigner que ce que l’on est ». Pour corroborer cette assertion, nous pouvons nous rapprocher de Rolland Viau (2002) qui, au cours d’une conférence à l’université de Sherbrooke (Québec, Canada) reconnaît que les enseignants doivent continuer à se préoccuper de la motivation de leurs élèves car ils sont de plus en plus les seuls modèles que les enfants et les adolescents peuvent observer en train d’apprendre et d’aimer l’apprentissage.

4C’est à partir de cette base de réflexion que nous avons décidé de nous pencher sur ce problème. Qu’est-ce qui permet aux enseignants de plaire à leurs élèves ? Ont-ils des fonctionnements analogues et qu’apprennent-ils à ceux et à celles dont ils ont la charge ? Pourquoi se souvient-on de certains et pas des autres ? Qu’est-ce qui a pu guider ce choix et cet attrait ? Autrement dit, de quelle nature est le comportement de l’enseignant d’EPS afin que ce dernier ait une influence décisive sur les souvenirs de ses élèves ?

5Ces questions invitent à tester l’hypothèse suivante : par l’influence des caractéristiques individuelles, qu’elles soient liées au sexe, à l’âge, ou à la catégorie socioculturelle d’origine, par les représentations spécifiques que l’enseignant d’EPS a de ses élèves, par un comportement particulier lors du déroulement d’une séance, l’élève est marqué par son professeur accentuant du même coup les ressentis, les liens, la motivation qu’il peut entretenir avec lui ou à l’égard de sa matière, et influençant également ses résultats scolaires.

1 – Démarche méthodologique

6La méthode utilisée est à la fois quantitative et qualitative. Quantitative car elle s’appuie sur le recueil de 141 questionnaires sur 391 distribués à l’occasion de cours d’EPS, ce qui nous donne un taux de pénétration de 36,06 %. Le panel n’a pas été choisi, la diffusion s’est faite de façon aléatoire sur des catégories socioprofessionnelles non définies au préalable. Quant aux lieux de distribution, ils ont également été variables. Outre les cours d’EPS, d’autres ont été mis à disposition dans une salle de sport. L’échantillon retenu ne concerne que des élèves de plus de 15 ans, frères et sœurs des collégiens, leurs parents, et les adhérents de la salle de sport. Ils ont été ensuite analysés à partir de critères distinctifs d’âge, de sexe, d’origine sociale, de taux de réussite au niveau scolaire afin d’affiner les résultats et de permettre un éventuel recoupement des perceptions et des critères de jugement (Bourdieu, 1979). Contrairement à ce que l’on pouvait initialement penser, il n’y a pas eu d’écart de résultat significatif lié à la spécificité du lieu de distribution.

7La méthodologie a été également qualitative, et ceci pour deux raisons. Premièrement, nous avons cherché à affiner nos résultats au cours d’entretiens semi-directifs organisés avec certains sondés à la suite du dépouillement de leur questionnaire. Deuxièmement, parallèlement aux questionnaires, des temps d’observation ont été institués afin d’évaluer in vivo des modalités spécifiques d’intervention pour chaque enseignant d’EPS, leurs modes de communication et de gestion du groupe classe.

2 – La place du capital culturel dans la représentation perçue par les élèves

8L’acte d’enseignement est une activité humaine d’interrelation et d’interaction. Dès lors, la notion de perception de l’autre se construit à partir de ses propres critères, normes et règles de vie. Celles-ci sont transmises en dehors de toute volonté explicite, par l’effet éducatif qu’exerce le capital culturel objectivé intégré à l’environnement familial et par toutes les formes de transmission implicite liées à l’usage de la langue (Bourdieu, 1979).

9Or il s’avère que ce capital joue un rôle déterminant dans la valeur, le souvenir et l’estime que l’on a de ses enseignants. Ainsi, au cours de notre enquête, avons-nous pu établir qu’il existe un lien significatif entre les personnes qui n’ont pas eu un attrait pour un enseignant d’EPS et la catégorie socioprofessionnelle dont elles sont issues. Les élèves dont l’un des parents, ou les deux, est artisan, agriculteur, manœuvre ou sans emploi et dont le niveau scolaire est le CAP-BEP, ont dans une grande proportion été faiblement marqués par leur professeur d’EPS. Même si ces résultats ne font que conforter les travaux de B. Lahire (1998), il semblerait intéressant d’examiner le vécu scolaire de ces individus afin de déterminer la façon dont les enseignants qui ont marqué positivement ces catégories-là ont procédé. Car le fond du problème se situe sur ce plan. Qu’est-ce qui peut ou a pu séduire le (la) jeune apprenant(e) pour qu’il (elle) ait un souvenir positif de son professeur. À l’opposé, qu’est-ce qu’a pu dire ou faire un enseignant pour que ses anciens élèves aient un souvenir négatif de lui ?

3 – Les critères marquants

3.1 – La détermination des qualités

10Cette enquête avait pour but de déterminer d’une part si un enseignant d’EPS avait marqué, positivement ou négativement, la scolarité du sondé et d’autre part de préciser les éventuelles causes et les modalités de fonctionnement des individus ainsi recensés.

11Si les individus relevant de certaines catégories socioprofessionnelles ont été nombreux à répondre par la négative, l’utilisation des réponses positives nous a permis de mettre au jour un certain nombre de points communs entre les différentes réponses. Les éléments qui caractérisent le fonctionnement de l’enseignant (donc sa nature) en classe étant relativement identiques, il a été facile de les identifier.

12De même, si de prime abord il semble difficile d’établir des corrélations entre un « bon enseignant » (c’est-à-dire celui qui a laissé un impact positif) et un « mauvais enseignant » (qui a laissé un impact négatif), l’analyse des résultats nous permet d’affirmer le contraire. Ainsi, les qualités relevées chez l’un sont à l’opposé des défauts notés chez l’autre. Cette antinomie entre les deux points de vue apparaît clairement et renforce d’une part notre théorie et d’autre part la valeur accordée aux résultats obtenus.

3.2 – Le caractère et l’attitude idéale

13Gilles Bui-Xuân (1993), Jérémy Vanhelst, Laurent Béghin, Paul Stephen Fardy, Gilles Bui-Xuân et Jacques Mikulovic (2012) ont montré, en se référant au concept de conatus, qu’à travers l’acte d’enseignement, ce sont les valeurs que le professeur a incorporées qui sont transmises. Ce modèle d’analyse des conduites trouve son origine dans les travaux de Spinoza. En effet dans l’Éthique, le conatus est un concept fondamental qui se définit comme étant la puissance propre et singulière de tout ce qui est à approfondir avec persévérance dans son être pour conserver et même augmenter sa puissance d’exister. À l’heure actuelle, la conation se traduirait par la force qui pousse à agir, celle-ci étant liée aux valeurs intégrées. Ce modèle conatif développé et repris depuis quelques années (Bui-Xuân, 1993 ; Bove, 1996 ; Turpin, 1997 ; Joing, 2010) n’est toutefois pas à confondre avec la cognition qui fait davantage référence à l’acquisition de connaissances, à leur conservation et à leur utilisation. La conation étant le moteur qui pousse de façon consciente ou inconsciente à agir, elle est une notion englobant et non excluant la cognition. C’est pourquoi le modèle conatif met en évidence le poids des valeurs, du capital humain et de l’être, propres à chaque enseignant.

14Au cours de la scolarité, les traits de caractère qui viennent d’être énumérés sont vécus, subis ou ressentis par les élèves. C’est ce qui marque l’individu scolaire, lui laisse des souvenirs au cours de toute son existence. C’est également à travers ceux-ci qu’il continue de se former, de se modeler, d’évoluer, de se construire. Ils sont, au même titre que les savoirs enseignés, constitutifs de son futur, de sa personne et de sa personnalité. Chaque enseignant possède en lui ce capital transmissible et transmis, à la fois volontairement ainsi qu’à son insu au cours de sa relation avec l’élève. C’est pourquoi nous qualifierons cette notion de socio-conation dans la mesure où elle prend tout son sens au sein de chaque acte d’enseignement dans la relation pédagogique. Si la conation est la force « qui pousse à agir, dirigée par un système de valeurs incorporées » (Mikulovic, Vanlerberghe, & Bui-Xuân, 2010, p. 137), il est évident que la relation enseignant-enseigné est la confrontation de deux forces, celle du professeur et celle de l’élève, chacune tentant de persévérer et de croître dans son être. Certes, la conation s’exprime déjà dans la relation avec les autres êtres vivants. Mais au cours de l’acte d’enseignement, les échanges volontaires ou contraints, la proximité imposée, le lien relationnel créé, renforcent cette dimension sociale. La classe devient un système qui partage des mœurs, des coutumes, une organisation et des normes spécifiques. Elle est à la fois interrelationnelle, interactionnelle et organisationnelle. Par conséquent, les forces qui poussent à agir sont mutualisées, interpénétrées, interassociées : elles deviennent socio-conatives.

15Ainsi, pour résumer de façon simple et rapide, existe-il une diversité au sein de chaque groupe classe en relation avec les différents éléments qui le composent. Or la lecture des enquêtes a permis de mettre en exergue quatre qualités, valeurs ou modes d’interaction avec autrui identiques à tous. Il s’agit de la passion, de la compréhension, de l’intérêt et de l’honnêteté. Les enseignants qui ont marqué positivement leurs élèves partagent donc une éthique, un sens moral et des facultés communes, certaines qualités qui pourraient être assimilées à de l’empathie, mais nous verrons que cette disposition fait partie intégrante de l’assertivité socio-conative.

Figure 1

Qualités reconnues aux enseignants d’EPS les plus marquants

Figure 1

Qualités reconnues aux enseignants d’EPS les plus marquants

3.3 – Les références au degré de qualification de l’enseignant

16Comme on peut le constater, l’histogramme qui précède ne met pas en évidence le niveau de qualification des enseignants. Ce critère n’a pas été pris en considération par les sondés. Leurs réponses n’en font pas état, signifiant par voie de conséquence que la valeur et l’importance qu’ils accordent à leur ancien professeur ne sont, semble-t-il, pas liées à cet aspect de l’individu.

17Pourtant, les différents propos que l’on entend concernant la valeur des enseignants mentionnent leur niveau de qualification. Au cours de nombreuses discussions qui agrémentent les débats autour de l’Éducation nationale et de ses acteurs, il n’est pas rare d’entendre que les bons professeurs ont forcément poursuivi de hautes études, ce qui leur permet d’avoir un niveau d’expertise et de connaissance élevé. D’ailleurs, notre système de formation n’autorise le passage du concours que pour des étudiants ayant un niveau master, soit après cinq années d’études supérieures. Ainsi, dans l’esprit collectif, le « bon professeur » est forcément quelqu’un d’érudit.

18Toutefois, cette vision des choses ne pourrait être que de l’ordre du « on-dit ». Or il s’avère que la presse par voie de conséquence, ou peut-être au contraire, par effet d’anticipation, contribue également à propager cette vision des choses. L’article « Qu’est-ce qu’un bon prof ? », publié dans Le Nouvel Observateur (2012) en est une preuve tangible. Une partie de celui-ci évoque ce statut de l’enseignant expert. Ces propos sont également relayés par certains représentants de fédérations de parents d’élèves qui jugent évident le fait que le professeur excelle dans sa matière.

19Enfin, un troisième niveau, plus proche de l’expertise, met également en avant ce constat. L’étude Pisa de l’OCDE, ou encore les propos de Nathalie Bulle, chercheuse au CNRS (Le Nouvel Observateur, op. cit.) ne font que confirmer cette vision des choses : « Plus son niveau académique est élevé […] et meilleure est la réussite de ses élèves. »

20Or il apparaît nécessaire de poser les limites de cette vision. Non pas pour se positionner en opposant farouche à l’expertise enseignante, mais afin de ne pas tomber dans le paradigme de l’enseignant expert équivalent à l’enseignant-roi auquel rien ne résiste. Certes, il a besoin de connaître et de maîtriser les bases et les données de la discipline qu’il enseigne. Toutefois, l’agrégation de mathématiques, par exemple, repose-t-elle sur des données psychosociales de l’enfant ou sur un contenu « mathématico-centré » ? Le professeur d’université, malgré tout son savoir, est-il le plus à même de comprendre les difficultés d’apprentissage de l’élève confronté à des concepts de base qu’il découvre ? C’est pourquoi, si le savoir est certes indispensable, une trop grande connaissance ou peut-être un trop grand écart entre le degré d’expertise et les attentes des apprenants peut nuire.

21D’autre part, même si cette recherche n’a qu’une valeur exploratoire, il est intéressant de chercher à comprendre pourquoi les sondés n’ont pas mis en avant la qualification livresque, théorique, conceptuelle de l’enseignant qui les a marqués. Soit ce facteur est une évidence car tous les enseignants devraient connaître la matière enseignée, soit il existe d’autres aspects dans la relation enseignant-enseigné qui prévalent.

3.4 – Interprétation

22Au-delà de ce premier constat ainsi que des nuances apportées à l’importance reconnue du degré de la qualification des professeurs, les enquêtes ont permis de révéler un lien significatif entre les personnes qui n’ont pas d’attrait pour un enseignant d’EPS et la catégorie socioprofessionnelle dont ils sont issus. Nous venons d’ailleurs dans un premier temps de mettre ce point en exergue en analysant l’influence des qualités socio-économico-culturelles dans le rapport à l’autorité scolaire.

23Le second fait significatif renvoie à la nature du souvenir laissé par cet enseignant d’EPS. Statutairement et légalement, celui-ci a pour mission « tout à la fois d’instruire les jeunes qui lui sont confiés, de contribuer à leur éducation et de les former en vue de leur insertion sociale et professionnelle. Il leur fait acquérir les connaissances et savoir-faire, selon les niveaux fixés par les programmes et référentiels de diplômes et concourt au développement de leurs aptitudes et capacités. Il les aide à développer leur esprit critique, à construire leur autonomie et à élaborer un projet personnel. Il se préoccupe également de faire comprendre aux élèves le sens et la portée des valeurs qui sont à la base de nos institutions, et de les préparer au plein exercice de la citoyenneté ». (Circulaire n° 97-123 du 25 mars 1997 ; B.O. n° 22 du 29 mai 1997).

24En conséquence, les souvenirs laissés par les enseignants d’EPS qui ont marqué les élèves devraient théoriquement renvoyer à des notions de savoir, de savoir-faire, d’apprentissage. Or l’analyse des résultats obtenus diffère de ce point de vue. Au contraire, si le rôle de l’école est de transmettre des connaissances, l’élève retient avant tout des valeurs humanistes et humaines.

25Certes, une légère nuance peut être retenue. Les résultats révèlent que presque 78 % des élèves qui ont été marqués par un enseignant d’EPS estiment que ce dernier leur a apporté quelque chose dans sa matière. Ce chiffre semble sans équivoque. Toutefois, ils ne sont plus que 71 % à estimer que cet enseignant leur a appris quelque chose. Enfin, quand il s’agit de caractériser cet élément, seulement 22 % répondent. Il est enfin important de noter que ces réponses ne sont pas toutes spécifiques à la discipline enseignée, mais qu’elles sont liées à un savoir-faire, ou au savoir être.

26Par contre les valeurs concernant les traits de caractère et les modalités d’intervention pédagogiques de l’enseignant sont, contrairement à l’exemple précédent, toutes en adéquation les unes avec les autres.

27Ainsi, l’enseignant apprécié et jugé compétent par ses élèves semble bien les connaître (77,8 %). Ce sentiment est partagé tant par les filles que par les garçons. Toutefois, même si ces derniers sont un peu plus nombreux à avoir cette opinion, ils le sont également davantage dans son contraire, 11,1 % jugeant que ce professeur ne les connaissait pas contre 5,6 % pour les filles. En ce qui concerne la connaissance de la classe par le professeur, là encore, le sentiment de connaissance est très fort. Les résultats sont même meilleurs qu’en ce qui concerne la connaissance individuelle, puisque l’on atteint le taux de 87,3 %. Les professeurs qui ont marqué positivement les personnes sondées semblent donc avoir en commun ce trait de caractère essentiel s’il en est dans toute relation pédagogique. D’ailleurs, pour confirmer notre propos, nous reprendrons l’analyse de De Koninck (1996, p. 130), pour qui le vécu relationnel étant l’essentiel de l’acte éducatif, « l’élève doit sentir qu’il est au cœur des préoccupations pédagogiques de son enseignant ».

28Autre particularité, les enseignants jugés compétents semblent partager le fait de n’avoir pas ou peu d’élèves préférés. 28,6 % des anciens élèves ont ce souvenir. Néanmoins, il est intéressant de constater que ce sentiment est nettement plus fort chez les filles (38,9 %) que chez les garçons (14,8 %) qui eux en revanche sont plus nombreux à ne pas se prononcer sur ce point. En ce qui concerne les remarques déplacées, il y a une quasi-unanimité (96,8 %) pour dire que leur enseignant d’EPS n’en a pas formulées. Ce constat, au-delà du résultat global, se retrouve quel que soit le sexe de la personne interrogée.

29Même si une légère nuance est à apporter par rapport aux résultats précédents, il n’en demeure pas moins que le ressenti est identique puisque 88,9 % des sondés affirment que le professeur qui les a marqués positivement n’a pas eu de remarques déplacées à l’égard d’autres élèves de la classe.

30Plus spécifiquement, dans la gestion interne, la qualité majeure qui ressort des réponses apportées semble être la justice dont faisait preuve leur professeur d’EPS. Cette valeur de 75 % chez un public scolaire féminin monte à 88,9 % chez leurs homologues masculins.

31L’enseignant d’EPS qui a marqué positivement les élèves est passionné (71,4 %), compréhensif (44,4 %), intéressant (42,9 %), et honnête (41,3 %). Quelques différences apparaissent entre les garçons et les filles, les uns se souvenant de quelqu’un d’intéressant (sexe masculin) contre quelqu’un de compréhensif pour les autres (sexe féminin). Cependant, sur le fond, le ressenti est identique et les critères d’appréciation communs.

32L’intérêt porté aux élèves est également un trait de comportement qui transparaît. Non seulement, ce professeur est capable de se rendre compte quand quelqu’un à des soucis (59,4 %) mais il prend du temps pour chercher à résoudre ses problèmes (48,4 %). En ce sens et au regard des différents éléments dont nous disposons, il semble que la notion d’empathie au sein du système scolaire dans le cadre de la relation enseignant/enseigné prenne toute son importance (Rogers, 1959, 1978, 1984).

4 – Vers une approche adaptée ?

33L’empathie se définit selon le Larousse par la « faculté intuitive de se mettre à la place d’autrui, de percevoir ce qu’il ressent ».

34La brièveté de cette définition nous incite à approfondir notre analyse par une approche étymologique de ce terme. Empathie a pour origine le préfixe latin in- et im-, « dans », et le radical -pathie, du grec -patheia, -pathês, de pathos « ce qu’on éprouve ». Pour Carl Rogers cité dans le dictionnaire de psychologie (Doron-Parot, 1998), l’empathie consiste à saisir avec autant d’exactitude que possible, les références internes et les composantes émotionnelles d’une autre personne et à les comprendre comme si l’on était cette autre personne.

35Dès lors, il est facilement acceptable de penser que cette capacité conative favorise les comportements pro-sociaux (contact avec autrui, communication, échange, aide, bref tout comportement favorisant les interactions positives avec l’autre). L’identification des affects, leur compréhension, et bien évidemment le désir d’en tenir compte permettent une adaptation du comportement. En conséquence, le discours, les agissements et les demandes ou attentes sont modelés, adaptés et contribuent à l’amélioration de l’échange et l’écoute bipolaire.

36Ainsi, afin d’être efficace et de pouvoir s’adapter au mieux aux apprenants dont il a la charge, il semble apparaître que le « bon enseignant » doit disposer de cette qualité afin d’être efficient. D’ailleurs, l’analyse des réponses et des commentaires précédemment présentés confirme ce point de vue. L’empathie doit donc être un élément dont dispose le professeur, l’éducateur, s’il veut parvenir à enseigner en toute efficacité, c’est-à-dire en ayant la capacité de renvoyer une image positive de lui-même, ce qui entraînera une motivation extrinsèque propice aux apprentissages. La compréhension de l’autre, la perception qu’il a de l’état émotionnel des apprenants est un élément incontournable dans son acte d’enseignement et devient alors un « facteur pouvant contribuer à l’efficacité de l’apprentissage via la qualité de la relation qu’elle suppose entre le maître et ses élèves » (Brunel & Dupuy-Walker, 1988).

37Ensuite seulement, il sera à même de choisir quel type de modalité d’intervention il devra utiliser.

38Néanmoins, l’empathie n’est pas le seul élément important qui ait été mis au jour. Les élèves ou anciens élèves ont relevé, au-delà de la capacité d’écoute, l’importance de la justice, de l’honnêteté et de l’équité. Afin de clarifier le propos et de permettre de cerner au mieux cette capacité, nous la définirons comme étant de « l’assertivité socio-conative ».

39En effet, si l’empathie se définit par la capacité à comprendre les états émotionnels et affectifs des autres, l’assertivité, notion introduite par le psychologue Andrew Salter lors de la première moitié du vingtième siècle, se caractérise par « la capacité à s’exprimer et à défendre ses droits sans empiéter sur ceux des autres » (Salter, 1949, p. 117). Joseph Wolpe (1975, p. 78) la définira comme « l’expression convenante de toute émotion autre que l’anxiété à l’égard d’une autre personne ». Plus près de nous, Dominique Chalvin (1995, p. 31) la traduit ainsi : « Être assertif, c’est être en mesure d’exprimer sa propre personnalité sans susciter l’hostilité de son environnement, c’est savoir dire “non” sans se sentir coupable, c’est avoir confiance en soi et savoir prendre les décisions difficiles ou impopulaires. » En s’appuyant sur cette définition il apparaît que l’assertivité ne puisse être dans un premier temps que conative. Elle est un trait de caractère permettant d’exprimer sa propre personnalité, donc de s’appuyer sur des valeurs intégrées, personnelles, propres à chaque individu et qui contribuent à le faire agir, parler et se comporter comme il le fait.

40Toutefois, bien que liée au vécu individuel et interindividuel de chacun, l’assertivité est une disposition qui se caractérise par la mise en action de conduites communes. En effet, elle s’appuie sur le refus d’avoir recours à trois types de comportement : l’agression (ou la domination par la force), la soumission (qui peut également se matérialiser par la fuite ou l’abandon) et enfin la manipulation (ou la domination par la ruse, la manipulation mentale). Comme notre propos se situe dans le cadre scolaire, il revient à ne pas occulter la notion de relation duelle dans un environnement donné spécifique, autrement dit le concept de socio-conation (Mikulovic et al., 2010).

41Par conséquent, cette notion d’assertivité socio-conative revêt une dimension bien plus large que la simple empathie. Cette dernière n’en est qu’une partie. L’assertivité socio-conative va au-delà, répondant à des valeurs incorporées, utilisées et mises en exergue lors du rapport avec un ou plusieurs individus. Cette notion, vecteur individuel des relations avec le monde extérieur, ne s’exprime que dans des situations de rencontre, d’échange, de vécu relationnel avec autrui. C’est pourquoi, dans le cadre de son enseignement, le professeur, pour être juste, se doit de comprendre ses élèves, d’apprécier leur état émotionnel, mais il se doit aussi d’avoir un contrôle personnel. En aucun cas, faire acte d’agression ou de domination par la force. De même, s’il est important de compatir aux aléas vécus par les élèves, l’enseignant ne doit pas chercher à utiliser cet état émotionnel, en fait, il ne doit nullement manipuler l’autre.

42Enfin, une des qualités relevées était la motivation. Quid d’un éducateur, au sens large du terme, qui abandonne, qui démissionne face aux difficultés ? Pour Joseph Nuttin, « la motivation, c’est l’aspect dynamique et directionnel du comportement » (1997, p. 238). Elle désigne « l’ensemble des mécanismes biologiques et psychologiques qui permettent le déclenchement de l’action, l’orientation, l’intensité et la persistance » (ibid.). De fait, elle est motrice de l’action, donc des phénomènes et interactions induits et vécus par tout professeur.

43En résumé, pour reprendre les qualités relevées par les élèves sur le « bon enseignant », il est passionné, compréhensif, intéressant et honnête, en fait quatre qualités qui n’existent pas si la disposition sociale d’assertivité (conative) n’est pas acquise par l’enseignant. Car le deuxième principe est bien là. Cette capacité d’écoute, de compréhension de l’autre et d’expression sans jugement ni intervention des affects est une qualité développée par l’enseignant, intériorisée, et utilisée au cours de sa relation avec l’élève de façon inconsciente la plupart du temps. Selon Turpin en 1997, lors d’un colloque international à Montpellier, la conation est « l’inclination à agir dirigée par un système de valeurs incorporées ». Dès lors, les processus qui sous-tendent la mise en action de ces capacités, de ces potentialités renvoie à une activité inconsciente de l’être humain. Ces qualités répondent à une construction psychologique de l’individu qui a débuté dès l’enfance. Liées aux événements particuliers de la vie personnelle de chacun, elles se sont développées ou au contraire se sont retrouvées reléguées, chapeautées par une structure relationnelle à l’autre peut-être plus en adéquation avec les situations humaines rencontrées, ou ressenties. Goleman en 1997 a contribué par ses recherches à mettre en évidence ce phénomène, notamment pour des sujets jeunes (enfants) élevés dans un cadre hostile ou violent. Ainsi, l’assertivité socio-conative, tout comme l’empathie (partie constitutive de celle-ci), diffère d’un individu à l’autre, mais se révèle être une disposition psychologique commune chez les enseignants d’EPS jugés comme « bons » par leurs anciens élèves.

5 – Conclusion et perspectives

44Au cours de sa scolarité, chacun a pu être marqué par un enseignant. Force est de constater que même différents de par leur sexe, leur humour, leur physique, leur âge, les qualités relevées chez les uns et chez les autres avaient des traits communs. Ces derniers renvoient à ce que l’on pourrait de prime abord qualifier de valeurs humaines. Or, au cours de cette étude, nous avons cherché à cerner et à définir de façon plus précise ce que l’on définissait comme « qualités humaines ». Ces valeurs, acquises par l’individu au cours de son existence, de sa plus tendre enfance jusqu’à la fin de sa vie, sont mises en exergue lors des relations d’échanges et d’interactions existantes au cours de tout acte pédagogique. La spécificité de leur acquisition couplée au contexte ainsi qu’à la qualité de leur utilisation nous amène à les rassembler et les caractériser sous la notion d’assertivité socio-conative. Les « bons enseignants » en ont et savent en faire usage au cours de leur enseignement, favorisant ainsi l’image que les élèves ont d’eux et permettant ainsi de dispenser un enseignement plus efficient.

45Néanmoins, si tel est le cas pour certains, cette analyse nous renvoie à l’ensemble de la profession d’enseignant voire à celle de parent (si on peut qualifier ce rôle de profession). Qu’est-ce qui fait que certains ont pu ou su développer cette qualité et sont en capacité de l’appliquer. Pourquoi, a contrario, d’autres n’en disposent-ils pas ou n’arrivent-ils pas à l’utiliser ? Ceci renvoie, certes, à la notion de vécu personnel, d’apprentissage, et d’auto-amélioration, mais aussi et surtout au rôle de la formation des enseignants. Toute théorie d’apprentissage est efficace à condition que l’on sache quand, à qui et à quel moment l’appliquer. N’est-ce pas à ce moment précis qu’intervient l’assertivité socio-conative ? Les uns n’en disposent pas, les autres peu ou prou. Dès lors, le rôle de la formation continue prend également tout son sens. Comme le disait Aragon, « rien n’est jamais acquis à l’homme, ni sa force ni sa faiblesse ». Le bon enseignant peut devenir « banal », un parmi tant d’autres, et dans la mesure où nous parlons d’une construction mentale, cognitive, conative, chacun est en capacité de progresser, encore faut-il être sensibilisé à ce point.

Bibliographie

Bibliographie

  • Bandura, A. (1976). L’apprentissage social. Bruxelles, Mardaga.
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Mots-clés éditeurs : bon professeur d'EPS, assertivité socio-conative, empathie, relation humaine

Mise en ligne 09/07/2013

https://doi.org/10.3917/sta.100.0077

Notes

  • [1]
    Voir Le Nouvel Observateur, dossier « Qu’est-ce qu’un bon prof ? », n° 2496, 6-12 septembre 2012, p. 82-91.
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