Introduction
1Les différentes recherches centrées sur l’histoire de l’Éducation Physique et Sportive (EPS) s’accordent toutes sur l’importance de la rupture marquée par la « sportivisation » de cette discipline (Martin, 1999 ; Combeau-Mari, 1998 ; Attali & Saint-Martin, 2004). Ce processus de « sportivisation » qui s’étend du milieu des années 1950 au milieu des années 1970 (Attali & Saint-Martin, 2004) questionne la place des techniques sportives au sein de l’EPS. Dans un premier temps, les techniques sont considérées comme « des moyens, des procédés pour résoudre le plus rationnellement et le plus économiquement un problème gestuel déterminé » (Weineck, 1997, p. 417). Elles correspondent à « l’ensemble des moyens transmissibles à mettre en Œuvre par l’homme, pour effectuer le plus efficacement possible une tâche motrice donnée » (Vigarello & Vivès, 1983, p. 45). L’efficacité technique est alors conçue en EPS comme la réalisation d’un geste se rapprochant au plus près d’un modèle jugé comme idéal (Tinland, 1994). « La pédagogie du modèle et l’apprentissage par imitation revêtent un intérêt indéniable, et l’enseignement des années 1960 est marquée par l’uniformité d’un modèle sportif à transmettre » (Attali & Saint-Martin, 2004, p. 112). Cette première conception de la technique entraîne l’enseignement de l’EPS vers la dérive du technicisme, dans laquelle les techniques sportives ne sont assimilées qu’aux formes extérieures des gestes référencées à un modèle jugé comme efficace. Face aux critiques grandissantes à l’égard du technicisme et au recours généralisé aux sports en EPS (Le Boulch, 1977 ; Pujade-Renaud, 1974 ; Parlebas, 1975), l’enseignement entame une évolution progressive en faveur d’un sport « scolaire » où la primauté du modèle du champion et de la compétition laisse place à des enjeux éducatifs centrés sur la pratique d’activités physiques et sportives (APS) (Attali & Saint-Martin, 2004). Ces changements de réflexion autour de l’EPS s’accompagnent d’une modification des conceptions relatives à la technique sportive. Autrefois dénigrée lorsque la technique rimait avec technicisme, comme en témoigne cette citation de Goirand (1987, p. 16) : « La réduction de la technique à ses composantes les plus apparentes (les gestes) et l’usage exclusif du modèle gestuel dans l’enseignement, travaillé y compris à vide en dehors des conditions réelles de l’activité, ont fait succomber pendant des décennies les éducateurs au mythe de la forme idéale », plusieurs auteurs plaident désormais en faveur d’une réhabilitation de cette dernière en EPS (Lafont, 2002). Cette réhabilitation n’est possible que par un changement de point de vue sur la technique. Lafont (2002) montre dans son article que les discours sur la technique commencent à se modifier à partir des écrits de Garrassino (1980, p. 50). Celui-ci écrit à propos de la technique : « c’est l’activité de l’élève qui est technique... la technique est dans le sujet et son activité non dans l’objet qu’il produit ». Cette nouvelle conception de la technique « fait référence à l’activité de l’élève qui met en relation, avec l’aide du professeur, des modalités d’actions ou principes d’actions avec des résultats » (Soler, 1994, p. 66). Ainsi conçues, les techniques sportives en EPS correspondent aux activités déployées par les élèves producteurs de solutions techniques et analysent les processus internes de productions d’actions. En définitive, la place des techniques sportives en EPS évolue d’une technique que l’on pourrait qualifier de « produit », lorsqu’elle représente les formes extérieures des gestes référencés à un modèle et prône la reproduction et l’automatisation, vers une technique que l’on pourrait qualifier de « processus », lorsqu’elle correspond aux activités déployées par les élèves producteurs de solutions techniques et prône l’analyse des processus internes engagés dans la production d’actions. Plus qu’un choix définitif envers une conception des techniques sportives, l’élément déterminant est certainement l’importance accordée soit au versant « produit », soit au versant « processus » au sein des discours des acteurs de l’EPS. En effet, quelle que soit la période, les deux conceptions de la technique se côtoient et il semble difficile de déterminer précisément la conception retenue par les professeurs d’EPS lorsqu’ils réalisent leurs séances. Par contre, nous pensons que la préférence accordée à l’un ou l’autre des versants de la technique, et donc son identification, peut être étudiée au regard de l’analyse des discours professionnels relatifs à l’enseignement de l’EPS. Plus précisément, il nous semble intéressant de conduire une analyse minutieuse sur les propositions didactiques des intervenants en EPS lorsque ceux-ci envisagent la transmission des techniques sportives aux élèves.
2En ce sens, le but de notre étude est d’analyser les publications professionnelles, à travers la revue EPS, pour caractériser les évolutions des conceptions des techniques au sein des sports de raquette. L’enjeu est de décrire et de comprendre ces évolutions au regard des situations d’apprentissage proposées par les auteurs de la revue EPS lorsqu’ils envisagent les objets d’apprentissage techniques comme supports de l’enseignement des sports de raquette.
Cadre théorique
Les travaux scientifiques relatifs aux conceptions des techniques sportives
3Les évolutions des conceptions des techniques sportives sont également étudiées par les travaux scientifiques centrés sur l’enseignement des APS. Sans réaliser une liste exhaustive de ceux-ci, nous pouvons interroger les approches didactiques et technologiques et voir comment les techniques sportives sont appréhendées au sein des recherches. Nous allons ainsi nous intéresser à deux champs de recherches mobilisant chacun des APS différentes. L’enjeu est de comprendre comment est modélisée l’évolution des techniques dans les discours portant sur l’enseignement de l’EPS. Nous étudierons à cet égard les spécificités des rapports des APS avec les techniques sportives à partir de leurs fondements culturels.
4Dans son article s’intéressant aux rapports entre la technique et la didactique, Lafont (2002) analyse les travaux de Goirand (1987) relatifs à la didactisation de la gymnastique sportive. Dans le cadre des recherches menées au sein du groupe SPIRALES, Goirand (1987) retrace avec précision le passage d’une technique que nous avons nommée « produit » vers une technique que nous avons qualifiée de « processus ». Cet auteur s’inscrit dans un courant souhaitant la réhabilitation de la technique en EPS tout en se démarquant nettement du technicisme. Pour lui, « la conception fixiste de la technique donnant une image stéréotypée, figée de la matière sportive est remplacée par une conception dynamique, génétique d’une technique en train de se constituer » (Goirand, 1987, p. 17). Le souhait de cet auteur est que l’on s’intéresse à l’activité déployée par les sujets pour l’acquisition des techniques. Chaque sujet élabore des solutions techniques face à un problème auquel il est confronté. La convocation de ce premier travail de recherche situe clairement les deux conceptions de la technique que nous avons définies précédemment et confirme le passage du « produit » vers le « processus ». Il est intéressant de noter également que le travail de Goirand a été réalisé sur une activité morphocinétique (Serres, 1984). Du point de vue de son fondement culturel, cette activité considère les techniques comme des objets sur lesquels se portent les jugements. En effet, la logique interne de la gymnastique correspond à une activité de (re)production de formes corporelles techniques liées entre elles, destinées à être vues et jugées par rapport à un code. En ce sens, les techniques sont les finalités de l’enseignement sans pour autant correspondre à une reproduction de formes gestuelles identiques pour tous les élèves. Les discours sur l’enseignement de la gymnastique, étudiés par Goirand, traduisent bien le passage d’une technique « produit » où les techniques gymniques constituent la finalité des apprentissages à une technique « processus » où les techniques gymniques deviennent des moyens au service de finalités esthétiques, expressives et de virtuosité. Nous pouvons rajouter que ce passage semble s’opérer, selon cet auteur, entre le milieu des années 1980 et le début des années 1990 (Lafont, 2002).
5Nous pouvons retrouver des conclusions similaires au sein de l’approche didactique en prenant comme illustration la recherche de Leziart (2003) consacrée à la diffusion de la technique du saut en Fosbury dans le domaine scolaire. En mettant au jour les connaissances présentes dans des articles de la Revue EPS sur l’enseignement de cette technique, cet auteur propose un modèle de diffusion d’une technique à des fins d’éducation. Leziart (2003) identifie ainsi quatre phases successives au sein des articles analysés dans la revue professionnelle de référence. La première phase concerne l’apparition de la nouvelle technique et suscite de l’étonnement et des interrogations sur la légitimité de son enseignement en EPS. S’en suit une deuxième phase consacrée à l’analyse minutieuse de la technique dans la perspective d’en extraire des savoirs fondamentaux. Les principales analyses employées font appel à la biomécanique et cherchent à identifier les principes d’efficacité de la technique du champion. Cette phase consacre ainsi une vision de la technique « produit » qui se résume en un découpage des formes gestuelles extérieures. La troisième phase vise une déclinaison des savoirs fondamentaux en exercices ou situations d’apprentissage. Une fois les connaissances expertes sur la nouvelle technique établies, les auteurs déclinent à partir de cette analyse des séquences d’apprentissage adaptées aux élèves. La technique se décompose en phases successives que les élèves apprennent séparément. La dernière étape s’attache à la détermination de conduites typiques d’élèves confrontés au saut en Fosbury. L’accent est mis sur l’activité déployée par les élèves lorsque ceux-ci sont face aux problèmes posés par cette activité. De ce point de vue, la conception de la technique est maintenant sur un versant « processus » dans la mesure où on analyse les processus mis en jeu par les élèves lors de la production de techniques. Cette deuxième recherche rejoint les conclusions de la première et confirme le passage progressif, dans les discours sur l’enseignement du saut en hauteur, d’une technique « produit » vers une technique « processus ». Cette conclusion est intéressante dans la mesure où l’athlétisme se différencie de la gymnastique, évoquée précédemment, d’un point de vue culturel. En effet, le saut en hauteur analysé appartient aux activités topocinétiques (Serres, 1984) dans lesquelles les techniques sont des pouvoirs moteurs qui permettent l’atteinte de buts individuels ou collectifs. L’athlétisme, vu comme une activité de production, d’entretien et d’utilisation de l’énergie en vue de réaliser la plus grande performance, peut envisager la technique soit comme un « produit », soit comme un « processus ». Dans le premier cas, les techniques ne sont réduites qu’aux apparences extérieures des gestes où l’enjeu est de reproduire la technique efficace du champion. Alors que, dans le second cas, les techniques sont envisagées comme des solutions motrices permettant aux élèves de s’adapter à un contexte spécifique. À l’image de l’étude réalisée sur la gymnastique, nous retrouvons le passage d’une technique comme une fin en soi, lorsque l’on recherche l’imitation d’un modèle, à une technique comme un moyen au service d’autres finalités lorsque l’on recherche des solutions techniques permettant d’être performant dans un contexte donné. Au niveau temporel, Leziart (2003) donne quelques repères sur le changement de conception de la technique et le situe plutôt au début des années 1990.
6Le deuxième champ de recherche que nous souhaitons aborder concerne les sports collectifs étudiés par les approches technologiques relatives aux interventions en APS. Celles-ci prennent pour objets d’études les conditions de transmission et/ou d’appropriation des techniques sportives (Bouthier & Durey, 1994). L’enjeu principal de ces recherches est de produire des connaissances répondant aux problématiques de l’enseignement des techniques sportives (Bouthier, 2008). Dans le domaine sportif, les recherches les plus connues sont celles visant l’élaboration et l’exploitation d’outils d’observation des techniques ainsi que la caractérisation et l’analyse de l’activité technique du sujet (Bouthier, 2008). Quant au domaine de l’EPS, les études visent à produire des outils d’aide à l’analyse des techniques déployées par les élèves au sein des APS (Gréhaigne, 1992). Quel que soit leur milieu d’application, l’ensemble des recherches suit les évolutions des conceptions des techniques sportives constatées précédemment, à savoir le passage « d’une vision technocentrée à une approche anthropo-techno-didactique » (Bouthier, 2008, p. 44). Étant portées sur des activités topocinétiques (Serres, 1984), comme l’étude précédente, les recherches technologiques modélisent l’évolution des techniques comme le passage des finalités aux moyens. En d’autres termes, les discours sur l’enseignement des techniques dans les sports collectifs en EPS ont évolué d’une vision « technocentrée », où l’enjeu consistait à reproduire des techniques gestuelles issues de modèles jugés efficaces, vers une vision « anthropo-techno-didactique » où l’enjeu renvoie à l’apprentissage de processus internes capables de modifier l’activité corporelle des élèves en direction de solutions motrices adaptées à la résolution de problèmes posés par l’environnement. Finalement, les approches technologiques rejoignent les approches didactiques dans le sens où la technique est perçue de la même manière. Les techniques sont envisagées « non plus seulement comme la forme extérieure du geste du champion mais comme l’ensemble des procédures (mentales et motrices) socialement capitalisées et transmises » (Bouthier, 2008, p. 46). Dans son analyse de l’évolution des recherches technologiques en APS, Bouthier (2008) situe également le passage d’une technique « produit » à une technique « processus » au début des années 1990.
7En définitive, l’ensemble des recherches convoquées, analysant les discours relatifs à la transmission et l’appropriation des techniques sportives en EPS, quel que soit leur champ scientifique d’appartenance et quelle que soit l’APS analysée (gymnastique, athlétisme ou sports collectifs), s’accordent toutes pour déterminer une évolution similaire des conceptions des techniques. Cette évolution est caractérisée par un double mouvement caractéristique (Lafont, 2002) : des techniques sportives comme objets d’études aux élèves considérés comme des producteurs de solutions techniques, et des formes gestuelles extérieures référencées à un modèle aux analyses des processus internes de production d’actions. De plus, les différentes recherches étudiées situent ce double mouvement entre le milieu des années 1980 et le début des années 1990.
Enjeux de la recherche
8Face à ces constats, l’enjeu de notre article est de décrire et comprendre les évolutions des conceptions des techniques dans les sports de raquette, au regard des discours et situations d’apprentissage proposés par les auteurs de la revue EPS, lorsque ces derniers prennent les objets d’apprentissage techniques comme supports de l’enseignement. Notre volonté est d’étudier un groupement d’APS, que nous pouvons classer dans les activités topocinétiques (Serres, 1984), afin de vérifier si nous retrouvons des conclusions similaires aux travaux de recherche convoqués précédemment. Cette recherche revêt une importance particulière dans la mesure où les techniques occupent une place essentielle dans les sports de raquette. L’enjeu principal pour tout joueur de ces activités duelles est d’entrer en coïncidence avec une balle ou un volant dans un contexte de pression spatio-temporelle plus ou moins élevé. « Frapper un mobile, c’est d’abord assurer la coordination spatio-temporelle des caractéristiques de la trajectoire du mobile et d’un geste spécifique » (Derrider, 2002, p. 64). Dans ce sens, les techniques permettent de résoudre les problèmes liés aux déplacements et replacements, au placement par rapport à la balle ainsi qu’à l’exécution des différents coups. Les discours relatifs à l’enseignement des techniques dans les sports de raquette peuvent alors aborder la technique comme un « produit » et viser la reproduction des formes gestuelles efficaces des champions ce qui renverrait à une conception descriptive, ou comme un « processus » et envisager l’activité déployée par les élèves à la recherche de solutions motrices permettant de s’adapter à un contexte duel, ce qui renverrait à une conception fonctionnelle. Dans le premier cas, les techniques sont envisagées comme une fin en soi et sont censées permettre à l’élève de résoudre les problèmes moteurs posés par l’activité. Et dans le second cas, les techniques représentent des moyens moteurs dont disposent les élèves pour résoudre des problèmes tactiques à partir d’une réorganisation de leurs activités corporelles.
9En résumé, notre étude désire vérifier si le double mouvement caractéristique de l’évolution des conceptions des techniques se retrouve dans les discours relatifs à l’enseignement des techniques dans les sports de raquette. Et nous voulons également caractériser et comprendre ces évolutions au regard des fondements culturels des sports de raquette, c’est-à-dire expliquer comment se traduisent les versants « produit » et « processus » de la technique dans les discours et situations d’apprentissage proposés par les auteurs de la revue EPS. L’enjeu de cette recherche pour la communauté scientifique tient à la compréhension des phénomènes impliqués dans l’évolution des conceptions de la technique au sein des APS utilisées en EPS. Autrement dit, nous voudrions apporter des connaissances supplémentaires pour savoir si cette évolution est dépendante des fondements culturels de chaque APS ou bien si elle est influencée par les changements de la discipline EPS des années 1960 jusqu’à nos jours. En définitive, nous pensons que notre recherche peut aider à savoir si les changements relatifs aux discours sur l’enseignement de la technique sont influencés au niveau « local », c’est-à-dire celui des APS, ou alors au niveau « général » c’est-à-dire celui de l’EPS.
Méthode
10Pour mener à bien ce travail de recherche, nous nous sommes intéressé aux articles publiés dans la revue EPS sur une période de quarante-huit ans (de 1963 à 2011), celle-ci débutant avec les premiers articles consacrés à l’enseignement des sports de raquette et s’achevant sur les discours récents. Nous avons retenu cette revue professionnelle pour deux raisons principales. Premièrement, Arnaud (1985) démontre que la revue EPS se fait écho des processus de didactisation opérés dans les différentes APSA enseignées en EPS. Ce point de vue est d’ailleurs confirmé par Germain (1986), membre de la commission administration des Éditions « revue EPS » lorsqu’il évoque le double rôle de la revue. Pour cet auteur, la revue a un rôle incitateur en faveur d’un renouvellement didactique, dans le même temps qu’elle sert de témoin des pratiques d’établissement. Ce dernier rôle est évoqué également par Attali et Saint-Martin (2004, p. 82) : « S’imposant assez vite comme la revue professionnelle de référence, elle a une influence notable sur les pratiques enseignantes et le contenu de ses publications peut être considéré comme un témoin de l’évolution des conceptions éducatives ». Cette revue constitue donc, à ce titre, un matériau pertinent pour étudier l’évolution des discours et situations d’apprentissage se rapportant à l’enseignement des techniques des sports de raquette en EPS. La deuxième raison vient des publications nombreuses dans le cadre des sports de raquette. Nous avons pu ainsi obtenir un total de 74 articles répartis de la façon suivante : 25 articles pour le tennis de table, 34 articles pour le tennis et 15 articles pour le badminton. Le critère retenu pour la sélection des articles est la présence d’au moins une situation d’apprentissage technique, celle-ci étant entendue comme une « situation construite pour permettre aux élèves de s’approprier des principes, des règles d’action, et des contenus d’enseignements » (Sarthou, 2003, p. 215).
Une analyse catégorielle
11La méthodologie employée dans notre étude consiste en une analyse catégorielle (Bardin, 1977) des situations d’apprentissage technique proposées au sein des articles de la revue EPS. Cette analyse est conduite selon trois phases classiques (Bardin, 1977) : le choix du corpus, le codage et la catégorisation.
12Le choix du corpus repose sur trois règles fondamentales qui sont la règle de l’exhaustivité, la règle d’homogénéité et celle de la pertinence. Concernant les deux premières, nous avons sélectionné l’ensemble des articles de la Revue EPS consacrés aux sports de raquette dans la mesure où ceux-ci contenaient au moins une situation d’apprentissage technique. L’homogénéisation du corpus suit également la règle de la pertinence puisque les articles retenus sont en adéquation avec nos objectifs de recherche étant donné que leurs contenus peuvent être considérés « comme un témoin de l’évolution des conceptions éducatives » (Attali & Saint-Martin, 2004, p. 82).
13La deuxième phase de l’analyse catégorielle, relative au codage, repose sur trois choix (Bardin, 1977). L’unité d’enregistrement (UE) qui correspond à l’unité de signification à coder. Il s’agit du segment de contenu à considérer comme unité de base en vue de la catégorisation et du comptage fréquentiel. L’unité de contexte (UC) qui sert d’unité de compréhension pour coder l’UE. Elle correspond au segment du message dont la taille est optimale pour saisir la signification exacte de l’UE. Et la règle d’énumération (RE) qui renvoie à la manière de compter. Nous avons retenu comme UE l’objet d’apprentissage (OA) technique présent au sein de la situation d’apprentissage. L’OA fait référence au savoir-faire technique dont l’élève doit faire l’acquisition, celui-ci représentant un objet suffisamment vaste pour induire l’acquisition sous-jacente d’autres types de connaissances. À titre d’illustration, un OA technique peut être « le service », « le coup droit » ou encore « la prise de raquette ». Notre UC est la situation d’apprentissage technique ainsi que les discours présentant et expliquant cette dernière. Ce choix est relativement logique dans la mesure où un OA technique ne prend sens qu’à l’intérieur d’une situation formalisée et expliquée par l’auteur. Nous nous appuierons donc sur l’aménagement matériel et humain utilisé au sein de la situation pour viser la transmission de l’OA technique et les discours des auteurs lorsqu’ils présentent et justifient l’enseignement des techniques afin de saisir le sens des OA proposés. Enfin, nous avons choisi la fréquence comme RE, ce qui nous amène à comptabiliser chaque OA technique apparaissant dans les situations d’apprentissage proposées au sein des articles. Ce mode de comptage peut donc associer plusieurs OA techniques pour un même article dans la mesure où celui-ci présente plusieurs situations d’apprentissage techniques différentes. Notre nombre total d’OA pourra donc être supérieur au nombre total d’articles retenus pour l’étude.
14La dernière phase, dite de catégorisation, débouche sur une classification des OA techniques. La catégorisation a pour objectif de fournir par condensation une représentation simplifiée des données brutes. Nous avons utilisé, pour notre étude, une procédure par « boîtes » (Bardin, 1977), c’est-à-dire que le système de catégories est déterminé pour la recherche. Nous disposons ainsi de deux catégories, identifiées à partir de l’analyse de la littérature scientifique centrée sur les conceptions des techniques sportives en EPS. Soit l’OA technique repéré au sein d’une situation d’apprentissage correspond au versant « produit » de la technique lorsque cette dernière est considérée comme l’analyse des formes gestuelles extérieures référencées à un modèle jugé comme efficace (Vigarello & Vivès, 1983 ; Goirand, 1987 ; Tinland, 1994 ; Weineck, 1997). Soit il correspond au versant « processus » de la technique lorsque celle-ci est assimilée à l’analyse de l’activité déployée par les élèves lors de leurs productions de solutions techniques (Garassino, 1980 ; Lafont, 2002 ; Soler, 1994). Dans le premier cas, codé comme OA « produit », les auteurs envisagent la technique comme une fin en soi et l’objectif affiché est de parvenir à la répétition et l’automatisation d’un geste référencé à un modèle. Alors que, dans le second cas, codé OA « processus », les auteurs considèrent la technique comme un moyen moteur mis à disposition des élèves afin de les aider dans la résolution de problèmes tactiques inhérents aux activités duelles. En d’autres termes, nous nous aidons des discours des auteurs accompagnant la présentation et la justification des situations d’apprentissage techniques pour déterminer si les OA correspondent à une finalité poursuivie pour elle-même, ou alors si ces OA ne sont considérés que comme des moyens au service de finalités tactiques. Nous avons choisi également de retenir trois périodes pour affiner les résultats de notre catégorisation, au regard des recherches menées sur l’analyse des discours techniques en gymnastique (Goirand, 1987), en saut en hauteur (Leziart, 2003) et dans les sports collectifs (Bouthier, 2008). Nous catégoriserons donc les OA techniques, selon leurs deux versants, en fonction des périodes suivantes. Une première, de 1963 à 1984, qui correspond à une phase consacrée à la technique « produit » selon les travaux scientifiques retenus (Goirand, 1987 ; Leziart, 2003 ; Bouthier, 2008). Une deuxième, de 1985 à 1992, qui renvoie normalement à une phase de transition entre les versants produit et processus de la technique. Et une dernière, de 1993 à 2011, actant la bascule des discours et situations d’apprentissage vers le versant « processus » de la technique.
Les hypothèses de recherche
15Nous pouvons préciser nos hypothèses de recherche concernant l’évolution des discours et situations d’apprentissage relatifs aux techniques des sports de raquette en EPS. Au regard du double mouvement caractéristique de l’évolution des conceptions des techniques présent dans les discours portés sur l’enseignement de la gymnastique, du saut en hauteur et des sports collectifs, nous envisageons de vérifier ce double mouvement au sein du groupement des sports de raquette. Nous pensons pouvoir caractériser une évolution des objets d’apprentissage techniques du versant « produit » vers le versant « processus », celle-ci s’opérant en trois étapes. Lors de la première période (1963 à 1984) les objets d’apprentissage technique repérés devraient faire référence au versant « produit » de la technique et considérer les techniques comme des finalités à atteindre. Pour la deuxième période (1985 à 1992), nous nous attendons à obtenir un équilibre relatif entre les deux conceptions de la technique. Et enfin, la dernière période (1993 à 2011) devrait consacrer l’avènement de la technique « processus », les auteurs considérant alors les techniques comme des moyens moteurs susceptibles d’aider les élèves dans la résolution de problèmes tactiques.
Résultats
16Les résultats de la catégorisation des OA techniques font état d’une évolution similaire pour nos trois sports de raquette. Chacune de nos activités est caractérisée par un passage progressif d’une technique « produit » vers une technique « processus ». Autrement dit, les discours et situations d’apprentissages techniques dans les sports de raquette sont passés d’une centration sur les gestes efficaces à réaliser en référence à une technique idéale prise pour modèle, à une centration sur l’activité générée par les élèves lorsque ceux-ci construisent leurs solutions techniques au service de finalités tactiques.
Évolution des objets d’apprentissage techniques des sports de raquette
Évolution des objets d’apprentissage techniques des sports de raquette
17L’évolution constatée auprès du groupement des sports de raquette semble être en adéquation avec l’analyse de la littérature scientifique centrée sur les discours relatifs à l’enseignement des techniques sportives. Ainsi, la première période est très majoritairement axée autour d’OA techniques sur un versant « produit ». La deuxième période voit l’apparition d’un équilibre relatif entre les deux conceptions de la technique. Et la dernière période confirme la prévalence des OA techniques conçus sous un versant « processus ». Le schéma ci-dessous permet de représenter cette évolution sous la forme des contributions relatives de chaque conception de la technique.
18Nous voyons clairement, à travers ce schéma, se dessiner l’évolution des OA techniques des sports de raquette en EPS. Ainsi, lors de notre première période, les auteurs mettent en avant l’efficacité de la technique « produit », le caractère rationnel de celle-ci (Vigarello & Vivès, 1983 ; Weineck, 1997) ainsi que l’automatisation du geste synonyme de stabilité. Dans ce versant de la technique, l’efficacité est alors vue comme la réalisation d’un geste se rapprochant au plus près d’un modèle jugé comme idéal (Tinland, 1994). Nous pouvons illustrer cette conception de la technique au travers de l’article de Kermadec et Loth (1970, p. 73) dans l’activité tennis : « Partant des gestes des champions, reconstituer une progression de l’enseignement du tennis telle que rien ne soit contradictoire à tous les niveaux, du débutant au joueur confirmé, c’est le but de la méthode élaborée… il importait de dégager d’abord des principes techniques de base… ». Les apprentissages techniques sont clairement centrés sur l’acquisition de formes gestuelles, inspirées du haut niveau, identiques pour tous les élèves. Cette centration sur les gestes amène les auteurs à décrire le plus précisément possible la technique à acquérir. C’est le cas pour le service en tennis, dans l’article d’Omnès (1966, p. 81) : « Le déplacement du bras, qui décrit une circumduction accroît le chemin de lancement quand il se combine dans un rythme progressivement accéléré avec le déplacement du corps. » Nous retrouvons ce souci du détail accompagnant la technique « produit », en tennis de table. Pour apprendre la poussette du revers à ces élèves, Agopoff (1963, p. 82) écrit : « Pour apprendre au débutant à pousser, il est nécessaire que le joueur soit tourné vers le revers, qu’il tienne sa raquette inclinée à 45°… Le moniteur veillera à ce que celui-ci ne commette pas les deux fautes techniques classiques : redresser la raquette à la verticale pour renvoyer la balle, ou soulever la balle de bas en haut, au lieu de la pousser horizontalement. » La correction par rapport à un modèle est encore plus visible au travers de cette dernière citation. Cet auteur insiste également sur le rôle important de la répétition dans l’automatisation des gestes : « Il ne doit pas tenter de remettre les balles sur la table, mais de chercher à prolonger son frottement sur la raquette le plus longtemps possible… il persistera cependant à répéter régulièrement ce geste jusqu’à ce qu’il obtienne l’automatisme du coupé » (Agopoff, 1963, p. 83). Nous voyons donc, au travers de ces exemples, que la technique « produit » est la conception dominante, pour l’enseignement des OA de cette nature, dans les sports de raquette lors de notre première période d’analyse. Les auteurs se représentent les techniques comme les finalités à atteindre, celles qui permettront aux élèves de réaliser des gestes efficaces et précis.
Évolution des contributions relatives des versants produit et processus de la technique
Évolution des contributions relatives des versants produit et processus de la technique
19Après une deuxième période, où les deux conceptions cohabitent, les auteurs adhèrent finalement au versant « processus » de la technique. À partir de 1993, la majorité des OA techniques repérés dans les articles de la revue EPS fait référence à la technique « processus ». À la différence du versant « produit », l’activité des élèves constitue le centre des apprentissages, et celle-ci n’est pas envisagée par rapport à un modèle. Cette distinction entre les deux conceptions de la technique, évoquée par Garrassino (1980), fait écho aux auteurs dénonçant le technicisme présent lors de notre première période, telle Amade-Escot (1994, p. 128) : « La technique y est toujours décrite en chronologie et c’est la forme spatio-temporelle des mouvements qui est retenue, dans une visée de prescription, et au mépris des différences individuelles. » C’est également le point de vue de Soler (1994) lorsqu’il assimile la technique « produit » à une vision réductrice de celle-ci proche du technicisme, et la différencie de la technique « processus » s’intéressant au sujet agissant vers l’appropriation de principes d’actions. Face aux critiques envers le technicisme émerge donc une conception de la technique « processus », sous fond de réhabilitation de cette dernière. Nous pouvons illustrer ce changement en faisant référence à l’article de Mérard et Ventou (1996, p. 20) dans l’activité badminton, lorsqu’ils envisagent l’apprentissage de la rupture de l’échange pour les élèves : « Cette première étape s’est centrée autour de la nécessité de construire chez le joueur des moyens moteurs de réaliser la rupture de l’échange. » Les apprentissages techniques sont alors assimilés à des moyens moteurs à développer chez l’élève, sans pour autant que ces derniers soient référencés à un modèle. Les enseignements techniques se centrent sur l’activité du sujet lorsque celui-ci vise l’appropriation de moyens moteurs lui permettant d’acquérir des savoirs non plus seulement techniques mais aussi tactiques. Nous pouvons voir que le changement d’orientation au sujet de la technique n’est pas sans conséquence sur l’objectif de ce travail. Ainsi, lorsque la technique « produit » est valorisée, ces apprentissages constituent la finalité de l’enseignement. Autrement dit, l’objectif est d’acquérir des éléments techniques si possible proches d’un modèle de référence. Or, à partir du moment où la technique « processus » s’installe, ces apprentissages ne constituent plus une fin en soi, mais représentent des moyens moteurs à disposition de l’élève au service d’autres finalités comme par exemple la tactique. Autrement dit, l’objectif est de développer des moyens techniques afin de déployer une activité tactique de plus en plus élaborée. Cette dernière réflexion nous permet d’ajouter un nouveau qualificatif à la technique « processus ». Il s’agit d’une technique « processus et personnalisée » étant donné que celle-ci est ajustable et adaptée aux possibilités des élèves. À ce titre, cette technique fait « référence à l’activité de l’élève qui met en relation, avec l’aide du professeur, des modalités d’actions ou des principes d’actions avec des résultats » (Soler, 1994, p. 66). Il déploie son activité vers la recherche des principes d’actions susceptibles de modifier ses moyens moteurs au service de ses projets tactiques. Pour Amade-Escot (1994, p. 17) qui reprend Combarnous (1984) : « le caractère technique est indissociable de la capacité de constituer des associations de connaissances raisonnées et empiriques, toutes éprouvées par la pratique, qui assurent l’efficacité des actions ». Cette activité de recherche de moyens techniques au service de la tactique se retrouve également dans l’activité tennis, au travers de l’article de Flotat et Keller (1998). Ces auteurs proposent l’apprentissage de la prise de balle précoce à partir de situations variées dans lesquelles l’élève est placé dans une activité de recherche de solution, aidée par le professeur. Selon eux, « la précocité du moment de frappe de balle après le rebond revêt des avantages tactiques indéniables et variés… » (Flotat & Keller, 1998, p. 38) comme la possibilité de prendre de vitesse un adversaire. L’évolution est similaire en tennis de table, lorsque certains auteurs centrent les apprentissages techniques sur le service afin d’installer une tactique de jeu. C’est le cas de Larcher (1999, p. 52) : « Nous nous attachons plus particulièrement aux effets liftés et latéraux dans la mesure où ils permettent d’enchaîner rapidement par une attaque. » Nous voyons bien, au travers des derniers exemples, que le passage de la technique « produit » vers la technique « processus » ne nie pas le caractère d’efficacité de celle-ci, mais que ce dernier change de référence. L’efficacité n’est plus vue comme la réalisation d’un geste idéal en référence à un modèle, où il faut sans cesse se rapprocher de la norme, ni comme l’automatisation des coups permettant la stabilité dans le temps. Elle est appréhendée par l’intermédiaire de la mise en place de projets tactiques dépendants des réalisations techniques. Ce changement est repérable dans la citation de Tinland (1994) : « L’efficacité technique possède un caractère paradoxal. Elle prend en principe son sens de sa référence à une finalité qui la déborde et la justifie. Elle est efficacité des moyens par rapport à un résultat, jugé lui-même en fonction de son utilité ou de son agrément. »
20Pour résumer, l’évolution des OA techniques pour nos trois sports de raquette est caractérisée par un passage progressif d’un versant « produit » vers un versant « processus ». Ce changement d’orientation s’est accompagné d’une modification des objectifs des apprentissages techniques. En effet, nous sommes passés d’une technique comme une fin en soi, représentant l’acquisition d’un ensemble d’éléments identiques pour tous les élèves par rapport à un modèle de référence, à une technique comme moyen correspondant à des principes d’action adaptables aux élèves, au service de projets tactiques. De plus, l’évolution des OA techniques dans nos trois activités se réalise aux mêmes périodes que celles décrites dans la littérature scientifique (Goirand, 1987 ; Leziart, 2003 ; Bouthier, 2008). Nous pouvons tout de même nuancer quelque peu ces résultats pour l’activité badminton dans la mesure où son introduction tardive dans les leçons d’EPS (début des années 1980) ne nous permet pas d’utiliser cette APS lors de notre première période. Toutefois, cette activité évolue de la même manière que le tennis ou le tennis de table lors des deux dernières périodes, sur le plan des discours et situations d’apprentissage techniques. Afin d’éclaircir et de comprendre davantage cette évolution, nous allons nous intéresser à trois éléments de discussion qui sont la modélisation du corps des élèves et leurs représentations, les valeurs défendues par l’École et le rôle des enseignants. Nous justifions le choix de ces éléments au regard des recherches menées sur l’évolution de l’enseignement de l’EPS et plus précisément lorsque les chercheurs s’interrogent sur la place des apprentissages techniques dans cette discipline (Martin, 1999 ; Combeau-Mari, 1998 ; Attali & Saint-Martin, 2004). Étant donné que nos résultats rejoignent ceux portés sur l’enseignement d’autres APS, pouvant être distinctes sur un plan culturel, nous pensons que les interprétations sont à conduire à l’échelle de la discipline EPS, cette dernière permettant d’obtenir une focale susceptible d’appréhender les différentes APS dans leur ensemble.
Discussion
21Les hypothèses de recherche que nous avions dressées se trouvent confirmées par notre étude. Ainsi, les trois sports de raquette convoqués évoluent de manière similaire du point de vue de leurs objets d’apprentissage technique. De plus, l’évolution des conceptions de la technique est conforme aux trois périodes déduites des recherches centrées sur les phénomènes de transmission de d’appropriation des techniques sportives en EPS. Nous retrouvons ainsi le double mouvement caractéristique de l’évolution de la technique en EPS décrit par Lafont (2002). D’une part, les objets d’étude se décentrent progressivement des techniques sportives pour s’intéresser aux élèves producteurs de solutions techniques. D’autre part, l’analyse des formes gestuelles extérieures laisse peu à peu la place à l’analyse des processus internes de productions d’actions. Nous pouvons tenter d’expliciter ce double mouvement à partir d’un premier élément de discussion centré sur la modélisation du corps des élèves et leurs représentations.
La modélisation du corps des élèves et leurs représentations
22Nous allons voir que l’évolution des modélisations du corps de l’élève ainsi que ses représentations expliquent, pour partie, le passage d’une technique « produit » à une technique « processus ». Les différentes modélisations du corps sont issues des travaux de Vigarello (1978) et Parlebas (1981), repris par Delignières et Garsault (2001). Selon ces auteurs, quatre références majeures se sont succédé en EPS. Les deux premières assimilent les corps des élèves à des machines simples, avec des leviers, poulies et ressorts, ou à des machines à vapeur avec une « vision thermodynamique du corps, brûlant de l’énergie et produisant du travail » (p. 27). La troisième référence qui se met en place évoque les machines cybernétiques et met « l’accent sur les processus de transmission d’information, d’homéostasie, et de rétroaction » (p. 27). Enfin, la référence actuelle ou en passe de le devenir serait relative aux systèmes naturels complexes avec l’idée d’analogies opérées avec « les mouvements des masses nuageuses dans l’atmosphère, ou le comportement des insectes sociaux » (p. 37). Selon Fargier (2006), chacune des références précédentes est reliée avec des référents scientifiques en EPS. Ainsi, les machines simples et à vapeur sont associées aux phases biomécanique et physiologique, les machines cybernétiques à la phase psychologique et les systèmes naturels complexes à la phase psychosociologique. Ces premières références peuvent nous servir à expliquer les évolutions constatées au niveau des discours techniques dans les sports de raquette. Ainsi, lorsque la technique « produit » est valorisée dans notre première période, nous pouvons penser que les modélisations dominantes du corps des élèves sont les machines simples et à vapeur en rapport avec la physiologie et la biomécanique. Ceci est d’autant plus vrai si l’on considère les nombreux kinogrammes présents au sein des articles analysés, produits par les recherches en biomécanique. Ceux-ci sont utilisés par les auteurs pour affirmer le modèle technique à atteindre par les élèves, ainsi que les différentes phases de l’apprentissage représentées par un découpage des coordinations motrices. L’utilisation de ces référents scientifiques renforce le versant « produit » de la technique et engage les auteurs à parler de « principes techniques de base à respecter », ou « de gestes parasites à éliminer ». À partir du moment où la référence à la psychologie devient dominante et où le corps est assimilé à une machine cybernétique traitant de l’information, la technique bascule progressivement vers le versant « processus ». En effet, la centration sur le sujet agissant devient la préoccupation déterminante. La science s’intéresse aux processus de traitement de l’information, en même temps que les auteurs s’intéressent à la manière dont les élèves construisent leurs techniques. L’accent est mis sur l’activité technique déployée par les élèves en vue de l’appropriation de nouveaux moyens moteurs. Cette activité de recherche de solutions techniques est encadrée par le professeur et peut être mieux comprise si l’on convoque une nouvelle référence, se situant dans le cadre des représentations de l’élève développées par During (1987). De par la volonté de devenir une discipline scolaire à part entière, l’EPS promeut une vision intellectualiste de ses apprentissages, où il s’agit de montrer qu’elle « sollicite voire développe l’intelligence de l’élève ». Cette vision de la discipline met en avant une nouvelle représentation de l’élève : l’acteur rationnel. Ainsi les nouveaux apprentissages techniques, centrés sur la recherche de solutions au travers d’une mise en relation des moyens et des buts avec la connaissance des résultats, participent à la construction de cet acteur rationnel. Celui-ci élabore une activité technique en testant différents principes d’actions, en les adaptant par rapport à ses possibilités, dans un cadre plus général de compréhension de ses actions motrices. À titre d’illustration, les apprentissages techniques dans les sports de raquette s’orientent vers l’exploration de différents moyens techniques nécessaires à la conduite de projets de jeu tactiques. Ainsi, l’élève désireux de développer la rupture de l’échange est orienté vers l’apprentissage de services capables de déstabiliser rapidement un adversaire. En ce sens, les apprentissages techniques relatifs aux services s’inscrivent comme moyens au service de la poursuite de finalités tactiques proches de la rupture de l’échange et font appel aux capacités réflexives chez les élèves. L’évolution de la technique vers le versant « processus » s’inscrit donc favorablement dans un courant cognitiviste dominant en EPS. Pour autant, les évolutions successives des modélisations du corps des élèves et leurs représentations ne sont pas les seules capables d’expliquer les modifications opérées au niveau des objets d’apprentissage techniques dans les sports de raquette.
Les valeurs promues par l’École et le rôle des enseignants
23Nous pouvons voir que les changements successifs des valeurs du système éducatif, ainsi que le rôle des enseignants participent également aux évolutions des conceptions de la technique dans nos trois activités. Ainsi, lors de notre première période, les valeurs du système éducatif participent à la légitimation des apprentissages conduits sous le versant « produit » de la technique. En effet, Prost (1992) montre que dans les années 1960 et 1970, la majorité des apprentissages scolaires se fait par répétition et mémorisation. Un écho favorable à ces valeurs se retrouve en EPS lorsqu’il s’agit de répéter des mêmes gestes jusqu’à parvenir à les mémoriser et à les automatiser. La finalité des apprentissages est jugée par la capacité des élèves à répéter leurs connaissances, mais également à faire des efforts dans le temps. La rigueur, le respect de l’autorité et l’effort sont autant de valeurs mises en avant au début de la Cinquième République au sein du système éducatif (Albertini, 1992). L’EPS, dans sa volonté de conforter sa place au sein du système scolaire, favorise l’orientation des apprentissages vers ces valeurs-ci. C’est ainsi que les nombreuses répétitions demandées pour l’automatisation d’un geste, dans n’importe lequel de nos sports de raquette, sont synonymes des efforts consentis par les élèves. Dans ce contexte, le rôle de l’enseignant est essentiellement directif et correctif. Le professeur détient le savoir à enseigner, en l’occurrence la technique de base référencée à un modèle. Et il l’inculque aux élèves le plus souvent par l’intermédiaire de régulations successives des gestes des élèves, par rapport aux écarts constatés à la norme. Ce rôle du professeur d’EPS en faveur de la technique « produit », se retrouve au sein des instructions officielles de 1967 : « Le professeur mettra par exemple l’accent sur un aspect du geste ou de la technique sportive, dans le but de combler une lacune ou de faire apparaître un facteur limitant la réussite » (p. 57). Par la suite, l’évolution des valeurs du système éducatif ainsi que le rôle des enseignants vont avoir des répercussions sur le passage d’une technique « produit » à une technique « processus ». La démocratisation du système scolaire impose petit à petit des modifications au plan des valeurs promues par cette institution (Merle, 2002). Les difficultés liées à la réussite des élèves et à leur orientation (Bourdieu & Passeron, 1970), ainsi qu’à leur insertion professionnelle engendrent de profonds bouleversements au sein de l’École (Prost, 1992). Les valeurs de rigueur, de répétition et de mémorisation perdent progressivement en intensité. Elles sont remplacées par la réussite du plus grand nombre, ou encore la centration sur l’élève apprenant et non plus le savoir à enseigner (Legrand, 1995). Ces quelques exemples de modifications des valeurs, trouvent un écho favorable en EPS où l’élève devient le centre des préoccupations. L’élément primordial des séances devient l’activité déployée par les élèves, ce qui participe inévitablement à la mise en place du versant « processus » de la technique. Les professeurs se sont rapidement aperçus que l’automatisation et la répétition de gestes techniques, caractéristiques du versant « produit », ne sont pas compatibles avec la réussite des élèves et la lutte contre l’échec scolaire. Dès lors, l’enseignant ne recherche plus l’inculcation de techniques aux élèves, mais les accompagne plutôt dans l’élaboration d’une activité technique visant l’appropriation de nouveaux pouvoirs moteurs. Le rôle du professeur est de guider l’activité des élèves vers la recherche de solutions en adéquation avec leurs possibilités respectives. Il aide les élèves à mettre en relation des principes d’action avec des buts et une connaissance du résultat. Ainsi, le professeur est passé d’un correcteur de techniques avec un guidage fort des élèves où l’objectif était d’inculquer des techniques de base, à un médiateur expert en aménagement du milieu avec un guidage faible à moyen des élèves, où l’objectif est de faire découvrir des principes et règles d’action adaptés à leurs possibilités.
24L’analyse de ces éléments de discussion permet d’expliquer en grande partie le double mouvement caractéristique de l’évolution des conceptions de la technique en EPS (Lafont, 2002). Nous devons toutefois rester prudent quant aux décalages pouvant exister entre les discours professionnels, pris comme références pour cette étude, et les pratiques pédagogiques des professeurs. Néanmoins, cette recherche présente l’intérêt pour la communauté scientifique de la production de connaissances relatives aux discours et situations d’apprentissage consacrés aux techniques sportives en EPS. Nous avons pu mettre en évidence que l’évolution des conceptions des techniques semble être majoritairement sous l’influence de la discipline EPS plutôt que des particularités culturelles liées aux différentes APS. À ce titre, notre étude ouvre la voie à d’autres pistes de recherche afin d’analyser les discours relatifs à l’enseignement des techniques dans les autres APS supports de la mise en œuvre de l’EPS, telles que la natation, les sports de combat ou encore les activités artistiques.
Conclusion
25L’enseignement des techniques sportives en EPS a été l’objet d’étude des approches didactiques et technologiques. Celles-ci ont mis en évidence un double mouvement caractéristique de l’évolution des techniques (Lafont, 2002) : des techniques sportives comme objets d’étude vers l’analyse de l’activité déployée par les élèves producteurs de solutions techniques, et de l’analyse des formes gestuelles extérieures vers l’analyse des processus internes impliqués dans la production d’actions. S’interrogeant sur le cas des objets d’apprentissage techniques des sports de raquette présents au sein de la revue EPS sur une période de quarante-huit ans, nous avons confirmé l’évolution des discours techniques selon le même double mouvement. De plus, il apparaît que cette évolution caractéristique s’effectue selon les mêmes périodes que celles décrites dans la littérature scientifique (Goirand, 1987 ; Leziart, 2003 ; Bouthier, 2008). L’interprétation de ces phénomènes repose sur trois éléments principaux de discussion qui sont les modélisations du corps des élèves et leurs représentations, les valeurs du système éducatif et le rôle des enseignants. Cette recherche confirme ainsi les tendances repérées au sein de l’enseignement d’autres APS et permet de renforcer l’idée selon laquelle l’évolution des conceptions des techniques sportives, quelle que soit l’APS étudiée, serait sous l’influence prioritaire des changements de la discipline EPS.
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