Pascal Duret, Le couple face au temps, Armand Colin, 2007, 280 pages, 20 €
1Dans cet ouvrage, Pascal Duret s’intéresse à ce que le temps fait au couple. On peut se demander quel est le lien entretenu par ce nouvel objet sur « le couple face au temps » avec les recherches précédentes de l’auteur, plus axées sur la sociologie du sport. Dès les premières pages, le lecteur comprend que derrière des objets très différents ce sont les mêmes préoccupations théoriques qui animent Pascal Duret. En sport, il étudiait les situations de négociations (par exemple les argumentations pour avoir sa place dans l’équipe, les disputes liées à l’auto-arbitrage) et celles de justifications (par exemple les arguments employés par les sportifs suspectés de dopage). La question qui constituait le cœur de son travail reste la même : comment s’articulent les disputes, la justice et l’amour.
2Le projet de ce livre est de tirer des enseignements sociologiques de difficultés données le plus souvent pour psychologiques. Il entretient trois différences importantes par rapport aux guides de recueil de « recettes miracles ». Tout d’abord, il se tient à distance des conseils prescriptifs. Ensuite, il s’oppose à ces guides quand ceux-ci prodiguent des recommandations le plus souvent en apesanteur sociale. Or, que l’on soit médecin ou ouvrier, professeur ou maçon, même si l’on rencontre parfois les mêmes difficultés de couple, les ressources dont on dispose pour y faire face ne sont pas du tout identiques. L’usure du couple ne peut donc guère être traitée indépendamment des milieux sociaux, ni des manières dont les individus ont été socialisés à l’amour en fonction de leur expérience affective. Ainsi, que l’on soit à sa première mise en couple ou à sa cinquième change de manière importante les principes de gestion de la relation. Les individus qui se distinguent par un nombre élevé d’expériences de couple ont pour la plupart en commun un principe de retenue (« ne pas s’engager totalement »), un principe de protection de soi (« s’arranger pour ne pas y laisser des plumes »), un principe de vigilance accrue (« ne pas baisser sa garde »), un principe de réduction des projets à long terme (« la vie au jour le jour »), et un principe de réduction des frustrations (« lâcher du lest »). Enfin, le troisième point de rupture par rapport aux manuels psychologiques, revient à admettre qu’un des effets majeurs du temps sur les individus en couple est de produire de la contradiction. Dans l’univers mental des individus qui vivent ensemble depuis des lustres, luttent et s’articulent, en même temps, des facteurs d’usure et des facteurs de renforcement du lien. Confrontés au « temps qui use » et au « temps qui renforce », la plupart d’entre eux sont à la fois heureux et malheureux, satisfaits et insatisfaits. Ces ambivalences ne sont pourtant pas des incohérences, elles portent simplement les espoirs de ceux qui les vivent.
3L’auteur dégage les principaux facteurs de l’usure. L’immaturité du conjoint est ce dont les femmes se plaignent massivement avec le temps. Touchées au début de la relation par le côté « petit enfant » du conjoint, elles supportent de moins en moins au fil du temps son côté « ado attardé ». L’immaturité, au bout de plusieurs années de vie commune, ne sanctionne plus un être en devenir mais un adulte définitivement infantile et irresponsable (« J’ai pas deux enfants, avec mon mari, j’en ai trois »). Les hommes, pour leur part, se plaignent surtout de se sentir à l’étroit dans leur vie de couple. Ils aiment s’imaginer en héros et reprochent aux femmes d’être trop terre à terre. Les deux personnages féminins qui font figure d’ennemies absolues sont « la chieuse » et « la castratrice ». Les « enfants-héros » devenus adultes sont absolument contradictoires : ils souhaitent se reposer sur leur compagne comme sur une mère, et en même temps, ils espèrent toujours d’elle des regards de petite fille émerveillée par son sauveur.
4Mais l’ouvrage détaille aussi les facteurs de renforcement du lien : reconnaître le conjoint, permettre aux routines d’évoluer et prendre le risque du changement.
5La reconnaissance (Honneth) existe sous trois formes : le respect, la reconnaissance du mérite, et la reconnaissance de l’identité latente. Le respect n’est pas négociable et fonctionne en tout ou rien. Chacun, ensuite, souhaite voir reconnus ses mérites et sa valeur personnelle. La reconnaissance des mérites, au bout de plusieurs années de couple, aide à l’unité identitaire en mettant l’individu dans un rapport de continuité avec lui-même : « je suis bien celui que je crois être ». Inversement, plus la dissonance augmente entre ce qu’on pense être et la manière dont l’autre nous juge, plus les crises conjugales ou identitaires sont présentes. Enfin, la reconnaissance revient à savoir deviner l’identité latente de l’autre et ainsi éviter de figer au présent ce qu’il pourra devenir. Croire en l’autre, c’est croire en son futur.
6Pour permettre aux routines d’évoluer, il faut repérer que celles-ci supposent trois tâches : une tâche de programmation initiale, une autre d’exécution et enfin une dernière tâche de contrôle. Le contrôle, s’il n’est pas effectué par l’exécutant lui-même, revient à lui refuser sa confiance. Le « contrôleur des travaux finis » n’assume pas la délégation qu’il a faite de l’exécution. La dissociation des responsabilités use d’autant plus l’exécutant qu’il n’est qu’exécutant et que le rythme même de sa tâche lui échappe parfois. Tout ce qui « met la pression » rappelle le monde du travail et ses rapports hiérarchiques et dépossède celui qui la subit de la gestion de son rythme personnel de travail. Face à ces « coups de pression », lâcher du lest est une condition du changement, cela revient à désactiver les conflits jugés comme mineurs. À l’inverse de la montée aux extrêmes, il s’agit de favoriser l’apaisement en relativisant l’importance des sujets de conflits.
7Enfin, accepter de ne pas être totalement achevé, revient à reconnaître l’importance de la socialisation secondaire opérée par l’histoire commune que l’on vit avec l’autre. Cela va évidemment à l’encontre des thèses de Gray, de Bly ou de McGraw qui, craignant l’indistinction des genres, proposent de s’en tenir aux renforcements des rôles masculins et féminins.
8L’ultime originalité visée par l’ouvrage consiste à chercher à comprendre les articulations entre la sexualité et les autres domaines de la relation de couple. Si l’on peut vivre par moments essentiellement en amants et à d’autres essentiellement en parents, la plupart du temps, il faut bien composer. C’est souvent malaisé ! D’où un ensemble de cas de figure : certains couples entretiennent une sexualité dépourvue d’affection, d’autres une affection sans rapport sexuel, d’autres combinent rapports sexuels extraconjugaux et affection conjugale, d’autres reportent leur affection sur les enfants, et certains parviennent à associer sexualité et affection. Ce constat nous amène au carrefour de plusieurs champs de la sociologie : sociologie du corps (du corps à corps et du charnel), sociologie de la socialisation primaire et secondaire (acquisition de valeurs au sein de la famille d’origine et partage ou non de ces valeurs au sein du couple). Seule une approche décloisonnée permet d’envisager en définitive comment des pratiques qui ne posent pas problème à l’un des membres du couple seront jugées comme intolérables par l’autre.
9Muriel Augustini,
10Université de la Réunion
Sylvain Ferez, Le corps déstabilisé, Paris, L’Harmattan, 2007
11Le travail effectué par S. Ferez concernant principalement l’œuvre littéraire de Claude Pujade-Renaud est riche. L’écriture fine et soignée dégage une énergie impressionnante. Son engagement dans ce travail ne laisse aucun doute : les multiples entretiens réalisés et la lecture attentive des nombreux romans, nouvelles, poésies, correspondances, etc., de l’auteur sont conséquentes. Il décrypte sa variété et ses ressorts intimes. Sans faire œuvre de psychanalyse, a fortiori de psychothérapie, il décrit avec luxe de détails biographiques et de précisions littéraires la posture humaine de C. Pujade-Renaud, et pour tout dire ses affres. Car les écrits de cette auteure sont taraudés d’un lourd secret familial qui se dévoile progressivement au lecteur. Sans doute est-ce la limite propre à ce genre de travail de déconstruction qui s’appuie in fine sur les discours directs (entretiens) et les discours indirects (les œuvres produites). Ces traces volontaires comportent, qu’on le veuille ou non, une part de figuration sociale. Elles ne constituent pas à proprement parler une thérapie, même si elles permettent, sans doute, un mieux être avec soi et les autres. Avec C. Pujade-Renaud, le « souci d’une écriture incarnée » (p. 26) fait la part belle aux détails de la vie quotidienne, familiale, universitaire, physique, etc. Il souligne, surtout, un désir puissant de résister à toute imposition sociale. Ce refus d’une position circonscrite, limitante, devient sous la plume de S. Ferez une « nécessité socio-logique (de) résister à l’enfermement des structures de pouvoir » (p. 201). L’image de la mère toute-puissante mais aussi des institutions universitaires dominées par des hommes transparaissent à tout moment comme des éléments déclencheurs de cette révolte personnelle, finalement sublimée dans ses écrits. La création littéraire émane préférentiellement, selon S. Ferez, de ces « habitus déchirés » (p. 353) : « elle ronge les classés entre » (p. 360).
12La danse, spécialité initiale de C. Pujade-Renaud, est utilisée pour décrire métaphoriquement sa conception du corps, mais aussi de l’écriture. Pour elle, l’objectif est justement d’accepter le vacillement, la déstabilisation, les entretenir, les compléter. D’où le titre choisi. La vie ne semble avoir de l’intérêt que dans cette unique recherche de vertige maintenu. Cette image évocatrice constitue pour S. Ferez la métaphore la plus explicite de ses rapports aux mondes conjugal, de l’éducation physique, de l’université, mais aussi du langage. « Faire valser les mots » (p. 32), « jouer avec les mots » (p. 51) deviennent une marque de fabrique littéraire. Surtout, le lecteur devine en filigrane que cette déstabilisation engage C. Pujade-Renaud dans un combat autrement plus rude : il s’agit de faire croire à l’immortalité du corps. Être en mouvement, sans même évoquer le sempiternel mouvement perpétuel, devient une tentative espérée de création. Cette création est chevillée à la biographie variée, si ce n’est tourmentée, de cette écrivaine, ancienne chercheuse corporelle.
13La « malléabilité du corps » (p. 48) et celle induite du langage constituent alors un rapprochement conscient a posteriori du « flottement de sens caractéristique de l’enfance » (p. 55). L’essence de cette œuvre littéraire est le jeu corporel alors même que la biographie souligne un désenchantement profond avec son lot d’expériences douloureuses (IVG, séparation, ménopause, etc.). L’évocation des rêves de l’auteure poursuit cette recherche d’expériences modifiées de conscience et de corps. Ils deviennent des « scènes de déconstruction possible » (p. 70) de son propre rapport au monde, au corps, au pouvoir. L’écriture devient un moyen quasi thérapeutique de s’extraire des limites imposées à toute vie humaine. Cette autoclinique réflexive met du jeu dans les rouages des contraintes ordinaires. Dans un effort de compréhension autobiographique se dégagent deux types de modalités de pouvoir. Celui du contrôle, véritablement apologétique, mais qui sous couvert de sécurité peut conduire à la folie pour celle ou celui qui n’arrive pas à se complaire dans cette vie terne. Celui de la dilution, de l’ouverture, qui échappe à la répétition et à la destinée promise, mais dont le risque est la mort.
14Écrire permet légitimement de s’ouvrir aux autres, si ce n’est d’écrire pour les autres. L’activité scripturale est toujours en science comme en littérature une écriture contre. Ici, l’écrit contrevient à la censure familiale. Même si C. Pujade-Renaud se défend vivement d’écrire un témoignage direct, ses entretiens, ses nombreux romans et nouvelles parlent d’elle assurément, des doutes quant à son identité qui se sont arc-boutés très tôt à partir de l’ambivalence même de son prénom. Au final, cette analyse biographique, littéraire et sociologique poursuit d’une autre manière l’exemplaire travail de N. Elias à propos de Mozart. Elle nous dévoile les éléments essentiels de la création géniale, qui est tout sauf un don de la nature…
15S. Héas
Jean-Marie Brohm, La tyrannie sportive. Théorie critique d’un opium du peuple, Paris, Beauchesne, coll. « Prétentaine », 2006, 244 p.
16Le sport contemporain, « fait social total », pénètre tous les domaines de l’espace public : économique, culturel, politique et social. Néanmoins, il constitue un objet très controversé, il est concurremment un élément de culture, d’intégration, d’émancipation, de même qu’un lieu de violences, de corruptions, de dopages et de manipulations biologiques. De quelle manière est-il alors possible d’aborder, d’étudier cet objet ? Le phénomène « sport » n’est pas sans alimenter les productions sociologiques. Cependant, Jean-Marie Brohm semble se distinguer et se marginaliser dans la mesure où il s’inscrit dans une posture de critique radicale du sport et de la société capitaliste. En effet, il ne se contente pas d’analyser les pratiques sportives ou les discours produits sur le sport mais il étudie la place et le rôle des institutions sportives dans le fonctionnement ordinaire du mode de production capitaliste. Ainsi, il considère le sport comme un instrument idéologique de l’État, institution de domination idéologique reproduisant les structures du capitalisme d’État d’inspiration libérale ou totalitaire. Ceci constituant la matrice même de la « théorie critique » qu’il va reprendre et dont il va approfondir la posture épistémologique et politique à travers cet ouvrage. Une théorie et un mode de pensée qui relèvent d’une lecture marxiste et freudo-marxiste du sport.
17Découpant son ouvrage en trois parties, l’auteur consacre une part de sa réflexion au paradigme critique en sociologie, de manière à présenter le rôle, la nécessité et l’usage de la critique. Ce qui contribue à exposer la posture de la « théorie critique » et à montrer sa marginalisation, par son fondement et son empreinte multidimensionnelle et multiréférentielle, à l’égard d’une sociologie « dominante ». Cette « théorie critique », s’inscrivant en marge des normes du champ de la recherche en sociologie et souvent dépréciée, l’amène ainsi à discuter les postulats épistémologiques et la prédominance de certains modes de pensée de la sociologie. Une sociologie « positiviste » qui aurait tendance à occulter et à euphémiser certains faits, à embellir l’objet sport. Après avoir repositionné sa théorie au sein de la communauté scientifique, il va s’attacher plus spécifiquement à revenir sur les principes fondateurs de la « théorie critique », son orientation théorique et ses concepts phares tels que « l’opium du peuple » et la « fausse conscience ». La « théorie critique » contribue alors à faire la lumière sur le sport — selon lui, un des phénomènes les plus virulents de la « globalisation » capitaliste — et son opacité environnante, en levant le voile sur un monde fictif et artificiel dont les réalités sont masquées par les exploits sportifs. La sportivisation de l’espace public amène ainsi à une aliénation culturelle et intellectuelle. Le phénomène sport, en se massifiant et en prenant de plus en plus d’envergure dans l’espace public, entraîne ainsi dans ses rouages une émergence des passions sportives qui touchent l’ensemble de la population au même titre que les intellectuels. Par le biais du football qui est, selon lui, le type même d’endoctrinement totalitaire empêchant les meilleurs esprits de rester critiques ou lucides, il illustre cette lobotomisation et le difficile détachement des intellectuels de cet objet « sport » : ils ne feraient alors qu’en alimenter l’aspect positif et mystique.
18Cet ouvrage nous invite ainsi à déconstruire les images et visions classiques du sport en l’envisageant sous l’angle d’une posture critique radicale où il est alors perçu comme renforçant et légitimant l’idéologie productiviste et le principe de rendement de la société capitaliste. Le sport envoûte ainsi les acteurs, les intellectuels et même les sociologues les plus avertis qui se laisseraient prendre au jeu des passions sportives. Il serait donc difficile d’échapper à cette sacralisation du sport ; la « théorie critique » tend à nous le rappeler et à décrypter la logique sportive contemporaine. Cependant, le caractère sociologique de cet ouvrage reste discutable, il relèverait plus d’une approche philosophique à forte connotation politique dans la mesure où il ne résulte pas d’un cheminement scientifique propre à l’enquête sociologique.
19Nathalie JELEN,
20Université d’Artois – SHERPAS/CREHS-EA 4027.
Paul Dietschy, Patrick Clastres, Sport, société et culture en France du XIXe à nos jours, Paris, Hachette, coll. « Carré Histoire », 2006, 255 p.
21Figures de proue de cette génération émergente d’historiens du sport, Paul Dietschy et Patrick Clastres offrent au lecteur une nouvelle synthèse des évolutions de cette pratique culturelle en France, depuis le XVIIIe siècle. Si les auteurs inscrivent leurs travaux dans le sillage des pères fondateurs (encore que les ouvrages généraux traitant de l’histoire du sport dans la France contemporaine soient finalement assez rares), le propos se veut pourtant novateur. Certes, le lecteur averti retrouvera des éléments connus, autour des entrées classiques que sont les aspects politiques, économiques, sociaux et culturels du fait sportif, décliné sous l’angle des pratiques et du spectacle. Mais la double originalité de cet ouvrage tient d’abord à l’actualisation des connaissances, à la lumière des travaux les plus récents. On saluera ici une précieuse bibliographie indicative, soigneusement agencée, ainsi que l’insertion de documents et textes souvent inédits, placés en fin de chapitre, comme l’exige la collection. Mais c’est surtout le projet et les options chronologiques retenues qui méritent l’attention : il s’agit en effet moins d’étudier le phénomène sportif comme un objet isolé, trop souvent désincarné et décontextualisé, que d’en proposer une lecture que l’on qualifierait volontiers de « sécularisée », où le souci compréhensif dépasse le seuil purement descriptif. C’est à ce prix que les auteurs démontrent, à partir de périodisations ingénieuses, combien le sport s’affirme comme l’un des éléments insécables de la culture de masse et, à ce titre, en quoi il est autant l’agent que le révélateur des mutations sociales et culturelles que connaît la France des XIXe et XXe siècles.
22Sept chapitres permettent de repérer les phases de continuité et de rupture dans ce processus de transformation des pratiques corporelles et dans les modifications de leurs formes de mise en scène depuis leur invention dans la seconde moitié du XIXe, jusqu’à leur dilution dans un espace mondialisé. Si l’invention du « corps moderne » permet à l’École et l’Armée de définir des modèles d’éducation physique où les dimensions hygiénistes et patriotiques se conjuguent, l’essor du sport constitue une première alternative à cette « France du muscle » républicaine. Au début du XXe siècle, les pratiques sportives sortent de leur gangue aristocratique pour connaître une première forme de démocratisation, stimulée par la concurrence entre fédérations (USFSA, FGSPF, FSAS et autres) et les prémices d’un internationalisme sportif relayé par Pierre de Coubertin. La période de l’après-guerre accélère de manière significative cette massification du fait sportif : les spectacles sportifs (courses automobiles et cyclistes, jeux olympiques, rencontres de boxe, matchs internationaux de football et de rugby) se multiplient : relayés par une presse spécialisée puis la radio, ils accompagnent la professionnalisation de certaines pratiques et la capture idéologique des compétitions internationales, là où se frottent les identités et les imaginaires nationaux. À l’aube de la Seconde Guerre mondiale, le sport français connaît deux inflexions majeures : « affaire de l’État » sous le gouvernement du Front populaire, il devient une « affaire d’État » sous Vichy, tandis que son développement dans les colonies contribue à l’acculturation des populations indigènes. Parent pauvre d’une Quatrième République où l’immobilisme étatique se conjugue aux difficultés financières, le sport renaît véritablement sous l’ère gaullienne. Les choix judicieux de Maurice Herzog renforcent son ancrage et son utilité scolaire ; le vote de lois programmes permet de multiplier les installations et équipements nécessaires à des formes de pratique qui se démocratisent autant qu’elles se diversifient. Si le modèle sportif traditionnel demeure celui d’un sport de masse à finalité compétitive, des formes d’engagement plus ludiques émergent à la fin des années 1970. Pratiques digitales et pratiques analogiques encadrent alors un sport spectacle soumis aux impératifs de la mondialisation et de l’économie de marché. Exploits individuels, épopées des clubs ou des équipes nationales (« les Verts » de l’ASSE, l’Olympique de Marseille, les médailles glanées çà et là par ces héros singuliers que sont les champions sportifs) nourrissent les imaginaires individuels et collectifs : l’exploitation commerciale, la surenchère médiatique et la récupération politique de la victoire de l’Équipe de France de football lors de la Coupe du Monde de football de 1998 soulignent combien les fondements originels du sport ont bien changé. S’il faut y voir une confirmation de la plasticité des pratiques autant que des finalités du sport, on peut toutefois s’interroger sur la manière dont certaines disciplines professionnalisées se sont accommodées de ce que l’on qualifie aujourd’hui pudiquement de « dérives » : violences dans et autour des stades, corruption, dopage systématique, affairisme mafieux. Les 250 pages stimulantes proposées ici permettent de saisir la globalité et la complexité d’un phénomène culturel trop longtemps ignoré, parce que confiné dans la sphère du divertissement. C’est dire combien cet ouvrage de synthèse remet « les choses à l’endroit ».
23Olivier Chovaux,
24Atelier SHERPAS, Université d’Artois