Notes
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[1]
A.D.M.M., 1 Z 56, Étrangers, instructions, correspondance, groupements et sociétés 1925-1950.
-
[2]
Bonnet (S), Santini (C), Barthelemy (H), 1962.
-
[3]
Martinois (R), 1989.
-
[4]
Milza (P), 1999. Pierre Milza précise que la guerre n’a pas supprimé les clivages entre « neutralistes » et « interventionnistes ». Les premiers, parmi lesquels on retrouve les libéraux giolittiens, les socialistes et les démocrates chrétiens, se déclarent favorables à l’établissement d’une paix anti-impérialiste. Les seconds se trouvent désormais divisés entre une tendance nettement expansionniste, pour laquelle les clauses du traité de Londres sont jugées insuffisantes, et la tendance des « renonciateurs », où se trouvent des interventionnistes de gauche.
-
[5]
Wiegand-Sakoun (C.),1986.
-
[6]
A.D.M.M., 4 M 138, Italiens, principalement rixes entre eux.
-
[7]
A.D.M.M., X 992, Sociétés de secours mutuels italiennes.
-
[8]
A.D.M.M., 4 M 112, Associations italiennes.
-
[9]
Nous avons recensé de 1924 à 1929, 169 coureurs qui ont participé à 40 courses dans la rubrique sportive des journaux : L’Avenir de la Vallée de l’Orne, L’Éclair de l’Est, L’Est Républicain. Parmi ceux-ci, 72,78 % d’Italiens et 27,22 % de Français.
-
[10]
Pietro Corini, né en 1887 en Italie, et Luigi Ravelli, né en 1901à Homécourt, tous deux issus du grand centre industriel d’Homécourt dans le bassin de Briey, vont être les deux seuls Italiens de Lorraine à courir sous licence professionnelle de 1920 à 1928. Pietro Corini participera au Tour de France 1926 à 39 ans.
-
[11]
Marchesini (D), 2002.
-
[12]
Il s’agit de Philippe Serre, Indépendant de Gauche.
-
[13]
A.D.M.M., 1 Z 56, Étrangers, enquêtes, sociétés 1925-1950. Lettre du 21 janvier 1937 du sous-préfet de Briey au préfet de Meurthe-et-Moselle : « Les Italiens manifestent très ouvertement leurs sentiments politiques depuis les accords de Matignon. La grande majorité des ouvriers ont adhéré aux syndicats professionnels récemment formés. »
-
[14]
L’Est Républicain, 25 juillet 1938 : « Le Belge Schmitt triomphe dans Nancy-Longwy (à 37km/h de moyenne), un gros succès F.S.G.T. Classement : 2e Pazzogna Nello (Longwy), 3e Sanotto (Longwy), 4e Cocomeri (Longwy), 5e Gentilucci (Herserange), 6e Negroni (Longwy), 8e Pazzogna Mario (Longwy), Mazzavolo (Longwy), 12e Antonioli Dino (Piennes). »
-
[15]
L’Est Républicain, 7 août 1939 : « 1er Noloni (Longwy), 2e Cocomeri (Longwy), 3e Antonioli Ezio (Piennes), 4e Antonioli Dino (Piennes). »
-
[16]
A.C.S.Roma, Presidenza Consiglio dei Ministri Anni, 1928-1930 : « L’O.N.B. comprend deux formations, celles des Balilla comprenant les garçons de huit à quatorze ans et des Avanguardisti concernant les garçons de quatorze à dix-huit ans. C’est seulement à partir de 1929 qu’elle englobe les formations féminines du Parti Fasciste nommées ‘Picolle italiane’ et ‘Giovani italiane’ avec une division interne à peu près analogue à celle des hommes. »
-
[17]
Gibelli (A), 2002.
-
[18]
Terme inexact employé par le docteur Sthrol. Il s’agit de L’Opera Nazionale Balilla.
Introduction
1La deuxième vague d’immigration italienne qui arrive en France après le premier conflit mondial est la plus importante au monde, elle compte 1 016 090 personnes. Dans le bassin de Briey, premier centre ferrifère français situé dans le nord du département de la Meurthe-et-Moselle, ce sont environ 65 000 immigrés italiens [1] qui viennent travailler dans les mines, les usines sidérurgiques, le bâtiment. Parmi ceux-ci se développe une classe sociale émergente composée d’entrepreneurs du bâtiment, de commerçants, de cafetiers. Souvent, ils sont déjà là avant le premier conflit mondial et ont connu une ascension sociale rapide. Déjà en 1913, les ascensions sociales les plus remarquables concernent des entrepreneurs en bâtiment : Buzzi à Auboué 250 ouvriers, Ambrogetti à Homécourt 50 ouvriers, Vaglio à Homécourt 10 ouvriers [2]. Plus modestement, une partie d’entre eux ouvrent des petits commerces de produits italiens, logent leurs compatriotes célibataires ou tiennent des cafés. À Joeuf, fief de la famille De Wendel, une des plus puissantes dynasties du fer en France, on en dénombre 48 [3].
2Cette classe sociale qui a déjà réussi son processus d’intégration dans le monde du travail a entrepris un parcours de socialisation, déjà avant 1914, dans différents espaces culturels réservés aux Italiens, comme les sociétés théâtrales, musicales. Celles-ci, susceptibles d’être qualifiées d’identitaires, s’ouvrent cependant sur la bonne société française en participant à des œuvres de bienfaisance ou en accompagnant musicalement les défilés des sociétés patriotiques. On retrouve même certains entrepreneurs italiens aux côtés des notables locaux, des maîtres de forge lors des grandes courses cyclistes avant 1914 qui, en regroupant plusieurs milliers de spectateurs à l’arrivée, sont des espaces reconnus de sociabilité.
3De retour en France à partir de 1919, après avoir participé au premier conflit mondial en Italie, ces entrepreneurs italiens s’impliquent dans la vie associative en lui donnant une dimension nationaliste visant au repli identitaire de leurs compatriotes italiens. Quelles en sont les raisons ? Comment la communauté italienne a-t-elle investi ces nouveaux espaces, culturels, éducatifs, sportifs ? Quelles ont été les réactions des autochtones, de la classe politique locale, des maîtres de forge, détenteurs du pouvoir économique ?
4Il paraît tout d’abord nécessaire d’analyser la naissance de ce terreau nationaliste infiltré par le pouvoir fasciste de Rome au début des années 1930 en France, avant de mesurer l’ampleur et les conséquences de son succès à travers la communauté italienne du bassin de Briey.
1 – Une Italie interventionniste qui se sent spoliée par le traité de Versailles [4]
5En avril 1919, alors que le Conseil des quatre a réglé la question de la S.D.N., s’engage à Versailles le débat au sujet des nouvelles frontières de l’Italie. Il oppose Wilson aux deux représentants du gouvernement de Rome : le Président du Conseil Orlando et le très nationaliste ministre des Affaires étrangères Sonnino. Jouant sur les divisions de la classe politique transalpine et sur le peu d’empressement que mettent Clémenceau et Llyod George à soutenir les revendications italiennes, le Président américain reste ferme sur ses positions. S’il accepte l’annexion du Sud-Tyrol et le report de la frontière septentrionale jusqu’au Brenner, il refuse aux Italiens l’Istre orientale et la Dalmatie, tout en proposant pour Fiume un statut de ville libre. La rancœur du peuple italien se sentant floué va être largement utilisée par la propagande mussolinienne. Arrivé au pouvoir en 1922, Mussolini met en place une politique étrangère visant à restaurer le prestige de la grande Italie. Interventionniste de première heure dans le premier conflit mondial, celui-ci est auréolé d’une blessure dans les tranchées. Une majorité de combattants à présent démobilisés se reconnaît en lui, parmi eux plusieurs entrepreneurs en bâtiment des deux plus grands centres industriels du bassin de Briey, Joeuf et Homécourt.
2 – Les Fasci all’estero en France
6La création des « Fasci all’estero » a été une décision prise par le Duce lui-même [5]. Au congrès de San Carlo qui a lieu à Naples le 24 août 1921, Giuseppe Bastianini, sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères, rapporte que Mussolini considère déjà comme indispensable une meilleure tutelle des émigrés italiens. Dès le congrès de Milan de 1922, la décision est prise de constituer des « Fasci all’estero ». Chaque « Fascio » a pour chef un secrétaire politique nommé directement par le secrétaire général de plusieurs « Fasci » d’une même circonscription consulaire, pouvant être regroupé sous la direction d’un secrétaire de zone qui n’est autre que le secrétaire du « Fascio » de chef-lieu. Au niveau de chaque État est nommé un directeur national. Ces deux derniers responsables correspondent directement, pour rendre des comptes et recevoir des ordres, avec le secrétariat des « Fasci all’estero e nelle colonie ». Le premier secrétaire est Bastianini du 13 octobre 1923 au 15 novembre 1926. Il organise en octobre le premier congrès des « Fasci all’estero » et il y soutient une ligne dure « pour sauver l’italianité à l’étranger » ; ainsi, « toutes les actions à l’étranger doivent prendre un caractère politique fasciste car, sous des dehors apolitiques, elles contribuent à dénationaliser les émigrés ». Pour ce faire, un soin et une aide particulière doivent être apportés à la presse dans les principaux centres d’émigration. Le journal du secrétariat général Il Legionario, organo dei fasci all’estero, est le principal vecteur d’informations. Durant le premier semestre 1932, 580 correspondances et 745 photographies relatives aux activités des Italiens de l’étranger, parmi lesquelles celles des Italiens du bassin de Briey, sont publiées. Le quotidien sportif italien La Gazzetta dello Sport du 25 décembre 1934 définit clairement le rôle des sociétés sportives italiennes à l’étranger :
Comment ce sentiment d’italianité exacerbé s’est-il mis en place dans le bassin de Briey ? Quels sont les espaces de sociabilité fréquentés par la communauté italienne ayant répondu aux directives du gouvernement de Rome ? Dans quel cadre légal le gouvernement fasciste de Rome met-il en place la propagande destinée à ses émigrés ?« Pendant que fleurissent les activités sportives, voici un autre aspect ignoré, celui des activités sportives à l’étranger. L’Italie a de nombreux fils dispersés dans toutes les parties du monde. Ce sont nos compatriotes qui ont dû un jour immigrer pour trouver du travail. Ce sont les fils de nos frères immigrés, qui pour beaucoup nés en dehors de nos frontières sentent le désir de connaître leur Patrie d’origine, ils viendront chez nous pour connaître de plus près nos institutions, pour voir ce que le Duce a fait de cette terre. Dans l’impossibilité de retourner chez nous, ils se rapprochent de l’Italie d’une manière nouvelle : en fondant des sociétés sportives qui s’affilient à nos fédérations, permettant une œuvre saine de propagande qui n’a pas seulement le mérite de rassembler les Italiens qui vivent dans ces zones respectives mais aussi celui non moins important d’affirmer la présence des étrangers parmi eux, leur dévotion et leur sentiment vers la Patrie lointaine. Ces sociétés développant un très fort sentiment d’italianité sont fondées par nos compatriotes, ardents, passionnés et enflammés par l’amour qu’ils portent à l’Italie. »
2.1 – Le Fascio de Briey « U Maddalena », relais de la propagande fasciste chez les immigrés italiens
7Au milieu des années 1920, il existe une pratique identitaire dans différents espaces de sociabilité réservés aux Italiens : sociétés de secours mutuels, sociétés musicales, société cyclo-pédestre. Ce n’est qu’à partir de 1931 que ces différentes organisations vont être centralisées dans le cadre d’un « Fascio ». Celui-ci porte le nom d’un héros de l’Italie fasciste, Umberto Maddelena, commandant aviateur qui, avant de trouver la mort dans les eaux de Pise en 1931, a participé au sauvetage de l’expédition Nobile au Pôle Nord en survolant l’Atlantique avec le général Balbo. Ce « Fascio » qui dépend théoriquement de la zone du Parti National Fasciste de Nancy soutient et encourage les différents groupes sportifs et culturels visant à maintenir et à développer le sentiment d’italianité. Le commissaire spécial de Briey, dans un rapport au préfet de Meurthe-et-Moselle, le 25 juin 1931 [6], identifie clairement les liens qui unissent le pouvoir fasciste local et la classe sociale émergente italienne :
Quelle est l’emprise du pouvoir fasciste de Rome sur les associations culturelles, éducatives et sportives italiennes ? Quels en sont les initiateurs et qui les fréquente ? La protection sociale des immigrés, qui trouve déjà son origine en Italie avant 1914 dans le mouvement socialiste, est sans doute une des premières organisations infiltrées par le régime fasciste.« Il a été constitué au siège de l’agence consulaire de Briey et sous la présidence de M. Mombelli, Consul Général d’Italie à Nancy, le Fascio Umberto Maddelena. Le fiduciaire du Fascio de Metz, M. Longhini, qui était en mission spéciale et envoyé par Rome, a montré la nécessité de grouper les fascistes du bassin de Briey, Longwy possédant déjà le Fascio florissant Pietro Poli. M. Buzzi Pierre, entrepreneur de travaux publics à Mancieulles, a été nommé secrétaire politique de ce nouveau Fascio. M. Buzzi a déjà envoyé une circulaire à des sympathisants ou adhérents probables pour les engager à demander la carte fasciste. M. Amassari Alcide, secrétaire de l’agence consulaire de Briey, a été désigné pour faire une tournée de propagande dans les milieux italiens du bassin de Briey. Les adhésions à ce jour ont été peu nombreuses. Le siège du Fascio de Briey est fixé à l’agence consulaire de Briey. »
2.2 – Les fêtes des « Mutuo Soccorso » à Auboué, un espace communautaire italien reconnu par les dignitaires locaux
8Le Mutuo Soccorso [7] est une société de protection mutuelle ayant pour mission « de promouvoir l’amélioration morale et matérielle entre les ouvriers italiens dans l’incapacité de travailler suite à une maladie ». En 1926, à Auboué et dans les environs où vit une forte communauté italienne, son président est un cafetier très connu dont l’établissement, La Balance d’Or, est un haut lieu des sympathisants fascistes de cette cité industrielle, servant également de siège social au Gruppo Sportivo Italiano de football de cette ville.
9Des fêtes régulièrement organisées par cette société mettent au programme des groupes musicaux, des sociétés théâtrales, mais aussi des rencontres de football entre groupes sportifs italiens et des courses cyclistes ouvertes aux coureurs de toutes nationalités, qui sont le clou de la journée. Le sport et la culture contribuent ainsi au développement de l’italianité préconisé par le gouvernement de Rome. Il Legionario du 28 mars 1931 annonce la décoration à l’ordre de la Dante Alighieri (visant à promouvoir le développement des arts italiens) du président de la société musicale d’Auboué, Buzzi Giuseppe, entrepreneur en bâtiment. Celui-ci, dans un article de L’Est Républicain du 17 juillet 1922, met la société musicale italienne au service des festivités du 14 juillet : « La société musicale fondée par M. Buzzi, entrepreneur, s’est faite entendre pour la première fois à l’occasion du 14 juillet, hymne national et divers morceaux ». Selon les directives données par Mussolini en 1923, le pays d’accueil ainsi que ses habitudes locales doivent être respectés, particulièrement l’hommage rendu aux morts de la Grande Guerre. Ainsi, le journaliste de L’Est Républicain décrit la journée du 9 août 1929 où le président de la société de secours mutuel italienne, « Monsieur Vannini déposa au pied du monument aux morts trois gerbes de fleurs, touchant hommage de nos alliés transalpins. Les anciens combattants français ont aussi exprimé toute leur gratitude pour ce geste ». Notables français, représentants du gouvernement fasciste italien et classe sociale émergente italienne se côtoient ce jour-là : « un apéritif d’honneur réunissait le sympathique maire d’Auboué M. Sabouret entouré de son conseil municipal, M. Vercelli de Briey toujours présent quand il s’agit de resserrer les liens d’amitié franco-italienne, MM. Chemin, directeur et Red sous-directeur des usines de Pont-à-Mousson à Auboué, le représentant de la Croix-Rouge ».
10Ces fêtes italiennes, bien que fortement teintées d’accents nationalistes, ne se déroulent pas dans un repli identitaire : la communauté polonaise, deuxième nationalité présente dans cette région industrielle, est aussi conviée. Ainsi la fête du Mutuo Soccorso d’Auboué du 2 août 1931 est « classée parmi les plus belles journées de cette société, ce fut un magnifique défilé de drapeaux français, italiens et polonais ».
11Les représentants du pouvoir fasciste de Rome ont acquis une respectabilité qui se traduit lors de ces fêtes par la présence des notables locaux et des maîtres de forge. Les liens qui unissent la France et l’Italie durant les années 1920 connaissent leur apogée lors des manifestations sportives. À Joeuf, c’est la société cyclo-pédestre Aurora qui symbolise cette amitié franco-italienne.
2.3 – La società Ciclopodista Aurora
12Cette société, créée à Joeuf le 31 octobre 1923 [8], affirme clairement son italianité, tout d’abord par sa dénomination Società Ciclopodista Aurora, mais surtout à travers ses statuts. En effet, son but est « la protection et l’augmentation de notre prestige dans les champs des sports ». L’article 2 stipule que « seuls les Italiens ayant une bonne conduite morale peuvent être admis à cette société ». L’analyse du comité directeur laisse apparaître une originalité, tous les membres du comité directeur sont ouvriers, excepté un organisateur de course, Severino Gabriele, qui est commerçant. Le président Zambon Bartolo et le vice-président Cerruti Natale travaillent dans le bâtiment et sont respectivement maçon et charpentier. Leurs employeurs sont des entrepreneurs italiens en bâtiment qui ne cachent pas leur admiration pour l’Italie fasciste. Si les membres du comité directeur de cette association sportive italienne ne sont pas répertoriés comme membres actifs du « Fascio » de Briey, au début des années 1930 plusieurs d’entre eux s’inscrivent dans cette mouvance, notamment le secrétaire dénoncé par Le Réveil ouvrier du 29 octobre 1936 comme responsable, aux côtés d’autres fascistes de Joeuf, de la collecte d’or en faveur de la campagne d’Abyssinie.
13Cette société cycliste italienne connaît dans les années 1920 un succès important [9] à travers les membres de la colonie italienne, particulièrement chez les jeunes qui rêvent de devenir un jour professionnels, comme l’ont fait au début des années 1920 les deux coureurs italiens du bassin de Briey, Pietro Corini et Luigi Ravelli, qui courent pour le C.C.T. Nancy sous une licence professionnelle réservée aux étrangers [10]. De nombreuses courses permettent ainsi aux jeunes Italiens de s’illustrer, notamment à travers le Grand Prix des Jeunes entre 1924 et 1929.
3 – L’engouement des jeunes Italiens pour le sport cycliste, objet d’une attention particulière de la propagande mussolinienne dans le bassin de Briey
14Le Grand Prix des Jeunes a lieu chaque année et s’adresse aux coureurs amateurs de moins de 20 ans sans distinction de nationalité. Il est constitué de trois manches disputées à 15 jours d’intervalle sur un parcours différent pouvant aller jusqu’à 110 km. Dans cette région vallonnée, jalonnée de hauts-fourneaux et de puits de mine, les courses sont sélectives : seuls les coureurs déterminés s’inscrivent à cette épreuve. Les quinze premiers inscrits de la course du 16 avril 1926 sont des jeunes Italiens. À l’arrivée, sept Italiens sont classés parmi les dix premiers. Leur statut d’immigré, qui les situe en bas de l’échelle sociale, décuple leur rêve de gloire. Ceux-ci s’identifient à la vedette transalpine Ottavio Bottechia qui a remporté le Tour de France en 1924 et en 1925. C’est en héros qu’il est fêté par ses compatriotes lors de la 14e étape Metz-Dunkerque qui traverse le bassin de Briey, pour ses deux triomphes consécutifs. L’Italie s’unit en dehors de l’Italie et l’on oublie les fractures qui existent au pays [11], la lutte fasciste-antifasciste. Le sport devient ainsi un ciment national, telle est la volonté de Rome. À travers le champion italien qui gagne en terre étrangère, c’est également un peu de dignité laissée au fond de la mine ou dans la chaleur des hauts-fourneaux qui est retrouvée par les travailleurs immigrés.
15Ces courses organisées par la société Aurora vont perdurer jusqu’au début des années 1930. La popularité de ce sport n’échappe pas aux autorités consulaires italiennes présentes sur le territoire français. À Joeuf, lors des courses cyclistes, c’est le consul d’Italie de Nancy qui représente le gouvernement fasciste de Rome.
3.1 – Le Grand Prix de la ville de Joeuf aux couleurs de la France et de la Maison de Savoie
16Lors de ce Grand Prix Joeuf-Nancy et retour (200 km) du 14 juillet 1927, le consul d’Italie, le comte Gaetano Vecchiotti, suit dans sa voiture le peloton de tête. C’est devant plusieurs milliers de personnes massées sur les trottoirs de la rue de l’Hôtel de Ville qu’arrivent les premiers, dont deux héros de la communauté italienne du bassin de Briey, Luigi Ravelli et Pietro Corini, respectivement 7e et 10e. Quelques jours avant l’épreuve, le journaliste de L’Est Républicain mobilise la ferveur des Italiens de la région en précisant : « nous croyons que la colonie italienne réservera aussi d’agréables surprises. Ne dit-on pas que Corini et son rival Ravelli se disputent la faveur d’entraîner un lot imposant de leurs compatriotes ? Tous deux font servir utilement leur popularité dans le Pays-Haut et dans leurs clubs respectifs au recrutement des meilleures pédales ».
17La course cycliste est l’occasion d’une démonstration de fraternité entre les deux nations latines alliées pendant la Première Guerre mondiale, dont se fait l’écho L’Est Républicain du 25 juillet 1927 :
« À 17 h, le vin d’honneur est servi dans la salle des séances publiques à l’Hôtel de Ville qui a reçu pour la circonstance une superbe décoration ; les écussons des drapeaux unissent au balcon l’édifice des couleurs de la France et de la Maison de Savoie. La philharmonie des forges exécute les hymnes nationaux en l’honneur de ses invités et de Mr le Comte Vecchiotti consul général d’Italie. Monsieur le Maire prend la parole ‘je tiens à souligner la présence de Mr le consul d’Italie et lui dire tout le bien que nous pensons de ses compatriotes car nous ne saurons oublier qu’ils furent nos alliés pendant la Grande Guerre et que beaucoup des leurs sont tombés pour que la France vive. Ce soir, Monsieur le consul, au moment de l’illumination du monument élevé aux 250 enfants de Joeuf morts pendant la Grande Tourmente, nous confondrons nos héros avec les vôtres dans la même apothéose. Je lève mon verre aux sports, à l’Italie si bien représentée ici, à notre chère Lorraine et à la France’. »
19La journée se termine par un banquet de cent couverts dans le restaurant le plus huppé de cette cité industrielle. Notables français et italiens, après les courses cyclistes, fraternisent dans ce lieu de sociabilité où souvent se négocient des contrats juteux dans cet « Eldorado du fer ».
20Le cyclisme est le sport où les liens tissés entre les deux nations sont les plus étroits. La création du Critérium des Italiens de France va concrétiser en 1933 cette unité sportive franco-italienne.
3.2 – Le Critérium des Italiens de France ou l’intrusion de l’Italie fasciste dans la vie sportive française
21Cette épreuve est co-organisée par le journal L’Auto, La Gazzetta dello Sport et La Nuova Italia, organe du Fascio de Paris. L’Auto du 17 avril 1933 donne les principales caractéristiques de cette épreuve :
« L’Auto va organiser cette année pour le compte de l’Union Vélocipédique Italienne avec La Gazzetta dello Sport et La Nuova Italia et sous contrôle de l’Union Vélocipédique de France une grande épreuve réservée aux coureurs italiens domiciliés en France et ouverte à tous les coureurs italiens domiciliés en France et ouverte à tous les coureurs âgés de 16 ans au moins le jour de la course et possesseurs d’une licence U.V. italienne des catégories suivantes : indépendants, amateurs seniors et amateurs juniors. Le Critérium des Italiens de France comprendra cinq éliminatoires qui devront être disputées avant le 31 mai et une finale qui aura lieu le 18 juin dans la région parisienne sur un parcours de 150 km environ aboutissant au Vélodrome du Parc des Princes. Les éliminatoires envisagées sont organisées dans les villes suivantes : à Bordeaux le 7 mai, à Nice et à Grenoble le 14 mai. À Nancy, le 30 avril, la course est ouverte aux coureurs domiciliés dans les départements du Bas-Rhin, Haut-Rhin, Moselle, Meurthe-et-Moselle, Vosges, Haute-Saône, Doubs, Meuse, Haute-Marne, Côte d’Or, Ardennes, Marne, Aube, Yonne, Aisne, Pas-de-Calais, Somme, Oise, Seine-inférieure ».
23La Gazzetta dello Sport du 13 juin 1933, dans le résumé qu’elle donne à ses lecteurs de la première finale nationale du Critérium des Italiens de France, insiste sur la place tenue par le sport fasciste chez les immigrés italiens vivant en France :
« Beaucoup de coureurs avaient des maillots aux couleurs de la Patrie, au-delà de tous les facteurs sportifs se rejoignirent pendant la finale les efforts des initiateurs et des organisateurs d’approcher toujours plus intimement la Patrie à l’atmosphère du Fascisme et à l’admiration pour le Duce de nos frères résidant à l’étranger qui sentent aussi dans le sport un important levier pour le prestige de l’italianité dans le monde ».
25Comment prend corps, à travers le sport cycliste dans le bassin de Briey, ce sentiment de fierté d’être italien, de représenter les valeurs d’une nation qui revendique une place majeure sur l’échiquier international ?
3.3 – Les raisons d’une désaffection des courses cyclistes fascistes chez les immigrés italiens du bassin de Briey
26Malgré l’importance du nombre de coureurs italiens du bassin de Briey, que l’on peut estimer à plus de cent cinquante dans les années 1930, le « Fascio » de Briey n’est pas représenté dans cette épreuve réservée aux Italiens résidant en France. Seuls deux coureurs issus des cités industrielles de Moutiers et d’Auboué participent régulièrement à cette course sous les couleurs de l’agence consulaire italienne de Nancy. Ils rejoignent ainsi ponctuellement le Gruppo Sportivo Italiano de la préfecture de Meurthe-et-Moselle. La classe sociale émergente italienne, présente dans les Gruppi Sportivi Italiani de football et de rugby du bassin de Briey au début des années 1930, ne s’occupe pratiquement plus de cyclisme, seul un marchand de cycles homécourtois italien affiche sa sympathie au régime mussolinien. Les commerçants français, déjà présents avant 1914 dans l’organisation des courses cyclistes, après avoir laissé le champ libre à la Società Ciclopodista Aurora durant les années 1920, sont de nouveau présents dans l’organisation des courses. La seule compétition cycliste qui sert de tremplin à la propagande fasciste dans le bassin de Briey est organisée en 1938. La course Briey-Nancy-Briey a lieu le 25 juin durant le Front populaire ; trois coureurs italiens du bassin de Briey participent à cette course. Les représentants du pouvoir fasciste de Rome et les autorités sportives françaises ne semblent pas préoccupés par les importants mouvements sociaux qui ont secoué le bassin de Briey en juin 1936 et l’élection d’un député de gauche [12] dans la circonscription qui va donner un élan au sport populaire :
« M. Tabacchi, président du Foyer italien, Mr Édouard Tagliavacchi, président du Groupe Sportif Italien, Mr Paul Voisset, chef délégué sportif de l’U.V.F. vérifient les licences. À l’arrivée, M. le marquis Patrizi de Ripacandida, consul général d’Italie tient à féliciter ses jeunes compatriotes. »
28Le sport cycliste au milieu des années 1930 connaît un essor qui se manifeste par la multiplication des courses locales et régionales dotées de prix conséquents. À partir de 1936, la F.S.G.T., présente dans de nombreuses usines en Lorraine, séduit les jeunes immigrés italiens qui se syndiquent en masse à la C.G.T. [13] Les prix offerts lors des grandes courses travaillistes concurrencent désormais ceux de l’U.V.F. Dans ce contexte, les coureurs cyclistes italiens vivant dans le bassin de Briey laissent peu de champ au développement de la propagande fasciste orchestrée par le pouvoir de Rome. Le Grand Prix Salengro Nancy-Longwy en 1938 est marqué par une domination écrasante des coureurs italiens [14]. En 1939, les quatre premiers à l’arrivée de cette course travailliste sont également italiens [15].
29Si la communauté italienne dans cette région industrielle n’a pas adhéré par le biais du cyclisme à la propagande sportive fasciste, le rugby par contre devient le sport emblématique du régime mussolinien.
4 – Le Gruppo Sportivo Italiano de rugby Homécourt-Joeuf
30Le club de rugby italien des deux plus grands centres industriels du bassin de Briey est créé le 2 juillet 1930 par deux entrepreneurs appartenant au Parti National Fasciste, Ettore Casali (président) et Ettore Ambrogetti (vice-président), respectivement responsables de l’école italienne de Joeuf et de l’association des anciens combattants italiens d’Homécourt-Joeuf. Ces deux dirigeants s’inscrivent dans une approche virile d’une éducation de la jeunesse reprise par Achille Starace, secrétaire général du parti fasciste italien, dans La Gazzetta dello Sport du 27 janvier 1932 :
« Le jeu de rugby est un sport de combat qui doit être pratiqué et largement diffusé à travers la jeunesse fasciste. Déjà en précédentes occasions le Gerarca (dignitaire) avait donné son encouragement à la diffusion du jeu en précisant son intention qu’il devienne un complément nécessaire à la culture physique et à l’éducation fasciste de la jeunesse. »
32Ce club participe au développement de l’italianité chez les immigrés, préconisé par le gouvernement de Rome ; celui-ci n’a-t-il pas renforcé ce sentiment identitaire en remplaçant le terme rugby par « palla-ovale » ? L’article deux stipule que tous les membres actifs doivent être de nationalité italienne. Dès sa création, le club de rugby compte 60 adhérents. Afin d’élargir son audience auprès de la communauté italienne, cette société crée une section de cyclotourisme qui organise de nombreuses sorties le dimanche.
33Si la pratique du rugby parmi la communauté italienne du bassin de Briey répond aux injonctions du régime fasciste, culturellement ce sport n’a pas un ancrage fort chez les ouvriers transalpins. Comment ce nouveau club a-t-il réussi à s’implanter dans une région où la pratique sportive organisée par le clergé local et les maîtres de forge est en pleine expansion ?
4.1 – Les raisons d’un développement rapide du club de rugby fasciste
34Le rugby à Joeuf existe depuis 1921, il est l’émanation d’un patronage « La Légion de Franchepré ». À partir de 1926, ce club s’affilie à la Fédération Française de Football-Rugby, association sous l’appellation l’Union Sportive Joeuf-Homécourt. Cette nouvelle association est financée et aidée dans ses déplacements par la famille De Wendel, propriétaire des forges de Joeuf, qui met également un terrain à sa disposition. Rapidement, ce club devient le meilleur club de Lorraine et fait jeu égal avec les meilleurs clubs parisiens. Dès sa création, les deux entrepreneurs italiens, Ettore Casali et Ettore Ambrogetti, font partie des membres actifs de ce club. Plusieurs jeunes Italiens, séduits par ce nouveau sport, jouent en équipe première. Aringoli et Castelletta jouent à l’avant, Daros en demi, le fils du président du club de rugby italien, Ettorino Casali, joue en réserve. Ces joueurs vont constituer l’ossature du Gruppo Sportivo Italiano de Rugby. L’entraînement du club italien a lieu trois fois par semaine les mardis, jeudis et vendredis sur le terrain du club français prêté par l’usine. L’Est Républicain du 9 avril 1930 précise que « le manager français Mr Delbac de l’Union Sportive Homécourt-Joeuf surveillera l’entraînement et donnera les notions nécessaires ». Quel est le niveau de jeu de l’équipe italienne ?
4.2 – Une équipe performante liée au destin de son président
35Cette équipe italienne ne joue dans aucun championnat ; en France, c’est le seul Groupe Sportif Italien pratiquant ce sport. C’est donc dans le cadre de challenges et de matchs amicaux, notamment contre l’équipe du 4e régiment de dragon de Verdun, que les jeunes Italiens s’adonnent à leur passion. Si les premières parties se soldent par de courtes défaites contre des clubs français de niveau régional, à partir de 1931 l’équipe italienne commence à gagner ses matchs. Les responsables du « Fascio » de Briey font en sorte que quatre des meilleurs éléments de cette équipe soient sélectionnés dans une équipe italienne qui rencontre l’équipe de Roumanie en 1933. Suite au décès accidentel de son président Ettore Casali en avril 1934, l’équipe italienne est dissoute ; ses meilleurs éléments rejoignent l’équipe française locale qui disparaît également en 1935 suite à des dissensions entre joueurs et dirigeants. Si le décès du président du club de rugby italien marque la fin du Groupe Sportif Italien, une autre mission que lui avait donnée le consulat italien de Briey, celle d’envoyer les enfants des immigrés italiens dans les colonies de vacances mussoliniennes, perdure.
5 – Les entrepreneurs italiens agents du consulat de Briey organisent les séjours dans les colonies de vacances mussoliniennes
36C’est dans le cadre de l’O.N.B. [16] que sont envoyés les enfants des immigrés italiens dans les colonies fascistes. Le 30 mars 1930, le consulat de Nancy adresse une lettre à ses agents leur demandant « de centraliser les sommes d’argent afin que soient employés les moyens disponibles pour que les enfants de nos co-nationaux puissent aller plus nombreux passer un mois sous le beau ciel d’Italie dans les colonies Marines et Montagnes ». Dans le bassin de Briey, les dix agents concernés membres du Parti National Fasciste font tous partie de la classe sociale émergente italienne, soit comme entrepreneurs en bâtiment ou en travaux publics, soit comme cafetiers. Dès 1928, ce sont cent à cent cinquante enfants du bassin de Briey qui partent au bord de la mer tyrrhénienne, sur les côtes adriatiques ou dans les Alpes italiennes, afin de profiter des bienfaits de l’air et du soleil, mais aussi pour y subir un embrigadement paramilitaire. À la gare de Metz en août 1928, le commissaire spécial note que 50 fascistes accompagnent 800 enfants. En 1929, les autorités italiennes affirment avoir accueilli dans les colonies de vacances plus de 6 000 enfants vivant en France. Le commissaire spécial de Longwy, dans son rapport au sous-préfet de Briey le 16 mai 1929, fait connaître « que les fascistes italiens envisageaient l’envoi en vacances de jeunes de 14 à 18 ans qui seraient regroupés en Italie dans des camps spéciaux où ils devaient recevoir pendant les deux mois de vacances une intense instruction de préparation militaire spéciale et plus particulièrement croit-on ils seront entraînés au tir de tous les engins portatifs ». Cette préparation militaire prend un caractère de plus en plus belliqueux à partir du 27 octobre 1937 (l’Opera Nazionale Balilla est absorbée par la Gioventù italiana del littorio qui en reprend toutes les structures et les devoirs, mais qui passe désormais sous le contrôle du Parti National Fasciste) [17].
37De nombreux immigrés italiens envoient leurs enfants dans ces colonies de vacances ; ce ne sont pourtant pas, pour la majorité d’entre eux, de fervents partisans de l’idéologie fasciste. La nostalgie de leur pays d’origine, la volonté que leurs enfants connaissent la terre de leurs ancêtres, mais puissent aussi profiter gratuitement des bienfaits de la mer et du soleil, sont les motivations essentielles de cette adhésion à la propagande mussolinienne. Seuls les membres actifs du Parti National Fasciste, constitué en grande majorité dans le bassin de Briey par la classe sociale émergente italienne, représentent les relais actifs de la propagande mussolinienne en France.
38Ces colonies de vacances suscitent en France l’admiration du docteur Strohl, directeur de la revue Éducation physique et collaborateur de Georges Hébert qui, dans un article publié par L’Auto le 20 mai 1933, fait l’éloge de :
« l’élan donné à l’éducation physique et sportive par l’Italie fasciste qui façonne du point de vue physique et moral sa jeunesse et sa relève de demain » ; l’article précise les moyens mis en œuvre, « qui consistent à créer des installations pour la cure de soleil des colonies marines, des colonies montagnes. Dans ce domaine l’Organizzazione Nazionale Balilla [18] peut s’enorgueillir de réalisations magnifiques. Certaines colonies sont permanentes, la colonie Dux de Carrare par exemple. En 1932, deux cent mille enfants ont reçu l’hospitalité des colonies. Trois mille médecins prêtent chaque année leur concours à l’O.N.B. »
Conclusion
40Si la classe sociale émergente italienne en France, particulièrement dans le bassin de Briey, a servi de relais à la propagande fasciste italienne, elle a bénéficié d’un terreau favorable à sa mission de défense de l’italianité chez les immigrés. Le ressentiment d’une partie des Italiens, exprimé suite au traité de Versailles, la montée de la xénophobie engendrée par la crise économique au début des années 1930, la place accordée au sport dans la propagande fasciste, sont autant de facteurs qui ont favorisé le développement de la défense de l’italianité chez les immigrés. Ainsi, les associations d’anciens combattants, les sociétés de secours mutuels, les sociétés musicales et les Groupes Sportifs Italiens ont fédéré une partie de l’immigration italienne vivant à l’étranger. Le pouvoir politique français de l’entre-deux-guerres, excepté le Cartel des Gauches accueillant de nombreux antifascistes, ne rejette pas le régime mussolinien. C’est seulement à partir de l’invasion de l’Éthiopie en 1935 et sa condamnation par la S.D.N. que les relations diplomatiques entre la France et l’Italie se refroidissent. Le pouvoir économique local représenté par les maîtres de forge ne cache pas son admiration pour le régime mussolinien et ceci jusqu’à l’aube du deuxième conflit mondial ; ainsi, il aide directement les associations sportives fascistes en leur prêtant ses terrains de sport. Dans un contexte de montée de revendications du monde ouvrier, le fascisme représente un rempart contre celles-ci. L’œuvre sportive de l’Italie fasciste suscite également l’admiration du quotidien sportif français L’Auto, co-organisateur avec La Gazzetta dello Sport et de La Nuova Italia du Grand Prix des Italiens de France. Seuls les partis de gauche français et les antifascistes italiens réfugiés en France s’opposent de manière virulente à la propagande fasciste orchestrée en France par le gouvernement de Rome. L’organe de la C.G.T., Le Réveil Ouvrier du 15 novembre 1930, dénonce « les chemises noires… en culotte » du club de rugby italien et de Joeuf et met en garde contre le repli identitaire préconisé par la propagande fasciste : « Jeunes camarades, ne tombez pas dans le piège qui vous est tendu, la clique fasciste veut vous enrôler dans ses rangs pour servir sa propagande ». Cependant, on peut constater que cette volonté de renforcer l’italianité touche essentiellement la classe ouvrière en l’éloignant de la pratique sportive des autochtones. En effet, nous pouvons souscrire à l’affirmation de Didier Francfort pour qui « le fascisme loin d’être un instrument d’une identité italienne menacée par l’assimilation a d’une certaine façon joué la carte de l’intégration d’une élite de la communauté immigrée à la bonne société locale française ».
Sources
41Italiennes
42(Archivio Centrale dello Stato Roma)
43Presidenza Consiglio dei Ministri Anni, 1928-1930.
44Ministero della Cultura Popolare Gabinetto
45(busta 84) Fasci all’estero 1 maggio 1926.
46Ministeri Affari Esteri 8 settembre 1938 : Essai sur la gymnastique de la G.I.L.E. (Gioventù Italianà del Littorio dell’Estero).
47Ministero della Cultura Popolara Direzione Generale Propaganda
48Francia
49(busta 68) 10 gennaio 1933 : nombreux adhérents au Dopolavoro de Joeuf-Homécourt.
50(busta 69) 30 aprile 1932, Fascio U Maddalena Briey.
51Françaises
52(Archives diplomatiques Nantes)
53Rome Quirinal Ambassade Série A 921
54Politique étrangère italienne 1929. Rapports franco-italiens.
5523 mars 1929 : ministère des Affaires étrangères à l’ambassade de France à Rome : circulaire du Parti National Fasciste italien intitulée « Pour conserver l’italianité des émigrants en France. Tu es italien, tu dois rester italien ». Cette circulaire est actuellement répandue parmi les transalpins résidant en France particulièrement en Moselle et Meurthe-et-Moselle par le soin des agents consulaires italiens.
56(Archives départementales Meurthe-et-Moselle)
57A.D.M.M., 4 M 112, Associations italiennes.
58A.D.M.M., 1 Z 56, Étrangers, enquêtes, sociétés 1925-1950.
59A.D.M.M., X 992, Sociétés de secours mutuels italiennes.
60A.D.M.M., 4 M 138, Italiens, principalement rixes entre eux.
Journaux consultés
61Italiens
62Il Legionario 1932
6323 gennaio. 5 marzo. 12 marzo. 19 marzo. 26 marzo. 7 maggio. 18 giugno. 25 giugno. 2 luglio. 16 luglio. 23 luglio. 30 luglio. 13 agosto. 10 settembre. 17 settembre. 24 settembre 5 novembre. 24 dicembre.
64La Gazzetta dello Sport 27 gennaio 1932. 13 giugno 1933. 25 dicembre 1934
65Français
66L’Auto 17 avril 1933
67L’Est Républicain 17 juillet 1922. 25 juillet 1927. 25 juin 1938. 7 août 1939
68Le Réveil ouvrier 15 novembre 1930. 29 octobre 1936
Bibliographie
Bibliographie
- Bonnet S., Santini C., Barthelemy H., (1962). Les Italiens dans l’arrondissement de Briey avant 1914, Annales de l’Est, 1, 1-91.
- Francfort, D. (1991). Être mussolinien en Lorraine : les fascistes italiens face aux associations (1921-1939). Revue d’histoire contemporaine, avril-juin 1991.
- Favero, J.-P., (2006). L’immigration italienne et le sport dans le bassin de Briey, fin du XIXe siècle début des années 1940 du XXe siècle. Thèse de doctorat non publiée, Université de Metz.
- Gibelli, A. (2002). Gioventù italiana del littorio (Gil). In V. de Grazia & S. Luzzato, Dizionario del fascismo, Torino: Einaudi editore, p. 588-600.
- Marchesini, D. (2002). Lo Sport. In P. Bevilacqua, A. De Clementi & E. Franzina, Storia dell’emigrazione italiana, Arrivi. Roma : Donzelli editore, p. 397-418.
- Martinois, R. (1988). Si Joeuf m’était posté. Métamorphose d’un village en cité industrielle, Ardenn’Offset.
- Milza, P. (1999). Mussolini, Paris, Fayard.
- Wiegand-Sakoun, C. (1986), Le fascisme italien en France. In Milza, P, Les Italiens en France de 1914 à 1940. Paris, Collection de l’École française de Rome, p. 431-467.
Mots-clés éditeurs : fascisme, immigration italienne, sport
Mise en ligne 23/08/2007
https://doi.org/10.3917/sta.077.0107Notes
-
[1]
A.D.M.M., 1 Z 56, Étrangers, instructions, correspondance, groupements et sociétés 1925-1950.
-
[2]
Bonnet (S), Santini (C), Barthelemy (H), 1962.
-
[3]
Martinois (R), 1989.
-
[4]
Milza (P), 1999. Pierre Milza précise que la guerre n’a pas supprimé les clivages entre « neutralistes » et « interventionnistes ». Les premiers, parmi lesquels on retrouve les libéraux giolittiens, les socialistes et les démocrates chrétiens, se déclarent favorables à l’établissement d’une paix anti-impérialiste. Les seconds se trouvent désormais divisés entre une tendance nettement expansionniste, pour laquelle les clauses du traité de Londres sont jugées insuffisantes, et la tendance des « renonciateurs », où se trouvent des interventionnistes de gauche.
-
[5]
Wiegand-Sakoun (C.),1986.
-
[6]
A.D.M.M., 4 M 138, Italiens, principalement rixes entre eux.
-
[7]
A.D.M.M., X 992, Sociétés de secours mutuels italiennes.
-
[8]
A.D.M.M., 4 M 112, Associations italiennes.
-
[9]
Nous avons recensé de 1924 à 1929, 169 coureurs qui ont participé à 40 courses dans la rubrique sportive des journaux : L’Avenir de la Vallée de l’Orne, L’Éclair de l’Est, L’Est Républicain. Parmi ceux-ci, 72,78 % d’Italiens et 27,22 % de Français.
-
[10]
Pietro Corini, né en 1887 en Italie, et Luigi Ravelli, né en 1901à Homécourt, tous deux issus du grand centre industriel d’Homécourt dans le bassin de Briey, vont être les deux seuls Italiens de Lorraine à courir sous licence professionnelle de 1920 à 1928. Pietro Corini participera au Tour de France 1926 à 39 ans.
-
[11]
Marchesini (D), 2002.
-
[12]
Il s’agit de Philippe Serre, Indépendant de Gauche.
-
[13]
A.D.M.M., 1 Z 56, Étrangers, enquêtes, sociétés 1925-1950. Lettre du 21 janvier 1937 du sous-préfet de Briey au préfet de Meurthe-et-Moselle : « Les Italiens manifestent très ouvertement leurs sentiments politiques depuis les accords de Matignon. La grande majorité des ouvriers ont adhéré aux syndicats professionnels récemment formés. »
-
[14]
L’Est Républicain, 25 juillet 1938 : « Le Belge Schmitt triomphe dans Nancy-Longwy (à 37km/h de moyenne), un gros succès F.S.G.T. Classement : 2e Pazzogna Nello (Longwy), 3e Sanotto (Longwy), 4e Cocomeri (Longwy), 5e Gentilucci (Herserange), 6e Negroni (Longwy), 8e Pazzogna Mario (Longwy), Mazzavolo (Longwy), 12e Antonioli Dino (Piennes). »
-
[15]
L’Est Républicain, 7 août 1939 : « 1er Noloni (Longwy), 2e Cocomeri (Longwy), 3e Antonioli Ezio (Piennes), 4e Antonioli Dino (Piennes). »
-
[16]
A.C.S.Roma, Presidenza Consiglio dei Ministri Anni, 1928-1930 : « L’O.N.B. comprend deux formations, celles des Balilla comprenant les garçons de huit à quatorze ans et des Avanguardisti concernant les garçons de quatorze à dix-huit ans. C’est seulement à partir de 1929 qu’elle englobe les formations féminines du Parti Fasciste nommées ‘Picolle italiane’ et ‘Giovani italiane’ avec une division interne à peu près analogue à celle des hommes. »
-
[17]
Gibelli (A), 2002.
-
[18]
Terme inexact employé par le docteur Sthrol. Il s’agit de L’Opera Nazionale Balilla.