Staps 2006/3 no 73

Couverture de STA_073

Article de revue

Interactions sociales en dyades symétriques et dissymétriques dans une situation d'apprentissage au handball

Pages 25 à 38

Notes

  • [1]
    Il s’agit de deux classes issues d’un collège de banlieue plutôt favorisé, de deux classes issues d’un collège semi-rural de milieu socio-économique moyen ou défavorisé et de trois classes issues d’un collège urbain classé ZEP avec un métissage d’élèves issus de milieu favorisé et d’élèves issus de l’immigration.

1Cette étude est ancrée dans le cadre théorique général de la psychologie sociale du développement et des acquisitions. Les perspectives socioconstructivistes sont représentées par deux grands courants théoriques : les perspectives psycho-sociales représentées par l’École de Genève et l’École d’Aix et l’approche sociohistorique de Vygotski (1934/1985).

2L’approche socioconstructiviste centrée sur le conflit sociocognitif, développée par l’école de Genève (Perret-Clermont, 1979, 1988 ; Mugny et Doise, 1981, Doise et Mugny, 1997) montre le rôle des interactions sociales plutôt symétriques dans le développement cognitif. Ces études mettent en évidence le rôle important du conflit de centration, d’origine sociale, dans la structuration individuelle et dans l’élaboration de nouvelles régulations cognitives. L’enfant est amené à coordonner ses actions avec autrui et c’est au travers de ces coordinations qu’il sera en mesure d’élaborer des systèmes d’organisation de ses actions sur le réel. C’est dans ces conditions de coordinations interindividuelles, que l’individu, par un mécanisme de décentration, élaborera ses structures cognitives. Cependant, l’apparition des progrès n’a lieu que si un conflit sociocognitif (CSC) s’instaure entre les partenaires. Le conflit, pour donner lieu à une restructuration cognitive, doit être particulièrement fort et donc, mettre en évidence des désaccords entre les partenaires, désaccords qui doivent être débattus et argumentés afin de donner lieu à un CSC.

3Les travaux de la psychologie sociale fonctionnelle complètent et nuancent la théorie du CSC. Ainsi, Gilly, Fraisse et Roux (1988) démontrent l’efficacité possible de modalités d’interaction sans conflit (co-élaboration acquiescante, co-construction, confrontation avec désaccords non argumentés). Ces travaux mettent en avant l’influence des dynamiques interactives et des mécanismes sociocognitifs dans la résolution de problèmes logiques. Ils mettent en évidence la supériorité de la co-élaboration sur la résolution de problèmes en situation individuelle. Malgré des points de vue différents, ces deux courants ont en commun de mettre en évidence l’importance des interactions sociales entre pairs et d’analyser les conditions d’efficacité de ces interactions.

4D’un autre côté, Vygotski (1934/1985, 1935/1985) développe une conception socioconstructiviste, dans laquelle l’importance des interactions sociales et de la relation d’aide est majeure. Selon Vygotski, c’est au sein d’interactions sociales dissymétriques que l’enfant intériorise les instruments de la culture grâce à l’aide d’un adulte ou d’un pair de niveau plus avancé. Bruner (1983), en définissant la notion d’interaction de tutelle et d’étayage de l’adulte, inscrit ses travaux dans cette lignée théorique.

5Pour Winnykamen (1990), « les interactions dyadiques représentent le cas le plus simple, à partir duquel on peut tenter de déterminer les conditions nécessaires à la réalisation de la symétrie. Ces conditions concernent chacun des partenaires, la nature des relations établies entre eux, la tâche à exécuter, le déroulement temporel de cette tâche, le contexte social » (p. 110). Bien que l’auteur signale que la symétrie n’est jamais totalement respectée et qu’une relation symétrique évolue pendant la phase d’interaction, les conditions d’efficacité respective des interactions symétriques/dissymétriques sont envisagées en relation avec la nature des tâches à réaliser et des problèmes à résoudre. Cependant, pour l’École de Genève, bien que les dyades symétriques semblent les plus favorables aux apprentissages cognitifs, Doise et Mugny (1997) notent à propos du CSC : « une manière d’induire de tels conflits est de former les groupes avec des enfants de niveaux cognitifs différents » (p. 118). Il apparaît alors que, si la symétrie de statut semble propice aux interactions donnant lieu à des confrontations de points de vue, une légère dissymétrie de compétence puisse se révéler favorable aux progrès.

6Dans le cas de l’acquisition des habiletés motrices, quelques études récentes ont envisagé les modalités sociales et interactives en matière d’interactions dyadiques et de coopération. En premier lieu, d’Arripe-Longueville (1998) et d’Arripe-Longueville, Huet, Gernigon, Winnykamen et Cadopi (2002) montrent la supériorité du travail en situations dyadiques symétriques et dissymétriques sur un travail individuel dans l’acquisition d’une habileté motrice complexe (le virage brasse). Les interactions verbales entre pairs sont analysées dans ce travail mais les interactions relèvent également de l’imitation modélisation ou de la démonstration explicitée, ce qui n’est pas le cas dans notre recherche. Par ailleurs, d’Arripe-Longueville, Fleurance et Winnykamen (1995) mettent en évidence l’efficacité supérieure du travail en situations dyadiques symétriques et dissymétriques sur le travail individuel dans l’acquisition d’une habileté gymnique chez des adolescents de 14 à 16 ans. Ces travaux cherchent à démontrer la validité de l’interaction sociale paritaire comme moyen d’apprentissage pour des adolescents confrontés à une habileté particulière, en l’occurrence, une habileté morphocinétique. Des travaux récents portent sur le rôle des interactions verbales pour développer des stratégies de jeu et la coopération au sein de l’équipe (Lafont, Proères, Menaut et Poitreau, 1999 ; Nachon, Chevalier, Wallian et Gréhaigne, 2004). Lors d’une étude pilote, Darnis-Paraboschi, Lafont et Menaut (2002), mettent en évidence l’efficacité des interactions dyadiques symétriques sur les choix tactiques dans une situation d’apprentissage au handball lors du post-test différé et pour une mesure comportementale. Les études présentées dans cet article se situent dans le prolongement de ce travail en introduisant d’autres mesures (déclarative et de performance) et un facteur lié à la dissymétrie de compétence dans la composition des dyades. Dans cette étude, l’âge des participants correspond à l’accès à la pensée formelle et au début des apprentissages en sports collectifs pour beaucoup de collégiens. Darnis (2004) montre la relation entre les opérations cognitives et l’acte tactique chez des sujets de 11 à 16 ans, novices dans l’activité. Ainsi, il apparaît que les interactions sociales puissent jouer un rôle favorable à la construction de compétences tactiques dans une situation de résolution de problème chez des enfants jeunes et relativement novices dans l’activité.

7La logique interne des sports collectifs, activités de coopération et d’affrontement, nécessite et favorise la mise en jeu d’interactions sociales. En ce sens, il apparaît que le sujet est amené à coopérer, c’est-à-dire opérer avec autrui, pour construire des actions efficaces. Dans une perspective socioconstructiviste des apprentissages (Grehaigne et Godbout, 1995), le joueur doit développer un comportement adaptatif dans l’interaction avec le milieu tout en interagissant avec autrui. Ainsi, une approche intégrative des travaux de Piaget et de Vygotski pour des recherches sur les apprentissages scolaires (Brossard et Fijalkow, 1998 ; Vergnaud, 1999) devrait particulièrement intéresser la didactique des sports collectifs. Alors que l’approche piagétienne est résolument constructiviste, accordant une importance particulière aux interactions du sujet avec son environnement physique et les objets qui l’entourent, à l’éclairage des travaux de Vergnaud (1999), nous prendrons le parti de considérer les activités langagières comme ayant une double fonction de communication et de représentation, en tant que conceptualisation de l’action. En ce qui concerne la construction de compétences tactiques, il semblerait que le langage puisse avoir un rôle d’outil conceptuel. C’est avant tout dans la conceptualisation, dans la prise de conscience pour construire des règles d’action constitutives de schèmes plus élaborés et généralisables (Vergnaud, 2002) que l’éclairage des apports du psychologue russe semble incontournable.

8Proposer une démarche visant à développer des compétences tactiques dans l’interaction sociale pose le problème du rôle du langage et de la prise de conscience dans la construction de schèmes d’action. Pour Vygotski (1935/1985), le langage est un outil ou un instrument de la pensée et le développement d’opérations cognitives nécessite une intrumentalisation dans laquelle le langage joue un rôle important. La prise de conscience apparaît également un point clé de la conception vygotskienne du développement de la pensée. Pour Vergnaud (2000), « il n’est pas excessif de dire que Vygotski est le psychologue de la conscience et de la prise de conscience » (p. 83). À travers les notions de conscience avant / conscience après, Vygotski (1934/1985) développe l’idée qu’il faut être conscient des propriétés de l’objet pour agir efficacement (c’est la conscience avant), mais que la prise de conscience peut poursuivre son chemin après l’action, dans une sorte de retour réflexif (c’est la conscience après). Cela correspond à une idée proche de celle développée par Piaget (1974a, 1974b). En effet, celui-ci établit une différence entre « réussir » et « comprendre ». La réussite d’un exercice serait inhérente à la tâche et relèverait de savoir-faire qui peuvent être implicites ou intuitifs, alors que la compréhension se placerait du côté du processus. Ainsi, explique Piaget (1974b), « réussir, c’est comprendre en action une situation donnée, à un degré suffisant pour atteindre les buts proposés. Comprendre c’est réussir à dominer en pensée les mêmes situations jusqu’à pouvoir résoudre les problèmes qu’elles posent quant au pourquoi et au comment des liaisons constatées et par ailleurs utilisées dans les actions » (p. 237) Pour Piaget, la réussite d’une action ne nécessite pas obligatoirement une prise de conscience, alors que chez Vygotski, la conscience constitue un des aspects fondamentaux de la genèse du comportement humain. Les propriétés du fonctionnement sociosémiotique feraient l’objet d’une appropriation et d’une intériorisation, ce qui permettrait aux régulations inter-psychologiques de se transformer en régulations intra-psychologiques dans une conception holiste du développement de la conscience.

9Vygotski (1934/1985) établit une relation entre prise de conscience et généralisation. Ainsi, proposer une démarche d’apprentissage visant à développer la compréhension et la généralisation de schèmes, passe par la conceptualisation ou la prise de conscience et repose sur des phénomènes métacognitifs. Ainsi, pour Flavell (1985), la métacognition concerne trois aspects : les personnes, les tâches et les stratégies. Les connaissances métacognitives correspondent aux connaissances que l’apprenant possède à propos de ses propres connaissances et de son fonctionnement cognitif.

10Plusieurs travaux étudient la relation entre connaissance et performance dans le développement de l’expertise pour des situations motrices complexes exécutées sous forte pression temporelle. French et Thomas (1987), Thomas et Thomas (1994), mettent en évidence l’importance simultanée des connaissances déclaratives, des connaissances procédurales et des habiletés motrices dans la performance en sports collectifs. Pour Williams et Davids (1995), les connaissances déclaratives sont acquises à travers l’action dans le jeu et les connaissances procédurales permettent leur rétention. Cependant, Davids et Myers (1990) et Menaut (1993) s’interrogent sur l’importance des connaissances tacites ou implicites dans les sports collectifs. Il semblerait que, lorsque l’expertise augmente, il y ait davantage de place pour les comportements intuitifs et des processus d’apprentissage implicites guideraient la performance. Les connaissances personnelles deviendraient alors moins faciles à verbaliser mais seraient davantage transférables par l’observation et l’expérience directe. Poplu, Baratgin, Mavromatis et Ripoll (2002, 2003) montrent que les experts acquièrent des connaissances spécifiques fonctionnelles, accessibles implicitement, se référant à l’association d’un pattern de jeu et d’une solution pertinente lui correspondant lorsque la situation est relativement simple. Cependant, lorsque la tâche nécessite une prise de décision plus complexe et une planification de l’action, les processus d’explicitation de l’action seraient nécessaires. Raab (2003) montre que le niveau de complexité détermine la prépondérance d’un apprentissage explicite sur un apprentissage implicite. En effet, les recherches menées sur des adultes en basket-ball, handball et volley-ball montrent que l’apprentissage implicite à la prise de décision est plus favorable lorsque le niveau de complexité est faible. Par contre, pour des situations porteuses d’un haut niveau de complexité, l’apprentissage explicite se révèle supérieur. Sans minimiser le rôle des apprentissages implicites, il nous semble que, chez des sujets jeunes et novices, lors du stade « verbo-moteur » de l’apprentissage (Adams, 1971), et pour une situation relativement complexe, l’émergence des règles d’action demeure un acte fondateur de la construction de connaissances et de schèmes d’action.

11L’importance accordée à l’analyse des bases de connaissances des pratiquants positionne notre travail de recherche dans une perspective de la pédagogie par la compréhension (Barth, 1993) ou de l’enseignement des jeux par la compréhension (Grehaigne, Godbout et Mahut, 1999). Bien que Vygotski (1934/1985) repère des discordances entre la formation d’un concept et sa restitution verbale, nous envisageons la formulation de règles d’action comme outil au service de la prise de décision. À l’éclairage des concepts vygotskiens de conscience avant et de conscience après, nous proposons d’envisager un va-et-vient entre la situation de terrain et la phase d’interaction en dyades. En effet, considérant l’apprentissage comme une construction spiralaire, la prise de conscience engendrée par les phases d’interactions verbales en amont de l’action et en retour de l’action devrait se révéler propice à un développement des compétences tactiques.

12Les deux études présentées ici se situent en continuité avec les travaux de d’Arripe-Longueville, Fleurance et Winnykamen (1995) et de d’Arripe-Longueville (1998) au plan des variables indépendantes sélectionnées. Cependant, elles complètent ces expérimentations par le contexte de la tâche qui est celui des sports collectifs de balle. La nature de la tâche dans nos études justifie le choix de variables dépendantes différentes des travaux précédemment cités portant sur des activités individuelles prioritairement morphocinétiques. Nos deux études expérimentales se proposent donc d’abord de vérifier la supériorité d’une condition avec interactions verbales en dyades symétriques sur une condition de simple pratique physique de manipulation de balle entre les séquences de jeu, dans une situation de montée de balle à deux attaquants contre un défenseur dans chaque moitié du terrain. Ensuite, l’effet de la dissymétrie de compétence sera étudié et nous nous attendons à un bénéfice plus important pour les sujets initialement faibles mis en situation d’interaction dissymétrique par rapport aux sujets initialement faibles mis en situation d’interaction symétrique. Dans les deux études, les effets attendus sont de l’ordre de variables cognitives, le projet d’action, de variables comportementales, la pertinence du choix et dans une moindre mesure de variables de performance, l’efficacité de l’action.

1 – Méthode

1.1 – Population

1.1.1 – Étude 1

13Soixante-douze élèves issus de trois classes de sixième d’un collège rural de milieu économique moyen ou faible, tous volontaires et avertis qu’ils participaient à une recherche expérimentale ont été testés pour composer des dyades symétriques et de même genre. Tous les élèves participants avaient fourni un accord parental les avertissant qu’ils seraient filmés mais que leur anonymat serait respecté. Quarante sujets, vingt garçons et vingt filles, ne pratiquant pas de sports collectifs en dehors de l’école, ont été retenus et ont participé à l’expérimentation. La moyenne d’âge était de 11,2 ans (écart type : 0,42). Une évaluation initiale dans l’activité a permis de composer des dyades non mixtes et symétriques du point de vue du niveau initial dans la tâche. Les quarante participants ont été distribués en deux groupes indépendants de façon aléatoire, en fonction de la condition d’apprentissage. Un groupe expérimental avec interactions verbales et un groupe témoin, sans interactions verbales. Dans chaque groupe, les garçons et les filles ont été répartis de manière équilibrée.

1.1.2 – Étude 2

14Une étude antérieure avait permis de révéler des différences de genre tant dans les résultats quantitatifs, au niveau de l’efficacité de l’action en particulier, que dans l’analyse descriptive des dynamiques interactives (Darnis-Paraboschi, Lafont et Menaut, 2005). Il était apparu que les garçons obtenaient de meilleures performances initiales que les filles et utilisaient plus fréquemment l’opposition de point de vue dans les interactions verbales, alors que ces dernières favorisaient les comportements pro-sociaux. Tudge (1992), d’Arripe-Longueville et al. (2002) ont également mis en évidence des différences de genre dans des apprentissages dyadiques. Ainsi, nous avons choisi, pour l’étude 2, de ne retenir que des sujets féminins. Sept classes de sixième issues de trois collèges différents ont participé à l’expérimentation [1]. Dans ces sept classes, 52 jeunes filles âgées de 11 à 12 ans ont participé à l’étude (moyenne d’âge = 11,1 ; écart type = .36). Toutes ont été averties qu’elles seraient enregistrées mais que leur anonymat serait respecté. Une évaluation initiale dans la tâche a permis de composer des dyades selon trois conditions : des dyades symétriques de niveau initial faible (16 sujets), des dyades symétriques de bon niveau initial (14 sujets) et des dyades dissymétriques (22 sujets).

15Les sujets ont ensuite été répartis en deux fois deux groupes expérimentaux (niveau initial bon vs faible ; X dyade symétrique vs dissymétrique).

1.2 – Tâche, dispositif et matériel

16Le protocole expérimental (identique pour les deux études) comprend un test initial pour évaluer le niveau initial des sujets et composer les dyades, un pré-test, une phase d’apprentissage, un post-test immédiat et un post-test différé. L’évaluation initiale a lieu une semaine avant le protocole expérimental. Les sujets sont invités à réaliser six passages dans la situation de 2 contre 1+1 avec deux partenaires différents et en changeant le rapport d’opposition. L’évaluation porte sur la pertinence du choix (pour 14 points) et sur l’efficacité de l’action (sur 6 points). Pour l’étude 1, les scores respectifs des deux participants de la dyade sont identiques ou proches à +/- 1 point. Pour l’étude 2, les sujets ayant un score inférieur à 8 ont été classés « faibles » et les sujets ayant un score supérieur à 11 ont été classés « bons ». Tous ceux ayant un score compris entre 8 et 11 n’ont pas été retenus pour le protocole expérimental. Le pré-test, la phase d’apprentissage et le post-test immédiat s’effectuent le même jour, lors d’une séquence d’EPS de deux heures. Le post-test différé est effectué la semaine suivante. L’observation en vue de l’évaluation est menée par deux juges indépendants in situ. Seules les interactions verbales sont enregistrées. L’expérimentation se déroule dans les lieux et aux horaires habituels du cours d’EPS. Les élèves ont pu se familiariser avec les règles du handball lors de 2 à 3 séances précédant l’expérimentation. Lors de la phase expérimentale, l’expérimentateur a pris en charge les élèves participant à l’expérimentation, tandis que le professeur de la classe a utilisé un autre espace pour poursuivre son cours (plateau extérieur).

1.2.1 – Pré-test

17Le pré-test comprend :

18Une évaluation du Projet d’Action

19Le Projet d’Action est un test papier crayon. Les questions auxquelles les sujets doivent répondre sont les suivantes : « Dans une situation de 2 attaquants contre 1 défenseur, que faut-il que vous fassiez, à deux, pour arriver à tirer à chaque fois sans perdre le ballon ? Décrire la ou les possibilités dans cette situation et envisager la ou les solutions. »

20Une évaluation dans la situation motrice expérimentale

21Les participants réalisent 5 passages successifs dans la situation de montée de balle à 2 attaquants contre 1 défenseur dans chaque moitié du terrain. Les participants alternent successivement dans les rôles d’attaquants et de défenseurs. Le gardien de but est fixe et ne participe pas à l’expérimentation. Aucune consigne précise n’est donnée au gardien, la réussite au tir n’étant pas prise en compte. La rotation des joueurs est fixe et une même dyade offensive affronte toujours la même dyade défensive.

22Consignes données aux attaquants : « Vous devez partir de votre zone avec un ballon et aller tirer dans le but adverse en utilisant les règles du handball. »

23Consignes données aux défenseurs : « En restant dans votre moitié de terrain, vous devez essayer d’intercepter le ballon et d’empêcher le tir en utilisant les règles du handball. »

24Deux juges, experts dans l’activité, observent séparément les comportements offensifs. Ils prennent en compte, pour chaque joueur, des données comportementales, en termes de choix décisionnels et pour chaque dyade, des données de performance, en termes d’atteinte de la zone et de production d’un tir au but.

1.2.2 – Entraînement

25Les dyades du groupe expérimental pour l’étude 1 et toutes les dyades pour l’étude 2 ont été réparties à des tables sur lesquelles un document écrit portant les indications suivantes est placé : « Vous avez trois minutes pour préparer en parlant une solution d’action efficace pour arriver a tirer à chaque fois sans vous faire prendre le ballon par les défenseurs.

26Dans la situation de 2 attaquants contre 1+1 défenseur que vous venez de réaliser, essayez d’envisager la ou les solutions pour arriver à tirer à chaque fois.

27Essayez de vous mettre d’accord à deux pour mettre au point une solution d’action efficace, quand vous êtes d’accord, dites-moi la solution. »

28Le temps d’interaction est limité à 3 minutes. À la fin des 3 minutes, les participants réalisent une tentative en situation motrice du 2 contre 1+1. Une deuxième séquence de 3 minutes d’échanges verbaux en dyades est proposée, suivie à nouveau d’une tentative en situation motrice et enfin une troisième séquence d’échanges et d’interactions verbales est proposée. Le temps d’interaction est donc de 3 fois trois minutes, entrecoupé de 2 tentatives à la situation motrice. Les participants sont enregistrés à l’aide d’un caméscope Hitachi 8mm Vidéo Camera/Recorder VM-E555LE et d’un dictaphone : Firstline Micro Cassette Recorder. Toutes les interactions sont enregistrées et retranscrites (verbatim). Elles font l’objet d’une analyse descriptive (Darnis, 2004) selon le cadre théorique de la psychologie pragmatique (Gilly, Roux et Trognon, 1999 ; Bernicot, Trognon, Guidetti et Musiol, 2002).

29Les dyades du groupe témoin de l’étude 1 sont invitées à réaliser le plus de passes possibles, face à face, en situation statique, sans faire tomber le ballon en 3 minutes, à 6 mètres d’intervalle. Au bout des 3 minutes, le nombre de passes réalisées est comptabilisé pour que chaque dyade tente de battre son « record » à la séquence suivante. Au bout des 3 minutes, les dyades du groupe témoin retrouvent les dyades du groupe expérimental pour réaliser une nouvelle tentative à la situation motrice.

1.2.3 – Post-test immédiat

30Le post-test immédiat comprend une évaluation de la situation motrice expérimentale dans laquelle chaque dyade effectue 5 passages dans la situation de 2 contre 1+1 dans les conditions d’opposition et avec les consignes identiques au pré-test et une évaluation du projet d’action identique au pré-test.

1.2.4 – Post-test différé

31Le post-test différé est réalisé une semaine après le pré-test, l’entraînement et le post-test immédiat. Il comprend une évaluation de la situation motrice expérimentale. Chaque dyade effectue 5 passages dans la situation de 2 contre 1+1 dans les conditions d’opposition et avec les consignes identiques au pré-test et au post-test immédiat.

1.3 – Mesures

1.3.1 – Projet d’Action (PA)

32Le Projet d’Action est une question ouverte. Son évaluation porte sur le nombre d’éléments de la situation pris en compte dans la réponse : « il faut faire des passes » 1 point ; « il faut dribbler et/ou faire des passes » 2 points ; « il faut dribbler et/ou faire des passes et se démarquer » 3 points ; « si le porteur de balle est marqué, il doit passer ; si le porteur de balle est démarqué, il doit avancer en dribble pour tirer » 4 points. L’évaluation du projet d’action correspond donc à une échelle sur 4 points.

1.3.2 – Pertinence du choix (PC)

33L’évaluation de la pertinence du choix repose sur l’observation indépendante de la situation motrice expérimentale par deux juges, experts dans l’activité. Seuls les attaquants sont pris en compte. Pour chaque montée de balle offensive, chaque juge code : (+) pour une action interprétée comme un « bon choix », par exemple une passe au partenaire lorsqu’il est démarqué, une montée de balle en dribble ou tir lorsque le porteur de balle n’est pas pressé par un défenseur ; (+/-) pour une action jugée neutre, ne s’apparentant ni à un bon choix, ni à un mauvais choix, par exemple, une passe réussie sans pression défensive, ou une passe ratée pour déficience motrice et donc liée à un facteur effecteur (technique) et non décisionnel (tactique) ; (-) pour une action jugée comme un « mauvais choix », par exemple une passe au partenaire marqué par un défenseur, un dribble intempestif face au défenseur ou un tir face au défenseur. Pour chaque passage, chaque joueur est amené à faire plusieurs choix et donc plusieurs actions codées. Par exemple un joueur peut faire une bonne passe à son partenaire (+), puis recevoir la balle et la redonner alors que le défenseur est resté devant son partenaire (-). L’action sera codée (-), même si le défenseur ne réussit pas à l’intercepter. À l’issue des 5 passages, le nombre total de + est comptabilisé et divisé par la somme des + et des -. Le rapport ainsi obtenu, multiplié par 20, donne une échelle allant de 0 à 20 pour mesurer la pertinence du choix. Un test de concordance montre un accord inter-juges à 89,77 %. Cette échelle a été standardisée lors d’une étude pilote portent sur 56 garçons et filles du même âge (Darnis-Paraboschi, Lafont et Menaut, 2002).

1.3.3 – Efficacité de l’Action (EA)

34L’efficacité de l’action est mesurée par le nombre de réussites dans la montée de balle, débouchant sur un tir de la dyade. À l’issue des 5 passages, chaque membre de la dyade a donc un score identique, de 0 à 5. Pour valider cette échelle, nous avons procédé à un test de concordance entre juges. Le test montre un accord inter-juges à 98,18 %.

1.3 – Traitement des données

35Les analyses des résultats ont été menées avec le tableur Excel et le logiciel SPSS. Des analyses de variance (ANOVA) et des analyses de variance à mesures répétées (RMANOVA) sur les pré-tests et les post-tests ont été réalisées sur les variables PA, PC, EA. Pour l’étude 2, des ANOVAs ont été réalisées sur les 4 groupes pour les pré-tests et les post-tests. La mesure des effets de groupe est menée en comparant les groupes 2 à 2 : sujets bons en dyades symétriques (Sym.B) versus sujets bons en dyades dissymétriques (Dis.B) et sujets faibles en dyades symétriques (Sym.F) versus sujets faibles en dyades dissymétrique (Dis.F). De plus, des analyses de variance à mesures répétées RMANOVAs ont été réalisées pour mesurer les progrès entre les pré-tests et les post-tests pour chacun des groupes et en comparant Sym.B vs Dis.B et Sym.F vs Dis.F.

2 – Résultats

2.1 – Étude 1

Tableau 1

Moyennes et écarts types des mesures de l’étude 1 dans les deux conditions d’apprentissage

Tableau 1
Groupe Projet d’Action Pertinence du choix Efficacité de l’Action 1 2 1 2 3 1 2 3 Expé. 1,75 2,50 12,88 14,92 14,85 2,50 3,1 3 (0,97) (1) (2,80) (3,63) (2,9) (1,47) (1,68) (1,38) Témoin 1.8 1,90 12,22 12,49 12,31 3,3 3,8 3,4 (1) (1,12) (3,50) (4,02) (3,4) (1,22) (1,44) (1,05)

Moyennes et écarts types des mesures de l’étude 1 dans les deux conditions d’apprentissage

2.1.1 – Projet d’action (PA)

36L’analyse de variance ne montre pas d’effet de groupe pour le pré-test : F(1, 38) = 0.26, ns, ni pour le post-test F(1,38) = 3.19, p = .08. L’analyse de variance à mesure répétée montre un progrès significatif, F(1,38) = 8.70, p < .005 et une interaction entre progrès et condition d’apprentissage, F(1,38) = 5.09, p < .03. RM ANOVAs par groupe montrent que seuls les sujets du groupe expérimental progressent (pour le groupe expérimental : F(1,19) = 15.54, p < .001 alors que pour le groupe témoin F(1,19) = 0.21, ns). Il y a donc un effet des interactions verbales sur la formulation d’un projet d’action. Les interactions dyadiques permettent un progrès dans la formulation de règles de l’action efficace.

2.1.2 – Pertinence du choix

37L’analyse de variance ne montre pas d’effet de groupe pour le pré-test : F(1,38) = 0.43, ns, alors que pour le post-test immédiat F(1,38) = 3.98, p = .05 et pour le post-test différé, F(1,38) = 6.42, p < .01 on observe des résultats significativement supérieurs pour le groupe expérimental. L’analyse à mesures répétées, RM ANOVA montre un progrès significatif entre le test initial et le post-test immédiat : F(1,38) = 6.52, p < .02 et entre le test initial et le post-test différé : F(1,38) = 12.73, p < .001). L’interaction entre le facteur condition d’apprentissage et les progrès n’est pas significative pour le post-test immédiat : F(1,38) = 3.78, p = .06. Par contre, RM ANOVAs par groupes montrent que seul le groupe expérimental progresse : F(1,19) = 10.07, p = .005, alors que, pour le groupe témoin, aucun progrès significatif n’est enregistré. Entre le pré-test et le post-test différé, il y a bien une interaction entre les progrès et la condition d’apprentissage : F (1,38) = 10.5, p < .05. RM ANOVAs par groupes montrent que seul le groupe expérimental a progressé : F(1,19) = 22.56, p < .001, alors que, pour le groupe témoin, aucun progrès significatif n’est enregistré.

2.1.3 – Efficacité de l’Action

38L’analyse de variance ANOVA ne montre pas d’effet de la condition de groupement pour le pré-test : F(1,38) = 3.5, ns, ni pour le post-test immédiat : F(1,38) = 2.00, ns, ni pour le post-test différé.

39RM ANOVA montre un progrès significatif entre le test initial et le post-test immédiat : F(1,38) = 8.54, p < .01 et entre le test initial et le post-test différé : F(1,38) = 9,24, p < .01. L’interaction entre les progrès et la condition d’apprentissage est significative lors du post-test différé : F(1,38) = 4.11, p = .05. Les comparaisons spécifiques mettent en évidence que, entre le pré-test et le post-test immédiat et entre le pré-test et le post-test différé, seul le groupe expérimental a progressé (respectivement : F(1,19) = 5.51, p < .05 et F(1,19) = 10.55, p < .005).

2.2 – Étude 2

Tableau 2

Moyennes et écarts types des mesures de l’étude 2 dans les quatre groupes expérimentaux

Tableau 2
Groupe Projet d’Action Pertinence du choix Efficacité de l’Action 1 2 1 2 3 1 2 3 Sym. B 2 2.21 12.45 13.71 13.39 2.71 3.28 3.42 (.67) (1.05) (1.19) (2.98) (1.30) (.46) (1.06) (0.93) Dis. B 2.27 2.90 12.60 14.20 14.40 2.09 2.81 3.45 (.90) (.94) (1.19) (1.46) (2.11) (0.70) (1.07) (1.29) Sym. F. 1.25 1.87 8.00 9.50 9.80 0.87 1.75 1.50 (.68) (1.08) (.92) (2.41) (2.75) (.95) (1.00) (1.26) Dis. F 1.27 2.54 7.70 10.90 12.20 2.09 2.81 3.45 (.78) (.93) (1.27) (2.10) (2.18) (0.70) (1.07) (1.29)

Moyennes et écarts types des mesures de l’étude 2 dans les quatre groupes expérimentaux

2.2.1 – Projet d’Action

40L’ANOVA ne montre pas d’effet de condition de groupement symétrique ou dissymétrique, ni au pré-test, ni au post-test quelque soit le niveau initial des sujets.

41RM ANOVA par groupe montre que les groupes Dis.B, Dis.F, et Sym.F progressent (respectivement F(1,10) = 6.80, p < .05, F(1,10) = 21.77, p < .001 et F(1,15) = 7.98, p < .05). Seul le groupe Sym.B ne progresse pas : F(1,13) = 0.45, ns. L’interaction entre les progrès et la condition de groupement est non significative quel que soit le niveau initial des participants.

2.2.2 – Pertinence du choix

42Pour les sujets initialement bons, ANOVA ne montre pas d’effet de la condition de groupement, ni au pré-test : F(1,23) < 1, ni au post-test immédiat : F(1,23) < 1, ni au post-test différé : F(1,23) = 2.11, ns.

43Pour les sujets initialement faibles, ANOVA ne montre pas d’effet de la condition de groupement, au pré-test : F(1,25) < 1, ni au post-test immédiat : F(1,25) < 1, par contre il existe un effet de la condition de groupement lors du post-test différé : F(1,25) = 5.72, p < .05. Les sujets du groupe Dis.F obtiennent de meilleurs résultats au post-test différé que ceux du groupe Sym.F (Moy. Dis.F = 12.20 vs Moy. Sym.F = 9.80).

44RM ANOVA par groupes montre qu’entre le pré-test et le post-test immédiat (PC1-PC2) les groupes Dis.B, Dis.B et Sym.F progressent (respectivement F(1,10) = 8.13, p < .05, F(1,10) = 21.38, p < .001 et F(1, 15) = 5.10, p < .05). Seul le groupe Sym.B ne progresse pas : F(1,13) = 3.17, ns. Entre le pré-test et le post-test différé, tous les groupes progressent : Sym.B : F(1,13) = 6.15, p < .05 ; Sym.F : F(1,15) = 9.15, p < .01 ; Dis.B : F(1,10) = 81.16, p < .001 et Dis.B : F(1,10) = 15.35, p < .01.

45Pour les sujets faibles, RM ANOVA montre qu’il y a une interaction significative entre le progrès et la condition de groupement seulement entre PC1 et PC 3 : F(1,25) = 10.23, p < .01, dans le sens où les sujets en condition dissymétrique progressent plus que les sujets en condition symétrique.

2.2.3 – Efficacité de l’Action

46Les analyses de variance montrent que lors du pré-test il existe un effet de la condition de groupement, aussi bien pour les sujets bons : F(1,23) = 7.08, p < .01, que pour les sujets faibles : F(1,25) = 12.91, p < .001. Les sujets bons en condition symétrique obtiennent de meilleurs résultats que les sujets en condition dissymétriques (bons ou faibles ayant un score identique) et ces derniers obtiennent de meilleurs résultats que les sujets faibles en condition symétrique. EA étant une mesure collective pour chaque dyade, la condition de groupement influence le score individuel. Lors du post-test immédiat, l’effet de la condition de groupement subsiste pour les sujets faibles : F(1,25) = 6.98, p < .02, mais n’est pas significatif pour les sujets bons : F(1,23) = 1.17, ns. Lors du post-test différé, l’effet de la condition de groupement subsiste pour les sujets faibles : F(1,25) = 15.28, p = .001, mais pas pour les sujets bons : F(1,23) < 1.

47RM ANOVA par groupes montre que entre EA1 et EA2, les groupes Dis.B et Dis.F progressent : F(1,10) = 7.11, p < .05, ainsi que le groupe Sym.F : F(1,15) = 18.86, p < .001, par contre le groupe Sym.B ne progresse pas : F(1,13) = 3.85, ns. Entre EA1 et EA3, tous les groupes progressent : Dis.B et Dis.F : F(1,10) = 12.36, p < .01 ; Sym.B : F(1,13) = 6.25, p < .05 et Sym.F : F(1,15) = 4.74, p < .05.

48Pour les sujets faibles RM ANOVA montre que entre EA1 et EA2, et entre EA1 et EA3 il y aurait un effet de groupement (respectivement : F(1,25) = 11.70, p < .01 et F(1,25) = 19.86, p < .001) dans le sens où les sujets en condition dissymétrique obtiennent de meilleurs résultats que ceux en condition symétrique.

3 – Discussion

49La première étude avait pour but de vérifier la supériorité d’une condition avec interactions verbales en dyades symétriques sur une tâche de manipulation de balle, dans une situation de montée de balle à 2 attaquants contre 1 défenseur dans chaque moitié du terrain. Les résultats vont dans le sens d’une supériorité des performances pour le groupe expérimental pour la pertinence du choix tactique au post-test différé. On observe aussi des progrès plus importants au projet d’action, pour la pertinence du choix et pour l’efficacité de l’action lors du post-test différé. La seconde étude se proposait d’étudier l’effet de la dissymétrie de compétence. Conformément à l’hypothèse, les résultats montrent un effet de la condition de groupement en faveur de la situation dissymétrique pour la pertinence du choix au post-test différé pour les sujets de niveau initial faible. De plus, on constate un bénéfice plus important pour les sujets initialement faibles mis en situation d’interaction dissymétrique par rapport aux sujets initialement faibles mis en situation d’interaction symétrique pour la pertinence du choix et l’efficacité de l’action, particulièrement lors du post-test.

50Dans une perspective socioconstructiviste de l’apprentissage au choix tactique, les interactions verbales semblent bénéfiques pour la construction de règles d’action. Elles permettent de développer des connaissances déclaratives, à travers la formulation d’un projet d’action, mais aussi des connaissances procédurales mesurées à travers la pertinence du choix et l’efficacité de l’action. Il semble donc que l’apprentissage coopératif bénéficie aux élèves de 11-12 ans, pour une tâche de sports collectifs dans le cadre du cours d’E.P.S. La psychologie sociale du développement plaide en faveur du développement de l’intelligence dans l’interaction sociale (Perret-Clermont, 1978). À l’éclairage des travaux de Doise et Mugny (1997), Gilly, Fraisse et Roux (1988), nos recherches vont dans le sens de l’utilisation des interactions verbales entre les séquences de jeu pour développer des compétences tactiques dans l’apprentissage des sports collectifs à l’école. Les sujets sont ainsi amenés à coordonner leur action dans le jeu et à coopérer dans les échanges verbaux. Ils opèrent ensemble, chacun étant amené à conceptualiser son action pour élaborer des stratégies de résolution de problème tactique. Cette étude montre l’intérêt de l’outil langagier au service d’un apprentissage au choix tactique dans le cadre de l’enseignement des sports collectifs à l’école pour des enfants novices dans l’activité. Conformément aux travaux de d’Arripe-Longueville (1998) concernant un apprentissage morphocinétique, les dyades légèrement dissymétriques s’avèrent également plus favorables au progrès pour les sujets initialement faibles dans un apprentissage au choix tactique. La première étude montre l’intérêt de situer l’apprentissage au choix tactique en sport collectif, pour des sujets jeunes et novices, dans une démarche d’explicitation de règles d’actions en dyades symétriques. La deuxième étude plaide en faveur de situations d’interactions légèrement dissymétriques pour développer des compétences tactiques durables. Les deux études montrent des effets plus importants lors des post-tests différés que lors du post-test immédiat. Darnis-Paraboschi, Lafont et Menaut (2002) trouvent également des effets liés à la condition d’interaction verbale lors du post-test différé. Il semblerait que, si les sujets tirent bénéfice des interactions verbales, ce phénomène soit amplifié par le temps d’une semaine à l’autre. La prise de conscience dans une conception vygotskienne du développement de la pensée permettrait de stabiliser la construction de connaissances.

51La deuxième étude ne montre pas de différence entre la condition symétrique et la condition dissymétrique pour les sujets initialement bons. Il semble que, si cette étude ne montre pas d’effet « tuteur », comme le mettent en évidence Legrain, d’Arripe-Longueville et Gernigon (2003), les sujets initialement les plus évolués dans la tâche ont également progressé, qu’ils soient en condition symétrique ou en condition dissymétrique. Il semble même que le niveau de performance final, mesuré par l’efficacité de l’action au post-test différé du groupe dissymétrique soit arrivé à un niveau comparable au groupe symétrique initialement bon. Ces résultats montrent que la condition dissymétrique est particulièrement favorable pour les sujets faibles, et qu’elle n’est pas défavorable pour les sujets plus évolués.

52Pour le projet d’action, la première étude montre que les interactions verbales sont constructives de son élaboration. Par contre, la deuxième étude ne montre pas de différence significative entre une condition symétrique ou dissymétrique pour progresser. Ce résultat est peut-être lié au mode d’évaluation (sur 4 points) limitant la discrimination dans l’analyse des règles d’action. Un prolongement de ce travail viserait à mieux cerner l’évaluation de connaissances déclaratives construites dans l’interaction. L’analyse descriptive des interactions doit permettre de mieux analyser les progrès cognitifs des participants, mais le cadre restrictif de cet article ne peut en rendre compte. Enfin, on peut convoquer deux raisons pour expliquer que les effets significatifs observés dans nos deux études soient relativement circonscrits. En premier lieu, la spécificité des activités collectives, par rapport aux activités individuelles, leur complexité et la présence du rapport d’opposition peuvent limiter les différences. Ensuite, malgré le caractère expérimental de notre dispositif, la tâche support et la situation interactive, en respectant les conditions de validité écologique qui sont celles de la leçon d’EPS, ont pu tendre à gommer également certaines différences.

53Pour conclure, la formulation de règles d’action paraît propice au développement de compétences tactiques durables (Grehaigne, 1999, 2003). À l’éclairage des concepts vygotskiens de conscience avant et de conscience après, il semblerait que le va-et-vient entre la situation de terrain et la phase d’interaction favorise la stabilisation des apprentissages. Ainsi, le langage jouerait un rôle dans la construction schèmes d’action, schèmes mis en œuvre en situation d’apprentissage et généralisables à une classe de situations semblables pour construire des compétences tactiques en jeu. D’autres recherches visant à explorer le rôle des interactions verbales dans le champ de la prise de décision en didactique des sports collectifs pourraient se situer davantage dans une perspective de relation d’aide. Ainsi, nous envisageons d’étudier les illocutions entre un sujet observateur et un joueur, afin de situer l’interaction dans une relation de tutelle et d’en montrer l’intérêt. Enfin, l’approche socioconstructiviste devrait ouvrir la voie à de nombreuses recherches dans l’acquisition d’habiletés motrices complexes.

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Mots-clés éditeurs : interactions verbales, sport collectif, socioconstructivisme, règles d'action, tactique

Mise en ligne 01/08/2006

https://doi.org/10.3917/sta.073.38

Notes

  • [1]
    Il s’agit de deux classes issues d’un collège de banlieue plutôt favorisé, de deux classes issues d’un collège semi-rural de milieu socio-économique moyen ou défavorisé et de trois classes issues d’un collège urbain classé ZEP avec un métissage d’élèves issus de milieu favorisé et d’élèves issus de l’immigration.
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