Notes
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[1]
En 1788, Mme Harsberg parvient au sommet du Montenvers en hiver ; entre 1785 et 1791 (les bornes étant les deux éditions des Nouvelles descriptions des glacières de 1785 et 1791), les Misses Parminter font l’ascension du Buet (3 098 m) ; en 1803, Miss Harriet Eckershall de Bath et Julie Laforge de Lausanne grimpent au Brévent par la cheminée, alors qu’il n’y a ni marches taillées, ni main courante.
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[2]
Aucune spécificité n’est dissimulée derrière cette appellation « alpinisme féminin ». Cette expression est simplement utilisée pour nommer « l’alpinisme pratiqué par des femmes ».
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[3]
Entre 1840 et 1870, les alpinistes françaises sont extrêmement rares dans le paysage alpin, non seulement parce qu’aucune ne s’illustre au plus haut niveau, mais surtout parce que l’alpinisme français de façon générale n’a pas encore pris son élan, contrairement à l’alpinisme anglais. D’ailleurs « nos » compatriotes anglaises, Mrs. Brevoort, Mrs. Walker ou Mrs. Straton, s’illustrent, d’ores et déjà, en réalisant des premières féminines, en ouvrant de nouvelles voies et réussissant des hivernales, notamment celles du Mont Blanc par Mrs. Straton le 31 janvier 1876. Toutes ces Anglaises sont marginales, « hors normes », s’extirpant des obligations du genre dans la société Victorienne (Paimboeuf, 1986). Elles pratiquent l’alpinisme, grâce à leur fortune personnelle et dans la plus grande confidentialité, en dehors des institutions, et notamment de l’Alpine Club, fondé en 1857, au sein duquel elles ne sont pas admises.
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[4]
Le Club voit le jour le 2 avril 1874.
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[5]
À la même époque, les clubs alpins anglais, suisse ou austro-allemand ont une attitude radicalement exclusive à l’égard des femmes. Seul, le Club Alpin Italien semble plus tolérant à l’égard d’une pratique féminine.
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[6]
Seuls les travaux de Dominique Lejeune font une petite place aux femmes dans la restitution des faits historiques. Deux pages leurs sont consacrées sur l’ensemble du travail.
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[7]
Ainsi, cette étude s’intègre plus largement dans un travail de doctorat en histoire du sport sur l’histoire des femmes alpinistes au Club Alpin Français jusqu’à la première guerre mondiale.
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[8]
Au tournant du xxe siècle, « ni la puissante Union des Sociétés de Gymnastique de France, créée dès 1873, ni la principale fédération sportive du pays, l’Union des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques, ne sont prêtes à reconnaître et accepter la présence des femmes » (Terret, 2000, 43).
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[9]
En l’état actuel des connaissances, le Club Alpin Français est alors pionnier du fait. Il devance largement les quelques clubs de vélocipédie comme le Véloce Club Béarnais ou le Cycle du Thimerais qui se singularise en accordant aux femmes, les « mêmes droits et les mêmes devoirs » que leurs collègues masculins, en 1894 (Poyer, 2003, 242).
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[10]
Anonyme, Le courrier des Alpes, n° 93, 1874.
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[11]
Normalement, les clients désirant un guide pour faire une ascension, ne peuvent choisir leur guide. Ils sont obligés de se plier au principe du tour de rôle et doivent partir avec le guide dont c’est le tour.
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[12]
Tous les travaux de médecine du xixe siècle s’accordent pour reconnaître l’infériorité physique et intellectuelle de la femme justifiant ainsi une distribution différenciée des droits et devoirs des femmes par rapport aux hommes au nom de leur spécificité dite « naturelle ». Cf. Varigny, H. de., « Femme », in La grande encyclopédie, 1895-1902, pp. 143-170 ou Kniebihler, Y., Le discours médical sur la femme : constantes et ruptures, in Romantisme n° 13-14, 1976, pp. 41-55.
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[13]
Ernest Caron est le dixième président du CAF. Dans son article, il constate que les effectifs passent de 5356 adhérents en 1889 contre 5431 adhérents l’année précédente.
-
[14]
La montagne ou le centre touristique deviennent les nouveaux foyers.
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[15]
Toutes sont femmes d’éminents scientifiques du CAF. En silence, elles participent aux travaux de leur époux et les accompagnent régulièrement dans leurs aventures alpines. Ce n’est qu’en 1889, que Gabrielle Vallot signe un article dans l’Annuaire du CAF sur les aventures spéléologiques du couple dans lequel le (la) lecteur (trice) peut cerner son rôle dans l’activité scientifique de son mari.
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[16]
Pour tout ce qui concerne l’esprit, l’intelligence, il est fréquent au xixe siècle de parler du système moral de la femme. Pour les médecins philosophes du xixe siècle, la femme est amour, pureté et innocence. Son sexe constitue son identité. L’Avoir devient l’ÊTRE. Ainsi, elle est la garante et la transmettrice des valeurs morales et doit par conséquent être l’objet de toutes les attentions pour que sa moralité soit protégée.
-
[17]
Les lois de 1880 sonnent alors pour le CAF comme une confirmation de la politique choisie à l’égard des femmes. Confirmation qui se traduit d’ailleurs quantitativement par une importante augmentation des effectifs (Cf. Tableau 1) mais aussi sur le plan qualitatif par l’émergence d’une pratique plus acrobatique (Cf. Ottogalli, sous presse).
-
[18]
Il s’agit alors d’une pratique sans prétention des femmes au service de l’excursionnisme cultivé des maris.
-
[19]
Il accuse le baron de Vaux d’inciter les femmes, les mondaines à délaisser les devoirs du logis, à viriliser leurs corps et leurs esprits, et, comble d’horreur, à s’extraire de la protection et de la dépendance masculine en développant leur force et des habiletés au duel : « une sportwoman ne connaît pas la nécessité d’être protégée ! Pour tirer vengeance d’une insulte, elle n’a que faire d’y être aidée. Et pourquoi se résoudrait-elle à un mari ou à un compagnon moins légitime, lorsqu’elle peut elle-même se rendre redoutable aux plus téméraires ? Hélas ! Tristes hommes inutiles désormais. L’habitude du duel fera perdre aux femmes l’habitude du duo ».
-
[20]
En 1885, elles sont déjà 17 françaises à avoir gravi le plus haut sommet d’Europe.
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[21]
Laurence Prudhomme fait référence, à propos de l’engagement sportif des footballeuses de l’entre deux guerres, à un « féminisme en action » par opposition au féminisme militant. Formule qui fût d’ailleurs utilisée par Jean Misme dans La Française de janvier et mars 1922, cité par Prudhomme-Poncet, Laurence., « Ces dames du ballon rond ; Histoire du football féminin en France au xxe siècle », Thése de l’Université Claude Bernard, Lyon 1, Nov 2002, p. 129.
« Oh, la belle chose qu’une belle femme sur le sommet d’une montagne ! » (Morin, 1956, 218).
Introduction
2 Dès la fin du xviiie siècle, sur les traces de Windham et Pocoke, des femmes investissent progressivement les espaces de montagne. Des plus illustres, comme les impératrices Joséphine, Marie-Louise ou Eugénie, aux anonymes, elles « affrontent » les abords de Chamonix comme le Montenvers pour s’enfoncer progressivement dans le massif du Mont Blanc, considéré alors comme le mont affreux, repère des monstres et autres parias (Engel, 1934 ; Bozonnet, 1992). Ces ascensions [1], aujourd’hui faciles et classiques, étaient considérées comme des expéditions nécessitant un grand courage et une certaine témérité. Pourtant, 22 ans après la première de Balmat et Paccard, le 14 juillet 1808, Marie Paradis, jeune servante chamoniarde, est la première femme à atteindre le sommet mythique du Mont Blanc. Socialement plus conforme au statut d’alpiniste (Veyne, 1979), Henriette d’Angeville s’inscrit dans l’histoire comme la pionnière de l’alpinisme féminin [2], grâce à sa victoire sur le Mont Blanc, le 4 septembre 1838, malgré les oppositions de sa famille et de son entourage genevois. En France, c’est au lendemain de la guerre de 1870 et du soulèvement de la Commune en 1871 [3], que le Club Alpin Français (CAF) [4] participe « au vaste mouvement d’opinion en faveur de la généralisation de la pratique des exercices physiques » (Hoibian, 1999, 51) et des vertus du plein air, grâce au développement des connaissances et de la pratique de la montagne (Lejeune, 1988 ; Rauch, 1986). Sous l’influence des classes intellectuelles supérieures, l’alpinisme français s’institutionnalise autour d’une pratique cultivée et modérée (Hoibian, 2000), en intégrant les femmes. Cette attitude d’ouverture se transforme même en attitude d’incitation, ce qui confère au Club Alpin Français, un statut tout à fait atypique non seulement dans l’espace sportif français de la fin du xixe siècle, mais aussi parmi les autres clubs alpins étrangers [5]. Pourtant, malgré l’originalité et l’avant-gardisme de cette intégration, les connaissances restent sommaires sur les conditions de cette intégration ou sur les modalités de pratique de l’alpinisme féminin [6].
1 – Un autre regard sur l’alpinisme
3 Sur le plan historiographique, les publications de la fin du xixe siècle, relatives aux « femmes de sport » (Baron de Vaux, 1885), ignorent cette réalité de pratique. À partir de 1908, quelques rares ouvrages, consacrés à la question du sport féminin, intègrent des données événementielles et normatives sur les femmes alpinistes (André, 1908 ; Mortane, 1937 ; Eyquem, 1943). Ignorés de l’histoire pendant des décennies (Perrot, 1998), les travaux sur l’histoire du sport féminin sont encore rares, malgré quelques modélisations historiques (Laget, Laget & Mazot, 1982 ; Dumons, 1987 ; Louveau & Davisse, 1991 ; Hubscher, 1992 ; Arnaud & Terret, 1996). Dans ces travaux, les « excentriques » de la vélocipédie sont identifiées comme les « aïeules » du sport féminin (Thibault, 1987), les premières à braver les interdits moraux et médicaux, « qui ne leur concèdent qu’un rôle passif de simples spectatrices » (Hubscher, 1992, 103). Or Lejeune (1988) mais aussi Robène (1996) dans son travail sur l’aérostation semblent remettre en cause cette hiérarchie. Certes, les débats furent importants autour de la pratique de la vélocipédie par les femmes et surtout autour de la question de la tenue vestimentaire à adopter, mais « l’ampleur ne fut pas plus grande que chez les alpinistes, et en tout cas elle fut plus tardive » (Lejeune, 1988, 219). Hubscher cite aussi parmi les réfractaires au rôle traditionnel de la femme dans les pratiques sportives, « les valeureuses alpinistes qui n’hésitent pas, à l’égal de leurs homologues masculins du CAF, à pratiquer le rappel » (1992, 103). Qui sont ces « valeureuses alpinistes » et quelles sont les conditions de leur intégration et de leur pratique ? Doivent-elles lutter contre les récriminations et les interdictions de la domination masculine, comme les « bicycletteuses » de la fin du xixe siècle ou trouvent-elles un écho favorable et incitateur ? Plus globalement, c’est la question de l’influence du genre sur la pratique de l’alpinisme des femmes (dit alpinisme féminin) que nous aborderons [7].
4 Le concept de genre, d’utilisation relativement récente dans les travaux français, permet d’appréhender le « sexe social », c’est-à-dire les « constructions sociales » relatives aux rôles propres aux hommes et aux femmes, ainsi pour Joan Scott « le genre est, (…), une catégorie sociale imposée sur un corps sexué » (Scott, 1988, 129). Le genre impose des normes sociales qui réglementent les pratiques et les discours et dont la fonction est de maintenir une relation hiérarchique entre les sexes au profit de la domination masculine (Scott, 1988 ; Thébaud, 1998). L’utilisation de ce concept est cependant à replacer dans le cadre plus général de l’histoire des femmes où la référence au genre n’est qu’une étape de la réflexion sans pour autant remplacer le travail de remémorisation, indispensable par ailleurs pour donner une lisibilité à ces anonymes de l’histoire (Perrot, 1998). De plus, il constitue un concept heuristique pour analyser les changements sociaux, surtout dans le domaine des pratiques sportives, historiquement reconnues comme l’un des bastions de la masculinité (Mosse, 1997 ; Terret, 1999).
5 Le but de cet article est d’analyser l’influence du genre sur l’appropriation et le développement de l’alpinisme par des femmes, ce que nous nommerons l’effet du genre. L’alpinisme est-il susceptible de faire évoluer les dispositions du genre ? Nous verrons alors que l’alpinisme, à l’aube du xxe siècle, implique une rencontre d’un « nouveau genre » où les femmes « jonglent » entre concession et transgression. Ainsi, tout en se conformant aux règles de la domination masculine et au projet républicain des fondateurs du CAF, les femmes alpinistes accèdent, au nom de l’hygiène, de l’éducation et du tourisme, à un espace de pratique physique et moral totalement novateur pour leur sexe.
2 – Sources et Méthodes
6 Grâce à ses effectifs nationaux et locaux, à ses engagements politiques, à son implantation géopolitique, à son espace de recrutement parmi l’élite intellectuelle, ses réseaux de sociabilité annexes (Rauch, 1986) et plus généralement, grâce à sa participation à l’œuvre patriotique de régénérescence de la race, le Club Alpin Français est, dès sa création en 1874, l’institution française dominante dans l’organisation des sports de montagne. Pourtant, d’autres sociétés d’ascensionnistes voient le jour dans les Vosges, le Jura, les Pyrénées ou dans les Alpes mais le CAF reste « l’interlocuteur privilégié » pour toutes les questions qui concernent la fréquentation des espaces montagneux (Hoibian, 1999, 64). Il « dispose donc assez rapidement d’une autorité morale indéniable qu’il étend sur l’ensemble du monde de l’alpinisme au point d’occuper une position quasiment hégémonique » (Hoibian, 1999, 65). Pour assurer la diffusion de son œuvre mais aussi contribuer à la construction d’une définition de l’alpinisme véritable, le club publie, dès 1874, un Annuaire du Club Alpin Français. Cette publication annuelle, allant de 503 pages en 1883 à 859 pages en 1875, est un média incontournable pour cerner les discours et les pratiques autour de l’alpinisme. Jusqu’en 1904, date de son remplacement par une revue mensuelle La Montagne, l’annuaire est un recueil géographique, scientifique, statistique mais aussi un témoin de la vie politique et administrative du Club. Ces annuaires sont complétés mensuellement par les Bulletins du Club Alpin Français et localement par les Bulletins des sections. Ainsi, les annuaires sont une sélection des articles ou événements les plus marquants de l’année écoulée. Publiés par la librairie Hachette, les annuaires sont une vitrine de l’honorabilité et de l’excellence du Club, tout en étant un « organe de l’expression officielle du club » (Hoibian, 1999, 62). Orchestrés par les membres de la direction centrale Parisienne, les annuaires reflètent les tendances normatives des instances de direction, ce que Lejeune nomme « la psychologie collective » des alpinistes (1988). Ainsi, les oppositions franchissent rarement le filtre du discours politiquement correct. La lecture des 26 volumes d’annuaire de 1874 à 1900 permet alors de cerner les références et parfois les normes à l’égard des femmes alpinistes. Pour cela, toutes les références au sexe féminin, en tant que « pratiquante réelle » ou « pratiquante potentielle », ont été notées, analysées, contextualisées, afin de comprendre leurs modalités de pratique, leurs conditions, les enjeux de leur pratique et les réactions ou attitudes des alpinistes du club à leur égard. Les annuaires donnent ainsi une vision de « l’attitude moyenne officielle » tant sur le plan des pratiques que des représentations. Enfin, en complément, les annuaires publient aussi, de façon régulière jusqu’en 1883, puis anecdotique sur les années 1885, 1888 et 1894, des listes nominales des adhérents, avec nom et prénom, la section de rattachement, l’adresse, et la profession à la date de la publication. Ces listes sont d’une grande richesse. Relativement exceptionnelles dans les archives des sociétés sportives, elles permettent de saisir la composition sociale des adhérents (Lejeune, 1988 ; Hoibian, 2000), et dans notre cas de quantifier la présence féminine ainsi que les conditions de cette présence. Une femme est systématiquement désignée par « Mme » ou « Mlle », auquel s’ajoute le nom et le prénom, généralement du mari, l’adresse et très rarement la « qualité » (profession, appartenance à un autre club, fonction politique…). Ainsi, ces informations permettent de dresser un portrait inédit des femmes alpinistes.
3 – L’alpinisme pour tous, « même pour les femmes » !
3.1 – Les femmes dans les effectifs du Club Alpin Français
7 Contrairement à l’Alpine Club de Londres ou au Club Alpin Suisse, mais aussi à la majorité des sociétés sportives françaises dont l’USGF et l’USFSA [8] (Terret, 2000), le Club Alpin Français, dés 1874, s’ouvre démocratiquement à tous « sans distinction d’âge, de sexe, d’états de service » (Puiseux, 1899, 368). Bien sûr, comme tous les clubs sportifs de la fin du xixe siècle en France, c’est une institution socialement distinctive (Veyne, 1979 ; Lejeune, 1988 ; Hoibian, 2000) qui recrute principalement parmi les professions intellectuelles supérieures (Hoibian, 1999). Cette institution se distingue aussi en intégrant des femmes dans la catégorie des membres actifs du CAF et en contribuant à leur engagement physique [9]. Dans la première liste nominale de 1875, quatre femmes sur 430 membres (soit 0,97 % des effectifs) sont répertoriées. Dans les années suivantes, le pourcentage de femmes oscille entre 1,1 et 1,7 % jusqu’en 1881. Mais l’augmentation exponentielle des effectifs féminins progresse régulièrement au fil des années, avec une forte croissance de près de 500 % entre 1880 et 1885 (Cf : Figure 1 : Évolution du rapport hommes/femmes au CAF). Ainsi, entre 1885 et 1888, le pourcentage de femmes au CAF atteint les 5 %. Dans le même temps, la croissance des effectifs masculins ne connaît pas la même inflexion. Après une forte augmentation jusqu’en 1877, les effectifs croissent d’environ trois à quatre cents membres chaque année avant d’atteindre une phase de stagnation autour de 1885 (Cf : Figure 2 : Évolution des effectifs masculins et féminins au CAF). Bien que représentant un pourcentage extrêmement minoritaire, l’intégration des femmes au CAF est réelle et profite directement des débats républicains sur l’éducation physique des jeunes filles et femmes des années 1880-1882 (Terret, 1995). Ces adhérentes sont dans leur grande majorité, environ 80 %, des femmes mariées et/ou, entre 60 et 70 % des femmes, accompagnées de leur mari, père ou frère (Cf : Figure 3 : Évolution de la condition des femmes au CAF). Ainsi, à travers ces listes, le statut social de dépendance des femmes de la fin du xixe siècle à une autorité masculine familiale se ressent nettement. Certaines de ces femmes se distinguent dans des fonctions particulières, comme secrétaire de section ou présidente d’honneur mais sur le plan des pratiques, il est impossible au regard de ces listes de comptabiliser les pratiquantes ou non de l’alpinisme, car comme pour les hommes, il est probable que certains membres s’inscrivent uniquement pour la distinction sociale véhiculée par l’honorabilité du club, où l’inscription des femmes est un signe supplémentaire de l’aisance financière du foyer.
3. 2 – Pour une pratique modérée
8 A la lecture des publications, trois catégories de pratiquant(e)s peuvent être identifié(e)s dans les pages des annuaires du CAF : les pratiquant(e)s nommé(e)s dans les expéditions, les pratiquant(e)s réel(le)s mais anonymes et les pratiquant(e)s potentiel(le)s. Dans la première catégorie, contrairement aux hommes qui représentent plusieurs dizaines et constituent l’essentiel des références, les femmes sont rares. Les hommes sont les « héros des premières » ascensions ou études scientifiques, ils sont ceux par qui le club acquiert ces lettres de noblesse et sa renommée politique. Les femmes, elles, représentent, par décennie, environ une demi-douzaine de noms et sont la plupart du temps « les atypiques », celles qui se sont rendues « coupables » d’exploits extraordinaires, hors norme. Dans la deuxième catégorie, les femmes sont largement majoritaires. Ce sont les « touristes », « les dames », « les filles d’Ève » ou encore les « Mme ou Mlle X… » dont les noms ne peuvent ou ne doivent pas être prononcés. Mais c’est dans la troisième catégorie, celle des pratiquant(e)s potentiel(le)s que l’on retrouve le plus de références aux femmes. Dès les premières années de vie du club, et dans l’optique d’accroissement des effectifs, chaque président de club rappelle régulièrement le souci d’augmenter le nombre de membres : « (…) il nous faut sans cesse songer à l’avenir, grossir notre effectif, agrandir le champ de nos études, perfectionner nos moyens d’action, et marcher, que dis-je ? Courir toujours en avant, avec ce cri de ralliement : France, progrès ! » (Anonyme, 1876, VII). Aussi les femmes, les enfants, les marcheurs modestes sont ceux qui forment le plus grand nombre. La formule « même les femmes » est alors fréquente et caractéristique de l’accessibilité du lieu au plus grand nombre :
9 « La première des courses que doit entreprendre le touriste à Moutiers, avec l’intention de visiter la chaîne de la Vanoise, est l’ascension du Mont Jouvet, facile même pour les femmes (on peut la faire à dos de mulet), situé entre les deux vallées du Doron et de l’Isère » (Reymond, 1875, 162).
10 À travers l’analyse des discours, les attitudes à l’égard des femmes sont donc plutôt favorables et encourageantes, à condition que leur pratique soit circonscrite dans le cadre de la modération de l’effort. Les courses pour dames sont faciles, sans danger, sans risque et par conséquent, « même les femmes » doivent pouvoir les pratiquer :
11 « Ce trajet n’offre aucune espèce de difficultés : je ne sais si l’on trouverait dans la chaîne du Mont Blanc une ascension à la fois aussi intéressante et aussi facile que celle de la Bérengère par ce côté : c’est tout à fait une course pour les dames » (Puiseux, 1880, 68).
12 Cet alpinisme sans difficulté n’est pas pour autant synonyme d’alpinisme de faible altitude car on rencontre aussi un grand nombre de cimes de plus de 3000 m, accessibles sans aucun danger et permettant de profiter de la grandeur des hautes montagnes. Des aménagements, comme l’élargissement des sentiers pour le passage des mulets ou l’achat de selles amazones, entrepris par le CAF, sont souvent nécessaires pour permettre « aux dames (…) de faire cette promenade sans fatigue » [10]. Rendre la montagne accessible aux femmes implique aussi la mise en place d’un corps de guides compétents. N’importe quel guide ne peut pas se rendre digne de ces efforts supplémentaires. Ainsi, la présence d’une dame dans une cordée constitue l’une des raisons permettant de déroger au sacro-saint tour de rôle instauré par la compagnie des guides de Chamonix [11]. En cas de réussite dans des passages difficiles, c’est l’excellence du guide qui est particulièrement mise en avant. La recherche de voie aménagée, accessible facilement même aux dames, implique aussi une délimitation géographique de l’alpinisme féminin autour des espaces de montagne équipés pour les touristes comme la région du Mont Blanc pour la France (Mont Blanc, Brevent, Belvédère) et pour la Suisse (Jungfrau, Zermatt). Les incitations à l’égard de l’alpinisme féminin sont par conséquent marquées par les contraintes du genre. Considérées comme le sexe faible et fragile [12], le rapport des femmes à la montagne est adapté à leur spécificité socio-culturelle (Ottogalli, à paraître). Elles sont alors dirigées vers des efforts de moindre intensité, des ascensions faciles pour ne pas mettre en danger leur « faible » constitution. Les références aux femmes sont utilisées, comme un signe de facilité et donc de l’accessibilité des courses, des ascensions au plus grand nombre :
13 « l’ascension du Pouzenc, seule, demande, pour la dernière partie, un guide et quelques prudences. La plupart et même toutes, peuvent être entreprises avec succès par les dames qui ne craignent pas la marche » (Gouget, 1883, 102).
14 Les femmes sont alors une figure de la propagande du CAF dans l’optique d’une ouverture du Club au plus grand nombre. D’ailleurs, lorsqu’en 1889, Ernest Caron constate une baisse des effectifs du Club [13], il utilise l’exemple de l’implication des femmes pour décrire « l’effet boule-de-neige » indispensable à la survie du Club :
15 « Il ne faut pas que le zèle de nos adhérents se refroidissent. Permettez-moi de vous citer comme exemple une œuvre dont vous avez sans nul doute entendu parler, et à laquelle certainement beaucoup de dames ici présentes ont dû participer. Je veux parler de l’œuvre de la boule-de-neige, que je n’ai pas besoin de vous expliquer, ce serait un peu long. Il importe que chacun de nous fasse tous ses efforts pour assurer au club de nouveaux membres. Beaucoup de personnes s’imaginent que pour entrer dans notre association, il faut avoir des courses difficiles ou périlleuses. Vous savez qu’il n’en est rien. Nos rangs sont ouverts à tous ceux et toutes celles qui aiment les montagnes, même de loin » (Caron, 1889, 466).
16 Les femmes, loin de représenter de simples spectatrices passives, constituent un élément moteur pour le développement du club et de l’activité de façon générale. Élément d’autant plus moteur, qu’elles se conforment aux attentes de la direction centrale et contribuent ainsi à montrer l’exemple d’une pratique légitime. Pourtant, d’après la typologie des pratiques établie par Hoibian, les incitations à l’égard de l’alpinisme féminin se rapprochent prioritairement d’un « alpinisme sans prétention », c’est-à-dire une pratique fondée non sur les conquêtes scientifiques et esthétiques réalisées mais sur le plaisir modeste et simple de la marche en montagne, pour l’air pur qu’on y respire, pour le délassement gratuit qu’on y trouve (Hoibian, 1999, 64). Cette forme de pratique, dominée dans les travaux de Hoibian par une conception plus scientifique et éducative, appelée « excursionnisme cultivé », devient alors dominante pour expliquer la pratique des femmes. Comme si l’intégration des femmes ne pouvait se faire qu’en reconstruisant de nouveaux espaces de différenciation sexuelle. Ainsi, les instances dirigeantes cautionnent totalement cette forme de pratique, qui n’est alors plus conflictuelle mais plutôt complémentaire, dans la mesure où elle répond à des enjeux hygiéniques, économiques et plus largement républicains, poursuivis par les instances dirigeantes.
Les enjeux de la pratique des femmes
17 Dès 1874, c’est une montagne régénérante qui est présentée aux lecteurs des annuaires :
18 « Que ceux qui ont besoin de refaire leurs forces…que ceux qui aiment le grand et le beau, le calme et le silence, prennent le bâton du montagnard et aillent sur les hauteurs respirer en liberté l’air pur des forêts et des glaciers…quand, à la politesse et au savoir vivre dont ils se vantent, nos jeunes hommes ajouteront l’amour des jouissances pures et désintéressées que donnent les grandes vues alpestres ; quand ils auront acquis cette vigueur qui ennoblit et qui devient de plus en plus rare, un point important sera gagné et un grand pas sera fait vers la moralisation et le perfectionnement de notre race » (Puiseux, 1875, 309).
19 Le Club Alpin s’inscrit dans le renouveau hygiénique qui mobilise la collectivité et l’état depuis 1850 : la lutte contre la dégénérescence. L’abaissement des naissances, l’augmentation de la consommation d’alcool, la crainte des désordres et des délabrements intimes, les ravages physiques de la première industrialisation puis en 1870, la cuisante défaite de l’armée française contre la Prusse confirment, aux yeux de tous, le danger de « l’abâtardissement » de la race française. Et même si l’Année scientifique se moque du docteur Starck lorsqu’il explique la défaite de 1871 par une « dégénérescence » caricaturale de la nation française (Vigarello, 1999, 218), le thème et ses manifestations concrètes inquiètent sérieusement les institutions politiques et scolaires de la fin du xixe siècle. Le club alpin dans le sillage d’hommes comme Jules Simon, dénonce les méfaits de l’urbanisation, de l’oisiveté et du délabrement moral et physique de la population. La montagne est alors présentée comme un antidote en développant « l’énergie qui protège » (Vigarello, 1999, 230). L’exercice à l’air pur de la montagne, permet une oxygénation et un développement thoracique parfait qui, accompagné d’une alimentation raisonnée et d’une propreté des corps constituent alors le summum des démarches préventives : « l’excellence hygiénique ». C’est un « grand gymnase médical » en plein air qu’offre le CAF à ses adhérents pour le perfectionnement de la race. Mais en plus, de l’entretien de la machine énergétique, l’action de la montagne, par la grandeur de ses spectacles et l’humilité qu’elle impose, développe aussi le sens moral indispensable à la pérennité de la race. L’alpinisme fortifie non seulement les corps, mais élève aussi les esprits, le tout pour grandir la race.
20 Dès 1878, ce discours se conjugue aussi au féminin, grâce aux propos de J. Berger, membre de la section Lyonnaise du CAF. Il publie un article engagé sur la question « du rôle des femmes dans les clubs alpins » (Berger, 1878) où il clame publiquement les vertus hygiéniques et morales de la montagne pour la femme. Il y aborde la délicate question de la « constitution » de la femme comme élément important dans le « débat » pour ou contre l’exclusion des femmes des courses de montagne. Débat, qui semble-t-il, exista au sein du Club Alpin Français, bien qu’il n’en reste quasiment aucune trace. « Nous nous sommes souvent demandés si les excursions de montagne doivent être l’apanage exclusif du sexe fort, ou si l’on peut espérer d’y voir participer des dames et même des demoiselles » (Berger, 1878, 578). L’opinion de Berger à l’égard des femmes est dès lors perceptible : il est pour l’intégration et le développement d’une pratique de l’alpinisme par les femmes.
21 Le premier argument de son développement est hygiénique : « La marche est-elle un exercice nuisible pour la femme ? » (Berger, 1878, 579). C’est avec l’appui des médecins, source d’autorité et garant de la santé publique de l’époque, qu’il répond sans tergiverser par la négative. Bien au contraire, l’exercice physique est même un remède aux maux d’un sexe souvent atteint de malaises ou d’infirmités et qu’on nomme par conséquent le sexe faible. Si l’anémie trouve ses causes dans le manque d’exercice ou dans le cloisonnement des femmes dans des espaces insalubres et non aérés, alors l’exercice physique de la marche apporte santé et beauté dont les joues d’un rose éblouissant sont la preuve la plus flagrante. L’auteur s’inscrit par conséquent en faux, comme beaucoup de républicains de son époque, avec une vision de la femme enfermée dans son foyer et faible au point de ne pouvoir faire un pas à l’extérieur. Au contraire, non seulement les promenades lui sont recommandées mais aussi les excursions proprement dites dans la montagne, pour lesquelles il faut « une dose de résistance à la fatigue que nous refusons souvent aux dames » (Berger, 1878, 579). Or « qui oserait parler de faiblesse quand on réfléchit à la prodigieuse dépense de force qu’une femme ou une jeune fille est capable de fournir en une seule nuit de bal ? Et cela au milieu d’une atmosphère viciée qui lui refuse l’élément principal de la vie, l’oxygène, et malgré l’embarras d’une toilette dont les secrets savants compriment souvent, comme des instruments de supplice, tous les ressorts de l’organisme ! » (Berger, 1878, 580). En rupture avec les représentations « naturalistes » de la femme, Berger met aussi à l’index un certain nombre de croyances sur la dite faiblesse de ces dernières, croyances qui ne sont en fait que le reflet de normes vestimentaires et morales extrêmement contraignantes et infirmantes. Contrairement à beaucoup de ses contemporains, il rompt avec ces « circonstances débilitantes », celles de la ville et de la vie mondaine, pour instaurer un nouvel idéal, justifié au regard des vertus hygiéniques, mais aussi sociales et économiques de la présence des femmes en montagne. « Si donc une jeune fille, malgré ce concours de circonstances débilitantes, peut résister à de telles fatigues, de quel effort ne sera-t-elle pas capable lorsque, libre de corps et d’esprit, elle aspirera à pleins poumons l’air pur et vivifiant des montagnes ! » (Berger, 1878, 580). Ce nouvel idéal d’une femme « libre de corps et d’esprit » et s’engageant dans des excursions en montagne reste cependant au service d’une vision conformiste de la femme. Tous ces efforts doivent permettre de développer l’énergie naturelle de la future mère, en lui évitant de donner naissance à « des enfants faibles ou contrefaits » (Berger, 1878, 580) ou de mener « une existence souffreteuse pour avoir rempli le premier devoir de son sexe : la maternité » (Berger, 1878, 581). Ainsi, sur le plan social, ces femmes sont présentées comme des épouses idéales, saines et fortes, méprisant les fausses vanités tout en remplissant les devoirs de leur genre : séduire et enfanter. Sur le fond, les incitations à l’alpinisme féminin sont alors tout à fait conformes aux prescriptions faites au genre féminin dans la nouvelle bourgeoisie de la fin du xixe siècle (Fraisse & Perrot, 2002).
22 Le deuxième argument pour le développement de l’alpinisme féminin est social, dans la mesure où l’action de la femme devient centrale dans la démocratisation et le progrès de la société, non comme productrice mais au côté du producteur. Dans la cellule bourgeoise, dont fait partie la majorité des alpinistes (Veyne, 1979, Lejeune, 1988, Hoibian, 1999, 2000), la femme est la reine du foyer. Elle est l’accompagnatrice, l’assistante à l’engagement productif des maris, en s’occupant des tâches domestiques, de l’éducation des enfants et en entretenant, par son charme et son honorabilité, des réseaux de sociabilité positive. Elle est aussi l’éducatrice du futur citoyen et participe à ce titre à l’avenir de la société. Chez les alpinistes, la notion de foyer est élargie [14] mais le destin social des femmes alpinistes ne change guère. « Bras de levier de la république », elles doivent par conséquent être instruites, mais pas savantes, pour s’extraire des mains de l’église sans trop s’autonomiser. Ainsi, les incitations du Club Alpin à l’égard de l’alpinisme féminin s’inscrivent dans la doxa de la complémentarité des sexes où femmes et hommes peuvent profiter des vertus de l’exercice en plein air, à condition que les prérogatives du genre soient respectées : aux hommes, le faire conquérant, scientifique et public à travers « l’excursionnisme cultivé » ; aux femmes, la séduction, l’enfantement, la facilité et la discrétion à travers « l’alpinisme sans prétention ». Ainsi, comme Mesdames Schrader, Helbronner ou Vallot [15], les femmes au Club Alpin doivent être suffisamment instruites et vaillantes pour pouvoir accompagner ou comprendre l’engagement alpin de leurs maris, pour pouvoir éduquer les enfants aux valeurs de la montagne, pour ne pas être ses « mères obstacles » qui « timorées à l’excès, craign(ent) pour leurs enfants, qu’elles élèvent dans de la ouate, des dangers de toute nature : fatigue, refroidissements, promiscuités de l’auberge, précipices, que sais-je ? » (Bregeault, 1899, 439). Ainsi en intégrant et instruisant les femmes, c’est l’harmonie, tant intellectuelle que morale, des couples qui est visée. En pratiquant la montagne ensemble, hommes et femmes se connaîtront davantage et mieux, gage assuré de la paix sociale : « Pour tous, il résultera ce bénéfice que nous apprendrons à connaître et à partager les mêmes goûts, gage assuré de satisfaction et de bonheur pour les relations futures dans la société » (Berger, 1878, 582).
23 On retrouve dans les propos de Berger, les rhétoriques républicaines de l’harmonie des ménages comme facteur de bonheur et de progrès de la société démocratique (Mayeur, 1977). L’instruction alpine des femmes, leur intégration pour la découverte des joies et beautés de la montagne, s’analyse aussi comme une thérapie concrète dont le but est de limiter ou d’inhiber les résistances des femmes à l’égard de l’engagement de leur mari ou enfants, ainsi que le décalage intellectuel qui existe entre les hommes et les femmes (Ottogalli, 2003). Il est important de noter que ces arguments dits sociaux dans la présente démonstration, sont aussi largement emprunt de moralité [16]. Il est effectivement moral pour une femme d’être une bonne épouse en accompagnant son époux et en partageant en silence ces activités. Rappelons qu’au xixe siècle, la femme est présentée comme la garante de la moralité publique. Fille d’Ève, elle incarne la pureté, l’amour, l’obéissance. Elle est la Muse, celle qui inspire les hommes (Fraisse, 1995). Ainsi, ils gagneront « le sentiment exquis des convenances et de la morale » (Berger, 1878, 582) et prouveront leur noblesse d’âme tout en affirmant leur galanterie à l’égard de leur compagne. Les hommes adouciront leurs mœurs et abandonneront « ce genre un peu trop libre et sans gêne qui se contracte forcément à ne fréquenter que des jeunes gens » (Berger, 1878, 582). Les mœurs contribuent alors à la définition de son rôle social (Fraisse, 1995).
24 Enfin, les enjeux de l’intégration des femmes sont aussi d’ordre économique. Pour Françoise Paimboeuf (1987), « c’est grâce à la présence des femmes que les gîtes primitifs sont devenus des auberges relativement confortables », ainsi les femmes et dans un premier temps les Anglaises « ont grandement contribué à un certain raffinement de ce mode de vie » (Paimbœuf, 1986, 244). Là encore, les stéréotypes sociaux de la femme belle et fragile ont œuvré dans le sens d’une augmentation du confort, de l’accessibilité des auberges et de l’amabilité des aubergistes. J. Berger voit en elle, celle qui est à l’origine de l’aménagement plus confortable des sites d’hébergement et des voies de communication et qui apporte la prospérité. Car si les sites de montagne sont bons pour femmes et enfants, alors ils sont convenables pour tous :
25 « Je vois un avantage immense résultant de la participation des dames aux courses de montagne : c’est qu’elles seules sont capables d’enrichir les pays qu’elles daignent parcourir. Ce ne sont point les touristes, mais bien les familles composées de dames et d’enfants qui, par leur présence, ont transformé la Suisse en nécessitant la création d’hôtels confortables et de routes nouvelles ; et je ne prévois pas d’avenir pareil pour nos belles Alpes du Dauphiné tant que les dames n’y mettront pas les pieds » (Berger, 1878,582).
26 De plus, intégrer et instruire les femmes, c’est contribuer à accroître les effectifs du club au niveau des inscriptions féminines mais aussi masculines. Ainsi, dans l’optique d’un développement touristique des espaces montagnards français dans laquelle s’engage le CAF, dès 1874, le développement de la pratique féminine, enfantine et plus largement familiale trouve une place de première importance.
27 Les propos de Berger, quant aux rôles et aux qualités reconnus au sexe féminin, sont dans la continuité des débats républicains en faveur de l’instruction secondaire de jeunes filles qui se développent en France depuis 1867. Par contre, sur le plan des mises en œuvre concrètes, l’attitude du CAF à l’égard des femmes est totalement novatrice et même pionnière dans le domaine sportif. Effectivement, pour Françoise Mayeur (1977), ces discours, trop marginaux et politiquement « délicats », restent globalement inopérants dans le domaine public jusqu’en 1880 quand Camille Sée parvient à faire voter sa loi sur l’instruction « supérieure » des jeunes filles en l’inscrivant dans un projet politique « de stabilité et d’harmonie du ménage » (Mayeur, 1977, 13). Le Club Alpin Français prend les devants, dans le domaine privé, six ans plus tôt [17]. De plus, si les propos de Berger sont dans l’air du temps sur le plan des prescriptions sociales et morales, ils sont avant-gardistes en matière d’exercice physique pour les femmes.
Femme et alpinisme : une rencontre d’un nouveau genre
28 Sous tutelle masculine et d’un effort modéré, la pratique des femmes est indirectement conforme aux prescriptions de l’excursionnisme cultivé, c’est-à-dire une pratique modérée dont les motivations sont, pour les maris, scientifiques, esthétiques ou/et mystiques, éducatives (Hoibian, 2000) [18]. Cette forme de pratique répond ainsi dans son esprit global aux normes du genre féminin. La représentation de la femme comme « sexe faible » ou comme représentante instruite mais soumise du foyer bourgeois est tout à fait présente dans l’imaginaire alpin et les pratiques mises en place. En alpinisme, les « filles d’Ève » sont, sur le modèle de la première femme, image et imitation. Elles sont systématiquement présentées au second rang, comme auxiliaires de l’homme de part leur infériorité naturelle et originelle (Schmitt, 2001). Protégées et encadrées, l’ultime finalité de leur intégration dans la pratique de l’alpinisme est d’être des compagnes idéales. Elles suivent leur mari dans certaines aventures raisonnables et patientent dans les centres touristiques lorsque celui-ci s’engage dans des aventures trop téméraires pour leur condition de femmes. À ce titre, et compte tenu des modalités de pratique, la rencontre entre les femmes et l’alpinisme répond aux définitions sociales des rôles sexués. Derrière les discours incitatifs à l’égard de son engagement dans la pratique, ce n’est pas tant la future alpiniste qui est visée, mais surtout la pourvoyeuse de vie, la mère nourricière ou la compagne de futurs alpinistes. Ainsi, les femmes alpinistes sont marquées et se conforment aux définitions du genre. Mariées avec un alpiniste, une grande majorité des femmes pratiquantes ne font que leur devoir en suivant leur mari. N’oublions pas que depuis 1804, le code Napoléonien légalise l’inégalité des époux et la soumission des femmes à l’autorité de leur mari. Celui-ci est « le juge souverain et absolu de l’honneur de la famille » (Ripa, 1999, 36), ainsi il doit protection à sa femme, qui elle-même lui doit obéissance.
29 Pourtant, dans cet environnement éloigné des regards de l’opinion publique et des « quand dira-t-on », certaines femmes alpinistes trouvent un espace de liberté tout à fait exceptionnel par rapport aux normes du genre féminin de leur époque, sans pour autant encore s’émanciper, au sens d’un affranchissement de l’autorité masculine. Doit-on rappeler que, du mythe originel de la création à la période étudiée, la fin du xixe siècle, la différence des sexes et l’infériorité féminine sont perçues comme des données immuables de la toute puissante nature. Cette différenciation postule un usage différent de la force et de la raison selon les sexes. Alors que la femme est dite, par nature, faible, frivole, versatile et crédule (Ripa, 1999, 33) ; elle est, de ce fait, destinée à des activités extrêmement limitées, de plus, uniquement dans le cadre protecteur du foyer. Or, sur le plan physique, la pratique alpine, pour laquelle J. Berger et le CAF incitent les femmes, constitue d’ores et déjà, entre 1874 et 1880, une pratique physique tout à fait atypique et marginale. Rappelons que ce n’est qu’à partir de 1880, avec la loi George sur l’obligation de l’éducation physique que s’ouvre réellement le débat autour de la question de l’éducation physique des jeunes filles (Terret, 1995). Débat polémique et controversé qui aboutira certes à un texte législatif seulement deux ans plus tard mais qui mettra, sur le plan des pratiques, plus de trente ans à s’opérationnaliser modestement. De même, en 1885, plus de 10 ans après l’intégration des femmes dans la pratique alpine, le baron de Vaux décrit « les femmes de sport ». Toutes mondaines et pratiquant par souci de représentativité sociale dans des activités impliquant un effort et une mobilité très réduite, ces femmes de sport, ces femmes qui « virilisent leur corps et leur cœur », suscitent angoisse et critique, dont la lettre de Catulle Mendès, en préface de l’ouvrage, est particulièrement représentative [19]. Pourtant, depuis plus de 10 ans, des bourgeoises issues de la frange cultivée pratiquent pour l’hygiène, par devoir républicain mais aussi par plaisir et goût du dépassement personnel [20]. Les incitations et les pratiques physiques des femmes au Club Alpin Français confirment ainsi leur caractère avant-gardiste.
30 Cette transgression au genre féminin s’accentue au cours des années 1880-1900, où la pratique alpine féminine se conjugue de plus en plus avec les grandes courses comme l’ascension du Grépon, de la Barre des Ecrins, des Aiguilles d’Arves et tant d’autres, soulevant généralement l’admiration et rarement la réprobation (Ottogalli, sous presse), bien que ces courses s’inscrivent dans un imaginaire et des valeurs qui assimilent la montagne à un espace dangereux et viril. Dès lors, des obstacles liés à l’incompatibilité des genres sont perceptibles, malgré le soutien à l’investissement contrôlé des femmes dans la pratique. Trois types d’incompatibilité sont soulevés, accroissant le caractère atypique de la rencontre femme et alpinisme : l’incompatibilité des « natures » entre les femmes et la haute montagne ; l’incompatibilité entre les obligations de séduction et les exigences techniques de la pratique et l’incompatibilité entre le cloisonnement social et sexuel des femmes pour la protection de leur moralité et la promiscuité qu’impose la haute montagne (Ottogalli, sous presse).
31 Enfin, cette rencontre entre les femmes et l’alpinisme devient réellement atypique lorsque certaines trouvent à travers leurs pratiques et/ou leurs écrits, un espace de militantisme féministe. C’est le cas dès 1887 pour Gabrielle Vallot. Alpiniste de bon niveau, elle pratique l’alpinisme dans le massif du Mont Blanc, en accompagnant son célèbre mari, le scientifique et alpiniste, Joseph Vallot. En 1887, elle signe, dans l’annuaire du CAF, un article exclusivement consacré à la question des femmes alpinistes (Vallot, 1887). Non contente de poser la question du devoir des femmes à entreprendre de grandes courses en montagne, Gabrielle Vallot s’engage en rompant avec l’opinion « d’un grand nombre d’alpiniste » qui « se prononcent par la négative » pour « réserver à leur sexe l’honneur d’atteindre les pics les plus difficiles » (Vallot, 1887, 41). Elle dénonce les discriminations faites au nom de la différenciation du féminin et du masculin. La haute montagne est l’un de ses espaces marqué par le genre masculin. Elle permet d’entretenir l’idée, l’imaginaire du danger, de la force, du courage, de la souffrance et par conséquent de la supériorité, de la toute puissance de l’homme conquérant de ces espaces. La grande montagne agit comme un conservatoire de la différenciation sexuelle car elle sexualise le courage et l’accès à la science. Or, Gabrielle Vallot entend rompre avec cette conformité. Au contraire, elle admire les femmes qui sont capables de se distinguer par leur intelligence et leur courage même si elles ne sont encore que « des exceptions » ou « des intrépides grimpeuses ». Quelques années plus tard, en 1891, une autre alpiniste française, Mary Paillon, renommée au sein du club par les hauts faits de sa pratique, milite en faveur du développement de l’alpinisme féminin (Paillon, 1891). La femme peut et doit marcher, « comme les hommes » (Paillon, 1891, 51). Pour l’une comme l’autre, la femme est capable de se confronter aux difficultés de la grande montagne. Elle peut excursionner « à égalité » avec les hommes à condition de s’entraîner progressivement et d’adopter une tenue adéquate aux exigences techniques de la pratique. Pour Gabrielle Vallot et Mary Paillon, l’alpinisme, comme tous les autres domaines réservés au masculin, relève de l’éducation et non de la nature des femmes.
32 Ces pionnières d’un féminisme alpin militant, sont certes rares mais elles ne sont pas pour autant marginales. Derrière elles, d’autres femmes alpinistes subvertissent partiellement l’ordre établi en pénétrant, individuellement dans des espaces de pratique non conforme aux espaces de construction de la féminité. Comme les autres femmes dites exceptionnelles (les peintres, les scientifiques, les écrivains), « elles ébranlent les partis pris, préparant le passage à d’autres femmes, sans du reste l’avoir toujours consciemment voulu » (Ripa, 1999, 80). Sans s’engager dans les mouvements féministes de la fin du xixe siècle, elles font cependant œuvre de féminisme dans la mesure où il s’agit d’une prise de conscience individuelle de l’oppression spécifique des femmes, accompagnée de la volonté d’instaurer l’égalité des sexes dans la pratique de l’alpinisme, à plus ou moins longue échéance (Klejman & Rochefort, 1990). Féministe par leur existence et leurs actions [21], plus que par leurs revendications, les femmes alpinistes ont su briser partiellement les règles de l’enfermement domestique dictées par la société bourgeoise et ainsi, elles ont « fait reculer la frontière du sexe » (Perrot, 2002, 563). Comme les bourgeoises philanthropes ou les ouvrières syndicalistes de la fin du xixe siècle, les femmes alpinistes parviennent à « sortir physiquement » de l’enclos de la condition féminine, qui plus est, avec les faveurs de la tutelle masculine. Elles vivent ainsi des expériences profondément atypiques, y compris dans le cercle très restreint des « sportives » de leur temps. Certaines (comme Mary Paillon) parviennent aussi à « sortir moralement » des obligations de la domination masculine, mais aucune de ces femmes n’assumera encore de « sortir en tête ».
CONCLUSION
33 Inscrit parmi les toutes premières sociétés sportives de la fin du xixe siècle, le CAF distingue sa spécificité et son originalité dans son rapport aux femmes. Alors que la plupart des autres sociétés ou clubs sportifs constituent des lieux de construction de la masculinité (Terret, 1999) en excluant naturellement les femmes, le CAF intègre et incite au développement d’une pratique alpine pour les femmes. Leurs pratiques, marquées par les stéréotypes sociaux de leur sexe (le genre) sont certes modérées et encadrées mais profondément atypiques dès 1874 et a fortiori entre 1880 et 1900 où émergent les tenants d’une complexification de l’activité et des discours féministes. Une pratique qui est plus ou moins atypique en fonction de la difficulté des ascensions ou des modalités vestimentaires choisies mais constamment initiée et sous le contrôle des hommes de la famille. À l’époque où la femme est légalement sous l’autorité d’un père ou d’un mari, la tradition paternaliste où il s’agit d’éduquer la femme, la sœur ou la fille, à des fins républicaines plus qu’à des fins d’épanouissement et de liberté individuelle, reste marquée. Mais l’un ne va pas sans l’autre. Tout comme l’enseignement secondaire offre une indépendance financière à certaine (Mayeur, 2002), l’initiation alpine offre des espaces de transgression et de liberté à d’autres. Ainsi, malgré la domination masculine (Bourdieu, 2002), les femmes alpinistes trouvent une occasion de contact avec la vraie nature. Ce contact est certes souvent, de par les modalités de pratique, une confirmation de la supériorité masculine mais aussi, pour les pratiquantes régulières, l’occasion de tester, d’expérimenter leurs capacités physiques et morales, de se connaître, mais surtout d’apprendre à se dépasser. Ainsi, elles s’éduquent progressivement pour, jour après jour, prendre conscience de l’importance de l’éducation et de la fragilité des croyances « naturalistes ». À travers leur pratique et/ou leurs écrits, certaines (une minorité toutefois) militent pour un féminisme de l’égalité qui affirme que les différences sexuelles biologiques interviennent bien moins dans la condition des femmes et des hommes que le poids de la société qui construit le féminin et le masculin (Ripa, 1999). L’alpinisme de la fin du xixe siècle, de par les composantes socio-culturelles du CAF et l’imposition d’une définition cultivée et modérée de l’alpinisme participe à l’émergence de « la femme nouvelle », c’est-à-dire des femmes plus libres voulant profiter de leurs corps et de leurs droits tout en supportant « la fatalité générique » de leur sexe (Maugue, 2002, 618).
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Mots-clés éditeurs : genre, femmes alpinistes, domination masculine, sport
Date de mise en ligne : 01/10/2005.
https://doi.org/10.3917/sta.066.0025Notes
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[1]
En 1788, Mme Harsberg parvient au sommet du Montenvers en hiver ; entre 1785 et 1791 (les bornes étant les deux éditions des Nouvelles descriptions des glacières de 1785 et 1791), les Misses Parminter font l’ascension du Buet (3 098 m) ; en 1803, Miss Harriet Eckershall de Bath et Julie Laforge de Lausanne grimpent au Brévent par la cheminée, alors qu’il n’y a ni marches taillées, ni main courante.
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[2]
Aucune spécificité n’est dissimulée derrière cette appellation « alpinisme féminin ». Cette expression est simplement utilisée pour nommer « l’alpinisme pratiqué par des femmes ».
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[3]
Entre 1840 et 1870, les alpinistes françaises sont extrêmement rares dans le paysage alpin, non seulement parce qu’aucune ne s’illustre au plus haut niveau, mais surtout parce que l’alpinisme français de façon générale n’a pas encore pris son élan, contrairement à l’alpinisme anglais. D’ailleurs « nos » compatriotes anglaises, Mrs. Brevoort, Mrs. Walker ou Mrs. Straton, s’illustrent, d’ores et déjà, en réalisant des premières féminines, en ouvrant de nouvelles voies et réussissant des hivernales, notamment celles du Mont Blanc par Mrs. Straton le 31 janvier 1876. Toutes ces Anglaises sont marginales, « hors normes », s’extirpant des obligations du genre dans la société Victorienne (Paimboeuf, 1986). Elles pratiquent l’alpinisme, grâce à leur fortune personnelle et dans la plus grande confidentialité, en dehors des institutions, et notamment de l’Alpine Club, fondé en 1857, au sein duquel elles ne sont pas admises.
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[4]
Le Club voit le jour le 2 avril 1874.
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[5]
À la même époque, les clubs alpins anglais, suisse ou austro-allemand ont une attitude radicalement exclusive à l’égard des femmes. Seul, le Club Alpin Italien semble plus tolérant à l’égard d’une pratique féminine.
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[6]
Seuls les travaux de Dominique Lejeune font une petite place aux femmes dans la restitution des faits historiques. Deux pages leurs sont consacrées sur l’ensemble du travail.
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[7]
Ainsi, cette étude s’intègre plus largement dans un travail de doctorat en histoire du sport sur l’histoire des femmes alpinistes au Club Alpin Français jusqu’à la première guerre mondiale.
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[8]
Au tournant du xxe siècle, « ni la puissante Union des Sociétés de Gymnastique de France, créée dès 1873, ni la principale fédération sportive du pays, l’Union des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques, ne sont prêtes à reconnaître et accepter la présence des femmes » (Terret, 2000, 43).
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[9]
En l’état actuel des connaissances, le Club Alpin Français est alors pionnier du fait. Il devance largement les quelques clubs de vélocipédie comme le Véloce Club Béarnais ou le Cycle du Thimerais qui se singularise en accordant aux femmes, les « mêmes droits et les mêmes devoirs » que leurs collègues masculins, en 1894 (Poyer, 2003, 242).
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[10]
Anonyme, Le courrier des Alpes, n° 93, 1874.
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[11]
Normalement, les clients désirant un guide pour faire une ascension, ne peuvent choisir leur guide. Ils sont obligés de se plier au principe du tour de rôle et doivent partir avec le guide dont c’est le tour.
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[12]
Tous les travaux de médecine du xixe siècle s’accordent pour reconnaître l’infériorité physique et intellectuelle de la femme justifiant ainsi une distribution différenciée des droits et devoirs des femmes par rapport aux hommes au nom de leur spécificité dite « naturelle ». Cf. Varigny, H. de., « Femme », in La grande encyclopédie, 1895-1902, pp. 143-170 ou Kniebihler, Y., Le discours médical sur la femme : constantes et ruptures, in Romantisme n° 13-14, 1976, pp. 41-55.
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[13]
Ernest Caron est le dixième président du CAF. Dans son article, il constate que les effectifs passent de 5356 adhérents en 1889 contre 5431 adhérents l’année précédente.
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[14]
La montagne ou le centre touristique deviennent les nouveaux foyers.
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[15]
Toutes sont femmes d’éminents scientifiques du CAF. En silence, elles participent aux travaux de leur époux et les accompagnent régulièrement dans leurs aventures alpines. Ce n’est qu’en 1889, que Gabrielle Vallot signe un article dans l’Annuaire du CAF sur les aventures spéléologiques du couple dans lequel le (la) lecteur (trice) peut cerner son rôle dans l’activité scientifique de son mari.
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[16]
Pour tout ce qui concerne l’esprit, l’intelligence, il est fréquent au xixe siècle de parler du système moral de la femme. Pour les médecins philosophes du xixe siècle, la femme est amour, pureté et innocence. Son sexe constitue son identité. L’Avoir devient l’ÊTRE. Ainsi, elle est la garante et la transmettrice des valeurs morales et doit par conséquent être l’objet de toutes les attentions pour que sa moralité soit protégée.
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[17]
Les lois de 1880 sonnent alors pour le CAF comme une confirmation de la politique choisie à l’égard des femmes. Confirmation qui se traduit d’ailleurs quantitativement par une importante augmentation des effectifs (Cf. Tableau 1) mais aussi sur le plan qualitatif par l’émergence d’une pratique plus acrobatique (Cf. Ottogalli, sous presse).
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[18]
Il s’agit alors d’une pratique sans prétention des femmes au service de l’excursionnisme cultivé des maris.
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[19]
Il accuse le baron de Vaux d’inciter les femmes, les mondaines à délaisser les devoirs du logis, à viriliser leurs corps et leurs esprits, et, comble d’horreur, à s’extraire de la protection et de la dépendance masculine en développant leur force et des habiletés au duel : « une sportwoman ne connaît pas la nécessité d’être protégée ! Pour tirer vengeance d’une insulte, elle n’a que faire d’y être aidée. Et pourquoi se résoudrait-elle à un mari ou à un compagnon moins légitime, lorsqu’elle peut elle-même se rendre redoutable aux plus téméraires ? Hélas ! Tristes hommes inutiles désormais. L’habitude du duel fera perdre aux femmes l’habitude du duo ».
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[20]
En 1885, elles sont déjà 17 françaises à avoir gravi le plus haut sommet d’Europe.
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[21]
Laurence Prudhomme fait référence, à propos de l’engagement sportif des footballeuses de l’entre deux guerres, à un « féminisme en action » par opposition au féminisme militant. Formule qui fût d’ailleurs utilisée par Jean Misme dans La Française de janvier et mars 1922, cité par Prudhomme-Poncet, Laurence., « Ces dames du ballon rond ; Histoire du football féminin en France au xxe siècle », Thése de l’Université Claude Bernard, Lyon 1, Nov 2002, p. 129.