Notes
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[1]
La désignation de cette catégorie de jeux date des quatre-vingt. Elle n'apparaît dans nos écrits qu'en 1989 in Revue A 226, IUFM Grenoble, Université Joseph Fourier.
« Avant donc que d'écrire apprenez à penser.
Selon que notre idée est plus au moins obscure,
L'expression la suit, moins nette, ou plus pure.
Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément. »
Nicolas Boileau
Les raisons d'un débat théorique
1 Avant donc que d'enseigner une discipline, il est préférable de la bien connaître. Cette connaissance ne peut exister sans une analyse approfondie de ce qui constitue fondamentalement l'activité, non seulement au plan de sa pratique actuelle (ici et maintenant) et de ses règles contemporaines mais aussi en fonction de ses fondements anthropologiques et historiques.
2 Dans la Revue Internationale des Sciences du Sport et de l'Education Physique, S.T.A.P.S, 56, automne 2001, Serge Eloi et Gilles Uhlrich signent un article intitulé : « Contribution à la caractérisation des sports collectifs : les exemples du Volley-ball et du Rugby » qui propose une caractérisation et une classification des sports collectifs qui ne paraît pas prendre en compte l'ensemble des indicateurs pertinents pour l'analyse et l'action pédagogique. Il convient donc d'initier ici un débat sur le fond par une « réponse à l'éditeur ».
L'essence à la question
3 Les auteurs focalisent l'attention du lecteur sur deux disciplines. Ils expliquent le Volley-ball de façon très contradictoire (on va le montrer plus loin), le Rugby de façon discutable, et ne disent rien des autres sports collectifs. On notera aussi que certaines sources bibliographiques sont occultées ou omises (Conquet P., 1988, 1989, 1995) qui pourtant semblent à certains niveaux avoir servi de base à plusieurs éléments de l'analyse. Les notions notamment « d'essence » et de « fondamentaux du Rugby » (terme qui fait d'ailleurs l'objet d'une procédure judiciaire) ne sont pas rapportées à leur initiateur.
4 Sur un autre plan, affirmer que le Rugby est un jeu de combat collectif, c'est implicitement affirmer que les autres jeux appartiennent à d'autres catégories, que le Rugby a une essence et que les autres jeux ont la leur. Cette affirmation théorique résulte d'une nécessité pédagogique où l'ergonomique, largement privilégié jusque-là, est irrémédiablement supplanté par l'informationnel. Le cœur de la question désormais est bien celui du sens, le sens de ce que l'on enseigne et le sens de son enseignement : « Éduquer c'est apprendre à construire du sens » affirme Charles Hadji (1992).
5 Pour Eloi et Uhlrich et plus largement le courant de pensée dans lequel ils s'inscrivent, l'Histoire ne semble pas déterminer le présent et en outre l'intention et l'émotion ne font toujours pas partie du réel. Le formel (notamment réglementaire) est privilégié par rapport à toute autre logique. Cette position semble pourtant depuis longtemps avoir été remise en cause pour ce qui concerne les sports collectifs notamment et cette question tranchée (Conquet P., 1988 et 1989).
6 Dans le résumé qui précède leur article, les auteurs annoncent que leur « analyse des sports collectifs sous l'angle de l'essence, entre dans le débat concernant les caractéristiques fondamentales des sports collectifs ». C'est ce débat que nous voudrions entamer avec eux.
7 Or, tout débat sur « l'essence » d'une activité humaine constitue un débat sur le sens. Une telle activité n'existe que par la volonté des hommes d'en faire ce qu'elle est pour servir leurs desseins. En soi, elle a bien une essence, mais cette dernière est totalement déterminée par la volonté des hommes ; on peut alors parler de sens, voire de sens premier, ce qui ne change rien à l'analyse.
8 Mais de quel sens peut-on parler lorsque l'on ne retient que deux rapports de jeu sur trois dans l'analyse ?
9 En effet, seuls les rapports joueur/ballon et joueur/partenaire sont pris en considération dans ce texte, et le rapport joueur/adversaire est complètement occulté. Ce simple argument, fondamental permet de comprendre pourquoi les auteurs ne classent pas le Rugby dans la catégorie des « jeux de combat collectifs ».
10 La pratique affiche pourtant outrancièrement une intensité jamais atteinte dans la confrontation en opposition aux corps, et cette dernière détermine tout le reste du jeu. Pour Eloi, Uhlrich et un plus large courant didactique (PMDT), le Rugby n'est pas, aujourd'hui encore (alors que ce débat est tranché depuis longtemps), un jeu de combat collectif. Les auteurs préfèrent imaginer voire inventer un Rugby, sans histoires et sans Histoire ; cela semble plus commode que de prendre à bras le corps les contradictions d'une réalité multidimensionnelle.
11 Après avoir salué quelques personnalités pour donner une garantie de sérieux à leurs propres écrits, les auteurs annoncent qu'ils se sont appuyés sur les travaux de Deleplace, de 1966 et 1979, que l'auteur du présent article connaît parfaitement pour avoir réalisé les dessins du premier ouvrage (1966) et effectué une lecture critique du second (1979). C'est donc en pleine connaissance de cause que l'on doit se demander où Bouthier & Rietchess (1984), également cités, ont bien pu trouver, dans ces textes l'ombre d'une piste pour comprendre les autres sports collectifs.
12 On verra plus loin que rien chez Deleplace ne peut aider dans l'analyse des sports collectifs, rien non plus ne permet de comprendre les fondements historiques, anthropologiques et pratiques du Rugby. Les auteurs font donc certainement fausse route dans cette première référence. La publication de : Les fondamentaux du Rugby (Conquet P., 1977) et la réalisation de communications aux colloques du S.N.E.P. de 1985 et 1988 (Conquet P., 1985 & 1988) correspondaient à ce constat d'une inadéquation voire d'une invalidité de l'analyse de Deleplace. Au cours du premier colloque, a été proposée une analyse des jeux collectifs selon le concept d'essence (Concquet P., 1985) et au cours du second des principes d'actions et une méthode d'enseignement (Conquet P., 1988). En 1989, l'I.U.F.M. de l'Académie de Grenoble publiait « le Rugby » (Conquet P., 1989) qui était une synthèse plus affinée encore de ces deux textes précédents et réalisait une analyse qui dépassait celle de Deleplace. Il est donc étonnant que Uhlrich et Eloi passent sous silence cette vision radicalement différente au plan théorique (et donc dans ses implications pédagogiques), incontestablement plus actuelle et qui aurait pu les conduire à de tout autres conclusions, d'autant plus qu'en 1995 Pierre Conquet confortait sa thèse et ses concepts en publiant Les fondamentaux du Rugby moderne (Conquet P., 1995).
Volley-ball, rugby et transversalité
13 Après cette remise en contexte de la production d'Eloi et d'Uhlrich nous pouvons examiner de plus près et de manière très détaillée leur analyse.
14 Au paragraphe 1-3 nous lisons « Deux activités caractéristiques : Volley-ball et Rugby ». Avant toute étude, ces deux pratiques sont placées aux « extrémités d'un continuum d'analyse des sports collectifs ». Il faut déjà beaucoup d'imagination pour déceler le moindre lien entre le Volley-ball et chacun des autres sports collectifs, et il n'en faut pas moins pour y trouver un continuum, à travers « les critères qui fondent leur transversalité ».
15 Le paragraphe qui suit est très significatif de la méthode d'analyse des auteurs et de leurs références théoriques.
16 « Si l'on se réfère à la forme de ces deux activités, il semble manifeste que l'on peut les placer aux deux extrémités d'un continuum d'analyse des sports collectifs. Il suffirait de mettre en exergue les critères relatifs à l'engagement physique ou plutôt aux contacts entre les adversaires pour illustrer cette assertion. Par ailleurs, ces deux activités présentent des spécificités fortes au regard des autres sports collectifs. Le Rugby s'illustre par la possibilité offerte aux joueurs d'une liberté totale d'action sur la balle (elle peut être portée, passée, jouée au pied) alors que le Volley-ball se distingue par une restriction qui peut paraître draconienne, des moyens d'actions sur le ballon (il doit être frappé, le nombre de touches est limité par joueur et par équipe). Malgré cette forte disparité, nous pensons pouvoir montrer que des propriétés similaires et transversales peuvent être mises à jour pour ces deux activités et au-delà, pour les autres sports collectifs ».
17 Reprenons : « si l'on se réfère à la forme… » C'est donc « la forme », l'extériorité, qui dès le départ, détermine le choix des auteurs pour organiser la base de leur démonstration. La reconnaissance de l'existence des contacts en Rugby « illustre » certes cette assertion, mais ceux-ci sont illico relégués à l'arrière plan de leur démonstration, parce que, selon les auteurs, « les spécificités fortes du Rugby et du Volley-ball » ne tiendraient pas au contenu du rapport de jeu joueur/adversaire (« au contact ») mais du rapport de jeu joueur/ ballon : « le Rugby s'illustre par la possibilité offerte aux joueurs d'une liberté totale d'action sur la balle (elle peut être portée, passée, jouée au pied)… ». Et voilà, selon les auteurs, ce qui serait la vraie spécificité du Rugby inspirée de la conception de R. Deleplace, dont nous citons ici un extrait tiré du Mémoire de Pierre Villepreux pour l'obtention du diplôme de l'INSEP : « ce serait un mouvement en combat continu sans qu'il y ait à ordonner mêlée d'arbitre ou pénalité ou à faire remettre le ballon en jeu à la touche, sans avoir recours à la mêlée ouverte, commençant avec l'engagement de la balle au centre ou un renvoi aux vingt-deux mètres »… (sic). P..Villepreux ajoute : « c'est pour lui [Deleplace] ce modèle qui permet d'établir la véritable trame pure du Rugby de mouvement, dans laquelle tout le reste vient se greffer en toute logique et par laquelle tout le reste prend un sens. » (Villepreux, 1987, p. 22).
18 La réalité statistique réfute totalement cette analyse de Deleplace et remet en cause celle d'Eloi & Uhlrich. Lors du match France Angleterre du 02-03-02, en 36'32" de jeu effectif sur 92'40" de jeu réel, le combat en opposition aux corps – exclu de l'analyse d'Eloi & Uhlrich et considéré comme quantité négligeable par R. Deleplace auquel les auteurs se réfèrent de manière décisive – a comporté 456 phases d'opposition aux corps (24 remises en jeu à la touche, 25 mêlées ordonnées, 240 plaquages et 125 regroupements) soit une toute les 5"3/10 de jeu effectif.
19 Autrement dit, l'occultation par Eloi & Uhlrich du rapport joueur/adversaire, qui dans ce match-là constitue au moins 95 % des jeux en opposition aux corps, et la focalisation exclusive du jeu sur le rapport joueur/ballon, est une erreur au plan de l'analyse quantitative rigoureuse des matches de haut niveau (mais aussi de l'ensemble de la pratique du Rugby).
20 Par ailleurs, alors que les auteurs indiquent qu'il existe une grande liberté d'utilisation du ballon au Rugby, et une restriction draconienne en Volley-ball, nous remarquons qu'en moyenne, le joueur est beaucoup plus sollicité pour jouer le ballon en Volley-ball qu'il ne l'est en Rugby (une minute par match en moyenne en Rugby).
21 Enfin, en Rugby ; la capacité à combattre en opposition aux corps détermine à 95 % la possibilité d'utiliser le ballon, alors qu'en Volley-ball celle-ci est entièrement contenue et se détermine par le seul rapport joueur/ballon. On voit donc mal à ce premier niveau d'analyse quel intérêt il pourrait y avoir à examiner les deux activités sur le plan de la forme pour y rechercher une transversalité.
L'histoire en question
22 Dans le paragraphe 2 « y a-t-il une logique constitutive des sports collectifs » nous lisons que le Rugby aurait été inventé ! Inventé en 1823 !
23 Ainsi les millénaires de jeux de combat collectifs en opposition aux corps, où des milliers d'hommes ont joué à se battre au corps à corps n'auraient pas déterminé le jeu du XIXe siècle. Pour Eloi & Uhlrich, le jeu moderne aurait surgi en 1823 comme une génération spontanée ; le schéma séculaire de la bataille ne se serait imposé en rien, et les historiens du Rugby, J.-P. Bodis et H. Garcia, pour ne citer que les Français, ne seraient que des passéistes, quand ils rappellent que les origines du Rugby sont dans toutes les civilisations, « bien avant Confucius » en Chine, à l'époque des Pharaons en Égypte, à celle des spartiates en Grèce, dans la Rome antique avec l'Haspartum, au cours de la Renaissance italienne avec le terrible Calcio Florentin (« qui se pratique déjà avec une balle gonflée d'air » note H. Garcia), depuis le Moyen Âge, jusqu'aux guerres Napoléoniennes en France avec la Soûle, la Choule et la Barrette.
24 Henri Laborit confirme cette position « d'historicisation » nécessaire quand il écrit que : « Pour celui […] qui veut contribuer à l'évolution spirituelle de son époque, ou du moins ne pas s'y laisser traîner aveuglement, pour celui-là la culture du passé est aussi nécessaire que celle du présent. En cela les philosophes grecs ont établi, eux aussi, non une philosophie désincarnée, mais une science de l'action. […] La découverte ne peut se faire qu'en comptabilisant l'expérience passée et en le dépassant […] Chaque chose apprise… n'a aucun intérêt si elle ne s'inscrit pas dans un cadre plus vaste, par niveaux d'organisations et régulations intermédiaires, aussi bien dans le sens horizontal du présent que vertical du passé et de l'avenir. ».
25 Eloi et Uhlrich, préfèrent ignorer l'Histoire séculaire et délivrer un acte de naissance au Rugby au début du XIXe siècle se privant ainsi de percevoir « l'essence » anthropologique de ce jeu de combat et notamment son fondement dans le rapport joueur/adversaire.
L'essence en question
26 En suivant le développement des auteurs, page 111, nous trouvons en titre de sous-paragraphe « De l'essence à la logique interne », phrase figurant également dans Les Fondamentaux du Rugby Moderne (Conquet P., 1995) mais non cité en référence (aucun des huit ouvrages de P. Conquet ne figure dans la bibliographie de l'article, pas plus d'ailleurs que les titres des ouvrages de Pierre Conquet d'où sont tirés les trois extraits figurant dans l'article).
27 Page 112. « La principale raison pour laquelle il n'est pas fait référence à cette notion [d'essence] réside dans la difficulté d'appréhender sous forme de concept ce qui constitue l'essentiel de l'activité. »
28 Tout dans l'environnement humain est appréhendé sous forme de concept. Sauf ce qui lui est étranger, parce que l'être humain ne l'a pas appréhendé. S'il en était autrement en ce qui concerne l'essence d'une activité comme semblent le dire les auteurs – cela signifierait que les activités humaines n'auraient aucun sens. Or, en réalité, elles en ont un, mais la vision d'Eloi et d'Uhlrich, davantage centrée sur la matière que sur le sens dont l'homme peut l'investir, ne permet pas la mise en congruence du sens et de la matière : en d'autres termes l'informationnel. C'est une des raisons pour lesquelles les auteurs doivent encore discuter cette question qui semblait pourtant tranchée depuis longtemps.
29 « C'est nous semble-t-il, ce combat pour avoir la jouissance du ballon qui constitue la logique particulière des sports collectifs. »
30 A l'école maternelle peut être, mais au-delà c'est la lutte pour dominer l'adversaire dans un rapport d'opposition convenu, et ce quel que soit le sport collectif. Dans tous les cas le ballon est d'abord catalyseur de lutte avant d'être projectile.
31 Les auteurs sont assez mal fondés à qualifier toute lutte de « combat » pour avoir la jouissance du ballon dans tous les jeux collectifs, alors qu'ils contestent par ailleurs le classement du Rugby (Conquet P., 1988 et 1989) dans la catégorie des jeux de combat collectifs.
32 La jouissance du ballon, qu'on peut entendre également au sens de possession ou d'utilisation, n'est pas fortuite ici ; sa connotation affective renforce le contenu du rapport joueur/ballon, qui jouit d'une attention privilégiée de la part d'Eloi et d'Uhlrich et du courant d'analyse dans lequel ils s'inscrivent (PMDT) ; pour cette raison les auteurs n'hésitent pas à jouer sur la polysémie du terme, voire sur l'ambiguïté.
33 Page 115, suivent deux paragraphes « 2.3 Le système de marque » et « 2.4 La notion de cible » qui conduisent les auteurs à l'affirmation suivante : « C'est la cible qui donne tout son sens à l'activité. La méprise sur la cible provoque toujours une méprise sur la signification du jeu ». On ne le leur fait pas dire. Plus loin, s'agissant de Volley-ball, ils écrivent : « …le passage du ballon au-dessus de l'obstacle vertical [il était trop simple sans doute d'employer le terme “filet”] n'a jamais permis de marquer des points en Volley-ball. Cette confusion explique que, pour certains, [suivez mon regard…] le but du jeu en Volley-ball consiste à empêcher le ballon de tomber dans son propre camp et donc à le renvoyer par-dessus le filet. » Évidemment nous sommes visés. Page 116, alors que nous sommes en pleine contrition, quel n'est pas notre étonnement de lire exactement le contraire : « Au Volley-ball, il est nécessaire de faire franchir l'obstacle au ballon pour atteindre le camp adverse. » !!! C'était trop simple de le formuler comme tout le monde la première fois. En réalité les auteurs n'hésitent pas à dire n'importe quoi pour contrer ceux qui pensent différemment sans même se demander s'ils ne sont pas eux-mêmes en pleine confusion.
34 Après nous avoir rassurés ainsi par la limpidité de leur pensée, ils affirment : « La cible va donc avoir un rôle déterminant dans la différenciation des sports collectifs. Plus précisément, il apparaît que se sont les particularités de la cible qui vont déterminer les droits des joueurs ».
Genèse du rugby-football
35 En réalité c'est tout à fait l'inverse qui s'est produit – c'est d'abord en voulant pratiquer sur le terrain un jeu comme ils l'entendaient, que les hommes ont déterminé les limites réglementaires, spatiales et matérielles appropriées au jeu qu'ils souhaitaient pratiquer.
36 Contrairement à certains, nous pensons que l'Ordre naturel précède l'Ordre logique, dans le domaine des sports collectifs comme dans tous les autres.
37 Ainsi en Rugby, pour protéger le joueur on instaure la règle du Hors-jeu (1871) interdisant à tout joueur de faire action de jeu et de se poster en attente de recevoir le ballon en avant du point de lutte ; ceci afin de mettre un terme aux bagarres incessantes et génératrices de blessures. Désormais les joueurs de chaque équipe devront se tenir de part et d'autre d'une ligne passant par le point d'affrontement, et nul ne sera fondé à s'en prendre aux non-possesseurs du ballon hors de la mêlée (qui est alors le cœur du jeu).
38 Jusque-là, quand on arrivait à proximité du but adverse on pouvait se disposer de part et d'autre de celui-ci et tirer ou d'un côté ou de l'autre – comme il est désormais interdit de se poster en avant du point de lutte, on se masse davantage encore qu'auparavant (on ne peut plus se placer au-delà) pour faire passer le ballon au-dessus de la barre transversale. Ce sont alors des mêlées de plus en plus compactes et houleuses génératrices de risques. Pour cette raison-là on décrète qu'il y aura but lorsque le ballon passera au-dessus de la barre transversale et non plus au-dessous. C'est donc une deuxième fois, par nécessité et pour des raisons de sécurité, que le jeu du terrain a dicté la configuration du but, et non l'inverse. Il y en aura d'autres.
39 Comme, en vertu de la règle du Hors-jeu, on ne peut plus se disposer au-delà du point de lutte, lorsqu'une équipe parvient à proximité du but adverse, l'équipe en défense s'efforce de l'éloigner de celui-ci en l'écartant d'un côté ou de l'autre de façon que l'angle de tir augmente la difficulté pour atteindre la cible (le ballon partant du sol) par drop-goal. De sorte que, souvent, une équipe dominait complètement son adversaire sur toute la surface du champ de jeu (où désormais il était seulement permis de jouer) et sa domination n'était pas concrétisée au score.
40 Précisons qu'on ne pouvait plus faire action de jeu au-delà de la limite du but adverse (la ligne de but – Conquet P., 1995) parce que si cela avait été permis on se serait trouvé devant une situation absurde : d'un commun accord les deux équipes auraient dû – en pleine bataille – exécuter instantanément un demi-tour, l'une pour protéger son but, l'autre pour que tous ses joueurs soient en deçà du point de lutte (pour ne pas être Hors-jeu). Naturellement, on décrétera d'un commun accord, qu'on ne pouvait plus faire action de jeu dans l'espace de champs situé derrière le but. Pour cette raison encore une équipe qui parvenait à dominer son adversaire jusque-là n'était pas gratifiée. C'est alors qu'on lui attribua un essai de tir au but pour marquer un point. Elle devait toucher à terre préalablement derrière la ligne de but adverse et le tir alors était effectué depuis l'endroit où la ligne avait été franchie. Le fait d'effectuer un toucher au sol dans l'en-but adverse ne valait aucun point, seul le tir par-dessus la barre transversale, ballon partant du sol, valait un point à partir de 1886 seulement.
41 Plus tard, comme les buteurs n'atteignaient pas toujours la cible, malgré une domination incontestable de leur équipe ou attribua deux points à l'essai en 1889.
1874. – | 3 touchés en but valaient un essai ; 3 essais valaient un but soit un point | |
1875. – | Au cas où le match se terminerait sans but, la victoire pourrait être donnée au camp ayant réussi le plus grand nombre d'essais. | |
1886. | 1 but ou un drop, | 3 points |
1889. | 1 essai transformé, | 4 points |
1 but ou un drop, | 3 points | |
1 essai | 2 points | |
1891. | 1 essai transformé [en but], | 5 points |
1 drop | 4 points | |
1 but | 3 points | |
1 essai | 2 points | |
1894. | L'essai est porté à | 3 points |
1948. | Le drop est réduit à | 3 points. |
1 essai, | 3 points |
transformation d'un essai, | 2 points |
1 but de pénalité, | 3 points |
1 drop goal, | 3 points ». (6) |
42 Cette évolution de la marque s'explique encore par la nécessité d'édicter la règle du Tenu – elle aussi pour protéger le joueur. En effet, à partir de 1871 on ne peut plus s'en prendre aux non-possesseurs du ballon, mais seulement au porteur du ballon, qui recevait alors une grêle de coups plus dangereuse qu'auparavant. Alors, une fois de plus pour protéger le joueur, o, décrète en 1874 que, lorsque le porteur du ballon sera immobilisé, debout ou au sol, et qu'il sera dans l'impossibilité de jouer (courir, botter, passer) il devra se défaire du ballon instantanément et s'en éloigner sans délai. Faute de quoi c'est lui qui sera pénalisé (comme pour le Hors-jeu). Ainsi ses adversaires ne seront pas fondés à lui donner des coups pour lui faire lâcher le ballon.
43 Alors la règle du Tenu aura pour effet secondaire d'augmenter le nombre de transmissions – toujours en arrière, bien sûr, en vertu de la règle du Hors-jeu – et de déconcentrer la lutte, entre autres pour effectuer un toucher à terre, sur toute la longueur de la ligne de but, fixée à 68,56 m à partir de 1879, et obtenir ainsi un essai de tir au but.
44 Donc l'essai concourt lui aussi à la déconcentration, et à la réduction des risques du jeu, et c'est aussi dans cette intention qu'il est valorisé.
45 Comme on le voit, c'est bien le jeu pratiqué sur le terrain qui a déterminé les deux règles fondamentales, le tir par-dessus la barre transversale, la ligne de but et la largeur du terrain, dans le but de protéger le joueur (rapport joueur/adversaire).
46 La dimension de cette dernière a été fixée en 1879 à 68,56 mètres, au maximum. Simultanément, il fallait déterminer une densité de joueurs suffisante, pour que le jeu conserve son caractère de bataille collective, sans toutefois qu'elle comporte des risques graves pour les participants. – En 1877 on fixa ce nombre à quinze (Garcia H., 1962).
47 Nous n'entrerons pas davantage ici dans les détails de l'histoire du Rugby, pour illustrer à quel point c'est bien le contenu du jeu qui a déterminé la marque et les cibles, et non l'inverse dans ce jeu – contrairement aux affirmations audacieuses des auteurs.
Le football association
48 En Football, les établissements peu aisés ne disposaient que de cours pavées sur lesquelles il était dangereux de tomber. Pour éviter les chutes on a interdit de se saisir du ballon avec les mains et, bien sûr, de s'en prendre aux joueurs, utilisateurs ou non du ballon ; enfin on a réduit la densité des participants, en portant l'effectif à onze par équipe, et en déterminant le Hors-jeu par rapport aux adversaires et non par rapport aux partenaires (comme en Rugby) ainsi on prévenait encore les concentrations de joueurs, contrairement à ce que l'on cherchait en Rugby – Tout ceci permettait de conserver l'ancestral tir au-dessous de la barre, avec une largeur de terrain sensiblement égale à celle du Rugby.
49 Subsistance du Rugby Football, jusqu'aux années soixante, au Football Association, on pouvait charger le seul joueur autorisé à se saisir du ballon avec les mains, le gardien de but, avant qu'il ait effectué un toucher à terre qui, comme au Rugby, met provisoirement un terme au jeu.
50 Dons, au Football Association, on ne voulait pas d'un jeu en opposition aux corps, pour des raisons de sécurité ; en supprimant le hacking (coups de pieds sur les tibias adverses) on a adopté toutes les dispositions pour obtenir un jeu d'opposition au seul ballon. Et, s'il est interpénétré c'est parce qu'on n'a pas voulu d'une ligne de front qui engendre et régénère naturellement toutes les phases possibles et inimaginables de combat en opposition aux corps, 414, rappelons-le lors de l'excellent France-Angleterre 2002.
51 Le Football se développe donc dans les écoles et les endroits où l'on ne dispose pas de terrains en herbe, sur les carreaux des mines et les cours pavées des écoles ordinaires, donc dans les milieux modestes ; alors que le Rugby se développe dans les milieux aisés, aristocratiques. L'économie explique donc aussi la répartition géographique et économique du Football et du Rugby, encore aujourd'hui.
52 Ici encore la cible n'est absolument pour rien dans la détermination de la pratique du Football association. Elle n'est qu'un accessoire, accessoire au service de la volonté et du plaisir des hommes de pratiquer sur le terrain le Football Association plutôt que le Rugby Football, et ces jeux-là plutôt que d'autres.
Le basket-ball
53 En Basket-ball, Eloi et Uhlrich ne s'intéressent pas plus à l'histoire du Basket-ball qu'à celle du Rugby ; pourtant elle est tout aussi instructive quant au sens de ce jeu. Elle nous apprend que le Basket-ball a été créé en 1891 aux États Unis en réaction à la violence du Football d'alors, qui n'était qu'une des nombreuses versions pratiquées en Grande Bretagne, et importée par les immigrants. Les blessures y étaient nombreuses, souvent graves, et il n'était pas rare que les morts annuels atteignent le nombre de cinquante.
54 C'est ainsi que le Basket-ball a été créé comme un antidote à la pratique du Football.
55 L'opposition aux corps est trop dangereuse au Football, ou va la supprimer au Basket-ball. Désormais au lieu de s'opposer au jeu adverse en s'opposant au corps même de l'adversaire on ne s'opposera qu'au ballon.
56 Ainsi, dès sa naissance le Basket-ball est un jeu d'opposition au ballon, il ne peut être joué qu'à la main, sans règle de Hors-jeu donc sans ligne de front, il est donc un jeu d'interpénétration des équipes. Le transport du ballon y est limité à deux appuis afin de ne pas légitimer la charge de l'adversaire. De même, par la sanction du passage en force de l'utilisateur du ballon, on interdit les contacts sur l'opposant.
57 Des tolérances existent cependant entre adversaires ne possédant pas le ballon. Cette absence de contacts, et davantage encore d'impacts, permet aux basketteurs professionnels de jouer deux fois par semaine, alors qu'un seul match hebdomadaire est amplement suffisant pour les Rugbymen.
58 Pour permettre à l'utilisateur du ballon de se déplacer on l'a obligé à dribbler de façon que le ballon puisse être accessible à l'adversaire pendant le déplacement.
59 On notera ainsi la rigueur extrême de l'arbitrage relativement aux contacts défensifs sur le corps de l'utilisateur du ballon : lancers francs, comptabilité des fautes personnelles, et expulsions.
60 Ce n'est donc pas du tout le rapport à la cible qui a déterminé l'essence du Basket-ball mais la volonté des hommes (de Naismith notamment, qui l'a exprimé de façon explicite) de créer un jeu antidote du Football dans lequel le contenu du rapport d'opposition à l'adversaire serait fondamentalement différent de celui du Football (le Rugby de la fin du XIXe).
61 L'utilisateur du ballon ne peut pas conserver celui-ci à l'arrêt plus de trois secondes, toujours afin de ne pas légitimer l'opposition au corps. (En Rugby, la possibilité de conserver le ballon pour soi légitime précisément la charge en opposition au corps de l'adversaire).
62 En Basket-ball encore, la cible n'est qu'un accessoire de la volonté des hommes de pratiquer un jeu d'opposition au ballon et non un jeu d'opposition aux corps.
Le handball
63 En Handball, on a voulu, en reprenant le modèle du Football association, faire un jeu d'opposition au ballon pratiqué uniquement avec les mains.
64 Après avoir été initié à onze sur le terrain de football, on s'est aperçu qu'il était plus intéressant de le pratiquer à l'intérieur sur un terrain réduit avec seulement sept joueurs. On a créé une zone pour ne pas obstruer le but, mais cette dernière engendre des concentrations de joueurs et des contacts fréquents en contradiction avec les intentions premières. De nombreux contacts sont tolérés, les plus importants sont sanctionnés ; quoi qu'il en soit leurs effets physiologiques sur les joueurs n'ont pas empêché ces derniers de jouer un match par jour au cours des derniers championnats du Monde ; les rugbymen, eux, peuvent, péniblement jouer un match par semaine ; c'est dire à quel point les contacts tolérés en Handball ont peu d'incidence sur la physiologie du joueur.
65
L'histoire du Handball, sa pratique actuelle ne confirment en rien la thèse des auteurs quant à l'importance soit disant déterminante de la cible vis-à-vis du jeu. On peut dire cependant que la nécessité de créer une zone, pour éviter d'obstruer le but avec des groupes compacts de joueurs, a tout de même créé un mur défensif dont se serait bien passé le Handball tant il est à l'origine de contacts permanents, d'accrochages et de fautes d'opposition au corps dont le jeu s'accommode tant bien que mal :
- le défenseur ne peut s'opposer à l'utilisateur du ballon qu'avec les bras tendus devant lui et avec les mains ouvertes,
- le défenseur peut, bien sûr, s'opposer au ballon à condition d'être placé devant l'utilisateur (principe de sécurité),
- le ceinturage de l'utilisateur avec les deux bras est interdit et sévèrement sanctionné dans les neuf mètres (le Handball n'est pas le Rugby !)
- l'accrochage du bras lanceur au moment du tir est sanctionné par un penalty
- l'utilisateur du ballon peut entrer en contact avec les opposants à condition de ne pas le faire en courant, alors que ceci est possible en Rugby (parce que le Rugby est un jeu d'opposition aux corps) – si on l'autorisait en Handball, il faudrait alors autoriser l'opposant à effectuer le même type de contact, ce qui augmenterait davantage encore les contradictions de la pratique de ce jeu avec son essence.
Le volley-ball
66 En Volley-ball, comme dans tous les jeux de renvoi et de défense d'une surface (tennis, squash, badminton et pelote basque) on peut admettre que la cible, le filet ou le trait (à la pelote basque) induisent le type de jeu que nous connaissons. Mais la généralisation à l'ensemble des sports collectifs est tout à fait abusive et doit être contestée en fonction d'une analyse historique et pratique de l'activité.
À l'attaque…
67 Page 115, paragraphe 3-1, nous lisons : « La possession du ballon détermine le statut de l'équipe – L'équipe dont un des joueurs est en possession de la balle ou sur le point de l'être est l'équipe à l'attaque – L'équipe dont l'un des joueurs perd ou est sur le point de perdre la balle est l'équipe en défense ». Nous nous inscrivons en faux contre cette généralisation parce que, dans, dans un jeu de combat en opposition aux corps tel que le Rugby, le statut d'attaquant ne se décrète pas, il se conquiert en avançant – avec ou sans ballon. De sorte qu'on peut très bien être attaquant quand l'équipe adverse utilise le ballon et recule sous la pression. C'est d'ailleurs pourquoi les impacts sont de plus en plus intenses et les joueurs de plus en plus puissants dans toutes les lignes. L'importance du temps pendant lequel on est en possession du ballon, ne signifie rien si on n'avance pas, à cet égard les statistiques du dernier France-Angleterre sont assez éloquentes, on l'a vu.
68 En Rugby ATTAQUER = AVANCER avec ou sans ballon. Évidemment cette conception de l'attaque est impossible à formuler si l'on ne conçoit pas le Rugby comme un jeu de combat.
Le droit de charge en question
69 D'ailleurs il est étonnant de constater la désapprobation des auteurs vis-à-vis du classement que nous faisons (Conquet P., 1971 à 1995) du Rugby dans la catégorie des jeux de combats collectifs (page 112 col.2 et 113 col.1) et de lire le contraire page 118 paragraphe 3-6.
70 Page 112 col.2 : « les travaux de Conquet et Devaluez nous interpellent. Pour eux “l'essence est le résultat et la condition de l'existence de l'activité”. »
71 « Cette confusion pourrait être sans conséquence si elle n'aboutissait à des malentendus notables. Ainsi les auteurs [Conquet & Devaluez ici] avancent : “Le basket ball n'existerait pas s'il n'avait pas le sens premier (de non-contact et de démarquage) et aucun des gestes spécifiques n'aurait aucune raison d'exister du fait qu'ils n'auraient pas de sens” (Conquet, Devaluez, 1986,93). Pour nous, les conditions évoquées ne peuvent être celles qui légitiment l'existence du basket, car il faut encore se poser la question de la raison de ce non-contact [ce que nous avons fait depuis des lustres et que nous avons résumé plus haut] “Ainsi l'écueil que nous signalions précédemment se retrouve dans cette démarche…” “On comprend mieux pourquoi les auteurs ont classé le Rugby dans la catégorie des jeux de combat collectif”. » (sic). N'en déplaise à Eloi & Uhlrich nos conclusions d'alors restent celles d'aujourd'hui au regard de l'essence historique et concrète de l'activité, à ceci près qu'aujourd'hui, concernant le basket nous aurions écrit qu'il s'agit d'un jeu d'opposition au ballon ; ce qui ne met en cause ni la démarche ni les résultats.
72 Concernant le Rugby nous proclamons qu'il est bien un jeu de combat collectif parce que l'opposition aux corps y détermine tout le jeu. Très loin de regretter la confusion que nous prêtent les auteurs, qui nous a conduit à classer le Rugby dans la catégorie des jeux de combat collectifs elle ne peut être que réaffirmée et même renforcée.
73 Après un tel rappel à l'ordre de la part des auteurs, on est d'ailleurs stupéfait de lire p. 118, col.2 : « La logique interne du Rugby s'organise donc autour du combat physique pour la possession du ballon déterminé par la constitution d'une ligne de front fluctuante sur l'ensemble du terrain. Cette particularité nécessite de gérer dans le même temps le gain de terrain en déplaçant la ligne de front vers les cibles adverses et contrôler le terrain gagné ».
74 Dans la mesure où les auteurs contestent le classement du Rugby dans la catégorie des jeux de combats collectifs (p. 112), la contradiction est pour le moins pesante avec les propos qu'ils tiennent page 118. Mais d'autres problèmes se posent.
75 Ainsi aucune source n'est fournie des trois extraits des travaux de P. Conquet figurant dans leur production et, dans l'extrait donné plus haut (p. 118 col.2) sont utilisés – avec une cohérence discutable – les concepts fondateurs de notre conception du Rugby sport de combat collectif, sans la moindre référence à ces travaux. La méthode paraît discutable.
76 Page 116, col.2, parag. 3.3, on peut lire : « Dans tous les sports collectifs, il existe une relation inversement proportionnelle entre le droit de charge des joueurs qui défendent et le degré de précision requis pour atteindre la cible ». Il n'y a pas de réelle corrélation entre les deux faits même si on peut le vérifier dans une ou deux activités.
77 Que ce soit dans les jeux d'opposition au ballon ou dans les jeux d'opposition aux corps un droit de charge existe pour chaque catégorie (sur le ballon seulement chez les premiers, surtout sur le corps et très peu sur le ballon chez les seconds) sur tout le terrain, et est identique pour tous.
78 Quant au degré de précision requis pour atteindre la cible, il est déterminé par les conditions de la confrontation sur le terrain et non l'inverse. Il est donc relatif selon chaque discipline.
79 Dans les jeux de renvoi et de défense d'une surface [1] (Volley-ball, tennis, pelote basque, etc.) la cible est constamment située sous les pieds des joueurs qui doivent la défendre ; dans ce cas-là, c'est bien à dessein que les Hommes ont voulu cette proximité et créé un jeu ainsi déterminé par la défense de la cible. Dans ce cas-là, comme dans tous les autres, c'est le contenu d'un type de rapport de jeu choisi, voulu par les Hommes qui a déterminé la cible à atteindre et les conditions de jeu pour l'atteindre.
La logique interne du volley-ball
80 Page 118 - 3.5 « La logique interne du Volley-ball ».
81 Contrairement à ce qu'affirment Eloi & Uhlrich, l'affrontement du Volley-ball n'a rien d'original ; il est celui de tous les jeux de renvoi et de défense d'une surface. Dans ces jeux-là les antagonistes jouent alternativement, pour défendre une surface sur laquelle ils ont les pieds posés, et que l'adversaire doit toujours atteindre sans se saisir du projectile mais en le frappant.
82 Dans cette catégorie, chacun des jeux se distingue des autres par les contraintes qu'il impose relativement à la constitution du projectile (balle, ballon, pelote ou autre) à la hauteur minimum à laquelle elle doit s'élever avant de parvenir au-dessus de la cible défendue par l'adversaire (filet ou trait) à la densité de joueurs, à la surface à défendre et à l'utilisation ou à la non-utilisation d'un instrument de renvoi (raquette, palette, chistera, etc.)
83 Si l'affrontement du Volley-ball doit être considéré comme étant original, ainsi que l'affirment les auteurs, celui des autres jeux de cette catégorie ne peut pas l'être moins. Pourquoi prétendre rechercher une transversalité et une essence commune si l'originalité de chacun doit être l'élément pertinent ? Quand on lit dès la première phrase « la configuration matérielle des cibles détermine [en Volley-ball] un affrontement original puisque les espaces de jeu sont séparés par un filet », on est en droit de penser que l'affrontement du tennis, du squash, du badminton et de la pelote basque ne le serait pas, ou le serait moins, alors que les espaces de jeu y sont aussi séparés par un filet chez les trois premiers, et que l'on retrouve le même principe de défense alternative (tantôt une équipe, tantôt l'autre) en pelote basque.
84 En réalité, malgré une logique interne identique tous les jeux de cette catégorie sont fort différents ; ils imposent des contraintes très spécifiques, de sorte qu'il est tout aussi difficile de s'adapter au tennis quand on est Volleyeur que de s'adapter au football quand on est basketteur.
85 Ainsi, le concept de logique interne peut permettre de donner une explication logique du jeu, et de disserter sur le sujet de manière abstraite, mais quand, sur le terrain, on enseigne ces jeux-là, on est très rapidement confronté (comme avec tous les autres) aux pépins de la réalité : la maîtrise des éléments tenus pour secondaire par l'analyse théorique (ballon, surface à défendre, densité de joueurs, etc.) s'impose très rapidement comme de vrais problèmes à résoudre en premier lieu.
86 On ne doit pas sous-estimer pour autant l'importance de la logique interne parce qu'elle constitue le cadre sur lequel doit se fixer l'enseignement, mais il est nécessaire de se rappeler, en Rugby, qu'on peut très bien, avec la même logique interne, enseigner un Rugby « d'opérette » ou un Rugby de combat. C'est dire à quel point la matière qu'on fixe sur ce cadre est importante, puisqu'elle peut changer complètement la nature de ce que l'on enseigne.
87 Et c'est dire enfin, combien le sens de l'enseignement est aussi déterminé par le sens de ce que l'on enseigne, mais plus encore par le sens de ce que l'on veut enseigner. « Éduquer c'est apprendre à construire du sens » (1). Dès lors, le concept d'essence de l'activité (celle que l'on enseigne, comme celle de son enseignement) se situe en permanence au centre des préoccupations, mais encore convient-il de ne pas confondre l'ici et maintenant avec cette essence historique et anthropologique.
De la logique interne du rugby
88 Page 118. col.1. « La logique interne du Rugby ».
89 Les démonstrations précédentes conduisent les auteurs à des conclusions pour le moins originales.
90 « La configuration matérielle des cibles détermine une opposition originale ». Faisant fi de l'essence historique, montrée ci-dessus, les auteurs généralisent donc leurs conceptions et les appliquent au Rugby.
91 « L'existence de deux cibles de grandes surfaces implique un faible degré de précision pour les atteindre », dépend de l'adresse certes, mais aussi du projectile (poids, forme, volume) des conventions de son utilisation, du rapport de jeu joueur/ adversaire, etc.
92 Quand on prend tous ces éléments en considération, on relativise alors considérablement la grandeur des cibles et le degré de précision nécessaire pour les atteindre, au regard de la réalité vivante du jeu voulu par les Hommes avant de les atteindre.
93 « En conséquence le droit des joueurs est important autant sur la balle que sur l'adversaire ». L'histoire du Rugby, en particulier, montre surabondamment que le droit des joueurs dans le jeu qu'ils pratiquent sur le terrain n'est pas une « conséquence » de la surface des cibles, mais l'inverse.
94 « Par ailleurs, la possibilité d'atteindre une cible haute en frappant la balle au pied nécessite la constitution d'un rideau défensif à hauteur de la balle qui détermine une ligne potentielle d'affrontement. »
95 Ici, les auteurs persistent et tentent de démontrer que ce sont les poteaux qui en Rugby détermineraient tout le jeu produit sur le terrain. Une fois tous les milles matchs, il arrive en effet qu'un joueur parvienne à contrer une tentative de drop. Cela suffit à Eloi & Uhlrich pour affirmer que l'existence d'une grande partie du jeu produit sur le terrain est déterminée par les poteaux !
96 « En corollaire, puisque les défenseurs ne peuvent pas s'adosser à la cible, le droit des joueurs à l'attaque se limite à la transmission du ballon en arrière de la ligne de front ».
97 Contrairement à ce qu'affirment les auteurs, les « défenseurs » peuvent s'adosser à la cible à volonté rien ne les en empêche ? Quant aux « joueurs à l'attaque », c'est en toutes circonstances qu'ils doivent se passer le ballon en arrière, en vertu de la règle fondamentale du Hors-jeu, dont celle de l'en-avant est une règle secondaire. En somme, qu'elle que soit la position des « défenseurs », les « joueurs à l'attaque » doivent toujours se passer le ballon en arrière… Et, quel que soit le cas de figure, la démonstration d'Eloi & Uhlrich n'est pas validée par les faits.
La règle en question
98 Dans la même veine, et dans la même page 118, très riche décidément, au paragraphe 4.1 : « Prééminence du règlement », les auteurs assènent une citation de R. Deleplace (1983, 100 selon la référence de l'article) « La règle a pour fonction de faire se reproduire le jeu ».
99 Or, chacun sait bien qu'au contraire, la règle arrête le jeu dès que celui-ci s'exprime hors du cadre réglementaire et hors du cadre spatial définis par les législateurs ; et c'est en toute logique que la règle précise aussi les conditions réglementaires de la reprise du jeu.
100 Deleplace se risque donc à affirmer une telle contrevérité pour trouver dans le règlement un fondement qui légitime sa conception du mouvement ininterrompu, déjà évoquée plus haut (page 3 de notre article, Villepreux P., 1987). Eloi & Uhlrich donnent, eux, la première citation de Deleplace (« La règle a pour fonction de faire se reproduire le jeu ») en l'affublant, manifestement, d'un sens qu'elle n'a pas avec cette formulation, à savoir : la règle permet de généraliser partout une pratique identique du Rugby. Ce qui est tout à fait exact du reste, mais qui ne correspond pas du tout au sens de la phrase de Deleplace, ni au sens général de ce passage où les auteurs traitent de « noyau central du règlement » et « d'essence » (?!)
101 Deleplace parle ici d'une prétendue fonction de reproduction du jeu par la règle ; s'il avait voulu évoquer la généralisation d'une pratique identique, il aurait utilisé une formulation plus simple du genre : l'unification des règles permet de pratiquer partout le même jeu et de le vulgariser plus aisément. En fait, Deleplace parle ici d'un pouvoir qu'aurait, selon lui, la règle de faire se reproduire le jeu, en cours de jeu.
102 Et c'est bien cela qu'il a voulu exprimer, car afin d'éviter qu'on ne donne le sens qu'Eloi & Uhlrich ont donné à sa phrase, au lieu d'écrire simplement « la règle permet de reproduire le jeu », Deleplace a utilisé, à dessein, la forme réfléchie « La règle à pour fonction de FAIRE SE REPRODUIRE le jeu » comme une forme d'insistance afin d'éviter une autre interprétation que celle qu'il a voulu lui donner.
103 Ce faisant, Deleplace n'a fait que souligner d'avantage encore son analyse discutable du Rugby, que ses épigones ne pourront jamais atténuer en donnant une interprétation différente.
104 Page 118, paragraphe 4.1 …« La règle doit conserver au jeu sa substantifique essence », que nul n'a encore trouvée au pied des poteaux, et qu'Eloi & Uhlrich ne risquent pas de trouver, parce que leur article répand un épais brouillard sur ce concept, et qu'ils orientent leurs recherches sur les plus mauvaises pistes.
Vive le règlement
105 Page 118 et 119 aux paragraphes 4.2, 4.2.1, 4.2.2.
106 Certains titres de paragraphes 4 - 4.1 - etc. sont significatifs du rapport des auteurs vis-à-vis du règlement, p. 118 « 4 – Le règlement garant de la logique interne du jeu », « 4.1 Prééminence du règlement » « 4.2 Modélisation du règlement », « 4.2.1 – Noyau central du règlement ». Le règlement, ainsi érigé au rang de la Bible ou de dogme immuable, n'est plus un outil, c'est un objet de culte ; de culte d'un ordre formel porteur d'une logique d'aliénation paradoxalement dépourvue de logique lorsqu'il s'agit de comprendre la vie, de promouvoir l'imagination et la création d'autrui, de rendre ce dernier maître de son art et de son libre-arbitre.
107 La référence au règlement n'exclut pas les contresens majeurs, c'est ce que démontre abondamment la production d'Eloi & Uhlrich. Et si le concept d'essence semble leur poser un problème non résolu, c'est parce que le concept d'essence constitue la clef de voûte de tout l'édifice de concepts à maîtriser pour enseigner en E.P.S. On peut prétendre maîtriser tout le reste, au niveau de l'enseignement, selon le type de rapport à l'adversaire que l'on définit comme fondement de l'activité, on n'enseigne plus qu'un ersatz.
108 « 4.2 Modélisation du règlement ». En fait, il est surtout question ici de « noyau central du règlement ». C'est un concept crée par Deleplace qui réunit sous la même appellation quatre principes : la marque, les droits des joueurs et des interprétations très personnelles de la règle du Hors-jeu et de la règle du Tenu.
109 Première surprise : il n'y a là aucun principe ! En sport un principe ne peut concerner que l'action, la méthode et la morale.
110 Deuxième surprise : le tir au but en Rugby serait à l'origine de la montée des opposants sur le ballon, et aurait déterminé la montée collective « en appui » (en avançant) sur le ballon ; or, cette montée qui est assez peu collective en Rugby existe dans tous les jeux. En effet, que le ballon parte d'en haut ou d'en bas, dans tous les jeux les opposants montent sur le ballon ; pour autant les autres jeux n'ont pas la même configuration que le Rugby !
111 Autre argument de Deleplace : « L'existence de l'essai, c'est-à-dire la vulnérabilité de la ligne de but sur toute la largeur (de 66 m à 68,56 m) est une seconde raison de jouer “à hauteur du ballon”. » Or, d'autres jeux, comme le Football et le Hockey sur gazon, ont des lignes de buts comparables à celle du Rugby et la montée « en appui » sur la balle ne génère absolument pas les mêmes configurations de jeu.
112 Conclusion : la marque n'est ni un principe, ni un élément fondamental d'explication du jeu de Rugby. C'est un élément tout à fait secondaire.
113 Troisième surprise : elle concerne le « principe II : les moyens d'action du joueur ».
114 « Les principes II, III (Hors-jeu) et IV (tenu) concrétisent deux idées fondamentales qui président au règlement de jeu en Rugby :
115 1 - liberté la plus totale possible d'action pour les joueurs, et, en conséquence de cette première idée,
116 2 - ballon toujours disponible pour le jeu effectif. »
117 « Une seule restriction conventionnelle : l'en-avant. »
118 Ainsi « les deux idées fondamentales qui président au règlement de jeu en Rugby » ne concernaient absolument pas l'opposition aux corps, qui serait tout au plus un accessoire du jeu. Certes, depuis ces dernières années quelques auteurs appartenant au même courant qu'Eloi et Uhlrich concèdent qu'il y a « du combat physique », à titre quantitatif, mais : le Rugby EST un jeu de combat collectif, jamais. Jamais à titre qualitatif.
119 Et c'est tout à fait sur la base de ces « deux idées fondamentales » que se fonde le discours d'Eloi et Uhlrich, permettant d'ignorer ainsi, par exemple la bagatelle de 414 phases de combat collectif en opposition aux corps qui, comme cela a déjà été dit, se sont déroulées en 36'32'' de jeu effectif, lors du dernier France-Angleterre, 2002.
120 Enfin, la non-prise en compte du contenu fondamental des règles du Hors-jeu et du Tenu, explique celle de l'En-avant ; d'où la soit disant « restriction conventionnelle : l'en avant. » de Deleplace (cf. p.26 et 27) qu'il n'explique pas lui, mais à laquelle nous avons donné (Conquet P., 1977), depuis des décennies, l'explication qui permet aux deux auteurs de mentionner, entre parenthèses seulement, l'En-avant p. 121 au point 2 du paragraphe « les droits des joueurs ».
121 Quatrième surprise : « Principe III : le Hors-jeu ». Selon Deleplace « 1. L'idée de départ qui amène la règle du Hors-jeu, est le parti pris athlétique ». La règle du Hors-jeu n'aurait donc pas été édictée pour préserver la santé du joueur en le protégeant des brutalités. Or, c'est bien cet aspect-là de la règle qui est fondamental et absolument pas le parti pris athlétique !
122 Cependant c'est toujours ce dernier qui prévaut dans toutes les productions des partisans de ce courant de pensée, et c'est le cas dans celle d'Eloi & Uhlrich.
123 Cinquième surprise : « Principe IV : le “tenu” ».
124 Page 121. « Point 3 : » Eloi & Uhlrich ont retenu l'essentiel de la conception de Deleplace. « la règle du Tenu ; tout joueur qui passe au sol (au moins un genou à terre tenu par un adversaire) doit obligatoirement libérer le ballon et le rendre disponible pour la suite de l'action ».
125 A force, d'être surpris on ne l'est plus, mais on remarque que la protection du joueur, qui est ici encore la raison essentielle de cette règle, n'est même pas effleurée, ni ici ni d'ailleurs par aucun des épigones de Deleplace, comme si la « vie du ballon » importait plus que la santé du joueur, et bien que Deleplace ait consenti, lui, une petite allusion à la seule dangerosité de l'agglutination de joueurs (Deleplace R., 1966, p. 344).
126 Or, on sait bien que les joueurs encourraient des risques réels, moins par « l'agglutination » elle-même que par les coups de toutes sortes, qui pleuvaient sur le porteur du ballon pour lui faire lâcher ce dernier. Les plus téméraires étaient les plus exposés.
127 Ici rien de tout cela, nous sommes dans « le meilleur des mondes du Rugby » où tout le monde il est beau et surtout très gentil : quand c'est fermé à droite, on joue à gauche et réciproquement, et quand c'est fermé partout on botte vers l'avant ; et si de surcroît on parvient à appliquer la thèse de la trame pure c'est le nec plus ultra, parce qu'alors on est parvenu à jouer au Rugby sans mêlées ordonnées, sans remise en jeu à la touche, sans mêlées spontanées et sans mauls ! Evidemment tout cela ne résiste pas à une analyse du réel et de l'essence véritable du jeu.
128 On l'aura compris, Deleplace, repris ici par Eloi & Uhlrich, a créé le concept de Noyau central du règlement (N.C.R.) pour expliquer sa conception du Rugby. Comme on l'a vu, il s'est cru autorisé à garnir son contenu d'éléments accessoires et non des points historiquement et anthropologiquement essentiels.
Le cas du volley-ball et des jeux de renvoi
129 « 4.3 Le cas du Volley-ball ».
130 Le noyau central du règlement en Volley-ball
131 « But du jeu : le but du jeu consiste à faire tomber la balle dans le camp adverse ce qui implique que la division de l'aire de jeu en deux camps séparés par un filet. Le camp adverse constitue donc la cible à atteindre ».
132 Première remarque : page 115, 2.4 deuxième colonne, les auteurs écrivent « or, le passage du ballon au-dessus de l'obstacle vertical constitué par le filet [lequel trois lignes plus haut selon Metzler, est une cible !] n'a jamais permis de marquer des points en Volley-ball. Cette confusion explique que, pour certains, [nous-mêmes entre autres] le but du jeu en Volley-ball consiste à empêcher le ballon de tomber dans son propre camp et donc à le renvoyer par-dessus le filet ». Pour le moins ces visions contradictoires ne contribuent pas à identifier clairement le sens et l'essence.
133 Seconde remarque : à propos de « ce qu'implique la division de l'aire de jeu en deux camps séparés par un filet ». A la Pelote basque, tous les joueurs sont sur la même surface, que chaque équipe défend alternativement. Il n'est donc pas toujours nécessaire de diviser en deux l'aire de jeu pour pratiquer un jeu de renvoi ; toutefois l'alternance est indispensable.
134 « Unité contradictoire 1re proposition » : « Du fait que l'aire de jeu est séparée par un filet, les antagonistes ne peuvent pénétrer dans l'aire de jeu, de l'adversaire. En conséquence, le ballon doit être frappé. »
135 La nécessité de frapper la balle au lieu de s'en saisir n'est absolument pas déterminée par la séparation du terrain par un filet mais par convention et, dans le jeu moderne, par le rapport du nombre de défenseurs avec la surface à défendre, et par les moyens dont disposent les attaquants pour donner de la vitesse à la balle. Et ceci vaut pour tous les jeux de renvoi et de défense d'une surface.
136 A la pelote basque, les antagonistes sont sur la même aire de jeu et tous frappent la balle. Ainsi nous répondons également à la « 2e proposition » d'Eloi & Uhlrich :
137 « Comme la balle doit être frappée, le terrain est séparé par un filet afin de cantonner les protagonistes dans leur propre camp. »
138 Ne serait-il pas plus judicieux de convenir que, dans tous les jeux de renvoi et de défense d'une surface, on frappe la balle, que celle-ci doit atteindre une certaine hauteur avant de retomber sur la surface défendue par l'adversaire, et que l'intérêt de tous ces jeux réside comme nous le disions plus haut, dans le rapport du nombre de défenseurs avec la surface à défendre et dans les moyens dont disposent les attaquants pour imprimer de la vitesse à la balle.
139 Page 119 - « 4.3 » « La possibilité pour les adversaires d'envahir le camp adverse réduirait à néant toute tentative de frappe de balle. » Nous ne le pensons pas. Le jeu serait peut-être moins intéressant. Au football, les deux équipes sont sur le même terrain, tous les joueurs frappent le ballon (avec les pieds il est vrai) et le jeu est jouable, au sens réaliste.
140 Page 120. « Point 2 : Chaque équipe dispose de trois touches de balle pour tenter d'atteindre le camp adverse (règle 10-1). Cette règle fondamentale empêche qu'une équipe ne monopolise le ballon… »
141 Nous voyons mal ici ce qui pourrait être fondamental. En donnant trois touches de balle à l'équipe qui défend on lui permet au moins de ramener le ballon depuis le fond du terrain afin de le renvoyer, et au plus on lui procure la possibilité de mieux cibler son renvoi. En somme, ce qui paraît fondamental c'est un système qui impose l'équité en permettant la continuité.
142 Nous abrégerons l'analyse de ce texte afin de ne pas lasser le lecteur ; mais enfin quand page 121, « 4.4.2.1 les auteurs évoquent l'analyse de l'évolution historique du règlement… » ou de quoi que ce soit en Rugby de ce point de vue, nous ne pouvons que réagir, car en la matière, c'est justement parce que cette analyse historique n'a pas été réalisée de manière approfondie que les propositions de caractérisation qui en résultent sont discutables ou erronées.
143 Page 121 - « 4.4.2.2 ». S'agissant de l'influence des nations de l'hémisphère Sud pour « améliorer la qualité du spectacle », si elle se confirmait, le jeu s'orienterait davantage encore vers le Rugby à treize, sans doute dernière étape avant son extinction.
144 « L'ensemble de ces aménagements n'a qu'un objectif : maintenir l'intérêt des rencontres et du championnat le plus longtemps possible et par la même, intéresser sponsors et télévision. »
145 Dans les écoles de Rugby françaises l'intérêt pour ce jeu-là est tel qu'en 2001 on a enregistré une chute de 21 % des effectifs – tel est l'un des effets quantitatifs réels du jeu valorisé par Eloi & Uhlrich. On imagine donc bien les impacts que cela pourrait produire sur les sponsors et la télévision si cette désaffection se confirmait dans le futur.
146 Page 121 - « 4.5. Le noyau central du règlement élément déterminant de l'évolution du jeu ». Dans la mesure où ce noyau central, s'appuie sur les conceptions de Deleplace (1966 et 1979), il est clair que le point de vue ne peut être que tronqué et risque de s'engager le Rugby sur des fausses pistes théoriques par méconnaissance de l'Histoire et de l'anthropologie du jeu réel.
147 « Nous avons voulu montrer les prolongements logiques qui mènent (sic) du concept d'essence à la notion de noyau central du règlement. »
148 On pourrait, en forme de dérision, opposer à cette phrase celle de Pierre Dac : « Quand on part de zéro pour n'arriver à rien, on n'a de merci à rendre à personne » (Dac, 1972), mais plus sérieusement, l'ensemble des analyses discutables au plan historique, anthropologique et quantitatif du concept d'essence ne peut aboutir qu'à une sur-valorisation du règlement aux dépens de la véritable essence de l'activité, mise en exergue plus haut.
Misère de la pédagogie
149 Page 122 - « 5 - Stratégie didactique pour entrer dans l'activité. »
150 « ….il s'agit donc de faire l'inventaire des éléments déterminants et constitutifs de l'activité. »
151 Il semble effectivement possible de réaliser cet inventaire mais il conviendrait dès le départ de ne pas évacuer les éléments déterminants et constitutif de l'activité, tels le combat au corps sinon toute stratégie didactique reposera sur des bases fausses. Si le combat au corps est conçu comme l'essence de l'activité (Conquet P., 1988, 1989) alors bien évidemment on arrive à de toutes autres entrées didactiques que celles privilégiées par les auteurs.
152 « De plus il est nécessaire d'organiser ces éléments pour faire apparaître comme une évidence la cohérence élémentaire du jeu. » Mais dans le cas précis il s'agira de la cohérence d'un jeu factice, déshumanisé et dévitalisé, qui aura d'autant moins de chances de voir le jour, qu'on l'éclairera avec la pédagogie des modèles de décisions tactiques (P.M.D.T.) « qui suppose que la présentation de repères de perceptifs significatifs et des principes rationnels de choix tactiques organise de façon majorante les effets du passage à l'acte y compris en terme de qualité de l'exécution » (Bouthier 1986, 85).
153 « Lors de cette période [la toute première initiation], il s'agit de livrer le noyau central du règlement comme un tout logique et organisé. » Le problème réside toujours dans le fait que le « tout logique et organisé », n'est logique et organisé que dans la vision du monde promue par les auteurs et le courant de pensée auquel ils appartiennent. Une autre vision réellement historicisée, prenant en compte la réalité des pratiques humaines et des interactions quantitatifs aboutit à une relativisation extrême de ce « noyau central du règlement ». Livrer ce fondement anthropologique qu'est le combat en opposition aux corps serait bien plus pertinent au regard d'autres recherches (Conquet P., 1976, 1989 et 1995).
154 Les conclusions auxquelles parviennent les auteurs sont, dans la mesure où elles ne prennent en compte qu'une vision partielle et partiale du problème, nécessairement biaisées :
155 « Les travaux de recherche menés dans cette direction (Stein, 1981 ; Grosgeorges et Stein, 1984 ; Reitchess, 1986 ; Bouthier, 1978 ; David, 1993 ; Eloi, 2000) montrent de façon unanime combien l'entrée dans l'activité par le biais du noyau central du règlement constitue un levier important pour l'assimilation efficace des logiques du jeu. » Nul ne contestera l'unanimité des sept auteurs cités vis-à-vis de leur propre méthode et de leur propre système d'analyse. Il semble cependant que cette vision soit aujourd'hui devenue minoritaire, notamment dans le monde du Rugby.
Conclusion
156 En tout domaine de la connaissance, et plus encore en matière d'éducation, la difficulté réside dans la communication or l'une des caractéristiques de la « Pédagogie des Modèles de Décisions Tactiques » à laquelle adhèrent, de manière plus ou moins implicite, Eloi & Uhlrich, est l'opacité d'une partie du discours, la réduction de l'objet à l'ici et maintenant et l'oubli des fondements culturels et historiques véritables de l'activité. Le règlement en vient à supplanter la nature anthropologique fondamentale du jeu dans l'analyse.
157 La réponse à cet article était nécessaire parce que, d'une certaine manière il met directement en cause les résultats et conclusions théoriques publiées dans de nombreux articles et ouvrages (Conquet P., 1971 à 1995) et parce qu'il est l'épiphénomène d'autres articles de la même veine qui l'ont précédé depuis un demi-siècle, avec des auteurs différents en promouvant le même modèle didactique et la même logique d'analyse.
158 Notre critique est loin d'être exhaustive. Il s'agissait cependant de montrer que dans le domaine de l'analyse des pratiques sportives et de leur caractérisation, la prise en compte d'une temporalité courte dans l'historicisation pouvait conduire à des erreurs fondamentales au niveau du sens. De la même manière, une simplification ou du moins une inadéquation de l'analyse du jeu réel : par l'ignorance du nombre de combats au corps à corps en Rugby ou le temps de contact avec la balle en Rugby ou en Volley-ball pour un joueur (de l'ordre d'une minute par match en Rugby), peut conduire à des conclusions tout à fait erronées au plan didactique ou pédagogique, et à des erreurs fondamentales pour ce qui concerne l'entrée dans l'activité. La majoration du règlement au regard de l'essence produit les mêmes effets d'impasse théorique et pratique.
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Notes
-
[1]
La désignation de cette catégorie de jeux date des quatre-vingt. Elle n'apparaît dans nos écrits qu'en 1989 in Revue A 226, IUFM Grenoble, Université Joseph Fourier.