Notes
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[1]
Il est vrai que depuis quelques années cet institut de recherche a diversifié ces centres d’intérêts en ne privilégiant plus exclusivement la zone Aquitaine.
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[2]
Seuls quelques érudits locaux ont retracé l’histoire de certains clubs lyonnais, mais ils produisent une somme d’anedoctes, auxquelles on ne peut pas donner la valeur de réflexions historiques.
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[3]
Seuil démographique établi par Loïc Ravenel.
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[4]
Avec l’Ile-de-France et Paris.
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[5]
Pour la saison 1998-1999, le Comité du Lyonnais comptabilise 13 357 licenciés pour un club en élite, tandis que le Languedoc, avec 11 076 licenciés, possède deux représentants en élite.
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[6]
Pour être plus exact, les bornes chronologiques sont symboliques : 1890 (année de fondation de l’US Ampère, premier club de sports athlétiques à Lyon) et 1964 (premier titre national pour l’Olympique lyonnais) marquant la domination définitive du football sur les autres sports lyonnais.
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[7]
En 1864, des Britanniques fondent le Cricket Club de Lyon sous le parrainage de l’Empereur Napoléon III.
-
[8]
ADR, série 4M603, Sport et gymnastique (1880-1900), liste des sociétaires du FC Lyon.
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[9]
A partir de 1899, les champions de chaque comité régional s’affrontent pour la finale du Championnat de France contre un club parisien.
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[10]
ADR, PER 565, Lyon-Sport, 23 septembre 1905.
-
[11]
ADR, PER 565, Lyon-Sport, 23 septembre 1905.
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[12]
ADR, PER 818, Les Sports du Centre et du Sud-Est, 10 février 1912.
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[13]
Le FC Lyon, où la proportion d’Anglais est la plus importante, remporte 19 titres de Champions du Lyonnais entre 1895 et 1914, plus un titre de Champion de France 1ère série en 1910 (contre le Stade bordelais).
-
[14]
Un des premiers règlements de rugby disponible en langue française à Lyon est publié en 1905 seulement.
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[15]
Lors de la saison 1929-1930, le LOU recrute trois joueurs de Perpignan dont l’international Vincent Graule.
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[16]
Le LOU est Champion de France de 1ère division en 1932 et 1933, associé à un Challenge Yves du Manoir.
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[17]
ADR, série 4M 603, Sport et gymnastique, 1880-1901, dossier Cercle des Sports.
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[18]
ADR, série 4M 603, Sport et gymnastique, 1880-1901, dossier FC Lyon.
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[19]
Le Comité du Lyonnais est fondé en 1897, à l’initiative du FC Lyon et du Lycée Ampère.
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[20]
Commission de vélocipédie ; de course à pied, escrime ; football-rugby.
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[21]
Charles et Félix Louot, tous les deux industriels et présidents du LOU (le premier en 1914, le deuxième en 1945). Tony Bertrand, responsable de la section athlétisme du LOU dans les années 1930 et maire-adjoint aux sports dans les années 1970.
-
[22]
Accusé de professionnalisme, Jean Gallia est radié par la FFR. Il est l’organisateur d’une tournée de l’équipe treiziste du Comté du Yorkshire en France en 1934, afin de promouvoir ce sport.
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[23]
Il est concessionnaire du Stade municipal de la Plaine à Villeurbanne et constructeur du Stadium de Villeurbanne (15 000 places) édifié pour les sports de glace.
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[24]
On note la création de deux nouveaux clubs treizistes : le CS Bron et le CS Lyon 7e.
-
[25]
Déjà dans les années 1930, plusieurs quinzistes célèbres avaient franchi le Rubicon : Charles Mathon (LOU), Griffard (LOU), Porra (LOU), Audouze (FCL).
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[26]
Faute de moyens financiers et d’un public nombreux, le jeu à XIII disparaît à Lyon au cours de l’année 1961.
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[27]
Le CS Vienne est champion de France deux fois en 2e division (1927 et 1928), puis de 1re division en 1937.
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[28]
Le retrait de ces clubs de l’élite du rugby français est à mettre en rapport avec la crise de l’industrie locale dans les années 1980.
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[29]
Le Comité du Lyonnais est dirigé en alternance par les responsables du LOU et du FC Lyon, puis en exclusivité par ceux du Lyon Olympique Universitaire à partir des années 1950.
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[30]
ADR, série 4M 603, Sport et gymnastique, 1880-1901, le Stade lyonnais est composé en majorité d’employés associés à des petits commerçants et artisans. Par contre les employés de commerce sont sureprésentés au sein du Club Sportif de Lyon (1894).
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[31]
Excepté l’Amicale des Charpennes au recrutement social plus populaire évoluant en première division dans les années 1930-1940.
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[32]
Les lycéens organisent régulièrement des challenges d’athlétisme en fin d’année scolaire (challenge du Lycée Ampère).
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[33]
Le 5 février 1953 est ouverte officiellement la première école de rugby de Lyon au stade des Iris.
Introduction
1 Que l’outil d’analyse privilégié soit quantitatif (Augustin et Garrigou, 1985) ou plutôt qualitatif (Pociello, 1983) afin de cartographier le phénomène rugbystique français, celui-ci est omniprésent au sud d’une ligne reliant Bordeaux à Genève. Cette régionalisation flagrante a été largement intégrée dans les problématiques de nombreux travaux menés sur ce sport, et favorisée par la concentration des chercheurs dans un grand quart sud-ouest de la France réunis sous le patronage de la Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine (Ravenel, 1998) [1]. Les principaux thèmes de réflexions portant sur le rugby abordent principalement les origines de son implantation et ses principes de diffusion à partir de l’épicentre bordelais en privilégiant l’utilisation d’outil d’analyse sociogéographique et l’appel à des références culturelles, tout en les combinant avec des approches sociohistoriques (Augustin et al., 1985 ; Augustin et Bodis, 1994) [2]. Les facteurs culturels, en association avec les différentes formes de sociabilité (Augustin et Garrigou, 1988 ; Callède, 1985), sont évoquées par certains auteurs pour légitimer l’enracinement ou non du rugby dans une zone géographique déterminée (Delaplace, 1996 ; Pociello, 1995 ; Vigarello, 1988). Plusieurs hypothèses s’appuyant sur des indicateurs socioculturels permettent aussi de justifier la prédominance géographique particulière du rugby dans le quart sud-ouest de la France, (Bodis, 1987, Pociello, 1983). Par contre, le recul de la pratique du rugby ou la place mineure qu’il occupe dans certaines zones géographiques a été moins analysé (Darbon, 1997).
2 D’autre part, le rugby lyonnais en tant qu’entité sportive propre n’a jamais fait l’objet de travaux ou de réflexions spécifiques, hormis ceux réalisés par Philip Dine (1998, 2001) sur le rugby du Sud-Est. Ce sport est évoqué uniquement dans le cadre des travaux généraux menés sur l’histoire des activités physiques à Lyon (Arnaud, 1985 ; Lê-Germain, 2000). Plus généralement, peu d’historiens se sont penchés sur le thème de la pratique du rugby dans les grandes métropoles françaises (Darbon, 1997), occupant actuellement une place minoritaire par rapport à l’ensemble du maillage rugbystique français d’élite qui se caractérise par une forte présence dans les villes de 70 000 habitants (Ravenel, 1998). Aujourd’hui les grandes métropoles apparaissent davantage comme des villes de football alors que, paradoxalement, le rugby y a été pratiqué plus précocement. La ville de Lyon se démarque de ses homologues par le fait qu’au delà de la place mineure occupée par le rugby au sein du système sportif local, elle présente une double particularité mise en évidence par Ravenel (1998). Tout d’abord, il constate une inadéquation entre la taille démographique de l’agglomération lyonnaise et le nombre de sports collectifs de haut niveau qui y sont représentés. Il manque à Lyon une équipe de rugby, de volley et de hockey sur glace de première ou de deuxième division. En effet, la ville de Lyon est l’une des seules unités urbaines de plus de 200 000 habitants [3] à ne posséder aucune équipe de rugby en première ou deuxième division. Deuxième élément, Ravenel se fait l’écho de plusieurs remarques concomitantes constatant une collusion forte en France entre la pratique de masse et le rugby d’élite respectant le modèle théorique de la pyramide coubertienne. Par rapport au schéma global, le Comité du Lyonnais et sa capitale Lyon dérogent à la règle [4] puisque, malgré, un nombre important de licenciés, le Comité du Lyonnais ne possède qu’un seul représentant parmi l’élite [5]. Le rugby lyonnais semble confirmer l’argument de Callède (1996) selon lequel « dès qu’un des deux sports de grand terrain (rugby ou football) occupe majoritairement un espace socio-géographique, avec une prépondérance qui s’est affirmé au fil des années, l’autre sport (rugby ou football) tient une place relativement secondaire et dépourvue de fonction emblématique forte » (Callède, 1996, 89). Lyon qui paraissait promise à un brillant avenir rugbystique dès la fin du XIXe siècle ne s’impose pas vraiment face aux villes du sud-ouest de la France.
3 Alors que toutes les conditions sont réunies pour que le rugby puisse s’imposer durablement comme le sport majeur de la préfecture du Rhône, celui-ci se trouve mis dans une situation d’infériorité au sein de la hiérarchie sportive locale à partir des années 1930, puis d’une manière irréversible au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Comment, historiquement, le rugby passe-t-il d’une position avantageuse à la quasi confidentialité ? Les crises conjoncturelles n’expliquent pas à elles seules ce phénomène de transition, mais ne sont-elles pas le signe de l’incapacité des grandes agglomérations à s’adapter à l’évolution constante du rugby français et aux liens distendus entre la masse des pratiquants et l’élite ? C’est à ces questions que cet article essaie de répondre avec le cas du rugby d’élite lyonnais et ses liaisons avec la pratique de masse entre la fin du XIXe siècle et le début des années 1960 [6] tout en mettant l’accent sur son évolution spécifique.
1 – L’émergence et l'évolution du rugby à Lyon
4 Dès les années 1890, la ville de Lyon est gagnée rapidement à la pratique de l’ovale par l’intermédiaire des premières associations sportives athlétiques scolaires comme l’Union Sportive du Lycée Ampère (15 avril 1890). Les clubs civils, en majorité fondés par d’anciens potaches, apparaissent quelques années après, avec la fondation du Football Club de Lyon (17 novembre 1893) moins de dix ans après la création du premier club civil provincial (le Stade bordelais, 1889). Des compétitions officielles sont organisées dès 1895 entre l’Assocation Athlétique de Grenoble et le FC Lyon. Au-delà de la précocité de la pratique, d’autres éléments ont favorisé l’enracinement du rugby et son développement dans la capitale des Gaules.
1.1 – L’apport technique étranger
5 Au début du siècle, l’ensemble du rugby français est imprégné de la présence britannique (Pech et Thomas, 1986). Lyon n’échappe pas à l’anglophilie touchant l’ensemble des sports athlétiques des grandes métropoles hexagonales. Comme toutes les villes de négoces entretenant des liens commerciaux étroits avec les Iles Britanniques, Lyon abrite une forte colonie anglo-saxonne engagée majoritairement dans le secteur du textile. Ces Britanniques sont présents dans les nombreuses sociétés sportives qui se multiplient dans la ville à partir des années 1870, quand ils n’en sont pas les initiateurs (Pélissier, 1996) [7]. Par contre, s’ils investissent les clubs de sports athlétiques, ils ne sont pas à l’origine de l’implantation de ces derniers à Lyon, comme cela avait été le cas à Paris et Bordeaux. C’est par l’intermédiaire du réseau lycéen et de la Ligue nationale d’éducation physique que Lyon entre en contact les sports de plein air, lors de lendits organisés au Parc de la Tête d’Or en 1890 (Lebecq, 1997). Quelques années après la création des premiers clubs civils, les Britanniques s’associent progressivement aux équipes de rugby locales en leur inculquant les principes fondamentaux du jeu de rugby qu’ils ont appris Outre-Manche (Hubscher, 1992). Ils arbitrent même les premières rencontres officielles. A ces débuts, le style de jeu pratiqué par les équipes lyonnaises est fortement teinté de « britannisme » rappelant étrangement celui développé par le Stade bordelais, basé sur le jeu d’avants et la maîtrise de la technique du dribbling (Bodis, 1987). Cette maîtrise tactique et technique du jeu rend ces Britanniques indispensables au sein des différentes équipes de rugby local (Pociello, 1983). Les équipes de rugby lyonnaises qui, très tôt, ont la possibilité d’intégrer des rugbymen anglo-saxons prennent rapidement l’avantage sportif sur leurs homologues régionaux. Dès 1894, on constate la présence de plusieurs sujets britanniques parmi la liste des membres actifs du FC Lyon [8]. Durant plusieurs décennies, le club doyen lyonnais s’appuie sur ses recrues anglo-saxonnes pour former l’épine dorsale de son équipe. Pendant cinq saisons, le poste de demi de mêlée de l‘équipe première du FC Lyon est occupé par un Irlandais prénommé Lambking. A l’image des autres clubs français, chaque début de saison, les clubs lyonnais cherchent à étoffer et à améliorer la qualité de leur effectif par le recrutement de joueurs étrangers afin d’être assurer de jouer les premiers rôles dans le championnat régional, et éventuellement espérer rivaliser avec les grands clubs français lors des phases finales [9]. Les structures des clubs ne permettent pas de dispenser une formation interne suffisante pour développer une qualité de jeu susceptible d’égaler les meilleures formations parisiennes et bordelaises.
6 Cette concurrence locale provoque une véritable course à « l’armement » britannique. Le recrutement de rugbymen originaire du Royaume-Uni tend à se généraliser au sein du rugby lyonnais, chaque club essayant de posséder un ou plusieurs éléments britanniques dans son effectif. Lors de la saison 1905-1906, le Sporting-Club de Lyon annonce par voie de presse l’arrivée dans ses rangs de deux Ecossais et de deux Anglais [10]. De son côté, le FCL attend la venue d’Australien [11]. Il est indéniable que l’apport des Anglo-saxons ait été décisif dans les progrès techniques enregistrés par les principales équipes lyonnaises en quelques saisons. Cette élévation rapide du niveau de jeu lyonnais est remarquée sur le plan national, un dirigeant bordelais soulignait dès 1895, que « le Football Club de Lyon a fait en quelques mois des progrès qui le mettent très haut » (Callède, 1992, 59). Jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale, les équipes lyonnaises possèdent une proportion non négligeable de Britanniques en leur sein, bien que la possibilité de recruter des joueurs étrangers soit limitée législativement par une décision de l’Union des sociétés françaises des sports athlétiques [12]. Avec l’apport de cette « légion étrangère », les clubs lyonnais trustent la majorité de titres régionaux et se qualifient régulièrement pour les phases finales du championnat de France [13].
7 A Lyon, il n’y a pas un véritable phénomène d’assimilation du rugby tel qu’il est visible ailleurs sur le territoire. En effet, avant 1914, les clubs, principalement du Sud-Ouest, ont totalement intégré les principes de jeu anglophones tout en les adaptant à leur « culture ». Ces clubs s’allouent les services de techniciens le plus souvent Gallois embauchés à plein temps comme entraîneurs, et acquièrent des manuels de jeu édités en Angleterre [14]. De ce syncrétisme naissent différentes méthodes de jeu permettant à ces différents clubs de s’imposer successivement au palmarès du championnat de France. Ce type d’approche plus scientifique et professionnelle du rugby reste étranger à Lyon. Plutôt que d’élaborer, de réfléchir, de mettre en place un style jeu spécifiquement lyonnais, les dirigeants préfèrent l’exploitation immédiate et à court terme de ces méthodes de jeu novatrices par l’importation de rugbymen porteurs des styles jeu élaborés dans les clubs du grand Sud. Durant l’Entre-deux-guerres, les clubs du Lyon Olympique Universitaire et du FC Lyon recrutent de nombreux joueurs originaires principalement du Languedoc-Roussillon pour combler la faiblesse technique et physique de leurs équipes [15]. Ces renforts extérieurs permettent au LOU de se construire un palmarès jamais égalé jusqu’à ce jour par un club du Sud-Est [16]. Cette politique sportive semble être le signe d’un manque d’efficacité en matière de formation locale des jeunes talents, annonciatrice de l’éclipse imminente du rugby lyonnais au sein du système sportif local et régional.
1.2 – L’implication de la notabilité locale
8 Les premières associations sportives lyonnaises des années 1890 s’apparentent à des sociétés de jeunesse tant par la composition sociale de leurs dirigeants que par le type d’organisation. A titre d’exemple, le Cercle des Sports fondé en 1894 par vingt deux adolescents est jugé contraire à la législation en vigueur lors de l’enquête de police effectuée l’année suivante [17]. Ces associations sont tolérées par les pouvoirs publics mais ne disposent d’aucune véritable légitimité publique en raison de l’absence d’un parrainage suffisamment reconnu sur le plan politique et socio-économique. Entre 1895 et 1900, l’émergence des sports athlétiques lyonnais coïncide avec l’implication importante dans la direction des clubs civils d’une partie des notables lyonnais apparentés en majorité à la bourgeoisie du négoce, de l’industrie et des professions libérales (alors en pleine ascension sociale). Cette prise en main directionnelle des clubs par la notabilité lyonnaise permet la mise en place de structures associatives pérennes en faisant évoluer institutionnellement le rugby en une pratique durable ce qui aurait pu n’être qu’un simple effet de mode (Hubscher, 1992). Ces associations réussissent par là-même à trouver une certaine légitimité publique en associant à leurs objectifs patriotiques, hygiéniques ou autres une partie des représentants de la vie publique et économique locale par parrainage ou par l’offre de poste honorifique. En 1894, les dirigeants du FC Lyon peuvent se targuer de posséder parmi leurs membres honoraires William Hott, vice-consul d’Angleterre à Lyon [18]. Ces responsables de club possèdent une situation économique reconnue localement en raison de leur statut socioprofessionnel. Les réseaux relationnels qu’ils mettent en place pour certains pratiquants sont une source d’émancipation professionnelle et d’élévation personnelle (Callède, 1993). Le recrutement de joueurs « étrangers » est facilité par le rayonnement professionnel et économique des dirigeants des clubs les plus influents.
9 En assurant des postes d’administrateurs, ces notable s’attellent à réorganiser les sports anglais lyonnais tant sur le plan institutionnel que sur le plan sportif au niveau des clubs et des instances fédérales. Sous leur influence, le rugby passe du stade d’un jeu de lycéen à un véritable sport organisé. Leur action décisive sur le plan institutionnel est marquée par la création, en 1897, d’un organisme coordinateur régional affilié à l’USFSA [19] permettant une régularisation stricte de la pratique compétitive du rugby par l’élaboration rationnel et cohérent d’un calendrier des compétitions régionales ainsi que par l’homologation des performances dans les différentes compétitions athlétiques. En quelques décennies, ces bourgeois libéraux introduisent et mettent en pratique dans l’organigramme des clubs de rugby lyonnais, les notions de spécificité des tâches et de hiérarchisation des statuts (Arnaud, 1986). L’augmentation des effectifs nécessite conjointement un accroissement du nombre des cadres et la mise en place de commissions sportives spécifiques jusqu’alors inexistantes. Lors de la fusion entre le Racing Club de Lyon et les Cercles Réunis en 1901, le nombre de membres actifs passe d’une vingtaine à plus de soixante. Le bureau composé initialement de cinq membres monte à plus de vingt avec la création de trois commissions spécifiques [20]. Dans les années 1900, la coupure devint nette entre les pratiquants et les dirigeants confirmant une tendance constatée dans certains clubs quelques années plutôt : « coupure technique : à chacun sa tâche ; coupure sociale entre les simples membres actifs d’une part, et un encadrement à tendance notabiliaire accompagné d’un patronage de membres honoraires à la position sociale élevée d’autre part » (Hubscher 1992, 109). En 1896, le quart des effectifs du FC Lyon sont des étudiants et plus du tiers des employés de commerce, alors que le bureau est présidé par un avocat et un négociant. Certains de ces notables se sont distingués par des actions philanthropiques ou intéressées en faveur du développement du rugby. « Incontestablement, l’exercice de responsabilité dans une association est socialement gratifiante et peut servir au moins localement, de tremplin à une ambition personnelle » (Hubscher, 1992, 109). Comme le soulignait Arnaud (1986, 181) « la naissance du sport est attachée au militantisme d’hommes adultes, expérimentés et informés ».
10 L’exemple de la carrière de dirigeant sportif de Jean Burnichon illustre les propos précédents. Il incarne l’implication d’une catégorie de la bourgeoisie locale nouvellement promue sur le plan social qui cherche par l’intermédiaire de la promotion du mouvement sportif naissant à s’intégrer dans la société lyonnaise. Jean Burnichon est considéré comme une des figures emblématiques du rugby lyonnais. Par ses diverses initiatives, il a amélioré l’efficacité organisationnelle et assurer la crédibilité des sports athlétiques lyonnais. Cet avocat âgé d’une trentaine d’années, officier de réserve, est originaire de la commune de Thizy (Rhône). Il débute sa carrière de dirigeant sportif en 1895, en assumant la présidence du FC Lyon. Avant cette prise de fonction, il a acquis une connaissance solide du fonctionnement d’une association sportive en faisant partie pendant quelques années du Conseil d’administration du Cercle militaire d’escrime. Sous sa houlette, le club doyen lyonnais prend de l’ampleur grâce à un véritable effort de réorganisation susceptible d’assurer au mieux la pérennité de la société. Le nombre de dirigeants augmente, avec l’intégration dans le bureau de Britanniques, mais également par la création de commissions sportives. Bourdon (1906) signale une étape similaire franchie par le Racing Club de France. « C’est au bout de deux années d’existence que le club parisien disposa vraiment d’une base méthodique » (Callède, 1993, 27). Et Bourdon (1906, 64) de conclure toujours à propos du Racing Club de France « on peut dire que s’il fut fondé en 1882, il fut recréé en 1884 ». En 1902, après sept années à la tête du FC Lyon, Jean Burnichon démissionne brusquement de son poste pour rejoindre le Racing Club de Lyon (fondé en1896). Ce club est alors en pleine ascension à la suite de sa fusion récente avec les Cercles des Sports, en 1901. Les ambitions de ce club et de son nouveau président s’affichent symboliquement par un nouveau nom de baptême (Lyon Olympique) et l’adoption de nouvelles couleurs (rouge et noir). Pour assurer un renouvellement régulier des pratiquants, Jean Burnichon favorise le rapprochement entre le Lyon Olympique et l’AS de l’Ecole Centrale en 1910. Cette fusion permet au Lyon Olympique de bénéficier d’un vivier important de jeunes joueurs, ce qui l’amène plus tard à compléter son titre par « universitaire ».
11 L’action dirigeante de Jean Burnichon ne s’est pas limitée seulement à la direction de deux clubs. Il est l’instigateur de la création du Comité du Lyonnais (1897) dont il assume la présidence de 1897 à 1901. Son activisme en faveur des sports athlétiques et du rugby s’étend à d’autres secteurs d’activités.
12 Jean Burnichon fonde le premier organe de presse sportive, « Lyon-Sport » qui devint « l’organe officiel de toutes les fédérations et principales sociétés sportives de Lyon et sa région » (Lyon-Sport, 1897, couverture). Avec ce support médiatique, les sports athlétiques sortent de la confidentialité en touchant un public plus large dépassant le cercle des simples initiés. Ce bi-hebdomadaire devient rapidement un élément indispensable de médiatisation entre les clubs lyonnais et le grand public. Ce type de presse propagandiste a contribué à asseoir la crédibilité et la popularité du sport athlétique à Lyon. Cet exemple de carrière dirigeante est illustratif de l’imbrication précoce d’une partie de la notabilité locale au rugby. Régulièrement, des noms significatifs de la bourgeoisie libérale lyonnaise apparaissent à la tête des grands clubs lyonnais comme dirigeants actifs ou comme membres d’honneurs, prouvant l’intérêt que ce sport suscite auprès d’une population jouissant d’un poids socio-économique non-négligeable dans la vie publique lyonnaise [21].
1.3 – Lyon - Capitale du rugby du Sud-Est
13 Fort du soutien socio-économique de la notabilité locale et de l’apport de joueurs étrangers assurant la suprématie sportive, la ville de Lyon s’impose à travers ses clubs phares comme le point névralgique du rugby du Sud-Est. A l’image de Bordeaux à travers le SBUC, Lyon influence la pratique du rugby dans toute la région par l’intermédiaire de ses deux grands clubs (le FC Lyon et le Lyon Olympique Universitaire), véritables vitrine du rugby local. Durant plus de vingt ans et à tous les niveaux de compétitions confondus, les clubs lyonnais enlèvent pratiquement tous les titres de champions du lyonnais. Le fer de lance du rugby lyonnais est sans conteste, dans un premier temps, le Football Club de Lyon qui remporte vingt titres de champions du lyonnais sur vingt six mis en jeu entre 1895 et 1920. Puis c’est au tour du Lyon Olympique Universitaire de lui succéder dans les années 1920-1930. Le rugby lyonnais se forge une solide réputation au-delà de sa zone d’influence directe en tissant des liens étroits avec des autres grands clubs métropolitains. Dès les années 1890, des rencontres amicales sont organisées avec les clubs parisiens et bordelais. Il s’agit surtout pour des clubs lyonnais de vérifier la valeur réelle de leurs équipes face à des formations plus chevronnées. A la veille de la Grande Guerre, cherchant à progresser davantage sur le plan technique et tactique, le Lyon Olympique Universitaire et le FC Lyon invitent des équipes anglo-saxonnes alors en tournée en France (London Hospital, 1907 ; Phill Harriers, 1910).
14 Deux périodes d’apogée sportive peuvent être relevées pour le rugby lyonnais. La première se situe à la veille de la Première Guerre mondiale, avec comme point d’orgue le premier titre de champion de France pour un club du Sud-Est (1910), associé à la sélection de quatre Lyonnais en équipe nationale. La deuxième concerne les années 1930, quand le Lyon olympique universitaire obtient le titre de Champion de France en 1932 et 1933. Fort de ce palmarès, la ville de Lyon a renforcé son prestige auprès de ses adversaires locaux, mais également nationaux. Le niveau sportif atteint par les clubs comme le FCL et le LOU oblige les autres clubs concurrents locaux à s’aligner sur les performances réalisées par leurs aînés en effectuant des efforts de réorganisation sportive pour combler le retard technique et physique accumulé et sérieusement contester le leadership régional lyonnais. Par ce simple mécanisme concurrentiel, le niveau de jeu global tend vers plus de perfection et les différences de niveaux s’estompent au profit d’un nivellement par le haut.
15 Sur le plan géographique, la ville de Lyon joue un rôle de pôle centrifuge de diffusion de la pratique du rugby dans le département du Rhône, comme cela est le cas en Aquitaine avec la cité bordelaise. L’effet d’entraînement des victoires lyonnaises sert de vecteur à l’implantation de la pratique du rugby dans sa zone d’influence administrative et socio-économique, associé à la vague d’essor du mouvement sportif associatif amorcé par les clubs scolaires relayés localement par des clubs civils mieux structurés. Il est possible d’établir une typologie historique des communes et des villes participant au phénomène de diffusion du rugby respectant la hiérarchie des pôles urbains reprenant le modèle de Christaller (Frémont, 1976). Le schéma d’une diffusion d’une pratique sportive se construit à partir d’une métropole régionale jouant le rôle de pôle émetteur (Lyon) vers les agglomérations voisines pour gagner de proche en proche les bourgades éloignées du pôle originel d’émission en respectant les structures hiérarchiques administratives, démographiques et socio-économiques. Le phénomène de diffusion est d’autant plus rapide et fort que le maillage urbain est serré. En s’appuyant sur le dépôt des statuts des association sportives à la préfecture du Rhône (ADR, 4M 603-615, Sport et gymnastique, 1880-1939) et la presse locale (Lyon-Sport, les Sports du Centre et du Sud-Est, etc.), la carte de diffusion du rugby dans le département du Rhône peut se résumer ainsi. Lyon est le premier foyer d’implantation avec la création des premières équipes scolaires et clubs civils dans les années 1890-1895 (Union Sportive du Lycée Ampère, 1890 ; le Football Club de Lyon, 1893). Durant les années 1900, les clubs civils fleurissent dans Lyon intra-muros, pour ensuite gagner les communes agglomérées de Villeurbanne (1899), Saint-Fons (1909). Ensuite, le phénomène touche les villes moyennes le long de la Saône et du Rhône, en amont à Villefranche-sur-Saône (1908) et en aval à Givors (1913). De 1900 à 1914, le mouvement atteint les sous-préfectures du Rhône et les zones rurales, mais la diffusion n’est pas continue. La pratique du rugby reste partielle, ne recouvrant pas l’ensemble du département du Rhône. Limité géographiquement à la banlieue lyonnaise et aux villes moyennes industrielles le long du Rhône et de la Saône, le rugby reste par là-même un sport essentiellement urbain. L’expansion centrifuge du phénomène rugbystique est annihilée dans les zones rurales par les activités de gymnastique et de préparation militaire implantées antérieurement. L’implantation du rugby à l’intérieur du département du Rhône fait pendant à la tendance centripète de création des sociétés conscriptives (voir annexe n° 1). En effet, les sports athlétiques se sont diffusés à partir des centres urbains pour gagner les campagnes, alors que les premières sociétés conscriptives sont créées en zones rurales, donc à la périphérie de la ville, pour gagner progressivement le centre (Arnaud, 1987).
16 L’implantation des activités de préparation militaire dans les zones rurales constatée dès les années 1880-1890 a gêné l’enracinement ultérieur des sports athlétiques, notamment le rugby, dont la zone d’influence s’est limitée uniquement aux unités urbaines moyennes et à la banlieue lyonnaise (voir annexe n° 2). Les villes industrielles comme Tarare ou Villefranche-sur-Saône constituent tout de même les points de fusion entre le mouvement conscriptif et les sports athlétiques à travers les sociétés omnisports. La banlieue périphérique lyonnaise constitue également le point de convergence entre les activités de préparation militaire et les sports athlétiques, avec comme exemple le club omnisports du Rhône Sportif (1919) situé à proximité de Villeurbanne (voir annexe n° 2). Au sud du département du Rhône, l’influence lyonnaise est mise à mal par la proximité de Grenoble, pôle émetteur des sports athlétiques depuis les années 1890, relayé localement par Bourgoin (1900) et Vienne (1899). Comme l’ont souligné plusieurs auteurs pour le cas parisien, le rugby, en se diffusant, a échappé à ses promoteurs lyonnais, par le déplacement du centre gravité de l’activité rugbystique de la ville de Lyon vers les zones périphériques. Par ce processus, les clubs lyonnais perdent leur hégémonie sportive, même si la ville de Lyon est maintenue comme siège législatif du rugby régional.
2 – Le déclin du rugby à Lyon
17 En réalité, le retrait du rugby de la scène sportive locale ne peut pas être la résultante de ses modalités de diffusion, ni de la limitation géographique de sa zone de pratique et de développement. La combinaison de plusieurs facteurs d’ordre conjoncturel et structurel favorise l’émergence d’activités physiques concurrentes parallèlement au déclin du rugby au sein du système sportif lyonnais.
2.1 – La concurrence du rugby à XIII et du football professionnel
18 L’affaiblissement du rugby lyonnais s’amorce durant l’Entre-deux-guerres à la faveur de plusieurs crises successives touchant l’ensemble du monde de l’« ovale ». Ces diverses dissensions visibles dans le rugby lyonnais favorise l’émergence d’autres sports collectifs aux statuts professionnels captant de plus en plus l’attention du public lyonnais.
19 Dans les années 1930, un début de dissension s’amorce au sein du rugby lyonnais suite à la scission des clubs des Douze (futur Union française de rugby amateur) et à l’apparition du rugby à XIII. Le FC Lyon est le premier club lyonnais à adhérer l’UFRA. Mais l’exemple du Football Club de Lyon est peu suivi par la majorité des clubs lyonnais qui restent fidèles à la Fédération française de rugby. Cette dissidence, même limitée localement, est révélatrice de certaines divergences sous-jacente relatives à l’évolution du rugby, en inadéquation avec l’éthique amateur définie par les instances fédérales dans les années 1880-1890, dont le FC Lyon restait un des plus fervents partisans. Cette crise sert de terreau à l’implantation du rugby à XIII, favorisée par la discordance locale toujours latente entre les ufratistes et les autres. L’apparition du jeu à XIII à Lyon date de 1934, lors d’un match exhibition à Villeurbanne pendant la tournée française du Comté de Yorkshire organisée à l’initiative de Jean Gallia [22]. Devant le succès populaire rencontré par ce match de gala (7 000 spectateurs) et le statut professionnel de ce sport, plusieurs clubs lyonnais adoptent le rugby à XIII, soutenus financièrement par de grands intérêts privés (Vanel, 1990). Le club de Villeurbanne XIII est fondé de toute pièce dans l’année 1934 par M. Pansera, entrepreneur de maçonnerie (Barnoud, 1979) [23]. Si, dans la Loire, le rugby à XIII prend racine durablement, l’épidémie treiziste est momentanément stoppée à Lyon par les succès des équipes quinzistes lyonnaises, mais surtout par les directives sportives du régime de Vichy qui supprime la ligue de rugby à XIII et en interdit la pratique.
20 Si le rugby lyonnais a su éviter le pire dans le difficile parcours des années 1930, c’est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que la résurgence du jeu à XIII devient un rival sérieux pour le rugby. Les clubs treizistes supprimés pendant la guerre se reconstituent [24] et pour se renforcer n’hésitent pas à puiser dans les clubs quinzistes. Ainsi, Roger Minjat, international à quinze du FC Lyon, rejoint l’équipe de Villeurbanne XIII [25]. Les ponts d’or offerts par les clubs treizistes provoquent le départ massif de rugbymen vers le jeu à XIII, affaiblissant par là-même, les clubs restés fidèles à la Fédération française de rugby. La radiation systématique de la FFR de tous les dissidents quinzistes passés à XIII radicalise le phénomène d’exode. Pour stopper cette hémorragie, certains clubs font le choix de rejoindre la ligue treiziste. Ainsi, en janvier 1946, le FC Lyon démissionne de la FFR pour adhérer à la ligue de jeu à XIII (Nicaud, 1992). Le jeu à XIII lyonnais bénéficie momentanément d’une vague de popularité ascendante par l’effet conjugué des succès internationaux de l’équipe française treiziste et des piètres résultats de ses homologues quinzistes. Mais le manque de succès probant des clubs lyonnais au sein du championnat de France de la ligue de Jeu à XIII décourage à terme le public et la presse qui se détournent de ce sport pour investir un nouveau champ d’activité sportive alors en pleine ascension dans les années 1950 : le football professionnel [26].
21 Pourtant, les premières tentatives de constitution d’équipes de football professionnel sont des échecs. En 1932, Jean Mazier promoteur du football lyonnais, fonde la première équipe professionnelle au sein du club omnisports du FC Lyon (Malservisi, 1998). Après plusieurs tentatives aussi infructueuses les unes que les autres, une entente est conclue entre le LOU et l’Association sportive villeurbannaise en 1935 (Blanc, 1989). Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les responsables du football lyonnais comprennent que pour assurer la réussite durable du football professionnel à Lyon, il parait indispensable de s’émanciper des clubs omnisports à vocation amateur dominés par la section rugby, en évoluant dans une structure autonome. En 1950, l’Olympique lyonnais naît sur les cendres de l’ancienne entente d’avant-guerre du Lyon Olympique-Villeurbanne par le rachat des joueurs restés sous contrat au FCL et au LOU (Mesplede et Naville, 1986). Dès sa création, l’Olympique lyonnais bénéficie du soutien logistique et financier de la municipalité lyonnaise, alors que dans les années 1930, sous le mandat d’Edouard Herriot, seule l’éducation physique avait bénéficié des largesses financières de la ville de Lyon, désireuse de favoriser le développement du sport de masse au détriment des sports élitistes comme le rugby. Comme le confirme Lê-Germain (1998), au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la municipalité de Lyon renonce à soutenir les activités physiques de masse jugeant qu’il est nécessaire d’opter pour une élite sportive locale. Faute du soutien financier des pouvoirs publics, les sports athlétiques amateurs doivent s’appuyer essentiellement sur le mécénat privé. La municipalité lyonnaise, désireuse de redynamiser son image de marque, investit massivement dans le football alors en pleine expansion dans les années 1950, au détriment du rugby alors en pleine période de crise. Le phénomène est similaire à Bordeaux, où le maire Jacques Chaban-Delmas (ancien joueur du CA Bègles) subventionne largement le club des Girondins. Le soutien municipal se trouve récompensé par les bons résultats de l’OL dès son entrée en compétition officielle (1951) avec une montée pratiquement immédiate en première division (1954). La popularité du football est consolidée par la constance de l’OL au plus haut niveau, associée à plusieurs titres en Coupe de France (1964, 1967). A l’exception de Saint-Etienne, les concurrents les plus proches de l’OL sont Grenoble, Valence. Ces clubs n’ont ni le budget, ni le palmarès suffisant pour inquiéter leurs voisins lyonnais (Ravenel, 1998). Le leadership régional du football lyonnais s’est construit de lui-même sans que les dirigeants aient eu de gros efforts à fournir. A l’opposé, dans un rayon de 70 km à 100 km, les clubs de rugby lyonnais doivent faire face à la concurrence sérieuse de ses voisins bressans, mâconnais, berjallien qui ne subissent pas la concurrence direct de clubs de football et qui demeurent les porte-drapeaux de leur ville.
22 La percée du football professionnel lyonnais est concomitante au déplacement du centre de gravité rugbystique régional de la ville de Lyon vers le triangle isérois formé par les villes de Bourgoin, de Grenoble, et de La Voulte. L’ascension des clubs isérois a débuté dès les années 1930 avec le CS Vienne [27], pour se poursuivre après la Deuxième Guerre mondiale à travers le FC Grenoble devenu en 1954 champion de France en succédant aux clubs lyonnais. Ces succès sont relayés localement par le CS Bourgoin-Jallieu évoluant encore à cette époque en deuxième division. Puis, durant les années 1970, c’est l’âge d’or de La Voulte sportif menée par les deux frères Guy et Lilian Cambérabéro. L’émergence des clubs de Vienne et de La Voulte est liée au développement économique de ces petites villes industrielles, dont les notables prennent en charge les destinés du rugby (Augustin et al., 1985) [28].
2.2 – Les facteurs culturels
23 Le sport fournit un prétexte exceptionnel à l’expression culturelle et emblématique de l’identité locale (Callède, 1993). Selon Callède (1996, 93) « un sport majoritaire sur une aire culturelle donnée est toujours susceptible de favoriser une expression identitaire ». Il semblerait que dans les grandes métropoles françaises, le rugby n’ait pas réussi à s’imposer comme un support emblématique suppléé dans ce rôle par le football. A Lyon, le rugby fait partie par son histoire de la culture sportive lyonnaise, mais il n’existe pas à proprement parler d’une culture rugbystique lyonnaise telle qu’elle s’est élaborée dans les grands foyers de l’« ovale », car elle ne s’est pas construite sur les mêmes modalités. Ce constat se vérifie à l’échelle globale des activités physiques lyonnaises, pour lesquelles, dans le premier quart du siècle, on n’assiste pas réellement à l’élaboration d’une culture sportive (Lê-Germain, 2000), par rapport à d’autres villes à la même époque. La majorité des associations ont une existence discrète. Pour les journalistes de l’époque, Lyon n’est pas sportive (Arnaud, 1985). La convergence de bons résultats enregistrés par les clubs de rugby lyonnais soutenus par un public nombreux et l’inexistence d’activités physiques vraiment concurrentes auraient dû permettre au rugby de s’imposer comme le symbole emblématique de la capitale des Gaules. Mais en laissant cet espace culturel vacant, d’autres sports se sont appropriés cette fonction. Le football est devenu le support identitaire de l’agglomération lyonnaise s’exprimant publiquement lors des derbys contre le voisin stéphanois, qui sont vécus comme les moments forts de la saison sportive locale (Charroin, 1994).
24 Deux périodes d’acculturation sportive autour du prétexte rugbystique apparaissent clairement en France auxquelles Lyon est restée totalement hermétique. Avant la Première Guerre mondiale, le rugby a servi de support à une identité régionale revendicative s’exprimant principalement autour des clubs provinciaux bordelais et toulousains. Au début du siècle, « les succès du Stade bordelais sont symboliquement réappropriés par la population bordelaise en terme d’identités locales teintés d’un brin de chauvinisme et d’identification émotionnelle » (Callède, 1993, 76). La ville de Toulouse participe également au phénomène, mais sur d’autres fondements. Le rugby a très tôt cristallisé un chauvinisme local ayant pour ressort la volonté d’affirmer à travers ce sport la spécificité d’une identité occitane (Pech et al., 1986). Cette exacerbation du sentiment régionaliste est véhiculée à travers la presse locale. Que ce soit à Bordeaux ou à Toulouse, les médias se font les chantres du rugby et suscitent une mobilisation collective autour des grands clubs locaux. Ces clubs provinciaux du Sud-Ouest souhaitent mettre fin au moins sur le plan sportif à l’hégémonie parisienne et à la centralisation institutionnelle de l’USFSA, symbolisée par la campagne entreprise par le bordelais Maurice Martin en faveur de la « décentralisation » des instances fédérales de Paris à Bordeaux (Pech et al., 1986). La ville de Lyon ne participe pas à ce mouvement de totémisation gagnant le rugby provincial. La presse sportive lyonnaise ne véhicule aucun discours à caractère régionaliste, ni n’adopte une position partisane comme son homologue toulousaine qui fait appel à des références explicites allant bien au-delà du simple campanilisme sportif (Pech et al., 1986). La population lyonnaise ne s’est jamais mobilisée autour du rugby afin de revendiquer une quelconque spécificité « ethnique », mais simplement pour consommer un spectacle sportif. Ce type de discours ne pouvait pas trouver un écho favorable auprès d’une société urbaine lyonnaise marquée par le cosmopolitisme sociale, culturel et géographique. La position de neutralité du rugby lyonnais face à ce mouvement régionaliste est en porte-à-faux par rapport au passé politique de Lyon. Même si Lyon est républicaine dans les années 1890-1900 (Arnaud, 1987), durant la période révolutionnaire elle s’est distinguée par son opposition à la volonté centralisatrice jacobine : Lyon est une « cité qui avait embrassée le républicanisme mais qui chérissant l’indépendance ne pouvait tolérer l’oppression au nom de la liberté » (Le-Germain, 2000, 435). De son côté, le maire de Lyon, Edouard Herriot, semble vouloir prendre sa revanche sur l’histoire en lançant des projets architectauraux ambitieux sous la houlette de Tony Garnier (architecte du Stade de Gerland), afin de faire jouer « à la ville de Lyon un rôle de capitale dans le domaine particulier de l’éducation physique et du sport, rôle qu’elle n’a jamais pu obtenir dans d’autres domaines » (Le-Germain, 2000, 433). Mais la politique sportive d’Edouard Herriot s’oriente vers le développement des activités physiques de masse au détriment des sports athlétiques à tendance élitiste. Ainsi, le rugby n’a pas eu l’opportunité de s’insérer dans les objectifs sportifs municipaux et de participer à part entière au mouvement provincionnaliste contre le géocentrisme politico-sportif parisien.
25 Dès l’Entre-deux-guerres, le rugby évolue sur le plan socio-sportif. Il se popularise davantage, confirmant une tendance engagée avant la Première Guerre mondiale et devient un véritable moyen d’identification locale à forte connotation régionaliste. A partir de cette période, le rugby n’est plus le support d’un mouvement régionaliste global de la province envers Paris, en se réduisant désormais autour d’un microcosme qui s’appuie sur l’idéal communautaire. En se diffusant géographiquement, le rugby se transforme en un véritable « moyen d’affirmation et de quête d’identité » (…). Il « se fait plus populaire, plus pugnace, plus rural » (Callède, 1996, 72). Les clubs des villes moyennes, voire des bourgades rurales, émergent sur la plan national (Barran 1974).
26 Dans le Comité du Lyonnais, plusieurs clubs des préfectures voisines (CS Oyonnax, le FC St Claude, US Bressane) contestent la suprématie sportive lyonnaise. Les grandes agglomérations cessent d’exercer une hégémonie paralysante et leur clubs légendaires (Stade bordelais, Stade français, Racing club de France) ne jouent plus qu’épisodiquement les premiers rôles en championnat. Le développement de petits clubs est encouragé par la politique sportive de la Fédération française de rugby, soucieuse de ne pas faire émerger de clubs puissants tout en cherchant à promouvoir l’accession des plus petits parmi l’élite (Ravenel, 1998). « Le « rugby de village » était perçu et voulu comme une réponse à l’avancée de l’argent et de la modernité dans le sport » (Ravenel, 1998, 60), interdisant à des clubs historiques de grandes métropoles comme le LOU de rester les clubs phares de leur agglomération.
27 A Lyon, un rugby identiaire se construit également sur la base des clubs situés dans les différents quartiers de la ville. En effet, ville mosaïque, Lyon est constituée d’une succession de quartiers et d’une ceinture périurbaine qui sont de véritables villes dans la ville, affirmant chacune leur particularité (Arnaud, 1987). Cette popularisation du rugby lyonnais et l’idéal communautaire qui l’accompagne sont masqués par le maintien de la prédominance institutionnelle et sportive détenue par les grands clubs notabiliaires (FC Lyon, puis Lyon Olympique Universitaire) [29]. Ces associations sportives huppées et cloisonnées socialement maintiennent en leur sein un état d’esprit conservateur en raison d’une direction ploutocratique s’appuyant sur des valeurs socio-sportives obslètes (Arnaud 1987). Ces associations notabiliaires « regroupent dans leurs conseils d’administrations les personnages les plus fortunés, les plus influents, les plus dotés de relations sociales, mais elles recrutent essentiellement leurs membres dans le monde qui est le leur : celui de personnes disposant des mêmes références culturelles » (Arnaud, 1987, 114).
28 La popularisation du rugby lyonnais s’est amorcée d’une manière marginale dès le début du siècle quand des clubs au recrutement social plus hétérogène apparaissent, tout en restant socialement limitée aux classes moyennes (Holt, 1980) [30]. Mais le phénomène prend davantage d’ampleur avec la multiplication des clubs dans les quartiers des zones périphériques de l’agglomération lyonnaise au lendemain de la Première Guerre mondiale (voir annexe n° 2). Les activités physiques avaient précédemment gagné ces zones périurbaines par l’intermédiaire des sociétés conscriptives. Ces petits clubs de quartiers se construisent culturellement autour d’ethos locaux forts forgés sur une multitude d’appartenance socioculturelle (communautaire, confessionnelle, corporative) et proposent ainsi une diversité de « ludus pro loco » (le jeu pour la défense du lieu singulier, du territoire familier, de la cité… ). Ces nombreuses micro-sociétés situées en majorité dans la périphérie lyonnaise (donc en marge) fonctionnent sur des principes autarciques et, pourrait-on dire, en circuit-fermé. Chaque association possède son réseau de recrutement, son public de fidèle attitré, ses moyens de financement propre. Cet éclatement identitaire, favorisé par la politique sportive fédérale, est aussi la conséquence du refus des grands clubs de s’ouvrir socialement, interdisant un accès plus large au rugby d’élite [31]. Ce dualisme identitaire nuit à la construction d’une identité locale unifiée autour d’une pratique sportive commune, censée refléter ou plus encore incarnée une culture mentale, une mentalité, une conception de la vie sociale (Augustin et al., 1985), symbolisant une identité et un particularisme régional. Schématiquement, deux cultures sportives rugbystiques se mettent en place en interaction ; la première autour des clubs au recrutement social limité qui gardent la main mise sur le rugby d’élite et la deuxième fonctionnant sur l’idéal communautaire autour de clubs à la composition sociale éclectique évoluant à un niveau sportif inférieur.
2.3 – Les facteurs structurels : Un vivier local négligé
29 L’élément déterminant, liant durablement une activité physique à un terroir, est directement associé à l’effort dont font preuve les associations sportives locales pour intégrer la population « autochtone » dans leur structure par l’intermédiaire de la formation interne ou de l’affiliation avec d’autres sociétés sportives davantage insérées dans le système socioculturel local (les associations sportives scolaires). A Lyon, la politique sportive fondée sur le paradigme herzogien : « c’est de la masse que vient l’élite » a été totalement négligée par les dirigeants locaux du rugby.
30 Alors que dans de nombreuses régions, le rugby scolaire (et universitaire) a contribué à l’enracinement durable de ce sport, à Lyon, le milieu scolaire est resté imperméable à la pratique du rugby. Portés par la vague du mouvement sportif associatif dans les années 1890, les potaches lyonnais sont pourtant les promoteurs du rugby à Lyon. Cepndant, les premières associations sportives scolaires ne bénéficient d’aucun encadrement spécifique. Aucune institution sportive ou associative lyonnaise n’a pris l’initiative de promouvoir les activités de plein air dans les établissements d’enseignement scolaire. En Aquitaine, dès les années 1890-1900, la Ligue girondine d’éducation physique du docteur Tissié favorise la promotion des activités physiques de plein air dans les établissements scolaires de l’Académie de Bordeaux. Malgré l’organisation de plusieurs lendits dès le mois de mai 1890 à Lyon, la Ligue nationale d’éducation physique de Paschal Grousset semble se heurter à une certaine indifférence, symbolisée par l’annulation du congrès annuel de la Ligue qui devait se dérouler à Lyon en 1894 (Lebecq, 1997). La revue L’Education physique souligne cet état de fait en ces termes : « Il faut remarquer que l’Education physique ne fait guère résultat des progrès enregistrés à Lyon, avant la nomination au Lycée Ampère, en mai 1892 de Mr Cadiot, jusqu’alors chef des jeux de la Ligue. C’est à ce dernier que l’on doit l’organisation du premier lendit en juillet de la même année, mais jamais Lyon ne répond aux espérance de la Ligue » (Lebecq, 1997, 166).
31 Les actions en faveur de la diffusion des sports athlétiques en milieu scolaire sont court-circuitées dès le début des années 1900 par la politique sportive municipale qui souhaite développer en priorité dans les établissements scolaires les activités physiques de masse (gymnastique) au détriment des sports athlétiques (le rugby). Le Comité du Sud-Est (puis du Lyonnais), de son côté, a du mal à mettre sur pied un championnat de rugby scolaire cohérent, notamment en raison de la difficulté à concilier à la fois le calendrier scolaire et les épreuves sportives, mais aussi à vaincre les réticences des proviseurs peu enclins à promouvoir le développement des sports de plein air. Faute d’un championnat scolaire régulier, les associations scolaires sont contraintes de se mesurer aux clubs civils. A l’exception du Lycée Ampère, peu d’associations sportives scolaires lyonnaises s’affilient à l’USFSA. La majorité des équipes scolaires paraissent préférer évoluer dans un cadre moins rigide et privilégier la pratique sportive informelle [32]. Le vivier local formé par le rugby scolaire ne constitue donc pas une réserve de joueurs suffisante pour alimenter les besoins des clubs civils en jeunes recrues. En 1909, parmi les 1375 rugbymen répertoriés dans le Comité du Lyonnais 60 seulement sont des scolaires (Lyon-Sport, 1909). Les clubs civils, pour combler la carence en jeunes joueurs, complètent leurs effectifs en recrutant dans le milieu universitaire.
32 Le rugby est apparu dans les universités lyonnaises à la fin des années 1890, avec la création de l’Association sportive de l’Ecole de Commerce de Lyon (1897) et de l’Association sportive des étudiants lyonnais (1901). Le rugby ne s’implante pas durablement dans les universités, puisque malgré la création de plusieurs équipes de rugby dans les facultés de médecine et de droit, dès les années 1898 (Lyon-Sport, 1898), elles cessent toute activité sportive quelques années plus tard. Pourtant, les clubs civils multiplient les actions pour développer le rugby en milieu scolaire pour à terme pouvoir puiser dans ce vivier. En 1908, le FC Lyon ouvre une section de sport athlétique réservée aux étudiants adhérents à l’Association générale des étudiants de Lyon (Lyon-Sport, 1908, 24 novembre). La fusion réussie entre le Lyon olympique et la section sportive de l’Ecole Centrale de Lyon (Lyon-Sport, 1910) ne doit pas cacher les échecs antérieurs et ultérieurs. Pour les sports athlétiques, la plus grande difficulté pour s’implanter dans le milieu estudiantin est liée au manque d’infrastructures mises à la disposition des associations sportives scolaires, notamment des vestiaires avec des douches. Les clubs lyonnais utilisent le réseau universitaire et lycéen dans le seul but de recruter des joueurs déjà confirmés, mais non de s’en servir comme une structure de promotion sportive locale. Les grands clubs de rugby lyonnais fonctionnent désormais sur le principe des vases communicants en compensant la carence formatrice locale par le recrutement de jeunes rugbymen « étrangers » en puisant dans le réseau universitaire, tout en excluant le creuset local constitué par la masse des rugbymen répartis dans les différentes associations sportives lyonnaises. Les petits clubs lyonnais, pour des raisons de survie sportive, souhaitent garder en leur sein leurs joueurs en devenir en favorisant la promotion interne. Surtout, les structures et les finances de ces clubs ne permettent pas, en principe, de mener une politique de recrutement suffisante pour compenser les départs des meilleurs éléments.
33 Ponctuellement, les observateurs mettent l’accent sur la nécessité de constituer un vivier local de joueurs afin d’intégrer le rugby dans les rouages sociales et culturelles de l’agglomération lyonnaise. « Il faut s’atteler à la production de joueurs et non à la consommation » (Lyon-Sport, 23 septembre1932). Ces discours publiés dans les éditoriaux de la presse sportive locale ne sont pas suivis dans la réalité d’effets. Pourtant en 1952, Tony Bertrand (alors inspecteur à la Direction régionale des sports) confie à René Barnoud la tâche de créer une école de rugby lyonnaise en prospectant dans les milieux scolaires (Barnoud, 1979) [33]. Dans la foulée, en 1954, le Comité du Lyonnais patronne la création d’une équipe juniors surnommés « les lionceaux ». Mais, lors de la saison 1956-1957, ces deux institutions sont dissoutes faute d’un effectif conséquent, le premier effet d’engouement n’ayant pu être maintenu. Dans d’autres disciplines sportives locales, les dirigeants ont rapidement compris l’enjeu structurel que constitue une politique formatrice de qualité. Dès les années 1950, les dirigeants du football lyonnais ont lancé une politique de formation locale (centre de formation) qui procure régulièrement à l’Olympique Lyonnais de jeunes joueurs en devenir (Ravenel, 1998). Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, les autres clubs phares du rugby régional favorisent la promotion interne de leurs joueurs et privilégient une politique formatrice, garantissant de surcroît la pérennité et l’assise locale de leur sport. En 1947, Jean Catherin (président de l’US Bressane) affirmait lors d’une allocution publique « que les équipes (de l’USB) sont constituées essentiellement d’éléments locaux » (annuaire USB, 1947, 4) et que ce club « en suscitant chez les jeunes la vocation et le goût du rugby a permis à l’USB une pléiade de jeunes joueurs prêts à remplacer leurs aînés » (idem).
Conclusion
34 Le rugby fait partie intégrante de la culture sportive lyonnaise, dont il est même l’un des principaux artisans. Mais les facteurs ayant favorisé le développement du rugby à Lyon ont conditionné son déclin par le contrôle institutionnel et sportif exclusif de l’élite par les clubs notabiliaires. Le recrutement systématique de pratiquants « étrangers » par un processus de marginalisation du vivier local a empêché à terme une véritable assimilation du rugby au sein de la société sportive locale. A Lyon, ni la politique sportive de la FFR, ni le phénomène de popularisation touchant peu à peu le rugby hexagonal n’ont eu une influence suffisante pour permettre une intégration progressive des petits clubs de quartiers lyonnais parmi l’élite, à la différence d’autres grandes villes qui ont été gagnées progressivement par la démocratisation du rugby d’élite, avant la Grande Guerre pour Toulouse (Pech et al., 1986) et dans les années 1930 pour Bordeaux par l’intermédiaire de la banlieue bèglaise (Callède et Dané, 1991 ; Augustin et al., 1994).
35 Les grandes métropoles caractérisées par une population cosmopolite tendent à développer des cultures sportives hétérogènes par la diversité des activités physiques et le besoin de pluralité. Paradoxalement, les géographes constatent pour le cas des grands ensembles urbains que « la possibilité financières des grandes villes, leur potentiel démographique accroissent les représentants dans la même discipline, mais surtout augmentent la diversité des activités. Chaque sport trouve alors son public, efface les spécificités régionales et la concurrence derrière le besoin de pluralité » (Ravenel, 1998, 53).
36 A Lyon, en l’espace d’un demi-siècle, deux cultures rugbystiques antagonistes se sont progressivement mises en place, caractérisées par la distorsion entre un rugby d’élite et la pratique de masse. Une première qui s’est construite autour des grands clubs notabiliaires dits « historiques » cloisonnés socialement et ayant la main mise sur le rugby d’élite, et la deuxième autour des clubs populaires représentant le rugby de masse. Même si, en histoire, les effets et les causes peuvent se confondre, on peut tout de même admettre que ces deux systèmes fermés en fonctionnant d’une manière autarcique, fragilisés par diverses crises conjoncturelles, ont favorisé par leurs divergences l’émergence d’autres activités physiques, principalement le football. A première vue, il semblerait que, comme dans le Languedoc, le rugby lyonnais se soit effondré sous la poussée continuelle des footballeurs (Ravenel, 1998).
37 Le développement du mouvement sportif associatif n’a pas été accompagné conjointement d’une assimilitation et d’une intégration culturelle du sport par la société lyonnaise ; en raison du soutien municipal (sous le mandat Herriot) apporté à l’éducation physique, les sports délite ont été relégués au second plan. A différentes périodes, les observateurs (journalistes, et historiens) ainsi que les acteurs eux-mêmes ont constaté un manque d’engouement populaire pour les activités sportives à Lyon (Arnaud, 1985,Le-Germain 2000). Le rugby d’élite lyonnais n’est pas le seul à souffrir du manque d’audience auprès de la population. Ainsi, au sortir des années 1950, le football, malgré les bons résultats enregistrés en championnat de France, ne déclenche pas la même ferveur populaire que Marseille pour l’OM.
38 Pour mesurer véritablement en un demi-siècle, le degré d’intégration culturelle et sociale du sport dans la société lyonnaise, cela nécessite une étude socio-historique exhaustive portant sur l’ensemble des sports lyonnais, à l’image des travaux réalisés par Augustin pour les Landes (1995). Mais comme le soulignait Callède (1996), les études monographiques ne sont pas assez nombreuses pour apporter des éléments d’analyses complémentaires. A terme, il serait intéressant de pouvoir mettre en parallèle l’évolution du système rugbystique lyonnais avec les autres sports (collectifs et individuels) afin de déterminer au mieux sa place au sein du système sportif lyonnais. Tout en soulignant que malgré l’intégration d’une activité physique dans un système sportif plus vaste, chaque sport possède historiquement, socialement et culturellement un certain degré d’évolution autonome (Terret, 1996).
Carte de répartition des clubs de rugby, sociétés de gymnastique et bataillons scolaires
Répartition des clubs de rugby de l’agglomération lyonnaise
Bibliographie
Bibliographie :
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Annuaire de clubs :
- Annuaire de l’Union sportive bressane, 1947, Bourg-en-Bresse.
Archives :
- Archives départementales du Rhône, série 4M603 à 615, Sport et gymnastique, 1880-1939.
Presse sportive :
- Le Sport du Centre et du Sud-Est, 10 février 1912, Lyon.
- Lyon-Sport, 6 janvier 1897, Lyon.
- Lyon-sport, 15 janvier 1898, Lyon.
- Lyon-Sport, 23 septembre 1905, Lyon
- Lyon-Sport, 24 novembre 1908, Lyon.
- Lyon-Sport, 25 décembre1909, Lyon.
- Lyon-Sport, 5 mai1910, Lyon.
- Lyon-Sport, 29 janvier 1932, Lyon.
- Lyon-Sport, 23 septembre 1932, Lyon.
- Lyon-Sport, 3 mai 1934, Lyon.
- Midol-Mag, Midi-Olympique, n° 4266, novembre 1995, Toulouse.
- Rugbyrama, n° 11, saison 1998-1999, Toulouse.
Notes
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[1]
Il est vrai que depuis quelques années cet institut de recherche a diversifié ces centres d’intérêts en ne privilégiant plus exclusivement la zone Aquitaine.
-
[2]
Seuls quelques érudits locaux ont retracé l’histoire de certains clubs lyonnais, mais ils produisent une somme d’anedoctes, auxquelles on ne peut pas donner la valeur de réflexions historiques.
-
[3]
Seuil démographique établi par Loïc Ravenel.
-
[4]
Avec l’Ile-de-France et Paris.
-
[5]
Pour la saison 1998-1999, le Comité du Lyonnais comptabilise 13 357 licenciés pour un club en élite, tandis que le Languedoc, avec 11 076 licenciés, possède deux représentants en élite.
-
[6]
Pour être plus exact, les bornes chronologiques sont symboliques : 1890 (année de fondation de l’US Ampère, premier club de sports athlétiques à Lyon) et 1964 (premier titre national pour l’Olympique lyonnais) marquant la domination définitive du football sur les autres sports lyonnais.
-
[7]
En 1864, des Britanniques fondent le Cricket Club de Lyon sous le parrainage de l’Empereur Napoléon III.
-
[8]
ADR, série 4M603, Sport et gymnastique (1880-1900), liste des sociétaires du FC Lyon.
-
[9]
A partir de 1899, les champions de chaque comité régional s’affrontent pour la finale du Championnat de France contre un club parisien.
-
[10]
ADR, PER 565, Lyon-Sport, 23 septembre 1905.
-
[11]
ADR, PER 565, Lyon-Sport, 23 septembre 1905.
-
[12]
ADR, PER 818, Les Sports du Centre et du Sud-Est, 10 février 1912.
-
[13]
Le FC Lyon, où la proportion d’Anglais est la plus importante, remporte 19 titres de Champions du Lyonnais entre 1895 et 1914, plus un titre de Champion de France 1ère série en 1910 (contre le Stade bordelais).
-
[14]
Un des premiers règlements de rugby disponible en langue française à Lyon est publié en 1905 seulement.
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[15]
Lors de la saison 1929-1930, le LOU recrute trois joueurs de Perpignan dont l’international Vincent Graule.
-
[16]
Le LOU est Champion de France de 1ère division en 1932 et 1933, associé à un Challenge Yves du Manoir.
-
[17]
ADR, série 4M 603, Sport et gymnastique, 1880-1901, dossier Cercle des Sports.
-
[18]
ADR, série 4M 603, Sport et gymnastique, 1880-1901, dossier FC Lyon.
-
[19]
Le Comité du Lyonnais est fondé en 1897, à l’initiative du FC Lyon et du Lycée Ampère.
-
[20]
Commission de vélocipédie ; de course à pied, escrime ; football-rugby.
-
[21]
Charles et Félix Louot, tous les deux industriels et présidents du LOU (le premier en 1914, le deuxième en 1945). Tony Bertrand, responsable de la section athlétisme du LOU dans les années 1930 et maire-adjoint aux sports dans les années 1970.
-
[22]
Accusé de professionnalisme, Jean Gallia est radié par la FFR. Il est l’organisateur d’une tournée de l’équipe treiziste du Comté du Yorkshire en France en 1934, afin de promouvoir ce sport.
-
[23]
Il est concessionnaire du Stade municipal de la Plaine à Villeurbanne et constructeur du Stadium de Villeurbanne (15 000 places) édifié pour les sports de glace.
-
[24]
On note la création de deux nouveaux clubs treizistes : le CS Bron et le CS Lyon 7e.
-
[25]
Déjà dans les années 1930, plusieurs quinzistes célèbres avaient franchi le Rubicon : Charles Mathon (LOU), Griffard (LOU), Porra (LOU), Audouze (FCL).
-
[26]
Faute de moyens financiers et d’un public nombreux, le jeu à XIII disparaît à Lyon au cours de l’année 1961.
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[27]
Le CS Vienne est champion de France deux fois en 2e division (1927 et 1928), puis de 1re division en 1937.
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[28]
Le retrait de ces clubs de l’élite du rugby français est à mettre en rapport avec la crise de l’industrie locale dans les années 1980.
-
[29]
Le Comité du Lyonnais est dirigé en alternance par les responsables du LOU et du FC Lyon, puis en exclusivité par ceux du Lyon Olympique Universitaire à partir des années 1950.
-
[30]
ADR, série 4M 603, Sport et gymnastique, 1880-1901, le Stade lyonnais est composé en majorité d’employés associés à des petits commerçants et artisans. Par contre les employés de commerce sont sureprésentés au sein du Club Sportif de Lyon (1894).
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[31]
Excepté l’Amicale des Charpennes au recrutement social plus populaire évoluant en première division dans les années 1930-1940.
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[32]
Les lycéens organisent régulièrement des challenges d’athlétisme en fin d’année scolaire (challenge du Lycée Ampère).
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[33]
Le 5 février 1953 est ouverte officiellement la première école de rugby de Lyon au stade des Iris.