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Article de revue

Où en est le « passif long » en français ?

Pages 153 à 173

Notes

  • [1]
    Nous remercions chaleureusement nos informateurs et, en particulier, ceux d’entre eux qui en ont recruté d’autres. Une version antérieure de notre article ayant été présentée au séminaire « SynSem » (« Syntaxe et Sémantique ») à l’université d’Oslo, de même qu’à la conférence annuelle de l’Association for French Language Studies de 2015, nous exprimons notre gratitude aux participants qui nous ont aidés par leurs remarques et conseils. Finalement, un grand merci aux deux relecteurs anonymes, au responsable de la revue Pierre Larrivée ainsi qu’à Christine Meklenborg Salvesen pour leurs observations.
  • [2]
    Le sujet d’un passif long peut aussi être impersonnel. Soit : Il est oublié d’être dit que Borie Manoux est exproprié de son site à Bordeaux pour cause de construction du Pont sur la Garonne (Internet, consulté le 4 décembre 2015).
  • [3]
    Il est intéressant de noter que dans l’édition de 1969, par exemple, seule la construction à l’infinitif actif est mentionnée, alors que dans celle de 1993 (p. 1125) l’emploi de l’infinitif passif est évoqué, évocation qui ne change pas dans l’édition de 2008. Selon les deux auteurs, l’infinitif actif est donc toujours le plus courant.
  • [4]
    Nous avons soumis les exemples (12)-(15), empruntés à Anscombre, à quatre locuteurs natifs, qui se révèlent plus ou moins négatifs vis-à-vis de (12) et (13), mais positifs en ce qui concerne (14) et (15). Dans la mesure où ils acceptent le passif long à l’infinitif actif, ils ne voient pas de différence de sens entre les deux types.
  • [5]
    En ce qui concerne le phénomène de « voice agreement », voir Sells 2004, Lødrup 2014a, 2014b, Wurmbrand & Shimamura 2015. Nous y reviendrons dans la section 3.
  • [6]
    Comme nous le savons, il est parfois difficile de trouver un terme grammatical non ambigu. « Passif long » a parfois le sens de « phrase passive comportant un complément d’agent », comme dans Dubois 1967.
  • [7]
    Cette séquence se lit comme suit : une forme de être + zéro ou n’importe quel mot + le participe passé + une forme de de (c’est-à-dire de ou d’) + une forme de être + participe passé.
  • [8]
    Dans d’autres langues aussi on trouve une variation en ce qui concerne l’acceptabilité du passif long. En allemand, par exemple, il y a des locuteurs qui acceptent le passif long avec plusieurs verbes de restructuration (voir Wurmbrand 2001), alors que d’autres n’acceptent que le verbe versuchen, « tenter » (voir la discussion dans Reis & Sternefeld 2004).
  • [9]
    Nous avons créé le terme d’« accord de diathèse », ou « accord diathétique ». Lødrup (2014a, 2014b) utilise le terme de « voice agreement ».
  • [10]
    Pour une analyse plus complète des données norvégiennes, voir Lødrup 2014a.
  • [11]
    À l’exception des constructions mentionnées ci-dessus, les auteurs du Bon usage (Grevisse & Goosse 1993 : 1010-1012) signalent que « l’ancien usage a laissé des traces dans les parlers régionaux (surtout Midi, Lorraine, Wallonie, Normandie) et dans la langue littéraire ». Autrement dit, on peut trouver certains exemples de montée de clitiques chez des érudits et des écrivains des XIXe et XXe siècles. En voici quelques exemples :
    i.Il le faut traverser. (M. Butor, La modification, Paris, Union générale d’éditions (Le monde en 10-18), 1962, p. 239)
    ii.J’y veux trouver des exemples. (A. Rey, Littré, l’humaniste et les mots, Paris, Gallimard, 1970, p. 24)
    D’autres linguistes se sont aussi exprimés à ce propos. Kayne (1980), par exemple, soutient que le français a perdu le phénomène de restructuration. Cinque (2002), de son côté, pense que la montée des clitiques en et y existe toujours dans le français soutenu, comme dans l’exemple (ii). De même, Cinque aborde un argument relatif aux constructions appelées « easy-to-please ». Quant à Authier et Reed (2009), ils rejettent les arguments de Cinque, parce que, à leur avis, les données ne sont pas fiables. Comme on peut le constater, le désaccord est vif. Le cadre de cet article ne nous permet pas, cependant, de reprendre toute cette discussion ici.

1. Introduction

1De temps en temps on trouve des phrases passives telles que (1) et (2), qui sont en général appelées « long passives » dans les travaux de linguistique en anglais (pour faciliter la lecture, nous avons mis le passif long en gras) :

1.Mon article n’est pas fini de rédiger. (Anscombre 1989 : 48)
2.Mon article n’est pas fini d’être rédigé. (Ibid.)

2Selon l’analyse standard de cette construction, il s’agit d’une forme de restructuration qui comprend un verbe de restructuration suivi d’un infinitif, constituant un prédicat complexe. Celui-ci a un ensemble de fonctions syntaxiques et forme une structure monophrastique. Le sujet dérivé de celui-ci correspond à l’argument objet de l’infinitif [2]. Les passifs longs existent dans beaucoup de langues telles que l’italien, l’espagnol, l’allemand, le néerlandais, les langues scandinaves, le japonais et le turc. Les exemples (3), (4) et (5) sont en allemand, en espagnol et en norvégien respectivement :

3.dassderTraktorzu reparieren versucht wurde
quele.NOMtracteurderépareressayéétait
« que l’on a essayé de réparer le tracteur »
(Wurmbrand 2001 : 19)
4.Estasparedesestán siendo terminades de pintar.
cesmurssontétantfinisdepeindre
« On finit de peindre les murs. »
(Aissen & Perlmutter 1983 : 390)
5.Sliketingforsøkes å gjøres. (Exemple forgé)
telleschosesessayer.PRES.PASSdefaire.INF.PASS
« On essaie de faire de telles choses. »

3L’infinitif, qui constitue le second verbe d’un passif long, est ou bien à la forme active, comme dans (1), (3) et (4), ou bien au passif tel que dans (2) et (5). Il se trouve que certaines langues demandent un infinitif passif, alors que d’autres le permettent (Lødrup 2014b, Wurmbrand & Shimamura 2015).

4Le processus de restructuration est déterminé par le premier des deux verbes. Il y a un nombre limité de verbes de restructuration dans les langues (Wurmbrand 2001 : 6-9, 342-345), et les différentes langues n’ont pas exactement les mêmes. Ce sont cependant les mêmes types de verbes qui sont utilisés, tels que les verbes aspectuels comme finir, les verbes de virtualité comme tenter, de même que les verbes implicatifs comme oublier, par exemple. Cette question sera développée dans la section 3.

5Les prédicats complexes et la restructuration sont des sujets de recherches importants depuis une trentaine d’années, comme en témoignent les contributions de Rizzi (1978) et de Aissen et Perlmutter (1983). Ces questions ont été examinées par exemple dans le cadre de la grammaire lexicale-fonctionnelle (LFG) par Butt (1995, 2010) et Alsina (1996) entre autres, et dans une optique minimaliste par Wurmbrand (2001, 2004, 2014, 2015) et Cinque (2002, 2003, 2004), par exemple. De nombreuses langues ont été passées à la loupe, dont les langues romanes, le français faisant figure de parent pauvre, cependant.

6Dans cet article, nous nous proposons d’examiner les passifs longs en français moderne. Nous montrerons que, dans l’ensemble, les linguistes considèrent l’emploi de cette construction comme limité dans le français d’aujourd’hui (2.1). La section 2.2 montrera que la construction est bien attestée dans des textes relevés sur Internet. En 2.3 seront présentées les réactions de nos informateurs vis-à-vis de douze exemples attestés de passifs longs à l’infinitif passif. Leurs réactions varient, certes, mais cette construction semble nettement moins marginale que certains linguistes le soutiennent. Dans la section 3, nous défendrons, entre autres, la thèse selon laquelle la forme passive du second verbe constitue un accord de diathèse passive. Nous montrerons aussi comment cette construction peut être expliquée dans le cadre d’une théorie grammaticale, en l’occurrence la grammaire lexicale-fonctionnelle. Finalement, dans la section 4, nous ferons valoir le statut de la restructuration en français.

2. L’emploi des passifs longs

2.1. Remarques préliminaires

7Existe-t-il des passifs longs en français ? Cette question ne semble pas avoir beaucoup tenté les linguistes. Brunot ([1922] 1926 : 363) mentionne cette construction, avec peu de précisions cependant, dans La pensée et la langue, et donne quelques exemples, dont (6) :

6.Ma jupe est finie de coudre.

8Grevisse et Goosse l’abordent brièvement dans Le bon usage de 2008, ainsi que dans des éditions antérieures, d’ailleurs. Les deux grammairiens signalent que « si un infinitif est précédé des “semi-auxiliaires”, achever, finir ou commencer, l’expression peut être mise au passif par la transformation du semi-auxiliaire, celui-ci recevant comme sujet l’objet direct de l’infinitif dans la construction active » (2008 : 986). Regardons quelques-uns de leurs exemples :

7.Elle [une bouquiniste] se mit à fouiller dans une boîte qui n’était pas tout à fait finie d’installer. (R. Grenier, Une maison place des Fêtes)
8.Le château n’était pas achevé de meubler. (F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, II)

9Dans deux de ses articles sur la restructuration, Cinque (2002 : 623, n. 8 ; 2004 : 152, 177-178, n. 47) cite les exemples (7) et (8) du Bon usage en admettant qu’il s’agit de « long passives ». Cependant, Cinque ne semble pas reconnaître cette construction comme une option véritable en français moderne étant donné le nombre très limité de verbes de restructuration.

10Un des exemples de Brunot ([1922] 1926 : 363) se distingue des autres :

9.Il n’était pas achevé d’être bâti. (G. Flaubert, Madame Bovary)

11Il se trouve que, dans l’exemple (9), non seulement le verbe de restructuration est au passif, mais aussi l’infinitif, ce que Brunot ne remarque pas.

12Grevisse et Goosse notent qu’« [i]l est rare que l’on mette à la fois au passif le semi-auxiliaire et l’infinitif » (2008 : 986). Outre (9), emprunté à Brunot, ils citent d’autres exemples, dont (10) et (11) [3] :

10.Ses dettes seront achevées d’être payées. (Mme de Sévigné, Lettres, 27 juin 1678)
11.Commencé d’être rédigé il y a quatre mois, […] le contenu de ce livre est resté longtemps secret. (Le Monde, 14 juillet 2006)

13Dans le cas où les deux verbes sont au passif, ils parlent d’un « double passif ». Cette construction n’est pas nouvelle en français, comme en témoignent les exemples (9) et (10).

14Anscombre (1989 : 48-51), qui aborde cette construction, entre autres, la décrit comme suit : « Le français standard possède une construction très curieuse (qui n’est pas attestée dans tous les dialectes) et qui semble n’avoir fait l’objet d’aucune étude systématique. Il s’agit des formes suivantes, attestées aussi bien à l’écrit qu’à l’oral […] ». Il donne les exemples suivants (Anscombre 1989 : 48) :

12.Le trou est fini de creuser.
13.Mon article n’est pas fini de rédiger. (= notre exemple (1))

15Il appelle de telles constructions « semi-passives », et dit qu’en général il existe « une construction concurrente à double passif, plus lourde, mais souvent préférée par les sujets parlants » :

14.Le trou est fini d’être creusé.
15.Mon article n’est pas fini d’être rédigé. (= notre exemple (2))

16En peu de mots, Anscombre soulève plusieurs problèmes importants relatifs au passif long, auxquels il n’apporte pas de réponse, toutefois (cette construction n’étant pas le sujet de son article). Premièrement, selon lui, cette construction appartient au français standard et elle existe à la fois à l’écrit et à l’oral. Nous nous demandons, cependant, quelle est la source de ses exemples, ce qui n’est pas indiqué. Deuxièmement, il signale que les deux variantes du passif long (à l’infinitif actif ou passif) sont possibles dans la plupart des cas, ce qui va à l’encontre de la description du Bon usage de 1993 et de 2008. Troisièmement, il suggère qu’il y a une différence aspectuelle entre les deux formes du passif long, ce qu’il faudrait examiner [4]. Le cadre de cet article ne nous permet pas, cependant, de comparer systématiquement les deux types de passif long. C’est là une problématique sur laquelle nous avons l’intention de revenir.

17Dans les deux variantes du passif long, il y a restructuration, c’est-à-dire création d’un prédicat complexe. La forme passive de l’infinitif peut être considérée comme un accord de diathèse passive [5] entre les deux verbes. Le second verbe, c’est-à-dire l’infinitif, peut donc adopter la diathèse du premier verbe, souvent de façon facultative. C’est cette construction avec les deux verbes au passif qui constitue le sujet de notre article, et ce parce qu’elle semble avoir été encore moins étudiée que celle où l’infinitif est à la forme active.

18Pour terminer cette section, il faut dire quelques mots sur le terme « passif long » [6], que nous avons préféré au « double passif » de Grevisse et Goosse. « Double passif » ne serait pas un choix heureux, parce qu’il y a d’autres « doubles passifs », qui ne sont pas des constructions de restructuration. Nous pensons à ce qu’on appelle la montée du sujet, une construction qui peut également avoir deux verbes au passif. Soit (16) :

16.Le projet est prévu d’être réalisé en deux étapes […]. (Internet, consulté le 4 décembre 2015)

19Un verbe à montée, comme le passif être prévu dans (16), n’a pas de rôle sémantique à assigner à son sujet. Ainsi, le sujet syntaxique de être prévu acquiert le rôle sémantique du second verbe passif être réalisé. Cette construction n’est pas monophrastique, cependant. C’est qu’il y a deux verbes au passif qui ne sont pas restructurés dans un prédicat complexe. Il est parfois difficile de distinguer les deux constructions. La différence ressort clairement, cependant, si l’infinitif passif dans (16) est remplacé par un infinitif actif. Soit (17) :

17.[…] à terme c’est l’intégralité de leur catalogue qui est prévu d’enrichir notre portail. (Internet, consulté le 4 décembre 2015)

20Dans (17), le sujet de l’infinitif actif enrichir, à savoir l’intégralité de leur catalogue, monte pour devenir sujet de être prévu. Comparons (17) avec (8), où il s’agit d’un passif long.

8.Le château n’était pas achevé de meubler.

21Un verbe de restructuration comme achever ne peut pas prendre le sujet d’un infinitif actif comme sujet. C’est l’objet logique de l’infinitif meubler qui devient sujet du prédicat complexe.

2.2. Le corpus

22Nous avons pu constater que plusieurs linguistes considèrent comme marginal le passif long avec un infinitif passif. Pour savoir où en est cette variante dans le français d’aujourd’hui, nous avons établi un corpus. Nos exemples sont en grande partie tirés du frWaC (French Web as Corpus), un corpus informatisé de 1,3 milliard de mots qui se compose de textes français issus du Web. Nous avons utilisé la séquence suivante pour relever des exemples du passif long :

[lemma=“être”] []{0,1} [tag=“Vps”] [lemma=“de”] [lemma=“être”] [tag=“Vps”] [7]

23Pour différentes raisons, la plupart des 685 occurrences relevées ne pouvaient pas être utilisées. Afin d’être sûrs qu’il s’agissait de la construction en question, nous avons écarté les exemples non pertinents, douteux ou difficiles à analyser. Il y avait, entre autres, beaucoup d’exemples de verbes à montée du sujet. Il nous est resté les verbes suivants : achever (1), finir (14), oublier (3), tenter (2) et terminer (2). Suivent des exemples de chacun de ces verbes ; nous avons gardé le contexte jugé nécessaire, pour faciliter la compréhension :

18.Une fois mâchés, les aliments composent un bol alimentaire qui s’engage dans la troisième poche stomacale, le feuillet. Le rôle du feuillet est purement masticateur. Les aliments sont achevés d’être triturés.
19.[…] la fée, ta marraine, est en train de te fabriquer le métier à tisser… et si je me trompe pas… elle doit même avoir commencé à tisser. Tu t’es trompé, dit la fée marraine… il est fini d’être tissé […].
20.Une statue de Sara se trouve même dans la crypte de l’église, à droite de l’autel, revêtue de robes multicolores et de bijoux. Voilà ce qui a été oublié d’être commenté dans le SCIENCE ET VIE (c’est-à-dire contre-argumenté).
21.Il en faut pour tous les goûts et tous les âges, ce qui a été tenté d’être fait cette année […].
22.En Bretagne, dès que la coque d’un bateau est terminée d’être construite, on l’asperge d’eau de mer en abondance pour l’habituer à son futur milieu, accompagné de vœux et prières.

24Pour essayer d’augmenter, si possible, le nombre de verbes de restructuration acceptables en français, nous avons également recherché des exemples sur Internet en utilisant des verbes de restructuration possibles dans d’autres langues. Comme nous l’avons déjà remarqué, la quantité de verbes de restructuration varie d’une langue à l’autre, mais ce sont les mêmes types qui reviennent. Pour relever des exemples, nous avons donc utilisé des séquences de recherche où le premier verbe est spécifié comme suit : est évité d’être, est essayé d’être, etc. Cette opération, non exhaustive bien sûr, nous a fourni un certain nombre d’autres verbes de restructuration, dont commencer, éviter, exiger, essayer, omettre, négliger et souhaiter, illustrés dans les exemples (23)-(29).

23.L’indice a été commencé d’être calculé en 2005. (Internet, consulté le 4 décembre 2015)
24.il y a des choses qui sont évitées d’être dites, même dans les livres sérieux… (Internet, consulté le 4 décembre 2015)
25.La suite de ce mini-mémoire se divisera en deux parties. La première portera sur des articles qui devraient être dans la future loi des OSBL. La seconde énoncera ce qui pourrait être exigé d’être inclus dans le règlement […]. (Internet, consulté le 4 décembre 2015)
26.Je rappelle que c’est la première fois que ce PC est essayé d’être mis sur le net ! (Internet, consulté le 4 décembre 2015)
27.[…] mais ce qui est omis d’être écrit est que la véritable note est 18.2 […]. (Internet, consulté le 4 décembre 2015)
28.Souvent ce travail est négligé d’être fait par certains accordeurs […]. (Internet, consulté le 4 décembre 2015)
29.Une photo est souhaitée d’être postée sur l’événement. (Internet, consulté le 4 décembre 2015)

2.3. L’acceptabilité du passif long en français

25Étant donné que le statut du passif long avec deux verbes au passif semble incertain en français moderne (voir les avis opposés d’Anscombre (1989) d’un côté et de Grevisse et Goosse (1993, 2008) de l’autre, par exemple), nous avons demandé à quinze locuteurs natifs de répondre à un questionnaire comprenant les exemples (18) à (29). Pour chaque exemple, l’informateur devait répondre aux questions suivantes :

a.Je pourrais prononcer une telle phrase moi-même.OUINON
b.Je pourrais lire une telle phrase sans être choqué(e).OUINON
c.Cette phrase me semble inacceptable.OUINON
Si oui, vous est-il possible de dire pourquoi ?
d.Le style / niveau de langue de telles phrases caractérise le français soutenu / littéraire, le français standard, le français familier ou un autre style.
e.Avez-vous des commentaires à ajouter ?

26Les informateurs, de 28 à 70 ans, appartiennent à l’éventail professionnel suivant : enseignants du secondaire ou du supérieur (des linguistes), fonctionnaires, un journaliste, un électricien, une infirmière et des retraités. Six informateurs sur quinze sont des linguistes de l’enseignement supérieur.

27Nous avons pu constater que les informateurs n’ont pas tous répondu à toutes les questions, ce qui brouille les résultats quelque peu. C’est surtout la question d) sur le niveau de langue des phrases examinées qui a été laissée de côté (voir le Tableau 2 ci-dessous), peut-être parce que l’enquêté a trouvé difficile d’y répondre. Deuxième constatation : les réponses des informateurs sont assez variées [8]. D’une part, deux informateurs sont totalement négatifs face à cette construction. Ils ne peuvent dire aucune des phrases en question ni les lire sans être surpris (à une exception près : un des deux peut lire l’exemple (19) avec le verbe finir sans réagir négativement). D’autre part, une majorité de dix informateurs sur quinze peut utiliser une ou plusieurs de ces phrases. Entre ces deux positions opposées, il y a trois informateurs qui ne pourraient pas utiliser de telles phrases, mais les lire sans problème. Systématiquement, les informateurs qui sont choqués en les lisant ne peuvent pas non plus les employer en parlant, ce qui n’est pas étonnant. Il n’est pas non plus surprenant que les informateurs linguistes (six informateurs sur quinze) soient plus « permissifs » vis-à-vis de cette construction que les autres enquêtés surtout en ce qui concerne la question b). C’est que les linguistes de niveau universitaire sont probablement plus habitués à considérer des emplois langagiers variés, ce qui les rend peut-être moins normatifs en la matière.

28Le Tableau 1 montre dans quelle mesure les sondés peuvent dire ou lire les douze exemples qui leur ont été soumis.

Tableau 1. Évaluation des passifs longs

Exemple / verbePeut employer
(n/15)
Peut lire sans être surpris
(n/15)
(19) : finir613
(21) : tenter511
(20) : oublier59
(28) : négliger36
(22) : terminer17
(24) : éviter25
(18) : achever16
(27) : omettre08
(23) : commencer13
(25) : exiger13

Tableau 1. Évaluation des passifs longs

29Aucun de nos informateurs ne peut dire ou lire les exemples avec les verbes essayer et souhaiter (ex. 26 et 29) sans être choqué. La question c), concernant l’acceptabilité des exemples, n’a pas apporté beaucoup d’informations nouvelles. Comme on pouvait le supposer, un informateur qui ne peut pas dire un exemple ni le lire sans être surpris le trouve inacceptable dans la plupart des cas.

30En ce qui concerne la question des niveaux de langue, dont les résultats sont donnés dans le Tableau 2, beaucoup des informateurs n’y ont pas répondu, comme nous en avons fait la remarque ci-dessus. L’absence de réponse peut être interprétée de différentes manières. Cette question est sans doute jugée plus difficile que les autres et la personne interrogée ne se sent pas capable d’y répondre ou ne veut peut-être pas y consacrer trop de temps. Nous n’avons divisé les réponses des enquêtés qu’en trois groupes pour rendre les résultats plus clairs. Le premier groupe inclut les niveaux de langue soutenu / littéraire ou standard, le deuxième réunit les niveaux suivants : familier, parlé, sous-standard ou régional, et, finalement, il y a un troisième groupe de réponses selon lesquelles l’énoncé n’est pas français, est du charabia, etc., qui représentent des emplois « exclus ».

Tableau 2. Registres des passifs longs

Exemple / verbeSoutenu / littéraire ou standard
(n/15)
Familier, parlé, sous-standard ou régional
(n/15)
Pas français, charabia, choque l’oreille, etc.
(n/15)
Total / 15
(18) : achever5229
(19) : finir46010
(20) : oublier7209
(21) : tenter65011
(22) : terminer3508
(23) : commencer2349
(24) : éviter3238
(25) : exiger1135
(26) : essayer0145
(27) : omettre2417
(28) : négliger3306
(29) : souhaiter0055

Tableau 2. Registres des passifs longs

31À part les exemples avec les verbes essayer et souhaiter, chaque exemple est jugé appartenir au français standard ou même soutenu / littéraire par au moins un des informateurs, ce que nous trouvons intéressant.

32Selon Grevisse et Goosse (2008 : 986), il n’y a que trois « semi-auxiliaires » qui puissent être utilisés en français : achever, finir et, dans une certaine mesure, commencer. Nous avons noté dans notre questionnaire que le verbe finir semble être parmi les verbes les mieux acceptés au passif long. Or, notre enquête a montré qu’il existe d’autres verbes permettant le passif long en français, dont tenter, oublier et négliger, ayant un autre type de sens, et qui obtiennent de meilleurs scores que commencer ou achever. Sur ce point, il y a une différence intéressante entre le français d’un côté et les autres langues romanes de l’autre. Cinque (2003) signale que, dans le passif long, les « semi-auxiliaires » aspectuels sont les verbes centraux en espagnol, en italien, en portugais et en catalan, alors que nous avons montré qu’en français l’échantillon est plus large.

33Il aurait été préférable de consulter un groupe d’informateurs plus large : leur nombre appelle une certaine prudence, bien sûr. Or, le but de notre étude n’est pas de déterminer le nombre exact de verbes de restructuration en français actuellement et quels sont leurs scores auprès des informateurs, mais plutôt de montrer que le passif long existe bien dans la langue française. Il nous semble important de démontrer, preuves à l’appui, qu’il ne s’agit pas d’une construction marginale, comme Le bon usage pourrait le laisser croire. Voilà pourquoi nous avons listé nos résultats.

3. L’accord entre des catégories verbales

34D’une façon générale, les définitions de l’accord grammatical concernent rarement l’accord entre des catégories verbales. Corbett (2006 : 138-141) appelle ce type d’accord « unusual agreement features ». À notre connaissance, Anward (1988), qui a examiné le suédois, est le premier à aborder l’accord entre verbes, sans mentionner, toutefois, l’accord de diathèse [9], ce que font Niño (1997) et Sells (2004). Niño appelle ce phénomène « multiple expression of inflectional information ». Ces deux linguistes n’évoquent pas, toutefois, que celui-ci soit opératoire dans le cas du passif long. Or, l’accord de diathèse, qui est un des types d’accord entre des catégories verbales, existe bien, comme nous l’avons déjà vu. En ce qui concerne le français, nous utilisons cette notion pour signifier que, dans le passif long, le second verbe du prédicat complexe, c’est-à-dire l’infinitif, peut adopter la diathèse passive du premier verbe, le verbe de restructuration. Examinons d’abord le passif long tel qu’il apparaît dans d’autres langues.

3.1. L’accord de diathèse passive dans d’autres langues

35Commençons par le latin, qui a le passif long avec accord de diathèse passive après les verbes de restructuration signifiant « commencer » et « finir ». Dans l’exemple suivant (Pinkster 2015 : 254), c’est l’infinitif passif apellari, « être appelé », qui adopte la diathèse passive de est coepta, le parfait indicatif passif du verbe ayant le sens de « commencer » :

30.Itaqueadeoiurecoepta
ainsitoutconvenablementcommencer.PART.PARF.PASSIF.FEM.SG.NOM
apellari est Canes.
appeler.INF.PRES.PASSIFêtre.PRES.3.SGchienne.NOM.SG.FEM
« Pour cette raison, tout justement, on a commencé à l’appeler la chienne. »

36L’anglais semble avoir un accord de diathèse passive, bien que ce phénomène ne soit pas mentionné très souvent dans les travaux de linguistique anglaise. Whitman (2013) montre qu’il existe des exemples de cette construction à partir du XVIIIe siècle, exemples qui, cependant, ont été critiqués par des grammairiens normatifs. En voici quelques-uns :

31.[…] others were attempted to be killed. (Whitman 2013 : 3)
32.[…] tire rotation was neglected to be performed on time. (Whitman 2013 : 5)

37Ces exemples contiennent des verbes de structuration comparables à ceux du français : begin, continue, try, seek, fail, neglect, forget, pretend, threaten. Wurmbrand et Shimamura (2015 : 22) en présentent aussi des exemples, en signalant, cependant, que certains locuteurs les considèrent comme « overdone formal speech ».

38L’accord de diathèse passive dans le passif long se manifeste aussi en norvégien (Lødrup 2014a, 2014b), de même qu’en danois et en suédois. Lødrup souligne que les faits sont compliqués en norvégien parce que cette langue a deux formes de passif : d’un côté le passif flexionnel avec le suffixe -s et de l’autre le passif périphrastique avec un auxiliaire et un participe passé. L’accord de diathèse est usuel en norvégien et semble obligatoire pour beaucoup de locuteurs. Soit l’exemple (5) :

5.Sliketingforsøkes å gjøres.
telleschosesessayer.PRES.PASSIFdefaire.INF.PASS
« On essaie de faire de telles choses. »

39Il est intéressant de noter que les deux types de passif en norvégien peuvent coexister dans la même phrase, comme dans (33), où le premier passif long est flexionnel et le second périphrastique :

33.Deponietforeslås å bli lagt tilet
décharge.DEFproposer.PRES.PASSIFdeêtreplacéàun
områdesom […].     (Internet, consulté le 4 décembre 2015)
endroitqui
« On a proposé de placer la décharge à un endroit qui […]. »

40On trouve le passif long avec accord de diathèse également en turc (Kornfilt 1996, 1999) et dans quelques langues austronésiennes (voir Wurmbrand 2014 et Wurmbrand & Shimamura 2015, pour discussion et références).

3.2. L’accord verbe-verbe

41On trouve l’accord de diathèse également en dehors du passif long. Niño (1997 : 137) présente un exemple intéressant du finnois parlé. Dans (34), le second participe est au passif (comme dans le finnois standard), mais c’est le cas aussi du premier participe. Il s’agit donc d’un accord de diathèse où c’est le second participe qui impose sa diathèse au premier, la direction de cet accord étant donc inverse de celui du passif long.

34.Eiol-ttusano-ttu.
NEG.3.SGêtre.PART.PARF.PASSIF.SGdire.PART.PARF.PASSIF.SG
« Ceci n’a pas été dit. »

42L’accord diathétique du passif long, le sujet de notre article, n’est qu’un type d’accord des catégories verbales. Indépendamment de celui-ci, il y a donc d’autres cas d’accord verbe-verbe. En norvégien, comme en danois et en suédois, il est courant de mettre le complément verbal d’un impératif à l’impératif au lieu de l’infinitif utilisé normalement. Soit l’exemple (35) :

35.Sluttåles ! (Exemple forgé)
arrête.IMPERdelire.IMPER
« Arrête de lire ! »

43Le complément verbal de l’impératif initial slutt s’accorde donc avec celui-ci. Le complément verbal est introduit par le marqueur de l’infinitif å, ce qui montre bien que cet accord s’est fait aux dépens de l’infinitif. Ajoutons que certains dialectes norvégien et suédois permettent l’accord de catégories verbales également pour d’autres formes verbales (voir Wiklund 2007).

3.3. Restructuration et accord de diathèse dans la grammaire lexicale-fonctionnelle

44Nous avons vu que l’accord de diathèse existe dans plusieurs langues et qu’il faut le considérer comme faisant partie d’un phénomène plus général, à savoir l’accord entre des catégories verbales. Dans cette section, il sera montré que les deux peuvent être traités dans le cadre d’une théorie syntaxique, la grammaire lexicale-fonctionnelle (LFG). L’accord des catégories verbales est étroitement lié à la restructuration et aux prédicats complexes (voir en particulier Butt 1995, Alsina 1996, Niño 1997 et Sells 2004).

45Pour pouvoir rendre compte du phénomène de restructuration, la distinction, dans la LFG, entre la structure de constituants et la structure fonctionnelle est importante. La structure de constituants, l’arbre syntaxique, ne reflète pas la restructuration directement. Le niveau essentiel de représentation, c’est la structure fonctionnelle, où sont représentées les fonctions syntaxiques et les catégories grammaticales. C’est à ce niveau que les deux verbes d’une construction de restructuration forment un prédicat complexe, ayant un seul ensemble de fonctions syntaxiques. Cela implique que les prédicats complexes ne soient pas formés au niveau du lexique. En ce qui concerne l’ordre des mots, par exemple, les prédicats complexes ne fonctionnent pas comme une unité dans la structure des constituants et il faut supposer qu’ils sont formés dans la syntaxe (pour les technicalités, voir Alsina 1996, Sells 2004).

46Le passif long dans l’exemple (36) a la structure fonctionnelle simplifiée illustrée dans (37).

36.Le problème a été tenté d’être résolu.
37.

47C’est dans les phrases avec restructuration qu’apparaît l’accord entre catégories verbales (voir Niño 1997, Wiklund 2007, Sells 2004). Nous allons montrer comment l’analyse du phénomène de restructuration rend possible une représentation simple de l’accord entre catégories dans le cadre de la LFG.

48Comme nous l’avons signalé ci-dessus, nous supposons que les prédicats complexes ne sont pas établis dans le lexique, mais dans la syntaxe. Dans le passif long avec accord diathétique de l’infinitif, les deux passifs créent le trait [+ PASSIF] de la structure fonctionnelle monophrastique, et les deux sont unifiés, c’est-à-dire qu’ils fusionnent dans un seul trait passif.

49Quand le passif est périphrastique, comme en français, c’est l’auxiliaire qui apporte le trait [+ PASSIF], ce qui implique que l’auxiliaire est une tête fonctionnelle qui n’est représentée par ce trait que dans la structure fonctionnelle. Quand le passif est flexionnel, comme dans l’exemple (33) en norvégien, c’est le suffixe passif qui apporte le trait [+ PASSIF]. Le passif flexionnel et le passif périphrastique ont donc la même structure fonctionnelle [10]. Cette analyse de l’accord de diathèse se fait sans stipulations ou règles supplémentaires. Ajoutons que le mécanisme sera le même pour d’autres cas d’accord entre catégories verbales, par exemple l’accord de l’impératif dans (35).

50Il est important que l’analyse présentée ci-dessus soit également valable pour les passifs longs avec un infinitif actif, comme dans les exemples (6) à (8). Soit (8) :

8.Le château n’était pas achevé de meubler.

51L’infinitif est, en général, considéré comme une forme non marquée du verbe, et on suppose ici que l’infinitif actif est sous-spécifié concernant les traits grammaticaux, ce qui implique que celui-ci n’apporte pas [- PASSIF] et que (8) a la même structure que (8’) :

8’.Le château n’était pas achevé d’être meublé.

52Cette analyse pose cependant un problème : elle prévoit que l’accord entre catégories est possible et facultatif pour toutes les catégories verbales dans toutes les phrases avec restructuration. Cette difficulté peut, cependant, être résolue par des restrictions d’optimalité (voir Sells 2004 : 217).

4. La restructuration en général – et en français

53La restructuration, consistant à fusionner deux verbes en un seul prédicat complexe, est en général facultative (voir Wurmbrand 2004). Or, les phénomènes motivant la supposition que deux verbes sont restructurés en un seul prédicat complexe ne sont pas nécessairement les mêmes dans toutes les langues (voir Wurmbrand 2014).

54Jusqu’ici nous avons examiné le passif long, mais il existe d’autres phénomènes de restructuration dans beaucoup de langues, telle la montée des pronoms clitiques bien connue par exemple de l’italien (Monachesi 1993). Le français d’aujourd’hui n’a plus guère de montée des pronoms clitiques, sauf dans la construction causative faire + infinitif et, dans une certaine mesure, dans laisser + infinitif ou dans la construction avec les verbes de perception voir / regarder / entendre / écouter / sentir + infinitif, qui, cependant, permettent aussi la construction souvent nommée « accusatif + infinitif » (Togeby 1985) [11]. Soit l’exemple suivant avec faire, où l’infinitif dire a deux arguments qui montent se placer devant le verbe complexe faire dire :

38.Maigret connaissait la réponse, mais il voulut la lui faire dire. (G. Simenon, L’amie de Madame Maigret, Paris, Presses de la Cité, 1982, p. 67)

55Revenons au passif long en français. Celui-ci constitue un bon argument en faveur de l’existence de la restructuration dans le français d’aujourd’hui. Selon Wurmbrand (2015 : 2), le passif long est « a showcase of complex predicate formation ». Cinque (2002 : 623, n. 8 ; 2004 : 152, 177-178), quant à lui, mentionne brièvement le passif long en français, sans toutefois aborder le type avec accord de diathèse, où l’infinitif est au passif. Il présente les exemples (7) et (8), empruntés au Bon usage, pour mettre le passif long de côté ensuite : « I leave this effect aside here, as it is found only with a subset of “restructuring” verbs, as in Spanish, Japanese and Italian » (Cinque 2002 : 623, n. 8). Ce n’est pas là un argument vraiment valable à notre avis, étant donné que tous les verbes de restructuration d’une langue ne se comportent pas nécessairement de la même façon, comme l’a remarqué Wurmbrand (2004) entre autres.

56Le passif long avec accord de diathèse change complètement le statut du passif long en français. Car celui-ci s’emploie non seulement avec des « semi-auxiliaires » comme finir et achever, mais aussi avec d’autres verbes, tels que tenter, oublier, éviter et négliger. La restructuration semble donc exister dans le français d’aujourd’hui. L’existence du passif long avec un second verbe à la forme passive constitue un argument important en ce sens.

57En soulignant que la restructuration n’est pas un phénomène unitaire dans les langues du monde, Wurmbrand (2014) en propose deux sous-groupes. D’une part, il y a ce qu’elle appelle « size restructuring », qui regroupe la montée des clitiques et le « scrambling » ; de l’autre « voice restructuring », qui concerne le passif long. Le français trouve incontestablement sa place dans le dernier sous-groupe, alors qu’il n’a que quelques vestiges du premier.

5. Conclusion

58Le passif long avec le second verbe à la forme passive est à peine mentionné dans les travaux de linguistique du français. Nous avons essayé de montrer qu’il faut considérer celui-ci comme appartenant à part entière à la grammaire de nombreux locuteurs natifs, selon le choix du premier verbe. Il se trouve que le passif long est loin d’être marginal. Bien au contraire, c’est un phénomène plus général et plus productif en français qu’on ne l’a supposé auparavant. En effet, nos résultats montrent que la restructuration sous la forme du passif long a sa place dans la langue française. L’existence évidente du passif long avec accord diathétique est importante pour le statut de restructuration en français.

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  • Corpus


Mise en ligne 08/12/2016

https://doi.org/10.3917/ss.017.0153

Notes

  • [1]
    Nous remercions chaleureusement nos informateurs et, en particulier, ceux d’entre eux qui en ont recruté d’autres. Une version antérieure de notre article ayant été présentée au séminaire « SynSem » (« Syntaxe et Sémantique ») à l’université d’Oslo, de même qu’à la conférence annuelle de l’Association for French Language Studies de 2015, nous exprimons notre gratitude aux participants qui nous ont aidés par leurs remarques et conseils. Finalement, un grand merci aux deux relecteurs anonymes, au responsable de la revue Pierre Larrivée ainsi qu’à Christine Meklenborg Salvesen pour leurs observations.
  • [2]
    Le sujet d’un passif long peut aussi être impersonnel. Soit : Il est oublié d’être dit que Borie Manoux est exproprié de son site à Bordeaux pour cause de construction du Pont sur la Garonne (Internet, consulté le 4 décembre 2015).
  • [3]
    Il est intéressant de noter que dans l’édition de 1969, par exemple, seule la construction à l’infinitif actif est mentionnée, alors que dans celle de 1993 (p. 1125) l’emploi de l’infinitif passif est évoqué, évocation qui ne change pas dans l’édition de 2008. Selon les deux auteurs, l’infinitif actif est donc toujours le plus courant.
  • [4]
    Nous avons soumis les exemples (12)-(15), empruntés à Anscombre, à quatre locuteurs natifs, qui se révèlent plus ou moins négatifs vis-à-vis de (12) et (13), mais positifs en ce qui concerne (14) et (15). Dans la mesure où ils acceptent le passif long à l’infinitif actif, ils ne voient pas de différence de sens entre les deux types.
  • [5]
    En ce qui concerne le phénomène de « voice agreement », voir Sells 2004, Lødrup 2014a, 2014b, Wurmbrand & Shimamura 2015. Nous y reviendrons dans la section 3.
  • [6]
    Comme nous le savons, il est parfois difficile de trouver un terme grammatical non ambigu. « Passif long » a parfois le sens de « phrase passive comportant un complément d’agent », comme dans Dubois 1967.
  • [7]
    Cette séquence se lit comme suit : une forme de être + zéro ou n’importe quel mot + le participe passé + une forme de de (c’est-à-dire de ou d’) + une forme de être + participe passé.
  • [8]
    Dans d’autres langues aussi on trouve une variation en ce qui concerne l’acceptabilité du passif long. En allemand, par exemple, il y a des locuteurs qui acceptent le passif long avec plusieurs verbes de restructuration (voir Wurmbrand 2001), alors que d’autres n’acceptent que le verbe versuchen, « tenter » (voir la discussion dans Reis & Sternefeld 2004).
  • [9]
    Nous avons créé le terme d’« accord de diathèse », ou « accord diathétique ». Lødrup (2014a, 2014b) utilise le terme de « voice agreement ».
  • [10]
    Pour une analyse plus complète des données norvégiennes, voir Lødrup 2014a.
  • [11]
    À l’exception des constructions mentionnées ci-dessus, les auteurs du Bon usage (Grevisse & Goosse 1993 : 1010-1012) signalent que « l’ancien usage a laissé des traces dans les parlers régionaux (surtout Midi, Lorraine, Wallonie, Normandie) et dans la langue littéraire ». Autrement dit, on peut trouver certains exemples de montée de clitiques chez des érudits et des écrivains des XIXe et XXe siècles. En voici quelques exemples :
    i.Il le faut traverser. (M. Butor, La modification, Paris, Union générale d’éditions (Le monde en 10-18), 1962, p. 239)
    ii.J’y veux trouver des exemples. (A. Rey, Littré, l’humaniste et les mots, Paris, Gallimard, 1970, p. 24)
    D’autres linguistes se sont aussi exprimés à ce propos. Kayne (1980), par exemple, soutient que le français a perdu le phénomène de restructuration. Cinque (2002), de son côté, pense que la montée des clitiques en et y existe toujours dans le français soutenu, comme dans l’exemple (ii). De même, Cinque aborde un argument relatif aux constructions appelées « easy-to-please ». Quant à Authier et Reed (2009), ils rejettent les arguments de Cinque, parce que, à leur avis, les données ne sont pas fiables. Comme on peut le constater, le désaccord est vif. Le cadre de cet article ne nous permet pas, cependant, de reprendre toute cette discussion ici.
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