Couverture de SS_007

Article de revue

Introduction

Pages 9 à 12

Notes

  • [1]
    Notamment, F. Grossmann et F. Rinck, « La surénonciation comme norme du genre : l’exemple de l’article de recherche et du dictionnaire de linguistique », Langages, 156, décembre 2004, p. 34-50.
  • [2]
    A. Berrendonner, L’Éternel grammairien : Étude du discours normatif, Berne, Peter Lang, 1982.
  • [3]
    La perspective wüstérienne conçoit la terminologie comme un système reposant sur l’évitement de la polysémie, afin d’optimiser et de parfaire la langue naturelle. Elle est en cela assez proche des conceptions qui président à l’élaboration des langages de programmation.
  • [4]
    Voir sur ce point l’ouvrage de P. Lerat, Les Langues spécialisées, Paris, PUF, 1995.

1Les textes réunis dans ce numéro de Syntaxe & Sémantique ont fait l’objet de communications aux journées scientifiques sur la terminologie linguistique qui se sont tenues les 12 et 13 mai 2005 à l’Université de Caen. Le projet de ces journées trouve son origine dans le programme scientifique financé par le réseau Lexicologie, Terminologie, Traduction de l’Agence universitaire de la Francophonie, Étude contrastive de la métalangue grammaticale : terminologie et traduction, programme qui s’est déroulé sur les années 2004 et 2005, et qui a regroupé des chercheurs tunisiens et caennais.

2L’objectif initial était de contribuer à la réflexion sur la nature des métalangues grammaticales en confrontant deux systèmes linguistiques très différents : (i) celui d’une langue indo-européenne dont les descriptions grammaticales s’inscrivent dans la tradition occidentale, profondément marquée par la philosophie aristotélicienne, (ii) et celui d’une langue sémitique dont la tradition grammaticale reflète une pensée linguistique largement déterminée par l’interprétation du texte sacré qu’est le Coran. La finalité de cette collaboration scientifique s’est matérialisée par un ensemble de propositions visant à l’établissement d’une terminologie linguistique bilingue français / arabe, orientée dans un premier temps vers les notions de linguistique descriptive dans les domaines de la morphologie, de la syntaxe, et de la sémantique.

3Le traitement de cette question nous a fréquemment amenés à étendre le champ de nos investigations strictement comparatives et traductionnelles pour entrer dans des problématiques de nature épistémologique et conceptuelle. C’est ce dont témoigne le présent ouvrage, qui recueille les échanges fructueux des journées de mai 2005, ouvertes à des chercheurs venus d’horizons différents, dont la contribution a permis d’enrichir la réflexion sur le discours linguistique. Force est en effet de constater qu’en dépit de la qualité de certains travaux contemporains sur la structure énonciative des textes linguistiques [1], l’observation d’Alain Berrendonner [2], selon laquelle le discours linguistique semble avoir durablement échappé à la bienveillante attention des linguistes, n’a guère perdu de son actualité. Il convient d’ailleurs de noter que le point de vue convenu des linguistes sur la terminologie de leur discipline n’est guère éloigné du cadre ontologique de la doctrine wüstérienne et de ses exigences d’univocité et de monosémie [3]. Les textes réunis dans cet ouvrage offrent bien sûr une toute autre perspective sur le problème.

4Comment situer la terminologie linguistique relativement au domaine de connaissances dont elle fournit une partie du vocabulaire ? Doit-elle être tenue pour prospective et programmatique, offrant à une science en développement la visibilité lexicale dont elle a besoin ? Ou doit-elle être tenue pour résultative, cumulative, voire testimoniale ?

5L’approche prospective et programmatique assigne à la terminologie linguistique une fonction indicative consistant à marquer des orientations méthodologiques et théoriques, ce qui revient à reconnaître son rôle décisif dans le processus de constitution du discours scientifique où elle s’inscrit, mais aussi son instrumentalisation. Dans cette perspective, les termes servent à tracer les frontières du territoire scientifique, et à baliser le périmètre des parcelles disciplinaires qui le constituent. Ils dessinent une sorte de chemin lexical et conceptuel. L’histoire et le degré d’évolution, de constitution, d’institutionnalisation du domaine jouent sans doute ici un rôle essentiel (plus la science est jeune et plus elle développe une objectivité déclarative ; plus elle affirme sa valeur différentielle pour se démarquer des autres domaines et se territorialiser et plus elle manifeste sa nature nomologique). De cette conception résultent sans doute les règles présumées de toute bonne terminologie (économie des termes, univocité, adéquation au domaine et non-contradiction), règles dont l’observance varie grandement d’un linguiste à l’autre.

6La terminologie linguistique doit-elle être tenue davantage comme une empreinte de l’activité scientifique, reflétant les divers aspects de son développement à partir de son vocabulaire, c’est-à-dire à partir des pratiques langagières effectives observées dans ce domaine de connaissances ? Si tel est le cas dans la science du langage, on ne saurait mieux caractériser la terminologie linguistique, dans ses états passés et présents, que comme un ensemble de métalangues fortement hétérogènes. Dans cette perspective l’économie, l’univocité, l’adéquation et la non-contradiction des termes s’apparentent à des impératifs fort éloignés de ce qui constitue l’observatoire réel de la science linguistique. Dans la mesure où la métalangue suppose pour exister une stabilité conceptuelle, elle suppose aussi nécessairement un format commun de représentation et d’analyse pour généraliser et transmettre. Ce format commun ne peut être que celui d’un domaine particulier de la science du langage, car ce n’est que dans un cadre méthodologique strictement déterminé que l’on peut dans les faits pratiquer une métalangue aussi pauvre et transparente que possible, censée garantir l’objectivité scientifique. Comme l’ont observé nombre de linguistes, seule une métalangue de calcul permettrait d’accéder à cette position de surplomb à l’égard de ce qui fait l’objet de la linguistique.

7Il va de soi que l’opposition entre ces deux conceptions de la terminologie de la science du langage doit être modulée. La sténographie des notions par les termes, aussi variable et évolutive que les notions elles-mêmes, n’implique pas pour autant une tolérance de l’opacité, de l’incohérence, de la plurivocité, du flou. De même, les conceptions minimalistes voire malthusiennes en matière de terminologie ne sauraient être interprétées systématiquement comme un fait de réductionnisme conceptuel. Cette partition complexe entre « ce qui doit être » et « ce qui est » trouve sans doute un début de clarification dans la distinction nécessaire confrontant terminologie et terminographie. Si la terminologie vise à établir la nomenclature d’une science, la terminographie vise, sans restriction temporelle ni méthodologique, à décrire les termes qui composent le discours de cette science. Elle a ainsi, nécessairement, partie liée tout à la fois avec l’épistémologie et l’historiographie.

8Cette problématique fondamentale constitue le point de départ de ce volume, et elle a très largement présidé à l’ordonnancement des contributions, qui sont réparties en deux grands ensembles parfaitement équilibrés, l’un à dominante épistémologique, l’autre à dominante traductionnelle.

9Le premier ensemble, constitué des articles de Pierre Swiggers, Pierre Lerat, Didier Bottineau, Jacques François & Françoise Cordier, Jean-François Sablayrolles, Francis Gandon, regroupe des contributions qui privilégient la distinction entre terminologie, terminographie et métalangue (définition et calibrage des termes), et qui ouvrent la réflexion à l’étude de domaines constitutifs de la science du langage (métalangue grammaticale, psycholinguistique), à l’étude de certaines des caractéristiques sémantiques de son vocabulaire (la polysémie et la synonymie, illustrées par le traitement de la néologie), ainsi qu’à l’étude de certains univers théoriques (saussurisme, guillaumisme). Les fonctions de régulation notionnelle et de délimitation disciplinaire de la terminologie linguistique forment le point de croisement de ces différentes études, et confèrent à ce premier ensemble son homogénéité thématique.

10Le second ensemble (Samir Bajrić, Claude Guimier, Salah Mejri, Saïd Mosbah, Béchir Ouerhani, Hedi Jatlaoui) met en perspective ces questions épistémologiques en adoptant un point de vue résolument contrastif. Allemand, anglais, arabe, croate, français, serbe, sont les langues sollicitées par ces six études, qui travaillent à souligner la difficile coïncidence des métalangues dans le passage d’une langue source à une langue cible. La question des territoires disciplinaires et de leurs spécificités terminologiques y reste discutée, mais selon une approche interlinguistique et interculturelle (ainsi, la métalangue de la stylistique en arabe à partir de l’observatoire constitué par le texte coranique). De même, le fonctionnement du texte linguistique et la place de l’exemple dans son tissu argumentatif sont des questions épistémologiques fondamentales, ici traitées d’un point de vue traductionnel et revisitées à partir des problèmes rencontrés lors de la traduction en arabe de Pour une logique du sens de Robert Martin. Enfin, quelques notions grammaticales (la particule, le figement, l’adverbe), dont le champ d’application se trouve revisité à la lumière des contacts inter-langues ou de l’approche comparée des traditions grammaticales, font l’objet d’un examen approfondi et illustrent la problématique du transfert et de la traduction des concepts linguistiques.

11Ces douze études font ressortir, par l’exemple, le fait que la matière lexicale du discours linguistique ne saurait se laisser restreindre à une nomenclature, autrement dit à un corps de notions réductible à un stock limité de termes destinés à leur désignation. Les termes ne préexistent pas à leur usage, en cela ils forment un ensemble d’expressions, spécialisées, qui servent à dénommer, dans un environnement culturel déterminé et dans des énoncés qui mobilisent les ressources ordinaires d’une langue donnée [4], des constructions conceptuelles relevant d’un domaine de connaissances spécifique, celui de l’étude des langues et du langage. C’est à cette réflexion sur la nature et le fonctionnement du discours linguistique que les lecteurs de ce numéro de Syntaxe & Sémantique sont conviés.


Date de mise en ligne : 01/10/2016

https://doi.org/10.3917/ss.007.0009

Notes

  • [1]
    Notamment, F. Grossmann et F. Rinck, « La surénonciation comme norme du genre : l’exemple de l’article de recherche et du dictionnaire de linguistique », Langages, 156, décembre 2004, p. 34-50.
  • [2]
    A. Berrendonner, L’Éternel grammairien : Étude du discours normatif, Berne, Peter Lang, 1982.
  • [3]
    La perspective wüstérienne conçoit la terminologie comme un système reposant sur l’évitement de la polysémie, afin d’optimiser et de parfaire la langue naturelle. Elle est en cela assez proche des conceptions qui président à l’élaboration des langages de programmation.
  • [4]
    Voir sur ce point l’ouvrage de P. Lerat, Les Langues spécialisées, Paris, PUF, 1995.

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.80

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions