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Article de revue

Circonstance et prédication verbale en français parlé : contraintes sémantico-pragmatiques et filtrage prosodique

Pages 35 à 56

Notes

  • [1]
    Voir Leeman 1998, Rémi-Giraud et Roman 1998 (dir.) pour des exposés critiques.
  • [2]
    Riegel 1994 (dir).
  • [3]
    Tels qu’ils sont défendus par les tenants de la Phonologie Prosodique (Selkirk 1984, Nespor et Vogel 1986).
  • [4]
    Lambrecht 1994.
  • [5]
    Voir Nølke et Adam 1999 (dir.) pour une discussion.
  • [6]
    Jackendoff 1977.
  • [7]
    Dik et al. 1990.
  • [8]
    Frawley 1992.
  • [9]
    Van Valin et LaPolla 1997.
  • [10]
    Pour cela il suffit d’effectuer une recherche sur critères dans le Petit Robert Électronique en demandant toutes les occurrences de la chaîne ‘abs.’ dans le plan de tous les articles du dictionnaire.
  • [11]
    Talmy 2001.
  • [12]
    L’emploi transitif direct de travailler (~le bois, ~une pièce de Chopin) constitue une entrée lexicale séparée travailler_2.
  • [13]
    Le prédicat verbal inclut ici un opérateur de mise en ordre chronologique commencer par INF.
  • [14]
    Dik et al. 1990.
  • [15]
    Sperber et Wilson 1986.
  • [16]
    Charolles 1997.
  • [17]
    Indépendants de toute connaissance syntaxique préalable.
  • [18]
    Blanche-Benvéniste 1990.
  • [19]
    Pour une présentation détaillée, voir Lacheret-Dujour et Victorri 2002.
  • [20]
    Estimation du son laryngien à partir du signal acoustique à un instant T.
  • [21]
    Mesure d’un intervalle de temps nécessaire pour émettre un signal de parole ou pauser.
  • [22]
    Tête lexicale et modifieurs adjacents (lorsque le modifieur est post-posé à sa tête, il reçoit le marquage de la proéminence terminale : prends-le).
  • [23]
    Étant donné les nombreux phénomènes de désaccentuation en français, on distingue ainsi les unités potentiellement accentuables des unités effectivement accentuées.
  • [24]
    Dans notre terminologie, un groupe prosodique équivaut à un groupe intonatif, c’est-à-dire une séquence de syllabes dont la dernière est frappée par un accent terminal de mot.
  • [25]
    Vu le principe d’autonomie stipulé plus haut, la formation des groupes prosodiques qui se succèdent linéairement dans la chaîne ne dépend absolument pas à ce niveau de traitement de contraintes syntaxiques externes.
  • [26]
    Pour une présentation détaillée de ce travail de segmentation en périodes, voir Lacheret-Dujour et Victorri 2001.
  • [27]
    Dérivé des travaux de Mertens 1987.
  • [28]
    Martin 1981.
  • [29]
    Pasdeloup 1990.
  • [30]
    Dans ce contexte, on peut supposer que des contraintes rythmiques, posant une taille maximale pour le groupe intonatif (8-10 syllabes), expliquent que la cible ne soit pas directement intégrée au groupe intonatif du noyau verbal. Cette coupure rythmique devra donc être neutralisée pour des raisons d’interprétation symbolique, d’où la fusion des groupes en GIP.

Introduction

1Les critères proposés classiquement par les grammaires pour analyser la prédication verbale et opposer en termes binaires les actants aux circonstants, les premiers, essentiels – ou intra-prédicatifs – s’opposant aux seconds jugés accessoires – ou extra-prédicatifs – posent de réels problèmes dès lors que l’on aborde la réalité discursive des constructions prédicatives [1]. Les tests distributionnels utilisés pour statuer hors contexte de l’autonomie d’une cible circonstancielle par rapport au pivot verbal – constituant facultatif, démultipliable, mobile, non coordonnable, non dislocable, etc. – toujours proposés dans les grammaires aujourd’hui [2] restent extrêmement discutables. Un point suffira ici à éclairer notre remarque : pour des raisons liées à la structure informationnelle, les compléments circonstanciels ne sont pas les seuls à répondre au critère de mobilité (le chocolat, j’adore) ou à celui de l’effacement (où fais-tu du cheval ? À Rambouillet).

2Forts de ce constat, nous souhaitons montrer comment, en contexte, la distinction entre compléments intra et extra-prédicatifs, loin d’être associée à des ruptures brutales, peut être analysée en termes de gradation, de glissements progressifs et nous développerons la notion de continuum prédicatif. Nous discuterons, sur des exemples de français parlé en situation d’interview, l’hypothèse selon laquelle l’apport conjoint de contraintes sémantiques et pragmatiques d’un côté, prosodiques de l’autre, permet de préciser la nature de ce continuum et de calculer la distance relative entre l’espace prédicatif et une cible circonstancielle. Ce travail, consacré à l’oral donc, repose sur un traitement exhaustif de données prosodiques dans des corpus de français parlé.

1. Hypothèses et méthode

3Notre étude s’inscrit en premier lieu dans une perspective énonciative et cognitive du traitement intonosyntaxique des énoncés, réfutant l’hypothèse du caractère autonome et premier [3] de la syntaxe pour dériver les constituants prosodiques. L’actualisation des structures intonosyntaxiques résulte, en effet, de compromis et d’échanges entre des principes internes de construction (exigences rythmiques, règles d’agencement syntaxique) et les besoins de la communication, véhiculés à travers une composante principale : la structure informationnelle du message (SI) [4].

1.1. Pour une représentation modulaire des connaissances

4L’analyse que nous proposons repose sur la manipulation de différents modules, ou processus de traitement spécialisés, qui travaillent en parallèle pour calculer le statut d’une cible circonstancielle dans la structure prédicative. Étant bien entendu que chaque module fonctionne avec ses primitives, ses règles et ses principes propres, les informations fournies par un module quelconque ne peuvent pas influencer les calculs des autres modules. Précisons ici que nous ne spéculons pas du tout sur la pertinence cognitive de ce traitement modulaire, il correspond simplement pour nous à un parti pris méthodologique [5]. En pratique, un premier module sémantico-pragmatique se décompose en deux sous-modules de la façon suivante :

5

  • le module sémantique génère, pour une entrée verbale donnée, une représentation conceptuelle type dont nous posons l’hypothèse qu’elle dérive du lexique mental du locuteur-auditeur ;
  • le module pragmatique produit une représentation conceptuelle occurrence associée à l’analyse du cotexte discursif et à la mise en mots de l’information référentielle. C’est ici que le rôle de la SI prend toute sa dimension.

Fig. 1 : Modèle de génération des structures prédicatives

Fig. 1 : Modèle de génération des structures prédicatives

Fig. 1 : Modèle de génération des structures prédicatives

6Ces deux modules génèrent des contraintes d’intégration plus ou moins fortes à l’espace prédicatif qui peuvent aller de pair ou, comme nous le verrons dans certains contextes, entrer en conflit. En aval de ce traitement, un module prosodique intervient pour marquer ces contraintes, et résoudre, le cas échéant, les ambiguïtés de rattachement : dans des contextes où les calculs sémantique et pragmatique s’avèrent conflictuels ou génèrent une indétermination quant à la portée d’une cible circonstancielle, c’est bien en définitive le module prosodique qui va guider l’interlocuteur pour effectuer le meilleur choix rattachement ou non d’une cible circonstancielle à l’espace prédicatif. Nous introduirons ainsi la notion de fléchage prosodique et montrerons comment les formes intonatives, fondamentalement travaillées par les opérations énonciatives qui les sous-tendent, permettent un décodage optimal de la structure prédicative.

1.2. La notion de continuum

7Nous l’avons dit, le passage entre compléments intra- et extra-prédicatifs opère graduellement. Pour rendre compte de ce processus, nous associons à chaque type de contraintes générées par les modules sémantique et pragmatique un poids (pds), d’autant plus fort que la contrainte d’intégration est a priori élevée (section II). Le cumul des poids (sémantique et pragmatique) est ensuite mis en relation avec les constructions prosodiques qui, nous le verrons dans la section III, sont de nature intégrative ou, au contraire, marquent une rupture, un détachement de la cible par rapport au pivot verbal. En sortie de cet alignement, trois niveaux de rattachement de la cible au sein du continuum prédicatif sont fixés (section IV) : élément périphérique, elle relève alors de la prédication étendue (PRT), plus ou moins intégrée : elle appartient à la prédication élémentaire (PRL) ou s’inscrit nettement dans l’espace noyau (NOY).

Fig. 2 : Continuum de rattachement à l’espace prédicatif

Fig. 2 : Continuum de rattachement à l’espace prédicatif

Fig. 2 : Continuum de rattachement à l’espace prédicatif

1.3. La base de données

8Nous avons sélectionné pour notre propos des extraits d’interview en langue française réalisés en studio d’enregistrement à Radio France Internationale entre 1998 et 1999, et captées numériquement sous PC (logiciel Digital Audio Copy). Les séquences sonores choisies correspondent à des récits de vie et à des discussions thématiques. L’analyse repose sur deux heures d’enregistrement de dix locuteurs, soit environ 10 minutes de temps de parole par sujet. Le signal de chaque locuteur a été transcrit graphémiquement et les cibles circonstancielles ont été sélectionnées sur les bases du corpus écrit en fonction de critères sémantiques et morphosyntaxiques. Sous l’angle sémantique, tout constituant porteur d’informations sur les propriétés du procès (quantité, qualité), les actants secondaires (instrument, accompagnant, bénéficiaire), les relations logiques (cause, but, condition, conséquence), enfin le repérage spatio-temporel du procès, est considéré comme une cible potentielle. Du point de vue morphosyntaxique, seuls ont été sélectionnés les syntagmes nominaux postposés au noyau verbal (introduits ou non par une préposition).

2. Le module sémantico-pragmatique

9Rappelons qu’ici, il s’agit de préciser deux sortes de contraintes qui pèsent sur le rattachement des cibles circonstancielles à l’espace prédicatif, les premières liées à une représentation sémantique conceptuelle type, telle qu’on peut la fournir pour une entrée verbale donnée, les secondes dérivées d’une représentation occurrence qui prend appui sur le cotexte discursif.

2.1. Le traitement sémantique

10La compréhension du discours (oral ou écrit) passe par une recherche en mémoire sémantique des cadres conceptuels attachés aux unités lexicales identifiées et à leur actualisation (prédicative ou référentielle) dans le contexte d’énonciation. À chaque prédicat verbal est ainsi associée une scène-type qui est actualisée en contexte sous la forme d’une scène-occurrence.

11

  • c. Le rattachement des entités participantes et des localisations spatiales et temporelles à une scène est souvent envisagé en termes de valence, c’est-à-dire en fonction d’une distinction discrète entre arguments et non-arguments. Tesnière distingue actants et circonstants, la syntaxe X’ de Jackendoff [6] : complément et adjoint, Dik [7] : arguments et satellites, Frawley [8] : rôles participatifs et non-participatifs, van Valin [9] : « cœur » de la proposition et périphérie. Cependant il suffit de sonder dans un dictionnaire du français la spécification des emplois dits absolus [10] (sans doute très incomplète compte tenu de la généralité du processus) pour constater qu’un grand nombre, sinon la majorité des verbes transitifs directs du français est spécifiée comme régissant un objet omissible. Inversement, certains types de compléments prépositionnels à caractère formellement figé (ex. à la sauvette / [N1 vend N2 _]) et / ou sémantiquement générique (ex. à la machine / [N1 coud N2 _]) entretiennent un type de rattachement intermédiaire entre actants et circonstants, comme le montre un autre sondage, cette fois dans les dictionnaires bilingues, où l’on constate régulièrement que c’est un constituant a priori non argumental du verbe de la langue source qui a le pouvoir de sélectionner un verbe de la langue cible comme tête de la prédication équivalente, exemple :

fr. couper un fil avec les dents ⇒ angl. to bite a thread off (bite : mordreoff : séparation)
fr. manger qch à la cuiller ⇒ alld. etwas löffeln < der Löffel : la cuiller

12Dès que le constituant générique (avec les dents ; à la cuiller) est remplacé par un constituant spécifique (avec ses incisives ; avec la cuiller que lui avait offert sa marraine pour sa communion) le procédé de traduction par incorporation du constituant dans le prédicat verbal n’est plus disponible. La notion de « windowing of attention » proposée par Talmy [11] semble applicable aux deux phénomènes inverses (l’omission d’un argument et le rapprochement d’un non-argument).

13Ce phénomène nous amène à préciser la notion de scène-occurrence : elle combine d’une part une scène-type où n’apparaissent les rôles primaires omissibles et les rôles afférents que s’ils sont effectivement mentionnés dans l’énoncé et d’autre part la mention des rôles périphériques – localisation, cause, but pour les actions, etc. – rattachés à la prédication (figure 3). Nous assignons à chaque type de rôle un degré de rattachement particulier qui constitue son poids pour la suite du calcul : 2 pour les rôles primaires, 1 pour les rôles afférents, 0 pour les rôles périphériques.

Fig. 3 : Le format général des scènes-types et des scènes-occurrences

Fig. 3 : Le format général des scènes-types et des scènes-occurrences

Fig. 3 : Le format général des scènes-types et des scènes-occurrences

14où :

15

  • NOY : noyau prédicatif
  • PV : prédicat verbal
  • RPOB : rôle primaire obligatoire
  • RPOM : rôle primaire omissible
  • RAF : rôle afférent
  • RPE : rôle périphérique

16La variété du statut des constituants locatifs spatiaux peut être illustrée à partir de deux verbes qui apparaissent à plusieurs reprises dans notre corpus, naître et travailler. Tous deux ont en commun de ne pas régir d’objet direct [12]. Naître requiert conceptuellement la représentation d’un lieu et d’une date de naissance, ainsi que de deux ascendants. Ces constituants explicitement ou figurativement locatifs entrent à ce titre dans la catégorie des rôles primaires omissibles. Par ailleurs les naissances « par césarienne » ou « sous péridurale » ou encore « sous X » constituent des spécifications de types de naissance. Ces constituants de manière non individualisés entrent dans la catégorie des rôles afférents (figure 4).

Fig. 4 : Scène-type associée au verbe « naître »

Fig. 4 : Scène-type associée au verbe « naître »

Fig. 4 : Scène-type associée au verbe « naître »

17où :

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  • LS : localisation spatiale
  • LT : localisation temporelle
  • AS : ascendant

19À la phrase (1) Je suis né à Alger en 1943 est associée la scène-occurrence suivante par inclusion et spécification de la scène-type :

Fig. 5 : Scène-occurrence associée à la phrase« Je suis né à Alger en 1943 »

Fig. 5 : Scène-occurrence associée à la phrase« Je suis né à Alger en 1943 »

Fig. 5 : Scène-occurrence associée à la phrase« Je suis né à Alger en 1943 »

20De son côté, travailler requiert conceptuellement la présence d’un agent qui entre dans la catégorie des rôles primaires obligatoires. De nombreuses expressions non individualisées permettent en outre de distinguer des types de travail, par exemple travailler comme N (statut), travailler à façon (modalité-manière), travailler à domicile (modalité-localisation), travailler dans le textile (secteur). Ces constituants entrent à ce titre dans la catégorie des rôles afférents dans la scène-type associée au verbe travailler_1.

Fig. 6 : Scène-type associée au verbe travailler_1

Fig. 6 : Scène-type associée au verbe travailler_1

Fig. 6 : Scène-type associée au verbe travailler_1

21où :

22

  • Sta : statut
  • Mod : modalité
  • Sec : secteur

23Les contextes (2) j’ai commencé par travailler comme médecin de campagne et (3) j’ai commencé par travailler à un endroit qui s’appelait Olkaloo illustrent la différence entre deux scènes-occurrences comportant l’une un rôle afférent et l’autre un rôle périphérique. En (2) le statut comme médecin de campagne constitue un rôle afférent (et a donc un pds de 1), tandis qu’en (3) la localisation spatiale à un endroit qui s’appelait Olkaloo a une fonction périphérique (et de ce fait un poids de 0).

Fig. 7 : Scène-occurrence associée à la phrase « j’ai commencé par travailler comme médecin de campagne à un endroit qui s’appelait Olkaloo » [13]

Fig. 7 : Scène-occurrence associée à la phrase « j’ai commencé par travailler comme médecin de campagne à un endroit qui s’appelait Olkaloo »Le prédicat verbal inclut ici un opérateur de mise en ordre chronologique commencer par INF.

Fig. 7 : Scène-occurrence associée à la phrase « j’ai commencé par travailler comme médecin de campagne à un endroit qui s’appelait Olkaloo » [13]

24Nous distinguons donc trois degrés de rattachement au noyau prédicatif qui caractérisent respectivement les rôles primaires, afférents et périphériques. La catégorie intermédiaire des rôles afférents est évidemment difficile à définir et à tester. Elle présente des analogies avec la classe des « satellites de prédicat » de Dik [14] qui « ajoutent des traits additionnels au procès », soit des participants additionnels (bénéficiaire, comitatif, cause interne), soit des spécifications de moyen ou de manière (y compris la qualité qui correspond à ce que nous avons appelé « statut »). Toutefois il nous semble que ces types de satellites, qui sont les plus proches du prédicat, présentent seulement une prédisposition à se rattacher étroitement au verbe et que cette prédisposition n’est actualisée que lorsqu’ils ont une forme générique, ce qui est par exemple le cas pour à la cuiller /[manger _], par césarienne /[naître _] ou comme médecin de campagne /[travailler _].

2.2. L’étiquetage pragmatique des cibles

25Puisque nous posons l’hypothèse que les constructions prédicatives sont en partie liées à la dimension énonciative du message, celles-ci ne peuvent être totalement évaluées qu’en tenant compte de cette dimension. En conséquence, ce module dépasse le cadre phrastique (celui de la proposition syntaxique) pour tenir compte de façon globale de la manière dont les cibles circonstancielles participent à la construction et à la progression de l’information référentielle. Le critère utilisé pour l’étiquetage pragmatique des cibles consiste simplement à évaluer l’effet résultant de leur effacement : altération totale, partielle ou nulle de la compréhension du message. Ce test nous a permis de poser un jeu de quatre étiquettes pragmatiques pour lesquelles ont été associés respectivement les poids 2 à 0 (pds 2 : altération forte de la compréhension, intégration supposée forte à l’espace prédicatif, pds 0 : pas de dégradation dans la compréhension du message, cible non intégrée à l’espace verbal). Plus précisément :

26Le repère (temporel, spatial ou notionnel), auquel est associé le poids 2, constitue un élément absolument obligatoire pour la compréhension de l’énoncé. Il répond à un principe de cohérence textuelle qui garantit la continuité et l’intégration progressive des significations. Ainsi, dans je suis né à Alger en 1943, donc j’ai connu l’Algérie heureuse, la première prédication ouvre un espace mental nécessaire au stockage de l’information qui suit et les deux localisateurs sont absolument indispensables pour que l’interlocuteur puisse accepter la relation logique marquée par le connecteur « donc » qui unit les deux propositions.

27Sont associées au poids 1 (intégration a priori partielle à l’espace prédicatif), les étiquettes suivantes :

28Le cadre, également temporel, spatial ou notionnel. Il représente une cible qui n’est pas absolument nécessaire, mais facilite grandement l’accès à l’information. Le cadre répond ainsi au principe de pertinence [15] – ou de cohérence [16] – selon lesquels l’énoncé est d’autant plus pertinent que le coût cognitif pour le comprendre est faible. Le cadrage circonstanciel permet, en effet, de réduire ce coût, en évitant des inférences nombreuses de la part de l’interlocuteur.

29Le progressif. Il détermine la progression textuelle : la légitimité de la cible est imposée par des critères d’homogénéité et d’économie cognitive. Elle permet d’éviter des conflits interprétatifs. Ainsi, lors-qu’un locuteur précise au sujet d’un lieu : j’y suis restée pendant 14 ans, et, plus tard dans le texte, reformule les choses de la façon suivante : je suis resté là 14 ans, il est souhaitable que le localisateur temporel, qui vient modifier la valeur sémantique du verbe, en affectant le trait de durée, soit présent dans les deux contextes, ceci pour que les deux actes prédicatifs n’entrent pas en conflit.

30Le continuatif. Ce dernier a pour rôle d’assurer la continuité thématique du discours en réactivant (projetant à nouveau sur la scène verbale) le thème discursif central ; il force ainsi l’attention de l’interlocuteur sur ce point, cela de façon plus ou moins explicite et marquée linguistiquement (pds 1 également). Pour exemple, dans un contexte de discours sur les femmes au Pakistan, de nombreuses séquences circonstancielles réactivent le thème du débat : le statut des femmes dans ce genre de pays, qui vivent recluses dans la clandestinité : un homme ne voudra pas que sa femme aille travailler à l’extérieur, elles cousent évidemment à domicile, les vêtements de mariage, c’est fait aussi à la maison par des femmes, donc il y a toute une activité féminine qui n’apparaît pas au grand jour, les activités qui sont alimentaires, elles sont faites souvent à la maison par des femmes, etc.

31Enfin, le facultatif, marqué par le poids 0, est totalement accessoire sur le plan pragmatique puisqu’il n’apporte absolument rien à la construction de la scène verbale, son degré informatif est quasi nul (voir la différence entre c’est une petite fille très heureuse, elle vit avec ses deux sœurs dans une ambiance extrêmement protégée et c’est un vieux garçon, il vit avec sa mère à la campagne).

3. Le module prosodique

32Le module prosodique repose sur deux traitements : une analyse phonétique des données sonores et une représentation phonologique dérivée. Cette dernière a pour fonction de relier aux catégories acoustiques et perceptives qui émergent un jeu de principes organisateurs autonomes [17] révélateurs d’une structure intonative hiérarchisée.

3.1. Le traitement phonétique des données

33Malgré l’instabilité et l’hétérogénéité apparente du matériau de parole à décrire (hésitations, faux départs, reprises, etc.) incontournable en parole spontanée [18], la tâche du phonéticien est ici de mettre en œuvre une méthode de segmentation et d’étiquetage qui permette de transformer un signal de parole continue en données observables et manipulables pour l’expérimentateur. Pour ce faire, nous avons utilisé successivement deux logiciels, l’analyseur WinPitch conçu par Ph. Martin à l’Université de Toronto et l’outil Analor développé avec B. Victorri sous Matlab. L’objet n’étant pas de rentrer dans le détail de la méthode [19], nous nous contenterons d’en présenter les principes généraux.

34Selon l’hypothèse qui sous-tend ce travail, la structure prosodique est actualisée dans la substance par une succession de gestes intonatifs continus en temps et en fréquence. Autrement dit, les deux paramètres essentiels retenus pour l’analyse sont les variations de la fréquence fondamentale (f0) [20] et les variations temporelles [21]. L’intensité, relative à l’énergie contenue dans le signal de parole, n’a pas été retenue pour l’heure. Sur ces bases, le signal a été découpé et transcrit en unités accentuables [22], les frontières des syllabes effectivement frappées par des proéminences accentuelles terminales d’unités ont été marquées [23], les gestes porteurs de ces proéminences (montants ou descendants) ont été étiquetés, enfin les différents types de pauses (inspiration, silence ou « euh » d’hésitation) sont notés (figure 8). En sortie du module phonétique, nous considérons qu’il y a autant de groupes prosodiques [24] que de proéminences accentuelles terminales [25].

Fig. 8 : Exemple de visualisation d’un signal sous Analor avec en ordonnées les variations de la f0 (en demi-tons), en abscisse : les segments avec leurs durées respectives ; les marqueurs a1 correspondant à des syllabes accentuées terminales de groupes intonatifs (montants, a1M, descendants, a1D) ou correspondant à une descente dans le niveau infra-grave (marqueur a1DB)

Fig. 8 : Exemple de visualisation d’un signal sous Analor avec en ordonnées les variations de la f0 (en demi-tons), en abscisse : les segments avec leurs durées respectives ; les marqueurs a1 correspondant à des syllabes accentuées terminales de groupes intonatifs (montants, a1M, descendants, a1D) ou correspondant à une descente dans le niveau infra-grave (marqueur a1DB)

Fig. 8 : Exemple de visualisation d’un signal sous Analor avec en ordonnées les variations de la f0 (en demi-tons), en abscisse : les segments avec leurs durées respectives ; les marqueurs a1 correspondant à des syllabes accentuées terminales de groupes intonatifs (montants, a1M, descendants, a1D) ou correspondant à une descente dans le niveau infra-grave (marqueur a1DB)

3.2. La représentation phonologique

35Il s’agit ici de fixer les primitives nécessaires pour passer de la description phonétique à une modélisation phonologique pertinente. Cette dernière repose sur une représentation formelle autonome de la structure prosodique sous-jacente qui sera utilisée ensuite pour l’interprétation fonctionnelle de la structure. Dans une première phase, les gestes, qui constituent les points d’émergence des groupes intonatifs – gestes portés par les syllabes terminales – sont décrits en termes de traits perceptivement contrôlés, codant leur direction (montant ou descendant), leur durée relative (par rapport au geste terminal du groupe qui précède), leur amplitude et leur excursion fréquentielle dans les niveaux grave ou aigu, leur contexte droit (segment plein ou pause). À ces traits sont associés des degrés de proéminence accentuelle, points d’ancrage de deux types de structuration : la segmentation des énoncés en périodes intonatives et l’organisation prosodique interne de ces dernières.

36Pour préciser notre propos, à ce stade de l’analyse, le message est structuré à deux niveaux : l’énoncé (production d’un locuteur entre deux prises de parole de l’interlocuteur) et les groupes intonatifs qui le constituent. La question est donc la suivante : quels sont les indices prosodiques utilisables pour faire émerger une granularité plus fine dans les niveaux de traitement, comme celle qui existe à l’écrit par exemple, distinguant des unités de taille et de statut linguistique variable, telles que les textes, les paragraphes, les phrases typographiques et / ou syntaxiques et les constituants syntaxiques ?

37Un premier principe de segmentation nous a conduit à mettre au jour une nouvelle unité de traitement, la « période intonative » sur les bases de l’observation acoustique des données, en nous appuyant sur la règle suivante (figure 9) [26] :

38Toute proéminence terminale de groupe prosodique marquée par un mouvement montant ou descendant en plage infra-grave ou suraiguë et suivie d’une pause d’au moins 300 millisecondes correspond à la frontière droite d’une période intonative.

Fig. 9 : Exemple de découpage en période en plage suraiguë

Fig. 9 : Exemple de découpage en période en plage suraiguë

Fig. 9 : Exemple de découpage en période en plage suraiguë

39Ainsi, la période intonative, qui constitue un niveau de traitement intermédiaire entre l’énoncé et le groupe prosodique, désigne la racine de l’arbre prosodique, c’est-à-dire le domaine de traitement des catégories situées au niveau immédiatement inférieur – les groupes intonatifs – Une nouvelle question se pose alors : à quel type d’organisation répondent les groupes intonatifs qui se succèdent à l’intérieur de la période ? Plus précisément : derrière la linéarité apparente de ces groupes, ne peut-on pas déceler des principes de rupture ou d’inclusion et de hiérarchisation, auquel cas, quels sont les marqueurs acoustiques révélateurs de ces principes et comment formuler ces derniers ?

40Pour évaluer le rapport hiérarchique entre deux groupes prosodiques contigus, nous appliquons un principe générique de dominance, qui se décline en trois sous-principes évalués en comparant les degrés accentuels des syllabes terminales de deux groupes intonatifs contigus – GI et GI + 1 (voir la figure 10 pour une illustration de l’un de ces principes).

41

  • Selon le principe de dominance intonative (DOMI) [27], le degré accentuel de GI + 1 domine celui de GI, si son excursion fréquentielle terminale est supérieure d’au moins un ton à celle qui ponctue GI ou s’il est marqué par le trait infra-grave ;
  • L’application du principe d’inversion de pente (PE) [28] consiste à considérer que deux gestes terminaux de pente opposée (montant vs descendant ou descendant vs montant) marquent l’inclusion de deux groupes prosodiques contigus. Autrement dit, tout groupe intonatif qui se joint à un groupe situé à sa droite pour former un groupe plus grand présente souvent un contour de sens de variation mélodique opposé à celui auquel il s’unit ;
  • En respectant le principe de progression (PRO), nous posons comme hypothèse que tout groupe prosodique, dont la syllabe terminale est marquée par un allongement d’au moins 50 % par rapport à la syllabe terminale du groupe qui précède, domine le premier. Ce dernier principe calque le principe de progression défini dans la littérature pour caractériser la structure syllabique interne d’un groupe intonatif. Selon ce dernier, en effet, la durée des syllabes inaccentuées du groupe tend à progresser jusqu’à la syllabe accentuée terminale dans un mouvement général de ralentissement progressif [29].

Fig. 10 : Formation d’un GIP par l’application du principe de dominance intonative

Fig. 10 : Formation d’un GIP par l’application du principe de dominance intonative

Fig. 10 : Formation d’un GIP par l’application du principe de dominance intonative

42L’application de l’un de ces trois principes donne lieu au regroupement des groupes intonatifs en paquets (GIP). Lorsque aucun des trois principes ne peut être appliqué, la construction intonative révèle une structure linéaire plate (GIL). La structuration intonative de la période est ainsi obtenue par le test récursif gauche-droite de ces principes d’inclusion (comparaison du groupe 1 avec le groupe 2, du groupe 2 avec le groupe 3, etc.). La présence du trait infra-grave représente la condition d’arrêt de l’algorithme : le groupe prosodique dont la syllabe terminale se situe dans le registre infra-grave est perçu comme le dernier de la séquence à analyser. Ce type de dominance constitue donc un double indice : à la fois marque de cohésion par rapport à ce qui précède, il correspond à un marqueur de frontière par rapport à ce qui suit (figure 11).

Fig. 11 : Structure interne d’une période : de la linéarité à l’emboîtement des constituants – le repérage des structures de dominance

Fig. 11 : Structure interne d’une période : de la linéarité à l’emboîtement des constituants – le repérage des structures de dominance

Fig. 11 : Structure interne d’une période : de la linéarité à l’emboîtement des constituants – le repérage des structures de dominance

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  • DA = degré accentuel indiqué par les traits associés à la description des gestes intonatifs terminaux (cf. supra) ;
  • SF- = syllabe accentuée terminale dont le degré accentuel est inférieur à celui de la syllabe accentuée terminale du groupe intonatif qui suit (SF +).

45À partir de ce découpage en périodes et en groupes intonatifs plus ou moins hiérarchisés, nous sommes en mesure de proposer une première échelle d’intégration de nos cibles par rapport au noyau prédicatif de la façon suivante (figure 12) : 1- la cible est intégrée prosodiquement au pivot verbal, soit directement (elle est incluse dans le groupe intonatif construit autour du verbe : GII), soit par regroupement posté-rieur (GIP) [30] ; 2- la cible n’est pas intégrée mais s’inscrit dans la même période intonative (GIL) ; 3- la cible est exopériodique, c’est-à-dire disloquée dans une période subséquente (EXO).

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  • GIIJe suis né à Alger
  • GIP Je suis né à Alger en 1943
  • GILJ’ai demandé l’asile à l’ambassade du Chili
  • EXOJe suis née à Cannes pendant la guerre

Fig. 12 : Positionnement des cibles sur le continuum en sortie du module prosodique

Fig. 12 : Positionnement des cibles sur le continuumen sortie du module prosodique

Fig. 12 : Positionnement des cibles sur le continuum en sortie du module prosodique

4. Interprétation

47Du cumul des poids générés par les modules sémantique (SEM) et pragmatique (PRA) dérive une note globale d’intégration (4 : intégration à l’espace prédicatif, 0 : position périphérique). La mise en relation de ce calcul sémantico-pragmatique avec les informations prosodiques nous permet en définitive de positionner les constituants sur le continuum prédicatif et d’épingler, le cas échéant, les effets antagonistes résultant des informations provenant de SEM et PRA. Nous présentons d’abord la démarche d’ensemble et l’illustrons ensuite par les exemples naître et travailler commentés pour le traitement sémantique (cf. supra 3.1.).

4.1. Positionnement des cibles circonstancielles sur le continuum

48L’alignement des modules sémantico-pragmatique et prosodique fait émerger trois principes de construction qui permettent de fixer en sortie la Position d’une cible Sur le Continuum prédicatif (PSC) :

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  1. Le traitement sémantico-pragmatique indique sans ambiguïté un degré de rattachement étroit (pds 4) ou nul (pds 0), la prosodie de la cible étant en harmonie avec ce calcul – intégration prosodique dans le premier cas, détachement dans le second.

Pds 4Prosodie intégréeMouvementPSC
1. C’est une association crée au début des années 80GIP0NOY
Pds 0Prosodie détachéeMouvementPSC
2. J’ai été victime d’un acte de terrorisme à ParisEXO0PRT

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  1. Le constituant est dit « flottant » (rattachement indéterminé à l’issue du calcul sémantico-pragmatique) lorsque son poids ne permet pas de trancher entre le noyau et la prédication élémentaire (pds = 3) ou entre la prédication étendue et la prédication élémentaire (pds = 2 / 1). Ce type de contexte révèle le plus souvent des instructions conflictuelles entre SEM et PRA, le premier bloquant le rattachement alors que le second suggère l’intégration, l’inverse étant plus rare mais également possible. Dans ces contextes, la prosodie est investie d’une fonction de fléchage permettant de lever l’indéterminisme, fonction marquée par un mouvement prosodique en direction du centre (↑) ou de la périphérie (↓).

Pds 3Prosodie intégréemouvementPSC
3. J’ai vécu avec mon frère jumeau dans une ambiance où le livre était sacré
SEM = 1 / PRA = 2
GIPNOY
Pds 3Prosodie détachéemouvementPSC
4. Je suis arrivée au Kenya
SEM = 2 / PRA = 1
GILPRL
Pds 2Prosodie intégréemouvementPSC
5. Les odeurs les plus importantes sont quand même celles qu’on sent avant l’âge de 12 ans
SEM = 0 / PRA = 2
GIPPRL
Pds 2Prosodie détachéemouvementPSC
6. Ce que vous voyez qui est vendu dans les magasins de Lahor
SEM = 0 / PRA = 2
GILPRT

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  1. Les cibles exopériodiques sont rejetées vers la prédication étendue, quel que soit le poids généré par le traitement sémantico-pragmatique (voir 2).

4.2. Harmonie ou conflit instructionnel : l’exemple de « naître »

52Pour faire suite aux exemples fournis lors du traitement sémantique, les deux occurrences que nous nous proposons de commenter ici sont les suivantes : (1) Je suis né à Alger en 1943 et (2) Je suis née à Cannes pendant la guerre.

53La première illustre une congruence parfaite entre les modules prosodique et sémantico-pragmatique (pondération maximale dans les deux cas), la seconde révèle un conflit instructionnel marqué par un mouvement prosodique de l’espace prédicatif (flottement entre le noyau et la prédication élémentaire) vers la prédication étendue. Plus précisément, du point de vue sémantique, les deux localisateurs temporels sont définis comme des rôles primaires omissibles (pondération 2) ; sous l’angle pragmatique, le premier correspond à un repère (pondération 2), tandis que le second est doté du statut de cadre (pondération 1), soit, en entrée du continuum, les poids respectifs 4 et 3. Or, si le premier est bien intégré prosodiquement (GIP) et appartient de fait au noyau prédicatif, la prosodie impose un rejet vers la prédication étendue de la deuxième cible, puisque cette dernière est exopériodique (figure 13.1 et 13.2).

Fig. 13.1 : Modules sémantico-pragmatique et prosodique en harmonie (=)

Fig. 13.1 : Modules sémantico-pragmatique et prosodique en harmonie (=)

Fig. 13.1 : Modules sémantico-pragmatique et prosodique en harmonie (=)

Fig. 13.2 : Harmonie « à Cannes » ou conflit instructionnel « pendant la guerre » où la prosodie domine les instructions sémantico-pragmatiques (<) et les transgresse, transgression marquée par un mouvement vers la périphérie (↓)

Fig. 13.2 : Harmonie « à Cannes » ou conflit instructionnel « pendant la guerre » où la prosodie domine les instructions sémantico-pragmatiques (<) et les transgresse, transgression marquée par un mouvement vers la périphérie (↓)

Fig. 13.2 : Harmonie « à Cannes » ou conflit instructionnel « pendant la guerre » où la prosodie domine les instructions sémantico-pragmatiques (<) et les transgresse, transgression marquée par un mouvement vers la périphérie (↓)

4.3. Le traitement des constituants flottants : l’exemple de « travailler »

54Pour l’exemple fourni ici (j’ai commencé par travailler comme médecin de campagne à un endroit qui s’appelait Olkaloo), une ambiguïté de rattachement résulte du calcul sémantico-pragmatique (NOY ou PRL pour la première cible – pds = 1+2 ; PRL ou PRT pour la seconde pds = 0+2). C’est bien en définitive le marquage prosodique qui nous permet de positionner correctement la cible sur le continuum.

Fig. 14 : Rattachement prosodique des segments flottants : mouvement vers le centre (↑)

Fig. 14 : Rattachement prosodique des segments flottants : mouvement vers le centre (↑)

Fig. 14 : Rattachement prosodique des segments flottants : mouvement vers le centre (↑)

5. Conclusion

55Ce travail axé sur le statut des circonstants dans les phrases verbales, nous a amené à présenter la structure prédicative, articulée autour d’un verbe noyau, dans une perspective topologique et contextuelle. La dimension topologique de l’objet est associée à la notion centrale de continuum, qui peut être évaluée en termes de centre et de périphérie, de gravitation et de décrochement. La portée contextuelle de notre travail résulte de l’importance que nous avons accordée au cotexte pour asseoir notre continuum prédicatif et préciser le statut de nos circonstants dans ce continuum : évaluer de manière exhaustive le continuum et les constituants indispensables à sa bonne formation implique, nous l’avons vu, outre la connaissance des contraintes définies par la sémantique conceptuelle, qui amènent à poser des schémas de fonctionnement verbal, des connaissances discursives permettant de peser l’influence du global sur le local, tant dans une perspective pragmatique, liée à la construction de l’information référentielle, que dans une optique prosodique associée à différents schémas de construction. Ces derniers ont pour fonction centrale d’asseoir les calculs issus des traitements sémantique et pragmatique et, en cas de conflit, de choisir la meilleure solution interprétative. Ils peuvent enfin dans des cas extrêmes – contextes d’exopériodicité – remettre en cause le calcul sémantico-pragmatique. Ce type de transgression soulève alors une question de fond : ne constitue-t-elle pas la marque d’un traitement sémantique inapproprié de certains constituants, leur accordant trop de poids sous l’angle du codage conceptuel et négligeant en revanche certaines opérations énonciatives comme le parenthésage discursif dont la prosodie porte clairement la trace. Si une telle opération est en effet possible pour une cible donnée, n’est ce pas de facto parce que cette dernière n’entre jamais dans le schéma prédicatif de base tel qu’il a été défini par la sémantique conceptuelle ?

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Mise en ligne 09/10/2017

https://doi.org/10.3917/ss.006.0035

Notes

  • [1]
    Voir Leeman 1998, Rémi-Giraud et Roman 1998 (dir.) pour des exposés critiques.
  • [2]
    Riegel 1994 (dir).
  • [3]
    Tels qu’ils sont défendus par les tenants de la Phonologie Prosodique (Selkirk 1984, Nespor et Vogel 1986).
  • [4]
    Lambrecht 1994.
  • [5]
    Voir Nølke et Adam 1999 (dir.) pour une discussion.
  • [6]
    Jackendoff 1977.
  • [7]
    Dik et al. 1990.
  • [8]
    Frawley 1992.
  • [9]
    Van Valin et LaPolla 1997.
  • [10]
    Pour cela il suffit d’effectuer une recherche sur critères dans le Petit Robert Électronique en demandant toutes les occurrences de la chaîne ‘abs.’ dans le plan de tous les articles du dictionnaire.
  • [11]
    Talmy 2001.
  • [12]
    L’emploi transitif direct de travailler (~le bois, ~une pièce de Chopin) constitue une entrée lexicale séparée travailler_2.
  • [13]
    Le prédicat verbal inclut ici un opérateur de mise en ordre chronologique commencer par INF.
  • [14]
    Dik et al. 1990.
  • [15]
    Sperber et Wilson 1986.
  • [16]
    Charolles 1997.
  • [17]
    Indépendants de toute connaissance syntaxique préalable.
  • [18]
    Blanche-Benvéniste 1990.
  • [19]
    Pour une présentation détaillée, voir Lacheret-Dujour et Victorri 2002.
  • [20]
    Estimation du son laryngien à partir du signal acoustique à un instant T.
  • [21]
    Mesure d’un intervalle de temps nécessaire pour émettre un signal de parole ou pauser.
  • [22]
    Tête lexicale et modifieurs adjacents (lorsque le modifieur est post-posé à sa tête, il reçoit le marquage de la proéminence terminale : prends-le).
  • [23]
    Étant donné les nombreux phénomènes de désaccentuation en français, on distingue ainsi les unités potentiellement accentuables des unités effectivement accentuées.
  • [24]
    Dans notre terminologie, un groupe prosodique équivaut à un groupe intonatif, c’est-à-dire une séquence de syllabes dont la dernière est frappée par un accent terminal de mot.
  • [25]
    Vu le principe d’autonomie stipulé plus haut, la formation des groupes prosodiques qui se succèdent linéairement dans la chaîne ne dépend absolument pas à ce niveau de traitement de contraintes syntaxiques externes.
  • [26]
    Pour une présentation détaillée de ce travail de segmentation en périodes, voir Lacheret-Dujour et Victorri 2001.
  • [27]
    Dérivé des travaux de Mertens 1987.
  • [28]
    Martin 1981.
  • [29]
    Pasdeloup 1990.
  • [30]
    Dans ce contexte, on peut supposer que des contraintes rythmiques, posant une taille maximale pour le groupe intonatif (8-10 syllabes), expliquent que la cible ne soit pas directement intégrée au groupe intonatif du noyau verbal. Cette coupure rythmique devra donc être neutralisée pour des raisons d’interprétation symbolique, d’où la fusion des groupes en GIP.
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