Notes
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Julien Cazal, sociologue, docteur en STAPS, Laboratoire PRISSMH-SOI, EA-4561, Université Toulouse 3 Paul-Sabatier, 118, route de Narbonne, 31062 Toulouse Cedex 9, France ; cazal.julien@gmail.com
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Jean-Paul Génolini, psychologue social, maître de conférences, Laboratoire PRISSMH-SOI, EA-4561, Université Toulouse 3 Paul-Sabatier, 118, route de Narbonne, 31062 Toulouse Cedex 9, France ; jean-paul.genolini@univ-tlse3.fr
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[1]
Selon les termes utilisés en cardiologie, on peut distinguer les facteurs de risque dits « majeurs » (diabète, hypertension artérielle, dyslipidémie, tabagisme, âge), des facteurs de risque dits « prédisposants » (obésité, sédentarité, hérédité).
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[2]
La conceptualisation du changement de comportement en santé publique repose principalement sur des modèles individualistes tels que celui des « croyances pour la santé » ou Health Belief Model (Rosenstock, 1974). Celui-ci postule « qu’un individu est susceptible de poser des gestes pour prévenir une maladie ou une condition désagréable s’il possède des connaissances minimales en matière de santé et s’il considère la santé comme une dimension d’importance dans sa vie » (Godin, 1991 : 70).
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[3]
Reprenant cette notion de Giddens (1994), la culture du risque découlerait du processus d’individualisation des sociétés modernes, où chacun serait en mesure d’évaluer rationnellement les risques qu’il encourt et de mettre en œuvre les conduites adaptées.
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[4]
Comme cela a été montré dans le domaine de la cancérologie (Fainzang, 2006).
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[5]
Par « systèmes experts », l’auteur entend « des domaines techniques ou de savoir-faire professionnel concernant de vastes secteurs de notre environnement matériel et social », auxquels les non-initiés sont contraints, faute de compétences, d’accorder leur confiance. Ces systèmes représentent, par exemple, l’ensemble des techniques, technologies ou encore savoirs médicaux qui sont manipulés par les professionnels dans l’interaction avec le patient.
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[6]
Cette notion, proposée par Pinell (1992) dans son étude à propos de la lutte contre le cancer, est le pendant sanitaire de l’homo economicus. Elle correspond à une figure idéale du « malade d’aujourd’hui » qui serait « prédisposé à jouer le jeu ». Elle implique d’envisager les patients comme des acteurs rationnels au sujet de la maladie et du risque.
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[7]
Il s’agit, suivant le principe du « dispositif de promesse » (Karpik, 1996), d’éviter toute forme d’opportunisme, le médecin pouvant se voir reprocher de n’avoir pas tout dit au patient, au même titre que le patient pourrait ne pas appliquer des recommandations qui lui ont été faites.
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[8]
Selon un rapport de l’ANAES, « l’approche recommandée en France (…) pour évaluer le risque cardiovasculaire global repose sur la sommation des facteurs de risque, chacun étant considéré comme binaire (présent ou absent) et ayant un poids identique. Ce risque est estimé faible, modéré ou élevé selon le nombre de facteurs de risque présents. Les principales recommandations internationales préconisent d’estimer le RCV global. Il n’y a pas, en 2004, de consensus concernant le choix de la méthode d’estimation de ce risque (sommation des facteurs de risque ou modélisation statistique) » (ANAES, 2004 : 9).
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[9]
Pour Strauss, il n’existe pas d’ordre social qui serait unilatéralement imposé. En particulier dans le domaine médical, l’ordre des interactions résulte la plupart du temps d’une action concertée entre les individus.
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[10]
L’interaction médecin-patient peut être analysée comme une succession de « cadrages de l’individu » (Goffman, 1991) par les soignants. Ces derniers s’ajustent aux intérêts d’arrière-plan des patients mais participent aussi à leur construction. Nous en restons pour l’étude au constat d’existence de ces intérêts d’arrière-plan sans en préciser la nature stratégique ou dispositionnelle. Pour Dodier (1993a), la notion de cadrage de l’individu est liée au régime d’action dans lequel s’engage l’acteur et au modèle d’expertise auquel le médecin se réfère.
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[11]
L’athérosclérose se caractérise par une accumulation, sur la paroi des artères, de lipides ou de graisses (mauvais cholestérol), de produits du sang, etc., pouvant entraîner avec le temps des lésions. C’est le principal responsable, entre autres, de l’infarctus du myocarde.
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[12]
Le service a été créé en 1994 à l’initiative de quelques cardiologues « sensibles » à la prévention des maladies cardiovasculaires, et dont l’un d’entre eux est actuellement le chef de service. Au départ centrée sur le diagnostic des troubles cardiométaboliques impliqués dans l’athérosclérose, l’offre a été complétée par la mise en place d’un programme d’éducation thérapeutique au début des années 2000 au moment, notamment, où un programme national de réduction des risques cardiovasculaires voit le jour. On compte aujourd’hui quatre autres services similaires répartis en France au sein de CHU.
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[13]
Du fait de l’hétérogénéité des causes de la maladie, le patient rencontre successivement près de sept intervenants différents au cours d’une journée-type. De manière générale, il voit d’abord une infirmière (spécialisée dans le domaine de l’éducation thérapeutique), un premier médecin chargé de mener une enquête épidémiologique et de faire une première auscultation. Il rencontre ensuite une diététicienne durant 30 à 45 minutes puis il se rend aux différents examens cliniques où, là encore, il peut rencontrer jusqu’à trois spécialistes en cardiologie. Enfin, la synthèse est réalisée par le cardiologue référent.
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[14]
La plupart du temps asymptomatiques, certains facteurs de risque (hypertension artérielle, hypercholestérolémie, etc.), sont souvent qualifiés par le milieu médical de « tueur silencieux » ou de « maladie insidieuse », avec lesquels le patient peut même « vivre normalement » pendant plusieurs années, d’autant plus que les traitements actuels permettent de contrôler efficacement certains facteurs de risque dits « majeurs » (diabète, dyslipidémie, hypertension artérielle).
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[15]
Voir l’étude Intermède (Lang et al., 2008) portant sur « l’interaction entre médecins et malades productrice d’inégalités sociales de santé ».
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[16]
Voir Aulagnier et al., 2007 ; Baromètre santé médecins/pharmaciens, INPES, 2003. Les descriptions sont assez homogènes entre ces deux enquêtes. Il est toutefois délicat, dans ces études, de dissocier l’éducation thérapeutique des pathologies chroniques d’une intervention sur les habitudes de vie, puisqu’en première intention les recommandations portent sur l’alimentation et l’exercice physique.
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[17]
Certaines modélisations permettent de visualiser la « gravité » de son propre risque à l’aide de couleurs, par exemple du vert pour un risque faible au rouge foncé pour un risque très élevé. Le modèle de SCORE, utilisé dans les exemples suivants, permet d’évaluer la probabilité absolue à dix ans de développer un événement cardiovasculaire fatal. Il inclut la prise en compte dans le calcul des facteurs de risque suivants : le sexe, l’âge, le tabagisme, la pression artérielle systolique et, soit le cholestérol total, soit le rapport cholestérol/HDL.
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[18]
La créatine phosphokinase (CPK) est une enzyme essentielle au métabolisme du muscle. Son dosage sert au diagnostic et au suivi des attaques cardiovasculaires.
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[19]
Les pratiques médicales plus ou moins formelles liées au consentement éclairé peuvent être assimilées, comme le souligne Ducournau (2010), à des « rituels de confiance » qui renforcent des valeurs fondamentales dans l’équilibre de la relation telles que l’autodétermination, la bienfaisance ou la confiance.
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[20]
Pour Bourdieu (1980), le sens pratique serait la faculté d’un individu à orienter ses conduites, de manière relativement inconsciente et quelle que soit la situation, en particulier grâce aux dispositions acquises antérieurement.
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[21]
Cela d’autant plus que, dans le domaine de la prévention, le primat du colloque singulier entre médecin et patient tend à disparaître — du moins à être nuancé — au profit d’une approche pluridisciplinaire.
1La prévention des maladies cardiovasculaires est devenue, au cours de la dernière décennie, un enjeu majeur de santé publique. Selon les recommandations institutionnelles, un traitement précoce des facteurs de risque [1] permettrait de réduire les maladies cardiovasculaires et la survenue de complications graves à plus ou moins long terme. Certains établissements de santé proposent une prise en charge dite « globale » du risque à travers des dispositifs de dépistage, de traitement et de suivi, en conjuguant le travail médical avec une éducation visant la mise en responsabilité et l’autonomie (Sandrin-Berthon, 2000) du patient à l’égard de sa maladie. La fonction essentielle du dépistage est d’évaluer, de contrôler le risque, de prescrire des traitements, d’investiguer la maladie par des analyses complémentaires, d’orienter vers d’autres services, ou encore de formuler des recommandations d’hygiène. Mais les dispositifs de dépistage ne font pas que qualifier un risque cardiovasculaire, ils le construisent afin d’exhorter les patients à rester attentifs à leur santé.
2La hiérarchisation des risques cardiovasculaires est un point de départ, voire un point d’appui, à l’éducation pour la santé [2] et la mise en responsabilité du patient. Au cours du dépistage, celui-ci est confronté à une « culture du risque » [3]. Les fonctions diagnostique et prescriptive, somme toute banales dans une activité médicale, font elles-mêmes l’objet d’une appropriation par le patient. Celui-ci peut se montrer sceptique face à des informations qui ne correspondent pas à des symptômes de souffrance ou de limitation. Il peut, à l’inverse, s’inquiéter de son état de santé qu’il découvre alarmant. L’apprentissage du risque cardiovasculaire est déterminé par le transfert d’une rationalité de type probabiliste, nourrie à la fois par l’épidémiologie et par la nécessité (tant pour le patient que le médecin) d’assumer l’incertitude sur l’évolution de l’état de santé. Construction experte et domestication du risque reposent sur une relation thérapeutique de mise en confiance à l’égard de l’institution médicale. En effet, la désignation d’un type de risque par le médecin présuppose qu’un accord se réalise autour de l’incertitude médicale [4], donnant lieu à l’élaboration d’un risque « acceptable » qui, pour Giddens (1994), dépend d’un « savoir induit » et se situe à la base de la confiance envers les « systèmes experts » [5].
3Notre recherche analyse la façon dont se diffusent les risques et se tissent les relations de confiance au cours de la consultation médicale dans un climat d’incertitude sur la santé. À partir des orientations interactionnistes et pragmatiques, elle ouvre l’analyse culturelle des risques en santé, des approches socio-représentationnelles (Douglas et Calvez, 1990) aux pratiques et techniques utilisées dans le pronostic du risque cardiovasculaire. Elle complète, en éducation pour la santé, l’analyse de l’autorégulation (Clark et Zimmerman, 1990) par un regard constructiviste sur les « stratégies participatives ». Plus généralement, elle permet de comprendre, à partir des interactions médecin-patient, les mécanismes incidents de la formation d’un usager responsable, véritable « auxiliaire » du milieu médical (Pinell, 1992) : un « homo medicus » [6].
4Nous faisons l’hypothèse que le cadre situationnel du dépistage est une mise en autonomie du patient sous contrôle médical. À la manière des « dispositifs de confiance » (Karpik, 1996), les consultations permettent de « nous informer, de garantir la fiabilité des informations et de nous assurer de la crédibilité des engagements des institutions ou de ceux qui exercent les pouvoirs, et donc de nous protéger de leurs manipulations, mensonges et tromperies » (Quéré, 2005 : 208). Le diagnostic sur le risque cardiovasculaire à la fois produit de l’incertitude et crée les conditions de la confiance. Cette dernière ne se réduit pas à l’expertise des évaluations et à la transparence d’un jugement médical objectif ; elle se gagne dans la sphère des interactions médecin-patient [7] et dans la possibilité d’exercer un contrôle sur l’incertitude qui naît du diagnostic.
5Dans une première partie, nous analysons les différentes formes d’incertitude propres à l’exercice de la prévention cardiovasculaire. L’incertitude s’inscrit dans le niveau d’expertise sur une pathologie, dans les pratiques cliniques, dans les techniques et les technologies disponibles et/ou utilisées. Elle est aussi assujettie à un système de valeurs qui en fait un outil au service de l’influence. La détermination des « facteurs de risque », le classement en « groupe à risque », les recommandations sur les « conduites à risque » sont des activités qui permettent de contrôler l’incertitude en refermant la culture du risque sur le savoir médical. Par-delà l’expertise épidémiologique et clinique, la prévention étend le pouvoir du médecin à un contrôle de la vie. L’incertitude n’est pas uniquement induite par un bilan de santé, elle se développe aussi dans les interstices des prescriptions et recommandations, dans un jeu d’attentes réciproques entre médecin et patient. La seconde partie montre, à partir de données empiriques, que la frontière entre ce qui peut être mis en risque et ce qui reste inéluctablement incertain, n’est pas donnée mais construite (Theys, 1991). Elle s’appuie sur l’observation ethnographique des consultations médicales autour de l’individualisation du risque. Les médecins abordent rationnellement et méthodiquement un « risque cardiovasculaire global » [8]. Ce faisant, ils cherchent, au cours de ce travail diagnostique, des prises leur permettant de suggérer des conduites d’autocontrôle. Ils travaillent donc sur un « ordre négocié » [9] (Strauss, 1992) qui vise « l’acceptabilité » du risque cardiovasculaire, c’est-à-dire la détermination d’un risque suffisamment élaborée, facilitant la confiance et le maintien des engagements réciproques dans la gestion de la maladie. L’équilibre est délicat et repose à la fois sur la diffusion et l’assimilation de données épidémiologiques, et sur une approche clinique plus singulière des informations médicales personnelles, des symptômes de la maladie, etc. Il est perceptible dans les divers types de « cadrage » [10] qui animent la relation thérapeutique et « travaillent » à restaurer la confiance entre médecin et patient.
L’usage des outils diagnostiques, des analyses et des prescriptions calibre une vision à plus ou moins long terme de la maladie et de ce qui est à faire pour « s’en sortir ». Ils représentent des « appuis conventionnels de l’action » que Dodier définit comme « un ensemble de ressources permettant d’élaborer une communauté de perspectives, même minimale, permettant de coordonner des actions » (Dodier, 1993b : 66). Notre attention s’est plus particulièrement portée sur les adaptations particulières des médecins face aux réactions des patients lors du diagnostic et du pronostic. Ces adaptations sont particulièrement liées à l’usage des outils d’aide à la décision médicale que constituent, par exemple, les échelles d’évaluation du risque et autres dispositifs de mesure plus ou moins sophistiqués (résultats d’analyses, échographies, etc. ou, plus trivialement, la balance).
Les différentes formes d’incertitude liées à l’exercice de la prévention
6L’incertitude peut porter sur le savoir médical utilisé dans le travail préventif, elle peut être également produite dans le jeu des interactions médecin-patient autour de l’objet et des outils de la prévention, elle peut être encore déterminée par l’efficacité perçue dans l’adoption d’une démarche préventive.
L’incertitude liée aux limites propres de la médecine
7Fox (1988) définit trois niveaux d’incertitude liée aux limites propres de la médecine : l’incertitude qui résulte d’une maîtrise incomplète ou imparfaite du savoir disponible, celle qui dépend des limites propres à la connaissance médicale, enfin celle qui dérive des deux premières. Dans le cadre de la prévention des maladies cardiovasculaires, le médecin ne peut prédire avec précision la trajectoire de la maladie [14]. Plus de 300 facteurs de risque ont, jusqu’à ce jour, été répertoriés (Ortiz-Moncada et Alvarez-Dardet, 2001). Peretti-Watel (2004) évoque à ce sujet l’existence d’une véritable « toile des causes », en référence aux difficultés d’interprétation rencontrées tant par les destinataires de la prévention que par les professionnels de santé eux-mêmes.
8En plus des incertitudes relatives aux connaissances, les pratiques médicales génèrent d’autres formes d’incertitude. Bourret et Rabeharisoa (2008), en comparant les pratiques cliniques liées à l’oncogénétique et à la psychiatrie génétique, montrent que l’incertitude concerne les objets et les entités sur lesquels portent les pratiques, mais aussi l’efficacité médicale de ces dernières.
L’incertitude liée à l’objet et à l’usage des outils de la prévention
9L’évaluation précise du poids de tel ou tel autre facteur sur l’issue de la maladie est délicate, surtout lorsqu’on aborde leurs interactions et leurs effets cumulatifs (sédentarité et tabagisme, par exemple). L’incertitude porte en fait sur un risque de prédisposition et la projection d’un état dont on suppose l’évolution sur la base d’indices objectivés par des examens. Comme l’évoquent Bourret et Rabeharisoa, « les pratiques cliniques se déplacent de pathologies et de patients réels vers des entités complexes (risques ou possibilité de maladies) chez des personnes dont le statut pathologique devient équivoque : personne à risque, non-malade pouvant souffrir dans le futur d’une maladie connue ou malades souffrant dans le présent d’une pathologie dont la délimitation et les liens éventuels sont très difficiles à cerner » (Bourret et Rabeharisoa, 2008 : 44). Les frontières entre normal et pathologique se brouillent, d’autant plus qu’elles subissent les effets de la division du travail. Dans le champ de la prévention cardiovasculaire, la notion même de « facteur de risque » n’est pas traitée de façon homogène entre les épidémiologistes et les cliniciens. Pour les premiers, le risque est un prédicteur de la maladie, alors que les seconds y voient une cause qu’il faut traiter (Levenson et Simon, 2004).
10En outre, lors du diagnostic, les médecins font usage d’outils de mesure, de techniques d’auscultation, de modèles de calcul du risque, etc. Ils forment les patients à l’évaluation du risque afin de déterminer communément un seuil de vulnérabilité. Les connaissances scientifiques et les outils de mesure s’imposent dans la séance comme des systèmes experts, mais aussi comme des techniques de communication. Les médecins sont confrontés à un double défi : maîtriser les risques sur le plan clinique afin de réaliser un diagnostic et un pronostic fiables, mais surtout donner une visibilité (et une intelligibilité) au risque afin de favoriser une prise de conscience sur le danger de maladie (Sarradon-Eck, 2007). Ils doivent, sur ces deux niveaux, gérer l’incertitude produite par la manipulation des outils. D’une part, les outils diagnostiques diffusent des normes qui ne dépendent pas uniquement des progrès scientifiques. Sarradon-Eck (2007) montre, par exemple, que les seuils de l’hypertension artérielle ne sont pas stables et se sont abaissés ces vingt dernières années, en répondant à une double logique scientifique et de rentabilité médico-économique de l’intervention. Pour Douglas (1986), le risque est inscrit dans un échange social contrôlé par la morale, il conduit à rendre des comptes au niveau des communautés et des normes culturelles en vigueur au sein de ces dernières. Le diagnostic conduisant à détecter les problèmes liés aux habitudes de vie est idéologiquement soutenu chez les praticiens par le recours à la responsabilité individuelle. Les arguments portant sur le « manque de motivation », « l’inaptitude à s’autonomiser par rapport au traitement », etc. conduisent à différencier « ceux avec qui on peut faire » de « ceux avec qui on ne peut pas faire » [15]. La construction des seuils comme le résultat à la fois de normes scientifiques et politiques conduit les médecins à gérer, en plus de l’incertitude liée à la connaissance scientifique, celle relative aux formes de rationalisation profanes de la maladie ou du risque (Perreti-Watel et Moatti, 2009) afin de préserver la coopération des patients. D’autre part, afin de prédire l’événement morbide ou la mortalité, ces outils permettent de traduire des faits épidémiologiques en une réalité clinique (Aronowitz, 2011 ; Giroux, 2006 ; Postel-Vinay et Corvol, 2000). Ils construisent une représentation rationnelle du danger plus ou moins accordée sur l’expérience personnelle du patient. De ce point de vue, l’utilisation des outils ne sert plus uniquement à apprécier un risque cardiovasculaire et à en déterminer le niveau ; elle s’étend, comme le suggère Setbon (2000), sur la logique politique de construction des risques sanitaires, à la prise en compte de l’acceptabilité sociale du patient à courir ces risques, c’est-à-dire à accepter l’incertitude produite par la situation de dépistage.
L’incertitude liée à l’efficacité de la prévention
11Si les professionnels de santé disent contrôler l’incertitude médicale inhérente au diagnostic et aux prescriptions en s’appuyant notamment sur les recommandations de bonnes pratiques cliniques, en revanche ils se montrent en difficulté pour engager des stratégies efficaces favorisant l’observance. Le témoignage de ce cardiologue illustre bien les doutes face au devenir des conseils hygiéniques chez des patients qui n’ont pas idée de leur maladie : « C’est pas difficile, une consultation, une hospitalisation de jour comme ça. Ce qui est difficile c’est : on fait une prescription, le patient il se sent sain, mais la prescription est nécessaire parce qu’il y a du cholestérol, de la tension, du diabète. Et la face cachée que nous on ne voit pas, c’est que les gens prennent pas leur traitement (…) On s’aperçoit à chaque fois qu’en fait, les gens abandonnent ou ils prennent un jour alterné, ou ils prennent un jour sur trois, c’est ça… et ça, nous, on n’a pas de prise là-dessus ».
12Bloy (2008) montre comment les médecins généralistes s’accommodent à l’incertitude dans le rapport au savoir médical plus ou moins articulé aux recommandations et aux preuves. Au niveau de la prévention, les omnipraticiens envisagent le travail éducatif sur le style de vie du patient avec une certaine prudence. Leur sentiment d’efficacité varie fortement d’un domaine à l’autre [16]. Lorsqu’il s’agit de donner aux patients des connaissances et des techniques pour gérer la maladie (hypertension, diabète et asthme), leur compétence perçue est forte. À l’inverse, elle est plus faible sur des interventions circonscrites aux habitudes de vie (alimentation, exercice physique, tabac, alcool). La distinction faite par les auteurs entre un « domaine à forte composante biomédicale » et un domaine dans lequel « la dimension psychologique et sociale est perçue comme importante » oppose deux types de rationalité qui recouvrent des tendances opposées de la relation médecin-patient (Cosnier, 1993). L’une est fondée sur la domination et l’expertise, l’autre sur la coopération et la coexistence entre des savoirs hétérogènes. L’incertitude qui pèse sur l’efficacité de la prévention ne renvoie pas seulement au savoir expert en conseils et recommandations mais, comme le montre Hammer (2010) à propos des types de confiance médecin-patient, à la conscience chez le profane que le médecin a une maîtrise incomplète du savoir disponible. L’incertitude est ainsi travaillée au niveau des arrangements réciproques sur la détermination du risque cardiovasculaire. Elle est, comme le suggère Quéré (2005), une modalité pratique de la confiance et de l’organisation des engagements respectifs, et non pas seulement une information probabiliste ou une croyance limitée à la sphère cognitive.
Travailler sur l’autonomie : individualiser le risque
13L’individualisation du risque permet de former au devoir de santé, par le cadre imposé de la consultation. Mais aussi, elle implique médecin et patient dans un rapport de collaboration et de confiance réciproque. Les interactions mobilisent plusieurs types de « cadrages » (Dodier, 1993a). Le médecin peut faire appel à une construction probabiliste des risques cardiovasculaires par comparaison du sujet à une population à risque. Il peut aussi, suivant une approche clinique, se fixer sur une analyse des sensations, des symptômes et de la plainte. Il peut encore établir le partage des responsabilités, déléguer au patient le soin d’analyser lui-même les risques et d’en tirer les conséquences
Le travail de l’autonomie : formater l’homo medicus
Inscrire le risque dans le corps
Faire appel aux symptômes
14Le diagnostic médical incite le patient, grâce aux outils d’auto-évaluation, à mesurer et à visualiser son propre risque cardiovasculaire [17] par un code couleur ou une échelle analogique. La démarche consiste à passer d’une comptabilité des facteurs de risque à une prédiction de maladie, et conduit le médecin à requalifier le risque dans un tableau clinique, tout en « déniant l’incertitude confinée dans l’opacité des statistiques » (Sarradon-Eck, 2007 : 156). En effet, comme le montrent les exemples ci-après, le mode de calcul relativement abstrait du risque échappe au patient, et la technique de mesure est délaissée au profit des signes cliniques de la maladie. La recherche de causalité conduit le médecin à quitter un décompte statistique en faveur d’une attention plus soutenue à l’histoire personnelle du patient (présence d’antécédents familiaux et de plaques d’athérome qui objectivent le tableau clinique). L’incertitude se déplace des probabilités aux résultats d’analyses, jusqu’à l’expérimentation d’un programme de traitement pour lequel le patient est sollicité sans vraiment avoir le choix.
15Le patient (63 ans, ancien mineur) est venu pour un problème d’élévation chronique des CPK [18] révélée lors d’un bilan neurologique. Le traitement hypolipémiant pouvant être mis en cause dans cette augmentation a été arrêté suite à la découverte de cette anomalie.
Cardiologue : « (…) Vous avez quel âge ?
Patient : 64.
Cardiologue : pardon ?
Patient : 64.
Cardiologue : On compte avec les points. Un point. Le tabac, deux points (en insistant sur le chiffre). La tension va bien ?
Patient : Bah la tension oui.
Cardiologue : Pas d’antécédents familiaux ?
Patient : Euh, non, mon père est décédé d’une crise cardiaque…
Cardiologue : À quel âge ?
Patient : 63 ans… mais il était mineur pendant longtemps hein.
Cardiologue : D’accord, au pire on en a deux. Il y en a deux, bon là sans le traitement, il y a ces petites plaques d’athérome… bon écoutez (il marque un temps d’hésitation)… je suis pas convaincu de la plainte du neurologue. Bon… (il marque encore un petit temps d’hésitation), si la prochaine fois le bilan est le même, c’est que c’est pas le médicament du cholestérol. On verra à ce moment-là. En tout cas le bilan était là pour ça, pour essayer de faire le point (…). »
17Si le recours à une forme de « singularisation clinique » (Dodier, 1993a ; Sarradon-Eck, 2007) apparaît comme une nécessité chez ce médecin qui réfléchit à voix haute, il peut être aussi lié à l’utilité de ramener le patient à ses propres symptômes afin de gagner son adhésion. La délibération qui simule l’acceptation du patient est une « scène d’autonomie » qui impose les contraintes de la décision médicale.
Pointer les déviances
18Lorsque l’outil d’évaluation est stratégiquement utilisé dans une visée d’« autoformation » du patient il peut, comme dans l’exemple suivant, apparaître inadapté, éloignant le patient de sa maladie. La surexposition du risque apparaît alors comme artificielle. Le diagnostic n’est plus une compilation de facteurs mais pointe les anomalies comme des « dysfonctionnements » à traiter dans le court terme. Le passage d’une mesure du risque à la maladie et son traitement, suggère de trouver dans les ressources du patient les points d’appui du traitement. L’extrait montre comment s’effectue la translation des responsabilités. Le médecin quitte l’approche prédictive au profit d’une analyse clinique, permettant de solliciter le changement de style de vie dans le but de limiter le traitement médicamenteux.
19Extrait d’une consultation entre un patient (52 ans, informaticien) et une cardiologue. Le patient est ici pour la première fois sur les conseils de son médecin traitant, suite à une anomalie lipidique révélée par un bilan sanguin.
Cardiologue : « Bon, votre papa a fait un infarctus à 77 ans, votre maman a du diabète et de l’hypertension… Bon, vous, votre problème c’est le cholestérol. Deux choses sont à envisager : d’abord le risque cardiovasculaire à 10 ans en fonction des paramètres actuels. Alors voilà, ça, (elle sort une feuille sur laquelle est dessiné un schéma) c’est une étude de Framingham, corrigée par SCORE, qui permet d’estimer son risque. Ben écoutez je vous invite à le faire vous-même, vous verrez : alors si vous êtes hypertendu vous marquez un point, si en plus vous avez plus de 50 ans, vous marquez un autre point (…) Ah la question qui fâche : le LDL est à 1,81 et le HDL à 0,49 (…) Donc voilà, pour vous, le risque à 10 ans est de 7 %… Ça parle pas beaucoup hein ? Bon par contre on ne sait pas si pour vous il y a fixation ou non de ce cholestérol. La question est de savoir si l’on peut agir par des méthodes non médicamenteuses… En gros, on a besoin de vous quoi… Pour moi, c’est améliorable sur le plan hygiéno-diététique, ce qui vous manque c’est un sport d’endurance parce qu’en plus, au travail, vous ne devez pas trop bouger (…) »
21Sans doute la notion de « risque global » n’est pas ici un indicateur suffisant et reste une opération formelle. Le déplacement sur un cadrage clinique permet d’envisager d’autres solutions thérapeutiques. Le contrat qui en appelle à l’implication du patient pour la réussite du programme, nécessite que le corps ne soit plus pris comme objet de prédiction mais comme témoin des comportements déviants, c’est-à-dire qui contreviennent à une norme sociale dominante. L’issue de la séquence simule une participation du patient à la décision médicale, par un appel au sujet autonome et raisonnable, responsable de ses choix.
Convertir le style de vie en remède médical
Faire de l’hygiène de vie un médicament
22La thématique du médicament apparaît comme centrale dans l’interaction au sujet des négociations sur l’hygiène de vie. Le contrat passé entre le médecin et son patient autour d’une approche médicamenteuse en complément d’un changement de style de vie, se négocie dans un travail d’accord sur la définition du risque et de sa gestion. Le médicament objective le rapport à la maladie (malgré l’absence de symptômes) et aux risques, il renvoie à l’individualisation du traitement (dose, qualité) et à l’expertise médicale. À l’inverse, les conseils d’hygiène sont symboliquement attachés à la sphère publique (Génolini et Clément, 2010) — « faire 30 minutes d’exercice physique », « manger 5 fruits et légumes », etc. — et sont l’expression d’une certaine forme de moralisation plus perméable à la critique (Peretti-Watel et Moatti, 2009). Afin de légitimer les recommandations, le médecin présente l’activité physique, l’hygiène alimentaire comme des remèdes qui, contrairement aux médicaments, nécessitent et autorisent un travail de négociation autour de leurs modes d’administration (« posologie », « dose », « fréquence », « qualité », etc.), comme le montre l’extrait suivant.
23Le patient (55 ans, employé) vient consulter dans le cadre du suivi de son diabète. Venu en compagnie de son épouse, il connaît le médecin depuis plusieurs années. Après avoir fait le point sur le dossier médical, la diabétologue décide de se pencher sur le poids du patient.
Diabétologue : « Au niveau du poids, la dernière fois j’ai noté 75 et vous veniez de prendre un kilo. Est-ce que vous avez l’impression que dans l’alimentation il y a eu des petits changements ?
Patient : Un peu plus.
Diabétologue : Vous mangez un peu plus…
Patient : Le soir un peu plus. Après j’ai l’activité physique qui a augmenté. Je me dépense plus physiquement.
Diabétologue : Qu’est-ce que vous faites de différent ?
Patient : Le potager… je me suis mis au potager.
Diabétologue : Ah oui ? Ah ben c’est bien !
Épouse : Et plus il fait de l’exercice, plus il est affamé.
Diabétologue : Oui… même si, euh, c’est une activité physique qui a pas le caractère d’un sport qui crée un déficit nutritionnel important. C’est très bien, c’est de l’endurance, mais c’est pas non plus un semi-marathon, c’est pas trois-quarts d’heure de natation non plus hein. Et quand c’est que vous allez travailler le potager ?
Patient : Le soir…
Diabétologue : Fin d’après-midi ?
Patient : Oui.
Diabétologue : Par contre comme vous y allez en fin d’après-midi est-ce que vous prenez une collation, avant ?
Patient : Non.
Diabétologue : Ben ça pourrait être une bonne idée, d’aménager une petite collation en rentrant du travail avant d’y aller. De façon à mieux gérer les quantités ensuite au repas du soir. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Patient : Ben je vais essayer…
Diabétologue : Ça pourrait être un yaourt, avec un petit peu de… un biscuit, mais pas gras, style Lu ou des choses comme ça. »
25Le traitement des facteurs de risque est laissé au jugement du patient et devient le support d’un travail sur soi dans lequel le sujet fait un arbitrage de sa conduite sous le contrôle avisé de l’expert. Ce dernier alimente progressivement sa prescription en fonction des informations obtenues sur le style de vie du patient. L’autonomie décisionnelle est bien sous l’appréciation du médecin qui valide pas-à-pas la démarche hygiénique et instille ses prescriptions.
Différencier et cumuler l’usage des médicaments et de l’hygiène
26Les prescriptions médicamenteuses et non médicamenteuses conduisent à une gestion individuelle et collective de la maladie dans la mesure où le traitement est singulier et non transférable, alors que les recommandations sont l’expression d’une norme sociale dont le propre est d’être partagée et divulguée. Les patients peuvent cloisonner les registres en considérant que les recommandations d’hygiène n’entrent pas dans le travail de singularisation que les médecins doivent réaliser. Des conflits de perspectives peuvent émerger sur la concurrence entre les médicaments et l’adoption d’un style de vie sain, et ce d’autant plus que les recommandations sont dépendantes de la division du travail. Le cumul des sources d’information provenant d’intervenants différents (infirmière, diététicienne, cardiologues), aux logiques professionnelles distinctes, peut parfois produire des effets de brouillage à propos des solutions thérapeutiques envisagées. Si les prescriptions sont faites par les seuls médecins, à l’inverse les conseils en hygiène peuvent être déployés par l’ensemble du personnel. Ainsi, la prescription médicamenteuse peut déplacer la causalité sur des facteurs de risque endogènes et situer le contrôle du danger du côté de l’expert. À l’inverse, une approche du style de vie situe la causalité dans les facteurs exogènes, et son contrôle dans une volonté personnelle de changement. Dans l’exemple suivant, la consultation avec la diététicienne, qui portait essentiellement sur les règles hygiéno-diététiques, encourageant le patient (40 ans, peintre en bâtiment) à poursuivre son régime alimentaire, est suivie par celle du cardiologue. Ce dernier cherche à optimiser le traitement thérapeutique. Deux approches de la maladie entrent en concurrence : l’une, produite par le médecin suivant une « logique de cumul », associe les traitements médicamenteux aux conduites d’hygiène afin d’augmenter les chances de guérison. L’autre, produite par le patient suivant une « logique identitaire » (Fainzang, 2003), revendique un style de vie sain symboliquement associé à une sortie de maladie.
Cardiologue : « (…) Les triglycérides étaient élevés ce matin, 3,43 g…
Patient : Ça c’est sans traitement, c’est juste en changeant mon alimentation et ma façon de faire tous les jours…
Cardiologue : D’accord, alors je suis content que vous nous disiez ça parce que ça prouve que vous avez bien compris que l’élévation des triglycérides dans le sang est très étroitement dépendante du régime alimentaire…
Patient : Oui ça prouve que je fais bien attention à certaines choses quoi…
Cardiologue : Tout à fait, donc ça c’est très bien. Bon, malgré tout, les efforts diététiques ne vous permettront jamais d’avoir un taux strictement normal, or on sait que si on les laisse élevés au long cours, ça peut faire des dégâts sur les artères, ça peut provoquer un infarctus…
Patient : En faisant du sport non ?
Cardiologue : Non je veux dire si on laisse les triglycérides élevés dans le sang sans rien faire… donc on va reprendre le traitement.
Patient : Donc si j’arrive à faire baisser avec le Lipanthyl et tout ça… vu que j’étais à 7, vu que j’ai fait des efforts pour descendre à 3 tout ça, est-ce que ça peut pas continuer à descendre un peu…
Cardiologue : Non c’est ce que je vous expliquais, même si vous faites encore beaucoup, beaucoup plus d’efforts je pense que vous arriverez à faire descendre encore, mais pas suffisamment pour qu’il soit strictement normal (…) »
28Alors même que la multiplication des points de vue sur la maladie représente une plus-value dans l’efficacité du diagnostic et du pronostic (cette construction interdisciplinaire de la prise en charge est institutionnellement présentée comme une richesse), elle conduit le patient à réinterpréter le diagnostic à la lumière des prescriptions. Le dispositif ne contrôle pas ou peu l’enchaînement des informations données au patient au fil des consultations. C’est généralement dans l’étape de synthèse qui clôture la journée que le médecin redéfinit le cadre des prescriptions et reprend la main sur les malentendus que le dispositif a pu générer par l’hétérogénéité des informations. La séance de synthèse travaille sur le partage des responsabilités. Il s’agit bien alors de mettre le style de vie sous contrôle médical.
29Les points d’appui de la formation à l’autonomie sont, comme nous l’avons montré, dans la formation du patient au savoir médical. Le guidage opéré par le médecin se particularise selon les phases de diagnostic et de prescription. Inscrire le risque dans le corps a pour objectif d’attirer l’attention du patient sur les symptômes et de lui montrer, en pointant ses conduites déviantes, les facteurs de risque sur lesquels il doit agir. Les techniques diagnostiques imposent un ordre médical sur des seuils et des normes à respecter. Même si le patient ne les comprend pas vraiment, ces informations tracent symboliquement des lignes de partage entre types de risque et responsabilités du médecin et du patient.
30La conversion du style de vie en remède médical agit sur un autre plan de la formation à l’auto-soin. Elle aborde l’hygiène comme un médicament et règle la cohérence du traitement en couplant le thérapeutique et le préventif. La prescription de l’hygiène n’est pas réductible à des recommandations, mais se présente comme une formation à la rationalité du raisonnement médical. Le patient apprend, sous le contrôle du médecin, à réfléchir méthodologiquement à la façon de s’alimenter ou de bouger, c’est-à-dire suivant les normes édictées par la prévention. L’interaction qui impose au patient une certaine réflexivité sur son mode de vie lui montre, par l’analyse causale propre à l’interrogatoire, que le style de vie est aussi d’une certaine manière de la chimie organique qui a un effet dose/réponse sur la maladie. Par-delà l’homologie biomédicale entre contrôle de l’hygiène et posologie, le patient apprend à faire prévaloir une « logique de cumul » sur la « logique identitaire ». La neutralisation du rapport au style de vie comme expression de l’image de soi forme le sujet à un corps objet de soin.
Le travail de l’autonomie : mettre le patient en confiance
31Les points d’appui de la formation de l’homo medicus, s’ils s’imposent à travers la structure inégalitaire de la prise en charge fondée sur le pouvoir de l’expert, sont aussi le support à des interactions coopératives. Le dispositif, par les divers types de cadrage (« administratif », « clinique », « du sujet autonome ») qu’il applique au patient (Dodier 1993a), met en discussion le risque et l’incertitude tout en favorisant l’émergence d’une relation de confiance. Il institutionnalise, d’une certaine manière, un « dispositif de confiance » autour de deux axes (Karpik, 1996 ; Quéré, 2005) formés par les « dispositifs de jugement » et les « dispositifs de promesse ». Les premiers sont relatifs à l’expertise médicale perçue (notoriété du médecin, statut de l’intervenant, etc.) mais peuvent aussi s’appuyer sur les réseaux profanes (Freidson, 1970) comme source d’information légitime. Ils peuvent aussi fonctionner sur une confiance « impersonnelle » aux catégories de classement du risque en « population », « groupe », « niveau », etc. qui d’emblée imposent les mesures antidotes d’hygiène de vie. Les « dispositifs de promesse » renvoient quant à eux au principe d’une confiance garantie par l’ordre disciplinaire de l’éthique professionnelle et la clairvoyance à l’égard des décisions à prendre pour améliorer la santé. Pour le patient, c’est une conviction dans l’idée que la médecine agit avant tout pour son bien, alors que, pour le médecin, la croyance porte sur les responsabilités partagées et sur le fait que, celles-ci étant clairement posées, le patient ne tire pas profit de la situation en cas d’échec ou de récidive. L’instigation de transactions contractuelles qui permettent de garantir l’écoute mutuelle, assortie des obligations morales, ouverte à la critique et à la discussion transparente peut être considérée comme une autre forme de « dispositif de confiance » [19].
32L’élaboration du diagnostic et du pronostic apparaît comme une activité réflexive dans laquelle le médecin tente d’expliquer, avec beaucoup de pédagogie, les différentes phases des examens et leur utilité pour une exploration complète des risques. Ce travail sur l’intelligibilité du problème de santé peut générer de l’incertitude et mettre à mal tant le « dispositif de jugement » que le « dispositif de promesse ». Comme le pose Fainzang (2006) au sujet du cancer, les discours autour du médicament ou des examens médicaux sont aussi pour le patient des activités de prédiction. Notamment lorsque le médecin hésite ou se rend compte que les termes ou les avis qu’il émet peuvent être anxiogènes ou incompréhensibles. La transparence affichée se mue alors en opacité et altère la relation de confiance.
33Comment dans l’interaction se construit la confiance ? Comment le médecin tente-il à la fois de protéger la confiance dans l’expertise du dispositif, et de clarifier les engagements réciproques en termes de responsabilité ? Dans l’extrait suivant, le médecin crée un doute sur la présence de plaques d’athérome et, compte tenu de l’activité physique du patient (70 ans, retraité), exprime la nécessité de faire une coronarographie, pour finalement revenir sur cet avis en considérant que le patient est suffisamment entraîné. Le raisonnement médical probabiliste qui conduit finalement le cardiologue à remettre en question l’intérêt de l’examen (le patient fait quotidiennement des efforts d’intensité modérée) butte sur celui du patient désireux d’éprouver ses propres limites physiologiques et d’apprécier les marges de sécurité relatives à une pratique régulière de la randonnée en moyenne altitude, son activité « favorite ».
Cardiologue : « (…) Bon alors, ischémie minime… alors… alors… qu’est-ce qu’on fait ? Parce que, je vous explique : quand on fait tous ces tests là on essaie de savoir indirectement si le patient souffre de quelque chose, d’une obstruction d’une artère. Alors il y a des endroits c’est simple, ici là (il désigne l’artère carotide avec le doigt), ça se voit très facilement. Pour les coronaires on ne peut pas les trouver… donc c’est indirect : donc là, la scintigraphie dit : “il y a un petit (en insistant) morceau en aval d’une artère qui, peut-être (insistant une fois de plus sur le terme), souffre de n’être pas assez irriguée”. Donc c’est pour ça qu’il fallait discuter avec vous, parce que généralement l’étape suivante c’est la radio de l’artère. Vous savez la co-ro-na-ro-graphie. Donc il fallait absolument en discuter avec vous parce que ça dépend un petit peu du degré d’angoisse, parce que là il y a une hypofixation, minime hein. Vous, vous faites… hein c’est ça qui est important… 150 watts c’est-à-dire un gros effort à l’épreuve d’effort donc ça serait… la coronarographie il faut la faire par rapport à la montagne essentiellement…
Patient : Voilà.
Cardiologue : Pas tellement par rapport à la vie parce que dans la vie vous allez pas faire, 180 watts au cours d’un col ou je sais pas quoi, mais pas dans la vie quotidienne.
Patient : Je monte assez haut quand même. Je monte à 175 de pulsations quand même. Mais je redescends peut-être 30 secondes après, je redescends à 140.
Cardiologue : Vous êtes entraîné ouais. Donc… pfff… donc voilà… (le cardiologue ne semble pas convaincu de l’utilité de la coronarographie).
L’épouse : Oui faut faire attention quand même…
Cardiologue : Qu’est-ce que vous en pensez, vous ?
Patient : Moi je ne suis pas angoissé. Maintenant comme je vais faire la. Corse là, bon il y a quelques petits cols quand même (…). »
35Il s’agit de montrer au patient qu’il est possible techniquement de contrôler sa maladie, mais dans le même temps de lui laisser une part de décision face à un niveau d’incertitude relatif à une anxiété personnelle.
36Face à des patients qui ont complètement assimilé l’incertitude liée à leur état de santé, le raisonnement médical consistant à prescrire un examen ou un médicament est une prédiction sur un futur, et définit plus ou moins les conditions d’un espoir. Du point de vue du patient, il peut y avoir un certain paradoxe à prétendre que le risque est négligeable alors même qu’il reste une suspicion sur des signes cliniques de pathologie. Dans ce travail de régulation autour de la définition d’un risque acceptable, les médecins, comme le note Fainzang (2006), se trouvent dans une position de « double-blind ». Il leur faut dans l’interaction veiller à ne pas inquiéter les patients et, par ailleurs, leur laisser une certaine autonomie dans la gestion de la maladie dans le but de gagner leur adhésion thérapeutique.
37Le cardiologue prend la mesure des effets du changement de décision et souscrit finalement à la demande du patient. Mais, loin de le rassurer sur son état de santé, l’acceptation de l’examen radiologique complémentaire renforce l’incertitude du patient. Cette dernière se déplace au fil des communications et se nourrit des informations et des justifications apportées. Elle conduit pas-à-pas le patient à façonner son propre pronostic qui échappe au contrôle du médecin. Les registres de communication respectifs du patient et du médecin se trouvent disjoints, engageant la relation médicale dans un quiproquo. Il s’agit alors de trouver des scénarii de sortie possibles en réponse à l’incertitude produite par la situation.
Cardiologue : « Bon, écoutez, voilà. Il faut faire cet examen radiologique, ça vous impose de rentrer la veille au soir ici. Et puis après vous repartez le lendemain si c’est normal. C’est ce qui est le plus probable quand même.
Patient : Donc vous me conseillez de faire cet examen ?
Cardiologue : Je vous conseille à cause de votre belle activité sportive. Parce que s’il vous arrive un pépin en Corse, ce ne sera pas forcément grave hein, ce sera une douleur ou un petit infarctus, des choses comme ça, mais si on arrive à le prendre en amont, vous aurez rien. C’est-à-dire qu’on prendra les bons médicaments, ou de bonnes mesures et il n’y aura pas de problème. Mais vous pourrez continuer pareil hein je veux dire, ça ne contre-indiquera pas la suite hein ? Quel que soit le résultat. Vous pourrez continuer la randonnée (…)
Patient : Supposons qu’à cet examen on trouve quelque chose.
Cardiologue : Quelque chose ? On est en amont, donc si on trouve quelque chose, ça sera traitable par, vous savez ce qu’on appelle les dilatations des artères, on met un petit ressort dedans pour empêcher que ça s’écrase l’artère. Et voilà donc au pire ça sera ça. »
39L’approche prédictive du risque produit des malentendus. Ces derniers portent sur des représentations différenciées du sens des examens et des prescriptions médicales. Par exemple, l’inutilité d’un examen est pour le cardiologue plutôt le signe d’un bon pronostic et donc un élément rassurant sur les capacités favorisant à terme l’autonomie du patient. Pour ce dernier, à l’inverse, ce peut être une source d’anxiété, celui-ci devant assumer seul l’incertitude d’un pronostic se fiant essentiellement aux probabilités de réussite déterminées par l’expert. Par ailleurs, pour le médecin, souscrire à la demande du patient peut être une démarche d’écoute de la plainte réduisant, par l’expertise clinique, l’inquiétude du patient concernant la poursuite de son activité physique. Mais cette approche peut elle-même conduire le patient à adopter un point de vue probabiliste qui crée, dans sa recherche de prédiction, une incertitude supplémentaire.
40Pour le médecin, il est important de favoriser l’engagement du patient dans un mode de vie actif. Mais dans le même temps, il lui faut clarifier la situation sur le principe du consentement éclairé. Le « dispositif de confiance » est un guidage qui fait du patient un sujet autonome mais sous contrôle médical. L’autonomie du patient reste envisageable à partir d’une reprise en main possible par le médecin des conséquences liées à l’activité du patient. Le travail sur l’autonomie consiste non seulement à formaliser dans la consultation un cadrage du sujet autonome, mais aussi à rendre crédible les engagements dans un étayage réciproque sur les risques encourus. L’interaction médecin-patient au sujet d’un risque acceptable n’est donc pas tant dans l’acceptation du risque par le patient, que dans la mise en œuvre d’un travail de réassurance sur les perspectives d’intervention ou de repli, le « cas où ! ». C’est par le contrôle du niveau d’expertise d’une part, et les promesses sur le suivi de la prise en charge, d’autre part, que se scelle la confiance au dispositif. En ce sens, le travail éducatif sur l’autonomie reste une relation de coopération visant à colmater les brèches de l’incertitude produite par la situation.
Conclusion
41L’analyse a montré que la formation du patient à l’autonomie se réalise au cœur même de la prise en charge médicale et par incidence. L’activité éducative peut être de ce point de vue envisagée comme un « sens pratique » [20] médical qui conduit les médecins, par-delà la diffusion de connaissances, à adopter des pédagogies leur permettant de transférer chez les patients une posture de responsabilité et un raisonnement médical. Ils utilisent pour cela le levier des risques et l’incertitude produite par la situation. La mise en autonomie correspond au maintien d’une vigilance active, entretenue par l’exercice du jugement médical. Les différentes formes de cadrages mobilisées par le médecin permettent d’ajuster un niveau d’incertitude compatible avec la connaissance du problème de santé, le contrôle des émotions qu’il suscite et le maintien d’une intention d’agir pour sa santé. Par-delà la nécessité de maintenir le contact et le suivi des patients, il s’agit de contrôler « l’opportunisme » de ces derniers. C’est-à-dire la possibilité d’être bénéficiaire d’une prise en charge diagnostique sans pour autant s’engager personnellement dans le suivi de sa maladie. En ce sens le dépistage fonctionne à deux niveaux :
- il fournit les connaissances utiles permettant de réduire l’ignorance du patient sur son état de santé. Il façonne la confiance dans les données scientifiques sur la maladie, les objets techniques susceptibles d’en déterminer les contours, les dénominations médicales qui permettent de classer les troubles, etc. Pour que ces « dispositifs de jugement » (Karpik, 1996) acquièrent une certaine forme d’autorité, nous avons montré, d’une part, que la maladie révélée par des données abstraites s’inscrivait dans le corps par le recours aux symptômes, et s’objectivait dans les écarts de conduite en prenant ce dernier à témoin et, d’autre part, que les conseils en prévention empruntaient, pour acquérir une légitimité, les voies traditionnelles d’une démarche curative par la prescription et la complémentarité des traitements. La démarche préventive, pour susciter la confiance, se mue, sur la forme au moins, en démarche curative ;
- il donne au patient des garanties qui le poussent à s’en remettre à l’institution médicale et l’assurent du suivi et de la continuité des prises en charge. En contrepartie, il attend de celui-ci une certaine forme de respect des obligations morales diffusées à travers le diagnostic, les prescriptions et les recommandations. Dans les échanges d’informations, les tentatives de clarification, etc., sont négociées des valeurs sur fond d’incertitude. L’incertitude à l’égard de la maladie et de son évolution se déplace, pour le patient, sur une incertitude à l’égard de l’institution et de son accompagnement et, pour le médecin, sur une incertitude dans l’application des consignes médicales. La situation de dépistage apparaît, dans nos observations, comme une tentative de contractualisation d’un accord qui vise à neutraliser la méfiance. Peut-être pouvons-nous voir dans les stratégies « d’appel à la peur » souvent utilisées pour signifier un risque vital et provoquer une conversion, l’affichage d’une règle qui pose d’emblée le patient face aux obligations professionnelles des médecins ? Mais d’autres stratégies peuvent être utilisées. Les observations que nous avons rapportées ici sont plutôt dans la co-construction des normes autour d’un risque acceptable. Seules les interactions en face à face permettent de parvenir à un accord pour lequel médecin et patient testent leur loyauté, définissent leurs obligations morales et, le cas échéant, confessent mutuellement leurs difficultés à adopter un style de vie conforme aux normes médicales hygiéno-diététiques actuelles (Génolini et al., 2011). Le dépistage fonctionne bien comme un « dispositif de promesse » qui rend lisibles les engagements entre, du côté médical, une prise en charge efficace du risque assortie d’un contrôle de la trajectoire de maladie et, en contrepartie, du côté des patients, une attention à leur santé et une surveillance impérative de soi (Lupton, 1995 ; Vigarello, 1993).
42Liens d’intérêts : aucun.
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Mots-clés éditeurs : confiance, relation thérapeutique, autonomie, incertitude, risque cardiovasculaire
Date de mise en ligne : 26/06/2013
https://doi.org/10.1684/sss.2013.0201Notes
-
[*]
Julien Cazal, sociologue, docteur en STAPS, Laboratoire PRISSMH-SOI, EA-4561, Université Toulouse 3 Paul-Sabatier, 118, route de Narbonne, 31062 Toulouse Cedex 9, France ; cazal.julien@gmail.com
-
[**]
Jean-Paul Génolini, psychologue social, maître de conférences, Laboratoire PRISSMH-SOI, EA-4561, Université Toulouse 3 Paul-Sabatier, 118, route de Narbonne, 31062 Toulouse Cedex 9, France ; jean-paul.genolini@univ-tlse3.fr
-
[1]
Selon les termes utilisés en cardiologie, on peut distinguer les facteurs de risque dits « majeurs » (diabète, hypertension artérielle, dyslipidémie, tabagisme, âge), des facteurs de risque dits « prédisposants » (obésité, sédentarité, hérédité).
-
[2]
La conceptualisation du changement de comportement en santé publique repose principalement sur des modèles individualistes tels que celui des « croyances pour la santé » ou Health Belief Model (Rosenstock, 1974). Celui-ci postule « qu’un individu est susceptible de poser des gestes pour prévenir une maladie ou une condition désagréable s’il possède des connaissances minimales en matière de santé et s’il considère la santé comme une dimension d’importance dans sa vie » (Godin, 1991 : 70).
-
[3]
Reprenant cette notion de Giddens (1994), la culture du risque découlerait du processus d’individualisation des sociétés modernes, où chacun serait en mesure d’évaluer rationnellement les risques qu’il encourt et de mettre en œuvre les conduites adaptées.
-
[4]
Comme cela a été montré dans le domaine de la cancérologie (Fainzang, 2006).
-
[5]
Par « systèmes experts », l’auteur entend « des domaines techniques ou de savoir-faire professionnel concernant de vastes secteurs de notre environnement matériel et social », auxquels les non-initiés sont contraints, faute de compétences, d’accorder leur confiance. Ces systèmes représentent, par exemple, l’ensemble des techniques, technologies ou encore savoirs médicaux qui sont manipulés par les professionnels dans l’interaction avec le patient.
-
[6]
Cette notion, proposée par Pinell (1992) dans son étude à propos de la lutte contre le cancer, est le pendant sanitaire de l’homo economicus. Elle correspond à une figure idéale du « malade d’aujourd’hui » qui serait « prédisposé à jouer le jeu ». Elle implique d’envisager les patients comme des acteurs rationnels au sujet de la maladie et du risque.
-
[7]
Il s’agit, suivant le principe du « dispositif de promesse » (Karpik, 1996), d’éviter toute forme d’opportunisme, le médecin pouvant se voir reprocher de n’avoir pas tout dit au patient, au même titre que le patient pourrait ne pas appliquer des recommandations qui lui ont été faites.
-
[8]
Selon un rapport de l’ANAES, « l’approche recommandée en France (…) pour évaluer le risque cardiovasculaire global repose sur la sommation des facteurs de risque, chacun étant considéré comme binaire (présent ou absent) et ayant un poids identique. Ce risque est estimé faible, modéré ou élevé selon le nombre de facteurs de risque présents. Les principales recommandations internationales préconisent d’estimer le RCV global. Il n’y a pas, en 2004, de consensus concernant le choix de la méthode d’estimation de ce risque (sommation des facteurs de risque ou modélisation statistique) » (ANAES, 2004 : 9).
-
[9]
Pour Strauss, il n’existe pas d’ordre social qui serait unilatéralement imposé. En particulier dans le domaine médical, l’ordre des interactions résulte la plupart du temps d’une action concertée entre les individus.
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[10]
L’interaction médecin-patient peut être analysée comme une succession de « cadrages de l’individu » (Goffman, 1991) par les soignants. Ces derniers s’ajustent aux intérêts d’arrière-plan des patients mais participent aussi à leur construction. Nous en restons pour l’étude au constat d’existence de ces intérêts d’arrière-plan sans en préciser la nature stratégique ou dispositionnelle. Pour Dodier (1993a), la notion de cadrage de l’individu est liée au régime d’action dans lequel s’engage l’acteur et au modèle d’expertise auquel le médecin se réfère.
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[11]
L’athérosclérose se caractérise par une accumulation, sur la paroi des artères, de lipides ou de graisses (mauvais cholestérol), de produits du sang, etc., pouvant entraîner avec le temps des lésions. C’est le principal responsable, entre autres, de l’infarctus du myocarde.
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[12]
Le service a été créé en 1994 à l’initiative de quelques cardiologues « sensibles » à la prévention des maladies cardiovasculaires, et dont l’un d’entre eux est actuellement le chef de service. Au départ centrée sur le diagnostic des troubles cardiométaboliques impliqués dans l’athérosclérose, l’offre a été complétée par la mise en place d’un programme d’éducation thérapeutique au début des années 2000 au moment, notamment, où un programme national de réduction des risques cardiovasculaires voit le jour. On compte aujourd’hui quatre autres services similaires répartis en France au sein de CHU.
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[13]
Du fait de l’hétérogénéité des causes de la maladie, le patient rencontre successivement près de sept intervenants différents au cours d’une journée-type. De manière générale, il voit d’abord une infirmière (spécialisée dans le domaine de l’éducation thérapeutique), un premier médecin chargé de mener une enquête épidémiologique et de faire une première auscultation. Il rencontre ensuite une diététicienne durant 30 à 45 minutes puis il se rend aux différents examens cliniques où, là encore, il peut rencontrer jusqu’à trois spécialistes en cardiologie. Enfin, la synthèse est réalisée par le cardiologue référent.
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[14]
La plupart du temps asymptomatiques, certains facteurs de risque (hypertension artérielle, hypercholestérolémie, etc.), sont souvent qualifiés par le milieu médical de « tueur silencieux » ou de « maladie insidieuse », avec lesquels le patient peut même « vivre normalement » pendant plusieurs années, d’autant plus que les traitements actuels permettent de contrôler efficacement certains facteurs de risque dits « majeurs » (diabète, dyslipidémie, hypertension artérielle).
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Voir l’étude Intermède (Lang et al., 2008) portant sur « l’interaction entre médecins et malades productrice d’inégalités sociales de santé ».
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Voir Aulagnier et al., 2007 ; Baromètre santé médecins/pharmaciens, INPES, 2003. Les descriptions sont assez homogènes entre ces deux enquêtes. Il est toutefois délicat, dans ces études, de dissocier l’éducation thérapeutique des pathologies chroniques d’une intervention sur les habitudes de vie, puisqu’en première intention les recommandations portent sur l’alimentation et l’exercice physique.
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Certaines modélisations permettent de visualiser la « gravité » de son propre risque à l’aide de couleurs, par exemple du vert pour un risque faible au rouge foncé pour un risque très élevé. Le modèle de SCORE, utilisé dans les exemples suivants, permet d’évaluer la probabilité absolue à dix ans de développer un événement cardiovasculaire fatal. Il inclut la prise en compte dans le calcul des facteurs de risque suivants : le sexe, l’âge, le tabagisme, la pression artérielle systolique et, soit le cholestérol total, soit le rapport cholestérol/HDL.
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La créatine phosphokinase (CPK) est une enzyme essentielle au métabolisme du muscle. Son dosage sert au diagnostic et au suivi des attaques cardiovasculaires.
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Les pratiques médicales plus ou moins formelles liées au consentement éclairé peuvent être assimilées, comme le souligne Ducournau (2010), à des « rituels de confiance » qui renforcent des valeurs fondamentales dans l’équilibre de la relation telles que l’autodétermination, la bienfaisance ou la confiance.
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Pour Bourdieu (1980), le sens pratique serait la faculté d’un individu à orienter ses conduites, de manière relativement inconsciente et quelle que soit la situation, en particulier grâce aux dispositions acquises antérieurement.
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Cela d’autant plus que, dans le domaine de la prévention, le primat du colloque singulier entre médecin et patient tend à disparaître — du moins à être nuancé — au profit d’une approche pluridisciplinaire.