Couverture de SSS_281

Article de revue

Quand la réanimation échoue : l'expérience des familles

Pages 43 à 70

Notes

  • [*]
    Émilie Legrand, sociologue, GRIS, Université de Rouen, UFR de Sociologie, rue Lavoisier, 76 821 Mont-Saint-Aignan Cedex, France ; legrand.emilie@voila.fr
  • [1]
    Ne nous intéressant qu’aux patients adultes, nous ne mentionnons pas les services de réanimation pédiatrique ou néonatale.
  • [2]
    Nous empruntons le terme de trajectoire à Strauss. « Le terme de trajectoire renvoie non seulement au développement physiologique de la maladie de tel patient mais également à toute l’organisation du travail déployée à suivre ce cours, ainsi qu’au retentissement que ce travail et son organisation ne manquent pas d’avoir sur ceux qui y sont impliqués. Pour chaque maladie différente, sa trajectoire imposera des actes médicaux et infirmiers différents, différents types de compétences et de savoir-faire, une répartition différente des tâches entre ceux qui y travaillent, y compris, le cas échéant, les parents proches et le malade, et exigera des relations différentes entre ceux-ci » (cité par Baszanger in Strauss, 1992 : 29).
  • [3]
    Lois de bioéthique de 1988 et 1994 (elles ont introduit l’obligation d’information afin de requérir le consentement écrit du patient ou de son représentant légal préalablement à sa participation à une recherche biomédicale), code de déontologie et charte du patient hospitalisé en 1995, loi sur le droit des malades et la qualité du système de soins en 2002.
  • [4]
    Fox (1988) a largement travaillé sur cette question de l’incertitude médicale et des ressources mobilisées pour y faire face.
  • [5]
    Une consigne de départ, simple, était donnée aux interlocuteurs : pouvez-vous me faire part de votre expérience dans le service de réanimation : qu’est ce qui y a conduit votre proche, et comment les choses se sont-elles déroulées ? Les interviews (n = 48) ont eu lieu majoritairement (à l’exception de 4) au domicile des familles, pour lesquelles il était difficile de revenir dans le service.
  • [6]
    Parmi les professionnels interviewés : six médecins, six internes, quinze soignants (infirmières, aides-soignantes) entre octobre et décembre 2004.
  • [7]
    Nous avons privilégié un mode d’accès direct aux interviewés en utilisant le fichier informatique des patients décédés dans le service de réanimation entre juillet 2004 et juin 2005. Nous avons procédé à l’envoi systématique d’un courrier à l’ensemble des familles concernées, suivi, une semaine après, d’un appel téléphonique. Le soutien de l’une des secrétaires du service a été, à cette étape de l’enquête, tout à fait crucial et précieux puisque c’est elle qui a effectué ce travail téléphonique. Le délai choisi pour contacter les familles a d’abord été arbitraire (à 6 mois du décès dans une première phase de l’enquête), puis par tâtonnements, pour tenter de parvenir à un maximum de réponses positives. Ainsi, nous avons progressivement réduit ce délai pour finalement le fixer à 2 mois après le décès. Il était difficile de statuer sur un délai « idéal » puisque, pour ce type d’événement, l’expérience et les impressions sont personnelles. Néanmoins, c’est à 2 mois après la date du décès que nous obtenions le plus de réponses favorables. La constitution de notre échantillon s’est donc faite en fonction de l’acceptation ou du refus de l’entretien, mais également en fonction de la possibilité ou de l’impossibilité de contacter les personnes concernées : pas de numéro de téléphone, mauvaise adresse, numéro erroné, absences permanentes (répondeur). Dans ces cas là, nous envoyions un courrier de relance dans lequel nous demandions à la personne de nous contacter si elle était d’accord pour l’entretien. In fine, un tiers des courriers envoyés sont restés sans réponse. Un autre tiers des personnes contactées ont refusé l’entretien ; refus que l’on peut imputer au thème de l’enquête et la difficulté pour ces familles à se remémorer cette période, ce qui se manifestait le plus souvent par des pleurs au téléphone. Et, enfin, le dernier tiers qui acceptait la rencontre. Il faut, par ailleurs, mentionner que les personnes ayant refusé l’entretien ou n’ayant pu être contactées ne se distinguaient pas, du point de vue des variables sociologiques, ni des conditions du décès dans le service (d’après les informations du dossier informatique), des personnes qui l’ont accepté. L’anonymat le plus complet des personnes interviewées est bien sûr préservé dans la restitution des discours. Le choix de l’échantillon a répondu aux principes de « l’échantillonnage théorique » (Corbin et Strauss, 2004). Ainsi, dans la continuité de ce qu’ont fait Glaser et Strauss (1965, 1968) dans leur enquête sur les soins aux mourants, nous nous sommes intéressée à des unités diversifiées pour tenter de couvrir tous les cas significativement différents. La diversité a, dans le cas présent, été atteinte par la diversité des variables sociologiques classiques (âge, sexe, CSP) mais aussi par la variabilité de celles supposées jouer un rôle important dans la structuration des réponses : âge du défunt, type de pathologie ayant conduit au décès, antécédents médicaux ou non, décès plus ou moins rapide allant de quelques heures à quelques semaines dans le service de réanimation, liens de parentés avec le défunt. Ainsi, et malgré la singularité de l’histoire de vie de chacun, le travail peut être considéré comme significatif.
  • [8]
    Ce fatalisme peut apparaître après une phase d’espoir lorsque, progressivement, la réalité de l’inéluctabilité de la mort devient criante. Mais il nous a semblé que, dans ces situations, il était préférable de parler de déconstruction de l’espoir dans la mesure où l’expérience du « dé-s-espoir » se construit concomitamment au décours de la trajectoire. La notion de fatalisme est ici employée en résonance avec l’idée d’immédiateté, pour signifier que d’emblée, le pessimisme est de mise.
  • [9]
    Une étude, menée en 2001 par Pochard et al., mentionne l’information des familles des patients dans 59,1 % des cas en réanimation (cité par Orfali, 2002).
  • [10]
    Nous verrons cependant, dans la suite de notre propos, que, dans des contextes d’incertitude, les professionnels veillent à maintenir un certain espoir en délivrant des « demi-vérités » et, surtout, en « surjouant l’incertitude » (Paillet, 2000, 2007).
  • [11]
    Glaser et Strauss définissent quatre grands contextes de conscience. « Il y a la situation dans laquelle le patient ne s’aperçoit pas de sa mort imminente alors que tout le monde le sait (conscience fermée). Il y a la situation dans laquelle le patient soupçonne ce que les autres savent et donc s’efforce de confirmer ou d’écarter son soupçon (conscience présumée). Il y a la situation dans laquelle chaque partie considère le malade comme mourant, mais chacun feint de croire que l’autre l’ignore (conscience de feinte mutuelle). Et, enfin, il y a la situation dans laquelle le personnel médical et le patient sont tous deux conscients que ce dernier est mourant (conscience ouverte) et en tiennent compte dans leurs interactions » (Strauss, 1992 : 113).
  • [12]
    C’est moi qui précise.
  • [13]
    D’autant que les profanes ne tolèrent pas toujours les erreurs d’anticipation pronostique d’une médecine qu’ils envisagent souvent comme une science prédictive, presque infaillible.
  • [14]
    Sa mère, âgée de 62 ans, après des complications chirurgicales, est transférée en réanimation où elle décède dans les 12 heures qui suivent.
  • [15]
    La jeune femme resta hospitalisée dix jours dans le service de réanimation avant de décéder.
  • [16]
    Ils sont d’ailleurs plus souvent dans l’incertitude quant à son avenir à court terme que dans la situation de certitude quant à son décès imminent que nous avons évoqué précédemment.
  • [17]
    Mr L., âgé de 52 ans, a été hospitalisé dans le service après un arrêt cardiaque. Il y resta 17 jours. Le diagnostic de coma végétatif a conduit à un arrêt de soins, puis à son décès.
  • [18]
    Le décès du patient survint moins de 12 heures après son entrée en réanimation.
  • [19]
    Son mari, âgé de 78 ans, est resté hospitalisé un mois et demi dans le service avant de mourir.
  • [20]
    Nous reprenons ici les termes employés par les enquêtés.
  • [21]
    Son père, âgé de 70 ans, atteint d’un cancer, est mort d’un arrêt cardiaque moins de 24 heures après son admission en réanimation.
  • [22]
    Aucune différentiation selon l’origine sociale, le type de pathologie, le temps de présence dans le service … n’a pu être remarquée. Il semble que ce soit une représentation unanime du service après le décès d’un proche. L’issue défavorable de la trajectoire du patient est, en effet, importante à considérer pour saisir pleinement le discours et les représentations des personnes interviewées.
  • [23]
    Son mari, âgé de 35 ans, était suivi pour un lymphome malin non hodgkinien dans un centre de lutte contre le cancer ; des complications l’ont conduit en réanimation où il resta 10 jours avant de décéder.
  • [24]
    La fuite apparaît alors comme une protection. Soulignons que cette fuite face aux mourants et à la mort s’inscrit dans le rapport à la mort dominant de nos sociétés contemporaines (Ariès, 1975 ; Bacqué, 2003 ; Gorer, 1995 ; Legrand, 2006 ; Thomas, 1985).
  • [25]
    Mr C. est en phase terminale d’un cancer, lorsqu’il perd connaissance à domicile. Son épouse fait alors appel aux services d’urgences qui le transfèrent immédiatement en réanimation. Il décède dans le service dans les premières 48 heures.
  • [26]
    Sur cette question de la sollicitude et alors que, dans la plupart des cas, les profanes disent des professionnels qu’ils font preuve d’empathie et de sollicitude à leur égard, un cas particulier mérite d’être mentionné : les situations de décès rapides pour lesquelles la durée d’hospitalisation en réanimation n’excède pas quelques heures. En effet, lorsque le patient décède dans les heures qui suivent son admission, l’action des professionnels se concentre sur l’acte technique. Ainsi, compte tenu de la courte durée de la prise en charge, ils ne s’approprient ni le patient, totalement désinséré d’une histoire sociale et réduit à son aspect organique, ni la famille avec laquelle ils n’ont pas de contacts préalables sauf au moment de l’annonce du décès, ce qui donne souvent à l’entourage un sentiment de déshumanisation
  • [27]
    Son père, âgé de 63 ans, décéda dans les 12 heures qui suivirent son admission.

1Les services de réanimation reçoivent des patients qui présentent une ou plusieurs défaillances aiguës, pouvant mettre en jeu le pronostic vital à court terme et ils réalisent des actes médicaux souvent très lourds visant à suppléer les défaillances vitales (Durocher, 2005). Il est habituel de distinguer plusieurs types de structures selon que le malade nécessite ou non un acte chirurgical et, notamment, la réanimation médicale et la réanimation chirurgicale [1]. Les patients admis en réanimation sont donc dans un état critique et bien que ces services hypersophistiqués bénéficient d’un lourd plateau technique, où tout est mis en œuvre pour sauver le patient, le risque létal est particulièrement élevé (le taux de mortalité frôle les 25 %). Ces services concentrent, par ailleurs, une forte proportion de décès puisque, sur les 70 % qui surviennent à l’hôpital, 50 % sont répartis entre les services d’urgence et de réanimation, tendance qui risque de se renforcer si l’on en croit l’analyse de Kentish-Barnes. En effet, cette dernière avance que l’hôpital devient une institution de soins dans laquelle ne seront hospitalisés que les patients les plus gravement atteints, en raison de la multiplication des alternatives à l’hospitalisation classique (hospitalisation à domicile, hôpital de jour). En conséquence, l’auteur émet l’hypothèse que « la place relative des services de réanimation au sein de l’hôpital sera croissante » (Kentish-Barnes, 2007 : 455) et que, de surcroît, la mort qui n’était qu’un aspect de l’activité des réanimateurs est en passe de devenir centrale, au cœur même de la définition de leur travail.

2Ainsi, même si la réanimation reste, selon l’expression de Paillet (2007), « une médecine de combat » où tout est fait pour empêcher la personne de mourir, la trajectoire de la maladie [2] (Strauss, 1992) peut revêtir deux formes, une trajectoire ascendante ou, à l’inverse, une trajectoire descendante qui peut s’établir brutalement ou, au contraire, progressivement. C’est précisément sur ces dernières que nous avons porté notre attention en nous focalisant sur l’expérience des familles qui ont perdu un proche dans un service de réanimation médicale.

3En France, les travaux sociologiques ou anthropologiques portant sur la réanimation restent peu nombreux. Ils ont commencé à se développer avec les recherches de Paillet, au tournant des années 2000, et de Gisquet (2004) et ont été consacrés aux décisions de fin de vie en réanimation néonatale. Concernant la réanimation des adultes, il faudra attendre le travail de Kentish-Barnes (2005) qui s’est également intéressée, dans le prolongement des travaux réalisés en néonatalogie, aux processus décisionnels de fin de vie dans ces services.

4Chacune de ces recherches a donc mis l’accent sur les pratiques professionnelles et, notamment, les processus décisionnels et les dimensions éthiques qui y sont afférentes dans le contexte particulier de la mort en réanimation, mais aucune ne prend la famille comme mode d’entrée privilégié. Rimbert, dans une lecture croisée des ouvrages Bien mourir. Sociologie des soins palliatifs (Castra, 2003) et Sauver la vie, donner la mort. Une sociologie de l’éthique en réanimation néonatale (Paillet, 2007), regrette d’ailleurs — et s’en interroge — que l’ouvrage de Paillet ne laisse pas davantage de place aux parents pour expliquer la « non-place » qui leur est faite : « il est dit que les parents des enfants admis dans les services de réanimation néonatale sont écartés, tenus à distance. Effectivement, on ne les voit pas directement dans l’ouvrage. Est-ce un parti pris éditorial ? Y a-t-il du matériel délibérément écarté ? Si oui, pourquoi ? Et sinon, la relative absence n’est-elle pas aussi due à la politique de terrain, qui consistait surtout à être présent sur des lieux où, justement, les parents ne sont pas ? Or, ils devaient bien être quelque part. La question est d’autant plus importante qu’elle débouche sur une autre : comment évoluerait la régulation du dilemme moral sous l’effet d’une (re)formulation du point de vue des familles ? » (Rimbert, 2007 : 4).

5Pour notre part, il nous a semblé pertinent de porter une attention particulière à l’expérience vécue par les familles dont l’un des membres meurt dans un service de réanimation, cette expérience étant saisie telle qu’elle a été reconstruite (dans les discours) quelques mois après le décès d’un proche. Nous nous sommes donc particulièrement intéressée, pour paraphraser l’auteur précédemment cité, à la formulation du point de vue des familles.

6L’objet de cet article, dans la continuité de ce que suggère Becker (2002), sera alors de montrer comment les choses se passent, de quelle manière cette expérience particulière se construit.

7Les travaux sociologiques, précédemment cités, portant sur la réanimation, et bien qu’ils ne mettent pas au cœur de leurs analyses les familles, s’y intéressent indirectement en tant qu’acteur potentiel du processus décisionnel, et mettent tous en évidence la mise à distance des familles en contrepoint d’un pouvoir médical fort.

8Gisquet avance notamment que, malgré une politique de santé qui valorise une plus grande participation des usagers, « l’autorité médicale reste prégnante, en partie par le maintien de l’expertise et des pouvoirs médicaux dans le cas particulier des décisions d’arrêt de vie en néonatalogie, mais aussi pour autre partie au retrait volontaire des parents » (Gisquet, 2006 : 63). En dépit des injonctions institutionnelles en faveur de l’usager, notamment avec la consolidation régulière du dispositif législatif depuis la fin des années 1970 [3], sa « participation » reste très parcellaire, faisant dire à Amar et Minvielle que « l’information du malade reste encore très théorique » (Amar et Minvielle, 2000 : 75). Ainsi, l’autonomie médicale décrite par Freidson (1984) reste une valeur forte, d’autant plus dans les services de réanimation où les médecins sont les principaux décideurs ; cette autonomie est même un principe d’action dans le cas de la fin de vie où le médecin occupe une place centrale en tant qu’autorité morale (Kentish-Barnes, 2007).

9Ces recherches tendent donc à montrer que les proches ne sont pas reconnus comme des acteurs de la décision de fin de vie (d’ailleurs la plupart ne souhaitent pas y participer), même s’il semblerait que « les équipes font participer les proches malgré eux : les mots prononcés par les familles peuvent être utilisés par les professionnels pour justifier, argumenter ou repousser une décision sans qu’elles en aient conscience. Elles ont donc une place dans le processus décisionnel, celle qui arrange le professionnel » (Kentish-Barnes, 2007 : 464).

10Par ailleurs, il apparaît que les familles ne bénéficient pas toujours d’une information totalement transparente. Paillet (2007) a montré que les médecins seniors, en réanimation néonatale, jugeaient préférable de limiter les informations données aux patients pour garantir l’autonomie des professionnels, pour limiter tout contrôle parental éventuel et toute complexification de l’interaction avec les parents. Dans le même sens, Orfali (2002) souligne que si une avancée a été faite en termes législatifs vers une plus grande défense de l’usager, le médecin reste maître de ce qu’il souhaite révéler à son patient.

11Ainsi, malgré une attitude volontariste des pouvoirs publics, force est de constater que les professionnels ne « disent pas tout » et évaluent eux-mêmes les limites de l’information à délivrer aux patients et à leurs familles, d’autant plus dans des contextes de forte incertitude [4].

12Les questions d’incertitude, et son corollaire, le risque, constitutifs de toute activité médicale, sont donc au cœur du fonctionnement des services de réanimation et probablement plus encore que dans les autres spécialités dans la mesure où ce sont des services de l’entre-deux, « c’est là que la vie et la mort sont présents de la manière la plus explicite, concrètement ou métaphoriquement » souligne Pouchelle (1996 : 318). Or, si l’incertitude caractérise bien le contexte dans lequel évolue l’activité des réanimateurs, elle est également une dimension centrale de l’expérience des familles et contribue à la construire. Nous pouvons ici établir un parallèle avec les travaux de Cresson (2000) portant sur la participation parentale à l’hospitalisation à domicile d’enfants atteints de mucoviscidose. Elle avance que les incertitudes auxquelles sont confrontés les parents renvoient à deux registres : le premier est affectif puisqu’il s’agit de l’avenir de leur propre enfant, et l’autre est cognitif, c’est-à-dire la façon dont ils appréhendent l’idée de limites inhérentes à l’activité scientifique et à la pratique médicale. Les familles de patients hospitalisés en réanimation sont confrontées aux mêmes types d’incertitude : la dimension affective renvoie au risque létal alors que le risque cognitif a trait à leur appréhension de l’environnement technique et professionnel envers lequel elles nourrissent un plus ou moins grand espoir.

13C’est donc dans ce contexte particulier — d’incertitude, de risque, de déficit d’information … — que l’expérience des familles se construit. Compte tenu de ces éléments transversaux, et pour rendre compte précisément de l’expérience des familles dont un proche est décédé dans le service de réanimation, nous avons privilégié une analyse en termes de temporalité, à l’image de ce qu’avait fait Ménoret (1999) concernant les « temps du cancer ». Cette approche devrait permettre, in fine, de saisir sociologiquement l’expérience vécue par les proches face à la survenue de la mort dans un service qui « échoue » dans son travail de « ré-animation ».

14Cette expérience est marquée par différentes phases que peuvent traverser les familles, selon la spécificité de la trajectoire. Nous distinguerons trois temps : le temps du fatalisme, celui de l’espoir puis celui de la déconstruction de l’espoir, cette approche séquentielle ne devant absolument pas être envisagée de façon linéaire comme s’il s’agissait d’étapes à franchir, mais comme appartenant au champ des « possibles ». En effet, dans le contexte particulier des trajectoires descendantes, toutes les familles vont connaître une phase dans laquelle l’espoir n’est pas de mise, soit d’emblée — c’est l’étape que nous avons intitulée le temps du fatalisme —, soit progressivement. Dans ce cas, nous parlerons de déconstruction de l’espoir. En revanche, pour certaines d’entre elles (une assez grande majorité), l’espoir précède le désespoir. C’est d’ailleurs pour rendre compte de la dynamique de basculement que nous parlons de déconstruction de l’espoir.

Méthodologie

15L’enquête sociologique porte sur les familles de patients décédés en réanimation ; elle a été réalisée à l’initiative d’un service de réanimation d’un CHU du Nord-Ouest de la France. La recherche a été menée à partir d’un outil classique de l’enquête qualitative : l’entretien semi-directif [5]. Elle s’est faite en deux temps : un premier temps, que nous pouvons qualifier de familiarisation avec l’objet d’étude, au cours duquel nous avons interviewé les professionnels sur leurs pratiques et leurs appréhensions de la fin de vie, notamment concernant leurs interactions avec les familles[6]. Puis, dans un deuxième temps, cœur de ce travail, nous avons procédé à des entretiens approfondis avec des familles endeuillées [7] afin de pouvoir appréhender les représentations et les perceptions profanes de la réanimation et de la mort dans ce contexte particulier.

16Cet article est structuré en trois points principaux faisant référence aux trois phases, ou trois temps, que nous avons dégagées au terme de ce travail de terrain, phases qui sont révélatrices de l’expérience vécue par les familles suite au décès d’un proche en réanimation. Avant cela, il faut mentionner que, indépendamment des conditions conduisant à l’hospitalisation en réanimation, celle-ci est perçue comme un événement brutal et inattendu.

17L’hospitalisation en réanimation, qu’elle fasse suite à un événement aigu ou qu’elle soit liée à l’aggravation d’une maladie identifiée pour laquelle le malade est pris en charge, n’est nullement anticipée par les profanes. L’hospitalisation est donc avant tout vécue comme une rupture. Quant au décès, une fois atténués le chagrin et/ou la colère, il va fréquemment susciter de l’incompréhension, des interrogations, voire de la suspicion. Ses raisons restent très souvent un grand mystère pour les familles, et ce même dans les situations d’issue naturelle d’une dégradation pathologique préexistante. Dans ce cas, l’entrée en réanimation vient rompre le lent processus de dégradation de la fin de vie et d’accompagnement, éventuellement engagé dans un autre service ou au domicile.

18Plus spécifiquement, deux types de perception dominent l’expérience des familles au moment de l’admission de leur proche en réanimation : l’espoir ou le fatalisme qui sont finalement assez révélateurs de l’activité des réanimateurs. En effet, si ces services ont initialement vocation à « réanimer la vie » — et, en ce sens, il est logique qu’ils soient porteurs d’espoir, espoir qui peut tendre à se déconstruire au décours de la trajectoire — le cœur de leur activité, comme nous l’avons souligné précédemment, consiste de plus en plus à gérer la mort, voire même « à produire la mort dans des conditions acceptables pour tous » (Kentish-Barnes, 2007 : 455).

19Certaines familles perçoivent vite les enjeux d’une hospitalisation en réanimation, et le risque létal que cela sous-tend ; dès lors, elles vont d’emblée s’inscrire dans une position fataliste.

Le temps du fatalisme

20De manière assez schématique, nous pouvons distinguer deux types de morts en réanimation : celles que nous qualifierons de rapides, lorsque le décès survient moins de 48 heures après l’admission en réanimation, et celles qui vont survenir plusieurs jours, voire semaines, après l’hospitalisation.

21Le fatalisme, qui se traduit d’emblée par une attitude très pessimiste, caractérise assez fréquemment l’expérience des familles dans les situations de mort rapide [8], notamment dans la mesure où les médecins expriment leur inquiétude aux familles et leur quasi-certitude d’une mort imminente, comme l’explique Mr S., dont le père, âgé de 54 ans, arrive en réanimation à la suite d’un infarctus au domicile, et décède dans les 12 heures : « Quand ils ont ramené mon père, il y a un médecin qui est venu aussitôt me voir et il m’a expliqué l’état alarmant. D’entrée, ils m’ont laissé entendre que de toute façon il n’y avait que très peu de chance pour qu’il s’en sorte parce que l’attaque avait été très violente ».

22Donner un tel pronostic, même si c’est progressivement et par euphémisme, permet d’éviter que l’entourage ne développe le moindre espoir. Il faut d’ailleurs souligner que, dans le service de réanimation, et contrairement à ce qui se passe dans la plupart des autres services, « la norme de vérité » est prédominante sur la « norme de l’espoir » dans le discours des professionnels (Baszanger, 2000). L’auteur souligne, en effet, que s’opposent deux normes fortes : « la norme de l’espoir — le médecin doit préserver un peu d’espoir — et la norme de vérité due au malade, son droit à savoir » (Baszanger, 2000 : 89). Les soignants informent les familles de la gravité de la situation morbide du patient [9], et n’hésitent pas à afficher leur pessimisme, surtout s’ils sont quasiment certains de l’issue de l’hospitalisation [10]. Si l’on reprend ici l’analyse de Glaser et Strauss en termes de « contexte de conscience » [11] au sujet des interactions entre professionnels et malades au moment de la fin de vie, à propos des familles, on peut dire que l’on se situe dans un contexte de conscience ouverte. En réanimation, de surcroît dans les situations où le malade est inconscient (comme c’est le cas ici), « les médecins détiennent le pouvoir de décider de maintenir ou non le patient (la famille)[12] dans l’ignorance de son état » (Kentish-Barnes, 2007 : 451). Or, dans ces situations extrêmement graves, l’attitude des professionnels consistera à faire comprendre d’emblée à la famille que la situation est irréversible et, ce faisant, contribuera à construire l’expérience des proches vers le fatalisme.

23Adopter un tel registre constitue finalement un certain impératif pour les professionnels qui, de cette manière, tentent de conserver un contrôle « maximum » sur la situation, en l’occurrence ici sur la famille, en évitant tout débordement d’émotions éventuel et fort probable compte tenu du caractère inattendu de l’entrée en réanimation. C’est la paix sociale du service qu’ils tentent ainsi de préserver.

24Il faut néanmoins souligner que, même lorsque l’incertitude est levée concernant la forte probabilité du décès, le moment où la mort va survenir reste inconnu. La règle consiste donc à maintenir l’incertitude quant au moment précis de la mort d’autant que, là encore, cela peut être une ressource stratégique entre les mains des professionnels pour maintenir l’ordre social ainsi que la reconnaissance de leur expertise (Lert et Marne, 1993). En effet, anticiper trop tôt le décès du patient ou, à l’inverse, trop tard, peut être une source d’insatisfaction pour les profanes et entraver la crédibilité du corps professionnel [13]. Ainsi, à la question quasi rituelle des familles « Combien de temps lui reste-t-il ? », les médecins évitent de répondre, soulignant leur incapacité à connaître le moment précis de la mort.

25En dehors de ces situations particulières, et indépendamment de ces « stratégies interactionnelles » (Glaser et Strauss, 1965), cette perspective fataliste est également rapidement adoptée par les familles conscientes de la gravité de l’état de santé du patient avant l’entrée en réanimation et donc des risques encourus. Ainsi, pour Mme M. [14], dont la mère est gravement malade, d’emblée le pessimisme fut de mise : « Je ne leur en veux pas au service réanimation. Ils ont récupéré maman au dernier moment. C’était déjà trop tard ».

26La mort, telle qu’elle advient ici, est en quelque sorte naturelle puisqu’elle est envisagée comme inscrite dans l’évolution du processus pathologique (Kentish-Barnes, 2007).

27L’expérience vécue par les familles peut donc quasi immédiatement être synonyme de fatalisme, sans jamais passer par une phase d’espoir (en revanche, le contraire n’est pas vrai, on peut bien évidemment passer de l’espoir au fatalisme compte tenu de l’évolution de la situation). Ce fatalisme peut être induit par les professionnels qui expriment ouvertement le risque de mort pour le patient, ou alors être spontané de la part des familles, lorsque l’admission fait suite à une aggravation du processus pathologique. Néanmoins, toute dégradation du patient nécessitant une hospitalisation en réanimation, alors qu’il était par ailleurs suivi pour une maladie chronique tel un cancer en phase avancée, n’implique pas nécessairement l’adoption immédiate de ce fatalisme. La famille considérant que c’est un événement aigu, certes difficile mais qui peut se résorber, va garder espoir. Mme R. exprime parfaitement la persistance d’un espoir indépendamment de sa conscience de la gravité de la situation. Sa fille, âgée de 24 ans, était, avant son admission en réanimation en raison de complications, hospitalisée dans un centre de lutte contre le cancer pour une maladie de Hodgkin : « Lorsqu’elle est arrivée en réa, le médecin que j’ai eu au téléphone il m’a dit qu’elle était vraiment dans un état très très grave (…) mais on a toujours espoir. Ça s’est amélioré la première fois puis il y a eu une deuxième aggravation après dans le service et ils n’ont rien pu faire mais bon on a toujours le doute. On a toujours l’espoir surtout que c’était une battante » [15].

28Au moment de l’admission en réanimation, il y a fréquemment une lueur d’espoir chez les profanes, fondée sur le fait que la fonction première de ces services est de réanimer la vie. En conséquence, indépendamment de l’événement gravissime ayant conduit à l’hospitalisation, les profanes partent du principe que les services de réanimation détiennent les moyens techniques de suppléer les défaillances vitales et, donc, de sauver leur proche ou, le cas échant, de le maintenir en vie grâce à une réanimation intensive.

Le temps de l’espoir

29Certaines familles, dès l’entrée en réanimation, donnent sens à leur expérience en s’appuyant sur le registre de l’espoir. Si, dans la phase précédente, le fatalisme pouvait être induit par les propos des professionnels, dans cette phase, l’espoir peut être favorisé par leur attitude. En effet, au moment de l’admission, les réanimateurs ont à prendre en charge des patients dont le pronostic est incertain [16]. Paillet parle alors d’ « incertitude pronostique » pour signifier que « les conditions de vie du patient à court, moyen ou long terme ne peuvent être estimées avec précision » (Paillet, 2007 : 39). Les situations sont d’ailleurs complexes puisque, si la mort naturelle existe, elle est très souvent le fruit d’une décision médicale au cours de laquelle une limitation ou un arrêt des soins actifs sont envisagés. Cela fait dire à Kentish-Barnes que les réanimateurs sont fréquemment en prise avec des morts produites et construites, fruits d’une décision de limitation ou d’arrêt des thérapeutiques.

30Mais, en tout état de cause, au moment de l’entrée d’un patient dans le service, c’est « l’a priori d’action » (Paillet, 2000) qui guide les professionnels. Celui-ci repose sur la mise en œuvre de tous les moyens techniques et thérapeutiques disponibles. Paillet souligne d’ailleurs que « cet a priori d’action (ou d’intervention) caractérise la réanimation plus encore sans doute que toute autre spécialité médicale » (Paillet, 2000 : 53).

31Ainsi, à cette étape de la trajectoire, le combat des réanimateurs culmine et tous les moyens techniques sont mis en œuvre pour améliorer l’état du patient. Ainsi, dès les premières minutes d’hospitalisation, la plupart des patients sont intubés puis ventilés, la première mission étant celle du « sauvetage et du maintien en vie » (Paillet, 2007 : 25), autant de gestes qui contribuent à donner de l’espoir aux familles. Cet espoir est la résultante d’une confiance en des systèmes experts (Giddens, 1994), c’est-à-dire envers les techniques de la réanimation et les savoir-faire professionnels. Les familles, alors aux prises avec une situation excessivement complexe qui leur échappe le plus souvent, sont presque dans l’obligation sociale de « faire crédit » (Hyard, 2000) aux réanimateurs et aux techniques de réanimation.

32En dehors de ces gestes, les propos des professionnels peuvent être porteurs d’espoir pour les familles, au même titre qu’ils contribuaient au fatalisme. L’attitude des réanimateurs consiste essentiellement à maintenir le doute, à évoquer le moins possible l’avenir des patients — « On ne sait pas » ; « On ne peut rien dire » – comme l’a déjà souligné Paillet : « la grande incertitude dans laquelle ils se trouvent les incite à ne pas se prononcer en raison du caractère souvent inattendu des événements » (Paillet, 2007 : 207). L’incertitude est certes une contrainte mais aussi une ressource pour tenter de contrôler la situation. C’est ce qu’a mis en évidence Davis (1960) dans le cadre de la poliomyélite. L’auteur distingue l’incertitude réelle de l’incertitude fonctionnelle et montre que les médecins et le personnel de l’hôpital simulent l’incertitude quant à la durée de rétablissement longtemps après qu’elle se trouve pourtant résolue pour eux-mêmes afin de favoriser la coopération des patients et des familles. Cette approche, dans laquelle nous nous inscrivons, contraste avec celle opérée par Fox (1988) qui présente l’incertitude comme une part irréductible de la pratique médicale mais dans laquelle le médecin ne l’emploie jamais à son avantage (Carricaburu et Ménoret, 2004).

33Le maintien de cette incertitude, dite fonctionnelle, permet donc de garder un certain contrôle sur la situation. Dans le cas présent, le maintien d’une incertitude sur le moment de la mort permet de préserver l’ordre social du service, notamment en favorisant un contrôle social des émotions des familles (Strauss, 1992).

34Quoi qu’il en soit, ce doute que laissent planer les professionnels — soit parce qu’il est réel, soit parce qu’ils « le surjouent » (Paillet, 2000, 2007) —, s’il n’exprime pas clairement qu’il y a un espoir possible, n’évoque pas non plus le contraire. Dès lors, pour les profanes, opter pour l’espoir va constituer un moyen de supporter la gravité de la situation. Dans le cas de figure suivant, les médecins font part à Mme L. [17] de la situation alarmante dans laquelle se trouve son mari (suite à un infarctus) : « Les médecins m’ont dit que c’était très sérieux et qu’ils ne pouvaient pas se prononcer », tout en maintenant un certain espoir, qui est du moins interprété comme tel par cette femme : « Il y a un interne qui est venu me voir et qui m’a dit “Madame, si votre mari est encore de ce monde ça tient du miracle”. Comme l’interne nous avait dit ça tient du miracle, il y a une toute petite amélioration par rapport à tout à l’heure. On était plein d’espoir, désemparé mais plein d’espoir ».

35Il faut souligner que cette valorisation de l’espoir par les profanes s’inscrit dans un contexte social marqué par une image de toute puissance de la médecine, par une grande confiance dans ses capacités techniques et curatives. Les évolutions techniques ont, en effet, profondément bouleversé les rapports entre médecins et malades et les attentes des malades et de leur entourage à l’égard de la médecine. Ainsi, souvent, le malade/l’entourage attend du médecin un savoir illimité (d’autant plus que le développement des connaissances dans le champ profane tend à repousser les frontières des connaissances attendues du médecin), alors que le médecin se heurte aussi aux limites des progrès techniques. En ce sens, Willard avance que « les performances de la réanimation sont devenues si grandes que l’on n’admet plus dans notre société de limites à ses possibilités » (cité par Paillet, 2000 : 57).

36En dehors de l’interaction avec les professionnels, les familles peuvent puiser l’espoir de l’environnement technique du service lui-même. Dans cette perspective, plus les machines seront nombreuses autour du proche, plus les familles auront tendance à considérer que tous les efforts et investissements techniques sont mis en œuvre pour le guérir, et plus l’espoir est grand, comme l’exprime Mme T. dont le mari, âgé de 56 ans, a été hospitalisé suite à un infarctus [18] : « Les appareils, moi, je m’en foutais. Justement, si c’était là, c’est qu’il y avait espoir de quelque chose ». La logique de l’action est alors valorisée. Cette représentation des machines par les profanes peut d’ailleurs constituer une difficulté pour le travail des professionnels notamment lorsque les familles conservent un espoir inapproprié (la présence des machines ne signifiant pas, loin s’en faut, que l’état de santé du patient s’améliore).

37Dans la continuité de cette représentation, la réduction du nombre de machines vient signifier, pour l’entourage, la mort imminente du patient, comme l’exprime Mme G. [19] : « Il y avait des tubes en moins. Ça nous avait un peu choqué. On s’est dit, tiens, ils ont débranché. Et puis le lendemain matin c’était fini ». En effet, dans cette situation, la technique était bien le vecteur matériel et symbolique de l’action et, par suite, de l’espoir.

38Passée la période délicate de l’admission du patient, pendant laquelle la mise en route des machines et des gestes de soins intensifs est élevée au rang de réflexe pour maintenir le patient en vie (Paillet, 2007), progressivement, à la faveur des quelques heures, voire quelques jours, passés dans le service, les professionnels y voient un peu plus clair — même si l’incertitude n’est jamais levée — et peuvent, dans un certain nombre de cas, réfléchir et formuler des hypothèses quant au pronostic. Autrement dit, petit à petit, l’incertitude pronostique se lève pour les professionnels et la mort va être anticipée dans « l’arc de travail » (Strauss, 1992), même si les conditions de celle-ci (quand et comment) restent inconnues. Si le décès du patient apparaît comme l’issue la plus probable aux professionnels (qu’il arrive à plus ou moins long terme, de façon naturelle ou suite à un arrêt de soins ou une limitation des soins …), il va également falloir que les familles adoptent cette perspective. Pour cela, elles s’appuieront autant sur leur propre constat de l’évolution de la trajectoire que sur les interactions avec les professionnels et les profanes. Ainsi, les familles vont progressivement déconstruire l’espoir qui était de mise initialement, même si nous verrons que ce n’est pas toujours le cas et que cela remet en question la confiance dans le système de soins.

Le temps de la déconstruction de l’espoir

39L’espoir tend à se déconstruire progressivement, à la faveur du temps passé dans le service de réanimation. En effet, la proximité avec les autres malades ou les familles, l’observation des situations, l’échange d’informations … conduisent les familles à construire différemment le sens de cette expérience et à modifier leurs perceptions de la réanimation et de l’environnement technique, qui sont davantage une source d’inquiétude.

Le glissement de perception

40Tout d’abord, les dégradations successives du patient amènent les profanes à reconsidérer cette phase d’espoir initial puisque la trajectoire de la maladie est visiblement descendante. Par ailleurs, la proximité aux autres patients, favorisée par une fréquentation régulière du service, donne à cette expérience un sens bien particulier puisque c’est l’image d’un service « mouroir » [20] qui se dessine, comme l’exprime Mme G. : « Ils sont tous condamnés quand ils arrivent là. Il y a un jeune-homme qui a perdu une amie, qui avait un petit problème au sein, et tout d’un coup elle a été malade. Elle a attrapé quelque chose, elle est morte dans le même lit que mon mari. Il y a une dame avec qui j’avais sympathisé, son mari il est mort aussi. Il y avait encore une autre dame, je voyais bien qu’elle était vraiment malade. Un jour, elle était là, et le lendemain, tout était fermé, la chambre était vide. Encore une. C’est l’usine ». Mr F. [21], quant à lui, dit : « C’est un vrai mouroir la réanimation. J’ai l’impression qu’il n’y en a pas beaucoup qui s’en sortent vivants du passage en réa ».

41Nous pourrions ainsi multiplier les citations. Cette représentation des services de réanimation comme des services « mouroir » a été soulevée dans la totalité des entretiens [22], que le ton soit fataliste ou plus vindicatif. Certains iront jusqu’à dire : « La réa, de toute façon c’est l’abattoir, on a une chance sur deux de mourir ».

42Le temps passé dans le service de réanimation contribue donc à modeler l’expérience des familles dans un sens beaucoup plus pessimiste, d’autant que ces familles ont tendance à forger leurs représentations en se basant, d’une part, sur l’issue de la trajectoire puisqu’elles reconstruisent le discours a posteriori et, d’autre part, sur les événements qui les ont marquées au moment de leur présence dans le service. Ce faisant, elles procèdent par analogie et comparaison avec la situation qu’elles ont vécue et celles qu’elles ont observées. On peut rapprocher cette attitude de celle décrite par Thierry concernant les confidences des malades du cancer. Selon cet auteur, les malades ont tendance à comparer et à assimiler leur histoire (maladies, traitements, réponses aux traitements …) à celle des autres alors que chaque situation est particulière (ne serait-ce qu’en raison du type de cancer et de l’évolution de la trajectoire). L’auteur montre notamment que, au cours de confidences, les malades tentent de « connaître ce à quoi ils sont susceptibles d’être confrontés durant leur trajectoire médicale et d’anticiper leur situation future de malade à partir du vécu de personnes déjà exposées à la pathologie par le passé » (Thierry, 2007 : 108).

43Si la proximité aux autres malades contribue à déconstruire l’espoir, l’environnement technique est tout aussi significatif pour les familles. En effet, et alors que dans la phase d’espoir les machines en sont porteuses, à mesure que la trajectoire descend, celles-ci viennent davantage signifier la précarité de la situation du patient. Autant de représentations qui participent du processus de déconstruction de l’espoir. La perception de l’environnement technique se modifie de façon progressive. Petit à petit, la multiplication des machines venant substituer les fonctions vitales témoigne, pour les familles, de la précarité de l’état du patient et de sa perte totale d’autonomie. Le corps est alors envisagé comme une machine qui survit grâce à la technique. À l’inverse, moins il y a de technique autour du patient, plus les familles en déduisent que la situation s’améliore, puisqu’il retrouve une certaine autonomie : « Il avait quand même un truc pour la tension, des électrodes pour surveiller le cœur, une sonde urinaire, gastrique, rectale, oui beaucoup de choses mais vers la fin, les trois derniers jours, ils lui avaient enlevé sa sonde rectale, toutes les électrodes pour le cœur. Il n’avait presque plus de machines. À la fin il remangeait même. Pour moi c’était le miracle. Il ressentait la faim, les toilettes … Mais, bon, tout s’est enchaîné, après ça a été la descente aux enfers » (Mme V.) [23]. Les décès qui surviennent dans de telles circonstances engendrent de nombreuses incompréhensions puisque l’entourage reprend espoir.

44Les situations de coma végétatif sont particulièrement éclairantes sur ce point. En effet, le corps retrouve une large autonomie (du point de vue des grandes fonctions vitales) alors qu’il n’y a plus d’issue favorable pour le patient. Ainsi, et alors que le corps offre aux profanes les signes visibles d’une amélioration — ce qui les rassure et les remplit d’espoir — paradoxalement, médicalement il n’y a plus rien à attendre. En ce sens, Mme L. explique qu’elle interprétait la diminution du nombre de machines jusque là nécessaires pour pallier les défaillances organiques comme un signe d’amélioration : « Au début j’avais compté, il avait seize poches de perfusion différentes. Et avec les jours qui passaient, ils supprimaient des choses. Tout reprenait un cours normal entre guillemets puisque ses fonctions vitales retrouvaient la normale et il se retrouvait sans plus rien avoir. Parce qu’il avait aussi des produits pour maintenir sa tension. Donc là on avait beaucoup d’espoir ». Or, contrairement à l’idée qu’elle se faisait, son espoir fut brutalement anéanti lorsque les médecins lui firent part du diagnostic de coma végétatif dans lequel se trouvait son époux. Elle soulève alors la difficulté à se résigner à ce diagnostic en contradiction avec son interprétation de la situation : « Tout le reste était bon, donc c’était difficile d’imaginer. Il ouvrait quand même les yeux alors c’était d’autant plus difficile de croire qu’il n’y avait plus rien. On m’a expliqué que c’était uniquement le tronc et que ce n’était pas suffisant pour permettre une vie autonome. Le cerveau ne recevait plus rien du tout. Ils nous l’ont expliqué et ré expliqué ». Ces situations où les signes du corps, interprétés comme une amélioration par les profanes, ne reflètent pas l’état de santé réel des patients, sont extrêmement déstabilisantes pour les familles qui conservent l’espoir et parviennent difficilement à s’en détacher.

45Parallèlement, lorsque les familles prennent conscience de l’irréversibilité de la situation, leur acceptabilité à l’égard de cet environnement technique tend à diminuer, d’autant que les machines contribuent à donner une image déshumanisée de leur proche. Si elles le tolèrent lorsqu’elles ont espoir, à cette étape, c’est perçu comme inutile. En effet, la haute technicité du service donne une vision froide et impersonnelle de la réanimation et, en conséquence, un aspect déshumanisant au service, et déshumanisé du patient hospitalisé qui apparaît absorbé par la technique et assimilé à un corps machine. Si certaines familles décrivent et interprètent de cette manière les interactions entre les médecins et leur proche inconscient, d’autres en arrivent elles-mêmes à ne plus voir le patient comme un être humain — en raison des machines qui l’entourent — et ont tendance à prendre la fuite [24], comme l’exprime Mme C. [25] : « Il était inconscient avec tous les tuyaux branchés partout. D’abord j’ai eu du mal à le reconnaître, pour moi ça a été un peu comme si j’étais en face de quelqu’un que je ne connaissais pas ». D’autant que, avec l’interruption de la vie relationnelle, le patient peut être considéré comme déjà mort, comme l’explique Mr S. : « De toutes façons, qu’il soit branché aux machines à la limite pour moi ça ne servait à rien. Il était déjà mort pour moi. C’était la machine qui l’aidait à vivre et les produits qui maintenaient son corps en état mais pour moi il est décédé quand il est tombé dans le coma ». Ainsi, dans le contexte particulier de la réanimation, dominé par l’environnement technique et le « conditionnement du patient » souvent intubé, ventilé et donc inconscient, il arrive que la mort sociale l’emporte sur la mort biologique (Sudnow, 1970). L’auteur désigne, de cette manière, l’ensemble des mesures qui anticipent le décès du patient, la séquence de déclin physique étant accompagnée par une séquence de déclin social. Les attitudes de retrait, de désengagement vis-à-vis du patient et, plus particulièrement, les attitudes traitant ce dernier comme un cadavre bien qu’étant cliniquement en vie sont des caractéristiques de ce processus : il cesse alors d’exister pour l’équipe médicale en tant qu’individu bien avant que le terme biologique n’ait lieu. Il ajoute que « la mort sociale commence lorsque l’institution perd tout intérêt ou souci pour l’individu en fin de vie en tant qu’être humain et le traite comme un corps, comme s’il était déjà mort » (Sudnow, 1970 : 192).

46Cette fuite n’est évidemment pas systématique ; un certain nombre de familles tiennent à être présentes. C’est même une compensation à l’issue négative de la trajectoire, « Au moins nous étions là » entend-on dans les entretiens. Il s’agit, pour les profanes, de se réapproprier les derniers moments d’une fin de vie souvent hypertechnicisée et hypermédicalisée. D’ailleurs, si la prédominance de la technique sur les autres dimensions, notamment humaines et relationnelles (faible temps de visite, multiples soins venant les entrecouper, horaires stricts des visites …) est tolérée par les proches lorsqu’ils se situent encore dans la logique de l’espoir et de l’action, dans la « trajectoire du mourir » (Glaser et Strauss, 1965), la famille veut retrouver un rôle prééminent. Les familles attachent alors une grande importance aux marques de sollicitude émanant des professionnels [26]. Celle-ci peut se traduire par une certaine souplesse au niveau des visites ; elle passe également par la préparation du défunt qui permet de lui restituer un visage humain.

47Si, dans un certain nombre de situations, l’espoir se déconstruit de façon progressive (voire n’existe pas) en raison des informations délivrées par les professionnels, des constats que font les familles … il convient de soulever que certaines familles ne parviennent pas à se détacher de cet espoir et restent dans une totale incompréhension, voire suspicion, quant aux circonstances du décès de leur proche.

Un espoir inapproprié

48Plusieurs éléments permettent de rendre compte de cet espoir inapproprié. Avant tout, il faut rappeler que la plupart des décisions de fin de vie se prennent à l’écart des familles et que l’information n’est pas toujours exhaustive ou claire. De plus, dans de telles circonstances, les profanes peuvent avoir du mal à se saisir de l’information qui leur est délivrée. Nous entendrons alors dans les entretiens : « Je n’ai pas trop souvenance de ce qu’ils m’ont dit parce que j’étais tellement surprise de cette nouvelle que j’ai sûrement pas tout écouté. J’étais tellement effondrée » ; « Je n’ai pas demandé beaucoup d’explications parce que, dans ces moments là, on ne demande pas. On a d’autres choses à penser ». « Les professionnels de santé s’entendent pour constater que lorsque l’information est bouleversante, les patients (entendons ici les familles) sont trop abasourdis pour enregistrer les autres informations qui leur sont données, et considèrent ensuite manquer d’information, tout en développant de l’anxiété et de la dépression, un constat entériné par Ong et al. (1995) » (Fainzang, 2006 : 45). De même, Amar et Minvielle soulignent que « les malades présentent des degrés d’assimilation variables de l’information transmise » et ils précisent notamment que « la gravité de l’information en cause bloque la réception du message » (Amar et Minvielle, 2000 : 77).

49Il y a également un certain nombre de familles qui ne vont pas assimiler l’information qui aurait dû leur permettre de déconstruire l’espoir, privilégiant leur interprétation profane de la situation, alors considérée comme plus légitime du fait d’une connaissance intime du patient : « De toute façon, les médecins, ils ne savent pas le malade comment il est, son état d’esprit, comment il va réagir … » (Mme V.). Cresson souligne, à ce sujet, que la connaissance des profanes ne se limite pas aux données matérielles et sanitaires, mais ils font aussi appel à des connaissances autres, plus particularistes et intimistes (Cresson, 1991, 1997). Il arrive donc que les profanes se détournent des informations médicales qui ne les satisfont pas, pour leur substituer leur propre interprétation.

50En dehors de cela, il faut garder à l’esprit que les réanimateurs n’anticipent pas toujours l’échéance de la trajectoire et qu’ils ne peuvent pas toujours prévenir les familles qui, en conséquence, restent attachées au registre de l’espoir. En effet, l’état du malade peut se dégrader de façon brutale sans laisser le temps d’une anticipation et d’une préparation de l’entourage, même succinctes.

51Dans les situations de décès rapide, il arrive même que les professionnels ne rencontrent la famille que pour lui annoncer la mort du patient. Il faut d’ailleurs souligner que, si ces situations constituent une expérience extrêmement pénible pour les familles, à l’inverse ce sont celles qui sont décrites comme les moins lourdes pour les professionnels dans la mesure où ce sont, pour ces derniers, des morts impersonnelles, dans lesquelles l’absence de liens préalables limite tout investissement.

52Or, bien que l’incertitude soit inhérente à l’activité des réanimateurs, nombre de familles la conçoivent très difficilement, et peuvent l’interpréter comme un « mensonge » ou pour le moins une vérité très parcellaire de la part des médecins, cela générant de la méfiance à l’égard des professionnels : « Ils m’expliquaient un peu mais on ne sait jamais s’ils disent vraiment tout » (Mme N.). Gisquet fait le même constat dans les services de réanimation néonatale, « certains parents se plaignent d’avoir manqué d’une information claire, précise et structurée pendant le séjour en réanimation néonatale » et elle poursuit en soulignant que, en conséquence, « la confiance placée dans le discours du personnel de réanimation néonatale n’est pas totale » (Gisquet, 2006 : 70).

53Dans ces situations, « il n’est pas rare que les familles confrontent les discours des différents soignants pour mesurer la véracité de leurs propos, tirant satisfaction et soulagement de voir les propos des uns confirmés par les autres » (Fainzang, 2006 : 53). À l’inverse, l’existence de discours hétérogènes de la part de l’équipe tend à susciter une certaine méfiance chez les familles qui y voient le signe qu’on leur cache quelque chose.

54En tout état de cause, ces situations dans lesquelles le patient décède alors que les familles ont toujours un réel espoir sont extrêmement difficiles à vivre et constituent potentiellement un risque majeur au niveau de la relation thérapeutique. En effet, ces situations, dans lesquelles, pour toute une série de facteurs (manque d’information, valorisation de l’interprétation profane, impossibilité d’anticipation par les professionnels …), les familles n’entrent pas dans le processus de déconstruction de l’espoir, peuvent être à l’origine d’une suspicion à l’égard des médecins. Ainsi, pour Mme O. qui ne s’attendait absolument pas au décès de son père survenu suite à des complications chirurgicales ayant nécessité un transfert en réanimation, le scepticisme est de mise : « En fin de compte, on ne sait pas ce qui s’est passé réellement. Papa a apparemment fait une allergie au curare et il est décédé, d’après ce qu’on nous a dit ! Enfin, on reste dans le néant aujourd’hui (…) On nous a proposé aussi de faire une autopsie pour voir ce qui c’était passé, pourquoi une autopsie ? Pour savoir sûrement la raison, mais apparemment la raison ils l’ont puisque c’est le curare ! Enfin, nous restons dans l’ignorance et nous y resterons toujours parce qu’on n’a pas de réponse. De toute façon on peut nous dire n’importe quoi » (Mme O.) [27]. Pas convaincue par l’explication médicale, cette femme en vient à avoir des doutes sur les circonstances du décès de son père, doutes que la proposition d’autopsie exacerbe. Cette famille va alors rechercher une explication dans la biographie du patient. Ce qui ne manque pas de majorer le discrédit porté sur le travail médical puisqu’aucun élément dans la trajectoire de la maladie du patient ne permet d’appuyer l’explication médicale, ni d’anticiper une telle issue si rapidement : « Moi j’ai fait mes petites recherches personnelles et j’ai vu qu’une pancréatite ça fatiguait énormément. Peut-être que papa était fatigué, peut être qu’une anesthésie, le fait d’être fatigué il a peut-être moins supporté. Parce que les opérations, ce n’est pas la première fois qu’il en subissait et ça s’est toujours bien passé, il n’a jamais été allergique au curare (…) C’est pareil, papa apparemment il est décédé d’une énorme chute de tension alors que c’est quelqu’un qui n’a jamais fait de tension » (Mme O.). Cette femme a finalement le sentiment qu’on lui cache quelque chose et développe une certaine méfiance à l’égard de l’équipe, voire du système de santé : « De toute façon, je ne cherche même plus à savoir puisque de toute façon ils nous disent ce qu’ils veulent, ils peuvent nous dire n’importe quoi après on ne le saura pas. Mais aujourd’hui j’ai l’impression qu’on a tué mon père tellement j’ai d’incompréhension et de haine » (Mme O.). Le risque, c’est que, dans la mesure où la confiance est une construction sociale, celle-ci soit amoindrie durablement, voire disparaisse complètement (Karpik, 1996). Mme O. évoquait notamment qu’elle refusait de se faire opérer alors qu’elle avait besoin d’une intervention chirurgicale depuis plusieurs mois. Il ne s’agit donc pas ici d’une rupture de la confiance au niveau de la relation singulière entre une famille et un médecin, mais au niveau institutionnel, c’est-à-dire qu’elle concerne l’ensemble des professions de santé et institutions scientifiques du champ de la santé (Cresson, 2000). Aïach et Fassin (1994) soulignent d’ailleurs que la montée de l’autonomie profane face au paternalisme médical engendre une défiance mutuelle et parlent d’une crise de la confiance de la relation entre les médecins, la société civile et l’État. Ils avancent que le corps médical est au banc des accusés après avoir été longtemps respecté, que la confiance a laissé la place au soupçon et au doute, et que la légitimité des professionnels est désormais mise en cause, en précisant que cette crise de la légitimité traverse les trois registres de l’intervention thérapeutique — relationnel et affectif, communautaire et traditionnel, cognitif et technique.

Conclusion

55Notre propos s’est attaché à saisir l’expérience des familles dans un service de réanimation médicale, dans le cadre de trajectoires descendantes qui ont systématiquement abouti à la mort du patient. C’est donc une expérience qui a été marquée par l’échec de la réanimation.

56Cette expérience pourra être traversée par différentes phases, variables selon la spécificité et l’évolution de la trajectoire : le fatalisme si la mort est rapidement envisagée comme l’évolution à très court terme ; l’espoir puis le fatalisme (ou la déconstruction de l’espoir) qui se dessine à la faveur du temps passé en réanimation et du constat que la trajectoire tend vers le bas ; ou encore la persistance d’un espoir en dépit de la descente inexorable de la trajectoire. Ainsi, selon les cas, soit l’espoir n’existe à aucun moment de l’hospitalisation, soit il se déconstruit progressivement, indiquant que les familles acceptent les limites de l’activité médicale, soit au contraire pas du tout. Dans ce dernier cas, le décès du patient est pensé comme « une faute, une erreur, une limite inacceptable de l’activité scientifique ou médicale » (Cresson, 2000 : 345) alors que, dans les deux premières situations, cet échec est pensé comme inhérent à l’activité médicale. Or, ces conceptions différentes et mêmes antagonistes, qui sont à mettre en lien avec leur perception de l’incertitude, ont des répercussions sur l’évaluation que les familles font des médecins et sur la confiance qu’ils leur accordent et, in fine, sur leur expérience en réanimation.

57Glaser et Strauss (1965, 1968) ont montré, dans leurs travaux sur la mort à l’hôpital, que le travail des professionnels consistait à socialiser le malade mourant pour parvenir à une bonne mort.

58On peut reprendre cette analyse dans le contexte de la réanimation et, notamment, pour saisir les interactions entre les médecins et les familles dont l’un des proches est mourant, et notamment les stratégies que les premiers mettent en œuvre pour socialiser les familles à la mort du malade. Ces stratégies interactionnelles sont présentes à chacun des temps que nous avons dégagés.

59Au temps du fatalisme, les médecins adoptent d’emblée un discours extrêmement pessimiste envers les familles, pour éviter qu’elles ne développent un espoir inapproprié qui pourrait ensuite être difficile à gérer pour les professionnels.

60Mais, devant l’incertitude, qu’elle soit une ressource ou une contrainte inhérente à leur activité, les médecins peuvent rester assez prudents dans leurs propos puisque seul le temps permettra de dire si la trajectoire monte ou descend. Dans le même temps, tous les moyens techniques sont mis en œuvre pour tenter de sauver le patient, ce qui alimente un certain espoir pour les familles.

61Puis, plus ou moins rapidement, les professionnels lèvent cette incertitude pronostique et vont alors s’attacher à faire prendre conscience aux familles que la trajectoire tend inexorablement vers le bas. C’est alors le temps de la déconstruction de l’espoir pour les familles.

62L’ordre social du service est très largement tributaire de l’échec ou de la réussite de ces stratégies interactionnelles qui permettent aux familles de déconstruire l’espoir à la faveur de l’évolution de la trajectoire du mourir.

63Ainsi, et sans nier que « le système référentiel profane » (Freidson, 1984), le tempérament de la famille, ses valeurs … influent sur sa façon d’interpréter la situation, les interactions que les familles ont avec le corps médical sont très structurantes de leur expérience. De plus, il apparaît que la teneur de ces interactions (dans le contexte de la mort d’un proche) peut conditionner la pérennité de la confiance envers le système de soins.

64En effet, dans le cas particulier des trajectoires descendantes, il est fondamental que les familles parviennent à déconstruire l’espoir. Le rôle des professionnels, en termes de transmission de l’information, est alors déterminant. L’enjeu est tel que l’on peut envisager cette phase de déconstruction de l’espoir comme une mise à l’épreuve de la confiance. Ainsi, si les profanes maintiennent un espoir inapproprié, cela signifie que les professionnels ont échoué dans leur travail de socialisation des familles à la mort de leur proche. Or, ces situations laissent les familles non seulement désemparées mais suspicieuses envers les médecins. Alors que généralement on peut dire que la plupart des occidentaux, tant qu’ils n’ont pas été confrontés à un événement gravissime pour eux ou un proche parent, font preuve d’une « confiance attachement » c’est-à-dire une remise totale de soi (Petitat, 1998) envers la médecine, dans ces situations, ils remettent en cause la confiance qu’ils ont envers le système de soins, en tant qu’institution.

Je remercie le service de réanimation médicale qui m’a accueillie pour avoir favorisé mon introduction auprès des familles, ainsi que les familles pour leur confiance au cours des entretiens à leur domicile sur un sujet aussi difficile émotionnellement.
Je souhaite également exprimer toute ma gratitude à Danièle Carricaburu pour son investissement, ses précieuses suggestions et l’aide constante qu’elle m’a apportée pour la rédaction de cet article.
Je remercie également très sincèrement Yamina Bensaadoune pour son écoute, sa disponibilité et ses précieuses relectures.
Enfin, j’adresse mes remerciements aux relecteurs anonymes de la revue, pour leur attention, leurs critiques constructives et les propositions émises pour améliorer la qualité de cet article.

Bibliographie

Références bibliographiques

  • Aïach P., Fassin D., 1994, Les métiers de la santé. Enjeux de pouvoir et quête de légitimité, Paris, Anthropos.
  • Amar L., Minvielle E., 2000, L’action publique en faveur de l’usager : de la dynamique institutionnelle aux pratiques quotidiennes de travail. Le cas de l’obligation d’informer le malade, Sociologie du Travail, 1(42), 69-89.
  • Ariès P., 1975, Essai sur l’histoire de la mort en Occident du Moyen-Âge à nos jours, Paris, Le Seuil.
  • Bacqué M.F., 2003, Apprivoiser la mort, Paris, Odile Jacob.
  • Baszanger I., 1992, Introduction. Les chantiers d’un interactionnisme américain, In : Strauss A., La trame de la négociation, Textes réunis et présentés par I. Baszanger, Paris, L’Harmattan, 11-63.
  • Baszanger I., 2000, Entre traitement de la dernière chance et palliatif pur : les frontières invisibles des innovations thérapeutiques, Sciences Sociales et Santé, 18, 2, 67-93.
  • Becker H., 2002, Les ficelles du métier, Paris, La Découverte.
  • Carricaburu D., Ménoret M., 2004, Sociologie de la santé, Paris, Armand Colin.
  • Castra M., 2003, Bien mourir. Sociologie des soins palliatifs, Paris, PUF.
  • Corbin J., Strauss A., 2004, Les fondements de la recherche qualitative, Fribourg, Academic Press.
  • Cresson G., 1991, Le travail domestique de santé, Paris, L’Harmattan.
  • Cresson G., 1997, La sociologie de la médecine méconnaît-elle la famille ?, Sociétés Contemporaines, 25, 45-65.
  • Cresson G., 2000, La confiance dans la relation médecin-patient, In : Cresson G., Schweyer F.X., eds, Les usagers du système de soins, Rennes, ENSP, 333-350.
  • Davis F., 1960, Uncertainty in medical prognosis, clinical and functional, American Journal of Sociology, LXVI, 41-47.
  • Durocher A., 2005, L’infection nosocomiale comme indicateur de (non) qualité des soins : l’exemple de la réanimation, Sciences Sociales et Santé, 23, 3, 59-68.
  • Fainzang S., 2006, La relation médecins-malades : information et mensonge, Paris, PUF.
  • Fox R., 1988, L’incertitude médicale, Paris, L’Harmattan.
  • Freidson E., 1984, La profession médicale, Paris, Payot.
  • Giddens A., 1994, Les conséquences de la modernité, Paris, L’Harmattan.
  • Gisquet E., 2004, Les processus décisionnels en contexte de choix dramatique. Étude des décisions d’arrêt de vie dans les services de réanimation néonatale, Thèse de doctorat en sociologie, Paris, IEP.
  • Gisquet E., 2006, Vers une réelle ingérence des profanes ? Le mythe de la décision médicale partagée à travers le cas des décisions d’arrêt de vie en réanimation néonatale, Recherches Familiales, 3, 61-73.
  • Glaser B., Strauss A., 1965, Awareness of dying, Chicago, Aldine Publishing Company.
  • Glaser B., Strauss A., 1968, Time for dying, Chicago, Aldine Publishing Company.
  • Gorer G., 1995, Ni pleurs ni couronnes, Paris, Epel.
  • Hyard N., 2000, Risque et confiance : à propos de quelques perspectives sociologiques contemporaines, Innovations et Sociétés, Cellule GRIS, 1, 185-196.
  • Karpik L., 1996, Dispositifs de confiance et engagements crédibles, Sociologie du Travail, XXXVIII, 4, 527-550.
  • Kentish-Barnes N., 2005, Mourir à l’heure du médecin. Décisions de fin de vie en réanimation, Thèse de doctorat en sociologie, Bordeaux, Université Bordeaux 2.
  • Kentish-Barnes N., 2007, Mourir à l’heure du médecin. Décisions de fin de vie en réanimation, Revue Française de Sociologie, 48-3, 449-475.
  • Legrand E., 2006, Les soins palliatifs en équipe mobile : de la dénaturation à la reconfiguration d’un modèle, Thèse de doctorat en sociologie, Rouen, Université de Rouen.
  • Lert F., Marne. M.J., 1993, Les soignants face à la mort des patients atteints du sida, Sociologie du Travail, 2, 199-214.
  • Ménoret M., 1999, Les temps du cancer, Paris, CNRS.
  • Ong L., de Haes J., Hoos A., Lammes F., 1995, Doctor/patient communication: a review of litterature, Social Science and Medicine, 40, 7, 903-918.
  • Orfali K., 2002, L’ingérence profane dans la décision médicale : le malade, la famille et l’éthique clinique, Revue Française des Affaires Sociales, 3, 103-124.
  • Paillet A., 2000, D’où viennent les interrogations morales ? Les usages rhétoriques des innovations par les pédiatres réanimateurs français, Sciences Sociales et Santé, 18, 2, 43-64.
  • Paillet A., 2007, Sauver la vie, donner la mort. Une sociologie de l’éthique en réanimation néonatale, Paris, La Dispute.
  • Petitat A., 1998, Secret et formes sociales, Paris, PUF.
  • Pouchelle M.C., 1996, Réanimation et rites de passage, In : Grosclaude M., ed., En réanimation …, Paris, Hospitalières, 318-333.
  • Rimbert G., 2007, Au secours des mourants. Médicalisation et humanisation dans la gestion sociale de la mort, EspacesTemps.net
  • Strauss A., 1992, La trame de la négociation, Textes réunis et présentés par I. Baszanger, Paris, L’Harmattan.
  • Sudnow D., 1970, Dying in a public hospital, In : Brim O., Freeman H.E., Levine S., Scotch N.A., eds, The dying patient, New York, Russel Sage Foundation, 191-208.
  • Thierry A., 2007, Les confidences : lieu d’échanges et de savoirs profanes sur le cancer, Sociologie Santé, 26, 2, 105-122.
  • Thomas L.V., 1985, Rites de mort pour la paix des vivants, Paris, Fayard.
  • Conflit d’intérêts : aucun.

Mots-clés éditeurs : confiance, information, réanimation, mort, famille, incertitude

Mise en ligne 15/11/2012

https://doi.org/10.1684/sss.2010.0103

Notes

  • [*]
    Émilie Legrand, sociologue, GRIS, Université de Rouen, UFR de Sociologie, rue Lavoisier, 76 821 Mont-Saint-Aignan Cedex, France ; legrand.emilie@voila.fr
  • [1]
    Ne nous intéressant qu’aux patients adultes, nous ne mentionnons pas les services de réanimation pédiatrique ou néonatale.
  • [2]
    Nous empruntons le terme de trajectoire à Strauss. « Le terme de trajectoire renvoie non seulement au développement physiologique de la maladie de tel patient mais également à toute l’organisation du travail déployée à suivre ce cours, ainsi qu’au retentissement que ce travail et son organisation ne manquent pas d’avoir sur ceux qui y sont impliqués. Pour chaque maladie différente, sa trajectoire imposera des actes médicaux et infirmiers différents, différents types de compétences et de savoir-faire, une répartition différente des tâches entre ceux qui y travaillent, y compris, le cas échéant, les parents proches et le malade, et exigera des relations différentes entre ceux-ci » (cité par Baszanger in Strauss, 1992 : 29).
  • [3]
    Lois de bioéthique de 1988 et 1994 (elles ont introduit l’obligation d’information afin de requérir le consentement écrit du patient ou de son représentant légal préalablement à sa participation à une recherche biomédicale), code de déontologie et charte du patient hospitalisé en 1995, loi sur le droit des malades et la qualité du système de soins en 2002.
  • [4]
    Fox (1988) a largement travaillé sur cette question de l’incertitude médicale et des ressources mobilisées pour y faire face.
  • [5]
    Une consigne de départ, simple, était donnée aux interlocuteurs : pouvez-vous me faire part de votre expérience dans le service de réanimation : qu’est ce qui y a conduit votre proche, et comment les choses se sont-elles déroulées ? Les interviews (n = 48) ont eu lieu majoritairement (à l’exception de 4) au domicile des familles, pour lesquelles il était difficile de revenir dans le service.
  • [6]
    Parmi les professionnels interviewés : six médecins, six internes, quinze soignants (infirmières, aides-soignantes) entre octobre et décembre 2004.
  • [7]
    Nous avons privilégié un mode d’accès direct aux interviewés en utilisant le fichier informatique des patients décédés dans le service de réanimation entre juillet 2004 et juin 2005. Nous avons procédé à l’envoi systématique d’un courrier à l’ensemble des familles concernées, suivi, une semaine après, d’un appel téléphonique. Le soutien de l’une des secrétaires du service a été, à cette étape de l’enquête, tout à fait crucial et précieux puisque c’est elle qui a effectué ce travail téléphonique. Le délai choisi pour contacter les familles a d’abord été arbitraire (à 6 mois du décès dans une première phase de l’enquête), puis par tâtonnements, pour tenter de parvenir à un maximum de réponses positives. Ainsi, nous avons progressivement réduit ce délai pour finalement le fixer à 2 mois après le décès. Il était difficile de statuer sur un délai « idéal » puisque, pour ce type d’événement, l’expérience et les impressions sont personnelles. Néanmoins, c’est à 2 mois après la date du décès que nous obtenions le plus de réponses favorables. La constitution de notre échantillon s’est donc faite en fonction de l’acceptation ou du refus de l’entretien, mais également en fonction de la possibilité ou de l’impossibilité de contacter les personnes concernées : pas de numéro de téléphone, mauvaise adresse, numéro erroné, absences permanentes (répondeur). Dans ces cas là, nous envoyions un courrier de relance dans lequel nous demandions à la personne de nous contacter si elle était d’accord pour l’entretien. In fine, un tiers des courriers envoyés sont restés sans réponse. Un autre tiers des personnes contactées ont refusé l’entretien ; refus que l’on peut imputer au thème de l’enquête et la difficulté pour ces familles à se remémorer cette période, ce qui se manifestait le plus souvent par des pleurs au téléphone. Et, enfin, le dernier tiers qui acceptait la rencontre. Il faut, par ailleurs, mentionner que les personnes ayant refusé l’entretien ou n’ayant pu être contactées ne se distinguaient pas, du point de vue des variables sociologiques, ni des conditions du décès dans le service (d’après les informations du dossier informatique), des personnes qui l’ont accepté. L’anonymat le plus complet des personnes interviewées est bien sûr préservé dans la restitution des discours. Le choix de l’échantillon a répondu aux principes de « l’échantillonnage théorique » (Corbin et Strauss, 2004). Ainsi, dans la continuité de ce qu’ont fait Glaser et Strauss (1965, 1968) dans leur enquête sur les soins aux mourants, nous nous sommes intéressée à des unités diversifiées pour tenter de couvrir tous les cas significativement différents. La diversité a, dans le cas présent, été atteinte par la diversité des variables sociologiques classiques (âge, sexe, CSP) mais aussi par la variabilité de celles supposées jouer un rôle important dans la structuration des réponses : âge du défunt, type de pathologie ayant conduit au décès, antécédents médicaux ou non, décès plus ou moins rapide allant de quelques heures à quelques semaines dans le service de réanimation, liens de parentés avec le défunt. Ainsi, et malgré la singularité de l’histoire de vie de chacun, le travail peut être considéré comme significatif.
  • [8]
    Ce fatalisme peut apparaître après une phase d’espoir lorsque, progressivement, la réalité de l’inéluctabilité de la mort devient criante. Mais il nous a semblé que, dans ces situations, il était préférable de parler de déconstruction de l’espoir dans la mesure où l’expérience du « dé-s-espoir » se construit concomitamment au décours de la trajectoire. La notion de fatalisme est ici employée en résonance avec l’idée d’immédiateté, pour signifier que d’emblée, le pessimisme est de mise.
  • [9]
    Une étude, menée en 2001 par Pochard et al., mentionne l’information des familles des patients dans 59,1 % des cas en réanimation (cité par Orfali, 2002).
  • [10]
    Nous verrons cependant, dans la suite de notre propos, que, dans des contextes d’incertitude, les professionnels veillent à maintenir un certain espoir en délivrant des « demi-vérités » et, surtout, en « surjouant l’incertitude » (Paillet, 2000, 2007).
  • [11]
    Glaser et Strauss définissent quatre grands contextes de conscience. « Il y a la situation dans laquelle le patient ne s’aperçoit pas de sa mort imminente alors que tout le monde le sait (conscience fermée). Il y a la situation dans laquelle le patient soupçonne ce que les autres savent et donc s’efforce de confirmer ou d’écarter son soupçon (conscience présumée). Il y a la situation dans laquelle chaque partie considère le malade comme mourant, mais chacun feint de croire que l’autre l’ignore (conscience de feinte mutuelle). Et, enfin, il y a la situation dans laquelle le personnel médical et le patient sont tous deux conscients que ce dernier est mourant (conscience ouverte) et en tiennent compte dans leurs interactions » (Strauss, 1992 : 113).
  • [12]
    C’est moi qui précise.
  • [13]
    D’autant que les profanes ne tolèrent pas toujours les erreurs d’anticipation pronostique d’une médecine qu’ils envisagent souvent comme une science prédictive, presque infaillible.
  • [14]
    Sa mère, âgée de 62 ans, après des complications chirurgicales, est transférée en réanimation où elle décède dans les 12 heures qui suivent.
  • [15]
    La jeune femme resta hospitalisée dix jours dans le service de réanimation avant de décéder.
  • [16]
    Ils sont d’ailleurs plus souvent dans l’incertitude quant à son avenir à court terme que dans la situation de certitude quant à son décès imminent que nous avons évoqué précédemment.
  • [17]
    Mr L., âgé de 52 ans, a été hospitalisé dans le service après un arrêt cardiaque. Il y resta 17 jours. Le diagnostic de coma végétatif a conduit à un arrêt de soins, puis à son décès.
  • [18]
    Le décès du patient survint moins de 12 heures après son entrée en réanimation.
  • [19]
    Son mari, âgé de 78 ans, est resté hospitalisé un mois et demi dans le service avant de mourir.
  • [20]
    Nous reprenons ici les termes employés par les enquêtés.
  • [21]
    Son père, âgé de 70 ans, atteint d’un cancer, est mort d’un arrêt cardiaque moins de 24 heures après son admission en réanimation.
  • [22]
    Aucune différentiation selon l’origine sociale, le type de pathologie, le temps de présence dans le service … n’a pu être remarquée. Il semble que ce soit une représentation unanime du service après le décès d’un proche. L’issue défavorable de la trajectoire du patient est, en effet, importante à considérer pour saisir pleinement le discours et les représentations des personnes interviewées.
  • [23]
    Son mari, âgé de 35 ans, était suivi pour un lymphome malin non hodgkinien dans un centre de lutte contre le cancer ; des complications l’ont conduit en réanimation où il resta 10 jours avant de décéder.
  • [24]
    La fuite apparaît alors comme une protection. Soulignons que cette fuite face aux mourants et à la mort s’inscrit dans le rapport à la mort dominant de nos sociétés contemporaines (Ariès, 1975 ; Bacqué, 2003 ; Gorer, 1995 ; Legrand, 2006 ; Thomas, 1985).
  • [25]
    Mr C. est en phase terminale d’un cancer, lorsqu’il perd connaissance à domicile. Son épouse fait alors appel aux services d’urgences qui le transfèrent immédiatement en réanimation. Il décède dans le service dans les premières 48 heures.
  • [26]
    Sur cette question de la sollicitude et alors que, dans la plupart des cas, les profanes disent des professionnels qu’ils font preuve d’empathie et de sollicitude à leur égard, un cas particulier mérite d’être mentionné : les situations de décès rapides pour lesquelles la durée d’hospitalisation en réanimation n’excède pas quelques heures. En effet, lorsque le patient décède dans les heures qui suivent son admission, l’action des professionnels se concentre sur l’acte technique. Ainsi, compte tenu de la courte durée de la prise en charge, ils ne s’approprient ni le patient, totalement désinséré d’une histoire sociale et réduit à son aspect organique, ni la famille avec laquelle ils n’ont pas de contacts préalables sauf au moment de l’annonce du décès, ce qui donne souvent à l’entourage un sentiment de déshumanisation
  • [27]
    Son père, âgé de 63 ans, décéda dans les 12 heures qui suivirent son admission.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.9.175

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions