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Article de revue

Voyages extrêmes : les récits d'aventures en France à la fin du xixe siècle

Pages 53 à 86

Notes

  • [1]
    Rider Haggard (1856-1925) et Robert Louis Stevenson (1850-1894) comptaient parmi les plus importants. Penny Brown, A Critical History of French Children’s Literature, t. 2, 1830-Present, New York, Routledge, 2008, p. 110. Pour une analyse qui fait autorité, voir Matthieu Letourneux, Le Roman d’aventures 1870-1930, Limoges, Presses universitaires de Limoges, 2010.
  • [2]
    Jules Verne, Les Grands Navigateurs du xviiie siècle (1879) et Les Voyageurs du xixe siècle (1880). Jules Verne a également écrit Géographie illustrée de la France et de ses colonies (1867) qui compte plusieurs volumes.
  • [3]
    H. Hazel Hahn, « Heroism, Exoticism, and Violence: Representing the Self, the “Other”, and Rival Empires in the English and French Illustrated Press, 1880-1905 », Historical Reflections/Réflexions Historiques, 38/3, 2012, p. 62-83. Le Petit Journal se vendait à un million d’exemplaires en 1890. Claude Bellanger et al. (dir.), Histoire générale de la presse française, Paris, PUF, 1972, t. 3, p. 301.
  • [4]
    Sylvain Venayre, « La presse de voyage », dans Dominique Kalifa et al. (dir.), La Civilisation du journal : histoire culturelle et littéraire de la presse française au xixe siècle, Paris, Nouveau Monde, 2011, p. 475. Sur la presse illustrée, voir Jean-Pierre Bacot, La Presse illustrée au xixe siècle : une histoire oubliée, Limoges, Presses universitaires de Limoges, 2005.
  • [5]
    Sur la publicité, voir Hahn, Scenes of Parisian Modernity: Culture and Consumption in the Nineteenth Century, New York, Palgrave Macmillan, 2009, chap. 6-10. Sur les héros, voir Edward Berenson, Heroes of Empire: Five Charismatic Men and the Conquest of Africa, Berkeley, University of California Press, 2011.
  • [6]
    Jean-Marie Seillan, Aux sources du roman colonial (1863-1914) : l’Afrique à la fin du xixe siècle, Paris, Karthala, 2006, p. 5-34.
  • [7]
    Sur le Journal des voyages (ci après jv), voir Marie Palewska, « Dossier. Le Journal des voyages », Le Rocambole : Bulletin de l’Association des amis du roman populaire, 5, automne 1998, p. 9-84 ; et 6, printemps 1999, p. 9-84 ; Pierre Versins, Encyclopédie de l’utopie, des voyages extraordinaires et de la science-fiction, Lausanne, L’Âge d’homme, 1972, p. 477 ; Matthieu Letourneux, « La colonisation comme un roman : récits de fiction, récits documentaires et idéologie dans le Journal des voyages », Belphégor. Littérature populaire et culture médiatique, 9/1, fév. 2010, http://etc.dal.ca/belphegor/vol9_no1/articles/09_01_lettou_coloni_fr.html (consulté le 3 juillet 2013). Selon Palewska, le jv fut publié entre 1877 et 1915, et connut une interruption entre 1915 et 1924 avant que ne sorte une troisième série (n° 5, p. 10). Georges Decaux (né en 1845), directeur de la Librairie illustrée, fut l’éditeur jusqu’à 1899 quand Léon Dewez le remplaça comme éditeur, directeur et gérant. Palewska, « Dossier », Le Rocambole, n° 5, p. 20. Le jv eut comme gérant Armand Montgrédien (1877-1880), Paul Genay (1880-1888) et Dewez (1889-1911). L’ours qualifiait Montgrédien et Genay de « gérants » et Dewez de « directeur-gérant ».
  • [8]
    Selon une publicité, c’était « la feuille préférée de la famille ». « Ce qu’on trouve à lire dans le Journal des voyages », jv, 5 déc. 1897, n. p.
  • [9]
    Selon Sylvain Venayre, les images en couleur furent introduites en 1895. « La presse de voyage », art. cité, p. 478.
  • [10]
    « Les récits d’aventures du Journal des Voyages », jv, 14 mai 1893, p. 306. [Note du traducteur : Dans ce qui suit, le terme roman d’aventures est réservé aux œuvres de fiction. Le terme récits d’aventures s’applique à des textes qui peuvent être soit fictifs (« fictional »), soit documentaires (« non fictional »). Le terme « genre de l’aventure » recouvre tous les textes (y compris publicitaires par exemple) qui relèvent du monde de l’aventure.]
  • [11]
    Brown, A Critical History of French Children’s Literature, op. cit., t. 2, p. 110 ; Seillan, Aux sources du roman colonial, op. cit., p. 19.
  • [12]
    Un éditorial proclame dès les premiers numéros qu’on peut trouver le jv chez « tous les libraires de France, chez le plus grand nombre de marchands de journaux, correspondants des feuilles parisiennes, ainsi que dans toutes les gares des départements », de même que par abonnement et à l’étranger. « Avis important », jv, 17 nov. 1878, p. 290.
  • [13]
    Sylvain Venayre, « La presse de voyage », art. cité, p. 479.
  • [14]
    Palewska, « Dossier », art. cité, p. 38-41.
  • [15]
    « Ce qu’on trouve à lire dans le Journal des voyages », jv, art. cité.
  • [16]
    Sylvain Venayre innove en considérant l’aventure à la fois comme un phénomène historique et un thème de fiction. Il caractérise la période 1890-1920 comme l’âge d’or de l’aventure. Sylvain Venayre, La Gloire de l’Aventure. Genèse d’une mystique moderne, 1860-1940, Paris, Aubier, 2003.
  • [17]
    Des images pleine page dues au prolifique illustrateur, rédacteur et romancier Albert Robida, paraissaient régulièrement dans les pages du jv. Versins, Encyclopédie de l’utopie, op. cit., p. 478. Les Voyages très extraordinaires de Saturnin Farandoul, dans les 5 ou 6 parties du monde et dans tous les pays connus et même inconnus de M. Jules Verne d’Alfred Robida (Paris, 1879-1880) furent publiés par La Librairie illustrée, le même éditeur que le jv. (Les références ultérieures apparaitront entre parenthèses dans le texte selon le numéro de page.) Il existait d’autres liens institutionnels et journalistiques entre Robida et le jv. La Librairie illustrée publiait aussi La Caricature (1880-1915), dirigé par Alfred Robida entre 1880 et 1892 (et où il publia un nombre important de textes et de caricatures). Henri Béraldi, Les Graveurs du xixe siècle : guide de l’amateur d’estampes moderne, Paris, Conquet, 1892, t. 12, p. 211. Durant l’essentiel des années 1880, La Caricature et le jv partageaient le même gérant (Genay) et les mêmes bureaux, rue du Croissant. Dans les premières années surtout, le jv faisait de la publicité dans La Caricature, par ex. 28 fév. 1881, p. 72.
  • [18]
    Sandrine Lemaire, Pascal Blanchard, « Exhibitions, expositions, médiatisation et colonies (1870-1914) », dans Pascal Blanchard, Sandrine Lemaire et Nicolas Bancel (dir.), Culture coloniale en France. De la Révolution française à nos jours, Paris, CNRS Éditions, 2008, p. 111-19. Robert Aldrich, par ex., affirme que le soutien à l’Empire se réduisait surtout au « parti colonial » tandis que l’opinion publique française restait largement indifférente. Robert Aldrich, Greater France: A History of French Overseas Expansion, New York, Palgrave Macmillan, 1996, p. 234-236.
  • [19]
    « Avis de l’éditeur », jv, 15 juil. 1877, p. 2.
  • [20]
    Eugen Weber, Peasants into Frenchmen: The Modernization of Rural France, 1870-1914, Stanford, Stanford University Press, 1976, p. 333-336. Voir aussi Palewska, « Dossier », art. cité, p. 51-53.
  • [21]
    « Ce qu’on trouve à lire dans le Journal des Voyages », jv, art. cité ; « Les récits d’aventures du Journal des Voyages », jv, art. cité, p. 306 ; « Les vingt années du Journal des Voyages », jv, 29 nov. 1896, p. 402.
  • [22]
    « L’Académie française et le Journal des voyages », jv, 2 juil. 1893, p. 2. Le prix récompensait des romans de Constant Améro (Le Tour de France d’un petit Parisien, 1885-1886) et Frédéric Dillaye (Le Cirque Zoulof, 1891).
  • [23]
    Voir Hetzel, éditeur par excellence, numéro spécial de Revue Jules Verne, 37, été 2013, accessible sur http://issuu.com/cijv/docs/37.
  • [24]
    « La vie sauvage : les anthropophages », jv, 4 avr. 1878, p. 322 ; « Table des matières », jv, janv.-juin 1878 ; « Table des matières », jv, juil.-déc. 1878 ; « Asie : le Cambodge », jv, 16 sept. 1881, p. 175.
  • [25]
    Le mot « sauvagerie » était, en revanche, moins courant dans la revue et rarement associé à des régions perçues comme primitives : « sauvagerie » s’appliquait par ex. à la pratique américaine du lynchage. O. R., « La loi de Lynch », jv, 19 août 1877, p. 86. Dans cet article, je mets « sauvagerie » entre guillemets en raison des connotations racistes du mot dans l’usage sensationnaliste qu’en fait le xixe siècle. Sur la fascination européenne pour la sauvagerie, voir Alice Bullard, Exile to Paradise: Savagery and Civilization in Paris and the South Pacific, Stanford, Stanford University Press, 2000 ; J. P. Daughton, An Empire Divided: Religion, Republicanism, and the Making of French Colonialism, 1880-1914, New York, Oxford University Press, 2008, chap. 1 ; Jennifer Sessions, By Sword and Plow: France and the Conquest of Algeria, Ithaca, Cornell University Press, 2011.
  • [26]
    Les conceptions de la race, définies et élaborées par les ethnologues et les biologistes qui modifièrent les perceptions des Lumières, s’étaient répandues dès le milieu du xixe siècle à tous les champs du savoir en France. Martin Staum, Labeling People: French Scholars on Society, Race, and Empire, 1815-1848, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2003. J’aborde la question des théories de la race dans Hahn, « Racial Theories and Representations of the Exotic in the French Illustrated Press », manuscrit inédit.
  • [27]
    Letourneux, Le Roman d’aventures, op. cit., p. 21-25, 223-348 ; id., « La Colonisation comme un roman », art. cité ; Seillan, Aux sources du roman colonial, op. cit., p. 5, 23-26. Dans cet article, je critique l’idée que le roman d’aventures est un genre subversif, ironique ou même parodique. Brown mentionne cette idée dans A Critical History of French Children’s Literature, op. cit., t. 2, p. 110. Joseph Acquisto suggère que l’impérialisme avait peut-être une portion plus congrue dans les romans d’aventures français que dans leurs équivalents britanniques, mais semble ignorer les travaux de Seillan et Letourneux. Crusoes and Other Castaways in Modern French Literature: Solitary Adventures, Newark, University of Delaware Press, 2012, p. 9.
  • [28]
    Sur les modalités de la domination dans les aventures situées en Afrique, voir Seillan, Aux sources du roman colonial, op. cit., p. 31.
  • [29]
    jv, 8 juil. 1877, couverture.
  • [30]
    Louis Trégan, Aventures périlleuses d’un marin français dans la Nouvelle-Guinée, JV, en feuilleton, 8 juil. 1877-21 oct. 1877.
  • [31]
    « Avis de l’éditeur », jv, 15 juil. 1877, p. 2.
  • [32]
    Ces catégories contenaient respectivement les romans suivants : Pierre Ferragut, Le Robinson des mers ; Jules Claretie, La Mer libre ; Alfred Séguin, Le Robinson noir ; Jean Robert, Aventures périlleuses chez les Peaux Rouge ; Louis Boussenard, À travers l’Australie. « Table des matières », jv, janv.-juin 1878. Comme l’explique Matthieu Letourneux dans « La Colonisation comme un roman » (art. cité), dans le JV, le réalisme des récits fictifs était confirmé par les textes et images documentaires, diminuant de beaucoup alors la possibilité qu’un lecteur ayant une prédilection pour les récits réalistes puisse considérer invraisemblable n’importe quel récit d’aventures.
  • [33]
    Les romanciers Capitaine Mayne-Reid et Frédéric Dillaye ont aussi écrit les articles documentaires « Les peuples sauvages » et « Types et races ». Capitaine Mayne-Reid, « Les Ottomacs. Mangeurs de terre », jv, 6 oct. 1878, p. 194-197 ; Mayne-Reid, « Les Nains de la terre de feu », jv, 20 oct. 1878, p. 226-229 ; Frédéric Dillaye, « Les Veddahs », jv, 29 sept. 1889, p. 206.
  • [34]
    « Ce qu’on trouve à lire dans le Journal des voyages », jv, art. cité. Le terme récit d’aventures permettait au jv de se couvrir. Un récit d’aventures était potentiellement vrai et pas toujours déjà un roman. Si une part importante de la revue, telles les informations géographiques, était facile à considérer comme documentaire grâce à la titraille (« Actualités géographiques »), le statut fictionnel des romans d’aventures était rarement signalé explicitement par un mot comme « roman » justement. Dans la table semestrielle des matières, la catégorie « Romans et nouvelles » ne fut utilisée que brièvement entre 1889 et 1894, où elle fut remplacée par « Récits d’aventures et nouvelles ». Ces textes étaient cependant promus comme des romans quand ils étaient publiés en volume, par ex. Le Tour de France d’un petit parisien d’Améro fut publié en 1885 par La Librairie illustrée avec le sous-titre « Grand roman d’aventures ». René Guise constate que le terme « roman d’aventures » apparaissait rarement dans le jv, mais prétend que c’est parce que l’expression n’était pas très utilisée à l’époque. « Roman et aventure. Propositions pour une histoire du roman d’aventures », dans Roger Bellet (dir.), L’Aventure dans la littérature populaire au xixe siècle, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1985, p. 209-215.
  • [35]
    Voir Dominique Lejeune, Les Sociétés de géographie en France et l’expansion coloniale au xixe siècle, Paris, Albin Michel, 1993.
  • [36]
    « Ce qu’on trouve à lire dans le Journal des voyages », jv, art. cité.
  • [37]
    Roland Barthes, « L’effet de réel », Communications, 11, 1968, p. 84-89.
  • [38]
    « Ce qu’on trouve à lire dans le Journal des voyages », jv, art. cité.
  • [39]
    jv, 2 déc. 1877, couverture, p. 321.
  • [40]
    jv, 9 fév. 1879 ; 30 sept. 1877 ; 23 sept. 1877 ; 2 fév. 1879.
  • [41]
    jv, 12 janv. 1879, couverture ; jv, 5 mai 1878, couverture.
  • [42]
    Sur les discours sur les explorateurs, voir Venayre, La Gloire de l’Aventure, op. cit. ; Beau Riffenburgh, The Myth of the Explorer: The Press, Sensationalism, and Geographical Discovery, Oxford, Oxford University Press, 1994.
  • [43]
    Lemaire, Blanchard, « Exhibitions, expositions », art. cité, p. 119 ; Letourneux, Le Roman d’aventures, op. cit., p. 82.
  • [44]
    jv, 2 juin 1878, couverture ; Bénédict-Henri Révoil, « Les anthropophages », jv, 2 juin 1878,
    p. 322-324.
  • [45]
    jv, 24 sept. 1880, couverture.
  • [46]
    jv, 28 avr. 1878, couverture.
  • [47]
    jv, 28 avr. 1878, p. 242. Ce roman s’ouvre avec un chapitre « Savants et anthropophages » qui prétendait pouvoir opposer, de manière autorisée, les scientifiques occidentaux et les cannibales.
  • [48]
    Louis Boussenard, Le Tour du monde d’un gamin de Paris, jv, 19 mars 1879, p. 162 ; id., Aventures d’un gamin de Paris à travers l’Océanie, jv, 19 fév. 1882, p. 98.
  • [49]
    « Les récits d’aventures du Journal des voyages », jv, 14 mai 1893, p. 306. L’éditorial nomme Constant Améro, Louis Boussenard, Charles Canivet, Frédéric Dillaye, Louis Jacolliot, et G[aston] de Wailly comme principaux auteurs de la revue.
  • [50]
    Sur les stratégies réalistes pour raconter l’extraordinaire, voir Letourneux, Le Roman d’aventures, op. cit., p. 183-222.
  • [51]
    Sur ce point, voir aussi Seillan, Aux sources du roman colonial, op. cit., p. 17-22 ; et Letourneux, Le Roman d’aventures, op. cit., p. 54, 77, 91.
  • [52]
    Letourneux, Le Roman d’aventures, op. cit., p. 21-23, 35, 223-248, 336-347, 410-415.
  • [53]
    Ibid., p. 23-24, 46, 349-405, 410-415.
  • [54]
    Seillan étudie « l’anglophobie obsessionnelle » dans le roman d’aventures français. Aux sources du roman colonial, op. cit., p. 27.
  • [55]
    Trégan, Aventures périlleuses, jv, 29 juil. 1877, p. 34 ; 23 sept. 1877, p. 163.
  • [56]
    Séguin, Le Robinson noir, jv, 9 fév. 1879, p. 78 ; 9 mars 1879, p. 139.
  • [57]
    Édouard Petit, spécialiste de l’éducation, écrivait : « La protection que nous […] accordons [aux] indigènes des pays de protectorat […] leur impose […] certains devoirs […]. Ces protégés sont des demi-Français dont la condition est absolument indéterminée. » Organisation des colonies françaises et des pays de protectorat, Paris, Berger-Levrault, 1894, t. 1, p. 261.
  • [58]
    Séguin, Le Robinson noir, jv, 27 avr. 1879, p. 251-254.
  • [59]
    Léon Gozlan, Les Émotions de Polydore Marasquin, Paris, Michel Lévy, 1857 ; en feuilleton dans le jv, 24 oct. 1880-22 fév. 1881.
  • [60]
    Ces traits de caractère ne sont pas fondés sur l’expérience personnelle de Marasquin ; il rappelle juste des faits bien connus. Gozlan, « Les Émotions de Polydore Marasquin », jv, 24 oct. 1880, p. 90.
  • [61]
    Ibid., jv, 14 fév. 1881, p. 90.
  • [62]
    Ibid., jv, 30 janv. 1881, p. 54.
  • [63]
    Ibid., jv, 14 fév. 1881, p. 91.
  • [64]
    Gozlan, « Les Émotions de Polydore Marasquin », jv, 23 janv. 1881, p. 38.
  • [65]
    Ibid., jv, 21 fév. 1881, p. 106.
  • [66]
    Ibid., jv, 7 fév. 1881, p. 74.
  • [67]
    Boussenard, Le Tour du monde d’un gamin de Paris, jv, 1879-1880 ; Aventures d’un gamin de Paris à travers l’Océanie, jv, 1882-1883 ; Aventures d’un gamin de Paris au pays des lions, jv, 1885 ; Aventures d’un gamin de Paris au pays des tigres, jv, 1885 ; Aventures d’un gamin de Paris au pays des bisons, jv, 1885-1886.
  • [68]
    Boussenard, Aventures d’un gamin de Paris à travers l’Océanie, jv, 29 oct. 1882, p. 260.
  • [69]
    Sur la dissimulation du désir du héros pour la mobilité, voir Letourneux, Le Roman d’aventures, op. cit., p. 23-24, 354-360.
  • [70]
    Boussenard, Tour du monde d’un gamin de Paris, jv, 16 mai 1880, p. 294-295.
  • [71]
    Sur ces visions manichéennes, voir Letourneux, Roman d’aventures, op. cit., p. 9, 21-23, 50-57, 352-354, 388, 412-419.
  • [72]
    Boussenard, Aventures d’un gamin de Paris à travers l’Océanie, jv, 17 sept. 1882, p. 165-67 ; 13 oct. 1882, p. 229.
  • [73]
    Friquet et ses amis l’emportent, grâce à un tigre et un orang-outang domptés par Friquet, qui tuent les faux accusateurs. Boussenard, Aventures d’un gamin de Paris à travers l’Océanie, jv, 5 nov. 1882, p. 276-277.
  • [74]
    Boussenard, Voyages et aventures de Mademoiselle Friquette, jv, 4 avr. 1897, p. 100, 283. Sur ce roman, voir Seillan, Aux sources du roman colonial, p. 165-170.
  • [75]
    Boussenard, Le Tour du monde d’un gamin de Paris, jv, 20 juil. 1879, p. 21.
  • [76]
    Boussenard, Voyages et aventures de Mademoiselle Friquette, jv, 6 mars 1898, p. 218.
  • [77]
    Ibid., 2 mai 1897, p. 349.
  • [78]
    Seillan discute cet anticolonialisme dans Aux sources du roman colonial, op. cit., p. 167.
  • [79]
    Raymond Jonas, The Battle of Adwa: African Victory in the Age of Empire, Cambridge, Belknap Press, 2011, chap. 18.
  • [80]
    « À nos lecteurs », jv, 20 mars 1881, p. 162.
  • [81]
    Boussenard, Les Robinsons de la Guyane, Paris, La Librairie illustrée, 1892, cité par Seillan, Aux sources du roman colonial, op. cit., p. 16-17. Le roman parut en feuilleton dans le jv en 1881. Comme Seillan le remarque, Boussenard était l’un des écrivains de romans d’aventures qui voyagea le plus (p. 17).
  • [82]
    Seillan, Aux sources du roman colonial, op. cit., p. 25.
  • [83]
    Berenson, Heroes of Empire, op. cit., p. 46. Les dépêches de Stanley au New York Herald furent publiées en 1872.
  • [84]
    Ibid., p. 23.
  • [85]
    La Caricature, 22 avr. 1882, couverture.
  • [86]
    Ibid., p. 132-133.
  • [87]
    Ibid., p. 132-133.
  • [88]
    « À nos lecteurs », jv, 18 fév. 1883, p. 98.
  • [89]
    Boussenard, Le Tour du monde d’un gamin de Paris, jv, 28 sept. 1879, p. 179.
  • [90]
    Boussenard, Aventures d’un gamin de Paris à travers l’Océanie, jv, 10 sept. 1882, p. 150.
  • [91]
    Cela renvoie au conte oriental du xviiie siècle, genre marqué par l’exotisme. Voir Madeleine Dobie, Foreign Bodies: Gender, Language, and Culture in French Orientalism, Stanford, Stanford University Press, 2001, chap. 3.
  • [92]
    Boussenard, Le Tour du monde d’un gamin de Paris, jv, 4 juil. 1880, p. 408-409.
  • [93]
    Boussenard, Aventures d’un gamin de Paris à travers l’Océanie, jv, 9 avr. 1882, p. 214.
  • [94]
    « Le Banquet des exotiques », jv, 2 fév. 1902, p. 178.
  • [95]
    Jules Gros, « Mœurs et coutumes annamites », jv, 21 fév. 1884, p. 114-116.
  • [96]
    « La mer de lait », jv, 2 déc. 1877, p. 336.
  • [97]
    « Nubiens à Londres », jv, 28 oct. 1877, p. 244 ; « Les Nubiens au Jardin d’Acclimatation », jv, 16 sept. 1877, p. 157 ; D. Tucker, « Exhibition de Lapons à Londres », jv, 17 mars 1878, p. 160 ; B. Asher, « Les Lapons au Jardin d’Acclimatation », jv, 15 déc. 1878, p. 362-363. Sur les expositions ethnographiques, voir Nicolas Bancel et al. (dir.), Zoos humains : de la Vénus hottentote aux reality shows, Paris, La Découverte, 2002.
  • [98]
    « Nouvelles de nos colonies » est d’abord paru en 1889, suivi de « La France coloniale » (qui citait pas moins de 43 articles rien qu’entre janvier et juin 1889) et « Colonisation et émigration » (utilisé à partir de 1893).
  • [99]
    Letourneux, « La colonisation comme un roman », art. cité.
  • [100]
    « Découverte d’une ville dans le lac de Genève », jv, 29 juil. 1877, p. 48.
  • [101]
    « A Submerged City in the Lake of Geneva », Friends’ Intelligencer, 34, 1877, p. 669. Le narrateur d’Umberto Eco dans Le Cimetière de Prague, Paris, Grasset, 2011, affirme à propos de cette histoire : « Des marins locaux firent de bonnes affaires en amenant les touristes au milieu du lac. »
  • [102]
    « À nos lecteurs », jv, 10 nov. 1878, p. 274.
  • [103]
    « Le Mouvement géographique » était une rubrique couvrant les activités des sociétés de géographie, jv, janv.-juin 1889.
  • [104]
    « Les 54 Prix de fondation de la Société de Géographie », site officiel de la Société de géographie : http://www.socgeo.org/les-54-prix-de-fondation. Ce prix est encore décerné aujourd’hui.
  • [105]
    L. G. Binger, « Comment on devient explorateur », jv, 21 nov. 1897, p. 386-388.
  • [106]
    « À nos lecteurs », jv, 14 avr. 1878, p. 210 ; Boussenard, « Le Tour du monde d’un gamin de Paris », jv, 4 juil. 1880, p. 408.
  • [107]
    Bruno Fuligni, Les Constituants de l’Eldorado ou la République de Counani, Bassac, Plein Chant, 1997 ; id., L’État c’est moi : histoire des monarchies privées, principautés de fantaisie et autres républiques pirates, Paris, Les Éditions de Paris, 1998, cité dans Frédérique Roussel, « Quand la Guyane se rêvait libre », Libération, 22 juil. 2009 [http://voyages.liberation.fr/grandes-destinations/quand-la-guyane-serevait-libre, consulté le 31 déc. 2012].
  • [108]
    Un tiers environ du corpus de Verne avait été publié en 1879 quand le roman de Robida commença à paraître en livraisons.
  • [109]
    Brian Stableford, « Introduction », dans Robida, The Adventures of Saturnin Farandoul, Encino, Hollywood Comics, 2009, p. 57.
  • [110]
    Les stéréotypes racistes et l’idéologie colonialiste des romans de Verne étaient plus nuancés et ambigus que ceux publiés dans le jv. Voir, par ex., Noël Carroll, Beyond Aesthetics: Philosophical Essays, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 185-189.
  • [111]
    Antonio Faeti, Guardare le figure, Turin, Einaudi, 1972, p. 171-172.
  • [112]
    Pour Léon Gozlan, l’Histoire naturelle (1648) de George Marcgrave suggérait que les singes étaient capables de communiquer à travers quelque chose qui ressemblait au langage. Les Émotions de Polydore Marasquin, jv, 12 déc. 1880, p. 363-364.
  • [113]
    Les anthropologues français, dans les années 1840 et 1850, étaient convaincus de l’existence d’un tel peuple. Jan Bondeson, A Cabinet of Medical Curiosities, Ithaca, Cornell University Press, 1997, p. 173.
  • [114]
    Stableford, « Introduction », art. cité, p. 12.
  • [115]
    Un critique spéculait que le roman « intéressera davantage les esprits mâles en quête de distractions que les enfants ou jouvenceaux ». « Comptes rendus analytiques », Le Livre : revue mensuelle (Bibliographie moderne), première année, 1880, t. 2, p. 113. Le critique Octave Uzanne mentionne les Voyages très extraordinaires comme l’un des romans de Robida « qui nous ont agréablement divertis ». « Critique littéraire du mois, » Le Livre : revue du monde littéraire (Bibliographie moderne), vol. 10, 1889, p. 21.
  • [116]
    Par exemple, Livingstone et la tribu des Makalolo apparaissent dans Un capitaine de quinze ans (1878) de Verne qui est probablement ce qui incita Robida à écrire sur la nation Makalolo.
  • [117]
    « Ce qu’on trouve à lire dans le Journal des Voyages », jv, 5 déc. 1897, n. p.

1Dans la seconde moitié du xixe siècle, les Français ont perçu les voyages lointains comme l’occasion d’aventures toujours plus intenses. Ces nouvelles associations imaginaires ont donné naissance à de nouvelles sortes de textes et d’images. Influencés par les auteurs de langue anglaise, les écrivains français ont rapidement adopté le nouveau genre du roman d’aventures [1]. À l’instar de Jules Verne (1828-1905) [2], beaucoup écrivaient aussi des récits documentaires, notamment des histoires d’exploration. Le taux croissant d’alphabétisation, la naissance de la presse de masse et les transformations du monde de l’édition ont contribué à cette prolifération impressionnante de textes et d’images liés aux aventures. Le quotidien populaire Le Petit Journal (1863-1944) consacrait à partir de 1890 un grand nombre des pages couleurs de son supplément dominical aux guerres coloniales françaises, sujet qui impliquait nécessairement le voyage [3]. Participant à la spectaculaire explosion de la culture visuelle, les périodiques dédiés au voyage étaient richement illustrés [4]. En même temps que la société de consommation et de nouvelles techniques publicitaires, une nouvelle culture de la célébrité se développa : militaires et personnalités coloniales étaient les nouveaux héros de la Troisième République [5]. Les idéologies impérialistes, promues par le gouvernement et les sociétés de géographie, nourrissaient l’enthousiasme pour les récits d’aventures aux décors exotiques [6].

2Le Journal des voyages et des aventures de terre et mer (1877-1915) dominait le marché du périodique d’aventures dans les débuts de la Troisième République [7]. C’est sur lui (désormais Journal des voyages) que cet article se concentre. Visant avant tout un jeune public [8], cet hebdomadaire illustré de seize pages publiait nouvelles et romans d’aventures inédits situés aux quatre coins du monde et signés d’auteurs populaires [9]. Il offrait également des récits documentaires et des pages d’actualités sur les explorations, les voyages et autres aventures. Le Journal des voyages se glorifiait de l’écurie d’auteurs et d’illustrateurs qui collaboraient aux récits d’aventures dont il avait fait sa spécialité. Unique en son genre en offrant jusqu’à trois nouveaux romans par numéro [10], la revue avait pour concurrent non seulement d’autres périodiques mais aussi des maisons d’édition : Dreyfous inaugura en 1878 une collection dénommée « Bibliothèque des Voyages et Aventures » ; en 1880, Hetzel lança « Les Romans d’Aventures » ; et Fayard suivit en 1892 avec « Aventures et Voyages » [11]. Diffusé à travers la France en librairie, en kiosque et dans les gares ainsi que par abonnement [12], le Journal des Voyages connut un succès éclatant et, de 1877 à 1915, selon Marie Palewska et Sylvain Venayre, « absorba presque systématiquement les revues concurrentes [13] », en l’occurrence, « quatre journaux dont la matière est voisine de la sienne [14] ». Sa promotion se félicitait de ses « milliers et milliers de lecteurs [15] ».

3Comment expliquer la popularité du Journal des voyages et sa position dominante dans la production de romans d’aventures ? Que nous apprend l’illustré sur le lien entre les romans d’aventures et le phénomène plus large de l’aventure [16] ? Afin de répondre à ces questions, cet article se penche sur les contenus fictionnels et non fictionnels du Journal, principalement durant ses deux premières décennies, période charnière où l’explosion de la presse illustrée coïncida avec l’expansion rapide du colonialisme français. Les efforts de la revue pour se poster à la croisée des chemins entre récits d’aventures et informations géographiques font la matière de cet article qui étudie l’imaginaire fictionnel de l’hebdomadaire autant que ses techniques promotionnelles. Afin d’explorer davantage les idéologies à l’œuvre dans le genre de l’aventure, ainsi que la réception et l’influence du Journal des Voyages, cet article se tourne dans un dernier temps vers une parodie de récit d’aventures signée Alfred Robida (1848-1926), contributeur régulier au Journal des Voyages[17]. Ce roman comique, Voyages très extraordinaires de Saturnin Farandoul (1879-1880), jette une lumière crue sur la manière dont le Journal prétendait servir la vérité et l’instruction – principes dont il se gargarisait. La satire remet en cause ces bonnes intentions.

4Cet article cherche à démêler un aspect crucial de la « culture coloniale », concept utilisé par Sandrine Lemaire et Pascal Blanchard. On a longtemps soutenu que les Français restèrent jusqu’au début du xxe siècle largement indifférents au projet d’empire colonial. Cette opinion reçue est aujourd’hui battue en brèche. De nombreux travaux ont montré à quel point, dès les années 1870, le colonialisme et ses imaginaires associés furent constamment célébrés, notamment à travers les expositions universelles, la presse et la culture populaire [18].

5Nous pouvons mieux comprendre les interactions des divers contenus de la revue, en lisant les romans d’aventures tels qu’ils étaient originellement publiés par le Journal des voyages, entre articles documentaires et informations. Le Journal associait étroitement les récits fictifs aux récits documentaires, mais aussi au savoir que dispensaient les sociétés géographiques. Dès son premier numéro, l’illustré déclarait répondre au « goût de plus en plus marqué en France pour les récits de voyages et d’aventures ». Il vantait également « la nécessité de connaître ce globe sur lequel nous nous agitons », nécessité démontrée s’il le fallait par des « événements récents » qui avaient révélé « le danger […] à s’isoler des autres peuples et à en ignorer les mœurs, les coutumes et les tendances [19] ». La revue affichait deux buts inséparables : publier des récits de voyages et d’aventures inédits ; et disséminer le savoir géographique à la suite de la défaite française dans la guerre de 1870. Ces buts étaient au diapason de la promotion par l’État, durant la Troisième République, du savoir géographique comme d’un élément constitutif de son programme d’éducation obligatoire [20]. La presse et l’industrie du livre faisaient partie intégrante de cet effort. Le ministère de l’Instruction publique fit ainsi « une importante souscription » au Journal des voyages[21]. Même l’Académie française distingua le magazine en lui décernant le prestigieux prix Montyon [22].

6Les objectifs de la revue – divertir et éduquer la jeunesse – ressemblaient à ceux du Magasin d’éducation et de récréation (1864-1905) de Hetzel, qui publia en feuilleton les romans de Verne, mais le Journal des voyages se distinguait par son intérêt exclusif pour le voyage et l’aventure [23]. À la différence du Tour du monde (1860-1914), qui proposait des récits de voyages documentaires à des adultes de la classe moyenne, le Journal des voyages baignait dans le sensationnalisme. Il avait un goût prononcé pour les rencontres des Européens avec des mœurs « sauvages ». De fait, « sauvage » était un mot-clé utilisé autant dans les titres – « La Vie sauvage », « Le Monde sauvage », « Les Peuples sauvages » – que dans le corps des textes. Un article se référait par exemple aux « habitants à demi-sauvages » du Cambodge. Le mot se retrouvait dans les fictions [24]. Les images en couverture étaient elles-mêmes souvent à sensation illustrant volontiers les dimensions les plus spectaculaires ou violentes des récits, qu’ils soient documentaires ou fictifs. L’omniprésence dans les discours de la Troisième République de termes comme « sauvages » (l’adjectif comme le nom) [25] était la preuve que les théories sur la race et la civilisation qui plaçaient les Européens au sommet et les Africains à la base étaient largement partagées [26].

7Tous les textes et les images du Journal des voyages tournent autour de ce que j’appelle les voyages extrêmes. J’utilise cette expression pour caractériser des voyages imprégnés d’un sensationnalisme qui souligne d’une part la supposée violence, cruauté et surtout primitivité des peuples jugés inférieurs aux Européens et, d’autre part, le désir de dominer ces peuples. Des historiens de la littérature comme Matthieu Letourneux et Jean-Marie Seillan ont montré comment ces thèmes couraient à travers les romans d’aventures français [27]. Cet article prolonge l’enquête de deux façons. D’abord, il étudie à quel point les illustrations de la revue eurent un rôle essentiel dans la production de ce sensationnalisme ; ensuite, il examine les interactions entre ce sensationnalisme et la prétention de l’illustré à dire la vérité. Cet article propose ensuite une relecture des traits génériques du récit d’aventures en fonction de ces interactions. Grâce à l’indécision recherchée entre fictions et descriptions exactes de lieux réels, le Journal des voyages a promu une perspective idéologique sur le monde où les Français en particulier, et les Européens en général, pouvaient se propulser au sommet des hiérarchies sociales de sociétés qualifiées de primitives. Ses récits d’aventures ont collectivement construit les fantasmes coloniaux français d’un héros se déplaçant sans arrêt à travers les régions « sauvages », voyages incessants qui lui permettaient d’accumuler une expérience de ces mondes et de dominer des populations jugées inférieures [28].

Sensation et vérité

8La toute première image [Ill. 1] publiée dans le Journal des voyages représente trois hommes nus et terrifiés attachés à des arbres. Deux d’entre eux sont encerclés par des boas. Un serpent est sur le point d’avaler la tête d’un homme. Un autre mord le cou de sa victime ; tandis qu’un troisième descend lentement vers sa proie. Par le biais d’une telle couverture, la revue proclamait que les récits sensationnels de tumultueux « voyages d’aventures » seraient sa spécialité. L’image incite lecteurs et lectrices à se demander qui sont ces hommes. S’ils ressemblent à des Européens, aucune indication sur leur identité n’est donnée par la légende : « Aventures périlleuses d’un marin français dans la Nouvelle-Guinée – CHÂTIMENT DES CRIMINELS [29] ». C’est seulement en lisant le récit qu’il devient clair que ces hommes sont des indigènes de la Nouvelle-Guinée. En leur donnant des traits européens, l’image est donc trompeuse. La confusion ne fait que croître quand l’on regarde la couverture du deuxième numéro [Ill. 2], qui illustre une autre scène de la même histoire où des autochtones torturent des Européens. Sur cette deuxième gravure, la peau des indigènes est beaucoup plus sombre aggravant ainsi la confusion : qui exactement est menacé et par qui ? Mais la revue induit en erreur de manière encore plus essentielle, jouant d’une indécidabilité recherchée : ces images dépeignent-elles des événements réels ? Rien ne dit jamais clairement si le récit ainsi illustré – les Aventures périlleuses de Louis Trégan – est une fiction, un reportage ou bien une fiction fondée sur une histoire vraie [30].

Ill. 1

« Aventures périlleuses d’un marin français dans la Nouvelle-Guinée – CHÂTIMENT DES CRIMINELS », Journal des voyages, 8 juillet 1877

Ill. 1

« Aventures périlleuses d’un marin français dans la Nouvelle-Guinée – CHÂTIMENT DES CRIMINELS », Journal des voyages, 8 juillet 1877

[Coll. part. H. H. Hahn, cliché de l’auteur].
Ill. 2

« Je vis torturer un autre infortuné », Journal des voyages, 15 juillet 1877

Ill. 2

« Je vis torturer un autre infortuné », Journal des voyages, 15 juillet 1877

[Coll. part. H. H. Hahn, cliché de l’auteur].

9Puisque ce récit est narré à la première personne et relate les aventures d’un dénommé Trégan – portant donc le même nom que le signataire du texte –, les Aventures périlleuses semblent être autobiographiques et donc vraies. Mais la crédulité de n’importe quel lecteur est mise à rude épreuve par la conclusion du récit : après des années passées en Nouvelle-Guinée, Trégan est recueilli par un navire où se trouve son ami d’enfance qui, comme par hasard, était aussi homme d’équipage sur le bateau qui fit jadis naufrage. Vu ces coïncidences improbables, il est difficile de croire qu’un lecteur ait pu prêter foi aux Aventures périlleuses, d’autant que ce type de dénouement était monnaie courante dans les romans d’aventures. Mais le récit de Trégan séduisait car il incitait le lecteur à suspendre tout doute sur la plausibilité d’événements tirés par les cheveux. De tels dénouements imprégnaient donc le réel d’irréel et inversement.

10Une confusion de cette sorte seyait à un journal oscillant obstinément entre vraisemblance et sensationnalisme. Dès son premier numéro, l’illustré annonçait que « chaque numéro […] contiendra […] une grande relation de voyage » (rubrique où se trouvait le récit de Trégan) et « une aventure de terre ou de mer (récit de naufrage ou de chasse périlleuse, etc.) » – description qui désignait tout type de texte dont le statut fictionnel n’était pas clair. Le Journal promettait aussi « l’histoire des voyages, un attachant roman d’aventures, la géographie d’un département de la France, un chapitre du Tour de la Terre en quatre-vingts récits, une revue des plus récents ouvrages de voyages, et enfin une chronique des voyages et de la géographie [31] ». La proximité, au sein du périodique, de romans, récits historiques, actualités et chroniques sur des sujets parallèles – voyages, aventure et géographie – contribuait à la confusion générale entre récits fictifs et documentaires. Les textes étaient présentés sous une curieuse titraille. Les catégories utilisées en 1878 pour les romans incluaient « Aventures extraordinaires à terre, en mer et dans l’air », « Voyages prodigieux » et « Relations de voyages ». Les récits documentaires avaient droit à des titres similaires : « Aventures de terre et de mer », « Les drames géographiques » et « Histoire des voyages [32] ». Beaucoup d’écrivains livraient à la fois récits fictifs et documentaires [33]. Les couvertures de la revue, souvent dessinées par Horace Castelli, jouaient leur rôle dans la confusion.

11La véracité des récits d’aventures était un hameçon essentiel du Journal. La dimension fictive des récits n’était jamais avouée (même s’ils étaient sûrement des fictions). Le Journal préférait bien plutôt proclamer leur « vérité [34] ». Ces récits comportaient des descriptions détaillées des cultures éloignées, des paysages exotiques, des peuples « sauvages », descriptions tirées pour la plupart d’essais géographiques qui, au cours du xixe siècle, avaient fini par intégrer des études ethnographiques sur les systèmes politiques, la société, la culture et l’économie [35]. Une publicité de 1897 dans le Journal des voyages souligne les caractéristiques de ses récits d’aventures : « la couleur locale, la description exacte des paysages, la vérité des mœurs et des coutumes, […] une moralité irréprochable, […] la vérité géographique [36]. » Les « récits d’aventures », affirmait la réclame, appartenaient à un nouveau genre, « empruntant ses péripéties, ses émotions, ses surprises » au roman, mais « élargissant le cadre habituel » de ce type d’histoires en les situant aux quatre coins du monde. Ce qui est perçu ici comme vrai ressemble à cette sorte de petits faits qui, comme le remarque Barthes dans son étude du réalisme chez Balzac et Flaubert, ne fait pas avancer l’intrigue mais construit plutôt « l’effet de réel [37] ». Les récits d’aventure se distinguaient pourtant des romans réalistes antérieurs parce qu’ils claironnaient leur vérité et parce qu’ils étaient convaincus que cette vérité reposait sur un savoir scientifique. Le Journal faisait une distinction implicite entre l’information scientifique et le drame romanesque. Mais en même temps, il liait si souvent « récits d’aventures » (fictionnels) et « récits d’exploration » (non fictionnels) qu’ils avaient presque l’air d’appartenir au même genre [38].

La fascination des pratiques sauvages

12Les couvertures du Journal des voyages dans la période 1877-1900 se délectaient des us dits « sauvages », notamment des formes cruelles de punition et des coutumes violentes de peuples prétendus non civilisés. Un numéro montre des « amazones » du Dahomey (actuel Bénin) tenant le chef décapité d’un homme [39]. D’autres numéros représentent des « Indiens scalpeurs » et « Les Fanatiques au Maroc ». Un article titré « Supplices et tortures chez tous les peuples » était illustré par « Une exécution à Pékin [40] ». Les images du Journal des voyages peignaient à l’envi la violence infligée aux Européens dans des contrées éloignées – assassinats, banditisme et torture [41]. La violence européenne contre des non-Européens était, en revanche, absente de ces images – sauf en cas d’autodéfense. Les Européens étaient toujours représentés comme de nobles explorateurs et des colonisateurs luttant pour domestiquer la nature [42].

13Le cannibalisme était un sujet fréquent du Journal des voyages, ce qui donnait l’impression que cette pratique était bien plus répandue dans le monde qu’elle ne l’était réellement. Cela correspond bien à la tendance de la culture coloniale, y compris dans les expositions et les récits d’aventures, à souligner le rare et le bizarre [43]. « Les Anthropophages. Le chef choisit son morceau qu’il découpa », lit-on par exemple en légende d’une couverture où des Noirs tranchent la gorge d’un Blanc tandis que des enfants mangent la chair de la victime encore vivante [44]. Une autre couverture illustre un article sur un roi cannibale des Iles Fidji [45]. Une autre encore titre « À travers l’Australie. Ce fut une orgie de cannibales », et montre des hommes qui essaient d’avaler les membres de mannequins anatomiques échappés des malles d’un cargo [46]. Bien que cette gravure illustre un roman de Louis Boussenard (1847-1910), À travers l’Australie (1878), la légende ne le dit pas, donnant plutôt l’impression qu’il s’agit d’un événement réel [47]. Par ailleurs, Boussenard entame son best-seller, Tour du monde d’un gamin de Paris (1879-1880), avec un chapitre intitulé « Mangeurs d’hommes » où il est expliqué comment des cannibales africains préfèrent savourer leur viande humaine. La première partie de ses Aventures d’un gamin de Paris à travers l’Océanie (1882-1883) se nomme « Les Cannibales de la mer de corail » [48]. Horreur et fascination découlaient de cette obsession pour le cannibalisme, qui confirmait la théorie d’une hiérarchie des civilisations et apportait de l’eau au moulin du colonialisme.

14Le sensationnalisme de la revue saute aux yeux des lecteurs d’aujourd’hui. Mais les lecteurs du xixe siècle ne semblent pas avoir perçu que leur illustré s’adonnait à cette pratique. Si Le Petit Journal s’était fait une spécialité des crimes, des désastres et des scandales spectaculaires pour appâter le chaland, le Journal des voyages ne cessait d’insister dans ses éditoriaux sur l’authenticité et la véracité de ses récits d’aventures – qui étaient en fait fictionnels – ainsi que sur la valeur éducative de telles histoires. La revue les promouvait en garantissant que ces récits étaient fondés sur des connaissances géographiques au sens large et, dans de rares cas, sur des voyages réels. La plupart du temps, toutefois, la véracité des histoires était revendiquée sans que rien ne vienne la justifier : un éditorial affirme que les auteurs de l’illustré « savent être pittoresques, amusants et accessibles à chacun tout en restant fidèles à la vérité [49] ».

15Le sensationnalisme du Journal des voyages était justifié par le réalisme autoproclamé du périodique : peu importe que les intrigues nous apparaissent fantaisistes aujourd’hui, elles étaient présentées comme plausibles et conçues de telle façon qu’elles auraient pu être réelles [50]. À une époque où le grand public en savait très peu sur les régions éloignées, romanciers et artistes leur offraient des réalités pleines de stéréotypes [51]. Une fois séduits, les lecteurs ne discernaient plus le sensationnalisme parce que la revue les engageait perpétuellement à partager sa conception du monde et ses attentes en matière de fiction. Par exemple, une fois qu’une coutume cannibale était perçue comme une réalité ordinaire quelque part à l’autre bout du globe, elle devenait réelle plutôt que sensationnelle. Le rôle de la fiction, selon le Journal des voyages, était de transmettre des informations sous la forme d’une intrigue divertissante et édifiante. Ce qui rendait l’ordinaire extraordinaire, c’était la présence d’un héros blanc (en général français) et les aventures que vivait le héros : en insistant sur la vérité des récits d’aventures, la revue promouvait une vision du monde où les fictions les plus tirées par les cheveux pouvaient être acceptées comme des faits.

Les hiérarchies de l’aventure

16Dans son étude sur le roman d’aventures, Matthieu Letourneux offre une « typologie » qui aide à comprendre pourquoi la violence fut à ce point écartée de la civilisation européenne : elle fut mise tout entière au compte des « sauvages ». Letourneux soutient que le « roman d’aventures » est structuré par les deux pôles de la sauvagerie et de la civilisation, correspondant respectivement au principe de plaisir et au principe de réalité, et par suite aux deux genres de la romance et du novel. Selon lui, le genre de l’aventure est ambivalent à propos de la « co-pénétration » du « monde de la sauvagerie et du monde de la civilisation » : le héros aventurier ne vit une forme d’« ensauvagement » – devenant comme un indigène – que pour tirer du « monde de la sauvagerie » un pouvoir qui lui permette de restaurer « l’ordre de la civilisation [52] ». Les efforts du héros pour exercer son libre arbitre dans ce monde sauvage aboutissent à la gratification de ses pulsions. Dans chaque histoire, ce qui est en fait central – la sauvagerie – est mis à distance grâce à de multiples dispositifs narratifs car le récit ne peut révéler que la sauvagerie attire le lecteur autant que le héros. Dès lors, au cœur du contrat de lecture, gît « la mauvaise foi », un mensonge sur le contenu du récit et sur son fonctionnement [53]. Les théories de Letourneux sont particulièrement utiles pour comprendre jusqu’où le récit d’aventures fait de la domination du héros sur une société « sauvage » le produit logique de la supériorité inhérente des Européens. Le droit à jouir de l’aventure leur était dû, à en croire ces récits.

17Une telle interaction entre sauvagerie et civilisation était récurrente dès la fin des années 1870 car les récits d’aventures étaient hautement répétitifs. Les fictions publiées par le Journal des voyages partagent toutes le même arc narratif fait de coups de théâtre, de coïncidences inouïes et du retour des protagonistes à leur point d’origine. La mobilité du héros, selon moi, constitue un élément central dans la logique des récits d’aventure. Le héros se déplace dans l’espace-temps d’un monde exotique et primitif. Cette mobilité lui permet d’accumuler des expériences et de dominer ainsi le monde dans lequel il évolue (grâce à sa mobilité verticale). Cette progression narrative s’accompagne de stéréotypes racistes, d’une célébration de la supériorité morale et intellectuelle des Français, de la promotion de valeurs manichéennes et de la conviction que la civilisation apporte le progrès ; tout cela qui, implicitement ou non, étayait le colonialisme français. L’antagonisme avec l’impérialisme britannique était lui aussi récurrent, notamment dans les romans de Louis Boussenard ; il était justifié par un portrait à charge des Britanniques, individus impitoyables et avides de pouvoir [54].

18Les Aventures périlleuses (1877) de Trégan manifestent ces caractéristiques centrales du genre de l’aventure. Sa culture européenne prétendument supérieure, ajoutée à son intégrité morale également supérieure, permet au héros de rester civilisé à travers toutes ses expériences et le catapulte au sommet de la hiérarchie sociale. Même si Trégan passe plusieurs mois avec des cannibales et « partage leur vie, chassant et pêchant avec eux », il évite – laisse entendre le texte – de manger de l’homme. Et bien que se mêlant un peu plus à la société primitive en assombrissant sa peau et en épousant une femme du cru, il reste en son for intérieur un homme civilisé ; il refuse qu’on immole un esclave pour fêter son mariage, coutume locale qu’il juge « barbare [55] ». D’innombrables récits d’aventures de l’époque dépeignent ces voyageurs européens échoués qui s’assimilent en partie aux sociétés primitives – ayant souvent des histoires d’amour avec des femmes indigènes et atteignant toujours un rang élevé dans leur nouvelle société. Ces individus, nous dit-on, font progresser leur société d’adoption. Mais, en dépit de leur adaptation, ils restent « civilisés » (selon les critères européens) dans les domaines de l’esprit, des affects et de la religion : ils demeurent braves, honnêtes, galants, humbles et au cœur pur.

19Ce topo de la hiérarchie des civilisations est particulièrement flagrant dans Le Robinson noir (1877-1878) d’Alfred Séguin, étrange robinsonnade qui relate le naufrage du jeune Noir Charlot. Par une remarquable coïncidence, son frère de lait, le jeune créole Georges de Merville, est rejeté sur le rivage de la même île. Bien que Georges ait été cruel avec lui, Charlot se montre prévenant pour le nouvel arrivant. Charlot conserve son éthos civilisé – comme le manifestent son alphabétisation, ses vêtements et son utilisation des armes à feu – même s’il est noir, parce que, explique le texte, il vient de la ville européanisée de Lima. Les coïncidences continuent : le royal « chef des sauvages » se révèle n’être autre que le marin français La Gamelle qui, plus tôt, avait sauvé la vie de Charlot. Un Français ordinaire a donc non seulement atteint le sommet d’une société « sauvage », mais il exerce, selon les mots de La Gamelle, le « pouvoir absolu » sur les cannibales, ses « abominables sujets [56] ». Un autre thème revient ici, où l’on voit des Français sauver des esclaves opprimés. Autrement dit, l’influence de la culture française mène à un monde plus humain et les Français gagnent naturellement l’amour et le respect des peuples indigènes. Sous le règne de La Gamelle, qui demeure un Européen de cœur et qui ne se convertit pas au cannibalisme, Charlot et Georges deviennent des chefs qui aident à civiliser le monde qui les entoure. Le processus de la colonisation n’est pas, toutefois, présenté comme une colonisation en tant que telle, puisque La Gamelle s’est « assimilé » à cette nouvelle société. Les interactions humaines de l’histoire résonnent donc avec la rhétorique impérialiste de la Troisième République friande de termes comme « protection », « protégés » et « protectorats [57] ». Secourus par l’ancien capitaine de La Gamelle qui le cherchait sans répit (manifestant ainsi la loyauté et l’intégrité françaises), les personnages retournent à Lima [58]. Contrairement à Trégan qui, de retour au foyer, se languissait de son épouse indigène, personne à la fin du Robinson Noir n’exprime regret ni nostalgie. Les personnages vivent plutôt une pleine restauration de l’ordre – et, de fait, d’un ordre plus juste qu’au début puisque Charlot est maintenant devenu l’égal de Georges. À travers l’affirmation de son éthos civilisé, Charlot a même gagné le droit à la vantardise : c’est lui qui publie Le Robinson noir.

20Les Émotions de Polydore Marasquin, signé Léon Gozlan, relatent de même les conséquences d’un naufrage, cette fois sur une île mystérieuse habitée par des singes [59]. Dans ce texte publié une première fois en 1857 et réimprimé par le Journal des voyages en 1880-1881, les stéréotypes raciaux abondent. Le narrateur à la première personne caractérise les « pirates chinois et malais » de « race jaune, infinie et terrible [60] ». Ce texte reflète aussi le processus d’« ensauvagement » tel que le décrit Letourneux. Quand Marasquin, négociant d’animaux à Macao, revêt « la peau du gigantesque mandrill » trouvée dans le bureau désert du contre-amiral anglais Campbell, il devient aussi agile, fort et vif que le dieu-singe qui est l’objet d’« une vénération fanatique » par les primates habitants sur l’île. Marasquin est proclamé roi bien qu’il reste mentalement civilisé. S’émerveillant de ses nouvelles capacités, il continue pourtant de penser comme un humain [61]. Tout en exultant dans sa nouvelle vie en harmonie avec la nature, il civilise un peu plus les singes [62]. Comme Trégan, Marasquin s’attache émotionnellement à cette société primitive – au point qu’il est prêt à laisser les singes le tuer (plutôt que de risquer de leur faire du mal) quand la peau se déchire et révèle qu’il est un homme [63].

21Le roman de Gozlan adopte nombre de préoccupations thématiques et narratives qui caractérisent le genre de l’aventure à l’époque. Un naufragé européen s’élève au sommet d’un monde primitif grâce à son audace et son intelligence, bien que dans ce cas à travers la ruse. Il se livre à des actes violents, y compris le massacre des singes, et s’ensauvage ainsi en partie, gagnant ainsi des forces spéciales. Détenteur d’un pouvoir absolu, il pacifie la société indigène. À cause de son déguisement, il ne ressemble pas plus à un colonisateur que l’assimilé La Gamelle. Le récit évite les intrigues qui auraient pu prêter à controverse comme l’accouplement de Marasquin avec une femelle singe. Le fait que Marasquin perde son déguisement signifie que le texte évite aussi un dénouement où un Européen resterait roi des singes et le royaume sans aucune présence humaine. La logique du réalisme est bien plutôt ré-instituée : les Anglais, qui avaient été enlevés par des pirates malais, reviennent sur l’île. Au lieu de défendre son royaume, Marasquin passe aux humains et se laisse sauver, tout en permettant à la « civilisation » de s’imposer sous l’égide des colons britanniques. La fragilité de la peau du mandrill sert donc de moyen commode pour faire du règne de Marasquin une aventure seulement temporaire. Le récit peut à son tour éviter une tension pénible entre deux logiques, celle du bonheur durable d’un roi singe et celle de la colonisation anglaise. Cette dernière laisse incertain le sort des singes puisque Campbell avait, avant l’arrivée de Marasquin, promis de purger « l’île de la présence intolérable des singes [64] ».

22À la fin du roman, Marasquin, qui coule à nouveau des jours heureux à Macao, éprouve de la nostalgie pour son existence dans la nature [65]. Comme Trégan, ce personnage n’est pas pleinement satisfait au terme de son histoire car les dons acquis dans sa vie sauvage ne durent pas. Marasquin ne mentionne pas le sort irrésolu des singes puisque sa nostalgie ne concerne que lui – son bonheur et son pouvoir évanouis. De fait, il semble même avoir oublié les projets de Campbell qui devaient aboutir au massacre des singes même les plus loyaux (au milieu de toutes les péripéties du texte, le lecteur les a probablement aussi oubliés) [66]. En éludant les conséquences logiques du retour des Anglais pour suivre plutôt le destin de Marasquin, le roman permet au héros de gagner sur tous les tableaux. Il apparaît à la fois comme un roi singe désireux de se sacrifier pour ses sujets, et comme un humain profitant des accomplissements de la civilisation, tandis que la sale besogne de massacrer les indigènes est laissée aux Anglais. Ce type de tension est à la base de tout roman d’aventures : la morale du genre est qu’il faut profiter de l’aventure pour l’aventure, tant qu’elle dure, et pour le pur plaisir d’en jouir. L’aventurier, qui retourne obligatoirement à sa vie quotidienne, n’est pas tenu responsable des conséquences de ses actes. Des questions irrésolues – comme celles du sort des sociétés abandonnées par Marasquin ou La Gamelle – peuvent donc être mises de côté. Point de salut hors l’aventure !

23Dans les cinq romans de Boussenard qui mettent en scène le personnage de Friquet, tous publiés en feuilleton dans le Journal des Voyages[67], le thème du Français grimpant les échelons d’un ordre primitif fait retour. Dans les Aventures d’un gamin de Paris à travers l’Océanie, Friquet devient le sultan de Bornéo. Son nouveau rang lui permet d’imaginer faire de ses amis ses ministres – en somme, de créer une colonie [68]. Resurgit aussi la question du cannibalisme. Contrastant avec cette sauvagerie, se dresse l’humanité supposée des Français. Comme dans d’autres récits d’aventures, la vraie raison des errances de Friquet – son désir de mobilité pour la mobilité – est fréquemment masquée [69]. Même si Friquet admet souvent qu’il veut juste voyager autour du monde, ce désir va toujours de pair avec son envie de partager la compagnie de ses amis. S’il voyage sans cesse et se trouve continuellement confronté à de nouvelles aventures, c’est parce qu’ il veut les retrouver.

24L’intrigue la plus captivante dans Le Tour du monde d’un gamin de Paris du même Boussenard est aussi la plus ambiguë. Un mystérieux et puissant « vaisseau de proie », dont les moteurs fonctionnent à l’hydrogène liquide, est capable de se muer en quatre navires différents. Contrôlé par une organisation criminelle internationale, le vaisseau est utilisé pour commettre des crimes variés, causer des naufrages ou fomenter des explosions. À la tête de l’organisation – un « Ordre » auquel appartiennent de nombreux membres de l’élite française – se trouve un comte riche et respecté [70]. Cette intrigue réaffirme la prétendue supériorité intellectuelle des Français : ils font non seulement de magnifiques héros, mais aussi de formidables criminels qui dominent la terre. Le monde du roman est une scène où se déploie un combat entre le bien et le mal, incarné par des héros français et des maîtres du crime non moins français [71]. Cette intrigue, en même temps que le commerce secret d’esclaves qui en est le cœur, suggère néanmoins qu’on ne peut tenir pour acquis le sentiment collectif d’une supériorité morale européenne. Dans le roman océanien de Boussenard, où un Français méchant et diabolique conspire une fois de plus pour le contrôle de sociétés « sauvages [72] », ce sont les Anglais qui bloquent la mobilité des héros français, allant jusqu’à accuser les amis de Friquet d’avoir assassiné l’un de leurs officiers [73].

25Les Voyages et aventures de Mademoiselle Friquette, toujours signés Boussenard, paraissent en feuilleton dans le Journal des voyages en 1896-1898. Sa vedette en est un personnage féminin qui prend explicitement modèle sur Friquet. Cette Friquette se retrouve héroïne nationale en Corée. Puis, suivant sa propre logique de mobilité continuelle, elle abandonne le roi et le prince de Corée en plein péril. Les stéréotypes abondent. Par exemple, le narrateur généralise : « Avec une absence bien orientale de scrupule, le roi [de Corée] s’approprie tout ce qui lui plaît. » Et puis, il se déchaîne : « Le nègre est comme le Chinois. […] Montrez-lui le fouet, et si cela ne suffit pas, faites le lui sentir, il devient alors souple comme un jonc et subitement s’humanise [74]. » Les « non civilisés », où qu’ils soient, sont si crédules qu’il suffit à Friquette de quelques tours scientifiques pour s’échapper. Déjà, dans le premier roman, Friquet et ses amis avaient échappé à l’assiette des cannibales en inhalant de l’oxygène pour rester minces [75]. Et Friquette, à son tour, est presque avalée à Cuba dans un rituel cannibale lié au « Vaudoux » (sic) [76].

26En Éthiopie, Friquette devient derechef une héroïne nationale, indispensable modernisatrice du pays sous le règne de l’empereur Ménélik. L’intrigue du récit intègre même la victoire historique de Ménélik en 1896 sur l’armée italienne lors de la bataille d’Adoua [77]. Si le roman manifeste ainsi un anticolonialisme dirigé contre les Italiens [78], cette perspective est bien moins subversive qu’il n’y paraît. En réalité, la France n’était hostile à l’Italie qu’en raison de ses alliances. Après la bataille, on fit bruyamment savoir qu’un soutien décisif était venu des Français [79]. Dans le scénario imaginaire de Boussenard, ce soutien français arrive tout seul, grâce à Friquette ! Que Friquette devienne le sauveur supposé de l’Éthiopie suggérait que, face à l’agression de nations plus puissantes, seuls les Français pouvaient secourir des peuples moins civilisés. Même si ces intrigues semblent provocantes pour l’époque, les récits d’aventures du Journal des voyages réaffirmaient sans cesse l’ordre de la civilisation et les bénéfices de l’influence française.

Les « vérités » des romans de Boussenard

27À en croire l’autopromotion du Journal des voyages, c’étaient l’authenticité et la vérité qui rendaient irrésistibles les romans de Boussenard. En 1881, l’illustré vante les Robinsons de la Guyane comme « la narration exacte et vérifique [sic] de l’existence d’une famille française », fondé sur des témoignages oraux et une information « recueillie sur les lieux mêmes par Boussenard » six mois durant [80]. Ici, ce qui est déclaré « exacte et vérifique » n’est pas seulement les descriptions des lieux, des gens et des coutumes locales mais l’intrigue entière – « l’existence d’une famille française ». Cette fidélité au réel est due tout ensemble à la vérité supposée de l’histoire qui sous-tend l’intrigue et aux propres recherches de Boussenard en Guyane. Il découle de ce discours l’assertion ironique que les romans qui ne sont pas caractérisés par ces deux critères seraient moins « vrais ». Boussenard partageait la conviction que son roman guyanais disait vrai. Dans une lettre dédicatoire à Georges Decaux, le directeur de la Librairie illustrée qui avait financé son voyage, il écrit :

28

[D]epuis longtemps le journal dont vous êtes la personnification fait œuvre d’enseignement. […] [V]ous m’avez envoyé dans les régions inconnues, à la recherche de mœurs, d’aspects, d’aventures et de documents scientifiques. […] Puisque le premier en France vous avez pris cette initiative tout américaine, puisque vous vous inspirez des traditions de Gordon Bennett, je serai votre Stanley et je vous dirai : à bientôt le Tour du monde [81].

29Boussenard compare ici et avec assurance ses objectifs à ceux de Henry Morton Stanley (1841-1904) même si, à la différence de ce dernier, le Français cherchait à collecter sa moisson d’informations uniquement pour remplir un roman. Comme l’explique Seillan, les écrivains de l’aventure « transfèrent […] dans leurs fictions les procédures d’accréditation propres aux discours non fictionnels [82] ». Non sans ironie, toutefois, les dépêches de Stanley firent sensation dans le monde entier en partie à cause de leur style vif et émouvant proche de celui des récits d’aventures [83]. Que les origines de l’exploration de Stanley – la disparition de Livingstone – aient été inventées de toutes pièces par le New York Herald[84] montre jusqu’où les récits d’aventures fictifs et documentaires s’influençaient les uns les autres dans leur conception, leur narration et leur promotion.

30Que la véracité des Robinsons de la Guyane soit problématique et complexe, Robida le prouve par sa satire des voyages de Boussenard. La couverture d’un numéro de La Caricature [Ill. 3], publié en 1882, montre une mosaïque de scènes comiques : Boussenard prend des notes alors qu’il nage sous l’eau ou qu’il marche dans la jungle entouré d’énormes serpents [85]. Sur une double page s’étalent d’autres caricatures : Boussenard, allongé dans un hamac, tire calmement une carabine et un pistolet dans la gueule de deux gigantesques serpents ; lit un journal tandis que, sous son hamac, des crocodiles le guettent ; et franchit une chute d’eau en canoë [86]. Ces images pince-sans-rire, célébrant en Boussenard un aventurier, troublent la véracité de son roman car elles suggèrent qu’il est bien trop facile d’exagérer ses expériences, tout comme il est aisé d’imaginer (ainsi que Robida le fait ici) les expériences d’un voyageur en s’appuyant sur les idées dans l’air du temps. Ces caricatures détonnent avec les prétentions du roman à la véracité en instillant le doute : après tout, les observations de Boussenard ne sont peut-être pas si vraies, comme le démontre un dialogue imaginaire entre Boussenard et trois Parisiennes fascinées :

31

[…] cet énorme serpent qui faillit vous dévorer ?
– J’ai la peau.
– Et le jaguar qui vous empêchait de dormir ?
– J’ai la peau !
– […] votre cœur n’a-t-il pas brûlé pour quelque belle indienne ?
– J’ai la peau !

Ill. 3

Albert Robida, « Les Robinsons de la Guyane de Louis Boussenard. Aventures du romancier Boussenard à la recherche de documents » La Caricature, 22 avril 1882, p. 132-133

Ill. 3

Albert Robida, « Les Robinsons de la Guyane de Louis Boussenard. Aventures du romancier Boussenard à la recherche de documents » La Caricature, 22 avril 1882, p. 132-133

[Bibliothèque nationale de France].

32Dans cette satire macabre, un Boussenard de fiction laisse entendre qu’il a rapporté en Europe la peau de sa maîtresse indigène. En le montrant se prévaloir jusqu’à l’absurde de ses preuves, le dialogue laisse entendre que le vrai Boussenard a exagéré ses exploits.

33On ne trouve nulle trace d’une telle ambiguïté dans la réclame parue dans La Caricature lors de la sortie des Aventures d’un gamin de Paris en Océanie. Celle-ci souligne ce que la vérité des romans de Boussenard devait à ses voyages :

34

[V]oulant ne donner au lecteur que des impressions absolument réelles, [Boussenard] ne recule pas devant les fatigues d’explorations, souvent périlleuses, pour aller, sur les lieux mêmes, étudier les éléments de ses drames. Le nouvel ouvrage de l’écrivain-voyageur se fait […] remarquer […] par le même souci de la vérité, la même fidélité dans les descriptions des mœurs et coutumes des peuplades sauvages […] [87].

35Ici, nul ne prétend que l’intrigue est véridique puisque ce roman n’est pas fondé sur une histoire vraie, mais seulement sur les voyages de Boussenard. Ce qui est plutôt mis en avant, c’est la capacité de l’auteur à offrir au lecteur « des impressions absolument réelles ». Mais en quoi des « impressions » peuvent-elles être « réelles » ? Une telle expression rend caduque toute distinction entre l’illusion de réalité et la réalité elle-même. Adoptant un lexique similaire, un éditorial du Journal des voyages remarque que les périples de Boussenard lui ont permis de donner aux Aventures d’un gamin de Paris en Océanie « une couleur vraie et de fournir des documents absolument authentiques ». L’éditorial continue : « Ce souci de la vérité, lui a même valu une mention honorable de l’Académie française qui a ainsi récompensé la véracité du voyageur et les efforts de l’écrivain vulgarisateur [88]. » Ce genre d’argument transmet l’assurance que, en tant qu’ethnographe amateur, Boussenard a su comprendre les significations des coutumes locales (sur lesquelles il a pris des notes exactes) dont il intègre des descriptions précises dans son roman. Ce genre d’argument écarte les craintes que pourrait susciter l’existence d’une polysémie interprétative et, partant, le risque d’erreurs d’interprétations.

36Les revendications de véridicité devinrent même un topo des romans de Boussenard. Le narrateur du Tour du monde d’un gamin de Paris souligne que « [l]’action de ce récit » est « non moins extraordinaire que véridique [89] ». Ailleurs, le narrateur du roman océanien note que « comme je raconte l’existence réelle de personnages authentiques » et parce que « leurs aventures ont été vécues », il évite des « entrées » « fantastiques [90] ». Ce qui frappe le plus dans ces exemples est l’accent mis sur la vérité de l’« action ». En publiant ces romans-feuilletons, la revue fondait le plus souvent ses prétentions à la vérité sur des éléments à la base de l’« effet de réel », par exemple « des descriptions des mœurs et coutumes ». Ici pourtant, quand le narrateur insiste de l’intérieur du roman sur la réalité de l’histoire, il mine du même coup l’illusion de réalité en rappelant qu’il raconte une histoire [91]. Mais il laisse aussi entendre que la vérité circule de manière transparente par le seul acte d’écrire le roman. Le pouvoir d’inviter le lecteur à croire que le roman est fondé sur une histoire vraie relève de cette prétention à la vérité. Boussenard dès lors jouait sur « l’effet de réel » pour produire de déconcertants effets.

37Pour appuyer un peu plus ses prétentions à la vérité, l’écrivain convoque aussi le Journal des voyages lui-même. À la fin du Tour du monde d’un gamin de Paris, dans une scène se déroulant dans les bureaux de la Société de géographie, les personnages – « dont les aventures avaient produit une si profonde sensation » – sont présentés par Jules Gros, « l’éminent et sympathique écrivain, dont la collaboration est si précieuse au Journal des voyages[92] ». Le dénouement révèle aussi le « vrai nom » de Friquet, Victor Guyon, transformant ce personnage de fiction en une personne semble-t-il plus réelle. La fin offre donc une teinture de réalisme aux événements (fantastiques) du roman.

38Dans le roman océanien, Friquet rappelle que sa seule motivation pour voyager avait été de suivre les pas de Phileas Fogg dans Le Tour du monde en quatre-vingts jours, dont il avait vu une adaptation théâtrale [93]. Dans le roman de Friquette, celle-ci déclare que l’aventure commença à l’obséder suite à sa découverte des romans de Boussenard dont Friquet était le héros. Ces tressages intertextuels avaient divers effets. Ils se référaient aux conventions des récits d’aventure tout en privilégiant la « vraisemblance ». Ils jouaient avec l’identité ontologique des romans en suggérant que ces textes étaient à la fois fictionnels et réels. Ils menaçaient aussi de dévoiler la nature fictionnelle des histoires racontées. Enfin, ils rappelaient l’influence des récits d’aventures sur le public et faisaient la promotion de ces œuvres. La revue fit même un « reportage » sur un banquet organisé pour célébrer son propre anniversaire par « les survivants des extraordinaires aventures contées en ce recueil [94] ». Les feuilletons de Boussenard dans le Journal des voyages, qui ont pour vedette Friquet ou Friquette, dépassent les bornes du plausible, mais sont incessamment récupérés dans le registre de la vérité potentielle. Cette récupération indique que leur système de valeurs et leurs fantasmes d’aventures sont également fidèles à la réalité.

Géographie et impérialisme

39Dans ses rubriques documentaires, Le Journal des voyages valorisait plusieurs sujets connexes : aventure, exploration, géographie, colonialisme et progrès. Récits d’exploration, expéditions cynégétiques et histoires de survie comptaient parmi les plus prisées. Une rubrique régulière, « Actualités géographiques », publiait des articles comme « Mœurs et coutumes annamites » mêlant géographie, ethnographie et informations sur la colonisation française [95]. Le journal mettait en exergue les aspects du monde les plus rares et les plus étranges. Par exemple, un récit de voyage intitulé « La mer de lait » décrit comment, dans le Golfe persique, les eaux avaient blanchi puis cite des textes scientifiques pour expliquer ce phénomène [96]. Les actualités incluaient aussi des reportages sur les expositions ethnographiques populaires. Elles traitèrent ainsi de celles à Londres et à Paris où des Nubiens et des Lapons furent exhibés aux côtés de groupes d’animaux [97]. Dès la fin des années 1880, on peut lire dans le Journal des reportages sur les colonies françaises [98]. À partir de 1893 paraît une « Table alphabétique des noms d’explorateurs et voyageurs » cités dans ses pages, auxquels s’ajoutèrent en 1895 les personnalités coloniales. Ce courant coïncidait, vers le début des années 1890, avec la prolifération de romans d’aventures ayant pour héros des militaires ou des colons [99].

40Les informations publiées par la revue n’étaient pas toujours fiables malgré les assurances réitérées de s’en tenir à l’exactitude scientifique. En juillet 1877, le Journal relate la « Découverte d’une ville dans le lac de Genève » qui, dit-il, était « assez bien conservée » et consistait en « deux cents maisons » datant de deux mille ans [100]. La découverte, dont la nouvelle circula en Suisse et en Angleterre autant qu’en France, attira touristes et archéologues avant de se révéler un canular [101].

41L’illustré se vantait que son « succès inespéré » avait conduit le Congrès international de géographie à lui offrir, durant l’Exposition universelle de 1878, une reconnaissance spécifique [102]. Le périodique nourrissait par ailleurs une relation étroite avec la Société de géographie. Il informait des activités de l’organisation et agissait comme son bras populaire [103]. Un prix Léon Dewez, du nom du directeur du Journal, fut fondé en 1891 par la Société de géographie [104]. En 1897 paraît une série d’articles titrée « Comment on devient explorateur [105] ». Même si la probabilité que les lecteurs se changent en explorateurs était infime, cette profession avait l’air d’être viable puisque le Journal offrait des informations concrètes sur le sujet.

42Jules Gros est l’exemple vivant des interactions entre journalisme, écriture de récits et ambitions coloniales. Rédacteur au Petit Journal, il fut aussi un contributeur fréquent au Journal des voyages – auquel il livra fictions et articles documentaires – et secrétaire de la Société de géographie commerciale [106]. En 1886, Gros s’engagea dans un projet tramé pour lui par des hommes d’affaires britanniques qui voulait le faire président à vie du soi-disant nouveau pays de Counani (actuelle République de Guyane) en échange du droit de contrôler l’infrastructure du pays pendant quatre-vingt-dix ans [107]. Pour lancer sa carrière coloniale, Gros exploitait donc ses textes dans le Journal des voyages ainsi que ses activités à la Société de géographie. Son cas est la preuve que le projet impérial était un des piliers idéologiques de la revue.

Les aventures extrêmes de Saturnin Farandoul

43Comment les techniques du réalisme et les prétentions à la vérité ont-elles tenu le choc de la parodie ? Prenant pour cible les éléments récurrents du genre qui méritaient d’être caricaturés, les Voyages très extraordinaires de Robida révèlent ce qui résiste à la parodie. Parce que ce livre est une parodie, son intrigue exagère les intrigues déjà fantastiques des romans d’aventures. Tout y devient extrême non seulement à cause des voyages décrits, mais parce que l’ensemble manque de la moindre vraisemblance. Afin de moquer le genre (en particulier les romans de Verne) et pour damer le pion à tout ce qui avait été publié jusqu’ici par la collection des « voyages extraordinaires » (y compris les romans de Verne), le texte d’Alfred Robida devait créer des voyages qui seraient plus que simplement extraordinaires. Dès lors il leur fallait être, comme l’indique le titre, « très extraordinaires ». Parce que ce texte est une parodie, on pourrait s’attendre à ce qu’il révèle la nature artificielle du contenu des romans d’aventures. C’est exactement le contraire qui se produit, comme on le verra dans la suite. Plutôt que d’exposer la conception faussée du monde omniprésente dans le genre de l’aventure, l’œuvre de Robida partage exactement la même perspective. Cette parodie s’appuie, sans jamais les remettre en question, sur les mêmes idées fausses, les mêmes préjugés et les mêmes stéréotypes que n’importe quel roman d’aventures. Plutôt que de dévoiler les ressorts du genre, la pratique de la parodie permet au héros – ainsi qu’aux lecteurs et lectrices du roman – de jouir d’une série ébouriffante d’aventures.

44L’intrigue du roman se lit comme une version excessive de ceux de Jules Verne, dont il prétendait être à la fois une parodie et un hommage [108]. Mais si les romans de Verne se caractérisaient par une tension entre réalisme et fantastique, et si Verne lui-même visait constamment la vraisemblance (aussi abracadabrantes soient ses histoires), le roman de Robida abandonnait ouvertement toute illusion de réalisme. Les cinq cent trois caricatures de son livre le soulignent à leur manière. Dans le roman, un orphelin français du nom de Farandoul, élevé par des singes sur une île de Polynésie, sillonne le monde, vivant une aventure fantastique après l’autre. Brian Stableford note avec sagacité que la parodie de Robida répondait au danger que représentait pour les récits d’aventures traditionnels le succès des romans de Verne, et ce de deux points de vue : le rythme rapide avec lequel celui-ci épuisait les lieux du monde et l’accent qu’il portait sur la vraisemblance et qui menaçait la tradition des récits fabuleux. Si bien que, comme le fait remarquer Stableford, les personnages de Verne sont les ennemis naturels de Farandoul puisqu’ils mettent en danger tout ce que lui et les romans comme le sien incarnent. Robida ressuscite trois héros célèbres de Verne pour en faire les « méchants » de son propre roman, choix qui montre combien ces personnages étaient idéalisés dans les romans d’origine [109]. Si le roman de Robida s’ancre pleinement dans une telle tradition narrative, il tisse aussi des liens essentiels avec la culture et la littérature populaires. Le roman de Robida ressemble (mais avec excès) à ceux de Boussenard, qui imitait souvent Verne [110]. Antonio Faeti soutient que le roman de Robida fait allusion « à presque tous les romanciers du voyage de l’époque, touchant à tous les mythes, violant les symboles, construisant les plus folles des intrigues ». Faeti souligne les liens de ce roman avec d’autres qu’il imite ou parodie, tout en remarquant à quel point le roman de Robida est encyclopédique [111]. De mon point de vue cependant, le pouvoir subversif de cette parodie reste faible. Si le roman fonctionne comme un objet fantastique débridé (et effectivement encyclopédique), la technique de la parodie cache qu’il réaffirme les idéologies et les préjugés dominants. La parodie autorise le héros à exprimer sans vergogne son désir de toujours se déplacer, d’accumuler des expériences et de dominer le monde primitif. Dès lors le roman ne cherche pas à défier – ou à délaisser – le genre de l’aventure, mais il finit par en étendre les thèmes.

45Le roman de Robida incarne un aspect essentiel du récit d’aventures : l’histoire sera d’autant meilleure qu’elle sera échevelée et sensationnelle, mais qu’elle continuera de paraître réelle. Et c’est ce qui arrive ici, bien que le roman abandonne, en tant que parodie, toute ambition réaliste. Nous avons vu que les récits d’aventures poussaient la crédibilité à ses limites, notamment à travers des coïncidences improbables. Ce roman se conforme fidèlement au genre de l’aventure tel que le décrit Letourneux : un héros français au cœur d’or expérimente un « ensauvagement » grâce auquel il acquiert des pouvoirs spéciaux, vit des aventures fantastiques et, finalement, assiste à une restauration de l’ordre. Les stéréotypes abondent : cannibales africains, pirates malais non moins cannibales, Asie pleine de merveilles mais marquée par la stagnation et la « cruauté ». Par exemple, le héros traverse un royaume indien gouverné par un rajah embaumé parce que ses quarante femmes, peu désireuses de mourir dans un sati, ont tenu sa mort secrète pendant douze ans. Un tel épisode réaffirme les idées prévalant en Europe sur l’immobilité de l’Orient – opposé au dynamique Occident – tout en reprenant le thème des femmes exotiques qui partout surgissent pour réclamer sans fin le secours des hommes européens (534).

46Du début à la fin, le héros n’appartient jamais pleinement à aucun monde : tout au long du roman, par exemple, Farandoul se fait l’avocat des singes ; à un moment donné, il décrète même que singes et humains ont des droits égaux. Cette sous-intrigue exagère le thème de l’amitié entre humains et primates, thème récurrent des récits d’aventures. Dans le récit de Gozlan, par exemple, les singes témoignaient de sentiments et de comportements humains, notamment en tenant une assemblée, mais Gozlan étayait la crédibilité scientifique de son histoire en citant l’histoire naturelle [112]. Chez Robida, au contraire, puisque le héros ne s’identifie à aucun monde, il peut devenir l’aventurier par excellence qu’aucune morale ne vient encombrer. Son attachement sentimental aux singes n’est pas suffisant – précisément parce que ce sont des singes – pour servir de contrainte morale. Ici, on ne trouve ni structure morale manichéenne, ni ennemi juré, puisque Farandoul ne représente ni le bien, ni l’ordre de la civilisation. Ses seuls adversaires sont des personnages des romans de Verne. Ils ne le sont que parce qu’ils s’opposent au désir de Farandoul d’être toujours mobile : aventuriers européens, ils occupent le même espace que lui, empêchant ainsi sa domination totale sur l’une ou l’autre région.

47Le roman de Robida est mû par la même mobilité continue qui anime les autres romans d’aventures – sauf qu’ici tout s’accélère. De sorte que Farandoul visite toutes les régions du globe. Il accumule les expériences dans le monde tout en le parcourant sans cesse. Après avoir quitté l’île des singes en se croyant leur inférieur, sa motivation n’est plus qu’« une activité dévorante » (56). Il endosse continuellement des identités de passage avant de les abandonner, et les décors qui vont avec. À mi-roman, il a déjà occupé une longue liste de positions estimables : « Nous voici dieux ! J’ai déjà été élu roi, dictateur, évêque, cacique, général en chef, etc., etc., mais c’est la première fois que j’arrive à ce grade éminent ! » (400). Son ascension aisée dans ces sociétés, version à nouveau excessive et accélérée d’une intrigue convenue, se combine à la richesse qu’il rencontre toujours sur son chemin.

48Ces prouesses sont liées à la dynamique de la hiérarchie supposée des civilisations autant qu’au savoir-faire et au caractère de Farandoul : magnétisme, audace, intelligence et intégrité qu’il doit, à en croire le roman, à son héritage et son éducation de Français. En outre, les talents physiques qu’il a acquis grâce à son « ensauvagement » ont fait de lui un héros supérieur. Essentielle en cela est sa mobilité : il réussit ainsi à capturer un éléphant que les Siamois ne peuvent attraper [Ill. 4] ou à foncer de Saturne à la terre à une vitesse record. À ce thème se rattache aussi un épisode où deux Françaises ordinaires deviennent reines du peuple africain des Makalolo, grâce à leur propre mobilité. Que ces femmes règnent sur une « nation absolument inconnue du monde civilisé ! » (399) souligne le fait que, où que Farandoul aille, des Européens sont déjà allés. Comme le montrent également les romans de Verne, les coins inconnus sur cette terre sont en voie d’extinction rapide. La hiérarchie des cultures est, par ailleurs, véhiculée dans le roman de Robida par les personnages : Michel Strogoff, tout droit sorti de Verne, est décrit comme « le premier individu civilisé qu’ils rencontrassent en Asie » (630). Les « Niam-Niams » (soi-disant race noire à queue vivant dans les profondeurs les moins explorées de l’Afrique centrale) [113] sont appelés les « frères » des singes (327). Et revient aussi, sans surprise, le thème du cannibalisme : les reines françaises décident de fuir avec Farandoul quand il découvre qu’elles finiront avalées par les prochaines reines. Et ces futures reines Makololo l’accompagnent elles aussi, parce qu’il prétend qu’elles seront bientôt dégustées par les reines françaises (345-351). La critique des Anglais est rare et en grande partie implicite : par exemple, le roman indique l’incapacité britannique à mettre un terme à la coutume du sati. Mais cette critique ne revient pas à adopter une position anticoloniale : Farandoul va quand même établir son propre empire. Bien que le roman de Robida prétende renverser les hiérarchies, tout comme son personnage principal, il adopte les valeurs les plus stéréotypées. Malgré son indépendance proclamée à l’égard des périodiques qui publient le genre de romans qu’il parodie – et malgré cette parodie elle-même – ce roman adopte les valeurs impérialistes, les idées sur la hiérarchie des civilisations, dont le Journal des voyages faisait son miel.

Ill. 4

« La Colonelle du régiment des amazones de Siam », dans Albert Robida, Les Voyages très extraordinaires de Saturnin Farandoul dans les 5 ou 6 parties du monde et dans tous les pays connus et même inconnus de M. Jules Verne, Paris, La Librairie illustrée, 1879-1880, p. 505

Ill. 4

« La Colonelle du régiment des amazones de Siam », dans Albert Robida, Les Voyages très extraordinaires de Saturnin Farandoul dans les 5 ou 6 parties du monde et dans tous les pays connus et même inconnus de M. Jules Verne, Paris, La Librairie illustrée, 1879-1880, p. 505

49Dans le roman de Robida, les Occidentaux sont souvent avides et corruptibles (à la différence de la probité sans faille des héros de Verne). L’une des reines françaises, qu’on nous dit hantée par des « idées autoritaires », veut « faire un coup d’État » (342). Des tendances autoritaires sont aussi à l’œuvre en Farandoul qui, aussitôt conquit l’Australie, y supprime la presse (125). Si Robida subvertit à sa façon l’idée de la supériorité morale des Occidentaux, il n’en réaffirme pas moins les dynamiques contemporaines du pouvoir : les principaux ennemis de Farandoul sont des Occidentaux qui le concurrencent en matière de mobilité et envahissent son espace. S’ensuivent des guerres violentes. Une bataille comporte un massacre d’ours polaires, des bombes à le chloroforme et un désastre écologique. Mais Farandoul est facilement distrait de ses ambitions, si bien qu’il vend la récompense de sa victoire (un puits de pétrole) et s’en va. C’est que, suggère le roman, il est avant tout un aventurier et que la guerre est la poursuite de l’aventure par d’autres moyens (320). Du coup, cet épisode ne sert guère à alerter le lecteur des effets destructeurs de la technologie et de la domination occidentale, parce que, au lieu d’assister aux conséquences de la guerre, on se contente de suivre Farandoul. Les nombreuses amours de Farandoul avec des indigènes – autre exagération récurrente du roman – reprennent un motif dès longtemps populaire où l’on voit – d’Atala (1801) de Chateaubriand à Aziyadé (1879) de Pierre Loti – des Européens s’éprendre d’autochtones. Dans le roman de Robida, les structures contemporaines du pouvoir demeurent donc totalement intactes.

Ill. 5

« Carte des Voyages très extraordinaires de Saturnin Farandoul », détail, dans Albert Robida, Les Voyages très extraordinaires

Ill. 5

« Carte des Voyages très extraordinaires de Saturnin Farandoul », détail, dans Albert Robida, Les Voyages très extraordinaires

50La décision de Farandoul de poser finalement ses bagages est la conclusion logique de ses aventures sous les auspices de la mobilité : ayant sillonné la planète, voilà qu’il a épuisé les possibilités de l’aventure. La fin du roman reflète la norme du genre où le héros revient à son monde d’origine, mais elle s’en écarte aussi parce que Farandoul ne retourne pas à la civilisation.

51Stableford estime que le choix de Farandoul, qui décide comme le dernier bon sauvage de Rousseau de s’établir sur son île natale, est la preuve qu’il a compris sa propre corruptibilité [114]. À mon avis, Farandoul s’arrête parce qu’il a accumulé assez de savoir pour remplir sa hotte encyclopédique. Son activité dévorante est parvenue à satiété parce qu’il a assez d’histoires et peut retourner sur son île. La pulsion de couvrir d’un savoir encyclopédique toutes les parties du globe est un phénomène spécifique à cette période. Au début du roman, Robida inclut une carte des voyages de Farandoul qui incorpore des résumés textuels et visuels des intrigues qui se déroulent sur chaque continent [Ill. 5]. Si la mobilité impose de voyager léger – c’est ce qui rend si drôle l’épisode où Fogg [Ill. 6] est retardé par des femmes qui veulent être sauvées par lui – la couverture encyclopédique implique, par contre, l’accumulation. Tandis que Farandoul renonce régulièrement au pouvoir et dépense (ou perd) toute sa richesse, il ne peut faire autrement que d’accumuler de l’expérience. La fin qui promet un bonheur éternel reproduit les motifs qui caractérisent l’ascension de Farandoul jusqu’au pouvoir : de retour sur son île natale, il devient gouverneur général d’une nouvelle colonie où cohabitent humains et singes. Cette fin donne le sentiment de subvertir les relations de pouvoir en raison de la modestie apparente du héros et de l’insistance du texte sur la vie en harmonie avec la nature. Sur l’île, Farandoul s’accouple avec une Européenne – sans doute parce qu’il a épuisé son désir pour des partenaires multiples. Il recueille de diverses manières le beurre et l’argent du beurre. Bien qu’enfant sauvage et donc physiquement supérieur, il devient un homme supérieurement cultivé (22). Bien qu’expérimenté, il reste irréprochable. Bien que vivant en harmonie avec la nature, il prend une épouse européenne et laisse ses subordonnés s’apparier à des guenons (800). Malgré toutes ses expériences, il reste une page vierge, sans remords ni complexes : il est l’aventurier absolu.

Ill. 6

« Philéas Fogg et Passepartout après le tour du monde en 3 ans 8 mois et 17 jours », dans Albert Robida, Les Voyages très extraordinaires, p. 249

Ill. 6

« Philéas Fogg et Passepartout après le tour du monde en 3 ans 8 mois et 17 jours », dans Albert Robida, Les Voyages très extraordinaires, p. 249

52Les Voyages très extraordinaires, en dépit de sa fantaisie, contiennent seulement des histoires imaginables : dans ce texte, nul tabou n’est vraiment brisé, nulle idée réellement subversive n’est jamais défendue. Il n’aurait guère été concevable pour le Français La Gamelle, dans le roman de Séguin, de devenir le protégé du Noir qu’était Charlot, ou pour Friquette d’être une femme de couleur ; de même, tout au long des Voyages très extraordinaires, des non-Occidentaux ne prennent jamais le pouvoir, ne fût-ce qu’un instant, sur des Occidentaux. Même si toutes les aventures ont une fin, surtout dans la durée limitée d’un roman, les structures contemporaines du pouvoir sont toujours réaffirmées voire amplifiées. « Les plus folles des intrigues », selon le mot de Faeti, étaient logiques pour les contemporains de Robida qui y voyaient une parodie imaginative et divertissante [115]. Ce roman finit par fonctionner comme un fantasme débridé. Son moteur est français, blanc, hétérosexuel et surtout colonialiste : Farandoul s’en va conquérir le monde, on l’aime et le désire pour cette raison. À la fin, il rejette toute responsabilité parce que, dit-il, il a agi pour le simple plaisir de l’aventure.

53Ni la vérité ni la valeur éducative des romans d’aventures n’étaient remises en cause par la parodie de Robida. La validité des descriptions géographiques au sein des récits d’aventures en sortait aussi indemne, de même que le processus qui consistait à tisser éléments réels et fictionnels [116]. Même quand la vraisemblance n’était plus le but supposé du récit d’aventures, demeurait la conviction que le raisonnement rationnel, considéré comme le privilège des civilisations supérieures, fournissait un processus pour observer et décrire le monde correctement. En ce sens, la parodie de Robida propage les idées pseudo-scientifiques bourrées de contradictions qui infusaient aussi le Journal des voyages. L’un et l’autre partageaient l’idée que le droit des Européens à la mobilité était un acquis. Ils avaient aussi la conviction de la supériorité morale et intellectuelle des Français comme de la capacité des Européens à sauver les peuples inférieurs. La mobilité autorisait pourtant les personnages à quitter la société « sauvage » pour rentrer à la maison, se soustrayant du même coup à leur responsabilité quant au sort de ces sociétés.

54Le Journal des voyages manifestait une foi vive dans le pouvoir des récits d’aventures de transmettre la vérité, à savoir une réalité vérifiable qui existait hors du texte. Ces prétentions à la véridicité englobaient souvent, au-delà des descriptions géographiques, les récits eux-mêmes qui relataient la progression du héros français dans une lointaine société « sauvage ». Ce phénomène repose sur la réticence – des auteurs comme des rédacteurs – à distinguer l’illusion de réalité de la réalité elle-même. Cette tendance encourageait ainsi les lecteurs à accepter comme potentiellement vraies de fortes doses de fantasmes livrées dans un style réaliste. Les phrases suivantes témoignent à quel point les rédacteurs du Journal croyaient que les lecteurs découvraient réellement la réalité en lisant leurs fictions : « Aucune contrée du monde ne leur [aux lecteurs] est inconnue. Ils ont […] parcouru les sables aveuglants de l’Afrique centrale et les jungles emmêlées de l’Extrême-Orient. Les forêts vierges et les prairies immenses des deux Amériques n’ont plus de secrets pour eux [117]. » Le voyage imaginaire et le voyage réel, ici, ne font plus qu’un.

55Dans le même temps, le Journal des voyages fit son possible pour obscurcir le processus de raisonnement rationnel (auquel l’époque était si attachée) : désignations imprécises de ce qui était de la fiction et de ce qui n’en était pas, grandes phrases volontairement ambiguës sur la véracité des récits d’aventures, très faible vérification des faits, sensationnalisme de la couverture. Claironner son attachement à la vérité tout en la déformant était le modus operandi privilégié du magazine.

56Mais qu’est-ce qui rendait les récits de voyages extrêmes – aussi fantastiques ou fous soient-ils – satisfaisants ou même normaux pour leurs lecteurs ? Le lien entre le Journal des voyages et les sociétés géographiques fournit une clé. L’idéologie des sociétés de géographie trouvait une chambre d’échos dans des périodiques comme le Journal des voyages. En même temps, la promotion par les sociétés de géographie des missions du Journal montre combien les fantasmes étaient mobilisés pour justifier l’affirmation de la présence française à travers le globe. La prolifération de la « culture coloniale » doit beaucoup à un tel phénomène. Cette culture s’est imposée en un temps où la compétition internationale s’accentuait et nourrissait les inquiétudes sur le rôle mondial de la France. Ces craintes firent florès entre 1877 et 1884, époque où la plupart des histoires évoquées ici furent écrites ; la rapide expansion coloniale (notamment en Afrique) à la fin du siècle ne les apaisa point. Les peurs naissaient aussi de la prise de conscience qu’il ne restait plus aucune région mystérieuse à explorer. Les voyages extrêmes étaient désormais du domaine de la représentation, non plus de la réalité. Promettant la supériorité et la domination, les voyages extrêmes capturèrent l’imagination d’un large public qui voulait s’abandonner à des fantasmes revêtus des oripeaux de la réalité, et ce d’autant plus que personne, rassuraient ces textes, ne serait tenu responsable de ses actes. Par ailleurs, les voyages extrêmes renforçaient l’idée que l’entreprise coloniale était le moyen pour l’Occident de faire progresser le monde. Tandis que le xixe siècle tirait à sa fin et que les cartes du globe semblaient achevées, la possibilité de tels périples diminuait. Pourtant, ils continuaient de tenter depuis les pages du Journal des voyages.


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Mise en ligne 07/11/2014

https://doi.org/10.3917/sr.038.0053

Notes

  • [1]
    Rider Haggard (1856-1925) et Robert Louis Stevenson (1850-1894) comptaient parmi les plus importants. Penny Brown, A Critical History of French Children’s Literature, t. 2, 1830-Present, New York, Routledge, 2008, p. 110. Pour une analyse qui fait autorité, voir Matthieu Letourneux, Le Roman d’aventures 1870-1930, Limoges, Presses universitaires de Limoges, 2010.
  • [2]
    Jules Verne, Les Grands Navigateurs du xviiie siècle (1879) et Les Voyageurs du xixe siècle (1880). Jules Verne a également écrit Géographie illustrée de la France et de ses colonies (1867) qui compte plusieurs volumes.
  • [3]
    H. Hazel Hahn, « Heroism, Exoticism, and Violence: Representing the Self, the “Other”, and Rival Empires in the English and French Illustrated Press, 1880-1905 », Historical Reflections/Réflexions Historiques, 38/3, 2012, p. 62-83. Le Petit Journal se vendait à un million d’exemplaires en 1890. Claude Bellanger et al. (dir.), Histoire générale de la presse française, Paris, PUF, 1972, t. 3, p. 301.
  • [4]
    Sylvain Venayre, « La presse de voyage », dans Dominique Kalifa et al. (dir.), La Civilisation du journal : histoire culturelle et littéraire de la presse française au xixe siècle, Paris, Nouveau Monde, 2011, p. 475. Sur la presse illustrée, voir Jean-Pierre Bacot, La Presse illustrée au xixe siècle : une histoire oubliée, Limoges, Presses universitaires de Limoges, 2005.
  • [5]
    Sur la publicité, voir Hahn, Scenes of Parisian Modernity: Culture and Consumption in the Nineteenth Century, New York, Palgrave Macmillan, 2009, chap. 6-10. Sur les héros, voir Edward Berenson, Heroes of Empire: Five Charismatic Men and the Conquest of Africa, Berkeley, University of California Press, 2011.
  • [6]
    Jean-Marie Seillan, Aux sources du roman colonial (1863-1914) : l’Afrique à la fin du xixe siècle, Paris, Karthala, 2006, p. 5-34.
  • [7]
    Sur le Journal des voyages (ci après jv), voir Marie Palewska, « Dossier. Le Journal des voyages », Le Rocambole : Bulletin de l’Association des amis du roman populaire, 5, automne 1998, p. 9-84 ; et 6, printemps 1999, p. 9-84 ; Pierre Versins, Encyclopédie de l’utopie, des voyages extraordinaires et de la science-fiction, Lausanne, L’Âge d’homme, 1972, p. 477 ; Matthieu Letourneux, « La colonisation comme un roman : récits de fiction, récits documentaires et idéologie dans le Journal des voyages », Belphégor. Littérature populaire et culture médiatique, 9/1, fév. 2010, http://etc.dal.ca/belphegor/vol9_no1/articles/09_01_lettou_coloni_fr.html (consulté le 3 juillet 2013). Selon Palewska, le jv fut publié entre 1877 et 1915, et connut une interruption entre 1915 et 1924 avant que ne sorte une troisième série (n° 5, p. 10). Georges Decaux (né en 1845), directeur de la Librairie illustrée, fut l’éditeur jusqu’à 1899 quand Léon Dewez le remplaça comme éditeur, directeur et gérant. Palewska, « Dossier », Le Rocambole, n° 5, p. 20. Le jv eut comme gérant Armand Montgrédien (1877-1880), Paul Genay (1880-1888) et Dewez (1889-1911). L’ours qualifiait Montgrédien et Genay de « gérants » et Dewez de « directeur-gérant ».
  • [8]
    Selon une publicité, c’était « la feuille préférée de la famille ». « Ce qu’on trouve à lire dans le Journal des voyages », jv, 5 déc. 1897, n. p.
  • [9]
    Selon Sylvain Venayre, les images en couleur furent introduites en 1895. « La presse de voyage », art. cité, p. 478.
  • [10]
    « Les récits d’aventures du Journal des Voyages », jv, 14 mai 1893, p. 306. [Note du traducteur : Dans ce qui suit, le terme roman d’aventures est réservé aux œuvres de fiction. Le terme récits d’aventures s’applique à des textes qui peuvent être soit fictifs (« fictional »), soit documentaires (« non fictional »). Le terme « genre de l’aventure » recouvre tous les textes (y compris publicitaires par exemple) qui relèvent du monde de l’aventure.]
  • [11]
    Brown, A Critical History of French Children’s Literature, op. cit., t. 2, p. 110 ; Seillan, Aux sources du roman colonial, op. cit., p. 19.
  • [12]
    Un éditorial proclame dès les premiers numéros qu’on peut trouver le jv chez « tous les libraires de France, chez le plus grand nombre de marchands de journaux, correspondants des feuilles parisiennes, ainsi que dans toutes les gares des départements », de même que par abonnement et à l’étranger. « Avis important », jv, 17 nov. 1878, p. 290.
  • [13]
    Sylvain Venayre, « La presse de voyage », art. cité, p. 479.
  • [14]
    Palewska, « Dossier », art. cité, p. 38-41.
  • [15]
    « Ce qu’on trouve à lire dans le Journal des voyages », jv, art. cité.
  • [16]
    Sylvain Venayre innove en considérant l’aventure à la fois comme un phénomène historique et un thème de fiction. Il caractérise la période 1890-1920 comme l’âge d’or de l’aventure. Sylvain Venayre, La Gloire de l’Aventure. Genèse d’une mystique moderne, 1860-1940, Paris, Aubier, 2003.
  • [17]
    Des images pleine page dues au prolifique illustrateur, rédacteur et romancier Albert Robida, paraissaient régulièrement dans les pages du jv. Versins, Encyclopédie de l’utopie, op. cit., p. 478. Les Voyages très extraordinaires de Saturnin Farandoul, dans les 5 ou 6 parties du monde et dans tous les pays connus et même inconnus de M. Jules Verne d’Alfred Robida (Paris, 1879-1880) furent publiés par La Librairie illustrée, le même éditeur que le jv. (Les références ultérieures apparaitront entre parenthèses dans le texte selon le numéro de page.) Il existait d’autres liens institutionnels et journalistiques entre Robida et le jv. La Librairie illustrée publiait aussi La Caricature (1880-1915), dirigé par Alfred Robida entre 1880 et 1892 (et où il publia un nombre important de textes et de caricatures). Henri Béraldi, Les Graveurs du xixe siècle : guide de l’amateur d’estampes moderne, Paris, Conquet, 1892, t. 12, p. 211. Durant l’essentiel des années 1880, La Caricature et le jv partageaient le même gérant (Genay) et les mêmes bureaux, rue du Croissant. Dans les premières années surtout, le jv faisait de la publicité dans La Caricature, par ex. 28 fév. 1881, p. 72.
  • [18]
    Sandrine Lemaire, Pascal Blanchard, « Exhibitions, expositions, médiatisation et colonies (1870-1914) », dans Pascal Blanchard, Sandrine Lemaire et Nicolas Bancel (dir.), Culture coloniale en France. De la Révolution française à nos jours, Paris, CNRS Éditions, 2008, p. 111-19. Robert Aldrich, par ex., affirme que le soutien à l’Empire se réduisait surtout au « parti colonial » tandis que l’opinion publique française restait largement indifférente. Robert Aldrich, Greater France: A History of French Overseas Expansion, New York, Palgrave Macmillan, 1996, p. 234-236.
  • [19]
    « Avis de l’éditeur », jv, 15 juil. 1877, p. 2.
  • [20]
    Eugen Weber, Peasants into Frenchmen: The Modernization of Rural France, 1870-1914, Stanford, Stanford University Press, 1976, p. 333-336. Voir aussi Palewska, « Dossier », art. cité, p. 51-53.
  • [21]
    « Ce qu’on trouve à lire dans le Journal des Voyages », jv, art. cité ; « Les récits d’aventures du Journal des Voyages », jv, art. cité, p. 306 ; « Les vingt années du Journal des Voyages », jv, 29 nov. 1896, p. 402.
  • [22]
    « L’Académie française et le Journal des voyages », jv, 2 juil. 1893, p. 2. Le prix récompensait des romans de Constant Améro (Le Tour de France d’un petit Parisien, 1885-1886) et Frédéric Dillaye (Le Cirque Zoulof, 1891).
  • [23]
    Voir Hetzel, éditeur par excellence, numéro spécial de Revue Jules Verne, 37, été 2013, accessible sur http://issuu.com/cijv/docs/37.
  • [24]
    « La vie sauvage : les anthropophages », jv, 4 avr. 1878, p. 322 ; « Table des matières », jv, janv.-juin 1878 ; « Table des matières », jv, juil.-déc. 1878 ; « Asie : le Cambodge », jv, 16 sept. 1881, p. 175.
  • [25]
    Le mot « sauvagerie » était, en revanche, moins courant dans la revue et rarement associé à des régions perçues comme primitives : « sauvagerie » s’appliquait par ex. à la pratique américaine du lynchage. O. R., « La loi de Lynch », jv, 19 août 1877, p. 86. Dans cet article, je mets « sauvagerie » entre guillemets en raison des connotations racistes du mot dans l’usage sensationnaliste qu’en fait le xixe siècle. Sur la fascination européenne pour la sauvagerie, voir Alice Bullard, Exile to Paradise: Savagery and Civilization in Paris and the South Pacific, Stanford, Stanford University Press, 2000 ; J. P. Daughton, An Empire Divided: Religion, Republicanism, and the Making of French Colonialism, 1880-1914, New York, Oxford University Press, 2008, chap. 1 ; Jennifer Sessions, By Sword and Plow: France and the Conquest of Algeria, Ithaca, Cornell University Press, 2011.
  • [26]
    Les conceptions de la race, définies et élaborées par les ethnologues et les biologistes qui modifièrent les perceptions des Lumières, s’étaient répandues dès le milieu du xixe siècle à tous les champs du savoir en France. Martin Staum, Labeling People: French Scholars on Society, Race, and Empire, 1815-1848, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2003. J’aborde la question des théories de la race dans Hahn, « Racial Theories and Representations of the Exotic in the French Illustrated Press », manuscrit inédit.
  • [27]
    Letourneux, Le Roman d’aventures, op. cit., p. 21-25, 223-348 ; id., « La Colonisation comme un roman », art. cité ; Seillan, Aux sources du roman colonial, op. cit., p. 5, 23-26. Dans cet article, je critique l’idée que le roman d’aventures est un genre subversif, ironique ou même parodique. Brown mentionne cette idée dans A Critical History of French Children’s Literature, op. cit., t. 2, p. 110. Joseph Acquisto suggère que l’impérialisme avait peut-être une portion plus congrue dans les romans d’aventures français que dans leurs équivalents britanniques, mais semble ignorer les travaux de Seillan et Letourneux. Crusoes and Other Castaways in Modern French Literature: Solitary Adventures, Newark, University of Delaware Press, 2012, p. 9.
  • [28]
    Sur les modalités de la domination dans les aventures situées en Afrique, voir Seillan, Aux sources du roman colonial, op. cit., p. 31.
  • [29]
    jv, 8 juil. 1877, couverture.
  • [30]
    Louis Trégan, Aventures périlleuses d’un marin français dans la Nouvelle-Guinée, JV, en feuilleton, 8 juil. 1877-21 oct. 1877.
  • [31]
    « Avis de l’éditeur », jv, 15 juil. 1877, p. 2.
  • [32]
    Ces catégories contenaient respectivement les romans suivants : Pierre Ferragut, Le Robinson des mers ; Jules Claretie, La Mer libre ; Alfred Séguin, Le Robinson noir ; Jean Robert, Aventures périlleuses chez les Peaux Rouge ; Louis Boussenard, À travers l’Australie. « Table des matières », jv, janv.-juin 1878. Comme l’explique Matthieu Letourneux dans « La Colonisation comme un roman » (art. cité), dans le JV, le réalisme des récits fictifs était confirmé par les textes et images documentaires, diminuant de beaucoup alors la possibilité qu’un lecteur ayant une prédilection pour les récits réalistes puisse considérer invraisemblable n’importe quel récit d’aventures.
  • [33]
    Les romanciers Capitaine Mayne-Reid et Frédéric Dillaye ont aussi écrit les articles documentaires « Les peuples sauvages » et « Types et races ». Capitaine Mayne-Reid, « Les Ottomacs. Mangeurs de terre », jv, 6 oct. 1878, p. 194-197 ; Mayne-Reid, « Les Nains de la terre de feu », jv, 20 oct. 1878, p. 226-229 ; Frédéric Dillaye, « Les Veddahs », jv, 29 sept. 1889, p. 206.
  • [34]
    « Ce qu’on trouve à lire dans le Journal des voyages », jv, art. cité. Le terme récit d’aventures permettait au jv de se couvrir. Un récit d’aventures était potentiellement vrai et pas toujours déjà un roman. Si une part importante de la revue, telles les informations géographiques, était facile à considérer comme documentaire grâce à la titraille (« Actualités géographiques »), le statut fictionnel des romans d’aventures était rarement signalé explicitement par un mot comme « roman » justement. Dans la table semestrielle des matières, la catégorie « Romans et nouvelles » ne fut utilisée que brièvement entre 1889 et 1894, où elle fut remplacée par « Récits d’aventures et nouvelles ». Ces textes étaient cependant promus comme des romans quand ils étaient publiés en volume, par ex. Le Tour de France d’un petit parisien d’Améro fut publié en 1885 par La Librairie illustrée avec le sous-titre « Grand roman d’aventures ». René Guise constate que le terme « roman d’aventures » apparaissait rarement dans le jv, mais prétend que c’est parce que l’expression n’était pas très utilisée à l’époque. « Roman et aventure. Propositions pour une histoire du roman d’aventures », dans Roger Bellet (dir.), L’Aventure dans la littérature populaire au xixe siècle, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1985, p. 209-215.
  • [35]
    Voir Dominique Lejeune, Les Sociétés de géographie en France et l’expansion coloniale au xixe siècle, Paris, Albin Michel, 1993.
  • [36]
    « Ce qu’on trouve à lire dans le Journal des voyages », jv, art. cité.
  • [37]
    Roland Barthes, « L’effet de réel », Communications, 11, 1968, p. 84-89.
  • [38]
    « Ce qu’on trouve à lire dans le Journal des voyages », jv, art. cité.
  • [39]
    jv, 2 déc. 1877, couverture, p. 321.
  • [40]
    jv, 9 fév. 1879 ; 30 sept. 1877 ; 23 sept. 1877 ; 2 fév. 1879.
  • [41]
    jv, 12 janv. 1879, couverture ; jv, 5 mai 1878, couverture.
  • [42]
    Sur les discours sur les explorateurs, voir Venayre, La Gloire de l’Aventure, op. cit. ; Beau Riffenburgh, The Myth of the Explorer: The Press, Sensationalism, and Geographical Discovery, Oxford, Oxford University Press, 1994.
  • [43]
    Lemaire, Blanchard, « Exhibitions, expositions », art. cité, p. 119 ; Letourneux, Le Roman d’aventures, op. cit., p. 82.
  • [44]
    jv, 2 juin 1878, couverture ; Bénédict-Henri Révoil, « Les anthropophages », jv, 2 juin 1878,
    p. 322-324.
  • [45]
    jv, 24 sept. 1880, couverture.
  • [46]
    jv, 28 avr. 1878, couverture.
  • [47]
    jv, 28 avr. 1878, p. 242. Ce roman s’ouvre avec un chapitre « Savants et anthropophages » qui prétendait pouvoir opposer, de manière autorisée, les scientifiques occidentaux et les cannibales.
  • [48]
    Louis Boussenard, Le Tour du monde d’un gamin de Paris, jv, 19 mars 1879, p. 162 ; id., Aventures d’un gamin de Paris à travers l’Océanie, jv, 19 fév. 1882, p. 98.
  • [49]
    « Les récits d’aventures du Journal des voyages », jv, 14 mai 1893, p. 306. L’éditorial nomme Constant Améro, Louis Boussenard, Charles Canivet, Frédéric Dillaye, Louis Jacolliot, et G[aston] de Wailly comme principaux auteurs de la revue.
  • [50]
    Sur les stratégies réalistes pour raconter l’extraordinaire, voir Letourneux, Le Roman d’aventures, op. cit., p. 183-222.
  • [51]
    Sur ce point, voir aussi Seillan, Aux sources du roman colonial, op. cit., p. 17-22 ; et Letourneux, Le Roman d’aventures, op. cit., p. 54, 77, 91.
  • [52]
    Letourneux, Le Roman d’aventures, op. cit., p. 21-23, 35, 223-248, 336-347, 410-415.
  • [53]
    Ibid., p. 23-24, 46, 349-405, 410-415.
  • [54]
    Seillan étudie « l’anglophobie obsessionnelle » dans le roman d’aventures français. Aux sources du roman colonial, op. cit., p. 27.
  • [55]
    Trégan, Aventures périlleuses, jv, 29 juil. 1877, p. 34 ; 23 sept. 1877, p. 163.
  • [56]
    Séguin, Le Robinson noir, jv, 9 fév. 1879, p. 78 ; 9 mars 1879, p. 139.
  • [57]
    Édouard Petit, spécialiste de l’éducation, écrivait : « La protection que nous […] accordons [aux] indigènes des pays de protectorat […] leur impose […] certains devoirs […]. Ces protégés sont des demi-Français dont la condition est absolument indéterminée. » Organisation des colonies françaises et des pays de protectorat, Paris, Berger-Levrault, 1894, t. 1, p. 261.
  • [58]
    Séguin, Le Robinson noir, jv, 27 avr. 1879, p. 251-254.
  • [59]
    Léon Gozlan, Les Émotions de Polydore Marasquin, Paris, Michel Lévy, 1857 ; en feuilleton dans le jv, 24 oct. 1880-22 fév. 1881.
  • [60]
    Ces traits de caractère ne sont pas fondés sur l’expérience personnelle de Marasquin ; il rappelle juste des faits bien connus. Gozlan, « Les Émotions de Polydore Marasquin », jv, 24 oct. 1880, p. 90.
  • [61]
    Ibid., jv, 14 fév. 1881, p. 90.
  • [62]
    Ibid., jv, 30 janv. 1881, p. 54.
  • [63]
    Ibid., jv, 14 fév. 1881, p. 91.
  • [64]
    Gozlan, « Les Émotions de Polydore Marasquin », jv, 23 janv. 1881, p. 38.
  • [65]
    Ibid., jv, 21 fév. 1881, p. 106.
  • [66]
    Ibid., jv, 7 fév. 1881, p. 74.
  • [67]
    Boussenard, Le Tour du monde d’un gamin de Paris, jv, 1879-1880 ; Aventures d’un gamin de Paris à travers l’Océanie, jv, 1882-1883 ; Aventures d’un gamin de Paris au pays des lions, jv, 1885 ; Aventures d’un gamin de Paris au pays des tigres, jv, 1885 ; Aventures d’un gamin de Paris au pays des bisons, jv, 1885-1886.
  • [68]
    Boussenard, Aventures d’un gamin de Paris à travers l’Océanie, jv, 29 oct. 1882, p. 260.
  • [69]
    Sur la dissimulation du désir du héros pour la mobilité, voir Letourneux, Le Roman d’aventures, op. cit., p. 23-24, 354-360.
  • [70]
    Boussenard, Tour du monde d’un gamin de Paris, jv, 16 mai 1880, p. 294-295.
  • [71]
    Sur ces visions manichéennes, voir Letourneux, Roman d’aventures, op. cit., p. 9, 21-23, 50-57, 352-354, 388, 412-419.
  • [72]
    Boussenard, Aventures d’un gamin de Paris à travers l’Océanie, jv, 17 sept. 1882, p. 165-67 ; 13 oct. 1882, p. 229.
  • [73]
    Friquet et ses amis l’emportent, grâce à un tigre et un orang-outang domptés par Friquet, qui tuent les faux accusateurs. Boussenard, Aventures d’un gamin de Paris à travers l’Océanie, jv, 5 nov. 1882, p. 276-277.
  • [74]
    Boussenard, Voyages et aventures de Mademoiselle Friquette, jv, 4 avr. 1897, p. 100, 283. Sur ce roman, voir Seillan, Aux sources du roman colonial, p. 165-170.
  • [75]
    Boussenard, Le Tour du monde d’un gamin de Paris, jv, 20 juil. 1879, p. 21.
  • [76]
    Boussenard, Voyages et aventures de Mademoiselle Friquette, jv, 6 mars 1898, p. 218.
  • [77]
    Ibid., 2 mai 1897, p. 349.
  • [78]
    Seillan discute cet anticolonialisme dans Aux sources du roman colonial, op. cit., p. 167.
  • [79]
    Raymond Jonas, The Battle of Adwa: African Victory in the Age of Empire, Cambridge, Belknap Press, 2011, chap. 18.
  • [80]
    « À nos lecteurs », jv, 20 mars 1881, p. 162.
  • [81]
    Boussenard, Les Robinsons de la Guyane, Paris, La Librairie illustrée, 1892, cité par Seillan, Aux sources du roman colonial, op. cit., p. 16-17. Le roman parut en feuilleton dans le jv en 1881. Comme Seillan le remarque, Boussenard était l’un des écrivains de romans d’aventures qui voyagea le plus (p. 17).
  • [82]
    Seillan, Aux sources du roman colonial, op. cit., p. 25.
  • [83]
    Berenson, Heroes of Empire, op. cit., p. 46. Les dépêches de Stanley au New York Herald furent publiées en 1872.
  • [84]
    Ibid., p. 23.
  • [85]
    La Caricature, 22 avr. 1882, couverture.
  • [86]
    Ibid., p. 132-133.
  • [87]
    Ibid., p. 132-133.
  • [88]
    « À nos lecteurs », jv, 18 fév. 1883, p. 98.
  • [89]
    Boussenard, Le Tour du monde d’un gamin de Paris, jv, 28 sept. 1879, p. 179.
  • [90]
    Boussenard, Aventures d’un gamin de Paris à travers l’Océanie, jv, 10 sept. 1882, p. 150.
  • [91]
    Cela renvoie au conte oriental du xviiie siècle, genre marqué par l’exotisme. Voir Madeleine Dobie, Foreign Bodies: Gender, Language, and Culture in French Orientalism, Stanford, Stanford University Press, 2001, chap. 3.
  • [92]
    Boussenard, Le Tour du monde d’un gamin de Paris, jv, 4 juil. 1880, p. 408-409.
  • [93]
    Boussenard, Aventures d’un gamin de Paris à travers l’Océanie, jv, 9 avr. 1882, p. 214.
  • [94]
    « Le Banquet des exotiques », jv, 2 fév. 1902, p. 178.
  • [95]
    Jules Gros, « Mœurs et coutumes annamites », jv, 21 fév. 1884, p. 114-116.
  • [96]
    « La mer de lait », jv, 2 déc. 1877, p. 336.
  • [97]
    « Nubiens à Londres », jv, 28 oct. 1877, p. 244 ; « Les Nubiens au Jardin d’Acclimatation », jv, 16 sept. 1877, p. 157 ; D. Tucker, « Exhibition de Lapons à Londres », jv, 17 mars 1878, p. 160 ; B. Asher, « Les Lapons au Jardin d’Acclimatation », jv, 15 déc. 1878, p. 362-363. Sur les expositions ethnographiques, voir Nicolas Bancel et al. (dir.), Zoos humains : de la Vénus hottentote aux reality shows, Paris, La Découverte, 2002.
  • [98]
    « Nouvelles de nos colonies » est d’abord paru en 1889, suivi de « La France coloniale » (qui citait pas moins de 43 articles rien qu’entre janvier et juin 1889) et « Colonisation et émigration » (utilisé à partir de 1893).
  • [99]
    Letourneux, « La colonisation comme un roman », art. cité.
  • [100]
    « Découverte d’une ville dans le lac de Genève », jv, 29 juil. 1877, p. 48.
  • [101]
    « A Submerged City in the Lake of Geneva », Friends’ Intelligencer, 34, 1877, p. 669. Le narrateur d’Umberto Eco dans Le Cimetière de Prague, Paris, Grasset, 2011, affirme à propos de cette histoire : « Des marins locaux firent de bonnes affaires en amenant les touristes au milieu du lac. »
  • [102]
    « À nos lecteurs », jv, 10 nov. 1878, p. 274.
  • [103]
    « Le Mouvement géographique » était une rubrique couvrant les activités des sociétés de géographie, jv, janv.-juin 1889.
  • [104]
    « Les 54 Prix de fondation de la Société de Géographie », site officiel de la Société de géographie : http://www.socgeo.org/les-54-prix-de-fondation. Ce prix est encore décerné aujourd’hui.
  • [105]
    L. G. Binger, « Comment on devient explorateur », jv, 21 nov. 1897, p. 386-388.
  • [106]
    « À nos lecteurs », jv, 14 avr. 1878, p. 210 ; Boussenard, « Le Tour du monde d’un gamin de Paris », jv, 4 juil. 1880, p. 408.
  • [107]
    Bruno Fuligni, Les Constituants de l’Eldorado ou la République de Counani, Bassac, Plein Chant, 1997 ; id., L’État c’est moi : histoire des monarchies privées, principautés de fantaisie et autres républiques pirates, Paris, Les Éditions de Paris, 1998, cité dans Frédérique Roussel, « Quand la Guyane se rêvait libre », Libération, 22 juil. 2009 [http://voyages.liberation.fr/grandes-destinations/quand-la-guyane-serevait-libre, consulté le 31 déc. 2012].
  • [108]
    Un tiers environ du corpus de Verne avait été publié en 1879 quand le roman de Robida commença à paraître en livraisons.
  • [109]
    Brian Stableford, « Introduction », dans Robida, The Adventures of Saturnin Farandoul, Encino, Hollywood Comics, 2009, p. 57.
  • [110]
    Les stéréotypes racistes et l’idéologie colonialiste des romans de Verne étaient plus nuancés et ambigus que ceux publiés dans le jv. Voir, par ex., Noël Carroll, Beyond Aesthetics: Philosophical Essays, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 185-189.
  • [111]
    Antonio Faeti, Guardare le figure, Turin, Einaudi, 1972, p. 171-172.
  • [112]
    Pour Léon Gozlan, l’Histoire naturelle (1648) de George Marcgrave suggérait que les singes étaient capables de communiquer à travers quelque chose qui ressemblait au langage. Les Émotions de Polydore Marasquin, jv, 12 déc. 1880, p. 363-364.
  • [113]
    Les anthropologues français, dans les années 1840 et 1850, étaient convaincus de l’existence d’un tel peuple. Jan Bondeson, A Cabinet of Medical Curiosities, Ithaca, Cornell University Press, 1997, p. 173.
  • [114]
    Stableford, « Introduction », art. cité, p. 12.
  • [115]
    Un critique spéculait que le roman « intéressera davantage les esprits mâles en quête de distractions que les enfants ou jouvenceaux ». « Comptes rendus analytiques », Le Livre : revue mensuelle (Bibliographie moderne), première année, 1880, t. 2, p. 113. Le critique Octave Uzanne mentionne les Voyages très extraordinaires comme l’un des romans de Robida « qui nous ont agréablement divertis ». « Critique littéraire du mois, » Le Livre : revue du monde littéraire (Bibliographie moderne), vol. 10, 1889, p. 21.
  • [116]
    Par exemple, Livingstone et la tribu des Makalolo apparaissent dans Un capitaine de quinze ans (1878) de Verne qui est probablement ce qui incita Robida à écrire sur la nation Makalolo.
  • [117]
    « Ce qu’on trouve à lire dans le Journal des Voyages », jv, 5 déc. 1897, n. p.
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