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Sous la direction de Florence Douguet, Thierry Fillaut et François-Xavier Schweyer, Rennes, Presses de l’École des hautes études en santé publique, 2011.
1La profusion des images et plus généralement l’essor prodigieux de l’imagerie au cours de la période contemporaine ont fait de ces matériaux des sources majeures de savoirs et de techniques. Les images ont sans doute « révolutionné » plusieurs plans de la connaissance en matière de soin et de prospection. Elles ont également nourri le savoir médical et plus largement les recherches et les pratiques dans le domaine de la santé. Mais quels sont désormais les supports de ces images, les outils qui permettent de les interpréter, les contextes qu’elles révèlent ? Voilà les questions radicales que se posent les auteurs de ce livre, aussi utile qu’original.
2Cette réflexion collective qu’ont réunie Florence Douguet, Thierry Fillaut et François-Xavier Schweyer, suit plusieurs étapes. D’abord, recenser le patrimoine disponible pour la recherche et en rappeler l’histoire (Thierry Fillaut). De l’image fixe que réalise le photographe, au film qui restitue les fonctionnements du corps, ce ne sont pas seulement les progrès qui comptent, mais la nature de l’image et son usage possible qui ont été bouleversés. Car ces documents peuvent tout aussi bien servir d’outil pour la recherche que de contribution au diagnostic ou de document à usage pédagogique. Contrairement à ce qui se dit parfois, leur interprétation, voire leur seul accès, ne sont jamais aisés.
3Il s’agit ensuite de souligner les enjeux sociologiques (Florence Douguet) de cette formidable production dans la période contemporaine. Car les images ne font pas qu’enrichir le patrimoine de nos sources de savoirs, elles se substituent à d’anciennes perceptions de la réalité. L’actualité qu’on leur prête pose dès lors des questions éthiques jusqu’ici inédites. Signaler les archives à partir d’un exemple singulier que livre le musée Curie (Nathalie Huchette) permet de les localiser et d’élaborer un discours de la méthode. Se posent des questions tout à fait singulières d’archivage, de distribution et de consultation. Indiquer enfin le cadre juridique de leur usage rappelle le précieux « droit à l’image » dont dispose chaque personne soudainement « immergée » en milieu hospitalier (Raruca Preda). Modifier ou publier des images est devenu techniquement facile, mais porte à conséquence et nul ne peut ni ne doit l’ignorer : une personne ne se réduit pas à son image. En bref, les auteurs ont d’abord voulu dresser un état des lieux, aux différents niveaux et à diverses étapes de la recherche et de la technologie médicales.
4Les auteurs posent également la question de l’utilité de la production des images. À commencer par leur intérêt pour la communication publicitaire en matière de santé publique (Karine Gallopel-Morvan), dans le cadre de l’affichage, mais aussi dans le domaine du dépistage et de la prévention. Quoi qu’il en soit, l’émotion ici n’est jamais absente, et toujours « parlante ». Bref, savoir pour savoir faire, certes, mais encore faire savoir ; prévenir pour mieux guérir ; diagnostiquer avant d’agir. Christian Devillerd, Loïc Desprès et Hélène Romeyer s’interrogent alors sur les acteurs, sur ceux et celles qui « font » des images, des publics que celles-ci informent et qui les utilisent, voire des spécialistes qui les interprètent. Un choix d’affiches, dans des contextes différents et à des moments distincts de l’histoire permet de mettre en évidence les éventuelles culpabilités que celles-ci éveillent. Articles et entretiens composent dans cette partie du livre un bel équilibre qu’appréciera le lecteur. Ils mettent le questionnement pour ainsi dire « dans l’action », rappelant ou signalant ce que la réalité pratique suppose ou traduit. Cette seconde partie du livre s’achève sur les réflexions de Thierry Morineau à propos des usages des images pour la simulation. Le neurochirurgien, lui aussi, est guetté par la fascination qu’elles exercent. Entre beauté et efficacité, entre apparence et réalité, il doit s’interroger. Et arbitrer.
5L’aspect didactique et pédagogique n’a pas échappé aux concepteurs de ce livre, car l’image est devenue un outil aujourd’hui indispensable pour enseigner et former. Christine Ferron présente les pratiques pédagogiques de l’éducation à la santé et les contrastes qui surgissent des images mises en œuvre. C’est bien sûr le film, c’est-à-dire l’image sonore et en mouvement, qui retient l’attention. Le cinéma au service des médecins (Thierry Lefebvre), le partage d’expériences qu’autorise le film de type ethnographique, les documents pédagogiques qui diffusent l’information et font l’état des lieux en matière de santé. La méthode, introduite récemment dans les études, porte en elle une réelle fécondité.
6Tout cela n’est pas seulement tourné vers les professions spécialisées, mais plus largement en direction du grand public (Didier Nourrisson, Nicolas Riguidel), qu’il convient d’informer et de sensibiliser. Bref, tous ceux ou celles qu’anime la curiosité de savoir et que mobilise le souci de santé et de guérison.
7Une quatrième partie retourne pour ainsi dire l’objectif (de l’appareil photo, de la caméra, ou de l’intérêt). Elle attire l’attention sur la volonté de mettre en image l’hôpital (Chantal de Singly, pour l’hôpital Laennec). Car celui-ci reste une entité abstraite pour qui ne le fréquente pas ou si peu qu’il n’apparaît que sous son aspect émotionnel. Il convient aussi de jeter un regard d’anthropologue (Anne Vega) sur cette institution ou plutôt cet établissement. Le rôle de l’anthropologue ne serait-il pas de créer la bonne distance ? Celle qui permet d’informer ou de sensibiliser sans pour autant enfouir dans la complexité d’institutions et d’établissements dont les dimensions dépassent souvent l’entendement des usagers eux-mêmes. Et effraient au moins autant qu’ils ne soignent, et qu’ils ne guérissent. Il restait aux auteurs de ce livre, complet, nouveau et documenté, à affronter la cité hospitalière. Car l’hôpital, de nos jours, est une ville, un centre urbain en soi. Observer la cité hospitalière (François-Xavier Schweyer) réserve bien des surprises, voire des incompréhensions qu’il convient d’élucider. Pour finir, un entretien avec Daniel Colin délivre au lecteur un point de vue sur l’usage de l’image en santé mentale.
8On a souvent retenu le rôle de l’imagerie pour sensibiliser, communiquer et diffuser les préoccupations de santé dans le monde d’aujourd’hui. Cet ouvrage nous rend attentifs au rôle fondamental que les images jouent pour établir le diagnostic, préparer le soin, l’accompagner et le guider, mais aussi le contrôler et le vérifier. Avec l’image s’opère une véritable révolution dans la clinique, ce regard singulier sur le malade qui a permis d’accéder au mal, c’est-à-dire à la maladie.
9Mais l’essentiel de cet essai n’est peut-être pas là. Au-delà des faits, l’imagerie substitue à d’anciennes représentations du corps et de son fonctionnement des dimensions cachées, alliant ainsi l’évidence de la réalité anatomique à cette autre face du réel qu’est son fonctionnement physiologique. Mais surtout l’image ouvre le regard sur ce monde complexe et en pleine expansion qu’était l’hôpital et qu’est devenue la cité hospitalière, avec ses résidents, ses visiteurs, leurs familles et toutes celles et tous ceux qui gravitent autour de la guérison et de la prévention. C’est dans les profondeurs de cette découverte des temps modernes que ce nouveau livre plonge le regard du lecteur. Et met en images sa curiosité.
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Sous la direction de Florence Douguet, Thierry Fillaut et François-Xavier Schweyer, Rennes, Presses de l’École des hautes études en santé publique, 2011.