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Article de revue

La médecine dans l'Antiquité : professionnels et pratiques

Pages 153 à 172

Notes

  • [1]
    Bernard Rémy, « Le médecin dans l’antiquité gréco-romaine », Histoire et Archéologie, n° 123, janv. 1988, pp. 6-15.
  • [2]
    Jacques Jouanna, Hippocrate, Paris, Fayard, 1992, 648 p.
  • [3]
    L. Thomas, « Écoles de médecines » in Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, Paris, Masson, P. Asselin, 1866, pp. 325-400.
  • [4]
    Maurice Bariéty et Charles Coury, Histoire de la médecine, Paris, Fayard, 1963, 1221 p.
  • [5]
    Galien de Pergame, Souvenirs d’un médecin, Paul Moraux éd., Paris, Belles Lettres, coll. « Études anciennes grecques », 1985, 197 p.
  • [6]
    Bernard Rémy, « Les inscriptions de médecins en Gaule », Gallia, n° 42, 1984, pp. 115-152.
  • [7]
    Mirko Grmek et Danielle Gourevitch, Les Maladies dans l’art antique, Paris, Fayard, 1998, p. 30.
  • [8]
    Ibid. p. 25.
  • [9]
    Philippe Charlier, « Nouvelles hypothèses concernant la représentation des utérus dans les ex-voto étrusco-romains. Anatomie et histoire de l’Art », OCNUS – Quaderni della scuola di specializzazione in Archeologia dell’Università degli Studi di Bologna, n° 8, 2000, pp. 33-46.
  • [10]
    Mirko Grmek et Danielle Gourevitch, Les Maladies dans l’art antique, op. cit., 1998, 518 p.
  • [11]
    Ibid. p. 49.
  • [12]
    Alex Pollino, Catalogue d’exposition La Médecine de la préhistoire au Moyen Âge, Antibes, Musée d’histoire et d’archéologie, 1986, 119 p.
  • [13]
    Olivier de Cazanove, Catalogue d’exposition Dieux guérisseurs en Gaule romaine, Lattes, Musée archéologique Henri Prades, 1992, pp. 107-111.
  • [14]
    Bernard Rémy, « Les inscriptions de médecins en Gaule », loc. cit.
  • [15]
    Pierre Audin, « Les eaux chez les Arvernes et les Bituriges », La Médecine en Gaule. Villes d’eaux, sanctuaires des eaux, Revue Archéologique du Centre, n° 21-22, 1985, pp. 125-126.
  • [16]
    Emmanuel Leroi-Gourhan, « Le Néanderthalien IV de Shanidar », Bulletin de la Société préhistorique française, n° 65, 1968, pp. 79-83.
  • [17]
    Sébastien Barbara, « Castoréum et basilic, deux substances animales de la pharmacopée ancienne » in Isabelle Boehm et Pascal Luccioni dir., Le Médecin initié par l’animal. Animaux et médecine dans l’Antiquité grecque et latine, Lyon, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, 2008, pp. 121-148.
  • [18]
    Ralph Jackson, « A set of roman medical instruments from Italy », Britannia, n° XVII, 1986, pp. 119-167.
  • [19]
    Thierry Monier et Sébastien Monier, « L’art dentaire chez les étrusques », Actualités odonto-stomatologiques, n° 183, sept. 1993, pp. 330-352.
  • [20]
    Michel Feugère, Ernst Künzl et Ursula Weisser, « Les Aiguilles à cataracte de Montbellet (Saône-et-Loire). Contribution à l’étude de l’ophtalmologie antique et islamique » (article en français et en allemand), Jahrbuch des römisch-germanischen Zentralmuseums, n° 32, 1985, pp. 436-508.
  • [21]
    Jean-Marie Mariotti, « Les guérisseurs des yeux du Sahel. Ophtalmologie traditionnelle de Sumer à nos jours », Journal du musée de l’Homme, juin-juil. 1993, pp. 54-56.
  • [22]
    Jacques Voinot, Les Cachets à collyres dans le monde romain, Montagnac, éd. Monique Mergoil, 1999, 368 p.
  • [23]
    François Salviat, « La sculpture d’Entremont » in Denis Coutagne dir., Archéologie d’Entremont au Musée Granet, Aix-en-Provence, éd. Musée Granet, 1987, pp. 214-215.
  • [24]
    Patrice Arcelin, « La tête humaine dans les pratiques culturelles des Gaulois méditerranéens » in Jacques Élie Brochier, Armelle Guilcher et Mireille Pagni dir., Archéologies de Provence et d’ailleurs : mélanges offerts à Gaëtan Congès et Gérard Sauzade, Aix-en-Provence, Association Provence Archéologie, coll. « Bulletin archéologique de Provence », 2008, pp. 257-284.
  • [25]
    Otto-Herman Urban, M. Teschler-Nicola, M. Schultz, « Die latènezeitlichen Gräberfelder von Katzelsdorf und Guntramsdorf, Niederosterreich. Ein Beitrag zur Kenntnis der Trepanation bei den Kelten », Archaeologia Austriaca, n° 69, 1985, pp. 13-104. 26. Mirko Grmek et Danielle Gourevitch, Les Maladies dans l’art antique, op. cit., p. 83.
  • [26]
    Mirko Grmek et Danielle Gourevitch, Les Maladies dans l’art antique, op. cit., p. 83.

1La médecine occidentale plonge ses racines dans la très haute Antiquité, où les premières pratiques médicales étaient relatives à la sphère sacerdotale. Les rites magiques et religieux formaient l’essentiel des aspects thérapeutiques dans les sociétés les plus anciennes, pour évoluer au fil des siècles vers plus de scientificité. Des sources écrites et des représentations iconographiques faisant plus ou moins allusion aux professionnels (médecins, prêtres, chamans) et aux pratiques médicales ou pharmaceutiques (opérations, remèdes, ex-voto), mais aussi des objets révélés par l’archéologie et l’histoire de l’art (instruments, sculptures, peintures pariétales, peintures sur des vases), renseignent sur des acteurs aux multiples facettes.

2L’art s’est souvent fait le médiateur entre la souffrance et la guérison, la pathologie et l’espoir, la mort étant elle-même un aboutissement inéluctable souvent représenté, sans doute dans un souci d’apaisement. Seront examinés successivement l’histoire de la médecine occidentale dans l’Antiquité à travers des portraits de médecins, le rôle de la médecine arabe au Moyen Âge, puis les maladies et leurs représentations dans l’art antique. Enfin seront abordés les remèdes, traitements et instruments à travers les sources historiques, l’histoire de l’art et la documentation archéologique.

Histoire de la médecine occidentale dans l’antiquité

3À l’époque d’Homère, au VIIIe siècle avant notre ère, la médecine reste un domaine lié à la religion et chargé de magie, où les traitements sont encore des incantations. Pourtant des évolutions se font jour, puisque des médecins en tant que tels interviennent concrètement durant les campagnes militaires pour soigner les blessés. Ainsi dans l’Iliade le médecin est-il défini comme :

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un homme qui en vaut à lui tout seul beaucoup d’autres, lorsqu’il s’agit d’extraire des flèches ou de répandre sur les plaies des remèdes apaisants.
(Homère, Iliade, XI, 514-51)

5Dans l’Iliade, les deux médecins de l’armée achéenne, Machaon et Podalire, seraient les fils d’Asklépios, le premier des médecins, héros guérisseur devenu dieu.
Asklépios, Askalapios, Asclépios des Grecs, Aesculapius ou Esculape des Romains, ce dieu universel du monde gréco-romain est celui de la médecine, des médecins et de la guérison. Les sanctuaires qui lui sont dédiés sont nombreux, le plus célèbre étant celui d’Épidaure, fréquenté pendant mille ans, du ve siècle avant J.-C. jusqu’au ve siècle de notre ère.

Les grandes figures de la médecine antique et leur enseignement

6Les premiers médecins sont déjà des hommes très considérés, comme l’attestent les portraits et sculptures réalisés durant l’Antiquité. Ils forment, avec le législateur et l’architecte, une triade jouissant d’un statut particulier. S’il existe toujours un lien très fort avec le sanctuaire et la théurgie, la profession s’organise indépendamment des clergés. Mais si les médecins sont considérés comme exerçant une profession bien particulière dans la société, il n’existe pas d’enseignement formalisé : ni contrôle officiel, ni institut comparable aux Facultés de médecine modernes [1]. Chacun peut se déclarer médecin, après avoir suivi un simple apprentissage chez un praticien. Des associations constituent tout de même des centres d’apprentissage, comme les écoles de Cos ou de Cnide, les Asclépiades. Les portraitistes donnent aux premiers médecins des traits comparables à ceux des personnages les plus célèbres de l’Antiquité. Le premier d’entre eux fut Hippocrate, lui-même issu d’une famille de médecins et ayant fréquenté la confrérie des Asclépiades de Cos [ill. 1].

Ill. 1

Portrait d’Hippocrate, gravure de Peter Paul Rubens, 1638, Bethesda (Maryland), National Library of Medicine

Ill. 1

Portrait d’Hippocrate, gravure de Peter Paul Rubens, 1638, Bethesda (Maryland), National Library of Medicine

Hippocrate, né en 460 avant J.-C., fut célèbre de son vivant. Il est mentionné par Aristote et Platon (dans le Protagoras). Il fut le premier médecin connu pour avoir choisi une voie thérapeutique éloignée des pratiques rituelles et magiques qui attribuaient les causes des maux à des interventions divines. Le Serment d’Hippocrate fait partie intégrante du Corpus comme, entre autres, le Livre des Pronostics, Les Instruments de réduction ou bien Sur la maladie sacré[2].

7L’enseignement officiel se structure à l’époque hellénistique après la fondation de la bibliothèque d’Alexandrie et de son musée vers 285 avant J.-C. En ce lieu est rassemblée la somme des connaissances et des traités de médecine de toute la Méditerranée orientale et les anciennes pratiques ancestrales égyptiennes. Ainsi s’est ouvert un véritable centre de recherche assimilé à une université médicale sous l’égide du musée. Des médecins célèbres en sont issus, comme son fondateur Hérophile.

Hérophile, immensément réputé en tant que praticien, s’est particulièrement consacré à l’étude de l’anatomie. Malgré les vives critiques dont il a été l’objet, il a continué de pratiquer des dissections, augmentant ainsi considérablement les connaissances sur le système nerveux. Il a, par ailleurs, donné son nom au premier segment de l’intestin grêle, le duodénum.
Érasistrate, autre célèbre praticien d’Alexandrie, a également suivi la voie des recherches pratiques en s’affranchissant de la spéculation et de la théorie, et ses travaux en anatomie ont fait école. Hérophile et Érasistrate ont eu des « disciples » à Rome jusqu’au Ier siècle de notre ère [3].
Dioscoride Pedanios (40-90 de notre ère) a étudié la médecine à Alexandrie et à Athènes, où il a été l’élève de Théophraste. Il aurait été médecin militaire sous les règnes de Claude et Néron, puis pharmacologue et botaniste. Son œuvre majeure, De Materia medica, décrit l’utilisation de plus de mille six cents produits et fut utilisée jusqu’au xvie siècle.
Aulus Cornelius Celsus, plus connu sous le nom de Celse, né à Vérone, a vécu au temps d’Auguste (25 av.-50 ap.). Il a tout d’abord écrit De Artibus, une vaste encyclopédie rédigée en latin – ce qui n’était pas la règle – et couvrant des domaines variés dont la médecine n’est qu’un chapitre, à la manière des naturalistes encyclopédistes. Le sixième livre de l’ouvrage De Medicina Libri Octo est le premier traité médical imprimé par Gutenberg en 1471. On lui doit l’inventaire d’une cinquantaine d’instruments chirurgicaux, dont de nombreux exemplaires ont été découverts à Pompéi [4].
Né à Pergame vers 130 de notre ère, Galien fut l’un des médecins les plus illustres de l’Antiquité. Ses travaux sont à la base de la médecine islamique qui s’est propagée dans l’empire arabe, alors que l’occident chrétien perdait une partie des traditions antiques. Ainsi Hunayn ibn Ishaaq a-t-il traduit 129 ouvrages de Galien au ixe siècle. Il fallut attendre le xie siècle et Constantin l’Africain pour « revoir » des traductions d’Hippocrate et de Galien depuis le persan en latin [5].

La place des femmes

Des femmes médecins furent reconnues par leurs pairs mais elles sont souvent restées confinées aux tâches de l’enfantement. La plus ancienne sage-femme mentionnée chez les Grecs, Agnodicé, est née à Athènes au vie siècle avant J.-C., donc dans une cité où la loi a longtemps interdit aux femmes et aux esclaves d’étudier la médecine. Selon Hygin (Fab. 274), elle se serait déguisée en homme pour assister aux leçons du médecin Hiérophile, et se consacrer essentiellement à l’étude de l’obstétrique et à la gynécologie. Au ive siècle avant J.-C., Phanostratée était médecin et sage-femme à Ménidi en Attique (Grèce). Scribonia, sage-femme, dont la tombe a été retrouvée à Ostie, s’est fait représenter durant un accouchement [ill. 2]. En Gaule, on connaît une certaine Flavia Hédoné, qui travaillait comme médecin à Nîmes à la fin du ier siècle de notre ère [6].
Ill. 2

Relief en terre cuite placé sur la tombe de Scribonia à Ostie (Isola Sacra), ier siècle après J.-C., musée d’Ostie

Ill. 2

Relief en terre cuite placé sur la tombe de Scribonia à Ostie (Isola Sacra), ier siècle après J.-C., musée d’Ostie

Le rôle fondamental de la médecine arabe

8La médecine arabe, par un mouvement intense de traductions, a permis la transmission et la conservation du patrimoine de l’Antiquité, tout en y intégrant les fondamentaux empruntés à d’autres civilisations (Grèce, Inde, Perse), toujours par le biais des traductions. Les traductions en syriaque de livres de philosophie ou de médecine écrits en grec auraient commencé en Syrie et en Mésopotamie dès le ive siècle de notre ère, suite à la venue des chrétiens nestoriens réfugiés à Bagdad. Aux viiie et ixe siècle, des médecins installés à Jundishabûr exerçaient leur art auprès du calife abbasside Al-Ma’mun (813-833), mettant en pratique les théories d’Aristote, Hippocrate, Galien et Dioscoride, d’où découleront les notions de santé, de maladie, et d’évaluation des médicaments. Au ixe siècle, le médecin Hunayn ibn Ishaaq fit traduire de nombreux ouvrages, notamment Galien et Dioscoride. Hunayn ibn Ishaaq fut également l’auteur de travaux personnels en ophtalmologie et pédagogie médicale, célébrés en Occident chrétien sous le titre Isagoge. De très grands noms balisèrent les progrès réalisés en médecine dans l’Orient arabo-musulman, comme Rhazès, Haly Abbas Al-Madjûsi, Ibn Sînâ ou encore Averroes.

Rhazès (865-923), médecin persan aux hôpitaux de Bagdad, dont les ouvrages ont été traduits en latin par Gérard de Crémone au XIIIe siècle (Continens, Liber ad Almansorem).
Haly Abbas Al-Madjûsi, auteur du Livre Royal. Dans cette synthèse remar-quable de la science médicale à cette époque, l’auteur recommande aux praticiens de finir leur formation à l’hôpital.
Ibn Sînâ, médecin arabe connu en Occident sous le nom d’Avicenne (980-1037), dont le Canon maintes fois traduit et édité à partir du xve siècle présente de façon complète la science médicale de cette époque.
Dans l’Occident arabo-musulman, un grand centre se développa à Kairouan et Al-Andalous à Cordoue à partir du xe siècle, où Averroes, médecin de princes influents, fit la renommée de la médecine andalouse. Son œuvre médicale la plus connue est le Livre de Médecine Universelle, écrit avant 1162, et traduit en latin dès 1255 (le Colliget) puis en hébreu à la fin du xiiie siècle. Il fut enseigné dans les Facultés de médecine jusqu’au xviiie siècle. Averroes y exprime son adhésion aux théories héritées des Grecs et des Romains qu’il faut concilier avec les conseils du Prophète. Il s’intéresse à toutes sortes de pathologies et souligne la nécessité de s’appuyer sur l’observation et l’expérimentation. Nous en retiendrons son adage : « En médecine, il y a d’abord la parole, ensuite il y a l’herbe et ensuite il y a le bistouri ». Une enluminure du xve siècle illustre parfaitement cette symbiose entre les traditions antiques et les grands médecins arabes [ill. 3].
Ill. 3

Enluminure d’un manuscrit d’origine italienne du xve siècle représentant les médecins célèbres de l’Antiquité et du Moyen Âge occidentaux et musulmans discutant entre eux : Esculape, Hippocrate, Avicenne qui préside, Rhazès et Aristote, puis Sérapion-Ibn Sarâbiyûn devisant avec Galien ; et en bas Mésué-Ibn Masawayh, Dioscoride, Albert le Grand et Macer, Bibliothèque nationale de France

Ill. 3

Enluminure d’un manuscrit d’origine italienne du xve siècle représentant les médecins célèbres de l’Antiquité et du Moyen Âge occidentaux et musulmans discutant entre eux : Esculape, Hippocrate, Avicenne qui préside, Rhazès et Aristote, puis Sérapion-Ibn Sarâbiyûn devisant avec Galien ; et en bas Mésué-Ibn Masawayh, Dioscoride, Albert le Grand et Macer, Bibliothèque nationale de France

Les maladies et leurs représentations

9Les pathologies, blessures, malformations et maladies sont figurées sous de très nombreuses formes : sculptures, peintures, bas-reliefs, mosaïques… autant d’éléments qui prêtent à l’iconodiagnostic, c’est-à-dire au diagnostic rétrospectif des maladies grâce à l’étude des images. Les apports de cette méthode complètent très largement ceux apportés par l’exégèse des sources historiques et des écrits médicaux anciens [7]. Il apparaîtrait que bien des héros de la mythologie grecque présentaient des pathologies devenues leur emblème : Héphaïstos aux pieds-bots, Polyphème à l’œil unique, les Sirènes à queue de poisson, Janus aux deux visages… autant de symboles de la tératologie qui a toujours fasciné les anciens [8].

Les pathologies

10Les différentes affections sont bien représentées sur les ex-voto anatomiques en bronze ou en argile retrouvés dans les sanctuaires guérisseurs, qui autorisent une bonne approche des pathologies. L’interprétation commune est celle de tabellae, des objets destinés à être suspendus ou déposés dans les temples pour implorer la guérison ou pour remercier la divinité en cas de guérison. Sur ces ex-voto, documentés par de nombreuses découvertes (notamment à Tarquinia), figurent des enfants emmaillotés, des mains, des oreilles, des seins, des sexes masculins flaccides ou encore des pubis féminins. Plus rarement sont attestées des représentations des yeux et du nez, des pieds et des organes internes, parfois même du foie, du cœur ou de la vessie [ill. 4]. Les représentations d’utérus témoignent de l’intérêt porté aux questions de fertilité et d’enfantement, mais aussi de certaines pathologies (cancers, fibromes) [9].

Ill. 4

Ex-voto anatomiques datés entre le ive et le ier siècle avant J.-C. et découverts dans le Tibre à la hauteur de l’île Tibérine, Rome, musée des Thermes

Ill. 4

Ex-voto anatomiques datés entre le ive et le ier siècle avant J.-C. et découverts dans le Tibre à la hauteur de l’île Tibérine, Rome, musée des Thermes

11La plus involontaire des représentations d’une pathologie, du moins dans l’imaginaire collectif, est sans doute le portrait d’Alexandre le Grand qui présente systématiquement cette gracieuse manière de pencher la tête, caractérisant le héros macédonien, à tel point qu’elle devient sa marque de reconnaissance après le portrait de Lysippe, toujours imité. Or, il est possible qu’il s’agisse d’une pathologie, ce qui n’est pas sans poser de problèmes, puisque le sculpteur Lysippe voulait représenter le caractère d’Alexandre idéalisé, et non insister sur un éventuel torticolis par rétraction du muscle sterno-mastoïdien droit ou d’un strabisme oculaire dû à la paralysie d’un muscle de l’œil. C’est en revanche volontaire dans le cas d’Homère, toujours représenté comme « l’aède aveugle » sur les œuvres hellénistiques et romaines, la vacuité de son regard étant marquée par l’absence d’iris et de prunelle. Ésope, le célèbre fabuliste, était doté d’un physique difforme, car il était atteint de la même maladie génétique que Toulouse-Lautrec, une pycnodysostose [ill. 5]. Démosthène, connu pour ses paradoxales difficultés d’élocution, présentait un retrait mandibulaire et une malocclusion masqués par la barbe et la moustache, bien visibles sur son portrait [ill. 6]. Le buste du proconsul romain L. Munatius Plancus, qui a fondé Lugdunum/Lyon en l’an 43 avant J.-C., montre clairement un tableau clinique d’hémiplégie générale (paralysie faciale) [10]. Un portrait de l’empereur Hadrien, mort d’une hydropisie, présente des sillons diagonaux sur les lobes auriculaires, observation clinique de l’artériosclérose coronaire, caractéristique de cette maladie [ill. 7]. Des inconnus étaient également représentés et l’art du portrait romain est riche d’exemples qui nous renseignent sur des pathologies très diverses : affections variqueuses, problèmes orthopédiques, déformation des membres, syndrome de Down, etc. [ill. 8].

Ill. 5

Représentation d’Ésope conversant avec un renard, vase attique du ve siècle avant J.-C., Rome, musées du Vatican

Ill. 5

Représentation d’Ésope conversant avec un renard, vase attique du ve siècle avant J.-C., Rome, musées du Vatican

Ill. 6

Portrait en marbre de Démosthène, Rome, musée national romain

Ill. 6

Portrait en marbre de Démosthène, Rome, musée national romain

Ill. 7

Portrait en marbre de l’empereur Hadrien, Athènes, musée archéologique national

Ill. 7

Portrait en marbre de l’empereur Hadrien, Athènes, musée archéologique national

Ill. 8

Vase étrusque portant la représentation d’un individu atteint du syndrome de Down, musée national, Tarquinia

Ill. 8

Vase étrusque portant la représentation d’un individu atteint du syndrome de Down, musée national, Tarquinia

12La numismatique fournit un autre ensemble d’images sur d’éventuels problèmes survenus aux souverains dont les portraits ornent les monnaies. Ainsi Philétère, roi de Pergame (340-263), aurait-il souffert d’ennuchoï-disme et Ptolémée Ier Sôter d’acromégalie [ill. 9], même si l’on peut également interpréter sa mâchoire proéminente comme une particularité génétique récessive à la manière de la « mâchoire des Habsbourg » [11].

Ill. 9

Représentations sur des monnaies d’argent de la fin du ive siècle avant J.-C. : à droite Philitère, roi de Pergame, et à gauche Ptolémée Ier Sôter, roi d’Égypte

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Représentations sur des monnaies d’argent de la fin du ive siècle avant J.-C. : à droite Philitère, roi de Pergame, et à gauche Ptolémée Ier Sôter, roi d’Égypte

Sanctuaires, hôpitaux, camps militaires : les lieux de soins

13Durant l’Antiquité, il n’existe pas d’hôpital civil en tant que tel. Les seuls centres médicaux sont les sanctuaires et les plus fréquentés sont ceux qui sont dédiés à Asklépios. En ces lieux de guérison, les malades sont mis en relation avec les prêtres-médecins qui officient pour intercéder avec la divinité de manière à faire taire son courroux, ou contrecarrer des actions en sorcellerie. On soigne par des ablutions, des purifications, des processions, des incantations et par des offrandes [ill. 10]. Une phase importante consiste en l’incubatio, qui passe par le rêve afin de chercher la guérison ; le meilleur moyen de s’en approcher est de séjourner dans un temple, comme celui d’Esculape ou bien celui de l’île Tibérine à Rome, que l’on peut considérer comme le premier hôpital [12]. L’incubatio est encore pratiquée au Moyen Âge, lorsque l’on place les malades dans des églises ou à côté de sépultures de saints, parfois durant des mois.

Ill. 10

Représentation de l’intérieur d’un temple sur un vase grec, avec les ex-voto anatomiques suspendus, Athènes, musée archéologique national

Ill. 10

Représentation de l’intérieur d’un temple sur un vase grec, avec les ex-voto anatomiques suspendus, Athènes, musée archéologique national

14La médecine romaine se veut différente de la médecine hellénistique mais, au départ, elle s’en inspire fortement et fait même appel à ses Dieux, pour combattre les épidémies. C’est ainsi que Rome a accueilli Apollon, installé aux prés flaminiens en 433-431 avant J.-C., en acquittement d’un vœu fait « pour la santé du peuple » à la suite d’une épidémie de peste. Elle a accueilli Asklépios/Esculape en 291 avant J.-C., en face de l’île Tibérine, après qu’une ambassade s’est rendue à Épidaure [13].

15La médecine romaine se pratique dans plusieurs cadres : le temple, l’iatreion, des cabinets privés où les malades viennent rencontrer le médecin, sorte de dispensaire ou de clinique. Il existe également des médecins itinérants et des médecins publics (medicus publicus), ne relevant pas d’une institution charitable mais d’un emploi de fonctionnaire payé par la ville, à l’exemple de T. Cacilius Optatus, medicus coloniae Nemausensium (CIL XII, 3 343) [14]. La médecine légale fait aussi son apparition dans le cadre de procès, mais sans jamais devenir une spécialité. Et bien sûr des hommes de l’art se sont spécialisés auprès de certaines activités, comme les gladiateurs, qui nécessitent des soins spéciaux, ou bien sont affiliés à des collèges ou des corporations (schola), à la manière de cliniques.

16Dans les camps militaires romains sont créés les premiers hôpitaux militaires, les valetudinaria, où sont soignés les blessés durant les campagnes. Celui du camp de Inchtuthil (Écosse) est composé de quatre bâtiments ; on connaît d’autres exemples de valetudinaria sur le limes germanique à Xanten (en Allemagne, l’ancienne Colonia Ulpia Traiana) et à Vindonissa (actuelle Windich, en Suisse).
Les sanctuaires des eaux sont nombreux en Gaule, illustration du syncrétisme des cultes à l’origine liés à la nature intégrés dans le panthéon gallo-romain. Ainsi le sanctuaire « naturel » des Roches à Chamalières (Puy-de-Dôme), se présente-t-il comme une cuvette en eau où étaient plantées des milliers de statuettes de pèlerins et d’ex-voto anatomiques en bois, notamment des bras et des jambes, disposés à l’intention de la divinité locale Appolon-Maponos, associé à une croyance thérapeutique [15].

Remèdes et instruments

17Ce sont les médecins qui préparent les médicaments avec des plantes médicinales achetées chez le rhizotome (herboriste) et des produits chimiques achetés chez le pharmacopole (droguiste), qui deviendra progressivement le pharmacien. Dioscoride fournit aux pharmacopoles les bases scientifiques de leur métier : plus de quarante remèdes élaborés par ses soins sont encore présents dans la pharmacopée moderne. Il s’est certainement inspiré du travail de Crateuas, auteur du Rhizotomicon et médecin de Mithridate vers 100 avant J.-C., qui fut le premier à établir une liste des plantes propres à soigner.

18Le De Materia medica de Dioscoride mentionne quantité de plantes, fleurs et fruits qui rentrent dans la composition de remèdes sous des formes très diverses : infusions, décoctions, lavements, bains, emplâtres, poudres, pâtes ou comprimés. On utilise la camomille, la rue et le safran pour leur effet emménagogue, le lys pour panser les brûlures, le ricin comme laxatif, le fenouil comme diurétique, la marjolaine contre les maux d’estomac, la grenade contre le tænia (tænifuge) ou encore l’aneth comme sédatif. L’écorce de saule produit des effets comparables à l’aspirine. La gestion de la douleur est, en effet, le principal problème des médecins, dentistes et chirurgiens. On recourt à des recettes destinées, sinon à obtenir une anesthésie véritable, du moins à abrutir suffisamment le patient pour produire une sédation. Le chanvre et l’opium en décoction sont ainsi utilisés dès la plus haute Antiquité en Orient. La « pierre de Memphis » (un jaspe), concassée dans du vinaigre, dégage du gaz destiné à stupéfier le patient dans l’Égypte ancienne. Les textes font état de mélanges savants de jusquiame, belladone, suc de pavot, ciguë, mûre, chanvre indien et mandragore que les Romains mêlent à du vin. Mais surtout, l’opéré est enivré avec du vin ou de l’esprit-de-vin mélangé à diverses drogues. Signalons également que certaines plantes très toxiques, telle l’aconit, sont employées comme sédatif, ce qui ne va pas sans risques pour le patient.

19Chez Dioscoride, les sels de fer sont mentionnés comme hémostatique. C’est un remède connu dès l’époque d’Achille, comme l’atteste le récit du roi héroïque des Myrmidons grattant la rouille de sa lance sur la blessure de Télèphe représenté souvent sur des vases grecs. Pline nous enseigne que sous le mythe se cache une pratique médicale rationnelle d’emplâtre et qu’Achille aurait ajouté une plante vulnéraire, s’appelant depuis l’Achillée, connue sous des noms vernaculaires comme herbe de la Saint-Jean ou herbe-aux-coupures. Cet efficace hémostatique est toutefois connu depuis l’époque préhistorique comme en témoigne la « tombe aux fleurs » de Shanidar en Irak, où toutes les plantes retrouvées ont des vertus médicinales [16]. On mentionnera encore les sels de plomb, les sels de soufre, les sels d’antimoine ou encore les sels d’arsenic. On sait aussi que les médecins antiques utilisent les sels de cuivre en collyre ou en poudre, également comme hémostatique. Le bitume était une panacée antiphlogistique utilisée pour mûrir les abcès, mais il servait aussi comme pansement.

20Durant l’Antiquité, les matières animales sont également largement employées et sans doute très anciennement connues. L’animal est depuis toujours appelé à guérir les hommes, soit comme « bouc émissaire » – c’est-à-dire en prenant sur lui le mal de la personne atteinte – ou bien par le biais de parties ou substances. Aristote est considéré comme le fondateur de la zoologie et de la zoo-histoire et il demeure un maître incontesté en ce domaine jusqu’à Linné et Cuvier.

21En marge de produits comme le beurre, le miel, l’œuf ou le lait, sont citées des substances animales plus saugrenues comme les toiles d’araignée, l’urine, les fientes de lièvre ou de mouton ou les sécrétions du castor (castoréum). Si les premières restent sans doute inefficaces et renvoient au domaine de la magie, il est assuré que le castoréum faisait partie du traitement de nombreuses maladies parmi lesquelles l’épilepsie, les douleurs de l’utérus, la fièvre et les maux de tête. Les vertus de la substance pour combattre les maux de tête sont bien réelles, puisqu’elle contient de l’acide salicylique (composant proche de l’aspirine). Aujourd’hui encore, certains préconisent l’usage de ce produit comme stimulant, anti-hystérique et anti-spasmodique [17].
Devant l’extraordinaire foison d’instruments médicaux découverts à Pompéi, on comprend l’étendue du savoir des médecins et des techniques mises en œuvre pour la guérison des malades : scalpel, bistouri, crochet, aiguille à cataracte, cautère, pince chirurgicale, lancette, ventouse, canule, seringue, clystère, speculum, trépan, bandage hernière, specillum, spatule, cuillère… de tailles très variées permettaient de multiples interventions, que nous ne savons plus nécessairement interpréter aujourd’hui [ill. 11]. Les interventions les plus banales consistaient à réduire les fractures en remettant les os en place, puis en bandant le membre touché. Les plus complexes pouvaient être viscérales, comme l’appendicite, puisque l’on pratiquait le drainage d’abcès de la fosse iliaque droite.

Ill. 11

Séries d’instruments médicaux antiques découverts à Pompéi, musée Archéologique de Naples

Ill. 11

Séries d’instruments médicaux antiques découverts à Pompéi, musée Archéologique de Naples

22La médecine militaire a certainement fait progresser l’art médical, mais les représentations de blessures de guerre sont assez éloignées de la réalité. Celles qui découlent des sources homériques sont nombreuses : Achille soignant Thélèphe ou Patrocle [ill. 12], Nestor guérissant Machaon ou encore Stélénos qui panse Diomède. Une célèbre peinture de Pompéi montre Enée blessé recevant des soins à la cuisse [ill. 13]. La colonne Trajane, érigée en 113, donne également à voir un aperçu des blessés et médecins les évacuant vers les valetudinaria, durant les campagnes contre les Daces, somme toute plus proche de la vérité [ill. 14]. Les jeux ont aussi livré leurs lots de blessures, notamment celles relatives aux pugilats à mains nues, entraînant des saignements ou des lésions aux oreilles.

Ill. 12

Représentation d’Achille soignant Patrocle sur une coupe attique de Sosias, Berlin, musée de Charlottenbourg

Ill. 12

Représentation d’Achille soignant Patrocle sur une coupe attique de Sosias, Berlin, musée de Charlottenbourg

Ill. 13

Un médecin soigne la blessure d’Énée, peinture murale de Pompéi, Naples, musée Archéologique

Ill. 13

Un médecin soigne la blessure d’Énée, peinture murale de Pompéi, Naples, musée Archéologique

Ill. 14

Bas-relief avec une scène de bataille où l’on remarque l’intervention du médecin durant les campagnes de Trajan, Rome, Colonne trajane

Ill. 14

Bas-relief avec une scène de bataille où l’on remarque l’intervention du médecin durant les campagnes de Trajan, Rome, Colonne trajane

Dentisterie et ophtalmologie

23Les problèmes dentaires, et notamment la perte des dents, ont été palliés par l’invention de prothèses tout à fait fonctionnelles. On sait, en effet, que la perte des dents est un fait courant dans l’Antiquité. En Étru-rie, certains crânes bien conservés livrés par des sépultures montrent une abrasion importante des tables occlusales généralisée à toute la denture, qui n’est pas à rechercher sur le plan physiologique, mais sur celui de l’alimentation, en raison de la présence de nombreuses particules minérales dans le pain résultant de l’action des instruments destinés à la mouture dans la farine (résidus de meules, petites pierres échappées de la paroi des mortiers). Après la perte de dents, des appareils dentaires en or ont été conçus dès la période étrusque, permettant la réparation des dents ou leur remplacement [18] [ill. 15].

Ill. 15

Réparation dentaire datant de l’époque étrusque (ve ou ive siècle avant J.-C.), musée de Tarquinia

Ill. 15

Réparation dentaire datant de l’époque étrusque (ve ou ive siècle avant J.-C.), musée de Tarquinia

[photo : Monier]

L’ophtalmologie

24L’ophtalmologie est une science ancienne que les Gaulois et les Romains ont portée à un stade très avancé de connaissances, puisque les remèdes étaient nombreux et les interventions parfois très audacieuses. La statuaire funéraire évoque souvent la visite chez un médecin spécialiste des yeux [ill. 16] et nous disposons d’une quantité assez importante de cachets dits « d’oculiste » qui sont en fait des petits objets de bronze permettant d’imprimer des « ordonnances », pour traiter telle ou telle affection. Le nombre d’instruments médicaux destinés aux soins est tout à fait conséquent et propre à traiter des affections assez délicates. Ainsi la découverte d’une « trousse » d’ophtalmologiste dans la Saône, à Montbellet (Saône-et-Loire, France) et datée de la fin du iie ou du iiie siècle de notre ère, permet-elle même de reconnaître certains outils qui ont facilité les opérations de la cataracte avec extraction du cristallin : après avoir percé l’œil, une aiguille creuse permet d’aspirer la membrane opaque. Les opérations traditionnelles consistent à déplacer le cristallin sur la paroi latérale de l’œil laissant ainsi passer les images et la lumière [ill. 17], ce que pratiquent encore les tradipraticiens au Sahel, où l’on rencontre cette chirurgie traditionnelle très fréquente. De très nombreux médicaments ont été inventés dans l’Antiquité afin de soigner les affections ophtalmologiques. Souvent élaborés sous forme de petits pains de pâte pressés, ils portent une estampille en relief faite à l’aide de ces cachets dits « d’oculistes », découverts notamment en Gaule, permettant de connaître le nom du praticien et les substances composants la préparation de cette pâte qui était ensuite diluée ou grattée. Ainsi connaît-on des recettes à base d’extrait de plantes, « au safran » (crocodes), « à la rose » (diarhodon), « aux feuilles de buis » (pyxinum)… et autres pépins de coing, chélidoine, romarin, ayant des vertus avérées pour le traitement des maladies des yeux, associés aux actions curatives des métaux. Sont également mis à contribution dans ces mêmes traitements, les sels de mercure, de fer, de cuivre, de plomb, de soufre et des matières animales, notamment des graisses utilisées comme exci-pients.

Ill. 16

Représentation d’un médecin oculiste examinant les yeux d’une patiente avec un instrument, sur le monument funéraire de Montiers-sur-Saulx (Meuse), Bar-le-Duc, Musée Barrois

Ill. 16

Représentation d’un médecin oculiste examinant les yeux d’une patiente avec un instrument, sur le monument funéraire de Montiers-sur-Saulx (Meuse), Bar-le-Duc, Musée Barrois

Ill. 17

Vue et coupes de deux aiguilles de la trousse de Monbellet, Saône et Loire, Chalon-sur-Saône, musée archéologique Denon

Ill. 17

Vue et coupes de deux aiguilles de la trousse de Monbellet, Saône et Loire, Chalon-sur-Saône, musée archéologique Denon

25Le médecin Q. Junius Taurus a ainsi fait graver à son nom plusieurs cachets (eux-mêmes gravés sur trois ou quatre faces), qui mentionnent des actifs correspondant à des affections et des traitements précis : opacité de la cornée, blépharite, trachome, écoulement. Au regard des connaissances actuelles, la pharmacopée antique utilisant ce type de produit suscitait certainement de bons résultats « contre les écoulements » (ad omnes liquores), « contre les brûlures » (ad adustiones) ou encore « contre les suppurations » (ad suppurationes) [ill. 18].

Ill. 18

Cachets d’oculistes en bronze, oppidum de Naix-aux-Forges (Meuse), Bar-le-Duc, musée Barrois

Ill. 18

Cachets d’oculistes en bronze, oppidum de Naix-aux-Forges (Meuse), Bar-le-Duc, musée Barrois

La médecine chez les barbares

Les populations barbares connaissent également l’art de la médecine. On dispose malheureusement de très peu de témoignages, ces sociétés, parfois sans écriture, ayant privilégié les arts aux supports éphémères (le bois notamment). Strabon souligne la tradition du rôle de Marseille, cité accueillant les enfants des aristocrates gaulois, envoyés parfaire leur éducation dans des sortes d’universités où ils recevaient des enseignements en philosophie, en économie (comptes publics) et en médecine (Géographie, IV, 1, 5). Le père du poète Ausonius était médecin à Bordeaux et ce métier était toujours à cette époque empreint d’hellénisme.
Les Celtes vouent un véritable culte à la tête humaine. Ils arborent les têtes coupées de leurs ennemis attachées autour de l’encolure de leurs chevaux (bas-relief d’un bloc architectural sculpté de l’oppidum d’Entremont) [19], et des vestiges archéologiques nombreux témoignent de la pratique de rituels où la tête humaine avait un rôle primordial [20]. Diodore de Sicile retrace également qu’ils embaumaient les têtes de leurs ennemis à l’huile de cèdre afin de les conserver dans des coffres (Bibliothèque Historique, V, 29). Paradoxalement, ils pratiquaient la trépanation qui semble être une intervention plutôt fréquente, avec un bon taux de réussite : on connaît ainsi quelques sépultures qui ont livré des individus ayant survécu à ces opérations lourdes et morts dans d’autres circonstances. Le matériel médical associé (trépan, scies, sondes, grattoirs…) a également été retrouvé, manifestant des avancées techniques très élaborées qui permettaient de mener à bien les opérations, par la technique du grattage (Sépulture de Münsingen) ou du forage au trépan trilobé (crânes de Katzelsdorf et Guntramsdorf en Autriche) [21]. On n’en a pas de témoignage formel, mais il semble évident que ces pratiques sont dépendantes de l’usage de stupéfiants qui permet au patient de résister à la douleur pendant l’ouverture du crâne, et la nature permet de nombreuses possibilités.
Les Scythes ont développé un art figuratif très réaliste, et de nombreux bijoux, plaques de ceinture et vases portent des représentations naturalistes détaillées, concernant tous les aspects de la vie quotidienne. Le petit vase en électrum de la tombe sous tumulus de Kul-Oba (Ukraine) (musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg) présente deux scènes distinctes relatives à des actes médicaux [ill. 19] : d’une part l’intervention d’un dentiste et d’autre part un guerrier blessé à la jambe recevant des soins. Ce dernier, face au soigneur, tient son mollet, présentant un œdème qui accompagne généralement une fracture [22].
Les sources historiques mentionnent des remèdes mis au point par les Gaulois, dont les noms d’origine celtique se retrouvent chez Dioscoride, comme le souiuitis/ – le lierre, la sapana – le mouron des champs, ou le ponem, une espèce d’armoise. Le savon serait une invention gauloise (sapo), préparé avec de la cendre et du suif de chèvre (Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, livre XXVIII, 191). Enfin le traitement des yeux trouve des échos assez forts en Gaule, et Celse dit préférer la méthode « gauloise » pour le traitement de certaines de leurs affections (Celse, Chirurgie, livre VII, 7, 15 I).
Ill. 19

Représentation d’une scène médicale sur la coupe en électrum de Kul Oba, Bulgarie, IIIe siècle avant J.-C., Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage

Ill. 19

Représentation d’une scène médicale sur la coupe en électrum de Kul Oba, Bulgarie, IIIe siècle avant J.-C., Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage

26Au regard de nombreux documents, livrés par les sources historiques, l’archéologie ou l’histoire de l’art, la médecine semble être au cœur des préoccupations des sociétés de l’Antiquité. La place du médecin est suffisamment importante pour avoir laissé le souvenir d’illustres personnages et leurs représentations, et les actes médicaux trouvent une réelle expression dans de nombreuses œuvres figurées, parfois de manière assez crue. Très détaillées, elles ouvrent la porte de l’iconodiagnostic et à la manière dont les anciens abordaient les différentes pathologies, leurs remèdes et traitements. On observe ainsi que la médecine moderne repose sur de très nombreuses découvertes antiques et médiévales, qui furent à l’origine de soins parfois spectaculaires qui n’ont rien à envier aux méthodes actuelles. Ces documents nous permettent de faire le lien entre praticiens de l’Antiquité et médecins actuels, qui ne bénéficient plus d’une considération suffisante pour être encore sujet, de vases, peintures murales ou pavements… préfiguration du personnage du bon docteur ou du légiste dans les séries du dimanche après-midi à la télévision. [23][24][25][26]


Date de mise en ligne : 01/06/2010.

https://doi.org/10.3917/sr.028.0153

Notes

  • [1]
    Bernard Rémy, « Le médecin dans l’antiquité gréco-romaine », Histoire et Archéologie, n° 123, janv. 1988, pp. 6-15.
  • [2]
    Jacques Jouanna, Hippocrate, Paris, Fayard, 1992, 648 p.
  • [3]
    L. Thomas, « Écoles de médecines » in Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, Paris, Masson, P. Asselin, 1866, pp. 325-400.
  • [4]
    Maurice Bariéty et Charles Coury, Histoire de la médecine, Paris, Fayard, 1963, 1221 p.
  • [5]
    Galien de Pergame, Souvenirs d’un médecin, Paul Moraux éd., Paris, Belles Lettres, coll. « Études anciennes grecques », 1985, 197 p.
  • [6]
    Bernard Rémy, « Les inscriptions de médecins en Gaule », Gallia, n° 42, 1984, pp. 115-152.
  • [7]
    Mirko Grmek et Danielle Gourevitch, Les Maladies dans l’art antique, Paris, Fayard, 1998, p. 30.
  • [8]
    Ibid. p. 25.
  • [9]
    Philippe Charlier, « Nouvelles hypothèses concernant la représentation des utérus dans les ex-voto étrusco-romains. Anatomie et histoire de l’Art », OCNUS – Quaderni della scuola di specializzazione in Archeologia dell’Università degli Studi di Bologna, n° 8, 2000, pp. 33-46.
  • [10]
    Mirko Grmek et Danielle Gourevitch, Les Maladies dans l’art antique, op. cit., 1998, 518 p.
  • [11]
    Ibid. p. 49.
  • [12]
    Alex Pollino, Catalogue d’exposition La Médecine de la préhistoire au Moyen Âge, Antibes, Musée d’histoire et d’archéologie, 1986, 119 p.
  • [13]
    Olivier de Cazanove, Catalogue d’exposition Dieux guérisseurs en Gaule romaine, Lattes, Musée archéologique Henri Prades, 1992, pp. 107-111.
  • [14]
    Bernard Rémy, « Les inscriptions de médecins en Gaule », loc. cit.
  • [15]
    Pierre Audin, « Les eaux chez les Arvernes et les Bituriges », La Médecine en Gaule. Villes d’eaux, sanctuaires des eaux, Revue Archéologique du Centre, n° 21-22, 1985, pp. 125-126.
  • [16]
    Emmanuel Leroi-Gourhan, « Le Néanderthalien IV de Shanidar », Bulletin de la Société préhistorique française, n° 65, 1968, pp. 79-83.
  • [17]
    Sébastien Barbara, « Castoréum et basilic, deux substances animales de la pharmacopée ancienne » in Isabelle Boehm et Pascal Luccioni dir., Le Médecin initié par l’animal. Animaux et médecine dans l’Antiquité grecque et latine, Lyon, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, 2008, pp. 121-148.
  • [18]
    Ralph Jackson, « A set of roman medical instruments from Italy », Britannia, n° XVII, 1986, pp. 119-167.
  • [19]
    Thierry Monier et Sébastien Monier, « L’art dentaire chez les étrusques », Actualités odonto-stomatologiques, n° 183, sept. 1993, pp. 330-352.
  • [20]
    Michel Feugère, Ernst Künzl et Ursula Weisser, « Les Aiguilles à cataracte de Montbellet (Saône-et-Loire). Contribution à l’étude de l’ophtalmologie antique et islamique » (article en français et en allemand), Jahrbuch des römisch-germanischen Zentralmuseums, n° 32, 1985, pp. 436-508.
  • [21]
    Jean-Marie Mariotti, « Les guérisseurs des yeux du Sahel. Ophtalmologie traditionnelle de Sumer à nos jours », Journal du musée de l’Homme, juin-juil. 1993, pp. 54-56.
  • [22]
    Jacques Voinot, Les Cachets à collyres dans le monde romain, Montagnac, éd. Monique Mergoil, 1999, 368 p.
  • [23]
    François Salviat, « La sculpture d’Entremont » in Denis Coutagne dir., Archéologie d’Entremont au Musée Granet, Aix-en-Provence, éd. Musée Granet, 1987, pp. 214-215.
  • [24]
    Patrice Arcelin, « La tête humaine dans les pratiques culturelles des Gaulois méditerranéens » in Jacques Élie Brochier, Armelle Guilcher et Mireille Pagni dir., Archéologies de Provence et d’ailleurs : mélanges offerts à Gaëtan Congès et Gérard Sauzade, Aix-en-Provence, Association Provence Archéologie, coll. « Bulletin archéologique de Provence », 2008, pp. 257-284.
  • [25]
    Otto-Herman Urban, M. Teschler-Nicola, M. Schultz, « Die latènezeitlichen Gräberfelder von Katzelsdorf und Guntramsdorf, Niederosterreich. Ein Beitrag zur Kenntnis der Trepanation bei den Kelten », Archaeologia Austriaca, n° 69, 1985, pp. 13-104. 26. Mirko Grmek et Danielle Gourevitch, Les Maladies dans l’art antique, op. cit., p. 83.
  • [26]
    Mirko Grmek et Danielle Gourevitch, Les Maladies dans l’art antique, op. cit., p. 83.
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