Couverture de SR_027

Article de revue

L'« Armée du chahut » : les deux Vachalcades de 1896 et 1897

Pages 167 à 191

Notes

  • [*]
    François Caradec (18 juin 1924 (22 tatane 77) -13 novembre 2008), Régent Toponome et Celtipète le 22 palotin 79, en outre Régent de Céphalorgie appliquée le 22 palotin 80, en outre Régent de Colombophilie et d’Alcoolisme Éthique le 13 haha 84, Provéditeur des Exhibitions et Ostentions du 1er absolu 87 au 17 gidouille 89.
    François Caradec s’est éteint le 13 novembre dernier à Paris. Il faudrait avoir un sens inné du rythme tzigane pour résumer en quelques lignes l’incroyable érudition de cet enragé de lecture, qui mettait sa rigueur au service de la farfeluïté.
    Régent du Collège de Pataphysique, membre de l’Oulipo, il pouvait passer avec bonheur de l’Encyclopédie des farces et attrapes à Lautréamont, de Raymond Roussel au Pétomane dont il savait retracer le contour des œuvres avec une verve inépuisable. Il avait réussi à éditer, avec Pascal Pia, les œuvres complètes d’Alphonse Allais dont il s’était fait le biographe dans un livre monumental qui demeure comme une comédie humaine montmartroise, tant s’y croisent des silhouettes improbables qu’il connaissait en intime. On n’en saura guère plus sur Achille 1er roi d’Araucanie…Outre une pratique naturelle de la subversion, disparaît avec François Caradec une certaine idée de la lecture au sens le plus libre et libertaire du terme.
  • [1]
    John Grand-Carteret, Raphaël et Gambrinus ou l’art dans la brasserie, Paris, Louis Westhauser éd., 1886, pp. 118-132 ; sur la Belle Poule, voir Delphine Christophe et Georgina Letourmy (dir.), Paris et ses cafés, Paris, AAVP, 2004, pp. 69 et 78 (les pages 72-73 reprenant John Grand-Carteret).
  • [2]
    André Warnod, Les Bals de Paris, Paris, éd. G. Crès, 1922, pp. 166-172 ; Maurice Garçon, La Justice contemporaine, Paris, Grasset, 1933, p. 558 et Le Courrier français, n° 28, 9 juill. 1893.
  • [3]
    Jean-Marie Mayeur, Les Débuts de la IIIe République, Paris, Le Seuil, 1973, p. 208 ; André Coutin, Huit siècles de violences au Quartier Latin, Paris, Stock, 1969, pp. 306-315.
  • [4]
    Raymond Bachollet, « Au Quartier Latin » (3e partie), Le Collectionneur français, no 298, mars 1992, p. 5.
  • [5]
    Jean-Émile Bayard, Montmartre hier et aujourd’hui, Paris, Jouve éd., 1925, p. 88.
  • [6]
    Herbert Michel, La Chanson à Montmartre, Paris, La Table Ronde, 1967, pp. 315-316. Phillip Dennis Cate voit lui aussi dans le choix de la « Vache Enragée » comme figure tutélaire de la manifestation un hommage au roman d’Émile Goudeau. Voir Phillip Dennis Cate (dir.), The Spirit of Montmartre, Rutgers, The State University of New Jersey, 1996, p. 69.
  • [7]
    La formule vient de Guillaume Legueret, Le Cabaret des Quat’z’Arts 1893-1925, mémoire de master d’histoire et civilisations comparées, Université Paris-Diderot, 2007, p. 94. Ce travail, consacré au cabaret de François Trombert, étudie également les deux cortèges de la Vachalcade à partir des archives de la Préfecture de Police de Paris et deux cartons de documentation conservés aux Archives du musée du Vieux Montmartre (cartons VII, 5 et 6, lettres manuscrites du Comité d’organisation, fondation du Comité, lettres et rapports de la Préfecture de Police, compte rendu des agents municipaux sur les défilés.).
  • [8]
    Texte de présentation de la Vachalcade de 1896, un feuillet tapuscrit, « Montmartre », févr. 1896, Archives du musée du Vieux Montmartre.
  • [9]
    La confusion entre les expressions « mener une vie enragée » propre à une vie misérable et « manger de la vache malade » aurait abouti à l’image de « Vache Enragée », que l’on trouve dès le xviiie siècle chez Lesage.
  • [10]
    Les Vachalcades sont à peu près absentes des études sur Montmartre ou la bohème fin de siècle. Si elles sont mentionnées dans la plupart des souvenirs sur la période, chez Francis Carco, Anne de Bercy et Armand Ziwès Roland Dorgelès, Jean-Émile Bayard, Paul Yaki, André Warnod, Georges Montorgueil, si les monographies consacrées à la Butte en produisent volontiers des affiches, elles sont au contraire assez largement ignorées des ouvrages universitaires. Philip Dennis Cate en fait une brève mention, The Spirit of Montmartre, op. cit., pp. 188-189, tournée essentiellement sur Gustave Charpentier, de même que Marielle Oberthür dans Le Cabaret du Chat noir à Montmartre, Genève, Slatkine, p. 173, qui y voit en deux lignes une facétie des Quat’z’Arts. Le remarquable ouvrage de Jerrold Seigel, Paris Bohème, 1986, Paris, Gallimard, 1991, pp. 318-319, est très approximatif, mentionnant « vers 1895 » (date fausse) « des défilés au nom de la vache enragée », sans donner de source précise. Rien dans Lionel Richard, Cabaret, cabarets : origines et décadence, Paris, Plon, 1991, 364 p., ou dans Gabriel P. Weisberg, Montmartre and the Making of Mass Culture, Rutgers, New Jersey, 2001, 296 p., ni même dans Charles Rearick, Pleasures of the Belle Époque, Yale University Press, 1985, 239 p., très bien documenté. Les rêveurs d’aventures montmartroises seront forcés de se rabattre sur les recueils d’anecdotes et de documents patiemment compilés par André Roussard, Dictionnaire des lieux à Montmartre, Paris, éd. André Roussard, 2001, 351 p. ; Dictionnaire des peintres à Montmartre, Paris, éd. André Roussard, 1999, 640 p. ; Les Montmartrois, Paris, éd. André Roussard, 2004, 317 p. Très précieuse également l’étude de Louis Morin, Carnavals Parisiens, Paris, Montgrédien et Cie/Librairie illustrée, [1898 ?], 186 p., qui produit une rétrospective en images dessinées pour illustrer ses souvenirs des cortèges. Enfin, je produis plus loin des extraits du roman La Colle de Léon Riotor, lequel comporte tout de même un chapitre entier foisonnant de détails sur la Vachalcade de 1897 ; l’anecdote peut parfois se révéler utile à l’historien de la sociabilité artistique.
  • [11]
    Anne de Bercy et Armand Ziwès, À Montmartre le soir, Paris, Grasset, 1951, pp. 47-48.
  • [12]
    Le Courrier français, n° 26, 4 juill. 1897, p. 2. Cette dimension « médiévale » de la fête est importante et fait écho aux décorations de cabarets Montmartrois et au culte voué à François Villon et au Moyen Âge. Le dessinateur Henri Pille, décorateur du doyen des cabarets artistiques de Montmartre, vers 1880, « La Grande Pinte », est également le concepteur de deux chars « moyenâgeux » particulièrement appréciés à chacune des Vachalcades.
  • [13]
    Le Courrier français, n° 8, 23 fév. 1896. Willette s’était plaint, dans le numéro précédent, de ne pouvoir éditer un florilège de ses œuvres chez Fayard frères, lesquels venaient d’acheter La Caricature et s’intéressaient aux dessins satiriques. Cette anthologie finira par sortir, mais il faudra attendre 1901. Le livre sera publié par un éditeur affilié au Courrier et à Roques, Simonis Empis.
  • [14]
    La Caricature, n° 221, 22 mars 1884. Il est étonnant que Willette n’ait pas alimenté cette polémique (ardente !) par une de ses premières toiles intitulée « le bal des Quat’z’Arts » et datant de 1884, dans laquelle figure un cortège de la Vache Enragée descendant du Panthéon. Je pense à titre personnel que le peintre avait perdu trace de son œuvre. Elle se trouve aujourd’hui au musée du Petit Palais de Genève.
  • [15]
    Le futur auteur des Pardaillan est, pour l’heure, dirigeant d’un groupe anarchiste, les « Socialistes Révolutionnaires », qu’il anime avec Jules Roques le directeur du journal satirique Le Courrier français. Willette y compose de nombreuses couvertures.
  • [16]
    Le Temps, 10 févr. 1896.
  • [17]
    Auteur de chansons à ses heures, sous le nom de Maurice Boukay. Ses œuvres sont interprétées aux Quat’z’Arts et paraissent en volume, illustrées par Steinlen (Chansons rouges, Paris, Flammarion, 1896, 260 p.).
  • [18]
    Archives de la Préfecture de Police de Paris, DB59, Bœuf Gras, Mi-Carême. Affiche placardée de la Vachalcade de 1896, cité par Guillaume Legueret, Le Cabaret des Quat’z’Arts, op. cit., p. 95.
  • [19]
    Archives du musée du Vieux Montmartre, carton « Vachalcade », cité par Guillaume Legueret, Le Cabaret des Quat’z’Arts, op. cit., p. 97.
  • [20]
    Ce périodique se présente en format 30×40 cm. La périodicité devait être trimestrielle « au moment des termes, autrement dit quatre fois par an » (Vache Enragée, n° 1, p. 3), ce qui souligne encore la proximité de la manifestation avec le problème des mal logés. Bien que le « Dico Solo » le voit comme un mensuel, avant de devenir trimestriel, il a été jusqu’ici impossible de trouver autre trace que les deux numéros réalisés à l’occasion de chacune des deux processions, en 1896 et 1897. Solo fait d’ailleurs mourir le titre en 1897. Voir François Solo et Catherine Saint-Martin (dir.), Dico Solo, Paris, éd. Te Arte, 1996, p. 651.
  • [21]
    Cité par Luc Willette, Adolphe Willette, Pierrot de Montmartre, Précy-sous-Thil, éd. de l’Armançon, 1991, p. 95.
  • [22]
    Programme de la « Soirée Artistique donnée au Trianon-Concert au bénéfice de la Cavalcade de la Vache enragée, jeudi 27 février 1896 », Archives du Vieux Montmartre, boîte « Vachalcade » n° 1.
  • [23]
    Le Gaulois, 13 mars 1896, article signé « HD ».
  • [24]
    Ibid.
  • [25]
    Note manuscrite de Willette, collection de la famille Bihl-Willette. La détestation de Rodolphe Salis semble avoir été un des moteurs de la constitution du cabaret des Quat’z’Arts et, logiquement de la Vachalcade. On ne trouve évidemment pas trace dans Le Chat noir de la Vachalcade de 1896 (même si le titre était dirigé par Raymond Lacan, il paraît certain que Salis conservait un droit de regard). En revanche, Le Chat noir, n° 116 (nouvelle série) du 19 juin 1897 produit une couverture magnifique de Jacques Villon, intitulée « Vachalcade 1897, Programme ». On pourrait s’étonner d’un tel revirement de Salis… Or, il s’avère que celui-ci est mort depuis le mois de mars et que la rédaction en chef du journal est assurée depuis janvier 1897 par Willy, par ailleurs grand ami de Willette (François Caradec, Feu Willy, Paris, Carrère, 1984, pp. 97-98).
  • [26]
    Louis Morin, Carnavals Parisiens, op. cit., pp. 63-69. On ne peut supposer un parti pris chez l’auteur car celui-ci restera toute sa vie un intime de Willette.
  • [27]
    Raphaël Gérard, Paris et ses cafés, op. cit., p. 78. Cette toile, hommage au « Bal des Quat’z’Arts » de Willette (1884), est sans doute un vitrail, mais l’œuvre est de toutes façons perdue aujourd’hui.
  • [28]
    Georges Renault et Henri Château, Montmartre, Paris, Librairie Ernest Flammarion, 1906, p. 272.
  • [29]
    À propos de Jules Roques, directeur du Courrier Français et figure centrale de la presse satirique des années 1880-90, voir Henri Dorra, « Les Pastilles Géraudel et les grands maîtres fin de siècle », Gazette des Beaux-Arts, 3e trim. 1984, pp. 85-90 ; Aline Demars, « Michel Zévaco, anarchiste de plume et romancier d’épée », Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1988, au t. 1 des Pardaillan ; Sylvestre Ringeard, « La saga Géraudel » in Manuel du parfait publicitaire, Paris, Porc Épic, coll. « Les Manuels impertinents », 2008, pp. 37-42.
  • [30]
    Pour l’explicitation de ces liens entre lieux de sociabilité et défilés « à thème », je me permets de renvoyer le lecteur sur mon article « Les cortèges satiriques », Humoresques, n° 29, à paraître au printemps 2009.
  • [31]
    Herbert Michel, La Chanson à Montmartre, op. cit., p. 315. On pourra également consulter à ce sujet le précieux dossier de presse de l’exposition consacrée par le musée de Montmartre à Gustave Charpentier en septembre 2006-janvier 2007, « Gustave Charpentier-Mimi Pinson : une grande passion musicale », dossier établi par les soins de Michela Niccolaï. Cette chercheuse italienne a soutenu une thèse de musicologie sur le musicien français intitulée « La dramaturgie de Gustave Charpentier. Contribution à l’étude du Couronnement de la Muse et Louise » (à paraître fin 2009 chez Brepols). D’après elle, l’idée d’une élection démocratique d’une ouvrière par ses paires revient à Gustave Charpentier. Et l’historienne de citer un témoignage de Willette paru dans La Lanterne du 14 mai 1897 sous la signature de J. M. Gros (Michela Niccolaï, La Dramaturgie de Gustave Charpentier. Contribution à l’étude du Couronnement de la Muse et Louise, thèse de doctorat en musicologie, Université Jean Monnet de Saint-Étienne, Université de Crémone, 2008, p. 108).
  • [32]
    Guillaume Legueret, Le Cabaret des Quat’z’Arts, op. cit., p. 104. La mansuétude du préfet Lépine est curieuse, tant ce type de manifestations est peu apprécié des autorités, d’ordinaire. De même, le rôle du curé de l’église Saint-Pierre de Montmartre, paroisse des artistes adossée au Sacré Cœur, est assez nébuleux dans le soutien apparent qu’il apporte à une cérémonie honnie de sa hiérarchie.
  • [33]
    Herbert Michel, La Chanson à Montmartre, op. cit., pp. 315-316.
  • [34]
    Jules-Alexandre Grün va jusqu’à composer une affiche pour recruter les jeunes filles destinées à poser sur le char de sa fabrication ! Voir Alain Weil et Gabriel Perry, Jules-Alexandre Grün les affiches, New York, Queen Art Publishers inc., 2005, pp. 11, 24-25.
  • [35]
    Les représentations de « sergots » en vaches sont pléthores dans l’iconographie des deux Vachalcades. Comparer sur ce thème les vignettes gaies de la fête et les images plus sombres des feuilles satiriques engagées contemporaines demanderait à lui seul un article.
  • [36]
    Est-ce un hasard si l’expression « mort aux vaches » devient un des slogans favoris des anarchistes dans les années 1890, alors qu’en même temps, les noms de Jules Jouy, Georges Darien ou Michel Zévaco apparaissent dans l’orbite des Vachalcades ? On se souvient de la chanson « Cayenne » : « Mort aux vaches, mort aux condés, vive les enfants de Cayenne à bas ceux d’la Sur’té ! ». Est-ce un hasard si le « Crainquebille » d’Anatole France (dont un des passages fameux est le procès du marchands de Quatre Saisons pour avoir jeté « Mort aux vaches ! » à l’agent Matra), est justement dédié au dessinateur Steinlen, intime de Willette et pilier des Quat’z’Arts ? Anatole France, dont on retrouve le nom dans le premier numéro de La Vache enragée, en 1896.
  • [37]
    « Seul Programme Officiel de la Vachalcade de 1897 », p. 2, Archives du Vieux Montmartre, carton « Vachalcade » no 2.
  • [38]
    Le Journal, 20 juin 1897, non signé.
  • [39]
    Guillaume Doizy et Jacky Houdré, Marianne dans tous ses états, Paris, éd. Alternatives, 2008, 143 p.
  • [40]
    Riotor Léon, La Colle, Paris, Fasquelle, 1917, pp. 200-208.
  • [41]
    L’Intransigeant du 22 juin 1897 estime que « plus de 300 000 parisiens se sont rendus à Montmartre pour assister à cette fête », chiffre forcément sujet à caution compte tenu des relations d’amitié entre Rochefort et Willette. Comme le note très justement Guillaume Legueret, Le Cabaret des Quat’z’Arts, op. cit., p. 108, « il ne peut s’agir que d’une simple hypothèse sur laquelle on ne peut rebondir. La seule information que ce chiffre nous donne, même s’il est surévalué, c’est la garantie du succès de la fête ». Le fiasco financier, en contradiction avec l’affluence du public, s’explique par la force des intempéries de fin de journée qui contrarient la représentation de l’opéra de Charpentier, dégarnissant les places payantes.
  • [42]
    Herbert Michel, La Chanson à Montmartre, op. cit., pp. 315-316.
  • [43]
    La Vérité, 22 juin 1897, non signé.
  • [44]
    « Une porcherie », L’Autorité, 22 juin 1897, signé F. G. L’Éclair du 30 juin 1897 évoque une plainte du sénateur Bérenger, apparemment classée sans suite puisqu’il n’y a pas trace d’un procès des responsables du défilé.
  • [45]
    Propriété des héritiers de Willette, ces vues photographiques stéréoscopiques sur plaques de verre sont absolument inédites. Il ne faut pas sous estimer l’importance de la question du nu dans les fêtes artistiques publiques de la fin du siècle, la question ayant passionné l’opinion et plusieurs fois créé de violentes polémiques, non sans influence sur la législation liée au dessin de presse.
  • [46]
    « La fête de la mi-Carême sera-t-elle sauvée ? », entretien avec le peintre Adolphe Willette, La Liberté, 23 mars 1923.
  • [47]
    Certains, comme Georges Montorgueil, évoquent a posteriori un déficit de 12 000 francs. Voir Georges Montorgueil, La Vie à Montmartre, Paris, Tallandier, 1899, p. 137. Guillaume Legueret (Le Cabaret des Quat’z’Arts, op. cit., pp. 103-104), note que pour la seconde édition de la Vachalcade de 1897, les membres du Comité d’organisation du cortège s’étaient portés caution financière de l’évènement pour lever les fonds nécessaires à ce deuxième cortège.
  • [48]
    Cité par Guillaume Legueret, Le Cabaret des Quat’z’Arts, op. cit., p. 104. Encore René Bérenger ne semble-t-il pas avoir eu connaissance du spectacle donné lors de la fête nocturne qui succède au cortège, telle que les photographies produites ci-dessus permettent de le constater !
  • [49]
    Louis Morin, Carnavals Parisiens, op. cit., p. 80.
  • [50]
    Voir, à ce sujet, l’analyse (malheureusement non publiée) de Henri Viltard, Caricature et photographie, mémoire rédigé dans le cadre du séminaire « Art et Société » de Laurence Bertrand-Dorléac, Centre historique de Sciences Po, sept. 2006.
  • [51]
    Michel Dixmier, « La Belle Époque du dessin satirique » in Michel Dixmier, Annie Duprat, Bruno Guignard et Bertrand Tillier, Quand le crayon attaque, Images satiriques et opinions publiques en France 1814-1918, Paris, Autrement, 2007, p. 104.
  • [52]
    Herbert Michel, La Chanson à Montmartre, op. cit., pp. 315-316.
  • [53]
    Cité par Raymond Bachollet, « La Vache enragée », Le Collectionneur français, n° 299, avr. 1992, p. 7.
  • [54]
    L’expression est de Louis Chevalier, Montmartre du plaisir et du crime, Paris, Payot/Rivages, 1995 [1re éd. Robert Laffont, 1980], p. 13.
  • [55]
    La Vache enragée de Léo Malet (Paris, Höeboeke, 1988, 240 p.) est un livre de souvenirs.
  • [56]
    L’écrivain Francis de Miomandre avait déjà écrit sur ce parallèle en 1917 dans une curieuse chronique, Le Veau d’Or et la Vache enragée, Paris, Émile-Paul frères, 1917, 386 p.
  • [57]
    Entre autres, Barbara : « Ce que j’en ai bouffé, d’la vache enragée. Et ça c’est une chose. Qu’une femme n’oublie pas… », La Chanteuse de minuit, EMI, 1958 ; Brassens : « Sans jamais m’brûler la lippe / L’tabac d’la vache enragée / Dans sa bonne vieille tête de pipe… », « Auprès de mon arbre » in Chanson pour l’auvergnat, 1955 ; ou encore Brigitte Fontaine qui lui dédie une chanson, 13 chansons décadentes et fantasmagoriques, Disques Jacques Canetti, 1965. En 2008, Les Ogres de Barback et Florent Vintrignier lui rendent hommage à leur tour en chanson, (« Pitt’ Ochat ») preuve, s’il en était besoin, que l’animal a le cuir solide…
À la mémoire de François Caradec[*]

1Le Montmartre des cabarets inaugure une multitude de manifestations charivariques tout autant qu’une sociabilité de cabarets. Ces derniers sont souvent les points de départs de cortèges anarchisants qui parcourent nuitamment la Butte, dans le but d’attirer les sergents de ville tandis que s’effectuent plus discrètement nombre déménagements à la cloche de bois. Les noms des cabarets offrent un bestiaire des plus curieux, l’animal le plus célèbre étant le « Chat noir » de Salis, en l’honneur du matou qui tombe d’un réverbère sur la tête du gentilhomme cabaretier la veille de l’inauguration... Salis n’aura d’ailleurs de cesse de nier l’anecdote, attribuant la paternité du félidé tour à tour à Edgar Poe ou au chat de l’Olympia de Manet. Loin de cette posture quelque peu prétentieuse, certains se contentent de faire rougir les kiosquières en leur demandant à propos de la feuille imprimée si « elles n’ont pas le chat noir » ? À la suite du greffier anthracite fleurit toute une ménagerie des plus inattendues, de la Truie qui file au Lapin qui fume en passant par l’Âne rouge, La Belle Poule, le cabaret du Canari, le Loup blanc, l’Écrevisse ou le Chien noir. Le Lapin agile devient le centre des futurs cubistes. Le Rat mort, place Pigalle, doit son nom à un énorme rongeur de presque cinq kilos dont le cadavre est sorti de la pompe à bière, le jour de l’ouverture, dans une pestilence épouvantable conduisant le peintre Vadeau à exécuter quatre panneaux muraux sur les aventures supposées de l’animal avant trépas [1]. En 1892 est inauguré, à l’Élysée Montmartre, le premier bal des Quat’z’Arts, mariage improbable de la fête montmartroise avec le rituel charivari des étudiants des Beaux Arts. Au petit matin du bal, un cortège descend de la Butte pour rejoindre les Beaux Arts. Pour cette première inédite, un âne gigantesque flanqué d’un priapisme à décourager le Minotaure surgissait d’une Bible de carton pâte devant de fausses nonettes à la prière. L’année suivante, le thème de l’Égypte donne lieu à une surenchère d’Anubis et d’Osiris à effigies animales des plus surprenantes, portant en triomphe un modèle, Sarah Brown, dont la nudité provoque le délire des convives et les poursuites du ministère public sur la plainte du sénateur Bérenger, président de la Ligue pour la décence des rues. À la suite d’un procès célèbre pour l’absurdité des réquisitoires, les promoteurs de la fête sont condamnés [2]. La sentence provoque une semaine d’émeutes au quartier latin avec pour conséquences un mort et la fermeture de la Bourse du travail [3].

2Ce tragique épisode a trois conséquences :

3Désormais, le bal des Quat’z’Arts est « lancé » et continuera à brocarder le bourgeois chaque année jusque dans les années Cinquante. Un journal, Au Quartier Latin, naît en 1894 de la suite des événements, « pour relancer le carnaval de la mi-Carême et verser aux pauvres de Paris le bénéfice de cette manifestation [4] ». En 1896, la fête du Bœuf gras ressuscite, sous l’égide des autorités. Un cabaret est créé en 1893 dans le sillage du procès des Quat’z’Arts, boulevard de Clichy à Montmartre, par le chansonnier François Trombert, qui y accueille tout ce que la Butte compte d’auteurs satiriques, chanteurs, écrivains ou dessinateurs. En pleine déconfiture du Chat noir, les Quat’z’Arts devient un des établissements phare de la sociabilité artistique montmartroise où l’on aperçoit « à l’heure de l’apéritif sur la petite terrasse, Émile Goudeau, Willette, Roedel, Léandre, Grün, Truchet, Paul Arêne, Clovis Hugues… [5] ».

4Périodicité, journal satirique illustré, cabaret artistique, les trois ingrédients essentiels sont réunis pour accoucher d’un nouveau cortège charivarique :

5

En 1897, le cabaret des Quat’zarts possédait son journal qui, comme celui du Chat noir, eut à son origine Goudeau pour rédacteur en chef. Le titre était dessiné par Willette. […] C’est au cabaret des Quat’zarts que furent conçues et réalisées les deux Vachalcades qui révolutionnèrent Montmartre. Celle de 1896, dont Willette fut l’âme, eut pour président Émile Goudeau, auteur du roman La Vache enragée. [6]

6Qu’est-ce précisément qu’une « Vachalcade » ? C’est une cavalcade charivarique en dérision de cette « Vache enragée » qui incarne la misère des bohèmes et artistes pauvres, en même temps qu’une référence au roman éponyme de Goudeau, patriarche des anciens Hydropathes, bref, une « antithèse aux grands défilés du “Bœuf Gras” des Grands Boulevards [7] ».

7

Cette vivante antithèse du « Boeuf Gras », escortée de tous ceux qui l’ont si longtemps connue et mangée, ne peut manquer d’attirer à Montmartre tous les gens à l’affût d’une réjouissance intelligente et artistique [8].

8Un animal, efflanqué et furieux, est revendiqué comme l’emblème de la misère des artistes ainsi que de la rage qui les anime, de la faim qui les rend enragés à l’instar de cette vache qu’on tire par la queue pour joindre les deux bouts, sur les steaks de la laquelle on se brise les dents et que l’on n’attendrit que par l’éther et l’absinthe [9] [ill. 1 et 2]. La fête se compose d’un cortège, d’une tombola et d’un concert au Moulin Rouge au profit de « la fondation d’une caisse de secours pour les artistes malheureux de Montmartre ». Cette dimension caritative est essentielle pour les dessinateurs, qui ont très mal vécu la mort misérable de certains d’entre eux (Ferdinandus ou Tiret-Bognet) et bientôt Henri Pille et Henri Somm.

Ill. 1

Louis Morin, Carnavals Parisiens, Paris, Montgrédien et Cie/Librairie illustrée, s. d., p. 41

Ill. 1

Louis Morin, Carnavals Parisiens, Paris, Montgrédien et Cie/Librairie illustrée, s. d., p. 41

Ill. 2

Louis Morin, Carnavals Parisiens, Paris, Montgrédien et Cie/Librairie illustrée, s. d., p. 52

Ill. 2

Louis Morin, Carnavals Parisiens, Paris, Montgrédien et Cie/Librairie illustrée, s. d., p. 52

9L’origine de la première Vachalcade est controversée [10].

10

En 1895, Charles Quinel, rédacteur du Charivari, s’étonna et demanda pourquoi aucune fête populaire n’était organisée à Montmartre. Trombert, directeur du cabaret des Quat’zarts, à l’affût des suggestions nouvelles, s’empara de celle-ci, créa un comité, mais en différa l’exécution, et le projet resta en sommeil un an. Jean Hesse, du Figaro, le réveilla en demandant quelle raison donnait la Butte à son refus de faire quelque chose, alors que le Quartier Latin avait ses cavalcades régulières. Une affiche, préparée aux Quat’zarts, convoqua brusquement artistes et commerçants du quartier, les incitant à se réunir afin de donner à la manifestation qui se préparait, tout l’éclat qu’elle méritait. Ce fut la première Vachalcade. […] Le peintre Abel Truchet avait été nommé, dès le début, président du comité. Son désistement amical amena à ce poste d’honneur Adolphe Willette, lequel connaissant le refus de Salis, accepta. [11]

11Peu importent les détails, le rôle de Trombert ou les motifs du retrait de Truchet. Ce qui nous intéresse ici, c’est que l’idée initiale émane d’un directeur de journal de caricatures. Cela souligne les liens étroits entre presse illustrée et cortèges transgressifs. Il n’est pas innocent de voir Le Rire de Félix Juven, le plus en vogue des périodiques satiriques, soutenir en 1896 le Bœuf Gras « officiel » et non la Vachalcade pourtant organisée par les caricaturistes de ses propres colonnes. Son rédacteur en chef, Arsène Alexandre, attaque vertement Willette, en juillet 1897, en accusant le dessinateur et le directeur du Courrier français, Jules Roques, de lui avoir volé l’idée. La réponse de Roques est cinglante, renvoyant Arsène Alexandre à… Wagner, et son défilé des corporations dans Les Maîtres Chanteurs[12] ! Au même moment, il est à peu près sûr que ce même Jules Roques tente désespérément de prendre la direction de cette Vachalcade. Le 23 février 1896, une controverse oppose Willette et Roques à ce sujet dans les colonnes mêmes du Courrier français, où l’artiste refuse avec indignation un projet de tombola pour le dégager d’une vieille dette de faillite, en échange des droits exclusifs sur certaines de ses œuvres [13]. Ni Le Rire, ni Le Courrier français ne témoigneront de la Vachalcade de 1897, ce qui est un signe du dépit des directeurs de presse.

12Willette lui-même doit renoncer à la paternité de l’idée de la Vache enragée lorsque Georges Montorgueil ressort une composition magnifique signée du dessinateur Job et parue hors texte dans La Caricature de Robida avec la légende : « Le cortège de la Vache enragée [14] » [ill. 3].

Ill. 3

Robida, La Caricature, n° 221, 22 mars 1884

Ill. 3

Robida, La Caricature, n° 221, 22 mars 1884

13Qui que soit l’inventeur de la Vachalcade, l’intention est sans équivoque : affranchir la manifestation de la tutelle tentaculaire des grands titres satiriques. Pour financer l’opération, une souscription est lancée, la liste du comité organisateur publiée à grand bruit. Outre l’incontournable Goudeau et le directeur du Moulin Rouge Oller, on est surpris de voir apparaître toute la bohème anarchisante et engagée, Marcel Legay, Théophile Alexandre Steinlen, Maxime Lisbonne, Jehan Rictus et Michel Zévaco [15].

14

C’est donc au profit des artistes pauvres, et des pauvres en général de Montmartre, que le comité de la Vache enragée, où se retrouvent les plus notables commerçants à coté d’artistes illustres, fait appel à toutes les bonnes volontés, afin que cette Vachalcade devienne splendide comme fête et rémunératrice comme œuvre de charité. Signé le président d’honneur : Émile Goudeau. [16]

15Des ténors de l’opposition de gauche comme Charles Couyba [17], Clovis Hugues, Eugène Fournière ou Camille Pelletan s’associent à l’entreprise. Le contenu de la première affiche laisse peu de doutes quant au caractère délibérément engagé de la cérémonie :

16

Les artistes qui, plus que personne, ont souffert de la mastication de cet animal fantasque et trop réel, quoique allégorique, ont résolu de promener le long des pentes de la Butte cette bête féroce, dûment ligotée ! [18]

17D’autres placards sont encore plus éloquents :

18

Tous ceux qui n’ont pas trouvé dans leur berceau la fortune amassée par leurs ascendants et n’ont point eu, dès leur début dans la vie, la protection efficace d’une race ou d’une religion, tous ont mangé de la vache enragée. La vache enragée c’est l’absinthe sans le repas, c’est la nuit sous le pont, c’est la lutte pour la vie. Le timide, le faible et l’impuissant ne résistent pas à ce régime. L’audacieux, l’opiniâtre et le fort en triomphent, mais combien de blessés, quelques fois. En faisant le cortège, nous narguons la misère. Notre rire n’est pas une grimace de soumission ou de complaisance, mais de défi, et les dents qu’il montre sont longues. [19]

19Un journal est évidemment fondé pour l’occasion, dirigé par l’ex-lutteur Roedel [20]. On y lit les souvenirs d’Émile Zola, d’Anatole France ou de Henri Rochefort sur leur fréquentation de la vache enragée. Rodin fera un passage dans le cortège, estimé à 450 bénévoles autour des satiristes eux-mêmes.

20Le mot de la fin revient à Willette qui remercie les participants « dont le concours dévoué a permis de mener à bien une tâche difficile, celle de prendre la vache enragée par les cornes et de la présenter à son peuple de Montmartre ».

21Le pronom possessif est ici très important : soit il cautionne l’idée que Montmartre est uniquement une terre d’artistes, soit (et c’est ici manifeste par les thèmes sociaux marqués de l’ensemble des documents) l’artiste ne voit pas de différence entre la misère des artistes et celle du peuple des petites gens de la Butte, ce qui fait des premiers les chantres privilégiés du dénuement des seconds. L’affiche la plus célèbre du cortège en gestation est signée Lautrec et représente le sénateur Bérenger poursuivi par un furieux bovidé, donc la référence au bal des Quat’z’Arts de 1893 et du combat des satiristes contre les tenants de l’ordre moral [ill. 4].

Ill. 4

Toulouse Lautrec, La Vache enragée, n° 1, mars 1896

Ill. 4

Toulouse Lautrec, La Vache enragée, n° 1, mars 1896

22Willette se jette à corps perdu dans la préparation du cortège. Il réussit à obtenir l’autorisation du préfet de police Lépine, à condition de limiter la fête à l’après-midi de la mi-Carême (au lieu des trois jours réclamés). La Pré­fecture s’oppose également à la fanfare militaire et réserve le service d’ordre aux sergents de ville. Tout Montmartre est mobilisé pour les préparatifs. On s’affaire fiévreusement à préparer les chars dans tous les ateliers. L’association au projet des petites gens, charpentiers ou cousettes d’ateliers, est une des spécificités de la Vachalcade. C’est le seul indicateur tangible de la popularité que les artistes ont acquise depuis la quinzaine d’années qu’ils chahutent à Montmartre. L’osmose entre rapins et petit peuple est à peu près unique en son genre, tout autant que la participation financière de plusieurs commerçants de la butte. De la rue Caulaincourt à la rue des Martyrs, il n’est question que de la Vachalcade. Un seul problème : la vache. Alphonse Allais raconte :

23

– Où acheter une vache enragée ?
Willette : – Fabriquons-la.
Silence général.
– Oui, achetons une vache et enrageons-la.
Willette se rend aux abattoirs et achète une vache très maigre. Pour la rendre enragée, il lui fait écouter le dialogue de deux critiques de théâtre. La vache eut un long beuglement, et ses yeux se révulsèrent. Elle était enragée. [21]

24Une soirée artistique au bénéfice de la Cavalcade de la Vache Enragée est organisée le 27 février 1896, soulignant la dimension caritative de la manifestation, et la création de la Caisse de secours pour les artistes nécessiteux [22].

25La première des deux Vachalcades, qui s’ébranle le 11 mars 1896 n’est qu’un demi-succès. Le cortège doit partir du no 100 de la rue Lamarck, emprunter le pont Caulaincourt jusqu’à la place Clichy, obliquer sur le boulevard de Clichy et enchaîner par le boulevard Rochechouart jusqu’à Barbès en passant par la place Pigalle, puis aller par la rue Ordener à ce qui est aujourd’hui la mairie du xviiie pour clore le tour de Montmartre en retournant place Clichy. Au lendemain de ce premier opus, les avis sont partagés.

26Le journal Le Gaulois est dithyrambique :

27

À Montmartre où pourtant le rire ne chôme guère, on n’avait jamais ri comme au passage de ce désopilant cortège dont la fantaisie échevelée n’allait pas sans beaucoup de poésie. […] Un bon point aux élèves de l’atelier Henri Pille, qui ont reconstitué la Vache enragée au Moyen Âge d’une manière exacte. […] Enfin, le clou de la journée, la « Vache enragée », par Roedel, une horrible bête d’une maigreur fantastique, que deux gentilles montmartroises tiennent par les cornes. [23]

28Le journaliste rapporte qu’en fin de cortège, « propriétaire, éditeur et marchand de couleurs sont pendus à des potences et ensuite brûlés en place publique [24] ». Il s’agit en fait des effigies de Jules Roques et Rodolphe Salis, qui sont mises au bûcher sur la place Blanche [25] ! Le dessinateur Louis Morin est moins tendre lorsqu’il consigne impitoyablement toutes les avanies survenues durant le cortège :

29

Le char du Moulin de la Galette accrocha si malheureusement les notes d’or qui courraient de l’une à l’autre de ses ailes aux premiers arbres du boulevard extérieur […]. Ce qu’il y a d’amusant, dans cette Vache enragée, c’est qu’elle rata complètement, comme ratent la plupart des beaux projets des artistes. Supérieurement imaginé, celui-ci sombra sous la pluie, parmi le désordre d’une police de la rue très mal faite et devant l’incompréhension de la foule qu’il aurait fallu prévenir un peu par un programme affiché ou distribué. [26]

30La fin de cette évocation atteste à merveille du sentiment, presque l’utopie, qui anime les dessinateurs. On peut pourtant se demander si le décalage noté n’est pas aussi celui d’une population de condition modeste qui voit quotidiennement les œuvres satiriques des mêmes dessinateurs en devanture de kiosques, bien souvent sans les comprendre. L’article du Gaulois relève les références permanentes aux figures rhétoriques du trait satirique que sont devenus les personnages d’ Honoré Daumier, d’Henri Murger ou d’Henri Monnier. Le patronage de ces « Anciens » du crayon place un cortège comme la Vachalcade sous l’ombre tutélaire de La Caricature de la Monarchie de Juillet. La boucle est bouclée. Malgré les ratés de la journée, l’événement fait suffisamment parler de lui pour faire l’objet d’une couverture du supplément illustré du Petit Journal, le titre le plus diffusé de la Belle Époque, image qui sera reprise à l’étranger.

31La Vachalcade de 1897 se veut beaucoup plus ambitieuse que la précédente. Entre temps, Abel Truchet a composé une toile monumentale éponyme pour la décoration du cabaret des Quat’z’Arts [27]. Cet établissement est devenu, à la faveur de son lien étroit avec le premier cortège, le nouveau centre névralgique de la vie Montmartroise. La Vachalcade, notent Georges Renault et Henri Château, fut sa meilleure et gratuite réclame [28] ». Pourtant, ne nous y trompons pas : s’il y a des places payantes sur estrades, si le défilé sert aux intérêts du cabaret de François Trombert, les artistes le conçoivent à la fois comme une manifestation politique assortie à leur production de presse et une protestation joyeuse à la montée de l’industrie culturelle liée à la consommation de masse. La mise au bûcher de Salis, le « gentilhomme-cabaretier » du Chat noir, et de Jules Roques [29] ne doit rien au hasard. Il faut comprendre le cortège charivarique de la Vache Enragée, non comme une expression anecdotique de la vie de bohème montmartroise, mais comme la double expression d’une même culture de cabaret et de manifestations, ces dernières étant de facto le surgissement du bouillonnement artistique dans la rue, ainsi que le chant du cygne de la volonté d’autonomisation des artistes face aux nouveaux promoteurs de bien culturels [30].

32

En 1897, la deuxième Vachalcade eut Puvis de Chavanne, pour président d’honneur. Une affiche-programme, rédigée et illustrée par Willette, avait appelé ses très chers frères et sœurs de la Butte et d’alentours à venir fêter la bête infernale. La veille, au cours d’une fête villageoise, [sic : en fait dans une sale de la mairie du xviiie arrondissement !] Marguerite Stumpp, une lingère de 18 ans, avait été proclamée muse de Montmartre par un jury d’ouvrières, sur la place du Tertre. [31]

33Willette y a consacré à peu près toute son année. La date elle-même provoque un début de polémique, un incendie meurtrier intervenu début mai rue Jean Goujon risquant de ternir la manifestation :

34

Trop rapprochés de la catastrophe, les membres du comité ne voulaient pas causer un nouveau préjudice aux commerçants parisiens en allant leur demander de financer leur carnaval. La Préfecture de Police accepta la requête et la date du 20 juin fut définitivement retenue [au lieu du 30 mai]. Le journal catholique La Vérité s’offusqua du choix de cette date qui coïncidait avec le dimanche où l’Église catholique célébrait la Fête-Dieu. [32]

35Le cortège est imposant avec ses vingt chars (contre dix en 1896) et les 800 personnes appelées à défiler :

36

Le lendemain, un cortège plus magnifique que le précédent, déroula ses fastes sur les boulevards extérieurs. Il était ouvert par Louis Lépine, préfet de police, en personne. Maurice Neumont, qui caracolait costumé en Turenne, était salué par les badauds au cri de « Vive d’Artagnan ! ». [33]

37Cette fois-ci, la couverture du journal est signée Léonce Burret, mais l’affiche est toujours de Roedel [ill. 5]. Le deuxième hors série du journal est encore plus riche que son avatar de 1896 mais le ton est devenu plus consensuel, malgré cette composition désopilante de Grün [ill. 6], augmentée d’une affiche [34] [ill. 7]. On peut à ce propos s’interroger sur l’impact des représentations récurrentes des forces de l’ordre en figures bovines, reprenant le vocable argotique de « vaches » pour qualifier les policiers [35]. Ce dessin de Steinlen, à peu près contemporain de la Vachalcade, forme un pendant vitriolé à la bonne humeur de Grün [36] [ill. 8].

Ill. 5

Roedel, Affiche pour la Vachalcade de 1896

Ill. 5

Roedel, Affiche pour la Vachalcade de 1896

Ill. 6

Alexandre Grün, La Vache enragée, numéro spécial, mi-Carême 1897

Ill. 6

Alexandre Grün, La Vache enragée, numéro spécial, mi-Carême 1897

Ill. 7

Alexandre Grün, Affiche pour la présentation de la Vachalcade 1897

Ill. 7

Alexandre Grün, Affiche pour la présentation de la Vachalcade 1897

Ill. 8

Théophile Alexandre Steinlen, « Le Souteneur des jugeurs », L’Assiette au Beurre, n° 137, 14 nov. 1903, dos

Ill. 8

Théophile Alexandre Steinlen, « Le Souteneur des jugeurs », L’Assiette au Beurre, n° 137, 14 nov. 1903, dos

38Ce qui surprend au travers de ces deux défilés, c’est la sollicitation conjointe de deux figures antagonistes mais aussi répulsives l’une que l’autre, le veau d’or et la vache enragée. Les deux bovidés incarnent allégoriquement la double facette de la condition artistique, de la fortune ostentatoire à la camarde fossoyeuses d’espoirs et de talents. La dénonciation sociale est le fil conducteur de la Vachalcade dont certains traits reprennent les figures familières de la presse anarchiste ou néo communarde à laquelle la plupart des dessinateurs collaborent plus ou moins fréquemment, veau d’or pour la « bourgeoisie absolue », vache enragée pour la misère du plus grand nombre. Les deux chars s’inscrivent métaphoriquement dans ce défilé charivarique mettant la dichotomie en scène d’un bout à l’autre, à grand renfort de tropismes familiers pour le lecteur de la presse satirique. Le veau d’or est figé, idole glacée d’un culte fanatique et inhumain. La vache enragée est mobile, rugissante et constituée de ressorts emboîtés pour souligner l’aspect grotesque tout autant que la violence aveugle du stéréotype, à l’instar du dragon des carnavals ruraux. Les chars produisent en outre de la musique ou des tableaux vivants, comme L’Alimentation de la vache enragée :

39

La statue de Parmentier et la fontaine Wallace. La marchande de pommes frites. Le Boucher. La Marchande de soupes à deux ronds. Le Marchand d’arlequins. L’Épicerie de la dèche. Le Marchand de petit noir. […] Rapins et trottins formant un groupe de consommateurs. [37]

40Le tracé du défilé est à peu près identique au précédent, mais le circuit est considérablement élargi puisqu’il englobe les Batignolles. Le cortège doit s’achever par le couronnement de la muse de Montmartre, Marguerite Stumpp, qui n’est pas un modèle mais une authentique cousette repérée par Willette. La représentation en plein air d’un extrait de Louise, l’opéra alors inédit de Gustave Charpentier, doit clore le tout, avec repli sur le Nouveau théâtre en cas de gros temps. Willette y figure d’ailleurs lui-même, dans une pantomime à laquelle il a convaincu Cléo de Mérode de participer. Des tribunes payantes sont installées en plusieurs endroits, place Blanche, boulevard Rochechouart, place Pigalle, angle Delta, rue des Batignolles, place Monceau. Le Journal couvre durant plusieurs jours la manifestation, des préparatifs à la clôture, et décrit futurs chars :

41

Le Temple du Veau d’or, le bouquet, est une grande composition du peintre Pelez : un char immense, traîné par des esclaves, nous montrera l’Égypte ancienne dans toute son opulence. Des colonnes porteront le Veau d’or devant lequel seront prosternés ses adorateurs. Derrière, se traîne une armée de mendiants et de mendiantes, […] synthétisant l’éternité de la misère, l’inutilité des gouvernements, etc. etc. [38]

42On note la récurrence de certains thèmes, comme cette dénonciation de la mendicité et l’incarnation des mendiants ou des miséreux, référence appuyée aux cortèges politiques de Maxime Lisbonne le communard. Pourtant, il semble que cette deuxième édition soit moins violemment engagée que la Vachalcade inaugurale, même si la dénonciation de la misère est encore largement présente. Ainsi « La Barricade », inspirée de Delacroix, mise en scène vivante d’un tableau chargé de symboles dans la République encore adolescente. Reste à savoir si c’est Marianne (« La Patrie Libre »), la barricade ou la Muse (figure très voisine) qui touche les spectateurs [39]. Enfin l’opposition entre Vache enragée et Bœuf gras est soulignée une fois de plus. Notons l’absence frappante du moindre signe antisémite, alors que le Veau d’Or est d’ordinaire une figure centrale des charges graphiques contre le capitalisme, supposé ne faire qu’un avec la banque « israélite », surtout chez Willette ou Grün.

43Léon Riotor dépeint en un chapitre entier la Vachalcade de 1897 :

44

Au jour dit, cohue ! Les journaux rivalisaient avec les affiches. Tout Paris accourrait là. Le cortège se mit en marche au milieu d’exclamations variées. […] La dette, l’horrible dette, perfide, honteuse, est la plus douloureuse barricade de la rue. On ne sait plus où manger, le loyer impayé oblige au départ furtif les nuits de terme. Deux vieux concierges sont couchés dans leur lit. Ils s’embrassent et cela fait rire. Sur leur tête s’agite une cloche de bois. Des quolibets homériques s’élèvent au passage de ces grotesques relents de la dèche. Il y a des poussées de femmes qui veulent secouer le battant de la cloche, tirer la barbiche du concierge, arracher un cheveu du balai… Voici le char suivant : le Coffre fort de « Ma Tante », le Mont de piété, immonde harpie traînée par des travailleurs fourbus. Elle agite férocement une pièce de cent sous au bout d’une canne à pêche. […] Les ventres vides se révoltent. Sur le char le tableau reproduit La Barricade d’Eugène Delacroix. Celle qui représente la Liberté est rouge du sang des braves, bien jolie sous le bonnet écarlate, flanquée des insurgés noir de poudre. Des applaudissements crépitent : toujours cocardier le populo ! Des minutes s’écoulent, des curieux gouaillent. La rumeur grandit avec des grondements de fuites éperdues, des femmes en joie. Cette fois, c’est un monstre. Une sorte de tarasque onduleuse, reptilienne, la gueule baveuse. C’est la Vache enragée qu’on mène à l’abattoir. Ses cornes démesurées foncent dans la foule qui s’écarte, sa queue bat, frénétique, ses flans en cerceaux. Des picadores, des toréadors la maintiennent dans son chemin. Ses soubresauts ont quelque chose de fantastique. Le corps immense s’allonge, se rapetisse, tourne. Parfois, la croupe rejoint la tête. La vache s’arrête, pensive, dans un fou rire. Puis distendue par un ressort, elle repart en meuglant vers son destin inévitable. [40] [ill. 9]

Ill. 9

Louis Morin, Carnavals Parisiens, Paris, Montgrédien et Cie/Librairie illustrée, s. d., pp. 66-67

Ill. 9

Louis Morin, Carnavals Parisiens, Paris, Montgrédien et Cie/Librairie illustrée, s. d., pp. 66-67

45Deux visions de la liesse « populaire » s’opposent ici, entre les anonymes qui mettent la main à la pâte et les curieux qui vocifèrent ou s’impatientent. La brutalité des badauds, leurs tentatives pour violenter les modèles en tenue légère, l’incompréhension du message émis par les différents chars ajoutée à l’attente entre les attractions, tout cela rejoint le décalage noté par Morin pour la Vachalcade de 1896. Riotor insiste aussi sur la versatilité d’une foule qui passe en quelques instants des invectives aux applaudissements. De même peut-on constater une grande proximité entre les chars et la teneur des couvertures satiriques des principaux titres du moment. La foule massée sur les trottoirs des grandes artères est-elle uniquement composée de lecteurs de Murger et d’abonnés du Rire ou du Courrier français ? C’est peu probable. Quelle est, surtout, l’importance de cette foule amassée le long des rues sur laquelle les dossiers de police ne donnent aucune indication chiffrée ? Quelques photographies permettent de se faire une idée plus précise [41] [ill. 10, 11 et 12] : l’affluence semble effectivement considérable, même si le point de vue du cliché, probablement la place Blanche vue depuis le Moulin Rouge, privilégie le cœur de la fête.

Ill. 10

Louis Morin, Carnavals Parisiens, Paris, Montgrédien et Cie/Librairie illustrée, s. d., pp. 68-69

Ill. 10

Louis Morin, Carnavals Parisiens, Paris, Montgrédien et Cie/Librairie illustrée, s. d., pp. 68-69

Ill. 11

Vue stéréoscopique de la Vachalcade 1897 sur plaque de verre, photographie n° 1 [coll. famille Bihl-Willette]

Ill. 11

Vue stéréoscopique de la Vachalcade 1897 sur plaque de verre, photographie n° 1 [coll. famille Bihl-Willette]

Ill. 12

Vue stéréoscopique de la Vachalcade 1897 sur plaque de verre, photographie n° 2 [coll. famille Bihl-Willette]

Ill. 12

Vue stéréoscopique de la Vachalcade 1897 sur plaque de verre, photographie n° 2 [coll. famille Bihl-Willette]

46

Le soir, une représentation de gala réunit au casino de Paris tous les chansonniers. Le spectacle s’acheva par le couronnement de la muse, apothéose de Gustave Charpentier tiré du troisième acte de son opéra Louise, exécuté par 150 musiciens sous la direction de l’auteur et interprété par Willette et la rosière élue, Marguerite Stumpp. [42]

47La réaction de certains titres conservateurs est très violente. La Vérité qualifie le défilé d’« assemblage répugnant de tout ce que la luxure déchaînée peut imaginer de plus dévergondé et de plus provocateur », le tout faisant constamment référence à la Commune « avec des mises en scène de barricades sous les yeux mêmes du Préfet Lépine » [43]. Un article de L’Autorité, par exemple, est sans équivoque : « Une porcherie ».

48

C’est le seul mot qui puisse caractériser le défilé de la Vachalcade organisé hier à Montmartre, par une série de rapins plus épris de réclame que d’art. Jamais Paris ne vit exhiber en public de pareilles nudités, et ce scandale dépasse de beaucoup celui déjà lointain, du bal des Quat’Z’Arts, qui, cependant, fut poursuivi par la justice. Aux Quat’Z’Arts il n’y avait que demi-mal : l’on n’y était reçu que sur invitation, et la vertu des invités n’avait nul besoin d’être défendue. Cette fois ce n’est pas le cas, et des enfants et des jeunes filles ont pu voir défiler, en plein Paris et sous l’œil bienveillant de la police, qui présidait à la marche de cet ignominieux cortège, plus de vingt femmes dont les nudités étaient à peine cachées par un léger maillot qui laissait tout deviner. Et encore les femmes nous ont paru décentes à coté de certains hommes, pour la plupart modèles d’atelier, dont la feuille de vigne qui orne les statues de nos jardins était moindre souci. […] Pendant que de pareilles ignominies étaient non seulement tolérées, mais autorisées à Paris, que les bacchantes modernes pouvaient encombrer nos rues, nous nous souvenions qu’en ce saint jour de la Fête Dieu, ainsi profané, grâce à la complaisance de la préfecture de police, les trente-six millions de catholiques voyaient interdire l’accès de la voie publique aux cérémonies de leur culte. Ce qui nous a révolté encore davantage, c’est de voir un figurant aviné, déguisé en évêque, mitre en tête et crosse en main, faire, sur la foule, des simulacres de bénédiction. [44]

49Question cruciale depuis le procès des Quat’z’Arts de 1893 et la plainte du sénateur Bérenger, qu’en est-il exactement de la prétendue et fameuse nudité des personnes ? (La plainte des Ligues de vertu n’ayant pas, cette fois-ci, été retenue par le ministère public, faute de preuve). Les photographies suivantes, issues de la fête nocturne en apothéose, closent, me semblent-il, définitivement le problème [ill. 13 et 14] [45].

Ill. 13

Vue stéréoscopique de la Vachalcade 1897 sur plaque de verre, photographie n° 3 [coll. famille Bihl-Willette]

Ill. 13

Vue stéréoscopique de la Vachalcade 1897 sur plaque de verre, photographie n° 3 [coll. famille Bihl-Willette]

Ill. 14

Vue stéréoscopique de la Vachalcade 1897 sur plaque de verre, photographie n° 4 [coll. famille Bihl-Willette]

Ill. 14

Vue stéréoscopique de la Vachalcade 1897 sur plaque de verre, photographie n° 4 [coll. famille Bihl-Willette]

50À rebours de la liesse de nos joyeux convives et de l’investissement humain et financier, l’opération n’est toujours pas à la hauteur du succès escompté. Est-ce la faute du mauvais temps qui, une fois de plus, est venu ternir la fin de défilé ? En 1923, Willette revenait sur cet échec, non sans une certaine amertume :

51

C’est le trou dans la caisse de l’organisation des festivités, et le refus des commerçants de Montmartre et de la Chapelle qui refusèrent de participer au financement, malgré de gros bénéfices réalisés à cette occasion [46].

52L’accusation de bénéfices mercantiles sur le dos des artistes est un classique. Pourtant, il semble bien qu’il y ait eu une volte face catégorique des « généreux souscripteurs » devant le dépassement abyssal des dépenses prévues au départ [47]. Ce déboire fait écho aux échecs successifs de tous les journaux satiriques fondés par les artistes depuis 1881, lesquels s’achevèrent tous, sans exception, par des faillites retentissantes. Malgré leur vœu pieux d’indépendance financière, les artistes ne peuvent se passer de la rigueur financière que leur imposent les directeurs de presse ou de cabarets. Les Vachalcades posent surtout le problème de la réception des images considérées comme satiriques par un lectorat des plus composites : un cortège charivarique parisien peut-il emporter l’adhésion d’une foule entière en cette fin de xixe siècle, dépassant les clivages socio-culturels qui la divisent ? Au-delà du prix des journaux, c’est l’usage des images en ville et la complexité de leur impact qui se posent à travers leur mise en scène spectaculaire et gratuite, à même la rue. Cette monstration joue sur une confusion assumée dont le caractère allusif et référencé fait les délices du public connivent des lecteurs de la presse satirique, tandis que le badaud moins cultivé découvre (ou voit confirmé) certains des motifs, encore mystérieux pour lui, qui s’étalent aux frontons des kiosques de semaine en semaine. C’est bien cette uniformisation progressive des différents niveaux de regard, par une transgression à plusieurs degrés, qui provoque la fureur des ligues de vertu. Selon L’Éclair du 30 juin 1897, le sénateur Bérenger se voit débouté d’une plainte visant le caractère érotisant de certains chars, insupportable à ses yeux le jour même des processions de la Fête-Dieu [48]. Enfin, la recrudescence de ces cortèges charivariques sur un temps long semble traduire l’obsession, chez les Humoristes, de donner vie à leurs images et leurs messages en prolongeant mimétiquement l’outrance de leurs traits ou de leurs mots afin de poursuivre et d’incarner en personne leurs combats ou leurs idées.

53Par delà leur ancrage dans l’iconologie et la littérature du xixe siècle, ces défilés traduisent aussi la frustration des dessinateurs satiriques à incarner une modernité en art qui leur fait cruellement défaut. Lorsque l’on cherche un « vrai » peintre dans la liste des participants, c’est le nom de Puvis de Chavannes qui apparaît, lequel ne brille guère par sa fougue avant-gardiste ! Faute de pouvoir prétendre à la modernité du trait des Impressionnistes qu’ils admirent tant, les satiristes qualifient de « moderne » le dispositif par lequel ils prétendent vulgariser l’art.

54

Tels quels, avec leurs défauts, leurs obscurités, les deux Vachalcades nous semblent pourtant avoir approché de très près l’idéal que l’on peut se faire de fêtes populaires vraiment modernes, où l’esprit ait sa part [49].

55Cette profession de foi selon laquelle les humoristes seraient des « passeurs », des éducateurs à l’esthétique tout autant que les héritiers de l’imagerie populaire traditionnelle est une posture familière de tous les lecteurs de cette presse satirique. Les dessinateurs entendent ainsi démontrer que le basculement des critères esthétiques dépassent le seul champ artistique et imprègnent en fait toute la société, influençant par de nouvelles expériences plastiques jusqu’au genre caricatural. Ils sont presque obligés de recourir à d’autres procédés comme les cortèges pour pouvoir se réclamer à la fois du « moderne » et du « populaire » légitimant, du même coup, la trivialité du support journal que ses détracteurs leurs reprochent. Les caricaturistes éprouveront souvent à leur encontre la disqualification a priori de leur travail par le double reproche du « mercantile » et du « populaire ». Ils se sentent méprisés par l’élite des peintres et l’élite bourgeoise, les premiers méprisant la facilité et les seconds se récriant de leur outrance [50]. La frénésie de défilé peut alors se comprendre par la volonté désespérée de légitimer un travail jugé grossier et a-artistique par les élites. Cette revendication est conditionnée par le contact direct avec « le » public, et se pose comme une avant-garde « alternative », au point que Michel Dixmier a pu récemment parler d’ « École de Paris du dessin satirique [51] ». À défaut de convaincre, ces démonstrations hautes en couleurs influenceront beaucoup les jeunes artistes de la génération suivante, celle du Bateau Lavoir.

56Pour sortir de l’impasse financière d’une fête, rien ne vaut l’organisation d’une autre fête. C’est « le Bal du déficit [52] », dont l’annonce est conçue ainsi :

57

Après Thermidor, on vit le Bal des victimes, où les danseurs et danseuses, en souvenir des cous coupés, arborèrent des cols rouge-sang. On dansait le deuil pourpre. Voici qu’après les poursuites cruelles des créanciers de la Vachalcade, Montmartre offrira au monde étonné, le 16 décembre prochain, dans l’enceinte du Moulin Rouge, la splendide fête du Déficit. Dansons sur un volcan, dansons sur du papier timbré… [53]

58La référence à une des pages les plus sombres de la Révolution traduit en partie l’orientation politique de ces manifestations, sensiblement distincte des prises de position violemment antidreyfusardes de nombreux artistes.

59La Vachalcade, « fête sauvage [54] » sans équivalence, représente l’apogée, tout autant que le crépuscule, de ce « Montmartre fin de siècle » dont on peine à définir les principes et à cerner les contours. L’authentique sociabilité de cabaret vit ses dernières heures et la plupart des artistes sortent ruinés de l’entreprise, quand ils n’y laissent pas leur santé comme Roedel. La fin des bals charivariques se double de la notabilisation des artistes humoristes, mais la Vache Enragée survit déjà à ses concepteurs. Elle se pose, par sa postérité même, comme un animal à part dans l’imaginaire social du bestiaire, au prix d’un affadissement certain de la soupe aux dents longues. Dès 1898, le chanteur à succès Mayol compose « Cette petite femme là », rengaine appelée à devenir un des titres les plus fameux du répertoire. Tout Paris fredonne les frasques du

60

petit modèle très à la hauteur, qui pos’ pour le dos comm’ Cléo d’Mérode
Dans la grande fêt’ que donn’nt les Quat’z-Arts
Et les chansonniers de la Butte sacrée. / Je suis assuré du succès d’son char
Car c’est ell’ qui f’ra la vache enragée.

61Le chansonnier Maurice Hallé ressuscite le bovidé en 1920 à travers un cabaret artistique éponyme, qu’il inaugure en compagnie de Poulbot et de Willette, vieilli. Le vétéran Jules Depaquit tente d’organiser des « corridas de vaches furieuses » pour le lancement de sa liste électorale « antigrattecieliste » mais le cœur n’y est plus. La bohème migre vers Montparnasse même si Léo Malet débute chez Hallé [55]. Pendant que cette « vache enragée » accueille la jeune Commune libre de Montmartre, Paris danse au « Bœuf sur le toit » des Champs-Élysées, éternelle rivalité. Les deux bestioles se réconcilient lors d’une mi-carême du jeudi 19 mars 1936 [56], où un « char de la Vache enragée » fait son apparition au cortège du Bœuf gras, mais la retrouvaille est fallacieuse, le poing se lève pour autre chose. Peu à peu oublié des manifestations, l’animal appartient désormais au bestiaire des poètes [57]… ?


Date de mise en ligne : 29/06/2009

https://doi.org/10.3917/sr.027.0167

Notes

  • [*]
    François Caradec (18 juin 1924 (22 tatane 77) -13 novembre 2008), Régent Toponome et Celtipète le 22 palotin 79, en outre Régent de Céphalorgie appliquée le 22 palotin 80, en outre Régent de Colombophilie et d’Alcoolisme Éthique le 13 haha 84, Provéditeur des Exhibitions et Ostentions du 1er absolu 87 au 17 gidouille 89.
    François Caradec s’est éteint le 13 novembre dernier à Paris. Il faudrait avoir un sens inné du rythme tzigane pour résumer en quelques lignes l’incroyable érudition de cet enragé de lecture, qui mettait sa rigueur au service de la farfeluïté.
    Régent du Collège de Pataphysique, membre de l’Oulipo, il pouvait passer avec bonheur de l’Encyclopédie des farces et attrapes à Lautréamont, de Raymond Roussel au Pétomane dont il savait retracer le contour des œuvres avec une verve inépuisable. Il avait réussi à éditer, avec Pascal Pia, les œuvres complètes d’Alphonse Allais dont il s’était fait le biographe dans un livre monumental qui demeure comme une comédie humaine montmartroise, tant s’y croisent des silhouettes improbables qu’il connaissait en intime. On n’en saura guère plus sur Achille 1er roi d’Araucanie…Outre une pratique naturelle de la subversion, disparaît avec François Caradec une certaine idée de la lecture au sens le plus libre et libertaire du terme.
  • [1]
    John Grand-Carteret, Raphaël et Gambrinus ou l’art dans la brasserie, Paris, Louis Westhauser éd., 1886, pp. 118-132 ; sur la Belle Poule, voir Delphine Christophe et Georgina Letourmy (dir.), Paris et ses cafés, Paris, AAVP, 2004, pp. 69 et 78 (les pages 72-73 reprenant John Grand-Carteret).
  • [2]
    André Warnod, Les Bals de Paris, Paris, éd. G. Crès, 1922, pp. 166-172 ; Maurice Garçon, La Justice contemporaine, Paris, Grasset, 1933, p. 558 et Le Courrier français, n° 28, 9 juill. 1893.
  • [3]
    Jean-Marie Mayeur, Les Débuts de la IIIe République, Paris, Le Seuil, 1973, p. 208 ; André Coutin, Huit siècles de violences au Quartier Latin, Paris, Stock, 1969, pp. 306-315.
  • [4]
    Raymond Bachollet, « Au Quartier Latin » (3e partie), Le Collectionneur français, no 298, mars 1992, p. 5.
  • [5]
    Jean-Émile Bayard, Montmartre hier et aujourd’hui, Paris, Jouve éd., 1925, p. 88.
  • [6]
    Herbert Michel, La Chanson à Montmartre, Paris, La Table Ronde, 1967, pp. 315-316. Phillip Dennis Cate voit lui aussi dans le choix de la « Vache Enragée » comme figure tutélaire de la manifestation un hommage au roman d’Émile Goudeau. Voir Phillip Dennis Cate (dir.), The Spirit of Montmartre, Rutgers, The State University of New Jersey, 1996, p. 69.
  • [7]
    La formule vient de Guillaume Legueret, Le Cabaret des Quat’z’Arts 1893-1925, mémoire de master d’histoire et civilisations comparées, Université Paris-Diderot, 2007, p. 94. Ce travail, consacré au cabaret de François Trombert, étudie également les deux cortèges de la Vachalcade à partir des archives de la Préfecture de Police de Paris et deux cartons de documentation conservés aux Archives du musée du Vieux Montmartre (cartons VII, 5 et 6, lettres manuscrites du Comité d’organisation, fondation du Comité, lettres et rapports de la Préfecture de Police, compte rendu des agents municipaux sur les défilés.).
  • [8]
    Texte de présentation de la Vachalcade de 1896, un feuillet tapuscrit, « Montmartre », févr. 1896, Archives du musée du Vieux Montmartre.
  • [9]
    La confusion entre les expressions « mener une vie enragée » propre à une vie misérable et « manger de la vache malade » aurait abouti à l’image de « Vache Enragée », que l’on trouve dès le xviiie siècle chez Lesage.
  • [10]
    Les Vachalcades sont à peu près absentes des études sur Montmartre ou la bohème fin de siècle. Si elles sont mentionnées dans la plupart des souvenirs sur la période, chez Francis Carco, Anne de Bercy et Armand Ziwès Roland Dorgelès, Jean-Émile Bayard, Paul Yaki, André Warnod, Georges Montorgueil, si les monographies consacrées à la Butte en produisent volontiers des affiches, elles sont au contraire assez largement ignorées des ouvrages universitaires. Philip Dennis Cate en fait une brève mention, The Spirit of Montmartre, op. cit., pp. 188-189, tournée essentiellement sur Gustave Charpentier, de même que Marielle Oberthür dans Le Cabaret du Chat noir à Montmartre, Genève, Slatkine, p. 173, qui y voit en deux lignes une facétie des Quat’z’Arts. Le remarquable ouvrage de Jerrold Seigel, Paris Bohème, 1986, Paris, Gallimard, 1991, pp. 318-319, est très approximatif, mentionnant « vers 1895 » (date fausse) « des défilés au nom de la vache enragée », sans donner de source précise. Rien dans Lionel Richard, Cabaret, cabarets : origines et décadence, Paris, Plon, 1991, 364 p., ou dans Gabriel P. Weisberg, Montmartre and the Making of Mass Culture, Rutgers, New Jersey, 2001, 296 p., ni même dans Charles Rearick, Pleasures of the Belle Époque, Yale University Press, 1985, 239 p., très bien documenté. Les rêveurs d’aventures montmartroises seront forcés de se rabattre sur les recueils d’anecdotes et de documents patiemment compilés par André Roussard, Dictionnaire des lieux à Montmartre, Paris, éd. André Roussard, 2001, 351 p. ; Dictionnaire des peintres à Montmartre, Paris, éd. André Roussard, 1999, 640 p. ; Les Montmartrois, Paris, éd. André Roussard, 2004, 317 p. Très précieuse également l’étude de Louis Morin, Carnavals Parisiens, Paris, Montgrédien et Cie/Librairie illustrée, [1898 ?], 186 p., qui produit une rétrospective en images dessinées pour illustrer ses souvenirs des cortèges. Enfin, je produis plus loin des extraits du roman La Colle de Léon Riotor, lequel comporte tout de même un chapitre entier foisonnant de détails sur la Vachalcade de 1897 ; l’anecdote peut parfois se révéler utile à l’historien de la sociabilité artistique.
  • [11]
    Anne de Bercy et Armand Ziwès, À Montmartre le soir, Paris, Grasset, 1951, pp. 47-48.
  • [12]
    Le Courrier français, n° 26, 4 juill. 1897, p. 2. Cette dimension « médiévale » de la fête est importante et fait écho aux décorations de cabarets Montmartrois et au culte voué à François Villon et au Moyen Âge. Le dessinateur Henri Pille, décorateur du doyen des cabarets artistiques de Montmartre, vers 1880, « La Grande Pinte », est également le concepteur de deux chars « moyenâgeux » particulièrement appréciés à chacune des Vachalcades.
  • [13]
    Le Courrier français, n° 8, 23 fév. 1896. Willette s’était plaint, dans le numéro précédent, de ne pouvoir éditer un florilège de ses œuvres chez Fayard frères, lesquels venaient d’acheter La Caricature et s’intéressaient aux dessins satiriques. Cette anthologie finira par sortir, mais il faudra attendre 1901. Le livre sera publié par un éditeur affilié au Courrier et à Roques, Simonis Empis.
  • [14]
    La Caricature, n° 221, 22 mars 1884. Il est étonnant que Willette n’ait pas alimenté cette polémique (ardente !) par une de ses premières toiles intitulée « le bal des Quat’z’Arts » et datant de 1884, dans laquelle figure un cortège de la Vache Enragée descendant du Panthéon. Je pense à titre personnel que le peintre avait perdu trace de son œuvre. Elle se trouve aujourd’hui au musée du Petit Palais de Genève.
  • [15]
    Le futur auteur des Pardaillan est, pour l’heure, dirigeant d’un groupe anarchiste, les « Socialistes Révolutionnaires », qu’il anime avec Jules Roques le directeur du journal satirique Le Courrier français. Willette y compose de nombreuses couvertures.
  • [16]
    Le Temps, 10 févr. 1896.
  • [17]
    Auteur de chansons à ses heures, sous le nom de Maurice Boukay. Ses œuvres sont interprétées aux Quat’z’Arts et paraissent en volume, illustrées par Steinlen (Chansons rouges, Paris, Flammarion, 1896, 260 p.).
  • [18]
    Archives de la Préfecture de Police de Paris, DB59, Bœuf Gras, Mi-Carême. Affiche placardée de la Vachalcade de 1896, cité par Guillaume Legueret, Le Cabaret des Quat’z’Arts, op. cit., p. 95.
  • [19]
    Archives du musée du Vieux Montmartre, carton « Vachalcade », cité par Guillaume Legueret, Le Cabaret des Quat’z’Arts, op. cit., p. 97.
  • [20]
    Ce périodique se présente en format 30×40 cm. La périodicité devait être trimestrielle « au moment des termes, autrement dit quatre fois par an » (Vache Enragée, n° 1, p. 3), ce qui souligne encore la proximité de la manifestation avec le problème des mal logés. Bien que le « Dico Solo » le voit comme un mensuel, avant de devenir trimestriel, il a été jusqu’ici impossible de trouver autre trace que les deux numéros réalisés à l’occasion de chacune des deux processions, en 1896 et 1897. Solo fait d’ailleurs mourir le titre en 1897. Voir François Solo et Catherine Saint-Martin (dir.), Dico Solo, Paris, éd. Te Arte, 1996, p. 651.
  • [21]
    Cité par Luc Willette, Adolphe Willette, Pierrot de Montmartre, Précy-sous-Thil, éd. de l’Armançon, 1991, p. 95.
  • [22]
    Programme de la « Soirée Artistique donnée au Trianon-Concert au bénéfice de la Cavalcade de la Vache enragée, jeudi 27 février 1896 », Archives du Vieux Montmartre, boîte « Vachalcade » n° 1.
  • [23]
    Le Gaulois, 13 mars 1896, article signé « HD ».
  • [24]
    Ibid.
  • [25]
    Note manuscrite de Willette, collection de la famille Bihl-Willette. La détestation de Rodolphe Salis semble avoir été un des moteurs de la constitution du cabaret des Quat’z’Arts et, logiquement de la Vachalcade. On ne trouve évidemment pas trace dans Le Chat noir de la Vachalcade de 1896 (même si le titre était dirigé par Raymond Lacan, il paraît certain que Salis conservait un droit de regard). En revanche, Le Chat noir, n° 116 (nouvelle série) du 19 juin 1897 produit une couverture magnifique de Jacques Villon, intitulée « Vachalcade 1897, Programme ». On pourrait s’étonner d’un tel revirement de Salis… Or, il s’avère que celui-ci est mort depuis le mois de mars et que la rédaction en chef du journal est assurée depuis janvier 1897 par Willy, par ailleurs grand ami de Willette (François Caradec, Feu Willy, Paris, Carrère, 1984, pp. 97-98).
  • [26]
    Louis Morin, Carnavals Parisiens, op. cit., pp. 63-69. On ne peut supposer un parti pris chez l’auteur car celui-ci restera toute sa vie un intime de Willette.
  • [27]
    Raphaël Gérard, Paris et ses cafés, op. cit., p. 78. Cette toile, hommage au « Bal des Quat’z’Arts » de Willette (1884), est sans doute un vitrail, mais l’œuvre est de toutes façons perdue aujourd’hui.
  • [28]
    Georges Renault et Henri Château, Montmartre, Paris, Librairie Ernest Flammarion, 1906, p. 272.
  • [29]
    À propos de Jules Roques, directeur du Courrier Français et figure centrale de la presse satirique des années 1880-90, voir Henri Dorra, « Les Pastilles Géraudel et les grands maîtres fin de siècle », Gazette des Beaux-Arts, 3e trim. 1984, pp. 85-90 ; Aline Demars, « Michel Zévaco, anarchiste de plume et romancier d’épée », Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1988, au t. 1 des Pardaillan ; Sylvestre Ringeard, « La saga Géraudel » in Manuel du parfait publicitaire, Paris, Porc Épic, coll. « Les Manuels impertinents », 2008, pp. 37-42.
  • [30]
    Pour l’explicitation de ces liens entre lieux de sociabilité et défilés « à thème », je me permets de renvoyer le lecteur sur mon article « Les cortèges satiriques », Humoresques, n° 29, à paraître au printemps 2009.
  • [31]
    Herbert Michel, La Chanson à Montmartre, op. cit., p. 315. On pourra également consulter à ce sujet le précieux dossier de presse de l’exposition consacrée par le musée de Montmartre à Gustave Charpentier en septembre 2006-janvier 2007, « Gustave Charpentier-Mimi Pinson : une grande passion musicale », dossier établi par les soins de Michela Niccolaï. Cette chercheuse italienne a soutenu une thèse de musicologie sur le musicien français intitulée « La dramaturgie de Gustave Charpentier. Contribution à l’étude du Couronnement de la Muse et Louise » (à paraître fin 2009 chez Brepols). D’après elle, l’idée d’une élection démocratique d’une ouvrière par ses paires revient à Gustave Charpentier. Et l’historienne de citer un témoignage de Willette paru dans La Lanterne du 14 mai 1897 sous la signature de J. M. Gros (Michela Niccolaï, La Dramaturgie de Gustave Charpentier. Contribution à l’étude du Couronnement de la Muse et Louise, thèse de doctorat en musicologie, Université Jean Monnet de Saint-Étienne, Université de Crémone, 2008, p. 108).
  • [32]
    Guillaume Legueret, Le Cabaret des Quat’z’Arts, op. cit., p. 104. La mansuétude du préfet Lépine est curieuse, tant ce type de manifestations est peu apprécié des autorités, d’ordinaire. De même, le rôle du curé de l’église Saint-Pierre de Montmartre, paroisse des artistes adossée au Sacré Cœur, est assez nébuleux dans le soutien apparent qu’il apporte à une cérémonie honnie de sa hiérarchie.
  • [33]
    Herbert Michel, La Chanson à Montmartre, op. cit., pp. 315-316.
  • [34]
    Jules-Alexandre Grün va jusqu’à composer une affiche pour recruter les jeunes filles destinées à poser sur le char de sa fabrication ! Voir Alain Weil et Gabriel Perry, Jules-Alexandre Grün les affiches, New York, Queen Art Publishers inc., 2005, pp. 11, 24-25.
  • [35]
    Les représentations de « sergots » en vaches sont pléthores dans l’iconographie des deux Vachalcades. Comparer sur ce thème les vignettes gaies de la fête et les images plus sombres des feuilles satiriques engagées contemporaines demanderait à lui seul un article.
  • [36]
    Est-ce un hasard si l’expression « mort aux vaches » devient un des slogans favoris des anarchistes dans les années 1890, alors qu’en même temps, les noms de Jules Jouy, Georges Darien ou Michel Zévaco apparaissent dans l’orbite des Vachalcades ? On se souvient de la chanson « Cayenne » : « Mort aux vaches, mort aux condés, vive les enfants de Cayenne à bas ceux d’la Sur’té ! ». Est-ce un hasard si le « Crainquebille » d’Anatole France (dont un des passages fameux est le procès du marchands de Quatre Saisons pour avoir jeté « Mort aux vaches ! » à l’agent Matra), est justement dédié au dessinateur Steinlen, intime de Willette et pilier des Quat’z’Arts ? Anatole France, dont on retrouve le nom dans le premier numéro de La Vache enragée, en 1896.
  • [37]
    « Seul Programme Officiel de la Vachalcade de 1897 », p. 2, Archives du Vieux Montmartre, carton « Vachalcade » no 2.
  • [38]
    Le Journal, 20 juin 1897, non signé.
  • [39]
    Guillaume Doizy et Jacky Houdré, Marianne dans tous ses états, Paris, éd. Alternatives, 2008, 143 p.
  • [40]
    Riotor Léon, La Colle, Paris, Fasquelle, 1917, pp. 200-208.
  • [41]
    L’Intransigeant du 22 juin 1897 estime que « plus de 300 000 parisiens se sont rendus à Montmartre pour assister à cette fête », chiffre forcément sujet à caution compte tenu des relations d’amitié entre Rochefort et Willette. Comme le note très justement Guillaume Legueret, Le Cabaret des Quat’z’Arts, op. cit., p. 108, « il ne peut s’agir que d’une simple hypothèse sur laquelle on ne peut rebondir. La seule information que ce chiffre nous donne, même s’il est surévalué, c’est la garantie du succès de la fête ». Le fiasco financier, en contradiction avec l’affluence du public, s’explique par la force des intempéries de fin de journée qui contrarient la représentation de l’opéra de Charpentier, dégarnissant les places payantes.
  • [42]
    Herbert Michel, La Chanson à Montmartre, op. cit., pp. 315-316.
  • [43]
    La Vérité, 22 juin 1897, non signé.
  • [44]
    « Une porcherie », L’Autorité, 22 juin 1897, signé F. G. L’Éclair du 30 juin 1897 évoque une plainte du sénateur Bérenger, apparemment classée sans suite puisqu’il n’y a pas trace d’un procès des responsables du défilé.
  • [45]
    Propriété des héritiers de Willette, ces vues photographiques stéréoscopiques sur plaques de verre sont absolument inédites. Il ne faut pas sous estimer l’importance de la question du nu dans les fêtes artistiques publiques de la fin du siècle, la question ayant passionné l’opinion et plusieurs fois créé de violentes polémiques, non sans influence sur la législation liée au dessin de presse.
  • [46]
    « La fête de la mi-Carême sera-t-elle sauvée ? », entretien avec le peintre Adolphe Willette, La Liberté, 23 mars 1923.
  • [47]
    Certains, comme Georges Montorgueil, évoquent a posteriori un déficit de 12 000 francs. Voir Georges Montorgueil, La Vie à Montmartre, Paris, Tallandier, 1899, p. 137. Guillaume Legueret (Le Cabaret des Quat’z’Arts, op. cit., pp. 103-104), note que pour la seconde édition de la Vachalcade de 1897, les membres du Comité d’organisation du cortège s’étaient portés caution financière de l’évènement pour lever les fonds nécessaires à ce deuxième cortège.
  • [48]
    Cité par Guillaume Legueret, Le Cabaret des Quat’z’Arts, op. cit., p. 104. Encore René Bérenger ne semble-t-il pas avoir eu connaissance du spectacle donné lors de la fête nocturne qui succède au cortège, telle que les photographies produites ci-dessus permettent de le constater !
  • [49]
    Louis Morin, Carnavals Parisiens, op. cit., p. 80.
  • [50]
    Voir, à ce sujet, l’analyse (malheureusement non publiée) de Henri Viltard, Caricature et photographie, mémoire rédigé dans le cadre du séminaire « Art et Société » de Laurence Bertrand-Dorléac, Centre historique de Sciences Po, sept. 2006.
  • [51]
    Michel Dixmier, « La Belle Époque du dessin satirique » in Michel Dixmier, Annie Duprat, Bruno Guignard et Bertrand Tillier, Quand le crayon attaque, Images satiriques et opinions publiques en France 1814-1918, Paris, Autrement, 2007, p. 104.
  • [52]
    Herbert Michel, La Chanson à Montmartre, op. cit., pp. 315-316.
  • [53]
    Cité par Raymond Bachollet, « La Vache enragée », Le Collectionneur français, n° 299, avr. 1992, p. 7.
  • [54]
    L’expression est de Louis Chevalier, Montmartre du plaisir et du crime, Paris, Payot/Rivages, 1995 [1re éd. Robert Laffont, 1980], p. 13.
  • [55]
    La Vache enragée de Léo Malet (Paris, Höeboeke, 1988, 240 p.) est un livre de souvenirs.
  • [56]
    L’écrivain Francis de Miomandre avait déjà écrit sur ce parallèle en 1917 dans une curieuse chronique, Le Veau d’Or et la Vache enragée, Paris, Émile-Paul frères, 1917, 386 p.
  • [57]
    Entre autres, Barbara : « Ce que j’en ai bouffé, d’la vache enragée. Et ça c’est une chose. Qu’une femme n’oublie pas… », La Chanteuse de minuit, EMI, 1958 ; Brassens : « Sans jamais m’brûler la lippe / L’tabac d’la vache enragée / Dans sa bonne vieille tête de pipe… », « Auprès de mon arbre » in Chanson pour l’auvergnat, 1955 ; ou encore Brigitte Fontaine qui lui dédie une chanson, 13 chansons décadentes et fantasmagoriques, Disques Jacques Canetti, 1965. En 2008, Les Ogres de Barback et Florent Vintrignier lui rendent hommage à leur tour en chanson, (« Pitt’ Ochat ») preuve, s’il en était besoin, que l’animal a le cuir solide…

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.81

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions