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Article de revue

La signature testamentaire

Pages 35 à 46

English version

1Dominique Margairaz et Myriam Tsikounas : Pourrait-on commencer par évoquer la valeur juridique de la signature ?

2Yvonne Flour : Dans le système français, la signature est au cœur du droit civil, et notamment du droit des actes juridiques ou des contrats. En effet, la signature, aux yeux du droit, est un acte par lequel la personne contracte un engagement. La signature qu’on appose sur un chèque en est un bon exemple. Dès lors que l’on signe un chèque, on donne l’ordre irrévocable à son banquier de payer au porteur la somme mentionnée sur le chèque.

3Cet engagement obligatoire, de nature juridique, se retrouve dans pratiquement toutes les implications de la signature. Quand on appose sa signature sur un contrat, on exprime un consentement, une adhésion, la volonté de s’approprier les termes de l’acte et d’assumer les obligations qui y figurent. On achète une voiture ou un appartement en signant un acte juridique de vente.

4Si l’on tente de remonter aux fondements, on s’aperçoit que l’usage de la signature, sur toutes sortes de documents à valeur juridique, est très ancien. On le trouve dès l’époque du Code d’Hammourabi. Pourtant, la place centrale de la signature dans le droit moderne des contrats est relativement récente, vraisemblablement pour deux raisons.

5• Aujourd’hui notre droit repose sur le primat de la volonté de l’individu, sur l’idée que la volonté est libre, qu’on est engagé parce qu’on l’a voulu. En droit romain, par contre, la formation d’un contrat ne se fait pas par la volonté mais par l’accomplissement de rites, qui sont d’ailleurs de nature religieuse. Il faut prononcer des paroles rituelles, accomplir des gestes décrits de façon très précise par la loi. Il ne suffit pas d’exprimer un consentement ou de signer un acte. L’idée que l’on est engagé par sa volonté, dès lors qu’on l’a exprimée, remonte seulement au XVIe siècle et elle est liée à une doctrine morale, venue directement du droit canonique : quand on a donné sa parole, on ne peut pas la reprendre. Ce que les juristes expriment en latin par « pacta sunt servanda ». Les pactes doivent être respectés, donc je dois respecter la parole donnée. À cela s’ajoute un fondement plus philosophique, celui de l’autonomie de la volonté. L’homme est libre et ne peut être contraint que parce qu’il l’accepte, y consent ;

6• Le rôle majeur joué actuellement par la signature s’explique aussi de façon plus pratique et technique, par l’importance que revêt dans le droit moderne le primat de la preuve écrite. Dans les sociétés traditionnelles, dans l’ancien droit et jusqu’à une époque relativement récente, le principal instrument de preuve est le témoignage. Les témoins assistent à la formation du contrat. Au Moyen Âge, on faisait venir des témoins jeunes, qui avaient donc des chances de vivre longtemps, puis on les giflait pour qu’ils se souviennent de l’évènement auquel ils venaient d’assister, qu’ils se rappellent que c’était le jour où on les avait frappés. La preuve, dans une civilisation où l’écrit n’est pas très développé, repose sur les témoignages oraux.

7Aujourd’hui, dans le droit moderne et dans le Code civil de façon évidente, il existe un fort primat de la preuve écrite. Par exemple, la règle est qu’au-delà de 800 euros, le seul instrument de preuve vraiment efficace est l’écrit, signé par les parties. À partir du moment où l’écrit se développe et se répand, la preuve écrite prime. Ce bref historique pour situer la place de la signature dans le droit des contrats et le droit de la preuve.

8D. M. et M. T. : La valeur juridique de la signature dépend-elle de la nature du scripteur ?

9Y. F. : Il est très nettement dit dans les textes qu’un contrat, qu’un acte juridique, pour avoir une valeur, doit être signé par les parties elles-mêmes, c’est-à-dire par les personnes qui s’engagent. Puisque je m’engage par ma signature, je ne peux engager que moi-même. C’est le contractant de l’engagement qui doit signer. C’est très clair dans l’acte sous seing privé, c’est-à-dire l’écrit dressé par des particuliers, sans intervention d’aucune autorité entre eux. Pour qu’un tel acte soit valable et fasse preuve de l’engagement qu’il constate, il faut qu’il comporte la signature manuscrite des parties – généralement deux mais il peut y en avoir davantage et toutes doivent signer. Quand il s’agit d’un engagement de payer une somme d’argent, la somme sur laquelle on s’engage doit être écrite de manière manuscrite. Ce sont les seules règles qui régissent un acte sous seing privé. Il n’existe pas d’autres formalités obligatoires. C’est relativement simple mais, à nouveau, c’est la signature manuscrite des parties qui les engagent.

10Il existe toutefois quelques exceptions :

11• La première, ce sont les personnes vulnérables, que la loi appelle aussi des personnes protégées, autrement dit des « incapables » : les mineurs, les vieillards, les gens sous tutelle ou curatelle, les personnes atteintes de maladie mentale, tous ceux dont on considère qu’ils ne sont pas capables de veiller eux-mêmes à leurs intérêts. Par définition, un individu frappé d’incapacité ne peut s’engager lui-même et doit être placé sous un régime de protection. C’est alors le représentant légal, par exemple l’un des parents du mineur ou bien le tuteur qui agit et signe au nom d’une personne incapable. Mais, pour un acte grave, il leur faut parfois, préalablement, obtenir des autorisations du juge des tutelles ou d’un conseil de famille. En cas de curatelle, la personne signe elle-même mais le curateur doit signer à ses côtés. La signature des personnes vulnérables n’a pas de valeur ou, à tout le moins, il faut que quelqu’un d’autre signe en même temps ;

12• Un autre cas particulier est celui mécanisme de la représentation. Si un individu ne peut se déplacer pour aller lui-même négocier le contrat, il a le droit d’envoyer à sa place un mandataire, c’est-à-dire un représentant qui va agir en son nom. On peut être engagé par la signature d’un autre si celui-ci a agi dans le cadre des ordres qu’on lui a donnés ;

13• Parfois aussi, il peut y avoir des signatures qui s’ajoutent à la signature des parties. Le cas le plus frappant est celui du notaire qui dresse des actes authentiques ayant une force probante beaucoup plus importante qu’un acte sous seing privé. Ce qui caractérise un acte authentique, c’est qu’il est signé par les parties mais qu’il est, en outre, revêtu de la signature du notaire. C’est cette dernière signature qui donne à l’acte sa force particulière, parce que le notaire est vu par la loi comme un témoin privilégié. Il prête serment ; s’il se laissait aller à faire un faux, il serait passible de sanctions extrêmement graves. La contestation des énonciations de l’acte est très difficile, car on part de l’idée que les dires du notaire sont vrais. Voilà ce que l’on peut dire sur la nature des différentes personnes pouvant être amenées à signer.

14D. M. et M. T. : Les différents États européens ont-ils des conceptions proches de la signature ?

15Y. F. : Il existe deux grandes traditions qui divisent le droit européen : la tradition dite romano-germanique, à laquelle se rattache le droit français, et la tradition anglo-saxonne de la Common Law. Ces différences se traduisent principalement sur le terrain de la preuve et sur le rôle de la volonté dans le contrat, donc sur les deux points qui fondent la valeur juridique de la signature.

16Les systèmes romano-germaniques, avec des dissemblances évidemment, ressemblent au droit français. Pour eux, ce qui crée le contrat et l’engagement, c’est le fait que la volonté des parties se soit exprimée. En outre, la preuve se fait par écrit. On a toujours, à quelques détails près, un écrit signé par les parties, qui va faire preuve.

17Le droit anglais et la Common Law sont tout autres. En droit anglo-saxon, la volonté ne suffit pas à créer un contrat obligatoire, ce qui crée un contrat obligatoire c’est le fait d’avoir reçu une contrepartie. C’est cette contrepartie, déjà réalisée, sous forme de prêt d’argent, de marchandise livrée… qui crée l’engagement juridique. Le régime de la preuve est lui aussi très différent : il repose sur un système de témoignages exprimés devant la justice. De fait les actes qui font preuve, dans la Common Law, sont généralement des actes judiciaires, avec des témoins qui s’expriment devant la justice. La signature des parties n’a pas la même fonction qu’en droit français.

18Aujourd’hui, dans le cadre de la mondialisation, ce sont ces deux systèmes européens qui sont en concurrence pour l’ensemble des relations commerciales internationales. C’est très frappant : on trouve aujourd’hui des notaires dans toute l’Europe continentale, dans tous les pays latins, particulièrement en Amérique latine. Tous les pays d’Europe centrale, de l’ancien bloc socialiste, ont eux aussi créé un notariat et les Chinois sont en train de faire de même. Donc notre système de preuve reposant sur l’écrit, et notamment sur l’acte authentifié par le notaire, se répand à travers le monde. Mais, en même temps, la puissance américaine fait que le droit anglo-saxon est tout de même très dominant. Il y a là une véritable concurrence de systèmes juridiques et c’est sur le terrain de la preuve que ces deux systèmes s’opposent le plus nettement.

19D. M. et M. T. : Quel est le rapport, la tension, entre le graphisme de la signature et ce qu’il exprime, entre l’acte de signer et l’engagement lui même ?

20Y. F. : Qu’est ce qu’une signature et quels sont les éléments permettant de caractériser la signature d’une personne ? Le plus étonnant c’est que, jusqu’à une époque très récente, la loi n’avait donné aucune définition de la signature. Peut-être parce qu’on avait l’impression que signer, tout le monde savait ce que c’était, qu’il n’y avait pas besoin de définition spécifique. La loi approche la signature par sa fonction et par son efficacité juridique, plutôt que par une définition notionnelle ou par des éléments constitutifs. Pour qu’un acte sous seing privé soit valable, il doit être signé par les parties ; pour qu’un acte soit considéré comme un acte authentique il doit être signé par le notaire. Depuis une loi du 13 mars 2000, le Code civil en offre une définition, qui figure à l’article 1316-4. Il y est dit que « la signature nécessaire à la perfection d’un acte juridique identifie celui qui l’appose, elle manifeste le consentement des parties ». On est toujours dans la dualité des fonctions : l’identification, le consentement. Mais il est affirmé, un peu plus loin, que la signature : « est l’usage d’un procédé fiable d’identification », qui garantit « le lien avec l’acte auquel elle s’attache ». La signature doit posséder ces deux qualités. En apparence, ce sont des évidences : en réalité, ce texte a pour origine l’avènement des actes électroniques. De plus en plus d’actes ne sont pas écrits mais numériques. La signature n’est plus forcément un olographe sur un écrit, mais une suite de signes placés sur un texte numérique.

21Tout est venu du code secret de la carte bancaire. Une jurisprudence de la Cour de Cassation assimile, en effet, le code secret de la carte bancaire à une signature. Elle considère que, par l’effet d’une convention entre les parties, c’est-à-dire entre le titulaire de la carte et la banque tenant le compte, le code secret est considéré comme équivalent à la signature, comme permettant d’identifier la personne et de constater son consentement au paiement. Le Code civil offre à son tour une définition récente de la signature qui procède de la même inspiration : elle est liée à la dématérialisation de l’acte juridique.

22Dans une vision plus traditionnelle, la signature n’a pas de définition légale mais possède des définitions jurisprudentielles, spécialement à propos du testament. Le testament est, en effet, un acte juridique de nature particulière. Il est spécifique non seulement pour des raisons psychologiques – la personne qui rédige son testament contemple sa propre mort – mais aussi pour des raisons pratiques. Un testament s’exécute nécessairement après le décès du testateur. Le mort ne pourra jamais dire : « c’est moi qui ait écrit cela », « c’est bien ce que j’ai voulu dire », « c’est bien cela que j’ai voulu ». Il existe donc un formalisme testamentaire destiné à garantir que ce qui est écrit exprime réellement la volonté du testateur.

23Le testament peut se faire de deux manières. La première est le testament devant notaire, qui comporte les signatures du testateur et du notaire, qui est dicté au notaire devant des témoins. Ici, c’est ce rituel qui fait la force du testament, plus que la signature du testateur. Le second procédé, beaucoup plus simple et usuel, est le testament olographe, défini par l’article 970 du Code civil. L’acte est écrit de la main, donc nécessairement manuscrit, daté et signé du testateur. Or, la signature du testament olographe pose quantité de problèmes en jurisprudence : la personne est morte, on se trouve souvent devant des documents qui ne sont pas très bien rédigés, on ne sait pas toujours s’ils sont signés ou non, la signature ne ressemble pas à ce qu’elle est habituellement. Or, il faut choisir, d’exécuter ce testament – car on considère qu’il exprime vraiment la volonté du testateur – ou de ne pas l’exécuter, sous le motif qu’il n’y a pas de signature, ou que la signature n’est pas caractérisée. C’est à partir de cette question là, sur laquelle existe un fort contentieux, que la jurisprudence a développé tout un corpus de solutions autour de la notion de signature, et de conditions dans lesquelles une signature peut être considérée comme valable juridiquement. Là aussi la jurisprudence approche la signature par sa fonction. Il existe un arrêt important, une jurisprudence solidement constituée, qui date de 1959. L’article 1316-4 s’en est vraisemblablement inspiré, car la Cour de Cassation dit : « la signature a une double fonction ». D’abord, elle doit « identifier la personne du signataire ». Il faut qu’elle soit reconnaissable, qu’on puisse l’attribuer de manière certaine à la personne dont on prétend qu’elle a signé. Ensuite, elle doit « exprimer la volonté de s’engager par l’acte concilié ». Puisque la signature a cette double fonction, pour qu’une signature soit valable, il faut non seulement que l’identification soit certaine mais que l’on soit sûr qu’elle exprime une volonté d’adhérer aux dispositions de l’acte. On essaie, tant bien que mal, d’approcher ces deux notions. Évidemment, l’identification est souvent une question d’expertise d’écriture. Pour la volonté, c’est plus compliqué, car il faut tenter d’entrer dans l’état d’esprit de la personne au moment où elle a signé. Si c’est un acte fait par un vivant, on peut toujours l’interroger, s’agissant d’un testament, on ne peut plus rien faire. C’est pourquoi la définition jurisprudentielle de la signature est finalement très plastique.

24Cela se constate spécialement en ce qui concerne le support de l’acte. La jurisprudence décide que la matérialité du support n’a pas d’importance. Généralement, un acte est écrit sur du papier. Mais bien avant la loi de 2000, il était admis qu’un testament était valable dès lors qu’il était signé, sur n’importe quel support. Il existe quelques exemples célèbres, tel celui d’une personne qui s’était jetée dans un puits après avoir écrit son testament à la craie sur la porte de la grange qui se trouvait à proximité. Un autre cas évoque un peu l’affaire Marchal. Une personne avait écrit son testament avec un stylo feutre sur la machine à laver de sa cuisine puis avait ouvert le gaz pour se suicider dans cette même cuisine. D’autres cas sont moins atypiques, comme écrire son testament sur une carte postale. On voit bien que, même si la situation est très différente, à partir du moment où la loi a admis que le support électronique pouvait équivaloir à un acte sur papier, elle s’est inspirée de l’idée que le support sur lequel repose l’écrit n’a aucune importance. Ensuite, il y a tout un ensemble de questions liées à la forme de la signature elle-même. Là aussi la jurisprudence décide que l’identification ne doit laisser place à aucune incertitude. Mais il n’est pas nécessaire que la signature soit la signature habituelle. On peut imaginer qu’une personne a plusieurs manières de signer, suivant les circonstances. Certains, lorsqu’ils font leur testament, pensent qu’ils effectuent un acte très solennel ; ils vont donc se désigner par leurs qualités, décliner toute leur identité, et ne pas utiliser leur signature habituelle. D’autres, au contraire, vont penser qu’ils sont seuls, chez eux, pour faire un acte éminemment intime. De ce fait, ils vont utiliser une désignation familière, qui n’est pas non plus une signature officielle. Ils vont signer uniquement de leur prénom ou d’un surnom en usage dans la famille. Si l’on n’a pas de doute sur l’identité, on jugera que c’est une signature valable. Le seul cas qui pose vraiment problème, c’est la signature composée de simples initiales.

25D. M. et M. T. : L’exemple que vous venez de donner signifie-t-il que, pour la loi, les suicidés ont une capacité ?

26Y. F. : Il y a, en fait, beaucoup de testaments de suicidés. Et l’on voit bien que, généralement, le juge essaie de valider le testament. C’est en marge de la question de la signature mais, pour qu’un testament soit valable, il faut qu’il soit daté. Or, souvent, la personne qui écrit son testament avant de se suicider ne pense pas à noter la date. Dans un tel cas, la jurisprudence considère que, à travers le style du testament, on perçoit qu’il a été rédigé juste avant le décès, qu’il est indirectement daté par là même. Le juge tente de valider le testament pour respecter la volonté du défunt. Sa logique est qu’il faut respecter ce que la personne a souhaité, même si elle était dans une psychologie très particulière. En tout cas, le suicide ne créée pas par lui-même de doute sur la volonté du testateur. Celui-ci était habituellement doté de sa pleine capacité juridique avant son décès, et l’on s’en tient là.

27Pour rester dans la problématique des formes de la signature, il y a également toute une discussion sur la place qu’elle occupe dans l’acte. Ici, la jurisprudence est plus rigoureuse que sur les points précédents. Elle exige que la signature soit détachée du corps de l’acte. Si le nom apparaît dans le corps du texte, ce n’est pas une signature. Par contre, elle admet des places assez variables : en bas mais aussi sur un côté, éventuellement même la signature peut ne pas être apposée sur le document juridique mais sur l’enveloppe qui le contient. La jurisprudence, là aussi, s’efforce toujours de valider l’acte en disant qu’il existe un lien – parfois un peu incertain – entre le document et son contenant. La jurisprudence du testament est donc intéressante, car elle s’avère plus libérale que la loi. Pour le législateur – qui a une vision prospective – pour qu’un acte soit valable, il faut un minimum de certitude et de protection de la personne. Pour le juge, qui vient après, la préoccupation est de donner effet à la volonté d’un individu, et notamment, et c’est très clair en matière de testament, à la volonté des morts. Le juge n’aime pas annuler un acte pour une raison de pure forme. S’il pense que l’acte exprime la volonté réelle de la personne, il cherche à l’exécuter. Ceci explique le décalage entre la loi, qui s’efforce de fixer un cadre, et le juge, dont la vision est plus plastique, plus ouverte, plus psychologique aussi.

28Pour résumer, la définition de la signature est clairement fonctionnelle et il y a une assez grande indifférence à la façon dont celle-ci se présente, pour peu qu’on soit sûr de respecter une volonté.

29D. M. et M. T. : La jurisprudence, dans le testament, s’avère plus libérale que la loi. Face à un acte écrit au soir de la vie, existe-t-il aussi un décalage entre le législateur et le notaire ?

30Y. F. : Le testament. recèle, en effet, un certain mystère On dit souvent, dans les ouvrages de droit civil, que la personnalité juridique ne survit pas à la personne physique. Et pourtant la volonté du défunt continue à être efficace, malgré sa mort. Il y a l’idée que l’on se prolonge, soi même, à travers ses dispositions testamentaires, que l’on se survit d’une certaine manière. Certains voient, dans cette efficacité de la volonté post-mortem une sorte de mythe ou de fantasme de l’immortalité. Et comme on est aujourd’hui dans une période de libéralisme qui se manifeste aussi sur le terrain juridique, dans les réformes récentes du droit successoral, la volonté de l’individu se voit reconnaître une liberté de plus en plus grande pour organiser lui-même la transmission de son patrimoine, et donc elle tient une place de plus en plus importante. Jusqu’à une époque récente, en matière successorale l’ordre public était très fort et bordait beaucoup la liberté de l’individu. Aujourd’hui, on dit que chacun doit pouvoir disposer de ses biens comme il l’entend. De ce fait, la volonté du défunt a un poids supérieur sur la transmission du patrimoine et, du même coup, les actes qu’il va accomplir avant sa mort, avec ou sans le conseil de son notaire, vont avoir une portée plus grande.

31D. M. et M. T. : Le notaire ne va-t-il pas au-delà de la signature ?

32Y. F. : Il existe un cas assez caractéristique où le notaire va effectivement au delà de la signature. Quelquefois, il donne effet à un acte qui n’est pas signé, voire à un acte qui n’existe pas. Il s’aperçoit que, faute de testament, la situation de la famille du défunt, ou de certains de ses membres, est difficile. Il tente alors de suppléer, en prenant sur lui-même. C’est ce qu’on appelle, en droit civil, et d’ailleurs aussi en droit fiscal, la reconnaissance de legs verbal. Le Code civil ne connaît pas le legs verbal. Le testament est forcément écrit et signé. Or, il peut y avoir des cas où le testament n’existe pas, ou se limite à un simple projet, plus ou moins rédigé mais sur lequel la signature n’a pas été apposée. Et le notaire parvient parfois à donner effet à de tels actes, quand il pense que c’est mieux pour tout le monde. Il lui arrive ainsi de dépasser son rôle pour assurer la protection du conjoint. Des lois récentes de 2001 ont un peu amélioré la situation du conjoint qui, jusqu’à cette date, était très mal placé dans l’ordre successoral. Les femmes pouvaient se trouver, à la mort de leur mari, dans un état de dénuement très profond. Le notaire faisait comme si il y avait eu un testament au profit du conjoint ou une donation entre époux, alors qu’en réalité il n’y en avait pas. Soit on se trouvait devant un vague projet et le notaire disait que le défunt n’avait pas eu le temps de signer l’acte et proposait que l’on fasse « comme si », soit il n’y avait rien du tout et il disait : « on va faire comme s’il y avait eu un testament en faveur du conjoint ». En général, le notaire s’appuie sur des conversations qu’il a eues avec le cujus avant sa mort. Cependant, il n’a pas une autorité suffisante pour imposer un tel acte, il ne peut le faire qu’avec le consentement de tous les héritiers. Un notaire m’a raconté qu’un jour il avait reçu une veuve. Il avait tenté de lui faire comprendre la situation, lui avait dit de bien chercher dans la maison, d’ouvrir tous les tiroirs, de regarder partout car le défunt avait sûrement fait un testament. Hélas, la femme était revenue les mains vides, sans comprendre qu’il lui avait laissé entendre de fabriquer le testament pour qu’on puisse faire comme si c’était un vrai. Il ne pouvait pas aller plus loin et rédiger le document à sa place. Mais, parfois aussi, la transparence est totale. On réunit la famille proche et on dit aux enfants qu’il ne faut pas laisser leur mère dans cet état et qu’il faut faire comme si, c’est-à-dire un acte de reconnaissance de legs verbal, dans lequel on écrit que, de son vivant, le défunt a dit qu’il voulait cela… Juridiquement un tel document devrait être nul. Mais, en réalité, tous s’accordent à lui reconnaître une valeur, même le fisc. Lorsqu’il existe un projet de testament, le notaire propose de faire comme si l’acte était signé, en demandant aux héritiers, de ne pas le contester. Il donne ainsi effet à une volonté qui s’est mal exprimée ou ne n’est pas exprimée du tout. Mais il agit dans un esprit de protection, et seulement si tout le monde l’accepte. Inversement, il peut encourager un client à ne pas commettre une mauvaise action… mais là encore, il ne peut rien imposer, sauf refuser de faire des choses illégales. Il peut, éventuellement, proposer aux parties de faire comme si cet acte inopportun ou immoral n’existait pas, décider de ne pas l’exécuter.

33Au XIXe siècle et au début du XXe siècle, où la société française plus rurale était aussi plus stable, le notaire était qualifié de conseiller des familles, car il était parfois dans tous les secrets et confidences. Il jouait presque un rôle de confesseur et pouvait donner son opinion, conseiller ou déconseiller de faire. Aujourd’hui, les personnes passent plus facilement d’un notaire à un autre. Ce rôle de conseiller est un peu remis en cause, même si le notaire de famille existe encore.

34D. M. et M. T. : Dieu crée le monde mais ne signe pas son œuvre. La Bible, le Coran… tous les textes qui racontent l’évolution de l’homme et l’expérience humaine ne sont pas signés…

35Y. F. : On ne sait effectivement ni qui a écrit ces grandes œuvres, ni par quels canaux elles sont parvenues jusqu’à nous. Aujourd’hui plus qu’autrefois, on accorde une grande importance à la subjectivité de l’individu et à la manière dont elle s’exprime à travers ses œuvres et ses actions. Dans la signification juridique de la signature, il y a un caractère un peu rationnel, je signe parce que c’est ce que je veux ; j’ai lu, j’ai compris, je m’engage. Mais dans la fonction d’identification de la signature, comme le dit la jurisprudence, il y a aussi un caractère symbolique. La signature est un concentré de la personne. Si je signe, c’est ma personne qui figure sur le bas du papier sous l’aspect d’une signature avec un graphisme très personnel. Si l’on étudiait attentivement cette dimension symbolique, on verrait sans doute le lent passage d’un système reposant sur l’ordre du monde à un système centré sur l’ordre de l’individu. Si l’on regarde l’engagement lui même, à travers l’histoire du droit, on s’aperçoit que, dans l’ancien droit romain, l’engagement est plus un engagement collectif qu’individuel. On engage sa famille. Si on ne respecte pas l’engagement, une autre personne du clan, de la famille, devra le respecter à votre place. Ce qui, aujourd’hui, est moins vrai même si les héritiers doivent respecter les engagements du défunt. Mais l’accent est beaucoup plus mis sur l’engagement personnel.

36D. M. et M. T. : La signature, qui clôture un acte, n’a-t-elle pas aussi une valeur cérémonielle ? D’ailleurs, est-elle toujours suffisante ?

37Y. F. : Cet aspect cérémoniel est très caractéristique dans le mariage. Quand, en 1792, le législateur dit que dorénavant la loi ne considère le mariage que comme un contrat civil, on maintient, ou plutôt on recrée, une cérémonie avec un rite aussi solennisé que le sacrement religieux. La loi est très précise, elle décrit les étapes de la cérémonie : le lieu est obligatoirement la mairie, les portes doivent être ouvertes car le mariage est un acte public, l’officier d’État civil donne lecture du Code civil, interroge les époux qui expriment verbalement leur consentement. On dresse ensuite l’acte qui doit comporter telle et telle mention, les époux signent, l’officier d’État civil signe, tout ceci est extrêmement ritualisé. On peut songer aussi à la signature des conventions collectives entre les partenaires sociaux, qui clôturent des négociations souvent difficiles, et prennent l’aspect d’un évènement politique. Ou encore à la signature d’accords internationaux qu’il s’agisse de la vente d’airbus, de TGV, voire d’armements qui sont aussi des enjeux très importants pour la vie économique nationale, ou des traités politiques entre États.

38Pour le contrat, lorsqu’on se rend chez le notaire ou chez l’avocat, c’est un peu le même cérémonial. On signe en présence du notaire, car la valeur de l’acte repose sur le fait qu’il est un témoin privilégié. Le notaire commence par expliquer le contenu de l’acte ; il explicite auprès des parties les engagements qu’elles sont en train de souscrire, pour qu’elles comprennent bien ce qu’elles font, ne signent pas sans connaissance de cause. Mais il n’en est pas toujours ainsi. En droit français, la présence du notaire n’est requise que dans des cas particuliers, notamment pour tout ce qui concerne les ventes et les achats d’immeubles. Acquérir un bien immobilier est toujours solennisé, car cela reste, sans doute, un acte important dans une vie.

39Il existe encore d’autres formalismes. La jurisprudence considère que le notaire n’est pas seulement là pour recueillir la signature mais a un devoir de conseil ; il doit éclairer les parties sur ce qu’elles font et sur les conséquences. Sa présence est obligatoire à différentes étapes de la vie, pour établir tous les actes qui visent à organiser la transmission du patrimoine : contrat de mariage, donation entre époux, donation aux enfants, donation-partage où l’on réunit toute sa famille pour répartir le patrimoine. Pour les « gens de peu », tout ceci a moins de signification. Mais, dès lors qu’une personne possède un bien, qu’elle a créé, par exemple, une entreprise familiale, elle est préoccupée, à la fois d’assurer une certaine égalité entre ses enfants, mais aussi que l’entreprise survive à sa mort. Elle procède souvent à des « montages » compliqués, élaborés avec l’assistance d’un notaire, d’un expert-comptable, de tout une équipe qui va entourer la formation de l’acte et tout va se clôturer, là aussi, par des signatures.

40Dans quelques cas comme le contrat de mariage, les donations diverses… la forme notariée reste certes obligatoire mais, dans l’ensemble, le formalisme est plutôt en déclin. À la vérité, il existe une tension dans la législation entre deux idées contradictoires : faciliter la conclusion des contrats pour favoriser la vie économique, mais aussi éviter l’engagement irréfléchi, la signature donnée à la va-vite, voire plus ou moins extorquée sous la pression d’agents commerciaux trop agressifs. C’est pourquoi la loi protège les consommateurs en limitant parfois la portée de la signature ou les conditions de son expression. Elle impose des délais de réflexions préalables et interdit de signer avant dix jours. Ou bien, elle accorde un droit de repentir et permet de revenir dans les huit jours qui suivent sur une signature déjà donnée.

41En outre, il est souvent exigé, après la signature, des formalités fiscales – même si elles ne sont pas nécessaires à la perfection de l’acte juridique. Tous les actes conclus par les particuliers sont soumis à enregistrement, notamment les actes portant sur le transfert d’un bien à un autre, tout simplement parce que, à l’occasion de l’enregistrement le fisc va prélever des droits.

42Mais, dans la société qui est la nôtre, l’importance des rites sociaux diminue au profit de l’efficacité économique. Le rite de la signature et sa signification juridique n’y échappent pas. Ce n’est pas la même chose de réunir toutes les parties après une négociation difficile pour solenniser la signature d’un accord, ou de cliquer avec la souris seul devant son écran.


Date de mise en ligne : 01/12/2008

https://doi.org/10.3917/sr.025.0035

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