Notes
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[1]
Dans la mesure où cette notion repose principalement sur une définition de la fonction de l’art et, accessoirement, de son contenu et de sa forme, on peut parler d’esthétique mais ses critères esthétiques sont très étroitement liés aux attentes sociales, aux pressions idéologiques, aux stratégies politiques et organisationnelles.
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[2]
Le terme « perestroïka » est utilisé.
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[3]
Ce vaste sujet échappant à notre propos, on doit se contenter de quelques rappels et renvoyer à la bibliographie existante, notamment à la récente et excellente synthèse de Michel Aucouturier, Le Réalisme socialiste, Paris, PUF, « Que sais-je ? », n° 3320, 1998. On peut aussi consulter en russe le livre déjà ancien mais très documenté sur la vie littéraire et les organisations jusqu’à l’apparition du réalisme socialiste de Stepan Sessoukov, Neistovye revniteli (Les Zélateurs frénétiques), Moskva, Moskovskij rabocij, 1970, et la somme récente de Hans Günther et Evegenij Dobrenko, Socrealisticeskij kanon (Le Canon du réalisme socialiste), Saint-Pétersbourg, Akademiceskij proejkt, 2000.
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[4]
Acronyme russe désignant l’Association russe des écrivains prolétariens.
-
[5]
LEF, abréviation de Levyi Front, Front de gauche, revue créée en 1923 et regroupant autour de Vladimir Maïakovski les principaux poètes et critiques futuristes.
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[6]
C’est ainsi que la présente Michel Aucouturier, Le Réalisme socialiste, op. cit., p. 54.
-
[7]
Information donnée par Sesukov, op. cit., p. 336 et confirmée par les travaux plus récents.
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[8]
Cité d’après Sesukov, ibid.
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[9]
Jean-Pierre A. Bernard, Le Parti communiste français et la question littéraire, 1921-1939, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1972, notamment les pages 113-146.
-
[10]
Pour plus de renseignements sur Fréville on peut se reporter à la notice que lui consacre Nicole Racine dans le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, dirigé par Jean Maitron et Claude Pennetier, Paris, Éditions ouvrières, 1964-1993.
-
[11]
André Breton, « Légitime défense », La Révolution surréaliste, n° 8, déc. 1926.
-
[12]
Monde n° 224, 14 mai 1932.
-
[13]
La revue de la MORP, Literatura Mirovoj Revolutsij publie dans son numéro de février 1932 plusieurs articles concernant la situation française : la résolution du secrétariat de la MORP, « Tâches de l’union des écrivains révolutionnaires français », définissant la ligne de la future AEAR dans le prolongement des résolutions de Kharkov, ainsi que deux articles très violents dirigés contre Monde, « Monde, directeur Henri Barbusse » de Bruno Iasenski et « L’arme cachée de la bourgeoisie » de Jacques Duclos.
-
[14]
Cf. l’étude de Wolfgang Klein, Commune, revue pour la défense de la culture, Paris, Éditions du CNRS, 1988.
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[15]
Karl Radek donne deux articles dans la presse française : L’Humanité, 25 déc. 1933 et Monde, 9 déc. 1933.
-
[16]
L’Humanité, loc. cit.
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[17]
Monde, loc. cit.
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[18]
Ibid.
-
[19]
Ibid.
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[20]
Monde et Commune publient les traductions des principales contributions mais, dépassant le cercle des publications communistes, le numéro de novembre de La NRF est consacré au compte rendu de ce Congrès et reproduit les plus importants discours.
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[21]
Comme le remarque l’avant-propos du numéro cité de La NRF : « S’il a consacré plusieurs séances à l’examen de la littérature mondiale, le congrès reste essentiellement soviétique ».
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[22]
Reynald Lahanque dans son article « Aragon, Nizan, et la question du réalisme socialiste », in Bernard Alluin et Jacques Deguy (dir.), Paul Nizan écrivain, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1988, pp. 105-120, signale le texte que Louis Aragon lit au Congrès de Moscou et notamment ces lignes qui annoncent sa propre action à venir : « L’AEAR saura exprimer dans les conditions nationales de la culture française le mot d’ordre de réalisme socialiste que les écrivains soviétiques ont lancé, non seulement à l’échelle des nationalités de l’URSS, mais à celle de toutes les nationalités du monde ». Texte reproduit dans Commune n° 11, juil.-août 1934.
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[23]
La plupart de ces articles ont été repris dans le recueil rassemblé par Susan Suleiman sous le titre Pour une nouvelle culture, Paris, Grasset, 1971. Quatre articles n’ont pas été repris dans ce recueil, celui sur Panaït Istrati (8 février), sur Marguerite Yourcenar et Vaillant-Couturier (15 mars), sur Ramuz (22 mars) et « Staline humaniste », compte rendu du Staline de Henri Barbusse (13 juin).
-
[24]
C’est le titre de sa conférence, reprise dans Pour un réalisme socialiste, op. cit.
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[25]
Georges Sadoul, compte rendu des Beaux quartiers, Commune, déc. 1936.
-
[26]
Pour l’opposition capitale Balzac/Zola que je n’ai pas la place de développer ici, je renvoie à mon article « Zola 1929-1935 ou les ambiguïtés d’un retour à Zola », Les Cahiers naturalistes, n° 65, 1991, pp. 7-23.
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[27]
Jean Fréville, « Une littérature de soumission », L’Humanité, 2 févr. 1932.
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[28]
Paul Nizan, compte rendu de L’Année des vainqueurs d’André Chamson, Monde, n° 322, 8 févr. 1935.
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[29]
Plus particulièrement à un texte majeur pour la critique marxiste alors en gestation, la lettre d’Engels à Miss Harkness, publiée pour la première fois en mars 1932, en URSS, et en français dans Monde, n° 202, 16 avril 1932.
-
[30]
Rosa Luxembourg, « L’écrivain devant le monde », Monde, n° 190, 23 janv. 1932.
-
[31]
On peut se reporter aux articles qu’il consacre en 1934 et 1935 à Balzac, recueillis dans le volume Balzac et le réalisme français, Paris, Maspero, 1973.
-
[32]
Jean Fréville, « Marx et Engels et la tendance en littérature », Monde n° 325, 1er mars 1935.
-
[33]
Ibid.
-
[34]
Ivan Koussinov, « Le réalisme socialiste et le portrait psychologique », Monde n° 306, 20 juillet 1934.
-
[35]
Revue des vivants, sept.-oct. 1932, repris dans Pour une nouvelle culture, op. cit., pp. 33-43.
-
[36]
À ma connaissance une seule fois, dans le compte rendu du recueil d’articles d’Aragon dont il sera question un peu plus loin.
-
[37]
Compte rendu du roman de Ramon Fernandez Les Violents, Monde, n° 346, 1er août 1935.
-
[38]
Compte rendu du roman de Malraux, Le Temps du mépris, Monde, n° 339, 6 juin 1935.
-
[39]
Dans le n° 327 de Monde, du 15 mars 1935, Nizan oppose Tu seras un ouvrier de Georgette Guéguen et La Mort conduit l’attelage de Marguerite Yourcenar.
-
[40]
Compte rendu de Pour un réalisme socialiste, L’Humanité, 12 août 1935.
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[41]
Compte rendu du Temps du mépris, art. cit.
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[42]
Louis Aragon, « Paul Nizan – Antoine Bloyé », Commune n° 10, mars-avril 1934.
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[43]
Compte rendu des Cloches de Bâle, L’Humanité, 31 déc. 1934.
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[44]
J’en ai esquissé une brève synthèse dans la notice « prolétarienne (littérature) », rédigée pour le Dictionnaire des lettres françaises – Le xxe siècle, Paris, La Pochothèque, 1998 ; je renvoie dans la bibliographie de cette notice aux travaux de Jean-Pierre Morel, Le Roman insupportable, Paris, Gallimard, 1985 ; Jean-Michel Péru, « Une crise du champ littéraire français », Actes de la Recherche en sciences sociales, n° 89, septembre 1991 ; Karl-Anders Arvidsson, Henry Poulaille et la littérature française des années 1930, Paris, Touzot, 1988 et à la réédition des œuvres d’Henry Poulaille, notamment Nouvel âge littéraire, Paris, Valois, 1930, rééd. Plein chant, 1986. Il faut signaler aussi le travail fondamental des Cahiers Henry Poulaille.
-
[45]
Henri Barbusse, « Notre enquête sur la littérature prolétarienne », Monde, n° 20, 20 oct. 1928.
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[46]
Son article « Révolution et culture » paru dans Clarté n° 46 du 1er nov. 1923 aura un fort retentissement. Dans sa réponse à l’enquête de Monde de 1928, André Breton s’y référera explicitement, il ne sera pas le seul.
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[47]
Je paraphrase ici la réponse particulièrement représentative de Guilloux à l’enquête de Monde sur « La jeune génération et Zola », le 26 octobre 1929 : « Quelles sont ces prisons où l’on veut nous enfermer ? Avec Zola, oui pour la révolution ; de tout cœur mais librement ».
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[48]
Tristan Rémy, « Les écrivains dits prolétariens et la littérature », Le Peuple, 17 nov. 1933.
-
[49]
Le mot « Proletkult » est l’abréviation de « Proletarskaja kultura », en russe « culture prolétarienne », titre de la principale revue du mouvement. Inspiré par les thèses de Bogdanov, il vise, dès les premiers mois de la révolution, à développer un art prolétarien « de classe », débarrassé de toute influence bourgeoise. Le mouvement décline à partir de 1920. Cf. Michel Aucouturier, Le Réalisme socialiste, op. cit., p 21-29.
-
[50]
Monde n° 182, 29 nov. 1931.
-
[51]
Jean Guéhenno, « Littérature prolétarienne », Europe n° 108, 15 déc. 1931.
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[52]
Monde n° 188, 9 janv. 1932.
-
[53]
Augustin Habaru, « La crise du lyrisme en France », Monde n° 3, 23 juin 1928.
-
[54]
Les écrivains qui, selon l’expression de Barbusse, sont attachés à « la nécessité d’une expression pleine et maîtresse d’elle-même ».
-
[55]
Son roman Ciment paraît en feuilleton dans L’Humanité puis aux ESI avec une préface de Victor Serge. Un prix « Ciment » puis une collection seront créés.
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[56]
J’ouvre ici quelques pistes mais cette réflexion demanderait à elle seule un travail complet.
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[57]
On trouve une bonne évocation de cette soirée dans le livre d’Herbert Lottman, La Rive gauche, Paris, Le Seuil, 1981, p. 88.
-
[58]
Jean-Michel Péru le confirme : « […] le « réalisme socialiste » n’est, à aucun moment, proposé aux écrivains par l’AEAR qui, à partir de 1933, ne fixe que des objectifs politiques », « Position littéraire et prise de position politique : les surréalistes, Aragon et la “littérature prolétarienne” », Lire Aragon, Paris, Champion, 2000, p. 309.
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[59]
André Gide, « L’état de la culture dépend étroitement de l’état de la société », discours au Congrès de Paris, 21 juin 1935, Monde, n° 345.
-
[60]
Intervention de Malraux au 1er congrès des Écrivains soviétiques, Commune, sept.-oct. 1934, repris dans Le Magazine littéraire, n° 79/80, sept. 1973, p. 18.
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[61]
« Réalisme socialiste et réalisme français » : nous allons revenir sur cet article.
-
[62]
De la biographie de Pierre Daix, Aragon. Une vie à changer, Paris, Flammarion, 1994, à la chronologie établie pour l’édition des Œuvres romanesques complètes, sous la direction de Daniel Bougnoux, Paris, Gallimard, coll. « Pléiade », t. 1, 1997, t. 2, 2000.
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[63]
« Aragon, Nizan, et la question du réalisme socialiste », loc. cit., p. 108.
-
[64]
Paul Nizan, « Pour un réalisme socialiste par Aragon », L’Humanité, 12 août 1935, repris in Pour une nouvelle culture, op. cit., p. 175-179.
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[65]
Celles-ci sont suffisamment habiles et séduisantes pour déterminer la réception de l’œuvre et paralyser les commentaires critiques mais leur pertinence résiste mal à l’analyse ; je pense tout particulièrement aux Voyageurs de l’impériale et à la lecture politique qu’en propose Aragon.
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[66]
Publiée dans Europe en mars 1938.
-
[67]
Ces quelques remarques sur le rôle central d’Aragon ne font qu’amorcer une réflexion que Philippe Olivera, dans ce numéro, pousse beaucoup plus loin.
1Si l’on veut comprendre ce que furent les premières manifestations du réalisme socialiste en France, c’est-à-dire les premières œuvres ou les premiers textes critiques qui se réclamèrent de cette esthétique [1], il est indispensable de rappeler les conditions mêmes de son apparition et de sa définition en URSS. Quoi qu’il ait pu devenir par la suite, le réalisme socialiste est d’abord, pour la France, en 1932, un concept d’importation.
2Son apparition en URSS est directement liée à un événement capital pour l’histoire de la littérature soviétique : la « reconstruction » [2], en réalité la dissolution, par le Comité central du PCUS, des organisations littéraires, le 23 avril 1932. Quelles qu’en soient les raisons [3], c’est une décision qui ouvre une époque nouvelle, politique et esthétique. C’est tout d’abord la fin de l’hégémonie de fait, établie peu à peu par la principale organisation d’écrivains prolétariens, la RAPP [4] et ses principaux dirigeants, sur la vie littéraire soviétique. Cette hégémonie conquise de haute lutte, avec la bénédiction du pouvoir, s’est faite à coup de diktats, d’ultimatums, de dénonciations, dont ont fait les frais les groupes ou les écrivains « ennemis », c’est-à-dire l’ensemble des autres groupes et courants littéraires, des futuristes et de leur principale revue LEF [5] que dirige Maïakovski, aux « compagnons de route », pour la plupart regroupés autour de la revue Krasnaja Nov de Voronski, ainsi que les formalistes. Parmi les campagnes les plus virulentes, rappelons celles qui ont pris pour cibles Mikhaïl Boulgakov, Andreï Platonov puis Eugène Zamiatine ou Boris Pilniak. En 1932, ce « zèle frénétique », pour reprendre le titre de l’ouvrage de Sesukov, est devenu une entrave à la politique de rassemblement et de mainmise que Staline souhaite instaurer dans le monde des arts et des lettres. La RAPP a fait son temps, la RAPP doit disparaître. Cette disparition doit permettre de regrouper l’ensemble des écrivains dans une nouvelle « Union des écrivains soviétiques », et de mettre un terme à la guérilla permanente qui opposait la toute puissante association des écrivains prolétariens aux autres mouvements. Même si quelques tensions au cours de 1931 peuvent apparaître, a posteriori, comme des signes avant-coureurs, cette décision, imposée brutalement, est un véritable « coup de théâtre » [6], qui jette le trouble dans les esprits. Dans les milieux littéraires russes mais aussi dans les cercles ou les mouvements politico-littéraires français violemment attaqués par la RAPP, notamment au Congrès de Kharkov (1930), on se réjouit de ce changement de cap et de ton. Soulagé d’être enfin débarrassé de la tutelle des « rappovtsy », on envisage sereinement la suite logique de cette dissolution : la définition par le Comité chargé de mettre en place les futures structures d’une nouvelle esthétique ou du moins d’une nouvelle politique de création, le réalisme socialiste.
3La première apparition de cette expression remonte au 23 mai 1932 [7] ; lors d’une réunion des cercles littéraires de Moscou, Ivan Gronski, directeur des Izvestia, président du Comité d’organisation de la future Union (Valéri Kirpotine, dont nous reparlerons, en est le secrétaire), déclare :
Il ne faut pas poser le problème de la méthode de façon abstraite, ne pas demander à l’écrivain qu’il suive des cours de matérialisme dialectique avant d’écrire. Nous n’avons vis-à-vis des écrivains qu’une exigence fondamentale : écrivez la vérité, représentez telle qu’elle est notre réalité, qui est, par elle-même, dialectique. Ainsi, la méthode fondamentale de la littérature soviétique est la méthode du réalisme socialiste [8].
5On ne désire pas imposer aux écrivains de nouveaux procédés littéraires, on leur demande de prendre leur place dans la tâche sociale commune, l’édification du socialisme. Plus qu’une esthétique nouvelle, le réalisme socialiste donne donc à l’artiste une fonction voire un statut social. Cette nouvelle ligne reçoit sa consécration officielle lors du premier Congrès des Écrivains soviétiques (17-31 août 1934), largement dominé par Gorki et marqué par trois discours importants, ceux de Constantin Radek, Nicolas Boukharine et Andréï Jdanov. Ce Congrès est largement commenté en France au cours des mois qui suivent.
6Contrairement à ce qui avait pu se passer pour les débats « politico-littéraires » antérieurs, le réalisme socialiste est mentionné très vite en France, dès la fin de 1932, et connaît même un développement intéressant en 1935, dans un contexte très marqué par l’engagement des écrivains autour et en faveur de l’URSS. Mais que peut signifier pour des écrivains français un concept directement lié à l’organisation politique de la littérature soviétique, élaboré sans réelle ambition d’exportation, et qui se définit de façon strictement « nationale » comme la participation à l’élaboration du socialisme en URSS ? Pour essayer de le comprendre, il faut d’abord évoquer le processus d’importation et d’acclimatation de cette notion. Nous verrons ensuite de quelle manière elle s’articule, plus ou moins bien, avec les débats qui l’ont précédée comme avec le contexte politique et intellectuel qui voit son apparition. Il faudra enfin dire un mot du rôle déterminant qu’a joué Aragon dans ce débat – et de l’importance de ce débat pour Louis Aragon lui-même.
Repères : les textes, les dates
7Les premières occurrences en France de cette expression, déjà signalées par Jean-Pierre Bernard dans une étude ancienne qui reste très précieuse par ses informations et ses analyses [9], se trouvent dans deux articles de L’Humanité signés par Jean Fréville [10], qui tient, depuis mars 1931, la rubrique littéraire hebdomadaire du quotidien communiste. Le premier, « L’œuvre littéraire de Gorki », date du 11 octobre 1932. Ce n’est qu’une approche indirecte de la notion, qui apparaît en filigrane, notamment lorsque Jean Fréville écrit : « Le réalisme de Gorki est dialectique, révolutionnaire, socialiste ». Mais l’article est dans son ensemble fidèle à la nouvelle ligne qui s’impose désormais aux écrivains d’URSS : fidélité à l’idéologie prolétarienne, compréhension des méthodes du bolchevisme et hommage à Gorki, qui présidera le premier Congrès de l’Union des Écrivains soviétiques à Moscou, du 17 au 31 août 1934. L’artiste doit être un acteur social, un militant comme Fréville l’affirme en fin d’article :
Ainsi, dans ses œuvres littéraires […] Gorki critique, flétrit ou exalte, mène le combat de classe. Il se distingue par là de cette catégorie d’écrivains qui pensent que décrire des milieux ouvriers suffit. C’est l’idéologie prolétarienne qui importe, — la liberté la plus complète étant laissée par ailleurs à l’écrivain pour exprimer sa sensibilité particulière. Parce que son œuvre baigne dans cette idéologie, et qu’il a su lui donner une forme artistique parfaite, Gorki est le premier écrivain prolétarien de ce temps-ci.
9L’expression « écrivain prolétarien », encore utilisée ici, sera vite dépassée, voire désavouée, et si l’expression « réalisme socialiste » n’apparaît pas explicitement, ses principales caractéristiques sont clairement affirmées : le rejet d’une littérature de description (ce sont les écrivains prolétariens français que Jean Fréville vise ici) au profit d’une littérature d’explication, la liberté dans les choix esthétiques mais, en revanche, l’adhésion nécessaire à l’« idéologie du prolétariat ».
10Le 5 décembre 1932, un deuxième texte du même Fréville, « La politique littéraire en URSS », constitue la première apparition de la notion dans un texte français. L’auteur, s’appuyant sur les débats tenus lors du Plénum du Comité d’organisation de l’Association des écrivains soviétiques (octobre-novembre 1932), fournit au lecteur français un récapitulatif très complet et précis des événements et des décisions politiques qui ont présidé à la dissolution des organisations littéraires d’avril 1932. Il a parfaitement saisi la situation et les enjeux de cette résolution. Rendant hommage à la RAPP qui a « bien mérité de la littérature prolétarienne », Fréville se tourne vers l’avenir, vers le rôle qui doit être désormais celui de l’écrivain soviétique : la participation à « l’édification du socialisme » est fortement soulignée ainsi que l’adhésion à l’idéologie du prolétariat et la « fidélité et le dévouement au pouvoir soviétique et au parti ». Engagement social, liberté artistique, mais fidélité idéologique :
De tous les problèmes théoriques posés, écrit Jean Fréville vers la fin de l’article, le plus important fut celui du réalisme socialiste. On exige de l’écrivain la vérité, non pas une photographie morte, un « documentaire » figé, mais une vérité qui découvre les perspectives et les tendances, qui montre la réalité dans son développement. Est-ce à dire que toute autre conception littéraire est bannie, que le romantisme révolutionnaire est condamné ? En aucun cas. Le romantisme rouge ne contredit pas à la vérité, il est une manière de la refléter. Ainsi toute latitude est laissée à l’écrivain qui fera œuvre d’art selon son tempérament propre.
12Ces informations sont confirmées peu après par La Littérature internationale de janvier 1933, qui publie le discours prononcé par Kirpotine (avec Gronski l’autre acteur principal en URSS de cette nouvelle politique), lors de ce même Plénum de novembre. Ce texte, élaboré à usage interne, est moins accessible au lecteur français, plus allusif et sera moins lu que les articles de L’Humanité. Fréville, qui confirmera par la suite ses talents de vulgarisateur, en avait en quelque sorte fourni une lecture complète, claire et accessible pour les non avertis, c’est-à-dire l’essentiel des lecteurs du quotidien communiste.
13La bonne réactivité des publications communistes et l’apparition rapide en France d’une notion encore en gestation en URSS sont trompeuses ; la réalité est beaucoup plus complexe. Cette nouvelle politique littéraire met les communistes français en porte-à-faux. Si l’accent mis sur l’idéologie prolonge les positions défendues jusque-là par Jean Fréville et le PCF, la condamnation du sectarisme de la RAPP et de ses satellites les embarrasse. En effet, l’hégémonie de la RAPP ne pesait pas seulement sur les organisations soviétiques, mais aussi sur les organisations internationales, notamment l’Union Internationale des Écrivains Révolutionnaires (UIER ou selon l’acronyme russe la MORP), créée au Congrès de Kharkov en 1930. Les débats y avaient tout particulièrement porté sur la situation de la littérature révolutionnaire en France et avaient abouti à une résolution condamnant les écrivains prolétariens proches d’Henry Poulaille, la revue Monde dirigée par Henri Barbusse et les surréalistes, c’est-à-dire les seuls groupes d’écrivains préoccupés par le développement d’une littérature révolutionnaire en France. Les organisateurs avaient pour cela largement exploité la présence d’Aragon au congrès et son hostilité maintes fois exprimée à l’égard de Monde et de Barbusse, celui que Breton avait exécuté d’un cinglant « ce vieil emmerdeur bien connu » [11].
14Dès la diffusion de cette résolution en France, à l’automne 1931, une violente opposition, longtemps souterraine et volontairement contenue de part et d’autre, avait éclaté au grand jour. Les « bannis » de Kharkov, regroupés autour de Monde, échangeaient critiques, apostrophes et invectives avec les représentants en France de l’UIER et les responsables communistes, en première ligne desquels Jean Fréville et Jacques Duclos. C’est donc au moment même où L’Humanité reprend publiquement à son compte les condamnations prononcées à Kharkov, où Barbusse et Poulaille sont dénoncés par le quotidien communiste comme des traîtres à leur classe, où se crée l’Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires chargée d’appliquer en France les directives de l’UIER et donc de la RAPP, qu’on apprend la dissolution de celle-ci. Au-delà des clivages esthétiques, des sensibilités littéraires et du parcours des uns et des autres, il faut désormais réaliser l’« union » de tous pour une tâche commune. Plus de prolétariens, de « compagnons de route » et d’écrivains « bourgeois » ou « décadents » mais des écrivains « soviétiques », collaborant, au même titre que les ouvriers, les paysans ou les cadres du parti à l’édification du socialisme. C’est la raison pour laquelle cette résolution et la politique qui l’a suivie ont pu, dans un premier temps, rassurer bien des compagnons de route, soviétiques ou français, victimes du sectarisme et des attaques incessantes de la RAPP et de l’UIER, et apparaître comme un démenti des méthodes de ces organisations et de leurs représentants en France : les responsables de la toute nouvelle Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires et les rédacteurs de L’Humanité. Dès le 14 mai 1932, Monde a fait connaître la résolution d’avril, et la commente ainsi quelques semaines plus tard :
Staline a dissous la RAPP ; personne ne le regrettera : c’était une censure et non un mouvement littéraire. […] Les « compagnons de route » espèrent que la liquidation de la RAPP marque le commencement d’une ère de liberté d’expression et la fin de la critique haineuse, injurieuse et sans idées constructives [12].
16On comprend ce que signifient pour Fréville et L’Humanité cette nouvelle ligne et la condamnation du sectarisme, du « dogmatisme stérile », des querelles, des polémiques dont la RAPP s’était rendue coupable, bref de ce qu’on peut appeler « l’esprit de Kharkov ». On comprend aussi qu’il n’ait annoncé la résolution du 23 avril que le 3 décembre, alors qu’elle était déjà connue et commentée en France, et qu’il peine à reprendre un discours d’ouverture qui était jusque-là celui de ses plus farouches adversaires. On mesure sa perplexité. Que devient, dans ce nouveau contexte, l’Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires, alignée sur l’ancienne politique [13], qui a fait le vide autour d’elle et se trouve réduite à quelques membres : son secrétaire général, Paul Vaillant-Couturier, qui vient de rentrer en France, Jean Fréville, secrétaire adjoint, et quelques intellectuels, Léon Moussinac, Paul Nizan et, à bonne distance, Aragon, encore empêtré dans la liquidation déchirante de son passé surréaliste ? Des révisions s’imposent et Paul Vaillant-Couturier, après s’être violemment opposé dans les premiers mois de 1932 à Barbusse, accepte, à l’automne de cette même année, la nouvelle politique de rassemblement. En décembre, une circulaire signée Paul Vaillant-Couturier, Léon Moussinac, Francis Jourdain et Henri Barbusse, qui est rentré en grâce et a rejoint l’association, confirme cette révision tactique et organisationnelle. La dimension esthétique passe désormais au second plan. Certes, le réalisme socialiste sera le mot d’ordre de la future Union des Écrivains soviétiques mais il ne concerne pas pour l’instant la France. Paul Vaillant-Couturier en reste à d’anciennes formules : le 21 mars 1933, proposant le programme de l’Association en six points, il parle encore de littérature et d’art « prolétariens » [14].
17Il n’est guère question, pendant plus d’un an, de « réalisme socialiste » dans la presse française, y compris communiste. L’Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires poursuit sa mutation et développe sa nouvelle politique sur un autre terrain, nous y reviendrons. La seule contribution intéressante en 1933 concerne la littérature soviétique. Karl Radek propose le roman de Cholokhov, Terres défrichées, comme une magnifique illustration de ce que sera cette nouvelle esthétique littéraire [15]. Ce roman peut constituer un modèle, une œuvre de référence, peut-être les premiers, pour une notion qui restait jusque-là abstraite, théorique : « Le mot d’ordre n’avait pas encore été lancé dans les milieux littéraires, écrit-il, lorsque Cholokhov écrivit un roman, et pourtant cette œuvre est un modèle de réalisme socialiste » [16]. Radek regrette que la littérature soviétique antérieure n’ait pas toujours su « donner des images dignes de l’œuvre grandiose que réalise la classe ouvrière de l’URSS » [17]. Beaucoup n’ont pas dépassé un calque photographique ou un schéma superficiel ». Cholokhov au contraire a réussi à brosser « un vaste tableau, d’une immense portée artistique, de la grande lutte pour la collectivisation agraire » [18]. Cette réalisation illustre donc ce que doit être la nouvelle littérature soviétique : la contribution à la construction d’un monde nouveau. Le réalisme socialiste n’est pas un ensemble de recettes, mais définit un statut social, une tâche d’utilité publique : « Il ne nous parle pas en simple spectateur étranger à ce qu’il décrit : il participe directement à ce processus historique complexe qui fait de la masse des petits paysans propriétaires une masse de travailleurs socialistes » [19]. Si Gorki est consacré figure tutélaire de ce nouveau concept, Cholokhov en est le premier représentant.
18Ce qui lance véritablement une réflexion, pour l’instant à peine entamée, c’est, en 1934, le Premier Congrès des Écrivains soviétiques, d’autant plus suivi en France que des écrivains français, et non des moindres, y participent : André Gide, André Malraux, Paul Nizan, Aragon, Jean-Richard Bloch [20]. Contrairement à ce qu’avait pu être le Congrès de Kharkov, celui-ci est à usage interne [21]. Mais la nouvelle politique littéraire, et tout particulièrement le réalisme socialiste, trouve là une tribune efficace. On peut ainsi relever, sans prétention d’exhaustivité, un ensemble de textes qui montrent la présence de ces nouveaux principes en France au cours de l’année 1935. Ils forment un corpus assez éclectique mais suffisant pour esquisser les contours de ce qu’on entend alors en France par « réalisme socialiste », corpus d’autant plus intéressant qu’il s’applique peu à peu à la production littéraire française et non plus aux seuls auteurs soviétiques [22]. On y trouve :
19Une série d’articles de Paul Nizan, publiés dans diverses revues, surtout dans Monde, entre janvier et août 1935 [23] et tout particulièrement son compte rendu du livre d’Aragon Pour un réalisme socialiste (L’Humanité, 12 août 1935).
20Des articles théoriques plus isolés comme celui de Ioudine et Fadeïev, « Le réalisme socialiste » (Commune, juin 1934) ou la traduction du discours de Jdanov au Congrès dans Les Cahiers du bolchevisme (septembre 1934).
21Plusieurs contributions théoriques de Fréville, tout particulièrement « Marx et Engels et la tendance en littérature », Monde, 1er mars 1935.
22Quelques articles parus dans la presse communiste, comme le compte rendu des Cloches de Bâle (René Garmy, L’Humanité, 31 décembre 1934) ou celui des Beaux quartiers (Georges Sadoul, Commune, décembre 1936).
23Enfin des articles publiés par Aragon dès mars-avril 1934, notamment le compte rendu d’Antoine Bloyé de Nizan (Commune, mars-avril 1934) et surtout les conférences qu’il prononce entre avril et juin 1935, rassemblées aussitôt dans Pour un réalisme socialiste (1935), principale (et unique ?) contribution théorique française au débat.
24Comme nous allons maintenant le voir, ces textes, prolongeant les articles de Constantin Fréville ou de Karl Radek que nous venons d’analyser, s’inscrivent dans une logique strictement politique : peut se réclamer du réalisme socialiste l’écrivain qui adhère à l’idéologie du prolétariat, c’est-à-dire aux positions du Parti communiste.
En quête d’une définition
Je réclame le retour à la réalité. […] Nous autres, les alliés du prolétariat révolutionnaire, ses frères de combat, nous avons pour devoir de jeter à bas ce trompe-l’œil, nous avons tout à attendre de la dénonciation de la réalité. Nous n’avons rien à cacher, et c’est pourquoi nous accueillons comme une parole joyeuse le mot d’ordre de la littérature soviétique, le réalisme socialiste.
26Dans le discours qu’il prononce en juin 1935 à la tribune du Congrès pour la défense de la culture, Aragon réclame à plusieurs reprises le « retour à la réalité » [24] et fait de ce retour le principe même du réalisme socialiste. Son talent d’orateur et de rhétoricien est tel que l’assimilation des deux expressions semble désormais acquise. Le réalisme socialiste français s’est trouvé un défenseur et une direction. Georges Sadoul entérine l’année suivante cette proposition :
Le réalisme socialiste, dont Aragon se réclame et dont il a, à plusieurs reprises, avec tant d’autorité, exposé les fondements, n’a-t-il pas déjà, comme un de ses premiers mots d’ordre, le « retour au sujet » [25] ?
28Pourtant ce mot d’ordre n’a rien de neuf. Les « bannis » de Kharkov, ceux de Monde ou du groupe Poulaille, et avant eux les journalistes qui animaient avec Barbusse la page littéraire de L’Humanité, n’ont cessé de dénoncer depuis des années la littérature de fuite, dans l’exotisme, dans le rêve ou dans les abîmes de la vie intérieure ; ils ont pourfendu les acrobaties verbales gratuites, la virtuosité stérile, le goût du scandale ou de la morbidité, c’est-à-dire tout ce qui leur paraissait caractériser, à tort ou à raison, la littérature bourgeoise d’alors ; ils ont appelé à une littérature en prise avec la réalité sociale et politique. Bien des romanciers français n’avaient d’ailleurs pas attendu Aragon et 1934 pour entamer ce « retour » ; une bonne partie de la littérature des années vingt et du début des années trente était déjà « revenue » depuis longtemps au réel, ou même, ne s’en était jamais éloignée.
29Quelle est de plus l’ambition de ce retour ? Revenir au réel, certes, mais pour quoi faire ? Comme nous avons pu déjà le percevoir, il ne s’agit pas de décrire ou de « photographier » (c’est le mot qui est le plus souvent utilisé) le réel, comme le ferait un réalisme qualifié d’étroit, mais de le comprendre. Les textes cités récusent la première attitude et l’assimilent au « naturalisme », tout en revendiquant la deuxième dont ils trouvent la source et le modèle chez les grands réalistes du xixe siècle. L’opposition Zola/Balzac est alors largement exploitée et révèle une profonde transition. Le « retour à Zola » qui avait fortement marqué la fin des années Vingt [26] n’entre plus dans la nouvelle ligne. « Le réalisme socialiste ne peut partir du naturalisme d’un Zola qui propose de décrire la réalité telle qu’elle est et seulement ainsi », déclare Boukharine à la tribune du Congrès des Écrivains soviétiques.
30Le rejet de Zola et du naturalisme laisse alors la place à un autre « retour », celui de Balzac, présenté comme le véritable précurseur de ce réalisme nouveau qui ne se propose pas de peindre le réel mais de le radiographier, d’en faire l’analyse et le diagnostic. On devine, derrière cette opération, l’intention polémique, voire le règlement de comptes. À travers Zola, ce sont ses épigones que l’on vise, les nouveaux naturalistes que sont les prolétariens regroupés autour de Poulaille. C’est eux que dénonce Fréville en février 1932, en des termes qu’il pourrait utiliser contre Zola : « Cette littérature qui vise au document humain, à la reproduction photographique des êtres est fausse. Fausse par omission » [27]. Quelle omission ? Que manque-t-il donc à ce réalisme prétendument étriqué ? Il montre mais n’explique pas, n’oriente pas le lecteur vers des conclusions, faute d’un socle idéologique fort et cohérent. Le réalisme nouveau, véritablement révolutionnaire, c’est-à-dire le réalisme socialiste, empruntera à Balzac cette ambition pédagogique :
Le plus grand romancier, écrit Nizan, sera celui qui sera capable de fonder la description de l’événement sur la connaissance aussi complète qu’il le pourra de ses composantes. On trouve dans Balzac quelque chose de cette capacité suprême du romancier [28].
32Se réclamer de Balzac contre Zola, c’est donc se démarquer d’une école prolétarienne que l’on qualifie de « naturaliste » tout en renouant avec les textes fondateurs de Marx et Engels que l’on redécouvre à cette époque [29]. Cette annexion de l’auteur de la Comédie humaine ne va pourtant pas de soi ; son exemple peut aussi être utilisé par des auteurs hostiles au « réalisme socialiste ». L’exemple de Balzac est aussi revendiqué par ceux qui veulent souligner la contradiction entre les engagements de l’auteur et la signification de l’œuvre. Sur cette contradiction s’appuie la notion de « victoire du réalisme », reprise d’Engels et de la célèbre « lettre à Miss Harkness » :
Le fait que Balzac a été obligé d’agir contre ses sympathies de classe et ses préjugés politiques, le fait qu’il a reconnu l’inévitable déchéance de ses chers aristocrates et qu’il les a dépeints comme des hommes ne méritant pas un meilleur sort, le fait qu’il a découvert les véritables hommes de l’avenir, je tiens cela pour une des plus grandes victoires du réalisme, pour une des plus grandes qualités du vieux Balzac.
34Au plus fort de son rejet des thèses de Kharkov et de sa critique du sectarisme, Monde publiait un article dans lequel Rosa Luxembourg remarquait de la même manière que Dostoïevski était « un réactionnaire avéré, un mystique dévot et un antisocialiste farouche », ce qui n’enlevait rien à la grandeur et à l’apport de son œuvre [30]. Parler de « victoire du réalisme » revient ainsi à défendre l’autonomie de l’art et de l’artiste en plaçant le sens dans l’œuvre elle-même, non dans les convictions ou les engagements de son auteur. Georg Lukàcs, un des maîtres d’œuvre de la redécouverte et de la publication des textes fondateurs du marxisme, un des grands défenseurs de Balzac [31] et Tolstoï, souhaite orienter dans ce sens le tout nouveau « réalisme socialiste ». Et c’est aussi dans cette voie que Monde et Barbusse tentaient de définir, dans les années 1931-1932, un « réalisme social » français, à la fois héritier du grand réalisme du xixe siècle et soucieux de donner à l’œuvre une dimension humaine et sociale. Mais ce n’est pas ainsi que se définit le « réalisme socialiste » dans les textes de notre corpus. Paul Nizan, nous l’avons vu, se réclame de l’exemple de Balzac qui fonde le véritable réalisme sur la connaissance du réel, mais il poursuit son analyse par ces mots qui changent tout : « Cette connaissance, seule peut la donner la pratique de la pensée révolutionnaire ». S’appuyant sur le discours de Boukharine au Congrès de 1934, il rapproche « réalisme socialiste » et « matérialisme dialectique », le second étant, à ses yeux, indispensable au premier car, écrit-il, « Une grande littérature du présent requiert cette perspective générale sur l’histoire ». Il ne s’agit donc plus de victoire du réalisme mais bien de triomphe de l’idéologie.
35Jean Fréville reconnaît, pour sa part, qu’Engels et Marx ont pu reprocher à Vallès d’être devenu un écrivain « tendancieux » [32]. Mais il précise aussitôt qu’il serait « erroné de croire qu’ils s’élèvent contre la tendance en littérature. Au contraire, ils estimaient que la littérature atteignait sa plus grande puissance et sa plénitude entière quand elle exprimait la réalité sociale, réalité sociale que seule interprétait exactement l’idéologie de la classe ouvrière, l’idéologie du parti révolutionnaire ». Fréville voit dans le « réalisme socialiste » non pas un prolongement mais plutôt un dépassement de l’héritage balzacien :
C’est la pensée de Marx et d’Engels que la littérature soviétique a recueillie en se prononçant pour le « réalisme socialiste » : elle reprend ainsi l’héritage du vieux réalisme de Balzac et, le débarrassant des œillères et des bornes que lui avaient imposées les classes dominantes, elle en fait un instrument de connaissance d’une efficacité encore inégalée [33].
37Dans l’analyse de Fréville, Gorki dépasse le réalisme des romanciers du siècle précédent et notamment celui de Balzac non par son seul talent d’écrivain mais par son adhésion à l’idéologie du prolétariat :
Il est très instructif de connaître que Gorki dans sa lutte contre le système de Tolstoï et Dostoievski et contre ses épigones décadents a appris beaucoup, d’après ses propres aveux, chez les réalistes français, en particulier chez Stendhal et Balzac, mais il y a une grande différence de part et d’autre entre Gorki, Stendhal et Balzac en ce qui concerne le sens de la pratique sociale, de la dialectique des processus sociaux. […] La tâche principale du réalisme socialiste, c’est la lutte pour la destruction du régime des propriétaires privés et pour le triomphe du socialisme [34].
39Comme Fréville qui défend un art de parti, Nizan reste fidèle à la position très combative qui a toujours été la sienne et à son goût des formules abruptes : « Toute littérature est une propagande, écrit-il en 1932. […] L’art est pour nous ce qui rend la propagande efficace, ce qui est capable d’émouvoir les hommes dans le sens même que nous souhaitons » [35]. Cette conception est conforme à ce qui se construit en URSS, où, ne l’oublions pas, le « réalisme socialiste » exige des créateurs qu’ils participent à la construction du socialisme, en gardant le choix de leurs moyens artistiques, mais en s’alignant sur l’idéologie officielle. Dans les articles de 1933 auxquels nous nous sommes déjà référés, Radek lit dans Terres défrichées « la preuve certaine que le mouvement de collectivisation agricole aura raison de la nature petite-bourgeoise des paysans ». Cette conception strictement idéologique doit être rapprochée des comptes rendus critiques de Paul Nizan, proposant, avec un incontestable talent de plume, une lecture brillante mais étroitement idéologique des romans français contemporains. Il utilise rarement l’expression de « réalisme socialiste » [36] mais il met en place une grille de lecture parfaitement en accord avec les principes de cette esthétique. L’engagement politique en est le critère central :
Le roman politique qui veut satisfaire aux conditions générales de réalité du roman, exige du romancier un engagement et une action. […] Tout presse le romancier d’écrire des romans politiques : il ne les écrira pas de l’extérieur de la politique [37].
41Le Temps du mépris est à ses yeux supérieur aux romans précédents de Malraux car écrit « de l’intérieur » de la politique :
Malraux a avancé depuis La Condition humaine. Il est un des plus grands parmi nous. La mort, la solitude, les évasions dominaient La Condition humaine : c’était le roman des solitaires. Le Temps du mépris annonce le temps de la « fraternité virile ». Livre entièrement positif, tourné vers l’affirmation de certaines valeurs, moins complexe que La Condition humaine, plus fort [38].
43C’est parce que l’auteur décrit la condition ouvrière de l’intérieur, qu’il faut lire, écrit Nizan, Tu seras un ouvrier et que « l’entrée dans la littérature de Georgette Guéguen paraît plus importante que les fuites subtiles de Marguerite Yourcenar » [39]. Le romancier doit être révolutionnaire, c’est-à-dire adhérer à une idéologie et mettre sa création au service de cet engagement. Aragon est, aux yeux de Nizan, le meilleur exemple de ce nouvel esprit et de cette nouvelle esthétique :
L’histoire d’Aragon est assez exemplaire. Elle est celle d’un homme qui a saisi comment il y avait une littérature de parti du moment où il est entré dans les rangs de ceux qui travaillaient réellement à transformer la réalité. C’est là le réalisme socialiste [40].
45Ou, pour le dire de façon encore plus nette :
Le romancier révolutionnaire est un homme qui adhère à un certain univers et affirme son adhésion [41].
47Aragon ne définit pas autrement le réalisme socialiste dans son commentaire du roman de Nizan Antoine Bloyé :
[…] C’est par son idéologie que vaut, au delà du style et le dominant, le premier roman de notre camarade Nizan. […] C’est là ce qui fait de ce livre non pas seulement un ouvrage naturaliste mais l’expression de ce réalisme socialiste (pour reprendre l’expression de nos camarades soviétiques), où la réalité a son visage de classe, où le réel n’est pas une fin mais un moyen de transformation, sa propre transformation révolutionnaire. C’est là un livre où se retrouvent et s’unissent Paul Nizan, écrivain, et Paul Nizan, militant communiste [42].
49C’est d’ailleurs au nom de cette conception étroitement idéologique que le critique de L’Humanité René Garmy s’avouera déçu par Les Cloches de Bâle :
Notre camarade a […] trop la passion de servir pour ne pas renforcer, dans ses prochaines œuvres, l’éclairage idéologique sans lequel il n’est point de littérature vraiment révolutionnaire [43].
51Le camarade en question aura au contraire l’intelligence de comprendre que cette définition très étroite, qu’il fait pourtant sienne, est en réalité une impasse, en totale contradiction avec l’esprit de rassemblement qui domine cette année 1935. La « passion de servir », ainsi qu’un intérêt personnel bien compris conduiront Aragon à abandonner cette conception strictement idéologique du « réalisme socialiste », conception qui anime les quelques textes consacrés entre 1932 et 1935 à cette question par la presse communiste française, en accord avec les orientations données à Moscou.
Un appauvrissement du débat littéraire
52Une telle orientation s’oppose délibérément aux débats menés jusque-là autour de la notion de littérature révolutionnaire et à ses principales orientations ; en même temps, elle les simplifie. On ne peut présenter ces réflexions des années 1932-1935 sur le réalisme socialiste, sans les confronter aux réflexions, riches et complexes, qui, s’enracinant elles-mêmes dans une tradition déjà ancienne, marquent la décennie précédente.
53On connaît bien les débats français sur la littérature révolutionnaire et ses diverses définitions dans les années Vingt [44]. Dans le prolongement de quelques prédécesseurs (Charles-Louis Philippe, Marguerite Audoux, Émile Guillaumin, ou Pierre Hamp), l’anthologie Des ouvriers écrivent, préfacée par Barbusse (1925), les premiers romans d’Henry Poulaille, Ils étaient quatre (1925), de Panaït Istrati, Oncle Anghel (1925) et de Louis Guilloux, La Maison du peuple (1927), ouvrent une voie que bien d’autres suivront, chacun à sa façon, d’Eugène Dabit à Tristan Rémy, sans oublier Jean Giono, mais aussi Marcel Aymé, Jean Prévost ou Céline. Un large débat accompagne cette production. Le journal de Barbusse Monde, qui s’est donné pour objectif de « dégager le grand mouvement de littérature prolétarienne » [45], consacre de nombreux articles à cette question et ouvre surtout, en août 1928, une grande enquête, recueillant les réponses de trente-trois écrivains qui vont paraître entre août et décembre 1928. Le 27 août 1929, Lemonnier fait paraître son premier manifeste, « Le roman populiste » dans L’Œuvre, puis en collaboration avec André Thérive, le Manifeste du roman populiste (1930). Le thème est à la mode, Les Nouvelles littéraires lui consacrent une enquête entre juillet et septembre 1930. Il est aussi l’enjeu de polémiques et de débats très vifs : c’est dans la réfutation du populisme que Poulaille met au point les réflexions qui aboutiront à son manifeste, Nouvel Âge littéraire (1930). Ces débats sont, bien entendu, nourris par les réflexions des précurseurs qu’ont été Trotski [46], Marcel Martinet ou Victor Serge.
54Les années 1928-1931 sont donc des années très riches en débats et réflexions autour d’une notion aux contours très flous et à la dénomination très mouvante : littérature populaire, populiste, prolétarienne, révolutionnaire, sociale ? Aucun qualificatif ne s’impose, aucun modèle non plus, et surtout pas ceux qui pourraient paraître légitimés par une quelconque autorité, idéologique ou politique. La littérature soviétique intéresse, bien sûr, mais dans sa diversité, et les « compagnons de route » autant sinon davantage que ceux qui sont officiellement qualifiés de « prolétariens ». On a même tendance, à Monde ou autour de Poulaille, à défendre ceux qui sont en butte aux critiques des organisations communistes et de la RAPP, tels Eugène Zamiatine ou Boris Pilniak, car on s’assimile (surtout après le Congrès de Kharkov) à ces francs-tireurs qui veulent être dans la révolution mais en restant des hommes libres [47]. Le 7 décembre 1931, Monde organise une réunion-débat autour de la littérature prolétarienne et du manifeste que le journal vient de publier. Sont réunis des représentants de toutes les tendances : Barbusse et Léon Werth pour Monde, Jean Guéhenno et Jacques Robertfrance pour Europe, André Chamson, Henry Poulaille, Louis Guilloux, Marc Bernard, Tristan Rémy, jusqu’à Léon Lemonnier pour le populisme. Le débat tourne à l’affrontement après l’intervention de deux perturbateurs prétendant défendre les thèses de Kharkov et représenter une Association des Écrivains révolutionnaires. Cet incident monté en épingle par L’Humanité sert de point de départ à la vive polémique qui, comme nous l’avons signalé en ouverture, oppose au début de 1932 les communistes et « les autres ». Il est mineur mais très révélateur de la position marginale et excentrée des communistes face à ce qu’est alors le débat sur la littérature prolétarienne. Ajoutons que ces réflexions s’appuient sur une riche production, dont les nombreux comptes rendus dans la presse contribuent fortement au débat.
55La richesse de celui-ci réside aussi dans la vaste palette des questions abordées. Sans entrer dans le détail, signalons les principales.
56L’origine sociale de l’écrivain est le premier sujet d’opposition et de controverses ; doit-il être d’origine prolétarienne ? Pour Henry Poulaille, la réponse est « oui », sans discussion possible. Tristan Rémy résumera ainsi sa position, partagée par ceux qui l’entourent, à un moment où lui-même s’en sera éloigné : « Ils mirent l’authenticité à la base de leurs écrits. Ce n’était pas un néoréalisme ; il ne fallait pas avoir vu mais avoir vécu. Elle substituait à l’observation une prise de contact par le dedans » [48]. Voir apparaître au sein du peuple, parmi les paysans ou les ouvriers, des écrivains capables de s’exprimer au nom de ceux qui n’ont jamais eu la parole, est un rêve qui devient au début du siècle une réalité, par l’accès à la culture et à l’expression littéraire de boursiers comme Péguy, Guéhenno ou plus tard Camus, mais aussi par l’émulation de l’exemple et la constitution de réseaux. Un des grands mérites de Poulaille se situe là : briser les complexes, encourager et conseiller, donner l’envie et les moyens d’entrer en littérature. Toute une génération d’écrivains issus du peuple lui doit beaucoup. Cette ambition peut aussi être militante et s’inscrire dans une stratégie sociale ou politique ; c’est en URSS l’ambition du Proletkult [49] dès les premiers mois de l’installation du pouvoir soviétique, une ambition qui va se traduire par le mot d’ordre des « correspondants ouvriers », les « rabcors », censés prendre la relève des écrivains bourgeois. Les tentatives seront nombreuses, y compris dans Monde et L’Humanité mais les résultats peu probants. L’anthologie Des ouvriers écrivent, résultat d’un concours lancé par L’Humanité, qui paraît aux Éditions Sociales Internationales est, en 1934, le témoignage dépassé d’une ambition désormais abandonnée. Cette forme de « spontanéisme naïf » soulève beaucoup de scepticisme, pour des raisons diverses mais essentiellement esthétiques : pour Barbusse et Monde, l’entreprise doit être encouragée mais avec prudence ; écrire est un métier qui suppose apprentissage, maîtrise et talent : « La spontanéité de l’inspiration se concilie parfaitement avec le fini du travail. Et le métier d’écrire a ses exigences comme le métier de jardinier », écrit Augustin Habaru à propos du Pain quotidien de Poulaille [50]. Guéhenno exprime les mêmes réserves face au mépris affiché par Poulaille pour le « bien écrire » :
Écrire un livre, c’est d’abord un métier. J’estime que les écrivains du peuple ont moins que personne le droit de l’ignorer. […] Je ne veux pas qu’on reconnaisse les romans « prolétariens » à ce qu’ils sont des romans mal faits [51].
58Et Habaru toujours, rendant compte de l’ouvrage de Pierre Rochebonne, Nous les gueules noires, note, sévère : « Quand l’ouvrier se met à écrire, il tombe facilement dans la pire littérature. En voici un nouvel exemple » [52].
59Tous s’accordent cependant pour rejeter les écrivains mondains ou lettrés dont l’œuvre s’appuie sur une expérience trop étroite de la vie : le « retour au réel » qu’Aragon va prôner dix ans plus tard est déjà une réalité pour bien des écrivains des années Vingt, désireux de tourner le dos à une littérature « psychologique », qu’ils jugent artificielle et abstraite. La littérature de guerre a fortement contribué à ce « retour ». S’il n’est pas issu du peuple, l’écrivain doit aller vers lui, multiplier les expériences et les contacts, « ouvrir les fenêtres » :
S’il veut créer une esthétique nouvelle, le poète doit tuer en lui le jongleur de mots et le scrutateur d’inconscients ; il doit se tourner vers les masses laborieuses et souffrantes, se confondre avec elles, participer à l’élaboration douloureuse de leur conscience. Alors seulement il découvrira les éléments de cette esthétique nouvelle vers laquelle tend désormais sa pensée [53].
61Certes, cette littérature nouvelle ne peut se définir uniquement par les sujets qu’elle choisit, comme prétend le faire le populisme. Mais elle devra privilégier la collectivité contre l’individu, le social contre l’égotisme, la fresque contre l’introspection, Zola contre Proust. On suit ainsi avec grand intérêt la production de John Dos Passos ou Jules Romains, comme on se déclare résolument héritier de Walt Whitman.
62Les questions esthétiques sont également au cœur des débats, opposant ceux qui, comme Poulaille, revendiquent avec provocation leur « indifférence à l’égard du bien écrire » et ceux, les plus nombreux, qui savent que la sincérité, l’authenticité, le tempérament ne suffisent pas. Mais même parmi ceux-là, les partisans d’un classicisme un peu scolaire [54] sont eux-mêmes très éloignés des novateurs, plus ouverts aux apports de l’avant-garde, le cubisme ou le futurisme. Si ce dernier est très méconnu en France, confronter les réactions suscitées en 1930 par la mort de Maïakovski suffirait à montrer la diversité des points de vue. Globalement, les innovations formelles paraissent à des écrivains, révolutionnaires quant au fond mais très classiques dans la forme, des « acrobaties verbales » gratuites et propres à une littérature bourgeoise et dépassée. Seul Henri Barbusse adopte une position beaucoup plus ouverte aux innovations que ne pourrait le laisser croire l’image un peu compassée qu’ont donnée de lui les invectives surréalistes.
63De toutes ces questions qui viennent alimenter un débat parfois confus mais extrêmement riche, celle de l’engagement n’est pas la moins sensible. L’écrivain, qu’il se dise prolétarien, populiste, révolutionnaire ou social, doit-il s’engager au service d’une idéologie voire d’un parti ? Un consensus en faveur de l’indépendance d’esprit se dégage nettement. Conscience sociale et conscience de classe ? Oui. Engagement révolutionnaire ? Également oui. Mais méfiance à l’égard des partis et des organisations. Au plus fort du débat et de la mobilisation pour une littérature révolutionnaire, Barbusse ne parvient pas, malgré de nombreuses tentatives, à vaincre ces résistances et à créer en France une organisation d’écrivains prolétariens ou révolutionnaires. Malgré son désir de se placer sur des positions beaucoup plus ouvertes que ce qu’exigent les organisations rattachées à l’Internationale communiste, désir qui l’expose, en 1932, à de violentes attaques et à des menaces d’exclusion, il se heurte en permanence, au refus de tout engagement partisan de la part des écrivains sollicités. Les positions sectaires de la conférence de Kharkov renforcent les craintes des écrivains français et contribuent à ruiner les efforts de Barbusse, isolant les communistes, les excluant de tous ces groupes qui cherchent à donner vie à une littérature nouvelle, en rupture avec la littérature bourgeoise. Ce refus du dogmatisme, ce rejet de l’engagement, deviennent même militants à partir de 1931, lorsque les thèses de Kharkov sont diffusées en France et reprises, avec beaucoup d’agressivité par L’Humanité et les revues communistes. La littérature de parti, le « verbiage sectaire », la « vulgate pseudo-marxiste » défendue par Jean Fréville ou Bruno Iasenski deviennent les cibles de Monde et des écrivains prolétariens qui entrent véritablement en guerre contre L’Humanité et l’AEAR. Cet extrait d’un article paru dans Monde le 26 mars 1932 en est un exemple significatif :
Au n° 4 (de la revue Littérature de la révolution mondiale, organe de l’UIER, note P.B.), une lettre ouverte à la direction de la revue Fronts nous apprend que Marcel Martinet est un « renégat de la littérature prolétarienne ». Les rédacteurs de Monde sont « une bande d’écrivains bourgeois et social fascistes ». Quant à Poulaille, il est « un agent de la bourgeoisie » ou pour parler avec toute la précision d’une méthode scientifique, un agent de M. Poincaré. […] Ces jugements nous paraissent relever du Bulletin paroissial plutôt que de la préface à la Critique de l’Économie politique. […] Inclinons-nous ! Et répétons notre leçon de marxisme :Martinet est un renégatPoulaille est un agent de PoincaréAragon est un grand poète révolutionnaire.
65Un dernier signe de l’appauvrissement de ce débat au début des années trente peut nous être fourni par la réception de la littérature soviétique en France. Les années 1926-1930 voient la parution des écrivains les plus représentatifs de la jeune littérature soviétique. En 1926, L’Année nue de Boris Pilniak ouvre la collection « Jeunes Russes » chez Gallimard dont le catalogue proposera, entre autres, les œuvres de Lidya Seïfoulina (Virineeya, 1927), Vsevolod Ivanov (Le Train blindé n° 1469,1928), Valentin Kataïev (Rastratchiki, 1928), Ila Ehrenbourg (Rapace, 1930), Constantin Fédine (Les Cités et les années, 1930) et Mikhaïl Zochtchenko (La Vie joyeuse, 1931). Aux Éditions Sociales Internationales paraissent au même moment Iouri Libedinski (La Semaine, 1927), Fëdor Gladkov (Le Ciment, 1928), Alexeï Demidov (Le Tourbillon, 1929), Alexandre Fadeïev (La Défaite, 1929) Fëdor Panferov (La Communauté des gueux, 1930), Alexandre Serafimovitch (Le Torrent de fer, 1930), Dmitri Fourmanov (Tchapaiev, 1932). De leur côté, les éditions Rieder publient Cavalerie rouge d’Isaac Babel (1928) et Le Chemin des tourments d’Alexeï Tolstoï (1930). Ces titres montrent à quel point, durant cette période, la production littéraire soviétique est largement et rapidement traduite en France, accueillie dans des collections spécialisées et servie par des traducteurs qui sont aussi par leurs articles ou leurs comptes rendus des médiateurs de la culture russe (Victor Serge, Parijanine, Gustave Aucouturier, Vladimir Pozner, Dumesnil de Gramont, etc.).
66En 1933, paraissent deux traductions concurrentes de la même œuvre de Cholokhov, Podniataia Tselena, dans les deux collections rivales (Les Défricheurs chez Gallimard, Terres défrichées aux Éditions Sociales Internationales). Ce roman est la première œuvre traduite explicitement assimilée au réalisme socialiste (nous en avons parlé) et la dernière œuvre qui suscite un écho en France. Les traductions vont ensuite considérablement diminuer, en quantité mais aussi en notoriété. La collection « Ciment » créée par les ESI n’aura que deux titres (Et l’acier fut trempé d’Ostrovski, 1937 et Légion 14 de Fink en 1938). La Collection « Jeunes Russes » propose seulement deux titres entre 1934 et 1939 contre treize entre 1926 et 1933. Plus significative encore me paraît être la discrétion de cette réception à partir de 1933. Entre 1926 et 1933, les œuvres et les courants de la littérature soviétique (perçus de façon parfois schématique mais dont la répartition chez les deux principaux éditeurs est très significative), suscitant débats et polémiques, s’intègrent à la réflexion sur le devenir de la littérature révolutionnaire ; on s’engage pour les « compagnons de route », Pilniak et Babel, ou au contraire pour Gladkov, symbole de l’orthodoxie prolétarienne [55]. Le moindre compte rendu prend alors un sens politique et parmi les principaux griefs que l’Internationale Communiste formulera à l’encontre de Monde figurent en bonne place les critiques indulgentes à l’égard de Pilniak et sévères pour La Défaite de Fadeïev [56].
67On mesure donc à quel point le réalisme socialiste tel qu’il s’esquisse entre 1932 et 1935 est en rupture et en retrait par rapport aux débats précédents, touffus, parfois confus, mais riches de propositions, de réflexions et d’œuvres, françaises ou étrangères. Loi d’enrichir ou de relancer la réflexion, le réalisme socialiste en marque au contraire le tarissement et la fin. Porté par ceux qui étaient encore en 1932 les « têtes de turc » des écrivains prolétariens (et tout particulièrement Jean Fréville), il ne mobilise et ne concerne que quelques écrivains militants qui ne retiennent qu’un seul critère, l’idéologie de l’auteur, c’est-à-dire son alignement sur les positions du Parti communiste. Cette crispation idéologique semble en complète contradiction avec la mobilisation antifasciste très marquée chez les intellectuels français à partir de 1932. Mais elle est parfaitement conforme à la politique menée jusque-là par le PCF en direction de ces mêmes intellectuels. C’est seulement au cours de l’année 1934, lorsque la stratégie de front commun se substitue à la ligne « classe contre classe », que les communistes français, sur instruction de l’IC, tentent peu à peu, et non sans débats internes, de récupérer ce changement d’état d’esprit à leur égard. Le réalisme socialiste tel qu’il est alors compris n’est certainement pas le meilleur outil pour y parvenir Les méfaits d’une position aussi étroite sont toutefois estompés par deux éléments importants : la marginalisation du débat littéraire et l’action d’Aragon.
Marginalisation du débat littéraire
68L’année 1932 est pour l’histoire des intellectuels français une année charnière, celle qui voit l’affrontement très vif des communistes et des « révolutionnaires indépendants », celle qui voit aussi la naissance du noyau autour duquel vont peu à peu se regrouper et s’organiser ceux qui étaient quelques mois auparavant de farouches adversaires. Henri Barbusse, vilipendé et menacé d’exclusion au printemps, rentre en grâce à l’automne. Entre-temps deux faits très importants se sont produits : le changement de politique littéraire dont nous avons parlé et le congrès d’Amsterdam, en août 1932, qui montre la capacité de Barbusse à mobiliser largement au-delà de la zone d’influence du PCF. Les deux événements ne se situent pas sur le même plan mais semblent montrer les limites et les dangers de la stratégie sectaire, combative, qui restera pourtant jusqu’en 1934 celle de l’Internationale Communiste. Pour les écrivains et les intellectuels, l’heure est désormais à la mobilisation. L’Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires nouvelle formule voit le rapprochement ou l’adhésion d’Eugène Dabit, de Tristan Tzara, de Malraux, de Gide, de Jean Guéhenno, Jean-Richard Bloch, André Breton et René Crevel. Les meetings se multiplient, le premier numéro de Commune paraît en juin 1933. Le meeting réunissant le 21 mars 1933 dans la salle du Grand Orient Gide, Malraux, Dabit, Guéhenno sur le thème « Contre le fascisme en Allemagne, contre l’impérialisme français » est un des événements les plus représentatifs de cet esprit nouveau, comme les paroles que prononce ce soir-là Jean Guéhenno, jusque-là très réticent : « Le devoir des écrivains est dans l’engagement. Si le fascisme est advenu en Allemagne, c’est qu’on n’a peut-être pas agi à temps et je crois, pour ma part, que le devoir de tous les écrivains est de dire tout de suite de quel côté ils sont » [57]. Mais cette mobilisation dont les principaux épisodes sont bien connus et qui va aboutir, en juin 1935, au Congrès de Paris, se fait sur les thèmes de la défense de la culture, de la liberté et de la paix, de l’antifascisme et du soutien à l’URSS. Les questions littéraires ou esthétiques ne sont plus abordées et le réalisme socialiste n’y est jamais mêlé. « J’ai adhéré à l’AEAR parce qu’on ne m’a pas demandé de souscrire à un programme littéraire », déclare Tristan Rémy à L’Œuvre, le 2 septembre 1935. Les autres écrivains concernés pourraient souscrire à cette affirmation [58]. Alors que Monde s’était donné pour objectif prioritaire de favoriser l’émergence d’une littérature et d’un art nouveaux, alors que le congrès de Kharkov plaçait les questions littéraires au cœur des débats et que les questions d’origine sociale des écrivains, de sujet, de forme étaient au centre des polémiques, le débat littéraire devient marginal. Il pourrait même apparaître comme un obstacle à la mobilisation tant la conception étroite et exclusive qui reste celle des intellectuels communistes peut jouer comme un repoussoir. Lorsqu’ils sont sollicités, les écrivains français que l’on pourrait ranger parmi les désormais « compagnons de route » expriment leur méfiance, leur scepticisme ou leur hostilité. Malraux, Bloch, Gide, se montrent conscients – et inquiets – lors du congrès de 1934, de la force de la commande sociale. « Je m’inquiète, je l’avoue, d’entendre au Congrès des Écrivains à Moscou, grande quantité d’ouvriers de toute sorte qui demandent aux écrivains : parlez de nous, représentez-nous, peignez-nous. La littérature n’a pas, ou du moins pas seulement, un rôle de miroir » [59]. André Malraux avait l’année précédente lancé le même avertissement : « Il ne suffira pas de photographier ici une grande époque pour que naisse une grande littérature » [60]. Les écrivains qui se rapprochent du mouvement communiste rejettent donc ce nouveau canon esthétique, défini de façon très sectaire, sans aucun souci d’ouverture ou d’accueil. Mais ce rejet ne prête pas à conséquence puisque le débat littéraire n’occupe plus la place qui était jusque-là la sienne. Les mots d’ordre mobilisateurs sont la défense de la culture, de la paix et de l’URSS contre la menace fasciste. La contradiction est ainsi « neutralisée» ; elle l’est encore un peu plus quand Louis Aragon propose une nouvelle orientation à ce débat en déclarant : « Je pense que l’imitation des livres soviétiques n’est aucunement la voie du réalisme en France, et qu’elle aurait pour résultat de nous écarter de lui, et non pas de nous en rapprocher » [61].
Enfin Aragon vint…
69Il est probable que sans les efforts déployés alors par Aragon, on ne s’interrogerait pas sur le réalisme socialiste en France avant la Libération. Comme nous l’avons montré, la notion est bien présente dans la presse communiste mais le « corpus » sur lequel nous nous sommes appuyé pour en définir les contours est assez restreint, les œuvres qui pourraient en être l’application sont rares (et leur rattachement à cette esthétique pour le moins problématique). La définition qui en est donnée est pauvre, si on la compare aux débats antérieurs sur la littérature révolutionnaire ; elle se trouve marginalisée, voire décalée, dans un contexte privilégiant l’engagement non des œuvres mais des hommes en faveur de la culture, de l’humanisme et de la paix, menacés par le fascisme. C’est alors qu’Aragon vint… Ses différents textes et conférences de 1935 rassemblés dans Pour un réalisme socialiste donnent à une notion restée jusque-là confidentielle ou militante une incontestable visibilité dans le paysage intellectuel français, en même temps qu’ils en consacrent l’auteur comme théoricien sinon unique, du moins majeur. Ils doivent être toutefois replacés dans une logique beaucoup plus personnelle que politique ou théorique. Ils participent clairement – mais ils n’en sont pas les seuls éléments – d’une quête individuelle de légitimité. Les nombreux travaux biographiques consacrés à Aragon [62] fournissent les raisons et les fondements de cette stratégie, parfaitement bien résumée par Reynald Lahanque lorsqu’il écrit :
Il semble même qu’il ait fait du réalisme socialiste son cheval de bataille pour convaincre ses propres camarades de sa bonne volonté militante, pour faire admettre que les écrivains « réalistes » pouvaient utilement combattre aux côtés des communistes [63].
71Nizan l’avait déjà clairement compris et exprimé :
L’histoire d’Aragon est assez exemplaire. Elle est celle d’un homme qui a saisi comment il y avait une littérature de transformation de la réalité, à partir du moment où il est entré dans les rangs de ceux qui travaillent réellement à transformer la réalité. C’est le réalisme socialiste [64].
73La défense du réalisme socialiste devient sous la plume d’Aragon la défense et l’illustration d’un parcours personnel. Ses textes relèvent davantage du récit autobiographique ou de la confession que de la réflexion théorique ; on peut se reporter par exemple au « Message au Congrès des John Reed Clubs », très caractéristique par sa grandiloquence quelque peu naïve :
Je me sens aujourd’hui, vous parlant, un homme entièrement nouveau animé d’une énergie nouvelle et il me semble, à regarder l’homme ancien que j’ai été, me pencher sur des siècles anciens, quand nos ancêtres craignaient perpétuellement l’écroulement de la voûte céleste. L’homme que j’ai été m’apparaît comme un être des ténèbres. Je revois les longues étapes de sa rééducation. Ah ! cela n’a pas été sans peine, il a eu ses retours, ses rechutes. Mais le voilà aujourd’hui guéri de sa maladie sociale. Regardez-le, camarades, et dites-moi, n’ai-je pas raison d’être fier de moi ?
75Ces textes, et le recueil qui les rassemble, permettent de justifier son travail de romancier en lui donnant une coloration que les œuvres elles-mêmes ne confirment pas aussi clairement. C’est par ses prises de position publiques, ses différents écrits de circonstance et notamment ceux qu’il consacre au réalisme socialiste, que Louis Aragon cherche à s’imposer comme l’intellectuel communiste majeur, beaucoup plus que par des romans dont le projet politique est moins limpide que ne le diront les préfaces [65].
76Le principal effort d’Aragon a été de rendre autonome le réalisme socialiste. Il le détache de son terroir et des circonstances de sa naissance, c’est-à-dire de ce qui, à l’origine, en constituait l’essence et la raison d’être. Il tente d’acclimater en France ce concept importé et l’on connaît les deux textes de 1937, le discours prononcé le 16 juillet 1937 lors de la session terminale du deuxième Congrès international des écrivains pour la défense de la culture et surtout la conférence du 5 octobre 1937, « Réalisme socialiste et réalisme français » [66] dans laquelle il affirme :
Vers le réalisme socialiste, qui ne pousse pas comme une plante de serre sur une table rose, il n’y a pas d’autre chemin, en France, en 1937, que le réalisme français. Le réalisme français, c’est la victoire à laquelle, à travers les siècles, nos écrivains et nos artistes ont donné le meilleur d’eux-mêmes, c’est le parachèvement de la pensée progressive de la France, et de lui, les écrivains, les artistes qui représentent aujourd’hui pleinement notre pays, qu’ils le veuillent ou non, ne se détourneront pas.
Sans lui, pas de réalisme socialiste.
Le réalisme socialiste ne trouvera dans chaque pays sa valeur universelle qu’en plongeant ses racines dans les réalités particulières, nationales, du sol duquel il jaillit.
78Aragon parvient ainsi à rompre avec la conception strictement politique que nous avons évoquée et qui constituait jusque-là, y compris dans ses propres textes, l’essence même du réalisme socialiste. Partant de là, il lui donne la souplesse nécessaire à l’usage personnel qui sera désormais le sien, gomme tout ce qui pouvait rebuter les « compagnons de route » de plus en plus nombreux et tout ce qui maintenait cette notion à l’écart de l’esprit de rassemblement qui marque les années 1934-1937. Il intègre à la nouvelle politique d’ouverture et de main tendue défendue par Thorez une notion jusque-là marquée par le sectarisme encore en vigueur chez Fréville et Nizan jusqu’en 1935. Mais ce faisant il la dilue, lui enlève toute spécificité, optant pour une définition en permanence modulable, ce qui lui permettra de l’adapter à toutes les évolutions politiques ou formelles (on le constatera, par exemple, dans les articles repris en 1958 dans J’abats mon jeu) [67].
79Faux départ donc, pour plusieurs raisons.
80Le réalisme socialiste est né en URSS de la réorganisation de la vie littéraire et de la redéfinition du statut de l’écrivain et de l’artiste. La définition qu’il reçoit en France au début des années trente sous la plume des quelques intellectuels militants qui s’en réclament est trop étroite, trop nourrie de ressentiment et d’esprit de revanche à l’égard des écrivains révolutionnaires non communistes, trop fortement dirigée contre les débats qui l’ont précédé, pour qu’il puisse véritablement s’« acclimater ». Le contexte est, de plus, paradoxalement défavorable puisque la détente qui amène de nombreux écrivains à se rapprocher du PCF obéit à des mots d’ordre strictement politiques, les questions littéraires disparaissant du devant de la scène. C’est l’initiative d’Aragon, endossant un combat dont personne ne l’aurait, jusqu’à preuve du contraire, chargé, qui inscrit le réalisme socialiste dans le paysage littéraire français d’alors. Mais il le redéfinit d’une façon tellement large qu’il devient difficile de comprendre ce qui le distingue d’un réalisme « non socialiste ». Par ailleurs, il s’agit pour l’heure d’une présence en trompe-l’œil, qui, contrairement aux débats antérieurs, n’éveille pas l’intérêt des écrivains de gauche et ne suscite aucune création littéraire. Pour qu’une telle notion, davantage label de reconnaissance et d’appartenance qu’esthétique clairement définie, puisse s’imposer, il faudra donc attendre que le PCF ait une véritable politique littéraire, ce qui n’est pas encore le cas dans l’entre-deux-guerres. ?
Notes
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[1]
Dans la mesure où cette notion repose principalement sur une définition de la fonction de l’art et, accessoirement, de son contenu et de sa forme, on peut parler d’esthétique mais ses critères esthétiques sont très étroitement liés aux attentes sociales, aux pressions idéologiques, aux stratégies politiques et organisationnelles.
-
[2]
Le terme « perestroïka » est utilisé.
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[3]
Ce vaste sujet échappant à notre propos, on doit se contenter de quelques rappels et renvoyer à la bibliographie existante, notamment à la récente et excellente synthèse de Michel Aucouturier, Le Réalisme socialiste, Paris, PUF, « Que sais-je ? », n° 3320, 1998. On peut aussi consulter en russe le livre déjà ancien mais très documenté sur la vie littéraire et les organisations jusqu’à l’apparition du réalisme socialiste de Stepan Sessoukov, Neistovye revniteli (Les Zélateurs frénétiques), Moskva, Moskovskij rabocij, 1970, et la somme récente de Hans Günther et Evegenij Dobrenko, Socrealisticeskij kanon (Le Canon du réalisme socialiste), Saint-Pétersbourg, Akademiceskij proejkt, 2000.
-
[4]
Acronyme russe désignant l’Association russe des écrivains prolétariens.
-
[5]
LEF, abréviation de Levyi Front, Front de gauche, revue créée en 1923 et regroupant autour de Vladimir Maïakovski les principaux poètes et critiques futuristes.
-
[6]
C’est ainsi que la présente Michel Aucouturier, Le Réalisme socialiste, op. cit., p. 54.
-
[7]
Information donnée par Sesukov, op. cit., p. 336 et confirmée par les travaux plus récents.
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[8]
Cité d’après Sesukov, ibid.
-
[9]
Jean-Pierre A. Bernard, Le Parti communiste français et la question littéraire, 1921-1939, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1972, notamment les pages 113-146.
-
[10]
Pour plus de renseignements sur Fréville on peut se reporter à la notice que lui consacre Nicole Racine dans le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, dirigé par Jean Maitron et Claude Pennetier, Paris, Éditions ouvrières, 1964-1993.
-
[11]
André Breton, « Légitime défense », La Révolution surréaliste, n° 8, déc. 1926.
-
[12]
Monde n° 224, 14 mai 1932.
-
[13]
La revue de la MORP, Literatura Mirovoj Revolutsij publie dans son numéro de février 1932 plusieurs articles concernant la situation française : la résolution du secrétariat de la MORP, « Tâches de l’union des écrivains révolutionnaires français », définissant la ligne de la future AEAR dans le prolongement des résolutions de Kharkov, ainsi que deux articles très violents dirigés contre Monde, « Monde, directeur Henri Barbusse » de Bruno Iasenski et « L’arme cachée de la bourgeoisie » de Jacques Duclos.
-
[14]
Cf. l’étude de Wolfgang Klein, Commune, revue pour la défense de la culture, Paris, Éditions du CNRS, 1988.
-
[15]
Karl Radek donne deux articles dans la presse française : L’Humanité, 25 déc. 1933 et Monde, 9 déc. 1933.
-
[16]
L’Humanité, loc. cit.
-
[17]
Monde, loc. cit.
-
[18]
Ibid.
-
[19]
Ibid.
-
[20]
Monde et Commune publient les traductions des principales contributions mais, dépassant le cercle des publications communistes, le numéro de novembre de La NRF est consacré au compte rendu de ce Congrès et reproduit les plus importants discours.
-
[21]
Comme le remarque l’avant-propos du numéro cité de La NRF : « S’il a consacré plusieurs séances à l’examen de la littérature mondiale, le congrès reste essentiellement soviétique ».
-
[22]
Reynald Lahanque dans son article « Aragon, Nizan, et la question du réalisme socialiste », in Bernard Alluin et Jacques Deguy (dir.), Paul Nizan écrivain, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1988, pp. 105-120, signale le texte que Louis Aragon lit au Congrès de Moscou et notamment ces lignes qui annoncent sa propre action à venir : « L’AEAR saura exprimer dans les conditions nationales de la culture française le mot d’ordre de réalisme socialiste que les écrivains soviétiques ont lancé, non seulement à l’échelle des nationalités de l’URSS, mais à celle de toutes les nationalités du monde ». Texte reproduit dans Commune n° 11, juil.-août 1934.
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[23]
La plupart de ces articles ont été repris dans le recueil rassemblé par Susan Suleiman sous le titre Pour une nouvelle culture, Paris, Grasset, 1971. Quatre articles n’ont pas été repris dans ce recueil, celui sur Panaït Istrati (8 février), sur Marguerite Yourcenar et Vaillant-Couturier (15 mars), sur Ramuz (22 mars) et « Staline humaniste », compte rendu du Staline de Henri Barbusse (13 juin).
-
[24]
C’est le titre de sa conférence, reprise dans Pour un réalisme socialiste, op. cit.
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[25]
Georges Sadoul, compte rendu des Beaux quartiers, Commune, déc. 1936.
-
[26]
Pour l’opposition capitale Balzac/Zola que je n’ai pas la place de développer ici, je renvoie à mon article « Zola 1929-1935 ou les ambiguïtés d’un retour à Zola », Les Cahiers naturalistes, n° 65, 1991, pp. 7-23.
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[27]
Jean Fréville, « Une littérature de soumission », L’Humanité, 2 févr. 1932.
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[28]
Paul Nizan, compte rendu de L’Année des vainqueurs d’André Chamson, Monde, n° 322, 8 févr. 1935.
-
[29]
Plus particulièrement à un texte majeur pour la critique marxiste alors en gestation, la lettre d’Engels à Miss Harkness, publiée pour la première fois en mars 1932, en URSS, et en français dans Monde, n° 202, 16 avril 1932.
-
[30]
Rosa Luxembourg, « L’écrivain devant le monde », Monde, n° 190, 23 janv. 1932.
-
[31]
On peut se reporter aux articles qu’il consacre en 1934 et 1935 à Balzac, recueillis dans le volume Balzac et le réalisme français, Paris, Maspero, 1973.
-
[32]
Jean Fréville, « Marx et Engels et la tendance en littérature », Monde n° 325, 1er mars 1935.
-
[33]
Ibid.
-
[34]
Ivan Koussinov, « Le réalisme socialiste et le portrait psychologique », Monde n° 306, 20 juillet 1934.
-
[35]
Revue des vivants, sept.-oct. 1932, repris dans Pour une nouvelle culture, op. cit., pp. 33-43.
-
[36]
À ma connaissance une seule fois, dans le compte rendu du recueil d’articles d’Aragon dont il sera question un peu plus loin.
-
[37]
Compte rendu du roman de Ramon Fernandez Les Violents, Monde, n° 346, 1er août 1935.
-
[38]
Compte rendu du roman de Malraux, Le Temps du mépris, Monde, n° 339, 6 juin 1935.
-
[39]
Dans le n° 327 de Monde, du 15 mars 1935, Nizan oppose Tu seras un ouvrier de Georgette Guéguen et La Mort conduit l’attelage de Marguerite Yourcenar.
-
[40]
Compte rendu de Pour un réalisme socialiste, L’Humanité, 12 août 1935.
-
[41]
Compte rendu du Temps du mépris, art. cit.
-
[42]
Louis Aragon, « Paul Nizan – Antoine Bloyé », Commune n° 10, mars-avril 1934.
-
[43]
Compte rendu des Cloches de Bâle, L’Humanité, 31 déc. 1934.
-
[44]
J’en ai esquissé une brève synthèse dans la notice « prolétarienne (littérature) », rédigée pour le Dictionnaire des lettres françaises – Le xxe siècle, Paris, La Pochothèque, 1998 ; je renvoie dans la bibliographie de cette notice aux travaux de Jean-Pierre Morel, Le Roman insupportable, Paris, Gallimard, 1985 ; Jean-Michel Péru, « Une crise du champ littéraire français », Actes de la Recherche en sciences sociales, n° 89, septembre 1991 ; Karl-Anders Arvidsson, Henry Poulaille et la littérature française des années 1930, Paris, Touzot, 1988 et à la réédition des œuvres d’Henry Poulaille, notamment Nouvel âge littéraire, Paris, Valois, 1930, rééd. Plein chant, 1986. Il faut signaler aussi le travail fondamental des Cahiers Henry Poulaille.
-
[45]
Henri Barbusse, « Notre enquête sur la littérature prolétarienne », Monde, n° 20, 20 oct. 1928.
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[46]
Son article « Révolution et culture » paru dans Clarté n° 46 du 1er nov. 1923 aura un fort retentissement. Dans sa réponse à l’enquête de Monde de 1928, André Breton s’y référera explicitement, il ne sera pas le seul.
-
[47]
Je paraphrase ici la réponse particulièrement représentative de Guilloux à l’enquête de Monde sur « La jeune génération et Zola », le 26 octobre 1929 : « Quelles sont ces prisons où l’on veut nous enfermer ? Avec Zola, oui pour la révolution ; de tout cœur mais librement ».
-
[48]
Tristan Rémy, « Les écrivains dits prolétariens et la littérature », Le Peuple, 17 nov. 1933.
-
[49]
Le mot « Proletkult » est l’abréviation de « Proletarskaja kultura », en russe « culture prolétarienne », titre de la principale revue du mouvement. Inspiré par les thèses de Bogdanov, il vise, dès les premiers mois de la révolution, à développer un art prolétarien « de classe », débarrassé de toute influence bourgeoise. Le mouvement décline à partir de 1920. Cf. Michel Aucouturier, Le Réalisme socialiste, op. cit., p 21-29.
-
[50]
Monde n° 182, 29 nov. 1931.
-
[51]
Jean Guéhenno, « Littérature prolétarienne », Europe n° 108, 15 déc. 1931.
-
[52]
Monde n° 188, 9 janv. 1932.
-
[53]
Augustin Habaru, « La crise du lyrisme en France », Monde n° 3, 23 juin 1928.
-
[54]
Les écrivains qui, selon l’expression de Barbusse, sont attachés à « la nécessité d’une expression pleine et maîtresse d’elle-même ».
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[55]
Son roman Ciment paraît en feuilleton dans L’Humanité puis aux ESI avec une préface de Victor Serge. Un prix « Ciment » puis une collection seront créés.
-
[56]
J’ouvre ici quelques pistes mais cette réflexion demanderait à elle seule un travail complet.
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[57]
On trouve une bonne évocation de cette soirée dans le livre d’Herbert Lottman, La Rive gauche, Paris, Le Seuil, 1981, p. 88.
-
[58]
Jean-Michel Péru le confirme : « […] le « réalisme socialiste » n’est, à aucun moment, proposé aux écrivains par l’AEAR qui, à partir de 1933, ne fixe que des objectifs politiques », « Position littéraire et prise de position politique : les surréalistes, Aragon et la “littérature prolétarienne” », Lire Aragon, Paris, Champion, 2000, p. 309.
-
[59]
André Gide, « L’état de la culture dépend étroitement de l’état de la société », discours au Congrès de Paris, 21 juin 1935, Monde, n° 345.
-
[60]
Intervention de Malraux au 1er congrès des Écrivains soviétiques, Commune, sept.-oct. 1934, repris dans Le Magazine littéraire, n° 79/80, sept. 1973, p. 18.
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[61]
« Réalisme socialiste et réalisme français » : nous allons revenir sur cet article.
-
[62]
De la biographie de Pierre Daix, Aragon. Une vie à changer, Paris, Flammarion, 1994, à la chronologie établie pour l’édition des Œuvres romanesques complètes, sous la direction de Daniel Bougnoux, Paris, Gallimard, coll. « Pléiade », t. 1, 1997, t. 2, 2000.
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[63]
« Aragon, Nizan, et la question du réalisme socialiste », loc. cit., p. 108.
-
[64]
Paul Nizan, « Pour un réalisme socialiste par Aragon », L’Humanité, 12 août 1935, repris in Pour une nouvelle culture, op. cit., p. 175-179.
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[65]
Celles-ci sont suffisamment habiles et séduisantes pour déterminer la réception de l’œuvre et paralyser les commentaires critiques mais leur pertinence résiste mal à l’analyse ; je pense tout particulièrement aux Voyageurs de l’impériale et à la lecture politique qu’en propose Aragon.
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[66]
Publiée dans Europe en mars 1938.
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[67]
Ces quelques remarques sur le rôle central d’Aragon ne font qu’amorcer une réflexion que Philippe Olivera, dans ce numéro, pousse beaucoup plus loin.