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Article de revue

De l'hommage funèbre à la prise de parole

L'enterrement du général Foy (novembre 1825).

Pages 176 à 203

Notes

  • [1]
    La population parisienne comptait en 1825 entre 714 000 (dénombrement de 1817) et 785 000 personnes (dénombrement de 1831). Les estimations de cent mille assistants aux funérailles, que l’on retrouve dans plusieurs sources, sont de toute évidence contestables. Demeure une certitude : plusieurs dizaines de milliers de personnes étaient là, et jamais aucun enterrement d’opposant n’avait rassemblé une telle foule.
  • [2]
    Au lendemain de la révolution de Juillet, la mémoire du général Foy fut bien célébrée en août 1830, et des bustes le représentant promenés dans la ville, mais l’inauguration discrète, en novembre 1831, de son monument au Père-Lachaise montre un rapide affaissement du culte.
  • [3]
    Selon le titre d’un essai rédigé en 1834 par le républicain Armand Marrast, en référence aux enterrements d’opposition sous la Restauration et au début de la monarchie de Juillet (« Les funérailles révolutionnaires », in Paris révolutionnaire, Paris, Guillaumin, 1834, t. 3).
  • [4]
    Le sacre de Charles X eut lieu à Reims, en mai 1825. L’expression est empruntée à Louis Blanc (Histoire de dix ans. 1830-1840, Paris, Pagnerre, 1849, p. 120.).
  • [5]
    Citons parmi les enterrements d’opposition les plus célèbres, ceux de Talma (oct. 1826), Girardin, La Rochefoucauld-Liancourt, Manuel (mars à août 1827), Benjamin Constant (déc. 1830), Grégoire (mai 1831), le général Lamarque (juin 1832).
  • [6]
    Sur cette question, cf. les réflexions d’Henri-Pierre Jeudy, « L’anthropologie politique en question », in Anthropologie du politique, Paris, Armand Colin, 1997, pp. 233-246.
  • [7]
    Claude Lévi-Strauss dégageait deux procédés structurant le rite dans les sociétés exotiques, le morcellement et la répétition (L’Homme nu - Mythologiques IV, Paris, Plon, 1971, p. 601). Marc Abélès, reprenant des analyses de Turner, voit quant à lui dans le rituel un triple rapport au savoir (dimension cognitive), au sacré et au temps (Anthropologie de l’État, Paris, Armand Colin, 1990, pp. 119-125).
  • [8]
    La typologie binaire opposant rituels de consensus et rituels d’affrontement nous semble impropre à l’analyse serrée de tout rituel politique.
  • [9]
    Nicolas Roussellier, dans son étude sur la culture politique libérale, cite les vecteurs traditionnels du libéralisme que furent la presse, la littérature et les chansons, les conférences et les salons, mentionne le banquet, mais oublie l’enterrement, lequel, il est vrai, contredit la suspicion des libéraux à l’égard des rassemblements publics et des formes démagogiques de l’éloquence. Cf. Nicolas Rousselier, « La culture politique libérale », in Serge Berstein (dir.), Les Cultures politiques en France, Paris, Seuil, 1999, pp. 69-112.
  • [10]
    Polysémie soulignée par Victor Turner et Marc Abélès (op. cit., pp. 120-121). Il s’est agi pour nous non de trancher entre les possibles sens du rituel, mais de montrer les évolutions dans le temps court des interprétations qu’en ont donné les contemporains.
  • [11]
    Pascal Ory, « L’histoire des politiques symboliques modernes : un questionnement », Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. 47-3, juill.-sept. 2000, pp. 525-536.
  • [12]
    Nous pensons ici plus particulièrement à la République au village. Les populations du Var de la Révolution à la Seconde République, Paris, Plon, 1970, première partie, deuxième section : « Recherches générales sur le processus de prise de conscience ».
  • [13]
    À propos de la mort sous la Révolution, cf. Michel Vovelle, La Mort et l’Occident de 1300 à nos jours. Paris, Gallimard, 1983, et Élisabeth Liris, Jean-Maurice Bizière, (dir.), La Révolution et la mort, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1991.
  • [14]
    Sur cette mise en ordre de la mort, cf. en particulier Régis Bertrand, « Pratiques funèbres et commémoratives », in Le Père-Lachaise, Paris, Action artistique de la Ville de Paris, 1998, pp. 75-79, et, du même auteur, Les Provençaux et leurs morts. Recherches sur les pratiques funéraires, les lieux de sépultures et le culte du souvenir des morts dans le Sud-Est de la France depuis la fin du XVIIe siècle, thèse de doctorat d’État, Université Paris I, 1994, ainsi que Thomas A. Kselman, Death and the afterlife in modern France, Princeton, Princeton University Press, 1993, pp. 226-256.
  • [15]
    Expression employée ironiquement par l’ultra-royaliste Charles-Marie d’Irumberry, comte de Salaberry, Souvenirs politiques du comte de Salaberry sur la Restauration. 1821-1830, publiés pour la Société d’histoire contemporaine, par le comte de Salaberry, son petit-fils, Paris, A. Picard et fils, 1900, t. II, p. 230. Les quatre « vertus » étaient Casimir-Perier et Méchin, députés libéraux, le général Miollis, et le duc de Choiseul, pair de France.
  • [16]
    Sur les enterrements d’opposition au début de la Troisième République, cf. Avner Ben Amos, « Les funérailles de gauche sous la Troisième République : deuil et contestation. », in Alain Corbin (dir.), Les Usages politiques des fêtes aux XIXe et XXe siècles, Paris, Publications de la Sorbonne, 1994, pp. 199-210. Cf. également l’ouvrage récent de Danielle Tartakowsky, Nous irons chanter sur vos tombes. Le Père-Lachaise. XIXe-XXe siècles, Paris, Aubier, 1999.
  • [17]
    Cf., à ce propos, Françoise Waquet, Les Fêtes royales sous la Restauration, ou l’Ancien Régime retrouvé, Paris, Bibliothèque de la Société française d’archéologie, n° 14, 1981.
  • [18]
    Cf. Mona Ozouf, La Fête révolutionnaire. 1789-1799, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1993, [1976], et Antoine de Baecque, Le Corps de l’histoire. Métaphores et politique. 1770-1800, Paris, Calmann-Lévy, 1993, pp. 343-374.
  • [19]
    Parenthèse renforcée par la présence visible au sein du cortège d’anciens soldats de la Grande Armée, parfois amputés ou « couverts de blessures ». Un ancien compagnon de Foy au Portugal perd sa jambe de bois près du Père-Lachaise, et tient à poursuivre la marche, immédiatement secouru par la foule, épisode abondamment relayé par les brochures sur l’événement. Cf. notamment Journée du 30 septembre 1825, ou récit des derniers moments et des funérailles du général Foy, Paris, Mongie aîné, 1825.
  • [20]
    Mona Ozouf, La Fête révolutionnaire. 1789-1799, op.cit., pp. 118-119.
  • [21]
    Le bas-relief montrait en son centre la Patrie couronnant à gauche la Vertu et à droite un Génie ailé, illustrant quasi-littéralement la devise du Panthéon.
  • [22]
    Références à l’expulsion du député Manuel hors de la Chambre en mars 1823.
  • [23]
    Cabinet des estampes, B.N.F collection de Vinck, t. 86, M 10994.
  • [24]
    Présence d’autant plus remarquable que l’usage veut que les femmes ne participent pas directement aux cortèges funèbres. Leur rôle reste cependant ici cantonné à la déploration, et leur présence ne prend guère de sens politique dans les commentaires de l’événement.
  • [25]
    Sur les honneurs publics.
  • [26]
    Le Courrier français, 1er déc. 1825.
  • [27]
    Le Globe, 3 déc. 1825 (lettre de Guizot au rédacteur du Globe)
  • [28]
    À la différence, notamment, des obsèques royales, mais également des cortèges de processions religieuses. L’exemple de la grande mission de Besançon est à cet égard éclairant. Cf. Gaston Bordet, La Grande Mission de Besançon (janv.-fév. 1825) : une fête contre-révolutionnaire néo-baroque ou ordinaire ?, Paris, Le Cerf, 1998.
  • [29]
    Comte Salaberry, Souvenirs politiques du comte de Salaberry sur la Restauration. 1821-1830, publiés pour la Société d’histoire contemporaine, par le comte de Salaberry, son petit-fils, op. cit., t. II, p. 235.
  • [30]
    Sur la matrice familiale au cœur de l’imaginaire politique révolutionnaire, et le déclin du modèle patriarcal avant même le régicide, cf. notamment Lynn Hunt, Le Roman familial de la Révolution Française, Paris, Albin Michel, 1994.
  • [31]
    Journée du 30 novembre 1825, ou récit des derniers moments et des funérailles du général Foy, Paris, Mongie aîné, 1825, p.18.
  • [32]
    Cf., à ce propos, Mona Ozouf, La Fête révolutionnaire. 1789-1799, op. cit., « La fête et l’espace », et du même auteur, « Le cortège et la ville : les itinéraires parisiens des fêtes révolutionnaires. », Annales E.S.C., 1971, pp. 889-916.
  • [33]
    Nous faisons ici allusion notamment aux célèbres tentatives de détournement vers le Panthéon des funérailles de Benjamin Constant (12 déc. 1830) et du général Lamarque (5 juin 1832)
  • [34]
    En particulier lors du rejet par la Chambre des pairs de la loi sur la presse en avril 1827.
  • [35]
    Cf. Régis Bertrand, Les Provençaux et leurs morts. Recherches sur les pratiques funéraires, les lieux de sépultures et le culte du souvenir des morts dans le Sud-Est de la France depuis la fin du XVIIe siècle, thèse citée, ch. VIII-2.
  • [36]
    Cf. Nathaniel H. Carter, Letters from Europe…, cité par Guillaume de Bertier de Sauvigny, La France et les Français vus par les voyageurs américains. 1814-1848, Paris, Flammarion, 1985, t. II, p. 255.
  • [37]
    Simone Delattre, Les douze heures noires. La nuit à Paris au XIXe siècle. Paris, Albin Michel, 2000, en particulier « Paris transfiguré par la nuit », pp. 58-68.
  • [38]
    Pierre-Jean, dit David d’Angers, 1788-1856. Les Carnets de David d’Angers, publiés pour la première fois intégralement avec une introduction par André Bruel, Paris, Plon, 1958, t. I, 1828-1837, p. 87 et p. 117, à propos des statues du pont Louis XVI et de la Chambre des députés.
  • [39]
    Simone Delattre, Les douze heures noires. La nuit à Paris au XIXe siècle, op. cit., p. 65. L’auteur développe l’exemple des violations de sépulture survenues la nuit dans plusieurs cimetières parisiens en 1848-1849.
  • [40]
    Armand Marrast, « Les Funérailles Révolutionnaires », loc. cit.
  • [41]
    Illuminations du quartier de la rue Saint-Denis après le rejet de la loi sur le droit d’aînesse, de la loi dite « de justice et d’amour », et les élections de 1827. Simone Delattre souligne combien la nuit, éclairée ou plongée dans l’obscurité, constitue sous les monarchies censitaires le refuge, réel et imaginaire, de la dissidence politique, le moment où s’écrivent les graffiti, où se profèrent les cris séditieux, où se brisent les lampions… Cf. Simone Delattre, « La nuit des insurgés ou les lumières en péril », op. cit., pp.106-110.
  • [42]
    Cf. A.N. F7/4175. Rapport de la garde municipale parisienne du 28 juillet 1831.
  • [43]
    Nous pensons ici notamment aux troubles observés dans les églises lors des missions parisiennes de la Restauration, suscités par des cris, des jets de boules puantes et des explosions de poudre…
  • [44]
    Le Courrier français, 1er déc. 1825.
  • [45]
    Journée du 30 novembre 1825…, op. cit., p. 19.
  • [46]
    Respectivement député, pair de France, et professeur à l’école de médecine, ils étaient tous trois, à des degrés divers, très appréciés de la jeunesse libérale.
  • [47]
    Cf. Arnold Van Gennep, Le Folklore français. Du berceau à la tombe, Paris, Robert Laffont, 1998, pp. 623-627.
  • [48]
    Cf. Alain Corbin, « L’agitation dans les théâtres de province sous la Restauration », in Le temps, le désir et l’horreur, Paris, Aubier, 1991, pp. 53-79.
  • [49]
    Lors du convoi de ce noble pair, de sérieux troubles opposent, à propos du port à bras du cercueil, les étudiants de l’École des arts et métiers de Châlons, fondée par le défunt, et les gendarmes. La violence est telle que le cercueil tombe à terre et se brise, laissant apparaître le cadavre. Sur les étudiants parisiens et la politique, cf. Jean-Claude Caron, Générations romantiques. Les étudiants de Paris et le Quartier Latin. 1814-1851, Paris, Armand Colin, chap. 8 à 10.
  • [50]
    Il n’en est évidemment pas de même lors des enterrements civils, dont on sait qu’ils suscitèrent de nombreux conflits campanaires. Les enjeux des sonneries nous semblent par ailleurs plus réduits à Paris que dans des « pays » d’interconnaissance. Sur toutes ces questions, cf. Alain Corbin, Les Cloches de la terre. Paysage sonore et culture sensible dans les campagnes du XIXe siècle, Paris, Champs Flammarion, 2000 [1994], pp. 159-164 et pp. 239-248.
  • [51]
    Nous avons ainsi trouvé la trace de pleureuses « professionnelles » lors de l’annonce de la mort de Napoléon en Corse. Sur le lamento et l’éventuel vocero corse, ainsi que sur les cris et lamentations funéraires en province au XIXe siècle, cf. Arnold Van Gennep, Manuel de folklore français contemporain, tome Ier, II. Du Berceau à la Tombe, Paris, Picard, 1980 [1946], pp. 679-684.
  • [52]
    Alain Montandon a montré, à partir d’un corpus très spécifique de manuels de savoir-vivre du XIXe siècle, combien s’imposait dans le deuil cette exigence de contrôle de ses émotions extérieures. Le « retrait de soi » trouverait ses marques dans une réglementation plus stricte du deuil, du port des vêtements, de sa durée, croissante au cours du siècle, et, dans la construction d’une « politesse du deuil », faite précisément de silence, de paroles à voix basse lors des visites de condoléances… Cf. Alain Montandon, « L’étiquette du deuil dans les traités de savoir-vivre au XIXe siècle », in Savoir mourir, Paris, L’Harmattan, 1993, pp. 133-154.
  • [53]
    Rapport du préfet de police au ministre de l’Intérieur, 30 nov. 1825 au soir. A.N. F7/6719 (« surveillance des députés »).
  • [54]
    Armand Marrast, « Les Funérailles Révolutionnaires », loc. cit.
  • [55]
    Rapport du Préfet de Police, 30 nov. 1825. A.N. F7/6719.
  • [56]
    Cabinet des Estampes de la B.N.F., coll. Qb1 1825-1826, M 110197 à 110 204.
  • [57]
    Lettre de la duchesse de Broglie à Barante, 7 déc. 1825, in Souvenirs du baron de Barante, de l’Académie Française 1782-1866, publiés par son petit-fils, Paris, Calmann-Lévy, 1892, t. III, p. 297.
  • [58]
    Discours de Benjamin Constant à l’Athénée Royal de Paris, le 3 décembre 1825, publié dans Le Courrier Français, 5 déc. 1825.
  • [59]
    Cf. notamment Journée du 30 septembre 1825, op. cit., p. 90.
  • [60]
    Sur tous ces supports de mémoire, cf. Assemblée Nationale, F7/6719, La Quotidienne, 21 déc. 1825, La souscription, ou les enrôlements révolutionnaires, Paris, chez tous les marchands de nouveautés, 1825, p. 23, et le Journal de Montalembert.
  • [61]
    Le témoignage d’Edgar Quinet montre bien la très large diffusion sociale, y compris au sein des élites cultivées, de ce rapport charnel au politique, illustré en particulier par la légende napoléonienne : « Je veux bien que la France fût au fond de nos cœurs, et certainement elle y était, mais voilée et enfouie sous notre idolâtrie toute païenne pour un seul. Combien j’étais alors fortement engagé dans une légende ! Que ne fallait-il pas pour m’en délier ! Est-ce à moi de m’étonner si les masses ont tant de peine à s’en défaire ? » (Edgar Quinet, Histoire de mes idées. Autobiographie, Paris, Flammarion, « nouvelle bibliothèque romantique », 1972, p. 105)
  • [62]
    L’expression est empruntée au comte de Salaberry déjà cité.
  • [63]
    Cf., à ce propos Emmanuel Fureix, « Des émotions impolitiques : les cérémonies funèbres à la mémoire de Louis XVI et du duc de Berry dans le Paris de la Restauration », in L’émotion politique au XIXe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne (à paraître).
  • [64]
    Le Courrier français, 1er déc. 1825.
  • [65]
    Auteur anonyme de La souscription, ou les enrôlements révolutionnaires, Paris, chez tous les marchands de nouveautés, 1825, p. 19.
  • [66]
    Cf. Anne Vincent-Bufflaut, Histoire des larmes, Paris, Rivages, 1986, 1ère partie.
  • [67]
    Le Courrier français, 2 déc. 1825.
  • [68]
    Idée avancée par Anne Vincent-Buffault, Histoire des larmes, op. cit.
  • [69]
    Émile Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, PUF, 1968, [1912] p. 572.
  • [70]
    Claude Rivière, Les Liturgies politiques, Paris, PUF, 1988, 2e partie, ch. 7.
  • [71]
    Nicolas Mariot, « Les formes élémentaires de l’effervescence collective, ou la psychologie prêtée aux foules », Revue française de science politique, à paraître.
  • [72]
    Interprétation commune aux ultras (en particulier chez le comte de Salaberry) et aux républicains des débuts de la monarchie de Juillet, dont Armand Marrast.
  • [73]
    Journée du 30 nov. 1825…, op. cit., p. 8.
  • [74]
    Rapport du préfet de police au ministre de l’Intérieur, 30 nov. 1825 au soir, Assemblée Nationale F7/6719.
  • [75]
    Relation de la fête donnée le 5 septembre 1821 par une réunion des citoyens de Mulhausen, à M. le général Foy, membre de la chambre des députés, Mulhouse, imprimerie Ristler, s.d., Assemblée Nationale F7/6719
  • [76]
    Assemblée Nationale F7/6719.
  • [77]
    Journée du 30 nov. 1825…, op. cit., et Assemblée Nationale F7/6719.
  • [78]
    Cf. sur la figure du grand homme au XVIIIe siècle, la somme de Jean-Claude Bonnet, Naissance du Panthéon. Essai sur le culte des grands hommes, Paris, Fayard, 1998.
  • [79]
    Cf., à ce propos, Alice Gérard, « Le grand homme et la conception de l’histoire au XIXe siècle », Romantisme, n° 100, « Le grand homme », 2e trim. 1998, pp. 31-48.
  • [80]
    Cf. sur cette question et plus généralement sur une histoire de l’héroïsme, la remarquable synthèse de Daniel Fabre, « L’atelier des héros », in La Fabrique des héros, Mission du Patrimoine ethnologique, Collection Ethnologie de la France, cahier 12, 1999, pp. 232-318.
  • [81]
    Lettre à Thiériot, 15 juill. 1735, in Voltaire, Oeuvres complètes, Paris, Garnier, 1875, t. 33, p. 506.
  • [82]
    Villemain, « Souvenirs de Sorbonne en 1825. Démosthène et le général Foy », in Souvenirs contemporains d’histoire et de littérature, Paris, Didier, 1854, pp. 387-435.
  • [83]
    Cette citation et les suivantes sont empruntées aux discours prononcés sur la tombe du général Foy publiés dans Aux mânes d’un grand citoyen. Vie, exploits, triomphes oratoires et derniers moments du comte Foy…, Paris, Librairie française et étrangère, 1826.
  • [84]
    La foule trop compacte l’ayant empêché d’atteindre la tombe du général.
  • [85]
    Le culte des blessures du héros s’est donné un lieu de mémoire dans les mois qui suivent sa mort, à Orthez, sur le champ même où il avait été pansé après avoir été blessé en 1814.
  • [86]
    « Notice nécrologique et médicale sur le général Foy, par le docteur Broussais », in Journée du 30 novembre 1825…, op. cit., pp. 107-110.
  • [87]
    Discours de Benjamin Constant, in Aux mânes d’un grand citoyen…, op. cit.
  • [88]
    Jean-Claude Bonnet, Naissance du Panthéon. Essai sur le culte des grands hommes, op. cit., pp. 67-112.
  • [89]
    On compare notamment les honneurs funèbres rendus par la France au général Foy à l’hommage de son vivant reçu quelques mois plus tôt par Lafayette aux États-Unis.
  • [90]
    Salaberry fait ainsi remarquer l’absence de toute référence à Dieu et au monarque dans l’enceinte du cimetière.
  • [91]
    Aux mânes d’un grand citoyen…, op. cit., p. 289.
  • [92]
    Discours de Casimir-Perier, in Aux mânes d’un grand citoyen…, op. cit.
  • [93]
    Philippe Goujard, « L’héroïsation en l’an II », in Élisabeth Liris, Jean-Maurice Bizière (dir.), La Révolution et la mort, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1991, pp. 119-125.
  • [94]
    Discours de Casimir-Perier, in Aux mânes d’un grand citoyen…, op. cit.
  • [95]
    La fusion du peuple, de l’enfant et du génie dans le grand homme est ainsi évoquée par Jules Michelet : « Le peuple, en sa plus haute idée, se trouve difficilement dans le peuple. Que je l’observe ici ou là, ce n’est pas lui, c’est telle classe, telle forme partielle du peuple, altérée et éphémère. Il n’est dans sa vérité, à sa plus haute puissance, que dans l’homme de génie ; en lui réside la grande âme » (Le Peuple, Paris, GF-Flammarion, 1992 [1846], p. 186).
  • [96]
    Entre décembre 1825 et janvier 1826.
  • [97]
    Entre 60 centimes et 3 francs pour les rares prix mentionnés.
  • [98]
    Série Qb1, M110231. Lithographie de Bove (Cabinet des Estampes B.N.F.). Il s’agit en fait d’une branche de laurier.
  • [99]
    Anachronisme volontaire, paraphrasant, au risque de la maladresse, la belle expression de Michel de Certeau, dans son essai La Prise de parole et autres écrits politiques, Paris, Seuil, coll. « Points Essais », 1994, p. 42.
  • [100]
    En mars 1820, en réplique à la mesure d’exception de la loi sur la liberté individuelle, permettant la détention arbitraire de suspects.
  • [101]
    Il prit parfois la forme d’un appui affiché au pouvoir royal, notamment après l’assassinat du duc de Berry.
  • [102]
    Le phénomène est connu beaucoup plus tard dans le siècle avec le « monument Henry ».
  • [103]
    La Quotidienne, 4 déc. 1825.
  • [104]
    La Quotidienne, 11 déc. 1825.
  • [105]
    L’Ami de la Religion et du Roi, 11 déc. 1825.
  • [106]
    La Quotidienne, 3 déc. 1825.
  • [107]
    Le Drapeau Blanc, 14 déc. 1825.
  • [108]
    La Souscription…, op. cit., p. 23.
  • [109]
    Par analogie avec les manifestations de papier étudiées par Patrick Champagne, notamment dans « La manifestation. La production de l’événement politique », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 52-53, pp. 19-41.
  • [110]
    Pascal Ory, « L’histoire des politiques symboliques modernes… », loc. cit.
  • [111]
    « Point de milieu dans une constitution de la nature de la nôtre : il faut que le ministère mène la majorité ou qu’il la suive. S’il ne peut ou ne veut prendre ni l’un ni l’autre de ces partis, il faut qu’il chasse la Chambre ou qu’il s’en aille » (De la Monarchie selon la Charte, Paris, 1816, ch. XXXIX, cité par Jean-Paul Clément, Chateaubriand politique, Paris, Hachette, coll. « Pluriel », 1987, p. 178).
  • [112]
    Le Courrier français, 8 déc. 1825. L’article suscite l’ire du préfet de police qui y voit les dérives de la liberté de la presse en matière politique : « Tout cet article a un caractère de provocation qui ne prouve que trop, avec quelle violence, les journaux se précipitent dans la carrière de licence qui vient de leur être ouverte » (Bulletin de Paris, 8 déc. 1825, Archives Nationales, F7/3879).
  • [113]
    Sur la peur du nombre chez les doctrinaires, et plus généralement chez les théoriciens du politique sous la Restauration, cf. Pierre Rosanvallon, Le Moment Guizot, Paris, Gallimard, 1983, pp. 75-82.
  • [114]
    Le National, 19 juill. 1830, cité par Yvonne Knibiehler, Mignet. Historien libéral. 1796-1884, Thèse de doctorat d’État, Université d’Aix-en-Provence, Service de reproduction des thèses, Université de Lille III, 1973.
  • [115]
    Michelle Riot-Sarcey, « Avant-propos », Romantisme, « De la représentation », 4e trim. 2000, n° 110, pp. 3-13.

1La mémoire du général Foy n’a pas résisté au second XIXe siècle. Héros de la jeunesse libérale des années 1820, orateur politique comparé à Démosthène, ancien soldat de Napoléon aux quinze blessures, il était pourtant, dans le Paris de la Restauration, le représentant le plus célèbre et le plus respecté de l’opposition au régime des Bourbons, plus encore qu’un Benjamin Constant ou qu’un Manuel. Ses obsèques, le 30 novembre 1825, furent suivies par près de cent mille personnes, peut-être un Parisien sur sept [1]. Éclat de mémoire qui ne s’imposa pas dans la durée [2], mais cristallisa dans le temps court des émotions relevées par tous les mémorialistes. « Funérailles révolutionnaires » [3], « contrepartie des pompes du sacre » [4], première manifestation déguisée ? Nous voudrions plus modestement étudier les prémices d’une pratique politique nouvelle, amorcée en 1820 avec les funérailles de l’étudiant Lallemand, poursuivie et enrichie à la fin de la Restauration et au début de la monarchie de Juillet [5] : l’enterrement de contestation. Conscient des dérives d’une certaine anthropologie, assimilant tout produit symbolique à un rite, et considérant la vie sociale comme un théâtre [6], nous croyons cependant pouvoir attribuer à ce type de cérémonie l’étiquette de rituel politique. Séquences morcelées et répétées successivement lors des funérailles libérales ultérieures, ostentation d’une certaine représentation du politique et de la souveraineté, « invention » d’un appareil symbolique spécifique, structure dramatique [7] : un rituel politique nous semble émerger de cet événement funèbre, fait à la fois de consensus et d’affrontement [8].

2Un rituel dont la compréhension est nécessairement mutilée par l’état des sources : les visées recherchées explicitement par l’élite libérale, pour une part organisatrice des funérailles, aux côtés de la famille, nous resteront à jamais inaccessibles, faute de programme cérémoniel et de témoignages adéquats ; la composition précise du cortège, et la forme de participation politique qu’elle suppose, ne peuvent qu’être esquissées ; la reconstruction postérieure de l’enterrement en cérémonie révolutionnaire, très présente dans les mémoires étudiés, doit aussi éveiller la prudence de l’historien. Ces limites étant posées, il nous paraît possible de dégager les formes symboliques épousées par le cortège funèbre, de percevoir les conditions de passage d’un enterrement ordinaire à une cérémonie politique, de mettre au jour les longues chaînes symboliques qui unissent l’enterrement libéral et les expériences antique ou révolutionnaire, et, au terme du parcours, d’esquisser les contours d’une culture libérale de la mort, négligée des historiens de la politique, probablement à cause de son syncrétisme et de ses paradoxes [9]. Nous nous proposons enfin de suggérer quelques pistes d’interprétation de ce rituel politique, en adoptant les catégories de perception des contemporains pour mieux esquiver l’aporie de la polysémie du rite [10], et de montrer les inscriptions dans le rituel d’une conception libérale de la représentation politique.

Une geste libérale ?

3Le détournement des derniers rites de passage en une fête politique, elle même constituée en rituel, suppose l’invention de formes, de gestes et de symboles propres, qui le distinguent d’un banal enterrement. Tout rituel politique entre en contact, parfois à double sens, avec l’emblématique et la signalétique, qui contribuent à lui construire un sens. Le rite serait, comme le souligne Pascal Ory dans un article récent, « l’espace-temps d’une surenchère de signes identitaires » [11]. Dans le cas étudié ici, on assista moins, cependant, à l’invention d’un répertoire symbolique nouveau qu’à un jeu subtil avec des normes imposées par la codification des funérailles au tournant du siècle. L’enterrement politique s’est façonné dans le cadre précis de la grande mutation culturelle des pratiques de la mort au début du XIXe siècle. La relative plasticité des formes du rituel, l’invention de sens nouveaux conférés à des objets usuels, offrirent une voie moderne de politisation du cortège, sans retour au folklore urbain hérité, largement étudié depuis les travaux pionniers de Maurice Agulhon [12], ni aux lourdes démonstrations didactiques de la fête révolutionnaire. Une parole contestataire a su s’immiscer dans les interstices du rite funèbre, s’accommodant de certaines contraintes réglementaires et coutumières, en transgressant d’autres, pour mieux publiciser un deuil privé et le retourner en révolte cachée. Le décryptage de ces signes politiques, dans une perspective compréhensive, attentive aux regards et interprétations des contemporains, permettra de mettre au jour une expression politique libérale méconnue, faite tout à la fois de réminiscences et de dénis révolutionnaires, d’anticipations de pratiques manifestantes, et de réemplois de gestes antiques.

4Un tableau des funérailles « ordinaires » dans le Paris de la Restauration nous semble s’imposer au préalable, afin de mieux saisir comment elles purent, en l’espèce, basculer insensiblement vers une manifestation politique. Les historiens de la mort [13] ont souligné l’appauvrissement liturgique et rituel des funérailles communes sous la Révolution : en contrepoint aux obsèques grandiloquentes des héros révolutionnaires, dominaient les cortèges squelettiques, les « champs du repos » à l’abandon, un effondrement spectaculaire des pompes baroques. En réaction à cette solitude des morts, s’est imposée sous le Consulat et l’Empire une remise en ordre du rituel funèbre : le décret du 23 prairial an XII (12 juin 1804) et divers arrêtés préfectoraux [14] mettent en place des funérailles solennelles et réglées, dont hérite la Restauration, plus conservatrice que restauratrice en la matière. L’accompagnement du mort, par comparaison avec l’Ancien Régime, change de centre de gravité : le cortège se déploie non seulement du domicile mortuaire à l’église mais surtout de l’église au cimetière, point d’orgue et parfois apothéose laïque de la cérémonie, lieu de tous les possibles en matière politique. Le cortège se fait plus ouvert, aux parents, aux amis, mais pour l’heure, l’enterrement bourgeois ne dépasse guère le cercle de famille élargi. L’ordonnancement du cortège est lui-même profondément renouvelé. Les ordres religieux s’effacent des « convois », de même que les confréries traditionnelles, en particulier à Paris. La présence nombreuse du clergé, de même que la mise en scène de pauvres, porteurs de flambeaux, demeurent parfois des signes somptuaires, absents dans le cas des funérailles du général Foy, et moins évidents en tout cas que le décor et le transport funéraires, confiés depuis prairial an XII aux fabriques, à un entrepreneur, et aux municipalités. Hiérarchie et uniformisation caractérisent le décor funéraire : six classes de funérailles sont définies par le décret du 18 août 1811 et reproduisent plus ou moins les divisions du monde social dans le rite funèbre, tandis que l’individualisation du décor est limitée par l’offre « standardisée » de l’entrepreneur de pompes funèbres, en situation de monopole à Paris – Labalte sous la Restauration. Quatre personnes, lors des funérailles solennelles, portent les coins du poêle funéraire, indiquant la dignité du défunt, et incarnant souvent les fonctions occupées de son vivant, susceptibles de se muer en allégories politiques, notamment lors de l’enterrement du général Foy où « quatre vertus libérales » [15] tiennent le drap mortuaire. Un dernier rite profane de séparation, répandu depuis le Directoire, consiste à faire prononcer un ou plusieurs éloges sur la tombe, par des proches du défunt, qui parfois se substituent purement et simplement aux dernières prières énoncées par le prêtre, et tiennent éventuellement lieu de discours politiques.

Appropriations, détournements, amplifications

5C’est à partir de ces figures imposées, elles mêmes dérivées de nouvelles sensibilités à la mort, que se construisit l’enterrement politique moderne, né à notre sens en 1825, répété et enrichi tout au long du siècle par sédimentations successives [16]. Les normes strictes du décor, plus nettes encore que lors des funérailles princières ou royales [17], semblaient peu propices à une dramaturgie politique efficace. Elles rendaient en particulier impensable la répétition des funérailles révolutionnaires, cérémonies des martyrs de la liberté ou cortèges de panthéonisation, dont le riche décor éphémère et les pesantes visées pédagogiques ont été maintes fois soulignés [18]. La personnalisation de l’hommage se trouvait limitée au XIXe siècle à quelques indices, comme la présence des initiales sur des tentures funèbres ou sur le drap mortuaire, et à quelques objets-reliques ayant appartenu au défunt. C’est précisément autour de ces rares traces, dont le sens fut exacerbé ou détourné, qu’une émotion politique put prendre corps. Les obsèques du général Foy inaugurent selon nous ce bricolage symbolique autour d’un usage tout à fait admis. Sur le drap mortuaire recouvrant le cercueil, reposent l’épée, les épaulettes et les décorations de l’ancien soldat. Ces insignes, nous disent tous les témoins de l’événement, captèrent tous les regards, furent salués par la foule tout autant que la dépouille mortelle elle-même ; un jeune homme, en un geste grandiloquent, posa même ses lèvres sur l’épée devenue relique. Symbole d’un « honneur » perdu, et souvenir charnel des victoires de la « patrie », l’épée du général apportait à sa manière sa touche subversive à un décor, allusion à l’ordre impérial aboli, renvoyant à un jeu de références nourri par les notices biographiques des journaux et les éloges prononcés sur la tombe. « De Jemmapes à Waterloo », scandent les journaux libéraux, l’épée du général Foy a accompagné l’aventure révolutionnaire et impériale, parenthèse interdite, rouverte le temps d’un enterrement [19].

6Plus nettement encore, la couronne funèbre, objet communément répandu dans les cimetières parisiens de l’âge romantique, se trouva investie d’une signification politique, assimilée par tous à une « couronne civique », et à ce titre insigne du parti libéral. Un geste d’hommage au défunt, le dépôt de couronnes sur le cercueil, devint, par glissement de sens, une distinction civique et politique, par référence à des usages plus anciens, antiques puis révolutionnaires. Retraçons en quelques mots la généalogie de ce détournement. Les fleurs funéraires, longtemps récusées par l’Église comme un héritage païen, se diffusent pendant et après la Révolution, en particulier sous la forme de couronnes d’immortelles, Paris étant le creuset de ce nouvel usage funéraire. Le dépôt de couronnes mortuaires sur le tombeau se diffuse dans les cimetières parisiens au début de la Restauration, comme l’attestent les tombes du maréchal Ney et du colonel Labédoyère en 1816. On ne parle pas alors, pour autant, de couronnes civiques. Rappelons que ces dernières, dans la Grèce classique évoquée par Plutarque, ou dans la Rome idéalisée d’un Bernardin de Saint-Pierre, familières aux contemporains du général Foy, relevaient de la récompense civique, funèbre ou non. La Révolution les avait réemployées, en de fréquents couronnements de bustes, notamment lors de la fête funèbre de Simonneau évoquée par Mona Ozouf [20]. De même, le décor funèbre du Panthéon, en particulier le fronton de Moitte, détruit sous la Restauration, reproduisait le geste du couronnement civique [21]. D’après nos recherches, les funérailles du général Foy sont le moment où l’on renoue pour la première fois explicitement avec la pratique du couronnement civique. Sur le cercueil, auprès des insignes militaires, la foule déposa solennellement le long du cortège ces couronnes civiques de lauriers, d’immortelles et de chêne. Ce symbole politique devint de règle lors des enterrements libéraux ultérieurs, en particulier lors des funérailles de Manuel où elles se firent aussi références historiques [22]. La couronne civique est aussi intégrée aux codes de représentation de l’événement, omniprésente dans les lithographies et gravures de décembre 1825-janvier 1826, et reconnue comme subversive : une lithographie représentant un buste en médaillon, surmonté d’une couronne de laurier, fut interdite en l’état en raison de la présence de la couronne [23].

7Si la théâtralisation de la politique caractérise l’ensemble des monarchies censitaires, elle fut particulièrement perceptible lors des funérailles libérales inaugurées ce 30 novembre 1825. Un jeu sur l’espace, le temps et le nombre, permit de dramatiser les obsèques, de sortir de l’ordinaire concordataire pour mieux imposer l’événement comme une évidence historique. Le débat sur les chiffres de la foule, devenue enjeu politique, sur la durée du cortège et sa composition, désormais familier au siècle des manifestations, était nouveau dans la France de la Restauration, qui n’avait connu de funérailles de masse que royales. De l’enterrement on glissait au rassemblement-prétexte ; l’on serait venu se compter autant que célébrer un défunt. L’accompagnement des proches ne devait en effet, dans un deuil classique, y compris pour un personnage public, guère déborder la famille, les proches, et les représentants de corps constitués, quelques centaines de personnes tout au plus. Or, entre 60 et 100 000 personnes auraient participé aux obsèques du général Foy, chiffre auquel il faudrait ajouter les badauds, et les spectateurs saluant depuis leurs fenêtres le passage du cortège. 30 000 personnes auraient attendu l’arrivée du cortège au cimetière du Père-Lachaise, dont plus de 2000 femmes [24]. Foule spontanée, organisée, populaire ou élitaire ? Quelques indices permettent de conclure à un effet calculé de foule, compatible par ailleurs avec une émotion sincèrement éprouvée. Des placards, diffusés dans divers quartiers de Paris la veille et le matin même des obsèques, annoncent l’heure de départ du convoi et l’adresse du domicile mortuaire. De son côté, la presse d’opposition – Le Constitutionnel et Le Courrier français essentiellement – ne se prive pas de mentionner l’heure de la cérémonie funèbre, ce qu’elle n’eût sans doute pas pu faire en période de censure renforcée. Des batailles de chiffres concluent l’enterrement. Pour les libéraux, c’est le peuple parisien mythique qui a repris vie, métonymie explicite de la nation française. Les obsèques du général Foy sont en ce sens de nouvelles obsèques « nationales », où le faste ne réside pas dans le décorum mais dans le nombre : transfert de solennité où disparaît la pompe propre aux funérailles monarchiques ou princières, et où prend forme l’un des enjeux de la manifestation politique.

8Certes, l’ostentation n’est pas absente de la cérémonie et bien des traits d’un enterrement élitaire sont respectés. Quatre voitures de deuil succèdent au corps du défunt, suivies de plusieurs centaines d’équipages, où paraissent le duc d’Orléans, futur Louis-Philippe, le ministre de la Guerre, des pairs, des députés, des ambassadeurs et de grands bourgeois parisiens. On rend à un ancien député, de surcroît ancien général et grand officier de la légion d’honneur, les honneurs militaires d’usage depuis le décret de messidor an XII [25], et un détachement du 47e de ligne ouvre le cortège. La présence de notabilités de tous horizons, de la « Corinne de 1825 », Delphine de Girardin, au banquier Laffitte, donne au cortège funèbre des allures de réunion mondaine. Mais la configuration de la foule en marche – derrière les voitures de deuil – rompt avec les pratiques de distinction des corps constitués. Des rangées de trois, six ou dix personnes forment des chaînes humaines. On « se [donne] le bras sans se connaître » [26] dans la rue, puis la main pour accéder à la tombe provisoire du Père-Lachaise. Des individus s’entremêlent, mus par la moderne « satisfaction d’aller tous chacun pour soi » saluée par Guizot quelques jours après l’enterrement [27]. Un assemblage de volontés individuelles, et non un cortège de corps en représentation [28] : le convoi du général Foy incarne cette fusion des classes rêvée par les libéraux. « Depuis la nuque jusqu’aux talons, cent mille auditeurs, acteurs ou spectateurs s’étaient libéralement couverts de la même boue », écrit ironiquement le comte de Salaberry [29]. Nobles, pairs de France, bourgeois, étudiants, commis et ouvriers, jeunes et vieux, ressuscitent la métaphore du corps politique familial – ici amputé du père identifié au défunt –, métaphore monarchique usée mais ici employée dans le sens révolutionnaire d’une communauté fraternelle [30] :

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Dans cet immense concours de citoyens de tout âge, qui suivaient ou précédaient ces nobles enfants, on remarquait des jeunes filles vêtues de deuil, des vieillards affaiblis par l’âge, des mères tenant leurs enfants par la main ; on eût dit que cette innombrable assemblée ne formait qu’une seule famille, qui déplorait en commun la perte d’un père, d’un protecteur et d’un ami [31].

10La mise en scène de l’espace traversé ne reposa pas sur ses aspérités symboliques, contrairement au modèle révolutionnaire [32], mais sur son étirement dans le temps. L’itinéraire fut établi de concert par la famille du défunt et les autorités de police, sous le contrôle du commissaire de quartier ou du Préfet de police lui-même. Le parcours traverse ou côtoie le Paris historique et/ou populaire, du domicile mortuaire au Père-Lachaise : de la rue de la Chaussée d’Antin à l’église Notre-Dame de Lorette, puis de la rue de Richelieu aux boulevards intérieurs et à la rue du Chemin-Vert. Pour autant, les lieux de mémoire révolutionnaires ou impériaux, Panthéon, colonne Vendôme, place de la Bastille ne sont pas convoqués. Les tentatives ultérieures de captation d’espaces saturés de mémoire [33] n’ont guère de sens en 1825, où la réactivation de ces lieux n’est encore guère perceptible. Le Panthéon, laborieusement converti en église Sainte-Geneviève, ne devint lieu de rassemblement libéral qu’en 1830 ; la colonne Vendôme n’est sous la Restauration que le siège de quelques farandoles politiques [34], multipliées au début de la Monarchie de Juillet. Cependant, le cortège libéral de 1825 prit symboliquement possession d’un espace parisien réduit à des usages de souveraineté ou de religion d’État, où triomphaient en particulier les processions, missionnaires ou non. Le cortège libéral s’assimilait, notamment par le long passage sur les boulevards, au « tour de ville » traditionnel, observé à la même période en province lors des hommages funèbres rendus aux personnalités locales les plus éminentes [35]. L’appropriation de l’espace était soulignée par un étirement dans le temps confirmé par tous les observateurs, l’enterrement tendant à cet égard à se rapprocher du modèle de la « journée » révolutionnaire. Selon certaines sources, les funérailles auraient duré près de neuf heures, du rassemblement autour de la maison mortuaire à l’inhumation au Père-Lachaise. Un voyageur américain évoque les premiers frémissements vers 10 heures le matin, et la lente progression de la rue du Chemin-Vert au Père-Lachaise, la nuit tombée [36]. Le cortège semble avoir volontairement subi les effets de foule, des stations ayant manifestement ponctué le parcours, et la seule entrée dans l’enceinte du cimetière a duré une heure et demie.

11La mise en scène funèbre utilise aussi les ficelles de la plongée nocturne, qui démultiplie, ainsi que l’a montré Simone Delattre [37], la présence de la mort. Dans des cimetières parisiens d’ordinaire fermés à la tombée de la nuit, le convoi du général Foy inscrit une exception historique. David d’Angers, présent aux obsèques, subtil témoin politique et esthétique de la période, et auteur du futur tombeau monumental du général Foy, souligne dans ses Carnets combien la nuit transfigure la statuaire et les hommes. La couleur blanchâtre des statues « semble n’avoir [plus] rien de terrestre », tandis que la mort se met à infuser les vivants, les traits aigus des faces maigres, les têtes blêmes surgissant comme autant de morts en enfer [38]. On connaît aussi l’anxiété collective autour des créatures peuplant la nuit des cimetières, « réserves d’inconnu et d’horreur » [39]. Le cimetière nocturne empli par la foule devient dès lors un théâtre « fantastique », que le témoignage postérieur d’Armand Marrast, nous rend palpable :

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Les uns étaient montés sur des arbres bien fragiles ; les autres dominaient, du haut des monuments destinés à d’autres hommes illustres, et de tous côtés on n’entendait que l’oraison funèbre du général Foy. Cependant, le convoi avançait, et, pour tromper la nuit, de nombreuses torches avaient été allumées ; bientôt elles se multiplièrent, pas assez cependant pour illuminer d’un vif éclat l’immense sépulture, mais de manière à porter un jour plus lugubre sur toute cette cérémonie.
Toutes ces têtes humaines reflétées d’une lueur blafarde, tous ces corps marchant d’un pas lent et monotone au milieu de ce vaste champ semé d’ossements humains, ce bruit du vent qui venait d’éteindre là ses gémissements lointains, ce murmure confus de paroles mal articulées qui ressemblait au langage d’un monde inconnu, cette obscurité profonde coupée par des lumières vacillantes et qu’on eût prises pour des feux phosphoriques continus, au-dessus de tout cela un ciel noir comme le drap mortuaire, et dans l’air une odeur de souffre ; tel était l’aspect fantastique que présentaient les funérailles du général Foy [40].

13On ne peut, à l’aune des autres enterrements politiques de la période, que songer à un usage politique de la nuit. La multiplication des torches trahit une préparation quasi-certaine. Des événements funèbres similaires, ainsi que les illuminations intempestives de 1826-1827 [41], incitent à conclure à une culture révolutionnaire de la nuit : les funérailles de Benjamin Constant, en décembre 1830, se poursuivent tard dans la nuit ; sous la pression de la population, les tombes provisoires des insurgés de 1830 sont éclairées la nuit ; des rassemblements s’y produisent fréquemment la nuit tombée, éveillant l’inquiétude des autorités de police [42].

Transgressions

14Les obsèques du général Foy détournèrent ou amplifièrent les usages funèbres hérités de prairial an XII. Elles purent aussi en transgresser quelques interdits. Rien ne serait toutefois plus anachronique que d’adapter à cette manifestation funèbre le modèle de l’inversion, par ailleurs très présent dans le folklore politique provincial, et même parfois parisien [43]. L’enterrement politique n’épouse pas les formes connues de la fête citadine ancestrale. La volonté première n’est pas de désamorcer la violence dans des gestes ludiques, ni de subvertir un ordre, mais de créer une geste spécifique de reconnaissance. Il sera ici surtout question du port à bras du cercueil du défunt. Au terme du décret du 23 prairial an XII (article 21), le transport des corps est régi par les autorités municipales. Or, l’arrêté du préfet de la Seine de germinal an XI (titre 1, article 5) stipule qu’« aucun transport funèbre ne sera fait désormais à bras, mais avec des chars attelés à chevaux ». Précisément, lors de l’enterrement du général Foy, le corbillard est très vite abandonné, des jeunes gens enthousiastes se précipitent vers le cercueil en s’écriant : « C’est à nous de le porter. Ils nous appartient » [44]. Les employés des pompes funèbres, les commissaires et agents de police doivent, pour l’heure, fermer les yeux sur cette violation flagrante. Les jeunes gens se relaient tout au long du cortège pour porter le cercueil, se disputent cet honneur tandis que chacun s’efforce de s’approcher du corps pour toucher le drap mortuaire [45]. Cette entrave à la législation funéraire ne retiendrait guère l’attention si elle ne s’était régulièrement reproduite, lors des funérailles de Manuel, La Rochefoucauld-Liancourt puis Chaussier [46] en 1827-1828. Les troubles avec les autorités de police en 1827, les controverses suscitées, la répétition des mêmes gestes montrent que l’on a affaire à l’une des séquences obligées d’un enterrement politique en construction, aux enjeux symboliques forts. Le port à bras du cercueil est certes un usage ancien, encore fréquent dans les campagnes du XIXe siècle, nous dit Van Gennep [47], pratiqué par des proches hors de la parentèle du défunt. Mais, réintroduit par de jeunes étudiants parisiens, il devient une pratique politique nouvelle, faite de reconnaissance civique et d’honneur juvénile. Le toucher de cercueil, significativement reproduit dans une dizaine de lithographies et gravures (Ill.1), inscrit en une geste funèbre l’idée de délégation politique. Porter à bras la dépouille mortelle signifie toucher une dernière fois celui que l’on désigne comme son représentant – symbolique, puisque les étudiants concernés ne sont pas électeurs –, le porte-parole du peuple : « Il nous appartient », s’écrient ainsi les étudiants qui se précipitent pour porter le cercueil. Ces gestes entrent aussi dans une volonté de la jeunesse, à la fois traditionnelle et caractéristique de la Restauration, de montrer son ascendant dans les grandes cérémonies publiques, relevée par Alain Corbin à propos des agitations dans les théâtres de province [48]. À partir de l’enterrement du général Foy, le port du cercueil du grand homme entra dans les codes d’honneur de la jeunesse étudiante, prête, en cas de refus, à en découdre avec les gendarmes et gardes royaux, comme en témoignèrent, parmi d’autres, les funérailles de La Rochefoucauld-Liancourt [49].

ill. 1

« Convoi du général Foy, le 30 novembre 1825 ». Lithographie de Cheyère. Bibliothèque Nationale. Cabinet des Estampes, série Qb1

ill. 1

« Convoi du général Foy, le 30 novembre 1825 ». Lithographie de Cheyère. Bibliothèque Nationale. Cabinet des Estampes, série Qb1

15Le paysage sonore des enterrements libéraux, à commencer par celui du général Foy, entrait aussi en contradiction avec la normalisation du rituel funèbre. Nous n’évoquerons pas ici les sonneries funèbres, annonces de la cérémonie religieuse précédant l’inhumation, et soumises aux règlements qui fixent le tarif de la classe d’enterrement. Sonneries uniformes, et dont aucune trace ne nous est parvenue, signe, dans le cas présent, de leur insignifiance politique [50]. Au sein du cortège, le silence, on le sait, est requis dans les enterrements concordataires. Effet ou non du fameux « processus de civilisation » et d’une ritualisation de la souffrance, il devient l’équivalent sensoriel de la décence. Les émotions funèbres, dans le cadre parisien au moins, se doivent de ne pas éclater en cris. Les pleureuses disparaissent à Paris du rituel funéraire – il n’en est cependant pas de même en province, notamment en Corse [51] –, et la surabondance des signes extérieurs du deuil doit suffire à exprimer la douleur [52]. Précisément, lors des funérailles du général Foy, le silence de la foule demeure dominant, mais non uniforme. Des cris éclatent ponctuellement, qui, de surcroît, expriment la célébration plutôt que la douleur paroxystique. Dans l’église Notre-Dame-de-Lorette, des ovations interrompent la cérémonie religieuse : « Honneur et gloire au général Foy ! » [53]. Le long du cortège, des cris plus isolés, dont les auteurs sont parfois réprimandés par leurs voisins, et dont nous analyserons plus loin la teneur, trouent le silence remarqué de la foule. Au cimetière, quelques applaudissements retentissent à la suite du chant funèbre, et le passage du corps est salué par des acclamations diverses. Une fois les éloges funèbres prononcés, le choc de la terre sur les parois du cercueil suscite un afflux d’émotion, et « le recueillement général [cesse] : on a pleuré tout haut ». Le contrôle des affects trouve ici ses limites, la foule invente des obsèques bruyantes, ici et là joyeuses, dont découle toute une tradition propre aux enterrements d’opposition des XIXe et XXe siècles. Le paysage sonore troublé est même théorisé par Armand Marrast dans son essai postérieur sur les funérailles révolutionnaires : des enterrements agités laissent plus de part aux souvenirs qu’à la douleur, et « menacent le présent en enterrant le passé » [54], le culte des morts devenant alors grondement politique.

16Le bruit entre aussi en dissonance avec le sentiment religieux convenu, autre indice d’une sensibilité funèbre proprement libérale. Lors des obsèques du général Foy, le rite catholique a été formellement respecté, des derniers sacrements au passage à l’église, mais son esprit semble avoir été trahi. Dans l’église, le rituel des morts a été fort peu entendu ; seuls « quelques cierges allumés, [et] quelques prêtres confondus dans la foule, embarrassés de leur position » auraient rappelé la présence de la religion [55]. Au cimetière du Père-Lachaise, temple de l’athéisme selon certains ultras, aucun prêtre n’aurait été présent pour le rite de l’eau bénite. De même, la série de lithographies consacrées aux derniers moments du général Foy [56] font figurer amis, parents, proches, mais point de prêtre. L’effacement discret de la religion catholique n’excluait pas la persistance d’un sentiment religieux diffus, d’une religion de l’immortalité proche du culte des grands hommes. Le paradoxe d’un respect du défunt et d’une absence de référence au salut résume cette ambiguïté. Pour les ultras, l’enterrement libéral consommait l’oubli de Dieu, tendait au rituel civil, pratiqué, il est vrai, quelques mois plus tôt beaucoup plus radicalement pour l’enterrement du comte de Saint-Simon, le corps ayant été alors directement transporté au cimetière. Le passage à l’église aurait été, dans le cas du général Foy, un simple ajout de pompe cérémonielle. Pour certains libéraux eux-mêmes, dont la duchesse de Broglie, témoin de l’enterrement du général Foy, la gravité mêlée à la vanité, le souvenir du mort à l’oubli de l’au-delà auraient trahi une « absolue absence d’émotion religieuse » [57]. Pour d’autres au contraire, en particulier Benjamin Constant, les funérailles du général Foy dévoilaient « le sentiment religieux dans toute sa pureté ». La fragilité de l’appareil religieux, loin d’effacer la présence du sacré, aurait permis la communication directe des âmes avec l’âme du défunt, la révélation de son immortalité et la fusion du plaisir et de la douleur dans la compassion [58].

17Les formes de l’hommage, il est vrai, relevaient de sensibilités multiples, incluant la dévotion populaire au héros. À l’issue de la cérémonie funèbre, la foule se précipite sur le drap mortuaire ainsi que sur les couronnes et palmes qui le décorent, pour les partager en milliers de morceaux, sortes de reliques libérales [59]. Ces gestes évoquent les mouchoirs trempés dans le sang des martyrs de la Révolution, au premier rang desquels Louis XVI, mais aussi les fragments d’échafaud recueillis par la foule lors de l’exécution de l’étudiant libéral Carl Sand en mai 1820, voire les feuilles de saule de Sainte-Hélène qui sont après la mort de Napoléon colportées comme autant de reliques bonapartistes, en particulier dans la France rurale. Le culte des martyrs – ou héros – politiques traverse le champ des opinions et des croyances dans l’Europe post-révolutionnaire. La croyance dans les vertus propitiatoires de la relique, d’esprit contre-révolutionnaire, s’oppose au simple usage de la relique comme fragment monumental du grand homme ou du héros, support de souvenir et non médiateur du sacré. Les « reliques » du général Foy participent plutôt de ces pratiques de mémoire, et non, à notre sens, d’une religion de substitution. Le développement d’un fétichisme post-mortem, vecteur d’une mémoire politique, appuie cette hypothèse : au lendemain de la mort du général Foy, se multiplient les parapluies à poignées représentant le défunt, les médailles à l’effigie du général, diverses estampes, un « calendrier perpétuel », des boutons de manchettes dédiés « aux mânes du général Foy », et même une liqueur nommée « esprit du général Foy », et des « bonbons à la général Foy » [60]. La variété des objets, leur incongruité dans la célébration d’un deuil, rappellent la bimbeloterie bonapartiste très en vogue à la même période, et renvoient à une idolâtrie caractéristique de la communication et de la culture politiques de la Restauration [61], qui ne prétend pas pour autant fonder une nouvelle religion populaire.

Culte du grand homme ou manifestation ? De l’émotion à la croyance : l’impossible passage

18Le cortège donna à voir un spectaculaire transport d’émotion, compatible avec l’apparent désordre du paysage sonore. L’expression classique du deuil, en particulier le port de vêtements ou de crêpes noirs, et l’épanchement des larmes, ont pu alterner, éventuellement chez les mêmes participants au cortège, avec des cris de gloire politique jugés indécents. La diffusion des signes du deuil dans la capitale surprit les observateurs tant elle reproduisait, dans une apparente spontanéité, les normes imposées aux obsèques officielles. Le processus observé précédemment de transgression des codes funéraires est ici inversé : on imite un deuil institutionnel pour l’enterrement d’un simple député. La « parodie de convoi princier » dénoncée par les ultras [62] prend aussi sens dans ce mimétisme exagéré des formes de la douleur publique. Les travaux sont suspendus au faubourg Saint-Antoine à l’arrivée du cortège, les boutiques du quatrième arrondissement, traversé par le convoi, sont fermées et parfois tendues de noir, les boulevards festifs et leurs théâtres sont désertés le soir des obsèques. Les participants au cortège portent souvent le crêpe noir, de rigueur dans les deuils officiels pour les fonctionnaires et les militaires, les femmes affichent leur tenue de deuil au Père-Lachaise, les spectateurs penchés sur leurs fenêtres se couvrent de noir, et les chapeaux s’abaissent malgré la pluie pour saluer le cercueil. Le flot humain de têtes nues sous la pluie – près du cercueil, car plus en retrait dominent les parapluies – saisit tous les observateurs. Les signes du deuil royal ou princier, imposés sous la Restauration le 21 janvier ou le 14 février à la mémoire de Louis XVI et du duc de Berry, si mal appliqués malgré la diligence des commissaires de police [63], trouvaient ici ironiquement un modèle d’exécution.

19Les larmes scandent les diverses étapes de la cérémonie. À la sortie du domicile, lorsque paraît le cercueil, éclatent les premiers sanglots [64], renouvelés tout au long du cortège au passage du corps. Les femmes du peuple pleurent au coin des rues – comme elles l’avaient fait trente ans plus tôt pour la mort de Marat, fait habilement observer un publiciste ultra [65]. L’échange des larmes publiques et privées, sur le modèle de la compassion irrépressible, intervient à plusieurs reprises. Quand les fils du général, le visage couvert de pleurs, sont aperçus des assistants, la contagion sensible ne peut être contenue au sein du cortège. Au cimetière lorsque les orateurs, proches du défunt, saisis par leur propre éloquence ne peuvent réprimer les larmes, ils entraînent le public dans l’effusion. Le mécanisme est classique, éveille même le soupçon d’un topos littéraire reproduit dans les narrations de l’événement, mais il montre également la permanence du modèle de la circulation sensible hérité des Lumières puis de la Révolution [66], fait de fraternité et d’humanité dans l’échange des larmes. Les mécanismes d’autocontrainte n’ont pas totalement cours dans le cadre de funérailles libérales, et les élites politiques n’échappent pas au paroxysme de l’émotion : le duc de Choiseul eut la voix étouffée de sanglots au moment de prononcer l’éloge funèbre, tandis que Royer-Collard, ne pouvant même atteindre le cimetière, se serait évanoui [67]. L’idée d’une privatisation et d’une féminisation des larmes au XIXe siècle [68] doit donc être fortement nuancée, tant elle s’applique mal aux cérémonies politiques du premier XIXe siècle.

20À ce premier stade de description des émotions, on doit se contenter de constater, par recoupement de sources et témoignages, qu’une affliction parcourt la ville, prend des formes parfois contradictoires, euphémisées ou paroxystiques. Que cette affliction ait été sincèrement éprouvée, cela reste définitivement incertain. L’historien ne peut sonder les cœurs à partir de bribes de discours épars ; on peut seulement confronter les sarcasmes des ultras à propos des « mômeries lacrymales », des souffrances théâtrales de révolutionnaires masqués, et les professions de foi douloureuses de la presse et des mémorialistes libéraux. On ne saurait réduire les funérailles ni à une « panique de tristesse » durkheimienne, ni à la froide mise en scène du nombre. Le problème est ailleurs, et réside dans le déplacement, trop souvent opéré par les historiens, entre expressions affectives et croyances enracinées. Peut-on conclure, à partir de ces formes concrètes observées, à la manifestation rituelle d’une croyance commune, propre aux moments sociaux d’effervescence, au renforcement d’une cohésion politique ? Dans son analyse des rites piaculaires, Durkheim fait reposer la tristesse collective non sur la multiplication d’émotions individuelles mais sur le sentiment de perte éprouvé par la communauté. La crainte d’un affaiblissement du groupe, phylum clanique ou autre, suscite un rite d’intégration, synthèse d’ordre et de puissance, paroxysme où « chacun est entraîné par tous [et où] se produit comme une panique de tristesse » [69]. Claude Rivière, et plus récemment Nicolas Mariot, invitaient l’historien et l’anthropologue à se défier de ces logiques intégratrices, le premier insistant sur la distinction entre « expression des symboles et réalisation effective du proclamé » [70], le second récusant le motif du rite comme actualisation d’une croyance préalable, simple entretien d’un système de représentations [71]. Se posent ainsi les questions très épineuses du sens et de la réception d’une cérémonie politique, dont les émotions observées ne peuvent être de simples signes univoques.

21Il faut alors tenter de saisir le spectacle politique non comme une convergence de sentiments, mais comme un assemblage d’affects et de croyances divers, recomposés dans le temps du cortège mais aussi après les obsèques. La présence au sein du même cortège de Chateaubriand ou de Barbé-Marbois, déporté victime de la Révolution, non loin de Royer-Collard, Laffitte, du jeune républicain Armand Marrast, mais aussi de David d’Angers, d’Horace Vernet, et d’Alexandre Humboldt, invite à une lecture composite d’un rituel politique par ailleurs non figé dans une tradition. La thèse d’un enterrement révolutionnaire, prélude à l’émeute et terrain d’expérimentation de la charbonnerie ou de la maçonnerie [72], n’épuise pas l’événement dans ses surgissements multiples. La participation au cortège, les émotions éprouvées, renvoient à des références mémorielles, esthétiques, à des attentes, voire à des sentiments politiques hétérogènes. Nous nous contenterons ici d’esquisser plusieurs clefs de lecture, nourries d’une micro-histoire des représentations, à défaut de pouvoir nous risquer à une véritable autopsie de la foule funèbre. Nous ne pouvons prétendre conférer un sens à l’événement funèbre sans risquer à la fois l’anachronisme, la dérive téléologique et le fonctionnalisme. La fluidité et la sobriété des symboles observés initialement interdit une telle démarche. Il nous faut alors adopter une démarche compréhensive, saisir dans le temps très court – quelques semaines – les contradictions successives des commentaires suscités par les obsèques, les confronter aux effets démultiplicateurs de gestes et de pratiques directement liées à l’enterrement – circulation d’images, de brochures, diffusion écrite des éloges funèbres, et surtout le lancement d’une souscription nationale –, pour montrer, dans un va-et-vient entre pratiques et représentations, comment prit forme une « prise de parole » politique, distincte du simple hommage au défunt.

Célébration du grand homme et récompense civique

22L’interprétation dominante, au lendemain des obsèques, était pourtant au demeurant assez durkheimienne. Le « corps social » [73] se serait reconstitué dans l’hommage unanime au grand homme disparu, après un enterrement « national » : « La perte d’un grand homme, peut-on lire dans une brochure éditée en décembre 1825, a resserré nos liens, nous sentons plus vivement le besoin de combler, par une adhésion plus forte, le vide qu’il laisse autour de nous ». Interprétation minimale, de reconnaissance due à l’illustre défunt, dans le sillage des Lumières, « cérémonie d’intégration » pour reprendre la terminologie des historiens de la fête révolutionnaire. À l’appui de cette interprétation, que fait sienne le préfet de police lui-même, l’on peut citer, de fait, l’absence de cris séditieux [74], de gestes de violence, et de toute visée insurrectionnelle. Le pouvoir n’était pas, manifestement, menacé dans son exercice. L’enterrement aurait été la consécration d’un grand homme en grand ancêtre, permise par le passage, dès son vivant, au statut d’immortel. L’immortalité affirmée dans la mort – rhétoriquement dans les éloges funèbres, porteurs de « couronnes d’immortalité » – prolongerait une immortalité symbolique, acquise avant la mort. Une interprétation qui invite à la fois à retourner aux séquences de l’enterrement pour y chercher les traces éventuelles d’un tel hommage unanimiste, et à comparer terme à terme les gestes d’acclamation du député dans ses déplacements publics, et du rituel funèbre proprement dit, pour saisir comment s’inscrit dans les deux cas la dignité de grand homme, et leurs analogies formelles.

23Les dossiers de surveillance des députés aux Archives Nationales fournissent à cet égard de précieuses données. Des sérénades, banquets et acclamations diverses scandèrent les visites du général-député en Alsace en 1821-1822. Député de Vervins, il n’était pas l’élu de cette région, mais sa notoriété dépassait les bornes de sa petite patrie ; c’était le « mandataire de la France entière » [75] que la population célébrait. Des éléments de décor politique présents lors du cortège funèbre peuplaient également les cérémonies d’acclamation. Des couronnes civiques surmontent les sièges des trois députés libéraux présents lors du banquet de Strasbourg le 29 août 1821. La place occupée par le général Foy au banquet de Mulhouse le 5 septembre, était décorée d’une épée accompagnée d’une couronne de laurier et d’un bouquet d’immortelles, symboles présents sur le drap mortuaire des funérailles. Les toasts, vivats et acclamations portent une parole politique que l’on retrouve, étonnamment proche, lors de l’enterrement parisien. Lors des sérénades et des banquets, on acclama ainsi le général-député : « Vive le général Foy ! Vive la Charte ! Vive le défenseur de la liberté constitutionnelle ! Honneur à l’armée ! Vive le côté gauche ! Aux peuples régis par les lois constitutionnelles ! » [76] Cris que l’on peut aisément comparer aux ovations entendues le long du cortège funèbre : « Vive le général Foy ! Honneur et gloire au général Foy ! Au défenseur des libertés publiques ! Il était notre défenseur ! C’était l’homme de la patrie ! » [77] Dans les deux circonstances, était esquissée une même figure du grand homme représentant du peuple et patriote. Les funérailles libérales ne seraient que le rite ultime d’agrégation à la cohorte des grands hommes.

24Quelle consistance donna-t-on, précisément, à cette figure de grand homme, et quel sens donner dès lors à l’hommage au défunt ? Il faut, pour cela, se reporter aux éloges prononcés sur la tombe et diffusés dans la presse et les brochures, qui déclinent les vertus croisées du grand homme de la Restauration, dérivées de Plutarque et des Lumières, du héros napoléonien et du génie du peuple à la Michelet. À cet égard, l’idée d’une continuité du XIXe siècle avec la « naissance du Panthéon » au siècle précédent [78] nous semble devoir être nuancée, en particulier dans ces années 1820 où les historiens débattent de la catégorie de grand homme [79], et où prend forme une pensée libérale sur le sens de la gloire dans un régime représentatif [80].

25La distinction chère à Voltaire et à Jaucourt entre le héros « saccageur de province » [81] et le grand homme bienfaiteur de l’humanité n’est plus de mise. Les thèses de Victor Cousin – énoncées postérieurement dans sa dixième leçon en Sorbonne – selon lesquelles la guerre et la philosophie seraient les deux champs privilégiés du grand homme s’inspirent probablement, parmi d’autres, du souvenir de la mort du général Foy, évoquée par ailleurs dans les « Souvenirs de Sorbonne en 1825 » de son collègue Villemain [82]. De fait, le général Foy est célébré en héros à l’antique, héros plutarquien rompu au double exercice des armes et de la tribune, disparu d’une mort sereine. Le général Sebastiani place ainsi Foy dans la mémoire militaire de la France aux côtés de ses « plus illustres chefs, Masséna, Davoust, Ney » [83] ; Casimir Perier évoque les quinze blessures accumulées par le chef de guerre, dont la dernière fut contractée à Waterloo ; Benjamin Constant, dans un discours non prononcé [84], dépeint un « corps couvert de cicatrices glorieuses » [85]. Si la « belle mort » du guerrier antique manquait à son aura, l’éloquence tribunitienne s’en était fait le substitut : le don du verbe à la Chambre des députés équivaut au sacrifice ultime, tant ses discours ont « abrégé sa vie », selon l’expression de Benjamin Constant. Héritier de Démosthène auquel il est fréquemment comparé, le « prince de la tribune » avait l’éloquence laborieuse, vécue comme sacrifice pour la liberté. Le héros libéral est une victime, sinon un martyr, de la tribune, ainsi que le laisse entendre Broussais dans sa notice médicale : l’hypertrophie du cœur constatée à l’autopsie dérive des « émotions qu’il éprouva souvent à la tribune » [86].

26Le « talent » et le « génie vertueux » [87] sont aussi érigés en modèle exemplaire de la génération montante, et transfigurent l’enterrement en une leçon de pédagogie et de mémoire civiques. Le rituel funèbre, dans l’enceinte du cimetière, s’inscrit ici certes dans les normes de l’éloge édictées par Thomas un siècle plus tôt [88], mais aussi dans l’esprit des panthéonisations révolutionnaires et en référence aux récompenses civiques américaines [89]. Les orateurs de cimetière s’adressent, loin de la sphère confinée des académies, à l’opinion publique, dont ils se font les représentants implicites. L’immortalité qu’ils proclament a pour condition la reconnaissance ultime du peuple, version laïcisée du Jugement dernier [90]. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’appel à une souscription nationale pour les enfants du général et l’érection d’un tombeau, que lance, depuis le Père-Lachaise, Casimir-Perier, ainsi que le dialogue qui s’instaure entre l’orateur et la foule présente. À la proposition émise par Casimir-Perier succède une « acclamation universelle : Oui, oui, la France l’adopte ! », et le discours s’achève en un chœur où les assistants répètent avec le député « Honneur éternel, honneur au général Foy ! » [91]. La fête funèbre anticipe un dialogue à distance entre l’opposition libérale et, par métonymie, la nation tout entière, souveraine ou non.

27L’hommage dérive alors des vertus du grand homme vers son dévouement pour la cause de la liberté, l’« ardeur de son zèle contre le mal » [92], ses combats parlementaires pour la liberté individuelle, la liberté de la presse et la défense de la Charte. Le rituel d’inclusion tend à la célébration de parti, dessinant implicitement des frontières : l’unanimité, au moment même des funérailles, n’est que de façade. On ne peut s’empêcher de voir dans les éloges des réminiscences plus ou moins affichées des voies de l’héroïsation révolutionnaire, la mobilisation et l’action l’emportant sur les vertus privées [93]. C’est le combat de l’avocat du peuple que l’on célèbre au Père-Lachaise, plus encore que ses qualités d’homme privé – « époux sensible et tendre, père éclairé et plein de bonté » [94], topos de l’oraison puis de l’éloge funèbres. Un lien indéfectible entre la nation et le général Foy aurait résisté à la mort. Le député libéral en était devenu, à en croire les orateurs, une incarnation, le traducteur soigneux de ses opinions confuses. On trouverait là des échos frappants, y compris dans les termes choisis, avec la vision, selon Jules Michelet, de l’homme de génie. Le général Foy était l’homme simple, à l’instinct natif, plus peuple que le peuple lui-même tant il s’était fait sa voix [95]. Idée paradoxale pour un notable éligible, mais caractéristique des ténors libéraux de la Restauration, et de la nouvelle vision du grand homme qu’ils incarnaient.

28L’image relaie le texte dans cette interprétation ambivalente de la récompense civique. Une série de gravures publiées peu après l’enterrement [96], de factures et de prix divers [97], dont certaines appartiennent au genre convenu de l’apothéose, représentent le couronnement civique du général. Près du tiers des gravures funèbres du général Foy conservées dans la collection de Vinck et la collection Qb du Cabinet des Estampes comportent une ou plusieurs couronnes civiques. Une gravure prend même pour seul objet un rameau funèbre et civique, qualifié de « cyprès de Foy » [98]. Une lithographie, destinée à une étiquette de parfum, « parfum législatif ou esprit du général Foy » (Ill. 2), montre le couronnement d’un buste du général par un personnage féminin ailé, porteur de la Charte constitutionnelle, et encadré de signes funéraires, urne voilée, saule pleureur, couronnes de laurier et de chêne. Deux obélisques latéraux explicitent les droits du grand homme à la reconnaissance, en un sens très ouvertement libéral : à gauche, la succession de campagnes de 1792 à 1815, incluant Waterloo ; à droite, des références aux interventions parlementaires du défunt en faveur des libertés publiques et de l’« ancienne armée ». Le front libéro-bonapartiste du cortège était confirmé dans l’imagerie funèbre. Une autre lithographie, allégorie intitulée « à la mémoire du général Foy » (Ill. 3), et déposée en janvier 1826, montre le disparu sur son lit de mort, entouré à droite des attributs de la gloire militaire et à gauche de la Charte et de ses discours parlementaires. Un double hommage est ici figuré : populaire et affectif à droite, avec l’allégorie de la reconnaissance éplorée, casquée, lisible aussi comme allégorie de la patrie, ou de la nation donatrice, entourant les enfants du général ; symbolique et mémoriel en haut, représentation implicite d’un Panthéon syncrétique, libéral, révolutionnaire et bonapartiste, où la palme de l’éloquence est remise par Mirabeau, la couronne civique de chêne par le député libéral Camille Jordan mort en 1821, et les couronnes de laurier par des compagnons de la Grande Armée.

ill. 2

Parfum législatif. Esprit du général Foy. Étiquette de parfum, déposée le 26 décembre 1825. Bibliothèque Nationale. Cabinet des Estampes, série Qb1

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Parfum législatif. Esprit du général Foy. Étiquette de parfum, déposée le 26 décembre 1825. Bibliothèque Nationale. Cabinet des Estampes, série Qb1

ill. 3

À la mémoire du général Foy. Gravure déposée en janvier 1826. Bibliothèque Nationale, Cabinet des Estampes, coll. de Vinck

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À la mémoire du général Foy. Gravure déposée en janvier 1826. Bibliothèque Nationale, Cabinet des Estampes, coll. de Vinck

Vers la prise de parole : représentations et pratiques (décembre 1825)

29Moment de pédagogie civique, les funérailles du général Foy ne se réduisent pas à l’hommage convenu au grand homme. D’autres interprétations éclatent dans le temps court de l’après-funérailles, au cours du mois de décembre 1825, les émotions politiques une fois recomposées, l’unanimité première implosée. L’événement subit une relecture brutale, au point d’être perçu comme une résurgence de la Révolution, au contact d’un « horizon d’attente » des ultras toujours prompts à démasquer la répétition du Mal. La conscience diffuse qu’une parole nouvelle venait de circuler dans la rue, qu’une foule « devenue poétique » [99] pouvait occuper l’espace public et tourner le deuil en révolte, commençait aussi à poindre. Cette relecture invite à repenser la délégation politique et la place du tribunal de l’opinion dans les institutions et les pratiques de la Restauration. Des gestes nouveaux redoublaient à cet égard les effets du rituel funèbre. La diffusion massive dans le corps social d’une souscription funèbre faisait émerger, dans le même moment, une véritable « prise de parole », qui entrecroisait pratiques et représentations et démontrait l’effet-catalyseur du rite.

30Sous la Restauration, rappelons-le, les souscriptions, aux côtés des pétitions, rendent l’opposition visible dans le cadre de pratiques autorisées par la Charte, et largement utilisées depuis 1815 – que l’on songe au Champ d’Asile, aux victimes de l’arbitraire des lois d’exception [100], ou au soutien aux Grecs. Leur usage n’était d’ailleurs pas exclusivement libéral [101]. Dans le cas de la souscription Foy émergent pourtant des pratiques inédites : l’égalité apparente des souscripteurs, l’exhibition, dans les listes publiées, des dons les plus humbles – quelques dizaines de centimes aux côtés des dons les plus ostentatoires (Ill. 4, certificat de souscription du général Lafayette, à hauteur de 3500 francs), la présence de nombreuses femmes en leur nom propre, en rupture avec une tradition de philanthropie discrète, et enfin la légitimation explicite du geste par des motifs politiques – quelques souscripteurs accompagnent leur nom d’un bref commentaire politique [102]. La publication par l’opposition des listes de souscription transforme le culte du défunt en geste de dissidence. Les affects du deuil s’incarnent en un passage à l’acte. Dans le même temps, le procès du Constitutionnel et du Courrier, pour leurs articles attentatoires à la « religion de l’État », offre une tribune nouvelle aux idées libérales, sorties renforcées après la relaxe du 3 décembre 1825. Le culte du général Foy prend alors un autre sens et mobilise ouvertement la défense des libertés publiques dans un gouvernement représentatif.

ill. 4

Attestation de souscription du général Lafayette pour le général Foy, signé de Benjamin Delessert. Archives Nationales

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Attestation de souscription du général Lafayette pour le général Foy, signé de Benjamin Delessert. Archives Nationales

31Les funérailles du général Foy sont alors revisitées, et la part d’inédit qu’elles recelaient interrogée. La tentation de la régression à une situation plus ancienne demeure pourtant forte. C’est ainsi que la plupart des journaux royalistes voient dans ce culte funèbre une réitération des « obsèques triomphales de Mirabeau » [103], une manifestation du « génie des révolutions [..] à côté du sépulcre » [104]. Selon un mécanisme fréquent sous la Restauration, où la menace de la conspiration hante l’imaginaire politique et l’inquiétude policière, le rassemblement populaire est lu comme un indice prophétique, et l’enterrement comme les prémices d’une révolution nouvelle. 1825 ne serait que l’ombre portée de 1788, et l’enchaînement des pratiques populaires participatives – rassemblement, récompense civique, souscription publique – annoncerait la subversion du principe monarchique. Comme en 1788, « on accoutumait le peuple à former des groupes, à disserter sur les affaires publiques » [105]. Pis, le libéralisme serait devenu un État dans l’État, avec sa symbolique et ses sensibilités propres, à la façon de la maçonnerie des Lumières : ce « parti vit dans la société comme une société particulière qui a ses dogmes, sa religion, ou plutôt son fanatisme et son culte » [106]. Aux pratiques funèbres des libéraux-révolutionnaires, à leurs « funérailles ovatoires » [107] est opposée la simplicité des cultes vendéens, célébrés « suivant les anciennes méthodes » [108]. Se profile une lutte de deux royaumes des morts, une poursuite de la Révolution au cimetière. Le camp libéral ou doctrinaire se livre, dans le même temps, à une exégèse plus originale de l’événement funèbre, qui permet de théoriser, avant même que le mot ne fasse son apparition, la manifestation politique. Des funérailles « de papier » [109], commentaires autorisés ou non de la marche funèbre du 30 novembre, font surgir une réflexion renouvelée sur les formes d’expression de l’opinion dans un gouvernement représentatif, en accord avec la liberté des modernes. Le rituel, comme d’autres formes de la politique symbolique, se fait alors « indice de l’enjeu fondamental de la révolution politique moderne » [110]. Libéraux, doctrinaires, proches de Chateaubriand, tous voient, pour la première fois, dans les funérailles du général Foy, davantage qu’un hommage affectif au défunt, plus même qu’une sacralisation de la représentation politique, un nouveau tribunal de l’opinion, que tous s’efforcent de replacer dans les limites connues de la Charte constitutionnelle. Tentative hasardeuse tant elle se heurte à des réseaux de contradictions, liées à l’introuvable souveraineté dans la monarchie restaurée. Les proches de Chateaubriand voient à travers les funérailles du général Foy prendre corps un quatrième tribunal de l’opinion, hors des Chambres, des électeurs et de la presse : l’« assemblée populaire », soigneusement distinguée du rassemblement partisan – de tonalité révolutionnaire – par l’« instinct puissant » et quasi unanime qu’elle révèle. Pour désigner cet acte, le Journal des débats use de la métaphore du vote, par analogie avec la réunion des Comices sur le Champ de Mars – nouvelle régression d’une expression nouvelle à une référence historique et d’une pratique informelle à une institution. L’enterrement était l’expression double d’une croyance et d’une protestation, préfiguration de la manifestation pourrait-on dire. Croyance dans les libertés publiques garanties par la Charte, que semblaient menacer les procès « de tendance » subis par la presse, et protestation contre le gouvernement du moment. C’était supposer une responsabilité directe des ministres, qu’avait déjà esquissée Chateaubriand dans De la monarchie selon la Charte[111], et supposer même qu’elle pouvait s’imposer par la rue. Les libéraux du Courrier français voient eux aussi dans ce culte funèbre un « grand scrutin national », suffrage universel métaphorique, auquel on ne songe alors pas sérieusement, « où tout le monde vote, et où personne ne délibère qu’avec soi-même » [112]. Ainsi était théorisé, sous différentes plumes, un droit aux enterrements politiques, anticipation du droit de manifester, mais rétabli artificiellement dans le cadre restreint de la monarchie censitaire, qui n’autorisait pourtant aucun rassemblement politique. La difficulté résidait en fait dans la question de la localisation de la souveraineté : comment concilier le droit de répudier un ministère dans la rue et le refus de la souveraineté populaire, l’usage et la peur simultanée du nombre [113] ? Le choix de l’expression « vœu national » pour désigner la souscription funèbre, explicitée ultérieurement par Mignet, suffit à résoudre ce paradoxe. La souveraineté du peuple, nous dit l’historien libéral, « c’est le peuple en sabot et armé de piques » [114] ; le vœu national, c’est une délégation éclairée de représentants. Les doctrinaires couvrirent du voile de la procuration-délégation l’événement qui était en train d’advenir. La souscription, l’enterrement lui-même, répondaient selon eux aux normes de l’encadrement social de l’opinion : les élites censitaires et la jeunesse étudiante continuaient à y exercer, derrière une apparente égalité, une fonction de patronage. L’hommage au député, et l’esquisse, à cette occasion, d’une figure libérale du grand homme, contribuaient aussi à intégrer l’enterrement au jeu censitaire de la représentation. L’expression, à travers le culte des morts, d’une opinion qualifiée de nationale contribuait à masquer le futur « gouvernement des capacités », confirmation de l’aporie libérale de la représentation [115]. ?


Mise en ligne 01/02/2009

https://doi.org/10.3917/sr.012.0176

Notes

  • [1]
    La population parisienne comptait en 1825 entre 714 000 (dénombrement de 1817) et 785 000 personnes (dénombrement de 1831). Les estimations de cent mille assistants aux funérailles, que l’on retrouve dans plusieurs sources, sont de toute évidence contestables. Demeure une certitude : plusieurs dizaines de milliers de personnes étaient là, et jamais aucun enterrement d’opposant n’avait rassemblé une telle foule.
  • [2]
    Au lendemain de la révolution de Juillet, la mémoire du général Foy fut bien célébrée en août 1830, et des bustes le représentant promenés dans la ville, mais l’inauguration discrète, en novembre 1831, de son monument au Père-Lachaise montre un rapide affaissement du culte.
  • [3]
    Selon le titre d’un essai rédigé en 1834 par le républicain Armand Marrast, en référence aux enterrements d’opposition sous la Restauration et au début de la monarchie de Juillet (« Les funérailles révolutionnaires », in Paris révolutionnaire, Paris, Guillaumin, 1834, t. 3).
  • [4]
    Le sacre de Charles X eut lieu à Reims, en mai 1825. L’expression est empruntée à Louis Blanc (Histoire de dix ans. 1830-1840, Paris, Pagnerre, 1849, p. 120.).
  • [5]
    Citons parmi les enterrements d’opposition les plus célèbres, ceux de Talma (oct. 1826), Girardin, La Rochefoucauld-Liancourt, Manuel (mars à août 1827), Benjamin Constant (déc. 1830), Grégoire (mai 1831), le général Lamarque (juin 1832).
  • [6]
    Sur cette question, cf. les réflexions d’Henri-Pierre Jeudy, « L’anthropologie politique en question », in Anthropologie du politique, Paris, Armand Colin, 1997, pp. 233-246.
  • [7]
    Claude Lévi-Strauss dégageait deux procédés structurant le rite dans les sociétés exotiques, le morcellement et la répétition (L’Homme nu - Mythologiques IV, Paris, Plon, 1971, p. 601). Marc Abélès, reprenant des analyses de Turner, voit quant à lui dans le rituel un triple rapport au savoir (dimension cognitive), au sacré et au temps (Anthropologie de l’État, Paris, Armand Colin, 1990, pp. 119-125).
  • [8]
    La typologie binaire opposant rituels de consensus et rituels d’affrontement nous semble impropre à l’analyse serrée de tout rituel politique.
  • [9]
    Nicolas Roussellier, dans son étude sur la culture politique libérale, cite les vecteurs traditionnels du libéralisme que furent la presse, la littérature et les chansons, les conférences et les salons, mentionne le banquet, mais oublie l’enterrement, lequel, il est vrai, contredit la suspicion des libéraux à l’égard des rassemblements publics et des formes démagogiques de l’éloquence. Cf. Nicolas Rousselier, « La culture politique libérale », in Serge Berstein (dir.), Les Cultures politiques en France, Paris, Seuil, 1999, pp. 69-112.
  • [10]
    Polysémie soulignée par Victor Turner et Marc Abélès (op. cit., pp. 120-121). Il s’est agi pour nous non de trancher entre les possibles sens du rituel, mais de montrer les évolutions dans le temps court des interprétations qu’en ont donné les contemporains.
  • [11]
    Pascal Ory, « L’histoire des politiques symboliques modernes : un questionnement », Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. 47-3, juill.-sept. 2000, pp. 525-536.
  • [12]
    Nous pensons ici plus particulièrement à la République au village. Les populations du Var de la Révolution à la Seconde République, Paris, Plon, 1970, première partie, deuxième section : « Recherches générales sur le processus de prise de conscience ».
  • [13]
    À propos de la mort sous la Révolution, cf. Michel Vovelle, La Mort et l’Occident de 1300 à nos jours. Paris, Gallimard, 1983, et Élisabeth Liris, Jean-Maurice Bizière, (dir.), La Révolution et la mort, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1991.
  • [14]
    Sur cette mise en ordre de la mort, cf. en particulier Régis Bertrand, « Pratiques funèbres et commémoratives », in Le Père-Lachaise, Paris, Action artistique de la Ville de Paris, 1998, pp. 75-79, et, du même auteur, Les Provençaux et leurs morts. Recherches sur les pratiques funéraires, les lieux de sépultures et le culte du souvenir des morts dans le Sud-Est de la France depuis la fin du XVIIe siècle, thèse de doctorat d’État, Université Paris I, 1994, ainsi que Thomas A. Kselman, Death and the afterlife in modern France, Princeton, Princeton University Press, 1993, pp. 226-256.
  • [15]
    Expression employée ironiquement par l’ultra-royaliste Charles-Marie d’Irumberry, comte de Salaberry, Souvenirs politiques du comte de Salaberry sur la Restauration. 1821-1830, publiés pour la Société d’histoire contemporaine, par le comte de Salaberry, son petit-fils, Paris, A. Picard et fils, 1900, t. II, p. 230. Les quatre « vertus » étaient Casimir-Perier et Méchin, députés libéraux, le général Miollis, et le duc de Choiseul, pair de France.
  • [16]
    Sur les enterrements d’opposition au début de la Troisième République, cf. Avner Ben Amos, « Les funérailles de gauche sous la Troisième République : deuil et contestation. », in Alain Corbin (dir.), Les Usages politiques des fêtes aux XIXe et XXe siècles, Paris, Publications de la Sorbonne, 1994, pp. 199-210. Cf. également l’ouvrage récent de Danielle Tartakowsky, Nous irons chanter sur vos tombes. Le Père-Lachaise. XIXe-XXe siècles, Paris, Aubier, 1999.
  • [17]
    Cf., à ce propos, Françoise Waquet, Les Fêtes royales sous la Restauration, ou l’Ancien Régime retrouvé, Paris, Bibliothèque de la Société française d’archéologie, n° 14, 1981.
  • [18]
    Cf. Mona Ozouf, La Fête révolutionnaire. 1789-1799, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1993, [1976], et Antoine de Baecque, Le Corps de l’histoire. Métaphores et politique. 1770-1800, Paris, Calmann-Lévy, 1993, pp. 343-374.
  • [19]
    Parenthèse renforcée par la présence visible au sein du cortège d’anciens soldats de la Grande Armée, parfois amputés ou « couverts de blessures ». Un ancien compagnon de Foy au Portugal perd sa jambe de bois près du Père-Lachaise, et tient à poursuivre la marche, immédiatement secouru par la foule, épisode abondamment relayé par les brochures sur l’événement. Cf. notamment Journée du 30 septembre 1825, ou récit des derniers moments et des funérailles du général Foy, Paris, Mongie aîné, 1825.
  • [20]
    Mona Ozouf, La Fête révolutionnaire. 1789-1799, op.cit., pp. 118-119.
  • [21]
    Le bas-relief montrait en son centre la Patrie couronnant à gauche la Vertu et à droite un Génie ailé, illustrant quasi-littéralement la devise du Panthéon.
  • [22]
    Références à l’expulsion du député Manuel hors de la Chambre en mars 1823.
  • [23]
    Cabinet des estampes, B.N.F collection de Vinck, t. 86, M 10994.
  • [24]
    Présence d’autant plus remarquable que l’usage veut que les femmes ne participent pas directement aux cortèges funèbres. Leur rôle reste cependant ici cantonné à la déploration, et leur présence ne prend guère de sens politique dans les commentaires de l’événement.
  • [25]
    Sur les honneurs publics.
  • [26]
    Le Courrier français, 1er déc. 1825.
  • [27]
    Le Globe, 3 déc. 1825 (lettre de Guizot au rédacteur du Globe)
  • [28]
    À la différence, notamment, des obsèques royales, mais également des cortèges de processions religieuses. L’exemple de la grande mission de Besançon est à cet égard éclairant. Cf. Gaston Bordet, La Grande Mission de Besançon (janv.-fév. 1825) : une fête contre-révolutionnaire néo-baroque ou ordinaire ?, Paris, Le Cerf, 1998.
  • [29]
    Comte Salaberry, Souvenirs politiques du comte de Salaberry sur la Restauration. 1821-1830, publiés pour la Société d’histoire contemporaine, par le comte de Salaberry, son petit-fils, op. cit., t. II, p. 235.
  • [30]
    Sur la matrice familiale au cœur de l’imaginaire politique révolutionnaire, et le déclin du modèle patriarcal avant même le régicide, cf. notamment Lynn Hunt, Le Roman familial de la Révolution Française, Paris, Albin Michel, 1994.
  • [31]
    Journée du 30 novembre 1825, ou récit des derniers moments et des funérailles du général Foy, Paris, Mongie aîné, 1825, p.18.
  • [32]
    Cf., à ce propos, Mona Ozouf, La Fête révolutionnaire. 1789-1799, op. cit., « La fête et l’espace », et du même auteur, « Le cortège et la ville : les itinéraires parisiens des fêtes révolutionnaires. », Annales E.S.C., 1971, pp. 889-916.
  • [33]
    Nous faisons ici allusion notamment aux célèbres tentatives de détournement vers le Panthéon des funérailles de Benjamin Constant (12 déc. 1830) et du général Lamarque (5 juin 1832)
  • [34]
    En particulier lors du rejet par la Chambre des pairs de la loi sur la presse en avril 1827.
  • [35]
    Cf. Régis Bertrand, Les Provençaux et leurs morts. Recherches sur les pratiques funéraires, les lieux de sépultures et le culte du souvenir des morts dans le Sud-Est de la France depuis la fin du XVIIe siècle, thèse citée, ch. VIII-2.
  • [36]
    Cf. Nathaniel H. Carter, Letters from Europe…, cité par Guillaume de Bertier de Sauvigny, La France et les Français vus par les voyageurs américains. 1814-1848, Paris, Flammarion, 1985, t. II, p. 255.
  • [37]
    Simone Delattre, Les douze heures noires. La nuit à Paris au XIXe siècle. Paris, Albin Michel, 2000, en particulier « Paris transfiguré par la nuit », pp. 58-68.
  • [38]
    Pierre-Jean, dit David d’Angers, 1788-1856. Les Carnets de David d’Angers, publiés pour la première fois intégralement avec une introduction par André Bruel, Paris, Plon, 1958, t. I, 1828-1837, p. 87 et p. 117, à propos des statues du pont Louis XVI et de la Chambre des députés.
  • [39]
    Simone Delattre, Les douze heures noires. La nuit à Paris au XIXe siècle, op. cit., p. 65. L’auteur développe l’exemple des violations de sépulture survenues la nuit dans plusieurs cimetières parisiens en 1848-1849.
  • [40]
    Armand Marrast, « Les Funérailles Révolutionnaires », loc. cit.
  • [41]
    Illuminations du quartier de la rue Saint-Denis après le rejet de la loi sur le droit d’aînesse, de la loi dite « de justice et d’amour », et les élections de 1827. Simone Delattre souligne combien la nuit, éclairée ou plongée dans l’obscurité, constitue sous les monarchies censitaires le refuge, réel et imaginaire, de la dissidence politique, le moment où s’écrivent les graffiti, où se profèrent les cris séditieux, où se brisent les lampions… Cf. Simone Delattre, « La nuit des insurgés ou les lumières en péril », op. cit., pp.106-110.
  • [42]
    Cf. A.N. F7/4175. Rapport de la garde municipale parisienne du 28 juillet 1831.
  • [43]
    Nous pensons ici notamment aux troubles observés dans les églises lors des missions parisiennes de la Restauration, suscités par des cris, des jets de boules puantes et des explosions de poudre…
  • [44]
    Le Courrier français, 1er déc. 1825.
  • [45]
    Journée du 30 novembre 1825…, op. cit., p. 19.
  • [46]
    Respectivement député, pair de France, et professeur à l’école de médecine, ils étaient tous trois, à des degrés divers, très appréciés de la jeunesse libérale.
  • [47]
    Cf. Arnold Van Gennep, Le Folklore français. Du berceau à la tombe, Paris, Robert Laffont, 1998, pp. 623-627.
  • [48]
    Cf. Alain Corbin, « L’agitation dans les théâtres de province sous la Restauration », in Le temps, le désir et l’horreur, Paris, Aubier, 1991, pp. 53-79.
  • [49]
    Lors du convoi de ce noble pair, de sérieux troubles opposent, à propos du port à bras du cercueil, les étudiants de l’École des arts et métiers de Châlons, fondée par le défunt, et les gendarmes. La violence est telle que le cercueil tombe à terre et se brise, laissant apparaître le cadavre. Sur les étudiants parisiens et la politique, cf. Jean-Claude Caron, Générations romantiques. Les étudiants de Paris et le Quartier Latin. 1814-1851, Paris, Armand Colin, chap. 8 à 10.
  • [50]
    Il n’en est évidemment pas de même lors des enterrements civils, dont on sait qu’ils suscitèrent de nombreux conflits campanaires. Les enjeux des sonneries nous semblent par ailleurs plus réduits à Paris que dans des « pays » d’interconnaissance. Sur toutes ces questions, cf. Alain Corbin, Les Cloches de la terre. Paysage sonore et culture sensible dans les campagnes du XIXe siècle, Paris, Champs Flammarion, 2000 [1994], pp. 159-164 et pp. 239-248.
  • [51]
    Nous avons ainsi trouvé la trace de pleureuses « professionnelles » lors de l’annonce de la mort de Napoléon en Corse. Sur le lamento et l’éventuel vocero corse, ainsi que sur les cris et lamentations funéraires en province au XIXe siècle, cf. Arnold Van Gennep, Manuel de folklore français contemporain, tome Ier, II. Du Berceau à la Tombe, Paris, Picard, 1980 [1946], pp. 679-684.
  • [52]
    Alain Montandon a montré, à partir d’un corpus très spécifique de manuels de savoir-vivre du XIXe siècle, combien s’imposait dans le deuil cette exigence de contrôle de ses émotions extérieures. Le « retrait de soi » trouverait ses marques dans une réglementation plus stricte du deuil, du port des vêtements, de sa durée, croissante au cours du siècle, et, dans la construction d’une « politesse du deuil », faite précisément de silence, de paroles à voix basse lors des visites de condoléances… Cf. Alain Montandon, « L’étiquette du deuil dans les traités de savoir-vivre au XIXe siècle », in Savoir mourir, Paris, L’Harmattan, 1993, pp. 133-154.
  • [53]
    Rapport du préfet de police au ministre de l’Intérieur, 30 nov. 1825 au soir. A.N. F7/6719 (« surveillance des députés »).
  • [54]
    Armand Marrast, « Les Funérailles Révolutionnaires », loc. cit.
  • [55]
    Rapport du Préfet de Police, 30 nov. 1825. A.N. F7/6719.
  • [56]
    Cabinet des Estampes de la B.N.F., coll. Qb1 1825-1826, M 110197 à 110 204.
  • [57]
    Lettre de la duchesse de Broglie à Barante, 7 déc. 1825, in Souvenirs du baron de Barante, de l’Académie Française 1782-1866, publiés par son petit-fils, Paris, Calmann-Lévy, 1892, t. III, p. 297.
  • [58]
    Discours de Benjamin Constant à l’Athénée Royal de Paris, le 3 décembre 1825, publié dans Le Courrier Français, 5 déc. 1825.
  • [59]
    Cf. notamment Journée du 30 septembre 1825, op. cit., p. 90.
  • [60]
    Sur tous ces supports de mémoire, cf. Assemblée Nationale, F7/6719, La Quotidienne, 21 déc. 1825, La souscription, ou les enrôlements révolutionnaires, Paris, chez tous les marchands de nouveautés, 1825, p. 23, et le Journal de Montalembert.
  • [61]
    Le témoignage d’Edgar Quinet montre bien la très large diffusion sociale, y compris au sein des élites cultivées, de ce rapport charnel au politique, illustré en particulier par la légende napoléonienne : « Je veux bien que la France fût au fond de nos cœurs, et certainement elle y était, mais voilée et enfouie sous notre idolâtrie toute païenne pour un seul. Combien j’étais alors fortement engagé dans une légende ! Que ne fallait-il pas pour m’en délier ! Est-ce à moi de m’étonner si les masses ont tant de peine à s’en défaire ? » (Edgar Quinet, Histoire de mes idées. Autobiographie, Paris, Flammarion, « nouvelle bibliothèque romantique », 1972, p. 105)
  • [62]
    L’expression est empruntée au comte de Salaberry déjà cité.
  • [63]
    Cf., à ce propos Emmanuel Fureix, « Des émotions impolitiques : les cérémonies funèbres à la mémoire de Louis XVI et du duc de Berry dans le Paris de la Restauration », in L’émotion politique au XIXe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne (à paraître).
  • [64]
    Le Courrier français, 1er déc. 1825.
  • [65]
    Auteur anonyme de La souscription, ou les enrôlements révolutionnaires, Paris, chez tous les marchands de nouveautés, 1825, p. 19.
  • [66]
    Cf. Anne Vincent-Bufflaut, Histoire des larmes, Paris, Rivages, 1986, 1ère partie.
  • [67]
    Le Courrier français, 2 déc. 1825.
  • [68]
    Idée avancée par Anne Vincent-Buffault, Histoire des larmes, op. cit.
  • [69]
    Émile Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, PUF, 1968, [1912] p. 572.
  • [70]
    Claude Rivière, Les Liturgies politiques, Paris, PUF, 1988, 2e partie, ch. 7.
  • [71]
    Nicolas Mariot, « Les formes élémentaires de l’effervescence collective, ou la psychologie prêtée aux foules », Revue française de science politique, à paraître.
  • [72]
    Interprétation commune aux ultras (en particulier chez le comte de Salaberry) et aux républicains des débuts de la monarchie de Juillet, dont Armand Marrast.
  • [73]
    Journée du 30 nov. 1825…, op. cit., p. 8.
  • [74]
    Rapport du préfet de police au ministre de l’Intérieur, 30 nov. 1825 au soir, Assemblée Nationale F7/6719.
  • [75]
    Relation de la fête donnée le 5 septembre 1821 par une réunion des citoyens de Mulhausen, à M. le général Foy, membre de la chambre des députés, Mulhouse, imprimerie Ristler, s.d., Assemblée Nationale F7/6719
  • [76]
    Assemblée Nationale F7/6719.
  • [77]
    Journée du 30 nov. 1825…, op. cit., et Assemblée Nationale F7/6719.
  • [78]
    Cf. sur la figure du grand homme au XVIIIe siècle, la somme de Jean-Claude Bonnet, Naissance du Panthéon. Essai sur le culte des grands hommes, Paris, Fayard, 1998.
  • [79]
    Cf., à ce propos, Alice Gérard, « Le grand homme et la conception de l’histoire au XIXe siècle », Romantisme, n° 100, « Le grand homme », 2e trim. 1998, pp. 31-48.
  • [80]
    Cf. sur cette question et plus généralement sur une histoire de l’héroïsme, la remarquable synthèse de Daniel Fabre, « L’atelier des héros », in La Fabrique des héros, Mission du Patrimoine ethnologique, Collection Ethnologie de la France, cahier 12, 1999, pp. 232-318.
  • [81]
    Lettre à Thiériot, 15 juill. 1735, in Voltaire, Oeuvres complètes, Paris, Garnier, 1875, t. 33, p. 506.
  • [82]
    Villemain, « Souvenirs de Sorbonne en 1825. Démosthène et le général Foy », in Souvenirs contemporains d’histoire et de littérature, Paris, Didier, 1854, pp. 387-435.
  • [83]
    Cette citation et les suivantes sont empruntées aux discours prononcés sur la tombe du général Foy publiés dans Aux mânes d’un grand citoyen. Vie, exploits, triomphes oratoires et derniers moments du comte Foy…, Paris, Librairie française et étrangère, 1826.
  • [84]
    La foule trop compacte l’ayant empêché d’atteindre la tombe du général.
  • [85]
    Le culte des blessures du héros s’est donné un lieu de mémoire dans les mois qui suivent sa mort, à Orthez, sur le champ même où il avait été pansé après avoir été blessé en 1814.
  • [86]
    « Notice nécrologique et médicale sur le général Foy, par le docteur Broussais », in Journée du 30 novembre 1825…, op. cit., pp. 107-110.
  • [87]
    Discours de Benjamin Constant, in Aux mânes d’un grand citoyen…, op. cit.
  • [88]
    Jean-Claude Bonnet, Naissance du Panthéon. Essai sur le culte des grands hommes, op. cit., pp. 67-112.
  • [89]
    On compare notamment les honneurs funèbres rendus par la France au général Foy à l’hommage de son vivant reçu quelques mois plus tôt par Lafayette aux États-Unis.
  • [90]
    Salaberry fait ainsi remarquer l’absence de toute référence à Dieu et au monarque dans l’enceinte du cimetière.
  • [91]
    Aux mânes d’un grand citoyen…, op. cit., p. 289.
  • [92]
    Discours de Casimir-Perier, in Aux mânes d’un grand citoyen…, op. cit.
  • [93]
    Philippe Goujard, « L’héroïsation en l’an II », in Élisabeth Liris, Jean-Maurice Bizière (dir.), La Révolution et la mort, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1991, pp. 119-125.
  • [94]
    Discours de Casimir-Perier, in Aux mânes d’un grand citoyen…, op. cit.
  • [95]
    La fusion du peuple, de l’enfant et du génie dans le grand homme est ainsi évoquée par Jules Michelet : « Le peuple, en sa plus haute idée, se trouve difficilement dans le peuple. Que je l’observe ici ou là, ce n’est pas lui, c’est telle classe, telle forme partielle du peuple, altérée et éphémère. Il n’est dans sa vérité, à sa plus haute puissance, que dans l’homme de génie ; en lui réside la grande âme » (Le Peuple, Paris, GF-Flammarion, 1992 [1846], p. 186).
  • [96]
    Entre décembre 1825 et janvier 1826.
  • [97]
    Entre 60 centimes et 3 francs pour les rares prix mentionnés.
  • [98]
    Série Qb1, M110231. Lithographie de Bove (Cabinet des Estampes B.N.F.). Il s’agit en fait d’une branche de laurier.
  • [99]
    Anachronisme volontaire, paraphrasant, au risque de la maladresse, la belle expression de Michel de Certeau, dans son essai La Prise de parole et autres écrits politiques, Paris, Seuil, coll. « Points Essais », 1994, p. 42.
  • [100]
    En mars 1820, en réplique à la mesure d’exception de la loi sur la liberté individuelle, permettant la détention arbitraire de suspects.
  • [101]
    Il prit parfois la forme d’un appui affiché au pouvoir royal, notamment après l’assassinat du duc de Berry.
  • [102]
    Le phénomène est connu beaucoup plus tard dans le siècle avec le « monument Henry ».
  • [103]
    La Quotidienne, 4 déc. 1825.
  • [104]
    La Quotidienne, 11 déc. 1825.
  • [105]
    L’Ami de la Religion et du Roi, 11 déc. 1825.
  • [106]
    La Quotidienne, 3 déc. 1825.
  • [107]
    Le Drapeau Blanc, 14 déc. 1825.
  • [108]
    La Souscription…, op. cit., p. 23.
  • [109]
    Par analogie avec les manifestations de papier étudiées par Patrick Champagne, notamment dans « La manifestation. La production de l’événement politique », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 52-53, pp. 19-41.
  • [110]
    Pascal Ory, « L’histoire des politiques symboliques modernes… », loc. cit.
  • [111]
    « Point de milieu dans une constitution de la nature de la nôtre : il faut que le ministère mène la majorité ou qu’il la suive. S’il ne peut ou ne veut prendre ni l’un ni l’autre de ces partis, il faut qu’il chasse la Chambre ou qu’il s’en aille » (De la Monarchie selon la Charte, Paris, 1816, ch. XXXIX, cité par Jean-Paul Clément, Chateaubriand politique, Paris, Hachette, coll. « Pluriel », 1987, p. 178).
  • [112]
    Le Courrier français, 8 déc. 1825. L’article suscite l’ire du préfet de police qui y voit les dérives de la liberté de la presse en matière politique : « Tout cet article a un caractère de provocation qui ne prouve que trop, avec quelle violence, les journaux se précipitent dans la carrière de licence qui vient de leur être ouverte » (Bulletin de Paris, 8 déc. 1825, Archives Nationales, F7/3879).
  • [113]
    Sur la peur du nombre chez les doctrinaires, et plus généralement chez les théoriciens du politique sous la Restauration, cf. Pierre Rosanvallon, Le Moment Guizot, Paris, Gallimard, 1983, pp. 75-82.
  • [114]
    Le National, 19 juill. 1830, cité par Yvonne Knibiehler, Mignet. Historien libéral. 1796-1884, Thèse de doctorat d’État, Université d’Aix-en-Provence, Service de reproduction des thèses, Université de Lille III, 1973.
  • [115]
    Michelle Riot-Sarcey, « Avant-propos », Romantisme, « De la représentation », 4e trim. 2000, n° 110, pp. 3-13.
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