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Article de revue

Surmortalité des personnes vivant avec un trouble psychique : enseignements de la littérature et perspectives

Pages 613 à 619

Introduction

1 La surmortalité des personnes vivant avec un trouble psychique est fortement documentée depuis plusieurs décennies à l’étranger [1, 2]. Des travaux de recherche ont souligné la persistance, voire l’aggravation, de ce phénomène au cours du temps, y compris dans des pays développés présentant des systèmes de santé jugés équitables et efficients [3, 4], en lien avec une amélioration continue de l’espérance de vie de la population générale dont ne semblent pas bénéficier les personnes vivant avec un trouble psychique.

2 En France, seuls de très rares travaux se sont intéressés à la mortalité de cette population, qui représente pourtant un marqueur de l’inefficience des politiques à destination des personnes suivies pour un trouble psychique et visant de potentielles inégalités de santé. La plupart des recherches existantes, qui ont confirmé l’hypothèse d’une surmortalité de ces personnes dans le contexte français, se sont par ailleurs limitées à des sous-populations spécifiques en s’intéressant à quelques groupes diagnostiques (notamment la schizophrénie ou les troubles dépressifs) ainsi qu’à des zones géographiques ou des contextes de soins restreints [5–7]. À la fin des années 2010, la mise à disposition de nouvelles données a permis de produire des résultats, à l’échelle nationale, dans le cadre de deux principales études. La première a documenté la mortalité des personnes rapportées comme présentant une maladie psychique dans leurs certificats de décès, à travers l’étude des causes multiples (causes initiales et associées) de décès, extraites de la base nationale du Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès, entre les années 2000 et 2013. Elle a ainsi objectivé l’importance des causes somatiques, notamment des maladies cardiovasculaires et des cancers, dans le décès de ces personnes [8]. L’utilisation des seules causes de décès pour déterminer la prévalence des troubles psychiques chez les personnes décédées est cependant susceptible de conduire à une sous-estimation de cette prévalence, liée à une capacité limitée des certificats de décès à rendre compte de la présence de ces troubles tout au long de la vie d’un individu. La deuxième étude disponible à l’échelle nationale a ainsi cherché à compléter cette première estimation en mobilisant le Système national des données de santé (SNDS), qui inclut les données de consommation de soins facturées à l’Assurance maladie appariées aux données sur les causes de décès, disponibles depuis la fin de l’année 2017. L’avantage de cette base de données est que les individus suivis pour un trouble psychique sont identifiés via leur inclusion dans le dispositif des affections de longue durée et/ou des hospitalisations pour motifs psychiatriques et/ou des consommations de médicaments psychotropes. Cette étude a ainsi montré une réduction de l’espérance de vie à 15 ans des individus suivis pour un trouble psychique atteignant en moyenne 16 ans chez les hommes et 13 ans chez les femmes avec des variations en fonction des troubles considérés. Par ailleurs, ces individus présentaient des taux de mortalité deux à cinq fois supérieurs à ceux de la population générale, quelle que soit la cause principale de décès – celle-ci étant néanmoins le plus souvent liée à une pathologie somatique (en particulier les cancers et les maladies cardiovasculaires, qui devancent les suicides et les morts violentes ou accidentelles, comme observé dans la première étude), et un taux de mortalité prématurée, c’est-à-dire avant l’âge de 65 ans, quadruplé [9].

3 Les données récentes disponibles en France confirment donc une forte surmortalité chez les personnes vivant avec un trouble psychique, qui apparaissait dans les travaux antérieurs à une échelle plus restreinte ainsi que dans les recherches menées à l’international. Ces constats sont alarmants, d’autant qu’ils ne semblent pas, d’après la littérature, être liés à des conséquences organiques directes des troubles. Par ailleurs, les données récentes suggèrent, qu’en dépit d’une connaissance du problème depuis de nombreuses années, cette inégalité de santé persiste, les actions mises en œuvre pour y remédier restant insuffisantes ou inefficaces. Des chercheurs étrangers soulignent qu’il s’agit de l’inégalité de santé la plus significative peinant à être prise en considération, et s’étonnent que ce constat ne fasse pas davantage scandale. Ils y voient ainsi un marqueur de la stigmatisation majeure à laquelle est confronté ce segment de la population [3, 10]. L’Organisation mondiale de la santé rappelle que la surmortalité observée chez les personnes vivant avec un trouble psychique doit figurer parmi les priorités de santé publique des États, car elle porte atteinte à l’équité et au respect des droits de l’homme [11].

4 Face à ces constats, cet article vise à établir un état des lieux, sous la forme d’une revue narrative, des causes potentielles pouvant expliquer cette surmortalité, en s’appuyant sur la littérature internationale, tant quantitative que qualitative. Il s’agit d’établir un cadre conceptuel des différents types de facteurs pouvant jouer un rôle, tout en intégrant plus spécifiquement les données disponibles en France, afin d’identifier les perspectives de recherche demeurant à mettre en œuvre et d’étayer la mise en place d’actions à court terme pour apporter des réponses à ce constat persistant.

Des indicateurs de mortalité déterminés par des causes multifactorielles

5 Il est désormais bien identifié dans la littérature que les indicateurs de mortalité, tels que l’espérance de vie ou les causes de décès, sont déterminés par de multiples facteurs affectant la santé. Les comportements individuels, la littératie en santé, l’accès aux soins, mais aussi les conditions et l’environnement de vie, très fortement associés au statut socio-économique des personnes, jouent un rôle prépondérant en amont des parcours de soins [4, 12, 13]. La surmortalité des personnes vivant avec un trouble psychique ne peut ainsi être réduite à une cause unique et doit être comprise comme la résultante d’un ensemble de facteurs qui interagissent entre eux, et dont il n’est pas toujours évident de démêler les rôles respectifs [14].

Un rôle des comportements individuels trop fréquemment mis en avant comme la cause principale de la surmortalité des personnes vivant avec un trouble psychique

6 Il n’est pas rare que la surmortalité des personnes vivant avec un trouble psychique soit immédiatement rapportée aux comportements individuels des personnes concernées, liés aux conséquences cliniques des troubles. Cette surmortalité est ainsi souvent imputée à des conduites constituant des facteurs de risque accru de nombreuses maladies chroniques, tels qu’une forte consommation de tabac, une grande sédentarité, un régime alimentaire peu équilibré ou une moindre observance des traitements, conduites souvent associées à la présence de troubles psychiques [15, 16].

7 Par ailleurs, ces troubles et les propriétés analgésiques des traitements psychotropes peuvent affecter tant la perception du corps et de la douleur physique que sa traduction en plaintes, retardant alors la recherche d’aide ou la décalant de l’identification de signes d’alertes [17].

8 De plus, il est fréquemment mis en avant le fait que les troubles psychiques peuvent impacter les relations sociales, et en l’occurrence conduire une partie des personnes à éviter les contacts avec les autres, et notamment les soignants, ou à avoir un parcours de soins erratique – rendez-vous manqués, ruptures dans les transitions dans le parcours de soins, faible adhésion aux soins, etc. [18, 19] – en lien également avec de potentiels comportements d’auto-stigmatisation, qui peuvent résulter ou non d’expériences directes de stigmatisation [20].

9 Cependant, il convient de noter que ces facteurs liés aux comportements individuels sont loin d’être les seuls à jouer un rôle dans la surmortalité observée chez les personnes vivant avec un trouble psychique. Comme l’analysent plusieurs auteurs, le discours dominant tend à faire porter aux seuls individus la responsabilité de leur santé ce qui conduit à invisibiliser la présence de risques collectifs plus structurels [21, 22].

Une iatrogénie médicamenteuse et des facteurs de risques communs aux maladies somatiques et psychiques

10 La littérature souligne le rôle additionnel de facteurs de risque iatrogènes ou biologiques. Les médicaments psychotropes destinés au traitement des troubles psychiques peuvent ainsi avoir des effets secondaires conséquents, a fortiori lorsqu’ils sont pris au long cours : tels que d’importantes prises pondérales, des anomalies glucidiques et lipidiques et, plus globalement, une détérioration du profil de risque cardio-vasculaire [23]. Par ailleurs, des recherches récentes étudient la possibilité de facteurs de risque biologiques communs à des troubles psychiques, tels que les troubles bipolaires, ou à des maladies somatiques, tel que le diabète, notamment via la surexpression de facteurs inflammatoires [24].

Des facteurs liés aux conditions de vie qui demandent à être explorés pour eux-mêmes

11 Certains facteurs liés aux conditions de vie sont également susceptibles de jouer un rôle propre dans la surmortalité des personnes vivant avec un trouble psychique – même si ce rôle peut être médié par son impact sur les comportements individuels. Ces personnes sont, en effet, plus fréquemment en situation de précarité ou d’exclusion, avec des difficultés à entrer ou se maintenir sur le marché de l’emploi [25], des conditions de logement qui peuvent être instables [19] et un isolement social souvent marqué [26]. Elles sont alors exposées aux facteurs d’inégalités de santé qui y sont associés : exposition environnementale, moindre accès aux pratiques favorables à la santé (alimentation de qualité, exercice physique), littéracie en santé réduite, privation du soutien social facilitant l’initiation ou le maintien d’un parcours de soins complexe. Or, la précarité ou les situations d’exclusion constituent en elles-mêmes des obstacles à l’accès aux soins.

12 Cependant, en France, des chiffres récents, mobilisant les données de consommation de soins facturées à l’Assurance maladie issues du SNDS, mettent en évidence qu’une très grande majorité des maladies chroniques somatiques ont une prévalence plus élevée chez les individus suivis pour un trouble psychique sévère, en comparaison avec des personnes non suivies pour de tels troubles mais présentant des caractéristiques démographiques et socio-économiques similaires, telles qu’observables dans les bases de données mobilisées. Au-delà des seules comorbidités psychiatriques et neurologiques, les maladies du foie ou du pancréas, le diabète, les maladies respiratoires chroniques et les accidents vasculaires cérébraux présentent une sur-prévalence particulièrement marquée chez les individus suivis pour un trouble psychique sévère, même comparés à des personnes présentant un statut socio-économique proche. Dans la cadre de ces analyses comparatives, l’accès aux soins somatiques apparait également moindre en France chez les personnes suivies pour un trouble psychique sévère [27]. Ainsi, au-delà des facteurs liés aux conditions de vie des personnes, il faut également examiner le rôle joué par le système de santé.

Des facteurs relevant du système de santé, liés à la fois à l’organisation des soins et aux professionnels de santé

13 La littérature souligne qu’un dernier ensemble de facteurs, relevant du système de santé, est susceptible de jouer un rôle sur la santé des personnes vivant avec un trouble psychique. Ces facteurs peuvent être liés à l’organisation du système de soins, notamment marquée par une séparation historiquement ancrée des soins somatiques et psychiatriques, et des difficultés de coordination entre les deux en lien avec une fréquente absence de liens formalisés [28]. Cette segmentation est particulièrement forte dans le système français du fait d’une organisation historique de la psychiatrie publique autour de secteurs spécialisés, ce qui a pu encourager des comportements autarciques et limiter l’intégration des soins somatiques et psychiatriques.

14 Ces facteurs peuvent également être liés aux professionnels de santé eux-mêmes, dont la formation et la pratique s’ancrent dans cette organisation fragmentée. Ainsi, du côté de la psychiatrie, les professionnels peuvent avoir des difficultés à repérer et diagnostiquer les comorbidités de leurs patients et in fine à les adresser aux professionnels du champ somatique. Ils peuvent également être soucieux de préserver une certaine discrétion du suivi psychiatrique et de ne rien communiquer y ayant trait (modification du traitement par exemple). Certains psychiatres jugent, par ailleurs, qu’aborder la santé somatique de leurs patients peut nuire à la relation de soins [18] et que, de façon générale, face à la sévérité des troubles psychiques, leur prise en charge est prioritaire sur d’autres considérations de santé. De leur côté, les professionnels du champ somatique sont insuffisamment formés à la prise en charge des personnes vivant avec un trouble psychique, ce qui peut conduire à des craintes et des formes de stigmatisation pouvant affecter la qualité des soins – qui ne sont pas non plus inexistantes chez les professionnels de la santé mentale [18, 20, 29]. Cela peut se manifester par une disqualification des plaintes somatiques ou par leur assimilation à des symptômes psychiques, phénomène couramment documenté dans la littérature internationale sous l’expression « diagnostic overshadowing ». Il traduit la tendance rencontrée chez certains soignants à attribuer les plaintes somatiques des personnes vivant avec un trouble psychique à des manifestations de la maladie mentale, ce qui peut conduire à un retard de diagnostic et donc à une perte de chance pour le patient [30]. Dans le contexte des soins en urgence à l’hôpital, cela peut s’accompagner d’une absence de bilan somatique pour les personnes vivant avec un trouble psychique et un renvoi vers une consultation psychiatrique, quelle que soit la cause de la venue [14]. Dans le contexte des soins primaires, cela peut s’accompagner d’un manque de temps disponible pour que les professionnels puissent répondre avec pertinence aux problématiques, notamment somatiques, rencontrées par les personnes vivant avec un trouble psychique, qui ont souvent des présentations cliniques complexes, certains ayant l’idée qu’il ne s’agit pas du rôle du professionnel de premier recours [19], et par un accent insuffisamment porté sur la promotion de la santé dans son ensemble dans cette population [14].

15 Des données françaises récentes montrent, cependant, qu’un recours aux médecins généralistes plus fréquent est observé pour les personnes suivies pour un trouble psychique sévère (sans que le motif du recours soit connu). Cependant, elles ont plus souvent des hospitalisations évitables, c’est-à-dire pour des motifs qui ne devraient pas mener à une prise en charge hospitalière s’ils faisaient l’objet d’un suivi adéquat en soins primaires [27]. Par ailleurs, ces personnes ont un recours moindre à un grand nombre de soins somatiques courants, incluant les actions de prévention (vaccinations particulièrement recommandées dans cette population, dépistage des cancers…), les soins de routine (consultations gynécologiques, ophtalmologiques et dentaires recommandées annuellement) et l’ensemble des soins de spécialistes [27, 31], pour lesquels les professionnels de soins primaires doivent jouer un rôle d’accompagnement et d’adressage. Par ailleurs, ces difficultés semblent perdurer jusque dans les parcours de soins hospitaliers. De premiers travaux s’étant intéressés aux prises en charge hospitalières pour cancer dans le contexte français suggèrent d’importantes disparités pour les personnes vivant avec un trouble psychique – qui reçoivent davantage de soins palliatifs mais une intensité moindre de traitements curatifs que les autres patients [32]. Cependant, l’approche uniquement quantitative adoptée ne permet pas d’exclure l’hypothèse que cela peut également être lié au choix des patients et des familles, et n’éclaire pas les ressorts des pratiques professionnelles. De façon similaire, les données quantitatives à grande échelle ne permettent pas de distinguer ce qui peut relever d’éventuelles discriminations dans les choix thérapeutiques ou stratégiques proposés aux personnes de ce qui est lié à des traitements différenciés, concertés et raisonnés sur le plan éthique.

16 À ces enjeux liés au système de santé qui ressortent de la littérature, nous voudrions adjoindre la question de l’accessibilité du système de soins pour des personnes dont le trouble psychique serait facteur de handicap dans leur environnement, pouvant conduire à des difficultés de compréhension ou d’orientation (par exemple difficultés à utiliser les plateformes numériques de prises de rendez-vous), à circuler dans des environnements institutionnels nouveaux et complexes, à se plier à leurs contraintes spécifiques… Si toutes les personnes qui vivent avec un trouble psychique ne sont pas en situation de handicap, et a fortiori ne font pas l’objet d’une reconnaissance administrative à ce titre, certaines peuvent être de fait confrontées à des difficultés spécifiques ; et il s’agit de prendre au sérieux, en complément des hypothèses précédentes, le modèle social du handicap comme produit d’une rencontre entre les spécificités d’une personne et un environnement qui peut produire des obstacles à la participation sociale de celle-ci [33].

Des inconnues qui demeurent et appellent des recherches complémentaires dans le contexte français

17 Si la littérature, tant internationale que nationale, propose déjà de nombreuses pistes de réponse pouvant expliquer la surmortalité persistante des personnes vivant avec un trouble psychique, il demeure des questions liées à la difficulté de distinguer avec précision l’ampleur du rôle joué par les différents facteurs [14]. Ces questions sont notamment relatives à la façon dont les obstacles liés aux troubles psychiques et à leur traitement social sont spécifiques, correspondent au cumul d’inégalités sociales déjà bien connues (précarité, comorbidités addictives, isolement…) ou encore forment une conjonction propre au croisement de ces facteurs – ce qu’identifie le concept d’intersectionnalité, relatif au fait qu’avoir différentes caractéristiques orientant une trajectoire sociale n’a pas qu’un effet d’addition mais aussi de composition avec des effets singuliers [34]. Dans le contexte français, les données de consommation de soins facturées à l’Assurance maladie, mises à disposition dans le cadre du SNDS, permettent de fournir des chiffres et des constats quantitatifs à grande échelle pour éclairer la surmortalité des personnes vivant avec un trouble psychique et les obstacles dans leurs parcours de soins somatiques [9, 27, 31, 32]. Cependant, elles ne permettent pas de distinguer spécifiquement les contributions des différents facteurs et des différents acteurs, en dehors de l’ajustement sur les caractéristiques démographiques et socio-économiques observables dans les données – qui demeurent frustes – pour isoler l’effet propre de la présence d’un trouble psychique. Une intensification du recours à des méthodes de recherche mixte, incluant un volet quantitatif à grande échelle et un volet qualitatif complémentaire mobilisant des méthodes issues de la sociologie et de l’anthropologie pour interroger le rôle des personnes vivant avec un trouble psychique, de leur entourage et des professionnels de santé, demeure indispensable, et des exemples inspirants commencent à émerger de la littérature internationale [35].

Des facteurs sur lesquels il semble possible d’agir à court terme par des politiques publiques dédiées

18 Parmi les explications multifactorielles de la surmortalité persistante des personnes vivant avec un trouble psychique, qui émergent d’ores-et-déjà de la littérature, ressortent de nombreuses causes sur lesquelles il semble possible d’agir à court terme, par des politiques publiques dédiées, en développant notamment la promotion et la prévention de la santé physique chez ces personnes et en agissant plus globalement sur l’ensemble des déterminants de leur santé, en augmentant la formation et la sensibilisation des professionnels de santé aux spécificités de cette population et en facilitant l’intégration des soins psychiques et somatiques. Ainsi, le cumul de facteurs d’inégalités auquel font face ces personnes appelle des réponses également multifactorielles. Dans la dernière décennie, des recommandations visant à faciliter la prise en charge somatique des personnes vivant avec un trouble psychique ont émergé en France. Peuvent être notamment citées les recommandations de l’ancienne Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé encourageant le suivi cardio-métabolique des patients traités par antipsychotiques en 2010 et toujours en vigueur aujourd’hui [36]. Elles ont été suivies, en 2015, par les recommandations de la Fédération française de psychiatrie et du Conseil national professionnel de psychiatrie relatives à l’amélioration de la prise en charge somatique des patients ayant une pathologie psychiatrique sévère et chronique, qui ont notamment rappelé la nécessité d’un suivi régulier et fréquent des effets secondaires des traitements psychotropes et d’un bilan somatique pour toutes les personnes prises en charge en hospitalisation en psychiatrie [23]. Ces recommandations semblent avoir été suivies d’un renforcement du nombre de médecins généralistes exerçant au sein des établissements psychiatriques au cours du temps. Ce bilan somatique systématique appelle aujourd’hui à être étendu aux personnes uniquement suivies en ambulatoire – notamment dans le cadre des centres médico-psychologiques – avec des initiatives locales qui commencent à émerger en ce sens. Par ailleurs, ces recommandations bénéficieraient à être renforcées sur la planification des soins somatiques (par exemple adressage vers un médecin généraliste ou spécialiste pour le suivi des effets secondaires des traitements) en sortie d’hospitalisation psychiatrique. Elles ont par la suite été complétées par les recommandations de la Haute autorité de santé visant à améliorer la coordination entre le médecin généraliste et les différents acteurs de soins dans la prise en charge des patients adultes souffrant de troubles mentaux en 2018 [37], mais qui demeurent centrées sur le premier adressage, et non sur l’échange régulier, par exemple en cas de changement de traitement, suite à une hospitalisation, ou pour toute autre information importante relative au suivi médical [18]. De récentes recommandations de l’Agence nationale de la performance sanitaire et médico-sociale, relatives à la prise en charge ambulatoire de la santé mentale, incluent également un volet relatif à l’accès aux soins somatiques. Il y est affirmé le rôle de la nouvelle profession d’infirmiers de pratique avancée (IPA) – qui met en lumière l’intérêt de professionnels « ressources » pour faciliter cet accès aux soins [38], notamment dans les situations complexes demandant une coordination plus importante. Outre les IPA en psychiatrie et santé mentale, certains établissements psychiatriques commencent à mobiliser à cette fin des IPA spécialisés dans la prise en charge des pathologies chroniques. En parallèle, émergent des dispositifs à des échelles locales, comme des programmes d’éducation thérapeutique spécifiques aux personnes vivant avec un trouble psychique, mettant l’accent sur la promotion de la santé en général et l’importance d’un suivi somatique [39]. Enfin, des modèles innovants de coordination de services de soins somatiques et psychiatriques, tels que les dispositifs de soins collaboratifs, partagés ou intégrés en soins primaires facilitant une approche holistique de la santé [40], et de financement alternatif des soins de premier recours qui pourraient encourager, ou en tout cas ne pas décourager, la prise en charge de patients complexes vivant avec un trouble psychique et de multiples comorbidités, ouvrent des perspectives à ne pas négliger dans le contexte français.

Conclusion

19 Cette revue narrative illustre le caractère multidimensionnel des facteurs impliqués dans la persistance de la surmortalité des personnes vivant avec un trouble psychique ; facteurs qui ne sont pas uniquement liés à des comportements individuels mais également aux conditions de vie des personnes concernées et au système de santé, tant du point de vue de l’organisation des soins que des professionnels de santé. Néanmoins, des difficultés persistent pour identifier l’ampleur du rôle joué par chacun des facteurs et la façon dont ils interagissent entre eux. Ce constat appelle des recherches complémentaires, mobilisant notamment des schémas d’études mixtes, tout en poursuivant les efforts mis en œuvre sur le terrain pour favoriser l’accès aux soins somatiques des personnes vivant avec un trouble psychique.

20 Aucun conflit d’intérêts déclaré

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