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Article de revue

Analyses de livres

Pages 603 à 604

Notes

  • [*]
    Les notes de lecture sont rédigées par les rédacteurs, les membres du comité scientifique et les experts de la revue.

With the End in Mind, How to Live and Die Well, Kathryn Mannix, London : William Collins, 2018, 359 pages

1Kathryn Mannix est une médecin spécialiste de soins palliatifs qui a gravi les échelons au sein du National Health Service britannique. « Au cours des 30 ans de ma carrière, il m’est devenu de plus en plus clair que quelqu’un devait dire à la communauté ce qu’est le « mourir » (dying) normal. » (notre traduction de l’anglais).

2Le livre compte six parties pour 36 chapitres ; chacun de ces chapitres rapporte l’histoire d’un-e patient-e et de son entourage, soit en hospice dédié aux soins palliatifs, soit à domicile suivi-e par une équipe mobile. Large éventail dans les âges : un petit enfant, des adultes jeunes ou mûrs, d’autres très âgés. Ils souffrent de cancer, mais aussi de maladies neuro-musculaires dégénératives ou d’insuffisance respiratoire. Souvent issus de milieux modestes d’une région anglaise de mines de charbon. « J’ai vu dans ma carrière que, quand nous rencontrons les Grandes Questions, nous apportons nos propres idées et attentes (…) Auparavant, c’était une expérience commune d’observer la mort autour de soi, de se familiariser avec les « séquences » de l’affaiblissement menant à la fin. » Les progrès de la médecine ont changé cela.

3« La plupart des gens imaginent que mourir est déchirant et manque toujours de dignité. Ce n’est pas ce que nous observons en soins palliatifs (…) La manière de décliner suit en général un profil relativement uni, l’énergie diminue progressivement. Vers la fin, le niveau d’énergie est au plus bas, signe que le temps qui reste est très court. » C’est le moment de (se) rassembler, de dire des choses importantes non encore dites. La dernière veille auprès d’un mourant est un moment pour rendre compte, une place pour écouter, pour penser à ce qui nous relie et comment la séparation changera nos vies.

4« Je suis fascinée par l’énigme de la mort : par le changement indicible de vivant à non-vivant ; par le défi d’être honnête tout en étant empathique ; par les moments de commune humanité. » Prendre du recul pour trouver la bonne perspective est un défi. C’est plus facile si la vie et la mort sont approchées avec une attitude de curiosité plutôt que par des certitudes. Surprenant de prime abord : « Observer le mourir ressemble à observer une naissance ; dans les deux cas, il y a des stades identifiables vers l’issue attendue. Souvent, les deux processus peuvent se dérouler sans qu’il soit nécessaire d’intervenir, comme toute sage-femme le sait. »

5On relève les récits où le/la patient-e tout comme l’entourage veulent s’épargner mutuellement, se cachant la gravité de la situation, alors que tous en fait savent – arriver finalement à en parler est une délivrance ; cela vaut aussi pour les enfants. « La conspiration du silence est si commune, et si tragique. Les anciens attendent la mort et beaucoup cherchent à en parler. Mais ils sont l’objet de rebuffades des jeunes qui ne peuvent le supporter. »

6« Les personnes qui approchent de la mort déplacent d’elles-mêmes le centre de leur monde vers les autres. Elles mettent l’accent sur le fait d’aimer leurs proches et cette gentillesse rayonne sur ceux qui sont alentour. » En fait, la plupart d’entre nous, dit l’auteure, feront l’expérience d’une progression surprenante de douceur (unexpectedly gentle) vers la mort. Mannix rappelle ce qu’il importe de pouvoir dire/élaborer, de part et d’autre, avant de se séparer : « Je vous aime », « Je regrette », « Merci », « Je vous pardonne », « Adieu/au revoir ».

7À propos des débats actuels sur la fin de vie : « Quand un traitement devient-il une interférence qui ne sert qu’à prolonger la mort ? » Au-delà de l’objectif de maintenir plus longtemps une vie acceptable, il y a un enjeu lié à ce que les Anglo-saxons appellent « futilité » médicale. Avons-nous le droit de choisir quand mettre un terme à notre vie ? « [Dans mon expérience,] il n’y a pas de doute que, des deux côtés, ceux qui font campagne [pour ou contre l’euthanasie] sont motivés par des éléments de compassion et principe. Pourtant, la discussion, si souvent polarisée, semble avoir peu de rapport avec ce qui est vécu. Beaucoup d’intervenants en soins palliatifs sont exaspérés par les positions tranchées des militants pour l’une ou l’autre vision, alors que nous savons que la réalité n’est ni noire ni blanche mais faite de nuances de gris. »

8Le thème de l’immortalité est évoqué dans des termes hautement pertinents. « Les histoires de chaque société incluent des désirs d’immortalité qui, presque toujours, ont une issue funeste. Ou bien les immortels sont condamnés à la solitude, ou ils finissent par sacrifier leur immortalité pour vivre une vie de mortels… La sagesse des civilisations reconnaît l’immortalité comme une coupe empoisonnée, et la mort comme une composante nécessaire et même bienvenue de la condition humaine ; une limite qui rend le temps et les relations entre nous infiniment précieux. »

9Kathryn Mannix écrit bien. L’ouvrage a une vraie valeur pédagogique, fourmillant d’utiles notations et conseils. Une remarque : tous les professionnels décrits sont compétents, toujours adéquats dans leur travail. Portant sur toute une carrière dans le monde réel, cette perfection surprend un peu… Exquise courtoisie britannique ?

10With the End in Mind apporte une contribution importante aux débats actuels sur la mort et le mourir, dans un système de santé critiqué pour son « maximalisme » et son attention insuffisante à ce qui se passe – ou pas – entre soignés et soignants. Cet ouvrage est susceptible de susciter des vocations pour les soins palliatifs. Notez encore que ce livre a été traduit en italien, en espagnol et en néerlandais, mais pas encore en français.

11Jean Martin

Coaching des soignants, Regards de deux coachs sur les turbulences du monde des soins, René Chioléro, Véronique Haynal, Genève : RMS Éditions/Médecine et Hygiène, 2019, 400 pages

12Deux enseignants de Suisse francophone publient un gros ouvrage sur le coaching, principalement en milieu hospitalier. Sujet peu évoqué en tant que tel dans le passé, bien que nous ayons tous vécu – ou vivons – des circonstances qui en montrent l’importance. Tant sont monnaie courante dans la vie des professionnels de la santé, médecins en particulier, les difficultés de relations, l’hubris de certains patrons, les compétences insuffisantes de leadership, de gestion ou de pédagogie, les antagonismes ou les jalousies. Combien de fois a-t-on décrit des séances de commissions distinguées ou de conseils de faculté faisant penser à un jardin d’enfants confus et bruyant… Ou, trop fréquemment, l’histoire d’un chef/cheffe de service récemment arrivé-e qui, en entrant en fonctions, fait preuve de peu de psychologie – à l’égard de ses rivaux malheureux par exemple. Des cas où un professionnel est le souffre-douleur d’un supérieur, voire d’une équipe.

13Tout cela est longtemps resté dans le domaine du non-dit ou de l’informel, du flou, du délicat. Dans des structures qui leur étaient proches, entre collègues et « au mieux », beaucoup ont cherché à régler sinon à soulager de telles situations de souffrance, de conflit, voire de violence. Avec leurs compétences et charisme propres, sans formation spécialisée, avec des succès divers.

14Les auteurs de « Coaching des soignants » ont été amenés, à l’issue de belles carrières, à accepter des mandats dans de telles situations et à se former en conséquence, retournant sur les bancs de l’école (une école à la pédagogie d’adultes). Après quarante ans en réanimation/soins intensifs, le professeur René Chioléro, du CHUV de Lausanne, est devenu coach certifié ; Véronique Haynal est psychologue et psychomotricienne à Genève. lls réunissent leur savoir et leur expérience dans ce livre.

15Après une présentation de la philosophie et de l’approche du coaching, l’ouvrage s’organise en deux grandes parties. La première, « Les fondamentaux », traite du coaching et du mentorat (deux notions à distinguer), de l’importance de la supervision, des circonstances différentes du coaching et de la psychothérapie.

16Vient ensuite « La pratique du coaching hospitalier ». Quelques titres :

  • Chapitre 5 - Les soignants et leur culture professionnelle : nous ne sommes pas toujours conscients de l’importance et des conséquences de cette culture, des socialisations et des formatages que nous avons subis et/ou dont nous avons bénéficié.
  • Chapitre 7 - Coaching à l’hôpital : de la demande au contrat.
  • Chapitre 8 - Coaching exécutif et leadership.
  • Chapitre 9 - Coaching individuel et coaching de vie.
  • Chapitre 12 - Soigner, une profession difficile : coaching pour une santé mentale – avec une discussion de l’épuisement/ burnout et de sa prévention – prendre soin de soi, possible utilité de la « pleine conscience ».
  • Chapitre 13 - Les conflits et la violence à l’hôpital.

17Dans les deux chapitres suivants, les derniers, les auteurs décrivent leurs propres parcours et évoquent des perspectives en « croisant les regards ».

18Un traité pratique, nourri de tableaux et de multiples vignettes tirées de situations vécues. Ce qu’on note, c’est que, à chaque fois, sont décrits la situation de départ, les contacts avec le coach, le mandat, les différentes étapes. Mais, sauf dans une minorité de cas, le résultat n’est pas précisé (« happy end », issue difficile, insuccès). Interpelant… peut-être est-ce lié au fait que l’accent est surtout mis sur les processus. Autre remarque : à notre époque de Me-too et de mise en évidence de la fréquence des gestes inappropriés à connotation sexuelle dans tous les domaines – et le système médico-hospitalier ne fait certainement pas exception –, on trouve en tout et pour tout une mention de « remarques sexistes » (p. 342) et une de « sexisme » (p. 382). Étonnant ?

19Il n’en reste pas moins que l’ouvrage de Chioléro et Haynal apporte une contribution importante à une meilleure reconnaissance et une meilleure pratique du coaching en milieu de soins.

20Jean Martin


Date de mise en ligne : 17/12/2019

https://doi.org/10.3917/spub.194.0603

Notes

  • [*]
    Les notes de lecture sont rédigées par les rédacteurs, les membres du comité scientifique et les experts de la revue.

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