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Article de revue

Le dépistage des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS) sous l’œil de la promotion de la santé : « l’initiative Blitz » à Montréal

Pages 751 à 754

Notes

  • [1]
    Institut national de santé publique du Québec – 190, boulevard Crémazie Est – Montréal (Québec) H2P 1E2 – Canada.
  • [2]
    Il s’agit du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, nouvelle structure résultant de la réorganisation du réseau de la santé et des services sociaux du Québec (Canada), 1er avril 2015.
  • [3]
    Le service de type clinique jeunesse est un service de prévention en matière de santé sexuelle pour les jeunes et leur famille offert dans le Centre local de services communautaires (CLSC) du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal. Le service fait partie du réseau public de santé et de services sociaux. Il touche notamment les saines habitudes de vie, les comportements sains et sécuritaires au regard de la santé sexuelle, le dépistage et le traitement des ITSS, la contraception ainsi que la santé mentale et psychosociale.
  • [4]
    Blitz : terme allemand signifiant éclair.
  • [5]
    CÉGEP : collège d’enseignement général et professionnel.
  • [6]
    Organisme à but non lucratif dont la mission est de contribuer à la prévention des ITSS notamment par la conception et l’animation d’ateliers d’éducation à la sexualité dans divers milieux.
  • [7]
    Déjà éprouvé dans le cadre d’un projet antérieur « Je passe le test » voir : http://www.dsp.santemontreal.qc.ca/publications/publications_resume.html?tx_wfqbe_pi1%5Buid%5D=244
  • [8]
    Grâce à une subvention de démarrage du ministère de la Santé et des Services sociaux.

1Recourir aux stratégies de promotion de la santé telles que l’éducation à la santé ou le développement des capacités des individus ou des milieux [1] pour réorienter des services de dépistage des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS), n’est pas couramment mentionné. Pourtant, ces stratégies peuvent être des outils additionnels pour mener à bien ce type d’intervention. Un Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de Montréal [2] en fait usage afin d’améliorer les services de dépistage des ITSS auprès des jeunes de 15 à 24 ans sur une partie de son territoire. « L’initiative Blitz » (dépistage de masse annuel, rapide et ciblé) l’illustre.

2Le présent article s’applique à rendre visible l’utilisation de différentes stratégies de promotion de la santé qui réorientent les services de dépistage des ITSS existants au plus près des besoins des jeunes et de leurs milieux de vie dans le cadre de « l’initiative Blitz ». Comme déclencheur de la démarche, le problème d’accès aux services de dépistage des ITSS pour les jeunes sur le territoire du CIUSSS est d’abord exposé. En réponse, « l’initiative Blitz » dans des milieux d’enseignement est décrite. Puis, est mise en évidence l’approche au plus près des besoins des jeunes et mobilisatrice des acteurs à l’interne du CIUSSS et à l’externe dans les milieux. Ces stratégies portent des fruits ; des résultats tangibles en font état.

Un problème d’accès aux services

3Une partie du territoire couvert par le CIUSSS a des taux d’infections à chlamydia et gonocoque parmi les plus élevés au Québec. Ces taux ne cessent d’augmenter depuis 2007 [2]. Les jeunes sont particulièrement touchés. Des décideurs et des professionnels du CIUSSS s’inquiètent de la baisse de fréquentation par les plus jeunes du service de type clinique jeunesse [3] du territoire, du peu d’intervention en matière de santé sexuelle en milieu scolaire et de la méconnaissance des jeunes au sujet des ITSS. À leurs yeux, l’offre dans le service de type clinique jeunesse ne joint pas suffisamment les jeunes et ne réussit pas, par conséquent, à les convaincre de se faire dépister et, le cas échéant, à les traiter, ce qui est déterminant dans la réduction du nombre de cas d’ITSS.

4Le problème d’accès aux services de dépistage des ITSS pour les jeunes sur le territoire est examiné non seulement sous l’angle de l’offre de service clinico-administrative à l’intérieur du CIUSSS, mais aussi au regard de la capacité des jeunes à recourir à ces services [3]. Par ignorance, déni, gêne, crainte ou pour toutes autres raisons, les jeunes de 15 à 24 ans réclament peu ou pas de services de dépistage. À cela, s’ajoutent des embûches à l’interne du CIUSSS pour accéder au service de type clinique jeunesse comme des horaires d’ouverture peu adaptés à l’horaire des jeunes en milieu scolaire. L’offre n’apparaît pas suffisante pour réduire le nombre de cas d’infection chez les jeunes. L’idée de la rendre plus active et d’aller vers les jeunes s’est imposée.

« L’initiative Blitz », pour un dépistage des ITSS dans divers milieux

5« L’initiative Blitz [4] » est une offre annuelle et rapide de dépistage des ITSS à certains groupes de jeunes de 15 à 24 ans dans les milieux d’enseignement. Elle a pour but de contribuer à la santé sexuelle des jeunes et de réduire l’incidence de la chlamydiose et de la gonorrhée chez les jeunes du territoire. L’offre de dépistage des ITSS vise les seules classes de secondaire 4 (élèves âgés de 14 à 17 ans) ainsi que certains groupes de jeunes de l’éducation aux adultes et du CEGEP [5]. Plus large que la simple recherche de cas infectés d’une ITSS, l’offre de dépistage « l’initiative Blitz » devient un instrument de sensibilisation des jeunes et de leurs milieux (parents, gestionnaires et intervenants) aux problèmes des ITSS. Elle permet aux jeunes de se familiariser avec le dépistage des ITSS. C’est aussi une occasion d’expérimenter de nouvelles approches pour tenter de dissiper les craintes des jeunes à passer le test. Complémentaire à l’offre en clinique jeunesse, « l’initiative Blitz » cible à la fois les individus et les milieux.

6« L’initiative Blitz » débute par la prise de contact des professionnels du CIUSSS avec les autres acteurs engagés [4] dans le Blitz, soit ceux des milieux d’enseignement, de l’organisme communautaire partenaire [6] et du laboratoire. Il s’agit de s’assurer de leur collaboration et de convenir des aspects logistiques : par exemple le moment propice dans l’année au déclenchement de l’opération, les locaux et le personnel disponibles.

7Une publicité contenant les principales coordonnées du Blitz de dépistage des ITSS est affichée dans les milieux d’enseignement et transmise aux jeunes dans les semaines précédentes. Le jour même, une séance d’information de groupe portant sur la prévention des ITSS et les modalités de dépistage sur place est animée par une infirmière ou une sexologue de l’organisme communautaire. Une trousse, incluant un questionnaire auto-administré sur les facteurs de risque, une fiche de suivi et une feuille d’instruction pour le prélèvement, est remise à tous les jeunes ciblés. Les infirmières du CIUSSS mobilisées pour l’occasion se répartissent la tâche de recevoir les jeunes dans différents locaux. Le questionnaire rempli ou non par chaque jeune est remis en mains propres à une infirmière à l’abri des indiscrétions. Ainsi, les jeunes peuvent décider de passer le test de dépistage des ITSS sans que les autres jeunes du groupe puissent le savoir et remettre à l’infirmière leur prélèvement d’urine qui sera acheminé au laboratoire. Les résultats sont transmis selon différentes modalités : 1) tous reçoivent une information générale ; 2) les cas positifs sont vus et traités par un médecin ; 3) les cas négatifs présentant des facteurs de risque ont un counselling post-test sur place ou par téléphone.

Une approche au plus près des besoins des jeunes

8Les jeunes ciblés par « l’initiative Blitz » de dépistage sont soit inactifs sexuellement, soit au début de leur vie sexuelle, soit bien engagés dans celle-ci. Le défi est de faire vivre à tous une expérience positive de dépistage, plus facile, plus conviviale et plus acceptable pour les jeunes que l’offre classique.

9Diverses mesures tant individuelles que collectives sont mises en œuvre en ce sens. Les messages de prévention combinés à une expérience concrète de dépistage de masse ne peuvent que renforcer leurs efficacités [4] et rendre plus usuel le recours à un tel service. Le tirage au sort d’un prix de participation au test de dépistage des ITSS fournit une justification aux jeunes de passer le test, sans que ce soit nécessairement associé à une activité sexuelle. La discrétion assurée au fait de passer un test ou non contribue à éviter notamment l’intimidation ou le harcèlement qui pourraient y être associés. Un questionnaire [7] sur les facteurs de risque ajusté selon les jeunes rencontrés et leur niveau de vulnérabilité concoure à préserver leur sensibilité. Ce service de dépistage des ITSS sur place simplifie et raccourcit les démarches des jeunes. Le scénario de remise en mains propres à l’infirmière de tous les questionnaires remplis ou non permet notamment à des garçons, peu susceptibles de fréquenter le réseau de la santé et encore moins des services de dépistage des ITSS, d’établir un premier contact avec une infirmière.

10Ces diverses mesures agissent sur certaines composantes du problème d’accès aux services de dépistage des ITSS chez les jeunes et participent, à petite échelle, à atténuer certains freins individuels et obstacles organisationnels.

« L’initiative Blitz », une intervention inter-programme et intersectorielle

11Pour parvenir à réaliser cette initiative, plusieurs types d’acteurs sont mis à contribution dès la conception. Une structure comprenant un comité de pilotage, un comité de coordination et une équipe projet préside la démarche à l’interne. Le directeur des services généraux et programmes spécifiques porte le projet ; une chargée de projet expressément embauchée pour l’occasion [8] l’anime ; les chefs d’administration de programmes concernés, la directrice et la conseillère cadre des soins infirmiers, la coordonnatrice aux services à la communauté et responsable locale de santé publique ainsi que des infirmières-cliniciennes assistantes du supérieur immédiat (ICASI) participent à une instance ou l’autre de la structure.

Principales étapes

Septembre 2012 : Conception : tour d’horizon des pratiques existantes ailleurs, choix d’un dépistage de masse et élaboration d’une charte de projet.
Janvier à juin 2013 : Expérimentation : Blitz de dépistage des ITSS dans trois milieux différents, formation et habilitation d’infirmières à faire du dépistage des ITSS, mise à l’épreuve des outils et de la logistique.
Septembre 2013 à mars 2014 : Ajustements et implantation.

12Depuis, « l’initiative Blitz » de dépistage des ITSS se répète chaque année auprès d’un certain nombre de jeunes en milieux d’enseignement. L’opération mise sur l’accueil par ces milieux d’enseignement, la mobilisation de ressources infirmières en provenance de cinq équipes du CIUSSS et les services plus intenses du laboratoire durant l’opération. Un soin particulier est accordé aux communications avec les divers acteurs impliqués dans les milieux. Que ce soit les rencontres avec le responsable des relations avec la communauté à la commission scolaire pour obtenir son appui, un groupe de jeunes d’une école pour discuter des meilleures façons de faire, les directions d’école pour expliquer le Blitz, les intervenants sur le terrain pour préparer l’opération, les gestionnaires et les infirmières impliqués pour les intéresser et les mobiliser avec l’aide des dirigeants ou les contacts réguliers avec le laboratoire pour préparer l’arrivée d’une plus grande quantité de tests, toutes ces activités relationnelles contribuent à lier le travail collectif et témoignent de pratiques renouvelées en matière de dépistage des ITSS.

Des résultats tangibles

13Dès la première année d’implantation, de septembre 2013 à mars 2014, des résultats tangibles s’observent : 614 jeunes participent aux séances d’information, la moitié des jeunes passe le test et 9 jeunes sont dépistés positifs. Les acteurs sont étonnés de constater que « l’initiative Blitz » met en lumière d’autres besoins des jeunes en matière de santé : 122 jeunes sont orientés vers d’autres services médicaux et psychosociaux notamment au sujet de contraception et d’abus sexuels.

14Force est de constater que « l’initiative Blitz » a une portée plus large que le seul dépistage des ITSS auprès des jeunes et favorise l’identification de besoins jusque-là non exprimés ou non perçus par ces derniers. Malgré son caractère ponctuel dans l’expérience scolaire des jeunes, « l’initiative Blitz » rapproche du réseau de la santé un certain nombre d’entre eux, rend moins menaçant le dépistage des ITSS et crée un environnement plus favorable à leur dépistage. Elle joint un plus grand nombre de jeunes que le service de type clinique jeunesse. Le temps de rencontre de chaque jeune est écourté à 20 minutes plutôt que 45 minutes dans un établissement de santé, ce qui accroît l’efficience. « L’initiative Blitz », en complémentarité avec le service de type clinique jeunesse, marque une certaine réorientation des services de dépistage des ITSS sur une partie du territoire du CIUSSS vers une offre pour les jeunes, avec les milieux et en concertation avec plusieurs programmes du CIUSSS.

Conclusion

15Les ITSS ne sont pas des infections comme les autres. On a tendance à les cacher. Une offre de service de type clinique jeunesse en CIUSSS recevant seulement les demandeurs de services ne suffit pas à joindre l’ensemble des jeunes et à les sensibiliser à la prévention des ITSS. Pour accroître la capacité des jeunes à recourir aux services de dépistage des ITSS, il faut faire appel à des stratégies utilisées dans l’approche de promotion de la santé notamment celles de type bottom-up (partir du besoin des publics) qui sont utiles à la transformation des pratiques. Sans penser que cette façon de faire remédie complètement au problème des ITSS, elle a le mérite de mettre à distance une logique strictement de services pour une logique de résultats intégrant les besoins des jeunes, les acteurs concernés et les conditions imposées par l’environnement.

16Cette façon de concevoir les services, de les revoir et de les dynamiser avec les acteurs, pour les jeunes et en considération des contextes, n’est pas sans faire écho à la Charte d’Ottawa (1986). Même si les acteurs à l’origine de « l’initiative Blitz » de dépistage des ITSS ne s’y réfèrent pas explicitement, les principes, qu’elle sous-tend, inspirent l’amélioration des pratiques.

17Pour en savoir plus sur « l’initiative Blitz », vous pouvez consulter le modèle logique de l’initiative et la caractérisation de l’innovation à l’adresse suivante : https://www.inspq.qc.ca/espace-itss/initiative-prometteuse-itss.

18Aucun conflit d’intérêt déclaré

Références

  • 1
    O’Neill M, Stirling A. Travailler à promouvoir la santé ou travailler en promotion de la santé. In : O’Neill M, Dupéré S, Pederson A, Rootman I. Promotion de la santé au Canada et au Québec, perspectives critiques. Québec (Canada) : Presses de l’Université Laval ; 2006.
  • 2
    MADO-Statistiques Archives, Espace montréalais d’information sur la santé, Agence de la santé et des services sociaux de Montréal disponible sur <http://emis.santemontreal.qc.ca/sante-des-montrealais/maladies-a-declaration-obligatoire/mado-statistiques/mado-statistiques-archives/#c4552>.
  • 3
    Levesque JF, Harris M F, Russell G. Patient-centred access to health care conceptualising access at the interface of health systems and populations. International Journal for Equity in Health, 2013;12:18.
  • 4
    Lemire N. Réduction des ITSS chez les jeunes du territoire du CSSS Jeanne-Mance. Rapport final. Montréal. Centre de santé et de services sociaux Jeanne-Mance, IPCDC, document interne, 2014. 30 p.

Mots-clés éditeurs : promotion de la santé, Montréal, jeunes, accès aux services, dépistage des infections transmissibles sexuellement et par le sang

Date de mise en ligne : 29/12/2016

https://doi.org/10.3917/spub.166.0751

Notes

  • [1]
    Institut national de santé publique du Québec – 190, boulevard Crémazie Est – Montréal (Québec) H2P 1E2 – Canada.
  • [2]
    Il s’agit du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, nouvelle structure résultant de la réorganisation du réseau de la santé et des services sociaux du Québec (Canada), 1er avril 2015.
  • [3]
    Le service de type clinique jeunesse est un service de prévention en matière de santé sexuelle pour les jeunes et leur famille offert dans le Centre local de services communautaires (CLSC) du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal. Le service fait partie du réseau public de santé et de services sociaux. Il touche notamment les saines habitudes de vie, les comportements sains et sécuritaires au regard de la santé sexuelle, le dépistage et le traitement des ITSS, la contraception ainsi que la santé mentale et psychosociale.
  • [4]
    Blitz : terme allemand signifiant éclair.
  • [5]
    CÉGEP : collège d’enseignement général et professionnel.
  • [6]
    Organisme à but non lucratif dont la mission est de contribuer à la prévention des ITSS notamment par la conception et l’animation d’ateliers d’éducation à la sexualité dans divers milieux.
  • [7]
    Déjà éprouvé dans le cadre d’un projet antérieur « Je passe le test » voir : http://www.dsp.santemontreal.qc.ca/publications/publications_resume.html?tx_wfqbe_pi1%5Buid%5D=244
  • [8]
    Grâce à une subvention de démarrage du ministère de la Santé et des Services sociaux.

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