Introduction
1La France, comme la plupart des pays industrialisés, est confrontée à un phénomène sans précédent de vieillissement de sa population, dû à l’avancée en âge des générations nombreuses nées après la Seconde Guerre mondiale (les générations du baby-boom) et à l’allongement de la durée de vie (en moyenne un trimestre chaque année depuis les années 1960) [1]. Dans le même temps, l’espérance de vie sans incapacité (ou en absence de restriction d’activité, par ailleurs souvent conséquences de maladies chroniques) tend à ralentir sa progression [2]. Dans ce contexte, la question de l’évolution, à court et moyen terme, de l’état de santé de la population et du fardeau des maladies chroniques est majeure au regard des conséquences sur l’offre de soins, l’économie (absentéisme au travail, financement de l’Assurance maladie, etc.) et sur la qualité de vie des malades [3].
2L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a défini les maladies chroniques comme « tout problème de santé qui nécessite une prise en charge sur une période de plusieurs années ou de plusieurs décennies » et sa stratégie mondiale de lutte a mis l’accent sur les maladies cardiovasculaires, le diabète, les maladies respiratoires chroniques, les cancers et leurs principaux facteurs de risque (alimentation défavorable à la santé, tabagisme, consommation abusive d’alcool et inactivité physique) [4]. En France en 2012, les cardiopathies ischémiques, les maladies cérébrovasculaires et les tumeurs malignes du poumon totalisaient ainsi 18 % des décès, tandis que les remboursements de soins des personnes atteintes de diabète représentaient 12,5 milliards d’euros en 2007 [5]. Il est possible, à partir des tendances récentes et d’hypothèses quant aux mécanismes sous-jacents, de construire des scénarios d’évolution à plus ou moins long terme [6-8]. L’exercice nécessite cependant une connaissance fine de l’évolution des maladies chroniques, de leurs principaux facteurs de risque, notamment intermédiaires (obésité, hypertension artérielle, dyslipidémie, etc.), et de leurs déterminants, individuels, environnementaux ou relatifs au recours aux soins et à la prévention des récidives et des complications.
3L’objectif de cet article est de faire une synthèse des principales sources de données disponibles pour la surveillance épidémiologique des maladies chroniques, des évolutions temporelles récentes de quelques-unes d’entre elles, majeures en termes de mortalité et de morbidité et facilement accessibles à la prévention, et des raisons probables de ces évolutions et d’en déduire les tendances futures. Le champ des maladies chroniques étant très large, nous nous sommes limités aux exemples des cardiopathies ischémiques, des maladies cérébrovasculaires, du diabète, de la broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) et du cancer du poumon.
Quelles données pour décrire les évolutions récentes ?
4Le champ des données utilisables pour la surveillance épidémiologique des maladies chroniques s’est sensiblement élargi au cours de la dernière décennie. Les statistiques relatives aux causes médicales de décès (gérées par le Centre d’épidémiologie des causes médicales de décès, CepiDc) ont été complétées, par les registres de morbidité (incidence, létalité). C’est le cas pour les cancers où près d’une trentaine de registres couvrent 20 % de la population et, de manière plus limitée, pour les cardiopathies ischémiques et les maladies cérébrovasculaires. Depuis le début des années 2000, l’exploitation des données d’hospitalisations collectées dans le cadre du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) géré par l’Agence technique de l’information hospitalière (Atih), occupe une place croissante dans la surveillance, notamment depuis qu’il est possible de chaîner les séjours d’un même individu. L’accès aux données de consommations de soins de l’Assurance maladie via le Système national d’information inter-régime de l’Assurance maladie (Sniiram) a récemment ouvert de nouvelles perspectives de surveillance [9, 10]. Enfin, les enquêtes avec examen de santé en population générale apportent des informations complémentaires sur les facteurs de risque, les déterminants de santé et la part non diagnostiquée de certaines pathologies. C’est le cas par exemple de l’Étude nationale nutrition santé (ENNS), réalisée en 2006-2007 [11]. Par ailleurs, les enquêtes de santé par interview comme l’enquête Handicap-santé, réalisée en 2008 en ménages ordinaires et en institutions, ou l’Enquête santé protection sociale réalisée en ménages ordinaires, apportent des informations sur les maladies chroniques déclarées, les limitations fonctionnelles et les restrictions d’activités qui en découlent [12].
Cardiopathies ischémiques
5En 2010, les cardiopathies ischémiques constituaient la seconde cause de mortalité en France, avec un quart (24,7 %) des décès par maladie de l’appareil circulatoire et 6,5 % de l’ensemble des décès. Dans la moitié des cas, il s’agissait d’infarctus du myocarde. Entre 2000 et 2010, à structure d’âge égale, le taux standardisé de mortalité par cardiopathie ischémique a diminué de 37 % chez les hommes et de 41 % chez les femmes (figure 1). Le taux standardisé sur l’âge de personnes hospitalisées pour infarctus du myocarde a également diminué de 17,6 % pour les hommes et de 18,1 % pour les femmes entre 2002 et 2008. Cette évolution globale favorable masquait toutefois des évolutions différentes selon le sexe et l’âge. Avant 65 ans, le taux standardisé de personnes hospitalisées a ainsi reculé de 10,2 % chez les hommes et augmenté de 6,0 % chez les femmes (figure 2). Cette augmentation a surtout concerné les femmes âgées de 35 à 54 ans [13].
Évolution entre 2000 et 2010 du taux standardisé sur l’âge de mortalité par cardiopathie ischémique selon le sexe, France entière
Évolution entre 2000 et 2010 du taux standardisé sur l’âge de mortalité par cardiopathie ischémique selon le sexe, France entière
Évolution entre 2002 et 2008 du taux standardisé sur l’âge de personnes hospitalisées pour infarctus du myocarde parmi les moins de 65 ans selon le sexe, France entière
Évolution entre 2002 et 2008 du taux standardisé sur l’âge de personnes hospitalisées pour infarctus du myocarde parmi les moins de 65 ans selon le sexe, France entière
6Les données issues des trois registres des cardiopathies ischémiques ont mis en évidence des évolutions similaires pour l’incidence et la létalité à 28 jours [14]. La persistance d’un pourcentage élevé de létalité générale, malgré une évolution favorable, souligne par ailleurs l’existence de marges de progression en termes de prise en charge [14].
7Depuis les années 1980, un recul important de la mortalité par maladies coronariennes a été observé dans de nombreux pays [15, 16]. Aux USA, ce recul serait dû, pour moitié, à la réduction de l’exposition aux facteurs de risque et pour moitié, à l’amélioration des traitements et de la prévention des récidives [17]. La part de la prévention primaire dans le recul de la mortalité des maladies coronariennes est désormais bien documentée [15].
8Outre l’âge, le sexe, le tabac, l’hypercholestérolémie, le diabète, l’obésité, l’hypertension artérielle, le stress et la sédentarité constituent les principaux facteurs de risque d’infarctus du myocarde [18]. Une réduction de 1 % de la cholestérolémie totale moyenne en population générale, permettait ainsi de réduire la mortalité par maladie coronarienne de 2,5 % [19]. En Islande, la diminution de la mortalité a été expliquée à 74 % par la prévention primaire, dont 32 % en raison de la diminution de la cholestérolémie moyenne ; le reste étant expliqué à part égale, par le recul du tabagisme et la diminution de la pression artérielle systolique moyenne [8]. En Pologne, des changements intervenus dans l’offre alimentaire (réduction des apports en acides gras saturés au profit des apports en acides gras polyinsaturés et en fruits et légumes) dans les années 1980, ont également conduit à une diminution sensible des taux de mortalité par maladie coronarienne [20]. Ces tendances ont été retrouvées dans d’autres pays d’Europe de l’Est [21].
9Il n’est en revanche pas certain que ces évolutions favorables se poursuivent dans un contexte marqué par l’augmentation de la prévalence de l’obésité et du diabète chez les adultes, une diminution moindre (voire une augmentation chez les femmes) du tabagisme et un vieillissement de la population [22].
Maladies cérébrovasculaires
10En 2010, les maladies cérébrovasculaires représentaient 22,3 % de la mortalité par maladie de l’appareil circulatoire et 5,9 % de la mortalité générale ; les accidents vasculaires cérébraux (AVC) constituant l’essentiel de ces décès (90 %). Entre 2000 et 2010, le taux standardisé sur l’âge de mortalité par AVC a diminué de 32,6 % chez les hommes et 34,6 % chez les femmes (figure 3).
Évolution entre 2000 et 2010 du taux standardisé sur l’âge de mortalité par accident vasculaire cérébral selon le sexe, France entière
Évolution entre 2000 et 2010 du taux standardisé sur l’âge de mortalité par accident vasculaire cérébral selon le sexe, France entière
11Entre 2002 et 2012, le taux standardisé de personnes hospitalisées pour AVC tous âges confondus a diminué de 2,7 % chez les femmes et de 4,6 % chez les hommes. Cette diminution globale masquait néanmoins une évolution contrastée avec une augmentation parmi les moins de 65 ans (respectivement + 13,3 % chez les femmes et + 16,5 % chez les hommes) (figure 4). Ces évolutions se sont révélées cohérentes avec les données du registre des AVC de Dijon, avec une augmentation de l’incidence des AVC chez les moins de 55 ans sur la période 1985-2011 [23].
Évolution entre 2002 et 2012 du taux standardisé sur l’âge de personnes hospitalisées pour accident vasculaire cérébral parmi les moins de 65 ans selon le sexe, France entière
Évolution entre 2002 et 2012 du taux standardisé sur l’âge de personnes hospitalisées pour accident vasculaire cérébral parmi les moins de 65 ans selon le sexe, France entière
12Un recul de la mortalité par AVC a été observé dans l’ensemble des pays industrialisés [24]. Les raisons sont multiples et résident aussi bien dans l’amélioration de la prévention primaire (notamment via la diminution de l’exposition à l’hypertension artérielle), de la prise en charge lors de la phase aiguë (entre autres via la mise en place des unités neuro-vasculaires au début des années 2000) et de la prévention des complications. Un déclin de la létalité hospitalière a également été observé dans plusieurs pays [25].
13L’hypertension artérielle constitue un facteur de risque majeur d’AVC [24] et une prise en charge efficace peut contribuer à réduire la mortalité en prévenant les événements les plus sévères [26]. Une diminution des niveaux moyens de pression artérielle a été observée dans différents pays dont la France, entre le milieu des années 1980 et le milieu des années 1990 [27]. Cette diminution s’est accompagnée d’une hausse de la prévalence des patients traités par antihypertenseur, bien que celle-ci semble n’avoir eu qu’un impact limité sur la réduction des niveaux de pression artérielle [27]. En 2006-2007, 31 % des adultes de 18-74 ans résidant en France présentaient une hypertension artérielle (définie par une pression artérielle systolique ? 140 mm de mercure et/ou une pression artérielle diastolique ? 90 mmHg et/ou la prise de médicaments antihypertenseurs) [28]. La marge de progression était importante en termes de diagnostic et de contrôle de l’hypertension artérielle. Parmi les adultes hypertendus, 52 % déclaraient avoir connaissance de leur hypertension, 50 % étaient traités avec un antihypertenseur et, parmi eux, seuls 25,6 % avaient une pression artérielle satisfaisante.
14Les projections actuelles concluent à la poursuite, au moins à court terme, du recul de la mortalité par AVC dans les pays européens [29]. Au-delà, les scénarios sont plus incertains. Le vieillissement de la population pourrait ainsi conduire, en absence d’amélioration sensible de la prise en charge, à une augmentation de la morbimortalité liée aux AVC [30]. L’augmentation concomitante de la prévalence de l’obésité chez les adultes et du tabagisme chez les femmes, devrait renforcer cette tendance. L’augmentation de la prévalence de l’obésité pourrait également peser sur l’évolution de la prévalence de l’hypertension artérielle et, indirectement, sur celle des AVC, dans la mesure où les individus hypertendus obèses atteignent plus difficilement le contrôle tensionnel que les hypertendus non obèses [31]. Inversement, la modification de certaines habitudes de vie pourrait contribuer à une évolution plus favorable. Ainsi la réduction des apports en sodium en population générale, constitue une perspective d’action de santé publique efficace et efficiente pour réduire la prévalence de l’hypertension artérielle [32].
Diabète
15L’augmentation de la prévalence du diabète a pris des allures d’épidémie mondiale à laquelle la France n’échappe pas [33]. Compte tenu de la spécificité des traitements pharmacologiques, l’évolution de la prévalence du diabète traité peut être suivie à partir des remboursements d’antidiabétiques oraux et d’insuline par l’Assurance maladie.
16Sa progression se poursuit à un rythme soutenu : la prévalence du diabète traité pharmacologiquement s’élevait à 4,6 % en 2012, soit trois millions de personnes traitées, contre 2,6 % en 2000, soit 1,6 million de personnes [5]. Ces estimations sont sous-estimées dans la mesure où une partie des personnes atteintes de diabète n’est pas diagnostiquée. Ainsi, 20 % des cas de diabète identifiés lors de l’ENNS 2006-2007 sur la base d’une hyperglycémie à jeun et/ou de la prise d’un traitement pharmacologique antidiabétique n’étaient pas diagnostiqués [34]. Si cette proportion est inférieure à ce qui était observé dans certains pays, elle n’en demeurait pas moins préoccupante, d’autant qu’un diagnostic tardif augmente les risques de survenue de complications sévères et de limitations fonctionnelles.
17Le surpoids et l’obésité constituent, avec l’inactivité physique, un facteur de risque majeur de diabète et leur augmentation dans la population a de nombreux retentissements sur l’état de santé, potentiellement l’espérance de vie et l’offre de soins [35]. En 2006-2007, 49,3 % de la population générale adulte vivant en France étaient en situation de surpoids, dont 16,9 % en situation d’obésité [36]. Même si cette prévalence est inférieure à ce qui est observé dans des pays comme les USA ou l’Angleterre, la France est confrontée à une augmentation de la prévalence du surpoids et de l’obésité [37]. L’augmentation de la prévalence de l’obésité semble en revanche enrayée chez les enfants [38]. L’évolution de l’obésité, notamment aux USA, fait néanmoins craindre un impact négatif du diabète sur l’espérance de vie [39] ; les projections d’incidence et prévalence en France [40] et aux USA [7] montrant une augmentation du nombre de personnes diabétiques sous le double effet du vieillissement et de l’obésité.
Broncho-pneumopathies chroniques obstructives et tumeurs malignes du poumon
18Le tabagisme constitue le facteur de risque essentiel des BPCO et des tumeurs malignes du poumon. En 2010 en France, environ 18 000 décès étaient liés à la BPCO, dont 43 % en cause initiale, tandis que le cancer du poumon a causé le décès de 21 647 hommes et 7 721 femmes. Depuis 2000 (figure 5), les taux de mortalité liés à la BPCO sont, à structure d’âge égale, en diminution chez les hommes (environ – 1 % par an en moyenne) mais en légère augmentation chez les femmes (+ 0,6 % par an en moyenne). Entre 2000 et 2012, le taux standardisé de personnes hospitalisées pour exacerbation de BPCO a augmenté de 88,4 % chez les femmes et 30,5 % chez les hommes (figure 6). Si les données épidémiologiques demeurent peu nombreuses pour la BPCO, elles semblent cohérentes avec l’évolution, différenciée selon le sexe, observée pour les tumeurs malignes du poumon. Pour la classe d’âge 35-44 ans, la mortalité par cancer du poumon a ainsi été divisée par deux en dix ans chez les hommes, tandis qu’elle a été multipliée par quatre en 15 ans chez les femmes [41]. Ces évolutions sont cohérentes d’une part avec ce qui est observé chez les femmes pour l’infarctus du myocarde et, d’autre part, avec les données d’exposition au tabac. Le Baromètre santé, réalisé par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes), montre ainsi qu’entre 2005 et 2010, la proportion de fumeuses régulières est passée de 21,9 % à 29,3 % dans la tranche d’âges 45-54 ans et de 9,1 % à 15,5 % parmi les 55-64 ans [42].
Évolution entre 2000 et 2012 du taux standardisé sur l’âge de mortalité par broncho-pneumopathie obstructive chronique selon le sexe chez les adultes âgés de 45 ans ou plus, France entière
Évolution entre 2000 et 2012 du taux standardisé sur l’âge de mortalité par broncho-pneumopathie obstructive chronique selon le sexe chez les adultes âgés de 45 ans ou plus, France entière
Évolution entre 2000 et 2012 du taux standardisé sur l’âge de personnes hospitalisées pour broncho-pneumopathie obstructive chronique selon le sexe chez les adultes âgés de 25 ans ou plus, France entière
Évolution entre 2000 et 2012 du taux standardisé sur l’âge de personnes hospitalisées pour broncho-pneumopathie obstructive chronique selon le sexe chez les adultes âgés de 25 ans ou plus, France entière
Quelles évolutions pour demain ?
19Les pathologies et les facteurs de risque susceptibles de peser à terme sur l’espérance de vie, la morbidité et la perte d’autonomie, ainsi que sur l’organisation et le financement de l’offre de soins et de la prise en charge de la dépendance, sont nombreux. À ceux déjà évoqués, il conviendrait d’ajouter les déterminants des prises en charge médicosociales (améliorations des thérapeutiques, éducation thérapeutique, coordination des soins, etc.) sur l’incidence et la gravité des complications et des handicaps associés, mais cela était difficile à traiter dans le cadre d’un seul article.
20Dans tous les cas, il ressort des exemples, évoqués plus haut, forcément limités, que les tendances à la diminution de l’incidence, de la létalité et de la mortalité des maladies chroniques, observées sur la dernière décennie, devraient se heurter aux conséquences conjuguées du vieillissement de la population et de la progression de l’obésité, du diabète ou du tabagisme chez les femmes.
21Une diminution de l’espérance de vie sans incapacité a d’ores et déjà été observée chez les femmes de moins de 65 ans [3], mais l’amplitude de ce phénomène demeure difficile à appréhender à ce stade. D’une part, le nombre des facteurs de risque à considérer simultanément est élevé et, d’autre part, des changements – favorables ou non à la santé – dans les comportements individuels ou dans l’environnement (conjoncture économique, pollution, urbanisation, flux migratoires, etc.) peuvent rapidement modifier le cours des événements. Si les évolutions récentes, différenciées selon le sexe, en matière de tabagisme se confirmaient, elles devraient conduire à la poursuite du recul de la morbidité chez les hommes et, à l’inverse, à son augmentation chez les femmes. La diffusion de la cigarette électronique pourrait cependant, sous réserve de son innocuité et qu’elle s’accompagne d’une diminution effective du tabagisme, sinon bouleverser, du moins atténuer la portée de ce scénario [43]. Le récent recul du volume des ventes de cigarettes, qui reste à confirmer, semble conforter cette hypothèse [44]. De plus, une politique de taxation forte des cigarettes pourrait amplifier à long terme cette évolution des comportements individuels.
22La diminution de la prévalence de l’obésité constitue un autre levier pour limiter l’impact du vieillissement sur la santé de la population et réduire les dépenses de santé correspondant [45]. Ce constat plaide pour la poursuite, voire l’intensification, des actions de prévention primaire. Il pose par ailleurs la question de l’impact à plus long terme, des nouvelles approches thérapeutiques comme la chirurgie bariatrique, sur la prévention des complications de l’obésité (diabète, maladies cardiovasculaires, etc.) [46].
23Parmi les facteurs à considérer, le contexte socioéconomique occupe une place importante. Les crises économiques, et les politiques d’austérité qui en résultent, ont un impact défavorable sur l’évolution de l’état de santé de la population [47]. En Grèce, la crise économique de 2008 s’est accompagnée d’une dégradation immédiate de certains indicateurs de santé, comme le taux de suicide ou l’état de santé perçu [48]. Il est probablement encore trop tôt pour appréhender les effets à plus long terme. Au début des années 1990, la transition vers une économie de marché des pays du bloc de l’Est s’était également accompagnée d’un recul de l’espérance de vie dans certains d’entre eux [49]. De nombreux facteurs de risque ou de pathologies sont associés négativement à la position socioéconomique des individus. C’est le cas en France, de l’obésité chez les femmes [36], du syndrome métabolique [50], de l’hypertension artérielle [51] ou du diabète [52]. Parmi les pays d’Europe de l’Ouest, la France se singularise par des inégalités sociales de santé marquées. Au cours de la période 2000-2008 et parmi les hommes, les cadres vivaient ainsi en moyenne 6,3 ans de plus que les ouvriers [53]. Depuis 2002, la proportion de pauvres (définie comme la proportion d’individus disposant de revenus inférieurs à 60 % du niveau de vie médian de la population) a augmenté de 16 %, soit 1,2 million de personnes supplémentaires en France [54]. La conjoncture économique conditionne également la part de la richesse nationale dédiée aux dépenses de santé et de prévention. Par ailleurs, si la position socioéconomique a un retentissement sur la santé, l’association fonctionne également dans l’autre sens, les personnes avec une santé précaire éprouvant davantage de difficultés à s’insérer dans la vie active [55]. Les épisodes de pollution atmosphérique [56] ou les facteurs psychosociaux [57], notamment dans le cadre professionnel, sont d’autres exemples de facteurs susceptibles d’impacter l’évolution future de l’état de santé de la population et la liste n’est pas exhaustive. Dans tous les cas, toutes les stratégies destinées à augmenter l’espérance de vie et à faire reculer la morbimortalité des maladies chroniques, conduiront à augmenter proportionnellement le poids des maladies directement liées à l’âge. Les maladies neurodégénératives (maladie d’Alzheimer, Parkinson, etc.) constituent ainsi un autre enjeu majeur pour l’espérance de vie sans incapacité au regard du vieillissement de la population.
Conclusion
24Les maladies chroniques demeurent un défi pour nos systèmes de santé. Les surveiller, ainsi que leurs déterminants, anticiper leur évolution et adopter les stratégies les plus efficientes pour les prévenir, est donc primordial. Cela implique i) de disposer d’évaluations, notamment en termes de coût/efficacité, des actions de santé publique, ii) de décrire les évolutions récentes et iii) d’être en mesure d’en modéliser l’impact sur l’état de santé de la population générale à court et moyen terme. Élaborer des scénarios intégrant les changements démographiques, les tendances récentes de l’incidence, les modifications des facteurs de risque préventifs ou curatifs, voire les risques compétitifs (i.e. réduire les niveaux tensionnels dans la population diminuerait la mortalité cardiovasculaire mais augmenterait le nombre de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer [58]), constitue un véritable outil décisionnel [59]. Si ces méthodes méritent d’être davantage utilisées comme outil d’anticipation et d’optimisation des stratégies de santé publique, elles ne permettront cependant pas de prévoir l’imprévisible.
25Aucun conflit d’intérêt déclaré
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Mots-clés éditeurs : tendances, morbidité, mortalité, maladie chronique, surveillance de santé publique, modèles statistiques
Date de mise en ligne : 26/03/2015
https://doi.org/10.3917/spub.150.0189