1Les politiques de santé en Afrique, depuis les indépendances, ont subi plusieurs mutations, marquées pour l’essentiel par diverses évolutions. Parmi ces mutations, une plus grande décentralisation des soins, et le développement de l’intersectorialité. Ces tendances n’ont pas toujours été accompagnées de processus décisionnels basés sur des preuves. Le constat est que, malgré les progrès évoqués plus haut, les politiques de santé sont le plus souvent inspirés par des intérêts personnels, claniques, ou par des calculs politiciens. La question se pose alors du rôle que la recherche devrait jouer dans le développement des systèmes de santé africains.
2La recherche sur les systèmes de santé en Afrique intègre diverses méthodes et approches classiques. Si les recherches de type fondamental ou appliqué, sont assez rares du fait des moyens financiers, humains, structurels et organisationnels, souvent énormes qu’elles exigent, les recherches « opérationnelles » et « action » constituent le « pain quotidien » du chercheur africain dans le domaine de la santé publique.
3Nous insisterons ici sur trois défis qui empêchent la recherche de jouer pleinement son rôle en Afrique.
4Tout d’abord, l’environnement de la recherche pour la santé en Afrique est marqué, en particulier en Afrique francophone, par une absence de vision globale et synergique, nonobstant des problèmes de santé publique semblables et ce, malgré des disparités régionales ; cette absence de vision globale se traduit dans les faits par l’existence de plusieurs pôles de recherche sur le continent, plus ou moins efficients, avec des référentiels disparates, traitant souvent différemment des préoccupations communes…
5Le second défi, évoqué plus haut, est que la recherche en santé en Afrique inspire rarement les décisions politiques. Plusieurs facteurs expliquent cette situation. D’une part, il existe un défaut d’engagement et de leadership en faveur d’une prise de décision basée sur la preuve, et ce, à tous les niveaux. Les chercheurs, jaloux de leur liberté, envisagent rarement une collaboration avec les décideurs qu’ils ont plutôt tendance à ignorer. Les politiques de leur côté, avides de résultats immédiats, ne se préoccupent pas de l’utilisation des résultats de la recherche dont les effets sont souvent à long terme.
6Le troisième défi – on n’insistera jamais assez dessus – concerne la formation à la?recherche. Pour conduire une recherche respectant des standards classiques, le minimum est d’avoir obtenu une formation assez solide en méthodologie de la recherche. Quelques jours de formation ne suffisent pas. Or, le parcours classique des universitaires dans les facultés de médecine d’Afrique, à quelques exceptions près, ne prévoit pas de?parcours structuré de formation à la recherche. Les cliniciens reçoivent certes une formation approfondie, mais seulement dans le domaine des sciences cliniques et non dans celui de la recherche.
Face à ces défis, quelles perspectives ?
7La recherche, au même titre que d’autres activités de gestion, doit être considérée comme une fonction essentielle dans nos systèmes de santé ; de ce point de vue, plusieurs expériences sont en cours. Il faut les poursuivre, sans relâche, jusqu’à ce qu’une véritable culture d’utilisation d’interventions d’efficacité prouvée soit définitivement ancrée dans les mœurs.
8La synergie d’action dans le domaine de la recherche ne pourra être obtenue qu’à travers des organisations ayant des mandats pour jouer le rôle de liant entre les différentes institutions de recherche au niveau africain, dans ses différentes sous régions. L’Organisation Ouest Africaine de la Santé (OOAS) est en train de réaliser des efforts louables dans ce domaine.
9S’agissant des liens entre la recherche et la décision, l’idée de la création, au niveau pays, d’une « plateforme d’action concertée entre chercheurs, décideurs et société civile dans la formulation des priorités et des actions de recherche », défendue par CODESRIA [2] semble intéressante. Cette plateforme pourrait aider, entre autres, à surmonter les méfiances entre décideurs et chercheurs.
10Pour ce qui est de la formation des chercheurs, la solution nous semble être de promouvoir une formation diplômante interafricaine en méthodologie de la recherche, pouvant être donnée à distance, sur deux semestres, à laquelle tout chercheur labellisé comme tel par nos instances internationales ou nationales de décision, serait astreint. Cette formation comprendrait au minimum, dans une composition harmonieuse, les différentes disciplines suivantes : bio-statistiques, épidémiologie, anthropologie, sociologie, bioéthique, gestion informatique de bases de données quantitatives et qualitatives. Une fois les contenus et crédits de cette formation convenus, celle-ci pourrait être offerte en plusieurs langues, et dans toutes les universités du continent.
11C’est à ce prix que nous pourrons partager, dans des revues comme celle-ci, des résultats de recherche de qualité et utiles aux décideurs.