Introduction
1Les questions touchant au lien entre la santé et l’environnement ont commencé à occuper l’espace public depuis une dizaine d’années. Par-delà les polémiques, il apparaît nécessaire d’analyser plus finement le phénomène dans son ensemble.
2Cet article propose cette analyse, dans un premier temps au regard de l’évolution historique et, dans un deuxième temps, en référence aux problèmes de santé actuels pour mieux en comprendre les déterminants et ainsi mieux en définir les perspectives scientifiques et politiques.
Historique
D’Hippocrate à la 1re révolution de santé publique
3L’idée qu’il existe un lien étroit entre santé et environnement n’est pas nouvelle. Cela a même été le fondement principal de l’action de la médecine pendant longtemps. Hippocrate écrivait dans son traité « Airs, eaux, lieux » : « Pour approfondir la médecine, il faut considérer d’abord les saisons, connaître la qualité des eaux, des vents, étudier les divers états du sol et le genre de vie des habitants » [10]. Plus près de nous, au XVIIIe siècle, Ramazzini compléta cette approche en « inventant » la santé au travail : « Écoutons Hippocrate : Il faut lui demander (au malade) ce qu’il sent, quelle en est la cause, depuis combien de jours mais à ces questions qu’il me soit permis d’ajouter : “et quel métier fait-il ?” » [15].
4La médecine moderne naît vers le milieu du XIXe siècle et s’organise autour de trois pôles que l’on va retrouver, selon les époques, avec un poids plus ou moins important : clinique, expérimental et social [7]. Ce dernier courant va être déterminant pour faire face au problème majeur de santé publique que sont, à cette époque, les grandes maladies infectieuses. Ce courant de médecine sociale est plus particulièrement intéressant à analyser aujourd’hui à un moment où le modèle dominant actuel, principalement basé sur l’expérimental, touche à sa limite. L’action de trois médecins emblématiques de ce mouvement permet de comprendre l’actualité de sa philosophie.
5En France, Louis-René Villermé est surtout connu pour son « Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie » publié en 1840, qui fut à l’origine de la première loi limitant le travail des enfants, mais son activité a porté également sur le logement insalubre (Il fut à l’origine de la première loi sur le sujet en 1850), sur les maladies infectieuses comme le choléra (« Il n’est point vrai que l’épidémie ait sévi indifféremment et frappé avec la même sévérité contre les riches et les pauvres » écrit-il) et sur le lien entre mortalité et pauvreté.
6En Allemagne, Rudolf Virchow, publie un rapport sur l’épidémie de typhus en Haute Silésie en 1848 en mettant en évidence l’impact combiné de la famine et du typhus. Il mène de front une activité scientifique (il est aussi considéré comme le père de la pathologie cellulaire) et politique. Il siège au Reichstag et à la municipalité de Berlin où il va développer hôpitaux, mais aussi égouts, abattoirs et espaces verts.
7En Grande-Bretagne, John Snow s’est rendu célèbre par son action pendant l’épidémie de choléra à Londres en 1855. Il avait observé une fréquence plus élevée de cas à proximité de la fontaine de Broad Street et il en déduisit, à l’encontre des théories dominantes de l’époque, et bien avant que le vibrion cholérique ne soit identifié par Robert Koch en 1883, que l’eau pouvait être le vecteur de l’épidémie. Sur la base de cette observation, il mit hors d’état de fonctionnement cette pompe et l’épidémie en ce point diminua d’intensité, ce qui confirmait a posteriori la justesse de l’analyse.
8Ces épisodes illustrent bien l’apport décisif de cette vision de médecine sociale pour conduire ce que l’on peut appeler la première révolution de santé publique, dont le paradigme reposait sur une action sur l’environnement, principalement l’eau (via les égouts et l’adduction d’eau), le ramassage des déchets, le logement, mais aussi sur l’éducation de la population aux principes d’hygiène. Elle ne se limitait pas au seul champ scientifique, mais sollicitait aussi le champ politique via des lois spécifiques et parfois via une grande loi de santé publique comme en France en 1902.
Les médecins ont été le fer de lance de ce mouvement, mais ils ne furent pas les seuls. Ingénieurs, architectes, urbanistes et hauts fonctionnaires (le préfet Poubelle y a gagné de laisser son nom à la postérité) se sont impliqués fortement dans la lutte avec la conviction qu’ils étaient eux-aussi des acteurs de santé. Ce mouvement a pesé d’un poids incontestable dans la diminution des pathologies infectieuses, bien avant même la découverte des antibiotiques ou la mise en place des pratiques vaccinales. Il a été calculé que, sur la période 1844-1854 à 1971, les 3/4 de la chute de la mortalité était due à la baisse des maladies infectieuses. Dans le cas de la tuberculose, 86 % du déclin eut lieu avant la découverte de la streptomycine en 1947 et la vaccination par le BCG (obligatoire en France à partir de 1950) [18].
La naissance de la biomédecine [8]
9Il faut attendre l’après-guerre pour que le modèle biomédical devienne dominant et le reste jusqu’à aujourd’hui. Les trois piliers de cette évolution sont la création de l’assurance maladie qui fournit la solvabilité pour une très large population, la transformation des hôpitaux en 1958, qui passent des hospices servant à parquer les pauvres, aux Centres Hospitaliers Universitaires (CHU), centres de la technique médicale de pointe, et l’innovation thérapeutique qui invente alors la quasi-totalité des classes thérapeutiques actuelles.
10Les succès obtenus vont contribuer peu à peu à dévaloriser les conceptions de la médecine sociale, qui ne pouvaient s’appuyer sur le prestige de la technique médicale. Parallèlement, la santé publique va se concentrer principalement sur le comportement individuel en menant, non sans succès d’ailleurs, la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, mais en en délaissant la dimension sociale. Aujourd’hui, ce modèle apparaît avoir atteint ses limites dans la mesure où l’innovation thérapeutique marque le pas, mais surtout où il s’avère incapable de faire face aux épidémies de maladies non transmissibles qui sont aujourd’hui le problème de santé majeur.
Le nouveau paradigme écosystémique
La transition épidémiologique : l’épidémie de maladies chroniques
11L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a qualifié la croissance des maladies non transmissibles comme le grand défi pour le développement de la santé au XXIe siècle [12]. Les maladies non transmissibles représentent 60 % des causes de décès dans le monde en 2005 et leur poids devrait augmenter de 17 % au cours des dix prochaines années. Très nettement dominantes dans les pays développés et les pays à revenus intermédiaires, elles sont aussi très présentes dans les pays à revenus faibles, juste derrière les maladies infectieuses. Leur origine se trouve dans l’environnement moderne. Ceci étant, on peut observer que les maladies infectieuses sont elles aussi des maladies environnementales, comme, par exemple, les maladies diarrhéiques, qui font 1,8 million de morts (à 90 % des enfants de moins de 5 ans) et dont la cause première est l’eau non potable.
12L’OMS Europe a appelé, le 11 septembre 2006, les gouvernements à « une action globale pour freiner cette épidémie » sur la base du constat suivant : « 86 % des décès et 77 % de la charge de morbidité sont dus aux maladies non transmissibles en Europe : maladies cardio-vasculaires, cancer, problèmes de santé mentale, diabète sucré, maladies respiratoires chroniques et troubles musculo-squelettiques »… Il serait possible d’éviter 80 % des maladies cardiaques, des accidents vasculaires cérébraux et des cas de diabète de type 2,40 % des cancers… » [13].
13L’OMS observe aussi que cette croissance des maladies chroniques contribue de plus en plus à mettre en cause la pérennité des systèmes d’assurance maladie, mais le coût économique dépasse le coût de santé si on y intègre les pertes de productivité. L’Union Européenne a estimé, par exemple, le coût annuel total des maladies pulmonaires en Europe à 102 milliards €, soit un chiffre comparable au PIB de l’Irlande [7].
14Cette assertion prend le contre-pied de l’idée très souvent véhiculée que la crise des systèmes de santé et d’assurance maladie serait en quelque sorte une fatalité liée, d’une part au vieillissement de la population, d’autre part au coût forcément élevé des progrès médicaux. Si ces facteurs ne sont pas niables, il serait néanmoins erroné de leur attribuer une part prépondérante dans cette évolution.
15La France dispose d’un bon indicateur avec les Affections de Longue Durée (ALD) du Régime Général (88 % de la population). Entre 1994 et 2004, le taux moyen de progression annuelle était de 5,7 % en effectifs, alors que celui du coût n’était que de + 1,0 %. Cette croissance était principalement liée à la croissance du nombre de personnes atteints de diabète et de cancer [17]. Des modifications de définitions (pour le diabète par exemple) ou le vieillissement n’expliquent que très partiellement cette croissance. Preuve en est l’évolution d’une année sur l’autre. Au 31/12/2007, 14,2 % de la population étaient en ALD, soit par rapport à 2006, un chiffre en progression de 4,2 %, dont 1 point était lié à la modification de la structure d’âge. Cela revient à dire que 3,2 %, soit 76 % de la progression, sont dus à des facteurs non démographiques. C’est ce qu’il faut appeler « environnement au sens le plus large du terme ». La progression était particulièrement forte en un an pour le diabète + 8,2 %, les cancers + 6,5 % et les maladies cardio-vasculaires + 6,4 %. Ces 14,2 % de la population en ALD contribuent à 64 % des dépenses (60 % en 2004) et les prévisions sont de 70 % pour 2015 [14].
Considérer l’environnement de façon globale : l’exemple du cancer
16On a vu ci-dessus qu’il est nécessaire de définir l’environnement au sens large pour qualifier tout ce qui n’est pas la conséquence du changement démographique. La polémique autour du lien entre cancer et environnement illustre bien les termes du débat. Deux thèses s’affrontent. L’une, dont les représentants sont en France principalement les Académies de Médecine et de Sciences, calcule des risques avérés, c’est-à-dire des risques attribuables déterminés à partir d’enquêtes épidémiologiques [1]. Cette façon de faire est par principe réductrice, puisqu’elle s’appuie sur des facteurs de risques bien identifiés pour lesquels on dispose d’études chez l’homme et ne prend pas en considération les données expérimentales. La part du tabac et de l’alcool, facteurs de risque faisant l’objet de nombreuses études épidémiologiques, apparaît, dans ces conditions, déterminante. Pour les raisons inverses, la part des pollutions (< 1 %) apparaît négligeable et l’environnement social n’existe tout simplement pas.
17Une autre approche est de partir d’une définition globale de l’environnement. L’incidence du cancer en France a progressé entre 1980 et 2005 de + 93 % chez l’homme et de + 84 % chez la femme, mais le changement démographique n’expliquant que 41 % de cette augmentation chez l’homme et 29% chez la femme, le reste, respectivement + 52 % et + 55 % doit donc être attribué à des facteurs d’environnement au sens large du mot. Rien ne permet de rapporter cette progression au tabagisme et à l’alcoolisme, dont la prévalence est en baisse régulière depuis plusieurs décennies, ce dont témoigne la baisse des cancers qui leur sont les plus liés (poumon et œsophage chez l’homme), ni au seul dépistage. D’autres facteurs d’environnement sont en cause comme le montrent les études s’appuyant sur les registres de jumeaux, les changements de taux dans les populations migrantes, les variations sociales, spatiales et temporelles (la croissance du cancer de l’enfant en Europe sur 30 ans par exemple). Ce même type de données montre que ce raisonnement s’applique aux grandes maladies chroniques [2].
Le principe de précaution et la demande citoyenne
18Un élément déterminant du changement de paradigme est l’évolution de la demande citoyenne. Dans la 1re révolution de santé publique, la démarche reste portée par les professionnels. Aujourd’hui, la demande citoyenne a considérablement changé de nature en même temps que changeait la relation de la société au progrès scientifique. La conscience s’est faite que le progrès technique n’est pas uniquement synonyme de progrès pour l’homme. Il a aussi des effets négatifs qui peuvent être graves et irréversibles. Cela a donné naissance au principe de précaution. Celui-ci est né de la protection de l’environnement, mais est très vite passé à la protection de la santé. Plus largement, un mouvement sociétal s’est construit au cours de la dernière décennie autour de l’idée de justice environnementale, principalement dans les pays anglo-saxons, sur la base du constat que ce sont certaines catégories ethniques ou sociales qui sont les plus exposées aux nuisances [18]. On retrouve là une filiation avec le mouvement de la médecine sociale du milieu du XIXe siècle. Cela a des conséquences sur la conception même de la prévention, sur les disciplines scientifiques à développer pour répondre à cette demande d’anticipation des impacts et sur la légitimité des citoyens à intervenir dans le processus.
Gérer le risque environnemental ou les trois âges de la prévention [3]
Le 1er âge
19L’environnement actuel est caractérisé par le poids croissant des risques physico-chimiques. Historiquement, on peut considérer qu’il existe trois âges dans la gestion de ces risques. Le 1er âge se caractérise par une approche facteur de risque par facteur de risque et par l’attente de la preuve chez l’homme pour agir sur « les causes avérées ». L’épidémiologie, qui apporte la preuve chez l’homme, est la science reine. C’est elle qui a démontré l’effet cancérogène du tabac par l’enquête auprès des médecins britanniques, mais l’exemple de l’amiante, où il a fallu attendre 50 ans après la mise en évidence du lien avec le cancer pour arriver à une décision d’interdiction, a montré que cette conception n’était pas suffisamment protectrice. C’est cependant celle sur laquelle sont fondées les valeurs limites professionnelles.
Le 2e âge
20Cet âge correspond à la naissance de l’Évaluation des Risques (EDR) dont les concepts ont été élaborés dans les années 50, mais seront formalisés par l’Académie des Sciences des USA en 1983, réaffirmés en 1994 et repris dans le monde entier [11]. Cette conception repose sur une approche multimédia, mais facteur de risque par facteur de risque. L’alimentation est ainsi considérée, non en tant que telle, mais seulement comme un milieu, via la contamination des sols ou de l’eau. La toxicologie est la discipline scientifique de base, car elle fournit les données animales sur lesquelles sont basées les Valeurs Toxicologiques de Référence (VTR). La quasi-totalité des réglementations repose sur cette conception. Sa limite est qu’elle raisonne en termes de milieux et non en termes de population. De plus elle repose sur les concepts scientifiques des années 70 issus de la connaissance du mécanisme d’action des radiations ionisantes : 1) les effets cancérogènes sont dus à une mutation et suivent une relation dose-effet linéaire sans seuil ; 2) il existe un seuil d’effet pour les effets non cancérogènes.
Le 3e âge
21Il apparaît nécessaire de passer aujourd’hui au 3e âge afin de prendre en considération l’ensemble des environnements et des populations, et d’intégrer les connaissances scientifiques actuelles sur l’origine des maladies. Le cas du cancer du sein illustre la nécessité d’un tel changement. Les causes identifiées ou protectrices du cancer du sein sont à la fois du domaine du mode de vie (nombre et âge des grossesses, allaitement), des expositions chimiques liées aux cosmétiques, à l’environnement domestique ou professionnel, de la consommation tabagique et alcoolique. Les conditions de travail comme le travail de nuit augmentent le risque. Certains types d’alimentation sont protecteurs, d’autres ont un effet inverse. De même, la sensibilité varie selon l’âge (exposition aux radiations ionisantes pendant la puberté) [9]. Agir suppose donc de prendre en compte l’ensemble de ces facteurs et de comprendre comment ils s’influencent. C’est tout l’enjeu de l’effet cocktail.
22Le progrès des connaissances scientifiques conduit à remettre en cause le vieux paradigme de Paracelse : « C’est la dose qui fait le poison ». On sait aujourd’hui que c’est aussi la période qui fait le poison pour un grand nombre de substances chimiques ayant un effet de type perturbation endocrinienne, car la gestation est une période plus particulièrement sensible à l’action de ces substances. De plus, celles-ci peuvent avoir un impact plus fort à faible dose qu’à forte dose et celui-ci peut être transgénérationnel selon un mécanisme qui n’est pas génotoxique, mais épigénétique, comme le confirme l’impact du médicament distilbène sur deux générations chez l’homme. Il est de plus en plus démontré que les substances de ce type sont fortement impliquées dans toutes les grandes maladies chroniques [5]. Dans cette optique, l’alimentation doit être considérée comme un environnement, non seulement parce qu’elle peut être contaminée par des polluants, mais parce qu’elle contribue directement au risque, en ayant un effet protecteur ou amplificateur de l’impact des autres facteurs de risque.
23On sait également qu’il existe des populations sensibles non seulement selon l’âge, mais aussi selon la susceptibilité génétique, l’état du système immunitaire ou une hypersensibilité acquise (à certaines substances chimiques ou aux champs électromagnétiques). Cela implique de développer, à côté de l’épidémiologie et de la toxicologie, la science des expositions ou expologie. Il devient en effet crucial de mieux comprendre comment la période fait le poison, selon des constantes de temps qui ne sont plus de l’ordre de la longue durée, mais de la courte durée comme la journée. Il est nécessaire d’intégrer dans l’exposition les composantes liées à l’alimentation et au mode de vie. Cela conduit au développement de programmes de surveillance biologique, dont l’intérêt est qu’ils intègrent les différentes voies d’exposition et un premier niveau de réponse de l’organisme. Cette approche peut aujourd’hui s’appuyer sur le développement des sciences du type « omiques » pour mesurer des signatures d’impact plutôt que des concentrations biologiques univoques [16].
Cette vision doit conduire aussi à repenser un certain nombre d’outils réglementaires comme les VLE professionnelles et en priorité à compléter la classification de l’Union Européenne sur les Cancérogènes, Mutagènes, Reprotoxiques (CMR) avec la catégorie (Perturbateurs endocriniens (PE). Plus largement, il faut cesser de considérer que seule la classification par les effets chez l’homme justifie la mise en œuvre de mesures de protection. Dans une logique d’anticipation, les données expérimentales doivent être considérées comme suffisantes pour déclencher l’action réglementaire.
Vers une définition écosystémique de la santé [6]
24En 1948, l’OMS définissait la santé comme un état de bien être et pas seulement comme l’absence de maladie. Cela a débouché ensuite sur une vision communautaire de la santé (Charte d’Ottawa). Ceci s’avère cependant aujourd’hui insuffisant face aux enjeux actuels de santé. La notion d’écosystème est née en 1935 et elle trouve une application dans le champ de la santé en permettant de comprendre que la santé est la traduction de la qualité de la relation de la personne humaine à son écosystème. L’écosystème, ce peut être le logement, le travail, le quartier ou la ville. Par exemple, une ville conçue pour la voiture engendre une pollution urbaine, mais aussi une baisse d’activité physique, et donc un risque d’obésité. Plus largement, santé de l’écosystème et santé humaine sont intimement liées. Nombreux sont aujourd’hui les exemples qui le démontrent, du réchauffement climatique à la couche d’ozone stratosphérique, de la pollution de l’ensemble de l’écosystème par des substances du type Polluants Organiques Persistants (POP), métaux lourds ou pesticides ou la génération d’ozone troposphérique via les Composés Organiques Volatils (COV).
Conséquences institutionnelles
25Le dispositif des agences de sécurité sanitaire a été structuré en France principalement avec la loi de juillet 1998, mais il doit être complété pour répondre au nouveau paradigme écosystémique. Cela passe en priorité par la constitution d’un Institut de Veille Environnementale (IVE). Cet IVE serait le pendant de l’actuel Institut de Veille Sanitaire (InVS) et aurait pour mission de suivre l’évolution des écosystèmes, non seulement du point de vue de la pollution des milieux, mais plus largement de l’état de la faune et de la flore.
26Cette mutation suppose également une structuration de la recherche en santé et environnement. Celle-ci est actuellement éclatée et marginale au sein de l’INSERM, lequel est centré presqu’exclusivement sur le biomédical, et du CNRS. Une solution pourrait être la création d’un Institut dédié, sur le modèle du dispositif américain, dans lequel le National Institute of Environmental Health Sciences (NIEHS) joue un rôle de leadership permettant de dynamiser la recherche universitaire.
27Cette vision écosystémique de la santé doit conduire aussi à repenser la formation des professionnels de santé, mais aussi celle de tous ceux dont l’activité peut avoir un impact sanitaire (notamment ingénieurs, architectes, urbanistes), pour faire en sorte qu’ils soient des acteurs de santé conscients comme leurs prédécesseurs du XIXe siècle. Plus largement, ce doit être aussi la formation de tout citoyen, et ce, dès le plus jeune âge, pour permettre à chacun de comprendre les enjeux et d’appliquer à lui-même et à la société le principe de précaution de façon consciente et éclairée.
Conclusion
282010 sera une année importante avec la tenue de la 5e conférence des ministres de l’environnement et de la santé sous l’égide de l’OMS Europe à Parme. Ces conférences ont eu un rôle décisif pour amener tous les pays européens à se doter d’un Plan National Santé Environnement (PNSE). Le plan dédié de l’Union Européenne (Plan SCALE) arrive à échéance cette même année [4]. Ce sera aussi l’année de la biodiversité et on peut espérer que cela contribue à la prise de conscience que santé humaine et santé de la planète sont indissolublement liées. L’enjeu n’est pas seulement pour les pays du Nord, mais c’est aussi celui des pays du Sud, qui ont à réussir, à la fois, la 1re et la 2e révolution de santé publique. Le moment est venu d’une conférence internationale qui prendrait la suite logique de la conférence de Rio sur le développement durable en 1992 pour traduire le fait que la crise sanitaire est, avec le réchauffement climatique, l’énergie et la biodiversité, la 4e grande crise écologique à laquelle l’humanité doit répondre.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : santé environnementale, révolution, paradigme, écosystémique, santé publique
Date de mise en ligne : 04/08/2010.
https://doi.org/10.3917/spub.103.0343