Introduction
1L’Afrique subsaharienne est la région du monde la plus dangereuse pour un enfant qui naît : plus d’un million de nouveau-nés meurent chaque année au cours des 28 premiers jours de vie [12]. C’est dans cette région que les taux de mortalité néonatale sont les plus élevés ; les nouveau-nés représentent environ 40 % des enfants décédant avant leur cinquième anniversaire [10].
2Pour atteindre les Objectifs 4 et 5 du Millénaire pour le Développement (OMD) [8], à savoir réduire la mortalité des enfants de moins de 5 ans et améliorer la santé maternelle, il est important que la mortalité néonatale (MNN) diminue. Or, les progrès sont lents et la persistance d’une MNN élevée entrave la réalisation de ces buts. De plus, « la santé des nouveau-nés – terme désignant les nourrissons au cours des 28 premiers jours de leur vie – demeure un domaine négligé de la santé publique » [10]. Pourtant, pour la première fois depuis les années 80, un rapport révèle certaines améliorations dans la survie des enfants en Afrique dans la mesure où la mortalité néonatale a diminué dans six pays africains à faible revenu [12]. Or, d’après le Rapport sur la Santé dans le Monde de 2005 [11] intitulé « Donnons sa chance à chaque mère et à chaque enfant », les deux tiers des décès du premier mois pourraient être évités si les femmes et leurs enfants bénéficiaient d’interventions sanitaires peu coûteuses.
3Au Rwanda, quand on retrace les tendances de la mortalité néonatale sur près de 40 ans, on constate globalement une relative stabilité des taux de mortalité néonatale, y compris lors des diverses crises politiques ou socio-économiques qui ont frappé le pays, la plus aigue restant le génocide de 1994. On peut donc supposer que les facteurs de mortalité néonatale ont peu évolué au cours des dernières décennies, même si le début des années 2000 semble amorcer une légère amélioration.
4L’objectif sera donc ici d’appréhender l’évolution des facteurs de mortalité néonatale entre la fin des années 80 et le début des années 2000, périodes pour lesquelles des informations de qualité sont disponibles [2]. On verra dans quelle mesure les déterminants de la mortalité avant un mois se sont modifiés, de façon à mieux comprendre la persistance des taux de MNN à des niveaux élevés, particulièrement durant les 15 dernières années, alors que les préoccupations concernant la santé des enfants et de leur mère vont grandissant : en effet, à partir de la fin des années 80 et au début des années 90 s’est imposée la notion de « Maternité sans risque » avec la Première Conférence internationale de Nairobi en 1987, puis avec le Sommet mondial pour les enfants de New York en 1990, la Conférence internationale sur la population et le développement du Caire en 1994, la Quatrième Conférence mondiale sur les femmes de Beijing en 1995… Si l’objectif est de réduire la mortalité maternelle de moitié entre 1990 et 2000, la réduction de la mortalité néonatale fait également partie des objectifs visés par les initiatives pour une maternité sans risque dans la mesure où les principales causes de décès néonatals sont liées à la santé de la mère et aux soins qu’elle reçoit avant, pendant et immédiatement après l’accouchement [11].
5Le Rwanda disposant de plusieurs enquêtes, on se servira des Enquêtes Démographiques et de Santé de 1992, 2000 et 2005, dans un premier temps pour retracer les tendances de la mortalité néonatale depuis la fin des années 60 ; dans un second temps pour analyser les déterminants de la mortalité à l’aide de la régression logistique.
Méthode
Choix des enquêtes et intérêts des informations recueillies
6En 1992 [5], 2000 [6] et 2005 [3] ont eu lieu les trois Enquêtes Démographiques et de Santé (EDS) du Rwanda. Les EDS du Rwanda appartiennent au programme international des EDS ou DHS (Demographic and Health Survey). Elles ont été menées par l’Office National de la Population et ont bénéficié du financement de l’USAID (United States Agency for International Development) et de l’assistance matérielle de l’UNICEF. Ces enquêtes sont représentatives de la population des ménages et de la population nationale.
7Elles ont notamment pour objectif de reconstituer la totalité de la vie génésique passée de l’échantillon de femmes enquêtées en âge de procréer : il est demandé à toutes les femmes âgées de 15-49 ans au moment de l’enquête, de décrire la totalité de leur vie génésique. Les données peuvent donc concerner la mortalité des enfants pour des périodes relativement anciennes : pour chaque enquête, les informations recueillies comme l’année de naissance et éventuellement de décès, peuvent concerner des enfants nés il y a plus de 30 ans. L’un des avantages de ce type d’enquêtes est donc qu’elles permettent de mesurer les niveaux récents mais aussi les tendances passées de la mortalité des enfants. On peut donc reconstituer les tendances de la mortalité néonatale depuis le milieu des années 60 à partir de ces enquêtes.
8De plus, les EDS recueillent également des données sur de nombreuses variables utiles à l’analyse de la mortalité et de ses déterminants. En particulier, ces enquêtes ont recueilli des informations sur un certain nombre de variables socio-économiques et socioculturelles relatives à l’enfant, concernant la santé et le recours aux soins avant 5 ans, le comportement reproductif des mères, leurs pratiques nutritionnelles, etc., autant de facteurs susceptibles d’intervenir sur les niveaux et les tendances de la mortalité néonatale. Pour comprendre les niveaux de la MNN et analyser les facteurs qui les influencent, on se servira alors de l’EDS de 1992 qui a recueilli ces informations pour les enfants nés en 1987-1992 et de celle de 2005 qui a recueilli ces informations pour les enfants nés en 2000-2005.
9Si l’EDS de 2000 a également recueilli des informations similaires pour les enfants nés en 1995-2000, le fait de retenir les enfants nés peu après le génocide peut impliquer un biais pour étudier les facteurs de mortalité indépendamment du contexte de crise, dans la mesure où ils ont pu être affectés par la situation socio-économique et sanitaire qui prévalait à ce moment. De plus, la qualité des déclarations des mères pour les années suivant le génocide, a aussi pu être affectée par des effets de mémoire liés à la nature des événements.
10Enfin, le mode de recueil de certaines données, en particulier celui reposant sur l’interrogatoire des mères, nécessite d’être examiné de façon critique : c’est le cas, par exemple, de la taille du nouveau-né qui, rarement mesurée, a été estimée d’après l’appréciation de la mère.
Reconstitution des tendances de la mortalité néonatale
11La reconstitution des tendances de la mortalité néonatale (MNN) s’est faite en plusieurs étapes.
12Dans un premier temps, on a rétrospectivement retracé les tendances annuelles de la mortalité néonatale à partir des estimations transversales des taux pour chaque EDS (celles de 1992, 2000 et 2005), respectivement pour les périodes 1965-1992, 1970-2000 et 1975-2004. On a rapporté l’effectif des décès du premier mois pour une année donnée au nombre de naissances vivantes de cette année et on a ainsi obtenu un taux de mortalité néonatale (TMNN). Cela a, par la même occasion, permis de vérifier la cohérence entre les différentes enquêtes pour les périodes similaires.
13Dans un second temps, par souci de clarté et pour ne pas avoir à choisir arbitrairement entre les différentes enquêtes fournissant des estimations de qualité équivalente pour des périodes similaires, les tendances annuelles moyennes de la MNN ont été reconstituées à partir des trois enquêtes en recalculant un seul taux par année à partir des données cumulées de chaque enquête (cumul des décès et cumul des naissances vivantes).
14Pour tenir compte des biais susceptibles de fausser les estimations, les informations trop anciennes n’ont pas été retenues : en effet, les erreurs de déclaration de dates ou d’âges sont d’autant plus fréquentes que les événements se sont produits il y a longtemps ; de plus, les effets de mémoire impliquent aussi des omissions qui sont d’autant plus importantes que l’événement est ancien. La MNN est donc d’autant plus sous-estimée que l’on remonte dans le temps. Enfin, les estimations pour l’année précédant la date de fin d’enquête pour les trois EDS, ont été mises à l’écart du fait de l’effet de censure car la mesure de la mortalité pour des enfants qui n’auraient pas traversé la totalité de la plage d’âge concernée, risque d’être sous-estimée.
15La figure 1 retrace alors les tendances annuelles moyennes de la mortalité néonatale.
Choix de la méthode d’analyse
16Pour identifier les facteurs influençant la mortalité néonatale à la fin des années 90 puis au début des années 2000, on a choisi d’effectuer une analyse à l’aide de régressions logistiques auprès des générations d’enfants nés en 1987-1991 et en 2000-2004 (les enfants nés en 1992 et 2005 étant exclus pour éviter tous risques de biais) respectivement à partir des données recueillies lors des EDS de 1992 et 2005. Le choix de recourir à la régression logistique se justifie d’une part parce que l’analyse se veut explicative et d’autre part, parce que la variable dépendante, en l’occurrence la mortalité néonatale, est dichotomique : elle prend la valeur 1 si l’enfant décède avant 1 mois et 0 si c’est le contraire.
17La régression logistique permet d’estimer directement la probabilité d’occurrence d’un événement, notamment ici le décès d’un enfant, à partir de la relation suivante :
18Proba (événement) =
19Où z = ?0 + ?1X1 + ?2X2 +…+ ?iXi
20La valeur des paramètres ?i mesure la relation entre la variable dépendante et les variables indépendantes. En raison de la présence des autres variables dans le modèle, il s’agit de la relation après prise en compte du rôle de ces autres variables. Le coefficient ?i indique l’effet net de chaque variable en maintenant constantes les autres variables indépendantes du modèle (X1, X2… Xi). En raison de la difficulté à interpréter le coefficient ?i, on préfère utiliser son exponentiel, Exp (?i) qui est l’odds ratio.
21Les variables indépendantes introduites dans chaque modèle sont celles qui ont un effet significatif sur la mortalité des enfants et dont l’ajout permet d’augmenter la vraisemblance du modèle. Elles sont intégrées progressivement au modèle tout en modifiant la valeur des paramètres de l’équation [14]. Sur les nombreuses variables testées parmi les variables socio-économiques, celles liées au comportement reproductif de la mère, aux conditions sanitaires durant la grossesse, aux conditions d’accouchement, etc., sept d’entre elles ont été retenues pour le modèle des enfants nés en 1987-1991. Huit variables constituent le modèle concernant les générations 2000-2004. Seules les variables retenues seront présentées.
Résultats
Tendances de la mortalité néonatale
22Selon la figure 1, pour les années les plus anciennes, c’est-à-dire avant la fin des années 60, les fluctuations des taux de mortalité néonatale sont assez importantes, ce qui laisse penser que les estimations sont sans doute imparfaites, essentiellement issues de l’EDS de 1992, avec des risques de biais de déclaration liés à l’ancienneté des informations.
Tendances de la mortalité néonatale, 1965-2004, Rwanda
Tendances de la mortalité néonatale, 1965-2004, Rwanda
23À partir du début des années 70, les niveaux de mortalité néonatale atteignent des taux de près de 70 ‰ avant de diminuer au milieu de la décennie pour frôler les 45 ‰. Dès 1976, les TMNN sont à la hausse jusqu’en 1979 pour atteindre des niveaux proches de ceux du début des années 70. Néanmoins, à partir du début des années 80, la MNN diminuera légèrement jusqu’en 1990, après quoi elle amorcera une nouvelle hausse jusqu’en 1994, année du génocide. Le TMNN atteint alors plus de 63 ‰ en 1994, avant de réamorcer un déclin lui permettant de retrouver les niveaux qu’il avait au début des années 80.
24À partir de 1996, les TMNN passent sous la barre des 45 ‰, même si on note une légère recrudescence en 1998 et 1999. Mais d’une façon générale, si on regarde la courbe de tendances, l’évolution de la mortalité néonatale n’a pas connu de grands retournements de tendance. Depuis l’an 2000, la mortalité du premier mois de vie semble néanmoins connaître une tendance plus favorable avec un indicateur systématiquement inférieur à 45 ‰ voire à 40 ‰. Reste à savoir si cette tendance se maintiendra dans l’avenir et si la mortalité des nourrissons amorce durablement un déclin.
Les déterminants de la mortalité néonatale à la fin des années 90
25Parmi toutes les variables recueillies lors de l’EDS de 1992, sept variables s’avèrent significativement liées à la mortalité néonatale, certaines étant en lien avec des variables biologiques concernant l’enfant (sexe, gémellité, taille du nouveau-né à la naissance), d’autres étant davantage à mettre en relation avec l’environnement dans lequel vit l’enfant (capacité de lecture de la mère, lieu d’habitation). Certaines concernent également le comportement reproductif de la mère qui peut avoir des conséquences plus ou moins directes sur la santé du nouveau-né (tableau I).
Coefficients de la régression logistique sur la mortalité néonatale, générations 1987-1991, Rwanda
Coefficients de la régression logistique sur la mortalité néonatale, générations 1987-1991, Rwanda
26Ainsi, l’intervalle entre les naissances est très discriminant puisque les enfants espacés de leur frère ou sœur de moins de 2 ans sont davantage soumis aux risques de mourir avant 1 mois. Les enfants ayant un intervalle de 2?3 ans et 4 ans ou plus avec leur frère/sœur né(e) précédemment ayant des risques de mourir avant 1 an inférieurs de 71 % et 66 % respectivement. De même, lorsque la mère n’a aucun autre enfant de moins de 5 ans vivant avec elle, l’odds ratio est également moins favorable pour les enfants de ces mères-là, plus le nombre d’enfants de la mère étant élevé, moins les odds ratio sont forts.
27La taille du nouveau-né est également discriminante : plus les nourrissons sont grands, moins ils ont des risques élevés de mourir. En comparaison des enfants qui naissent plus petits, les enfants de taille moyenne et ceux plus grands que la moyenne ont des risques de mourir respectivement inférieurs de 68 % et 73 %. Le fait que les nouveau-nés ont un frère/sœur jumeau est aussi un facteur de mortalité important, les risques de décès étant divisés par deux. Les garçons décèdent près de 1,5 fois plus que les filles.
28Pour les variables davantage contextuelles, alors que ni le niveau de scolarisation de la mère ni celui du père ne sont discriminants, le fait que la mère lise « avec facilité » protège les nourrissons, notamment en comparaison des enfants dont la mère lit avec difficulté : ces derniers décèdent 2,2 fois plus avant 1 mois.
29Enfin, le lieu de vie, représenté par les préfectures de résidence, s’avère également discriminant. La variable de référence retenue est la préfecture de Ruhengeri où la mortalité des enfants pour cette période est relativement basse. Néanmoins, Kibuye et Kigali rural ont une mortalité néonatale significativement plus faible que Ruhengeri, respectivement inférieure de 73 % et 62 %. Ces deux préfectures ont d’une façon générale les taux de mortalité avant 1 an les plus faibles durant les années 80 [2].
Les déterminants de la mortalité néonatale au début des années 2000
30Le tableau II renseigne sur les déterminants de la mortalité néonatale pour les générations 2000-2004. Les variables significativement liées à la mortalité néonatale sont pour beaucoup liées à des facteurs biologiques ou concernant le comportement reproductif de la mère, comme c’était le cas précédemment. Mais elles concernent également certains aspects des conditions de la grossesse ou de l’accouchement. Ainsi, les enfants nés par césarienne ont 4 fois plus de risques de mourir durant le premier mois de vie que les enfants nés par voie basse.
Coefficients de la régression logistique sur la mortalité néonatale, générations 2000-2004, Rwanda
Coefficients de la régression logistique sur la mortalité néonatale, générations 2000-2004, Rwanda
31Comme pour les enfants nés à la fin des années 80, l’intervalle avec la naissance précédente est un facteur très important, plus l’intervalle intergénésique est court, plus les risques de mourir sont élevés. Ainsi, un enfant né au moins 4 ans après son frère ou sa sœur a des risques de mourir inférieurs de plus de 76 % à ceux d’un enfant né moins de deux ans après son frère ou sa sœur.
32Le nombre d’enfants de moins de 5 ans vivant avec la mère s’avère toujours un déterminant clé, plus le nombre d’enfants est élevé, moins les risques de mourir avant un mois étant grands. Par exemple, les enfants de mère ayant un enfant de moins de 5 ans vivant avec elle ont des risques de mourir de plus de 87 % inférieurs à ceux dont la mère n’a aucun enfant vivant avec elle.
33Un autre élément qui ressort particulièrement du modèle de régression logistique est la taille du nouveau-né. La modalité de référence retenue est le fait que la mère juge l’enfant « très petit » à sa naissance. Les enfants nés « très grands », « plus grands que la moyenne » ou « normaux » ont des risques de mourir respectivement de 72 %, 69 % et 81 % inférieurs par rapport aux enfants très petits.
34Deux nouveaux déterminants apparaissent par rapport à ceux prévalant pour les générations d’enfants nés en 1987-1991. D’une part, le nombre de visites prénatales qu’a fait la mère durant la grossesse, s’avère un facteur de mortalité important, particulièrement lorsque aucune visite n’a été faite. Les enfants de femmes qui ont fait 2-3 visites et au moins 4 visites ont des risques de mourir respectivement inférieurs de 57 % et 82 % par rapport aux enfants dont la mère n’a fait aucune visite. D’autre part, concernant les soins dont la mère a bénéficié après son accouchement, le fait qu’elle ait reçu de la vitamine A s’annonce très bénéfique, les enfants de mère n’en ayant pas bénéficié décédant près de onze fois plus que les autres.
35On retrouve le lieu de vie comme facteur discriminant, mais cette fois à travers le milieu urbain ou rural : le fait que les enfants vivent en milieu urbain s’avère un facteur protecteur, les enfants de milieu rural décédant 2,3 fois plus que ceux de milieu urbain.
36Enfin, la gémellité reste un facteur discriminant, le taux de décès étant multiplié par 2 lors des naissances doubles.
Discussion
Un manque de progression en matière de mortalité des nouveau-nés
37On a vu que la reconstitution des tendances de la mortalité depuis le milieu des années 60 suggère une relative stabilité ou en tout cas qu’il n’y a pas eu de bouleversement majeur dans l’évolution de la mortalité néonatale. Cela coïncide avec les observations faites par l’OMS [11] révélant plus généralement que dans une grande partie de la région africaine, les améliorations en matière de santé de la mère, du nouveau-né et de l’enfant depuis la fin des années 80 ont été nulles ou très faibles.
38En même temps, on constate que la santé des nouveau-nés n’a pas souffert de la crise agro-économique des années 80 et de la paupérisation de la population qui l’a accompagnée [2], car les TMNN pour 1987-1988-1989 atteignent même des niveaux plus faibles. La dégradation des conditions de vie ne semble donc pas avoir affecté la mortalité néonatale, celle-ci restant visiblement relativement insensible aux modifications du contexte socio-économique. Un travail antérieur portant sur la mortalité juvénile avait révélé que celle-ci avait, quant à elle, enregistré une tendance favorable durant la crise des années 80, dénotant une amélioration dans la survie des enfants de 1?4 ans, amélioration à mettre en relation avec des innovations sanitaires massives. Il s’agissait en l’occurrence de la vaccination et plus particulièrement la vaccination contre la rougeole [2].
39Concernant l’évolution de la mortalité néonatale durant la guerre civile qui démarre en 1990 et qui culmine avec le génocide de 1994, on note une hausse régulière jusqu’en 1994 où la mortalité atteint un niveau supérieur à 60 ‰. La recrudescence de la mortalité au moment du génocide est aisément compréhensible quand on sait que les enfants ont pu être délibérément visés, que le pays a été dévasté et que l’essentiel des infrastructures du pays a été détruit. Par contre, en comparaison de la mortalité juvénile, la hausse reste moindre : en effet, entre la fin des années 80 et le génocide, le quotient de mortalité juvénile augmente de près de 150 %, contre environ 40 % pour la mortalité néonatale et 80 % pour la mortalité infantile. Le fait que la mortalité néonatale retrouve des niveaux inférieurs dès l’année suivante tend à confirmer le caractère exceptionnel des événements de 1994. À noter que l’EDS de 2000, contrairement à celle de 1992, n’a pas recueilli d’information sur l’ethnie, dimension au cœur du génocide ; il n’est donc pas possible d’étudier la mortalité différentielle selon cette variable, quand bien même on peut supposer son existence. La recrudescence en 1998-1999 reste à expliquer, d’autant qu’une hausse similaire avait été observée dans le cas de la mortalité juvénile [2].
40À partir de 2000 semble s’amorcer un déclin sensible de la MNN, déclin dont il faut voir s’il persiste dans l’avenir. Néanmoins, un rapport encourageant [12] fait part d’améliorations réelles dans plusieurs pays africains à faible revenu, alors que pratiquement aucune amélioration n’avait été faite depuis les années 80 : le Burkina Faso, l’Erythrée, Madagascar, le Malawi, l’Ouganda et la République unie de Tanzanie ont réussi à réduire sensiblement les décès parmi les nouveau-nés. La Tanzanie a par exemple enregistré une baisse de 20 % du nombre de décès de nouveau-nés au cours des cinq dernières années. On peut donc légitimement penser que le Rwanda est sur la voie d’une amélioration de la santé des nouveau-nés.
41Si les tendances récentes de la mortalité néonatale au Rwanda peuvent donc sembler encourageantes, la comparaison de la mortalité pour les générations 1987-1991 et 2000-2004 montre la persistance d’un certain nombre de déterminants importants. Ceux-ci semblent ne pas s’être beaucoup améliorés au cours des années 90 [15]. Ainsi, l’intervalle intergénésique et le nombre d’enfants de moins de cinq ans vivant avec la mère demeurent des déterminants majeurs de la mortalité néonatale. L’espacement des grossesses et le contrôle des naissances sont donc nécessaires pour voir la mortalité s’améliorer. Le nombre d’enfants de moins de 5 ans vivant au foyer peut intervenir sur la santé des nouveau-nés, l’expérience des mères aidant à adopter des pratiques et des comportements favorables à la survie de leurs enfants. Néanmoins, il serait intéressant de préciser à travers quel(s) mécanisme(s) cette variable interfère avec la mortalité néonatale.
42Les risques de surmortalité néonatale impliqués par la gémellité sont partout très supérieurs à ceux des enfants nés d’accouchements simples, y compris dans les pays développés : « leur petit poids à la naissance, leur prématurité et les complications de l’accouchement, fréquentes lors des naissances multiples, les condamnent souvent à une mort précoce dans les pays dépourvus de système de surveillance des femmes enceintes et de soins aux nouveau-nés. Là où de tels systèmes ont été mis en place, la mortalité des jumeaux a diminué comme celle des autres enfants, mais elle est restée bien supérieure » [13]. C’est notamment à la naissance et juste après que la mortalité est la plus forte, à la fois si on considère le risque d’être mort-né et si on considère la mortalité du premier mois : la mortalité néonatale est cinq à sept fois plus élevée pour les jumeaux que pour les naissances simples, aussi bien dans les pays du Nord à faible mortalité que dans les pays du Sud où la mortalité reste forte. Mais la surmortalité des jumeaux perdure tout au long de l’enfance, le handicap que présente la gémellité persistant dans le temps [13].
43Enfin, le petit poids à la naissance (PPN) est aussi un facteur de risque important, comme cela a pu être observé dans d’autres régions africaines [4]. La plupart des enfants de faible poids à la naissance ne sont pas prématurés mais ont en commun des problèmes de croissance in utero, généralement du fait de la mauvaise santé de leur mère [11]. Par exemple, au Burkina Faso, la situation des mères d’enfants de PPN s’avère globalement davantage défavorable que celle des mères ayant un enfant de poids normal [4] : elles sont plus jeunes, ont un indice de masse corporel plus faible, sont moins alphabétisées, vont moins souvent en CPN et présentent davantage de pathologies durant leur grossesse. De plus, on peut aussi supposer que le suivi et la prise en charge des nourrissons de petit poids sont insuffisants, soit parce qu’inexistants, soit parce que la qualité de la prise en charge des pathologies liées au PPN n’était pas suffisante.
L’apparition de nouveaux déterminants de la mortalité avant un mois
44Trois déterminants sont apparus pour les générations 2000-2004 par rapport aux générations 1987-1991, en lien avec les soins offerts aux nouveau-nés et à leur mère durant la grossesse ou l’accouchement.
45L’un de ces éléments concerne les enfants naissant par césarienne. Ceux-ci ont des risques de mourir près de quatre fois plus élevés que les enfants naissant par voie basse. En effet, les femmes accouchant massivement à domicile (75 %), il est probable qu’elles ne se rendent à l’hôpital qu’en cas de complications ou d’urgence, alors que les chances de survie de l’enfant sont déjà menacées. Les césariennes n’étant possibles que dans les hôpitaux de district, cela nécessite des transports d’urgence. Ceux-ci ne sont disponibles que dans 32 % des centres de santé offrant des services de maternité [9]. De plus, il est difficile de pratiquer ces interventions sans personnel qualifié et sans une infrastructure adaptée. Les Soins Obstétricaux d’Urgence (SOU) ne permettent donc pas d’assurer une maternité sans risque. D’après l’OMS [11], la mortalité « néonatale est plus basse là où les parturientes bénéficient de soins dispensés par des professionnels qualifiés qui disposent de l’équipement, des médicaments et autres fournitures nécessaires à une prise en charge efficace et en temps utile des complications ». L’amélioration du pronostic vital du nouveau-né repose donc sur l’existence des services obstétricaux et de néonatalogie de qualité. « Ces derniers requièrent en général un plateau technique de bon niveau qui n’est pas toujours disponible dans de nombreux hôpitaux ruraux des PED » [7]. L’odds ratio pour les enfants vivant en milieu rural est d’ailleurs près de 2,3 fois plus élevé que celui des enfants de milieu urbain. De plus, suite au génocide, le pays est confronté à de fortes inégalités dans la répartition du personnel infirmier, principalement au détriment des formations sanitaires rurales [1].
46Les consultations prénatales (CPN) n’apparaissent pas significativement dans le modèle de régression concernant les générations 1987-1991, même si elles constituent une pratique généralisée, tant à la fin des années 1990 qu’au début 2000. D’après les EDS de 1992 et 2005, 94 % des femmes ont effectué au moins une visite dispensée par du personnel formé ; en 1992, 72 % des femmes ont fait 2-3 visites contre 68 % en en 2005. Ces consultations offrent l’occasion de promouvoir des modes de vie favorables à la santé qui contribuent à long terme à améliorer la santé des femmes et de leur enfant à naître [4]. Au Rwanda, quasiment tous les établissements de santé fournissent des séances d’éducation à la santé maternelle et infantile [9]. Le fait que les mères qui bénéficient ou non de CPN n’implique pas de différence dans la survie de leurs enfants à la fin des années 80, tend à prouver que les CPN ne remplissaient pas leur rôle. Par contre, ce n’est plus le cas au début du millénaire où la qualité des CPN se serait améliorée.
47Néanmoins, la disponibilité des services de soins prénatals reste insuffisante : en effet, s’ils sont disponibles dans la majorité des établissements (91 %), le fait qu’ils ne fonctionnent qu’une à deux journées par semaine en limite sans doute l’accès des femmes qui ont besoin d’autres services de santé familiale qui ne sont pas disponibles le même jour [9]. Les conditions de soins prénatals pratiqués en établissement de santé ne parviennent donc pas à limiter les risques létaux pour les nouveau-nés, la qualité des soins et/ou les conditions dans lesquelles ils sont faits restant insuffisantes. Il est vrai que le début tardif des contrôles prénatals en limite l’efficacité du fait notamment d’une détection ajournée des anomalies. Ainsi, près de 50 % des femmes se rendent à la 1re CPN à 6-7 mois de grossesse et seulement 8 % des femmes font la 1re visite à moins de 4 mois de grossesse. De plus, lors des CPN, si 94 % ont été mesurées, seulement 55 % ont été pesées, 71 % ont eu leur tension artérielle mesurée, 8 % ont eu un prélèvement d’urine et 25 % un prélèvement sanguin [3]. Les anamnèses sont incomplètes : seulement 6 % des patientes de CPN ont été interrogées sur la survenue des saignements vaginaux et seulement 51 % de celles qui étaient enceintes de cinq mois ou plus ont été interrogées sur les mouvements du fœtus. De même, le conseil sur les symptômes de risque pour lesquels la femme enceinte doit demander de l’aide est rarement donné [9]. Enfin, les trois quart des services de santé maternelle et infantile n’ont ni protocole pour les services de soins prénatals, ni support visuel pour informer les patientes des problèmes de santé prénatals. La totalité des équipements essentiels pour les soins prénatals (tensiomètre, balance, fœtoscope, comprimés de fer et d’acide folique, vaccin antitétanique) n’était présente que dans 41 % des établissements.
48L’Enquête sur la Prestation des Services de Soins de Santé (EPSR) a également évalué un certain nombre d’éléments permettant d’assurer la qualité des services d’accouchement. Quelques résultats sont présentés ci-dessous. Les infections étant les principales causes de morbidité et mortalité maternelle et néonatale, l’EPSR a évalué la présence des éléments permettant leur prévention dans les zones d’accouchement (nécessaire pour se laver les mains, gants propres, solution désinfectante et conteneur pour objets pointus ou tranchants). La totalité de ces éléments était présente dans 50 % des établissements. Pour l’infrastructure de base et l’équipement des salles d’accouchement, seuls 42 % de tous les établissements avaient tous les éléments étant identifiés comme éléments de base. Les éléments « permettant d’effectuer des services d’accouchement de qualité (contrôle des infections, éléments de support de la qualité, infrastructure et équipement de la salle d’accouchement et interventions pour les traitements de base) » [9] étaient présents dans seulement 9 % de tous les établissements (18 % des hôpitaux et 8 % des centres de santé). Globalement, les conditions d’accouchement en établissements de santé s’avèrent donc insuffisantes pour garantir un accouchement sans risque pour l’enfant, ce qui explique sans doute l’absence de différence significative dans la mortalité néonatale selon le lieu et l’assistance à l’accouchement.
49Enfin, il peut sembler surprenant que le fait que la mère ait reçu une dose de vitamine A au cours des 2 mois suivant l’accouchement soit significativement lié à la mortalité néonatale. En fait, on peut supposer que la remise à la mère d’une dose de vitamine A a été l’occasion de dispenser des conseils sur les soins qu’elle doit apporter à son nouveau-né et à elle-même. En même temps, cela a permis d’évaluer l’état de santé du nouveau-né, et éventuellement de la conseiller et de l’aider à adopter des pratiques bénéfiques à l’enfant. Néanmoins, les soins postnatals, qui permettent de détecter les complications post-partum dans les jours suivant l’accouchement, restent rares au Rwanda particulièrement pour les 75 % de femmes qui accouchent à domicile : moins de 5 % en ont bénéficié [3].
Conclusion
50D’une façon générale, on retient que les Soins Obstétricaux Essentiels de Base (SOEB) qui incluent « les soins prénatals comprenant des interventions préventives, la détection précoce et le traitement des problèmes courants de la grossesse et la capacité de traiter les problèmes de la grossesse et les complications de l’accouchement pour réduire le besoin d’intervention d’urgence » [9] ne sont pas intégralement offerts aux femmes et à leur enfant. Les contingences dans les soins entourant les conditions de la grossesse et de la naissance sont donc réelles. La forte mortalité néonatale est là pour le rappeler, tout comme les taux de mortalité maternelle qui restent particulièrement élevés : il y avait 750 décès maternels pour 100 000 naissances vivantes pour la période 2001-2005 [3].
51Il est primordial de multiplier les efforts permettant un recul durable de la mortalité néonatale. Le fait de parler de Santé Maternelle, Néonatale et Infantile (SMNI) et non plus de Santé Maternelle et Infantile (SMI) révèle d’ailleurs l’importance qu’il y a à focaliser les efforts sur la santé des nouveau-nés.
52Néanmoins les tendances les plus récentes de la mortalité néonatale au Rwanda, conformément à ce qui a aussi pu être observé dans quelques autres pays du continent, laissent supposer des changements réels, notamment dans la qualité des consultations qui bien qu’imparfaites se sont améliorées et dans la qualité des conseils donnés aux mères dans les semaines qui suivent leur accouchement.
53Finalement, on retient aussi que la santé et la survie des nouveau-nés sont étroitement liées à celles de leur mère ; la santé maternelle ne concerne donc pas seulement les femmes, elle peut aussi avoir des conséquences sur la santé de leur nourrissons : d’une part parce qu’une mère en bonne santé a plus de chances d’avoir des enfants en bonne santé et d’autre part, parce qu’on peut supposer que si les mères ne reçoivent pas des soins de santé suffisants et de qualité durant leur grossesse, avant et après leur accouchement, ce sera également souvent le cas pour leur enfant [11].
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Mots-clés éditeurs : déterminants de la mortalité néonatale, santé des nouveau-nés, mortalité néonatale, Rwanda
Date de mise en ligne : 26/05/2009
https://doi.org/10.3917/spub.092.0159