Notes
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[1]
École nationale de santé publique et équipe de recherche en éducation à la santé en milieu scolaire, laboratoire PAEDI, JE 2436, Avenue du Pr Léon Bernard, 35000 Rennes.
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[2]
Institut Universitaire de Formation des Maîtres d’Auvergne, équipe de recherche en éducation à la santé en milieu scolaire, laboratoire PAEDI, JE 2436.
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[3]
Département de santé publique, CHU de Clermont-Ferrand et équipe de recherche en éducation à la santé en milieu scolaire, laboratoire PAEDI, JE 2436.
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[4]
Le passage du terme ingénierie dans le domaine de la formation date des années 1985 avec G. Le Boterf « Ingénierie du développement des ressources humaines, de quoi s’agit-il ? » Éducation permanente, n° 81 (p. 9).
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[5]
Il a donné lieu à la soutenance d’un mémoire de DESS consultable en ligne http://www.bdsp.tm.fr/Base/Scripts/ShowA.bs?bqRef=311865
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[6]
P. Zarifian, dans le cadre de travaux menés au CEREQ en 1998, est le premier à utiliser le terme de « modèle compétence » [16].
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[7]
B. Hillau explique que « dans certaines professions comme la médecine, le titre qui atteste de la détention d’un savoir spécialisé confère en même temps le droit d’exercice de l’activité » « cette liaison entre savoir spécialisé et légitimité sociale a été longuement étudiée » in « la compétence, mythe, construction ou réalité » – F. Minet, S. Parlier, S. de Witte. Éd. l’Harmattan, 2001 [14].
Introduction
1La loi du 9 août 2004 [18] relative à la santé publique fournit un cadre de référence à la politique de santé publique conduite en France. Elle laisse une large place à la question de la formation et de la professionnalisation des acteurs comme moyen de répondre aux enjeux actuels en termes de santé publique. Les rapports successifs du Haut Comité de Santé Publique [24] ont proposé une formalisation de ces enjeux, en référence notamment à ce que l’on nomme « le paradoxe français » : malgré de bons indicateurs de santé en général, la mortalité prématurée demeure élevée, les inégalités de santé marquées (sexe, régions, catégories sociales), le taux de couverture vaccinale souvent insuffisant, le taux d’IVG élevé… Pour répondre à ces enjeux, les différents rapports du Haut Comité de Santé Publique ont fixé des objectifs repris par la loi du 9 août 2004 et des modalités d’organisation de la santé publique ont été proposées. Ces choix conditionnent fortement les compétences que devront développer ou acquérir les professionnels de santé publique. Parmi ces objectifs proposés [24], sont mis en avant l’amélioration de la connaissance réciproque du fonctionnement des institutions et des conditions d’exercice des professionnels, la recherche de nouvelles façons de communiquer entre professionnels, le développement de la logistique et la mutualisation des ressources – ce qui signifie entre autres enrichir et harmoniser les systèmes d’information et d’évaluation, le développement des capacités d’animation, de concertation et d’ingénierie de projet, la mise en œuvre d’une réelle mobilité des professionnels –. Il s’agit aussi de développer des procédures et des réseaux de vigilance, la réflexion prospective et interdisciplinaire ainsi que de prendre en compte les dynamiques territoriales. On mesure bien que les compétences dont doivent disposer les professionnels (médecins par exemple) chargés d’atteindre ces objectifs, dépassent largement les compétences cliniques et épidémiologiques qu’ils partagent généralement.
2Les médecins de santé publique tiennent une place spécifique. La question de la définition de leurs missions et de leur formation est d’autant plus aigue que des départs en retraite massifs [22, 23] vont intervenir dans les années qui viennent. Il est clair que l’on ne pourra pas échapper à une mise à plat des missions qui sont assignées à ces professionnels. Le terme de « médecins de santé publique » recouvre plusieurs situations : les spécialistes en santé publique (spécialité obtenue par diplôme : ancien CES, DES), ceux qui sont qualifiés en santé publique (qualification obtenue auprès d’une commission du Conseil de l’Ordre des Médecins qui examine un dossier présenté par les candidats), et ceux qui exercent de fait des missions de santé publique (sans nécessairement être spécialistes ou qualifiés). Trois catégories de médecins sont clairement repérées comme exerçant des activités dans le champ de la santé publique et sont missionnés pour cela [10], ce sont les médecins inspecteurs de santé publique, les médecins de l’éducation nationale et les médecins territoriaux. L’effectif total est de l’ordre de treize mille professionnels qu’ils soient titulaires, contractuels vacataires. Il correspond à six cent médecins inspecteurs, deux mille quatre cent médecins de l’éducation nationale et dix mille médecins territoriaux. Les études de sociologie du travail conduisent à penser que, comme d’autres professionnels, les médecins de santé publique partagent un certain nombre de compétences [21]. Tous les médecins qui exercent des missions de santé publique quelque soit leur niveau d’intervention (secteur, territoire, niveau départemental, régional), la population prise en charge (enfants, personnes âgées, handicapées, public en situation précaire, la population au travail…), qu’ils aient ou non conservé une activité clinique de consultation ou de dépistage, partagent un socle de compétences même s’ils ont également des compétences et des niveaux d’intervention qui peuvent leur être très spécifiques.
3Dans ce contexte et compte tenu des enjeux énoncés plus haut, il nous a paru intéressant de nous pencher sur la formation des médecins de santé publique sous l’angle des compétences qu’il leur faut développer ou acquérir dans le but d’améliorer le service rendu à la population en termes de santé publique en référence aux objectifs fixés dans la loi de santé publique et à ceux développés par le HCSP [24].
4Notre travail est fondé sur les concepts et méthodes issus des sciences de l’éducation et de la formation [8]. Il intègre des apports issus de la sociologie des organisations [3, 9, 13] et se réfère aux grandes fonctions de la santé publique telles que décrites par l’Organisation mondiale de la santé [6]. Il se situe dans une approche ingénierie de la formation [4] et une entrée par les « compétences » [15, 16]. Sa finalité est de proposer une expertise visant à produire des savoirs susceptibles de fournir une base pour une réflexion relative aux métiers de la santé publique.
5Ce travail d’ingénierie de formation a été conduit en trois étapes. Après une analyse comparée des décrets professionnels de trois catégories de médecins clairement repérés comme médecins de santé publique, nous avons élaboré un référentiel de compétences à partir des techniques de l’ingénierie de formation. Celui-ci a ensuite été adapté et validé en se basant sur des entretiens réalisés auprès des professionnels concernés.
6Nous présentons ici une synthèse de ce travail et proposons des pistes pour une généralisation des résultats à d’autres professionnels notamment dans le cadre de la mise en place de formation de niveau master.
Méthode
7Notre travail, initié en 2002, a été réalisé d’octobre 2003 à juillet 2004 [5]. La première étape a consisté en une analyse comparée des décrets professionnels qui « prescrivent » un certain nombre de missions aux médecins de l’éducation nationale, de santé publique et territoriaux [10]. Ce travail préalable, s’il ne permet pas d’élaborer à lui seul un référentiel complet de compétences, permet d’identifier la nature du travail institutionnellement prescrit aux acteurs.
8La deuxième étape a consisté dans un travail d’ingénierie de formation. Il s’agissait de décrire les compétences nécessaires pour exercer ces missions afin d’aboutir à la rédaction d’un référentiel de compétences. L’approche utilisée pour mener à bien ce travail est celle de l’ingénierie des compétences. L’usage du concept de compétence dans le travail, bien que récent [6] [17], a eu des conséquences majeures dans le champ de la formation. Les auteurs qui ont étudié la façon dont la compétence se construit [4], s’accordent à dire que seuls les effets de la compétence, via l’activité qu’elle engendre, sont observables. Sa principale caractéristique est qu’elle permet d’agir et ce dans un contexte spécifique. La compétence n’est pas seulement de l’ordre de l’habileté technique. Elle renvoie plus largement aux savoirs, savoir-faire, savoir-être qui la constituent. La compétence n’est pas seulement non plus la somme de ces composantes mais une combinaison complexe de celles-ci. L’une d’entre elles joue un rôle particulier par rapport aux autres et guide l’action : c’est la « démarche intellectuelle » [17]. Quand il y a résolution d’un problème, une démarche intellectuelle est présente (consciente ou non), elle est efficace pour arriver à la performance (performance relative, fonction de l’organisation, de l’environnement). Elle sert de « chef d’orchestre » en quelque sorte pour les autres éléments qui composent la compétence. Selon les auteurs, « les démarches intellectuelles » une fois acquises, peuvent être spontanément transférées dans un autre contexte et sont en grande partie automatisées, réflexes. Les différentes dimensions de la compétence renvoient aux concepts développés dans le champ de la psychologie cognitive notamment celui de « démarche intellectuelle » que nous venons d’exposer mais aussi celui de « schème » [26]. Le « schème » est « une organisation invariante de la conduite pour une classe de situations ». Il ne peut être considéré indépendamment d’une classe de situations ou d’un contexte auquel il faut faire face en résolvant les problèmes qui sont posés.
9Le « schème » est aussi pour Vergnaud [27] composé de quatre éléments : des invariants opératoires qui permettent de conceptualiser des situations de référence du domaine considéré, des inférences qui se font à partir des informations fournies par les situations qui se présentent, des règles d’action qui vont engendrer la suite des actions à produire, et enfin des anticipations qui résultent des calculs effectués à partir des inférences. Ces apports théoriques constituent le soubassement de notre hypothèse de travail. Si les médecins de santé publique sont formés sur le socle des compétences qu’ils partagent, ils pourront les mettre en œuvre dans des contextes professionnels différents. Cette compétence partagée est aussi un bon support dans une perspective de mobilité professionnelle accrue. Il suffira alors de proposer une formation d’adaptation à l’emploi au nouveau contexte et à ses spécificités. En terme d’architecture, le référentiel reprend celle préalablement conçue pour bâtir le référentiel de compétences des médecins de l’éducation nationale [7, 25]. Elle a, à la suite de notre référentiel, été également utilisée pour bâtir celui des médecins inspecteurs de santé publique.
10En effet, ces outils servent de base à la construction des référentiels de formation. Un des objectifs poursuivis étant notamment « le partage d’une culture commune, de modes de faire ensemble » pour les médecins de santé publique, via leur formation, l’utilisation d’outils bâtis à cet effet avec la même architecture était à notre sens un facteur favorisant important.
11La troisième étape de notre travail visait à établir la pertinence du référentiel de compétences établi lors de l’étape précédente. Il s’agissait, par le biais d’entretiens semi-directifs, de soumettre la description des compétences telle qu’établie dans le référentiel aux professionnels engagés dans l’action. L’analyse des entretiens a permis de valider le référentiel et, dans un second temps d’accéder au « besoin de formation » [1] des médecins dans le champ de la santé publique. En effet, ni l’analyse des missions « prescrites » (fixées par les employeurs, par des textes législatifs et réglementaires), ni celle des missions « réelles » (celles vraiment mises en œuvre dans l’exercice professionnel), ne sont suffisantes pour identifier le socle des compétences nécessaires aux médecins pour exercer leurs missions de santé publique. Seule une étude se fondant sur l’écart entre le prescrit et le réel, permet de définir les compétences professionnelles de façon adaptée et de cerner « le besoin de formation ». La définition des compétences attendues chez un professionnel est bien de l’ordre de l’articulation de plusieurs dynamiques (incluant la définition des missions, les contraintes liées à l’exercice, la formation des acteurs…) et non d’une prescription descendante et normative. Les entretiens, de type semi-directifs, ont été conduits auprès de médecins de l’éducation nationale, de médecins Inspecteurs de Santé Publique, de médecins territoriaux et auprès de leurs employeurs ou « tutelles ». Ces entretiens visaient à connaître l’articulation existante entre un modèle et des pratiques, ils n’avaient pas l’ambition de connaître les représentations des personnes, avec une même grille d’entretien, incluant le référentiel issu des deux premières étapes, et élaborée spécifiquement pour ce travail. Ils ne constituent pas non plus une validation par l’ensemble de la population ciblée, il s’agit d’un discours de cette population sur le référentiel. Vingt sept entretiens ont été réalisés : quinze auprès des professionnels et douze auprès de leurs « tutelles » ou « employeurs ». Tous les entretiens ont donné lieu à des réponses exploitables et les données obtenues ont été analysées selon les méthodes classiques d’analyse de contenus [3].
Résultats
12L’étude des textes décrivant les missions des professionnels montre que l’on retrouve chez les trois catégories de médecins des missions d’observation et de surveillance de la santé de la population en vue d’identifier ses besoins de santé, d’élaboration de projets, programmes et politiques de santé pour la promotion de leur santé, d’évaluation de ces projets, programmes et politiques allant jusqu’à une mission de contrôle via l’inspection pour certains de ces médecins. De plus, des missions de formation des autres personnels et de contribution à la recherche via notamment la conduite d’études épidémiologiques sont dévolues à ces professionnels. Cette définition des missions a servi de base à la structuration du référentiel.
13Le référentiel des compétences partagées par les médecins en santé publique liste de façon assez fine à la fois les compétences nécessaires aux médecins de santé publique pour exercer leurs missions, avec deux niveaux de déclinaison de ces compétences et les connaissances-clés qu’il est nécessaire d’avoir pour pouvoir mettre en œuvre ces compétences en situation. Ce document est accessible sur le site de la banque de données de santé publique http://www.bdsp.tm.fr/Base/Scripts/ShowA.bs?bqRef=311865. Le référentiel comprend 7 grands champs de compétences : 2 champs transversaux que sont le positionnement professionnel et la communication professionnelle et 5 autres champs dont 3 recouvrent les grandes missions de la santé publique telles qu’elles ont été définies par l’OMS (cf. supra) : l’observation et la gestion de l’information sur l’état sanitaire et social de la population et le système de santé, la conception et la mise en œuvre de projets, programmes et politiques de santé, l’évaluation et la régulation des projets, programmes, politiques de santé et du système de santé. Les deux derniers champs du référentiel : formation et recherche sont aussi des missions prescrites aux médecins de santé publique mais malheureusement assez peu mises en œuvre comme nous l’ont confirmé nos entretiens. La veille sanitaire et la réponse aux situations d’urgence ou de crises sanitaires sont intégrées dans des compétences plus larges que sont l’observation de la santé de la population pour la première (une bonne observation doit permettre la veille et le déclenchement de procédures en cas de situations anormales) et la conception et mise en œuvre de projet, programme et politique pour la seconde. La réponse aux situations d’urgence ou de crises sanitaires nous paraît être une illustration spécifique de la mise en œuvre et de la gestion d’un projet.
Discussion
14Notre travail a consisté à mettre en œuvre des concepts et modèles conçus dans le champ des sciences de l’éducation [2, 26, 28] au service d’une réflexion sur la professionnalité des médecins en santé publique. Les recherches récentes ayant conduit à valider la pertinence du concept de compétence, c’est en nous référant à ce type de description de l’activité professionnelle et de la formation que nous avons élaboré un référentiel. Le référentiel, initialement bâti à partir des textes institutionnels, a été confronté aux pratiques des acteurs professionnels en situation d’exercice. Cette dynamique de va et vient entre le « prescrit » et « l’agi » est à la base de notre démarche d’élaboration. Les entretiens ont permis d’étudier la façon dont un tel outil était susceptible d’entrer en résonance avec l’identité professionnelle actuelle des acteurs. C’est notamment la question-clé de la recevabilité des idées de socle commun, de compétences partagées, de polyvalence et de spécificité qui était visée.
15Dans cette discussion, seront abordées les questions de la pertinence des modèles qui ont conduit à l’élaboration du référentiel, de l’articulation des questions de compétence – qualification – identité professionnelle et de la recevabilité d’un tel outil avant de conclure sur des réflexions relatives à la formation des professionnels.
16Les entretiens ont permis de vérifier que le référentiel était à la fois pertinent et exhaustif. Leur analyse a également conduit à montrer que le modèle cognitiviste de « démarches intellectuelles » [17] et la notion de socle de compétences partagées étaient adaptés à notre contexte. En effet, lorsque interrogés sur les compétences nécessaires pour exercer leurs missions, les médecins énoncent spontanément les compétences dans des termes proches de ceux utilisés dans le référentiel ; et ce, bien qu’ils aient eu des parcours professionnels très différents dans le domaine de la santé publique, occupé des fonctions à des niveaux d’intervention différents, avec ou non maintien d’une activité clinique, ayant appartenu à différents corps professionnels successivement (médecins territoriaux puis médecins inspecteurs de santé publique – médecins de l’éducation nationale puis médecins inspecteurs de santé publique). Dans des contextes professionnels et à des niveaux d’intervention différents, ils disent mettre en œuvre ces compétences qui constituent, à notre sens, ce socle commun.
17Du côté des professionnels, la démarche entreprise et la présentation de l’outil ont été positivement ressenties sauf à la marge du fait d’un malentendu au sujet du terme de compétence que nous avons analysé de la façon suivante.
18Pour un médecin, le terme de compétence signifie aussi qualification et reconnaissance [7] [14] par le conseil de l’ordre des médecins notamment. Ces notions de « compétence » et de « qualification » sont parfois utilisées l’une pour l’autre. Ces éléments nous conduisent à poser la question de la recevabilité d’un tel outil (caractérisé par une entrée compétences) présenté à des groupes professionnels bien définis et institués en corps professionnels comme c’est le cas pour les médecins inspecteurs de santé publique, médecins de l’éducation nationale et médecins territoriaux. Il est bien évident que pour ces groupes professionnels comme pour tous les autres, la question des compétences est un enjeu déterminant. L. Demailly [12] parle de gestion stratégique des compétences par les groupes professionnels. La définition des compétences joue un rôle important sur le recrutement. La construction symbolique des compétences est aussi l’outil des stratégies d’extension du groupe professionnel voire d’exclusion de certains sous-groupes. Cela se fait souvent par le biais de l’intervention sur les dispositifs de formation initiale, qui représentent un enjeu tactique fort. La gestion des compétences concerne aussi l’équilibre polyvalence/spécialisation : les groupes professionnels développent également des tactiques (objectives et pas forcément intentionnelles) en matière d’élargissement ou à l’inverse de spécialisation des compétences. Enfin, elle touche aussi au caractère substituable ou non de la qualification, à la place qu’y tient la certification, au degré de formalisation des savoirs professionnels… On le voit la définition d’un référentiel de compétence n’est pas une démarche anodine pour un groupe professionnel, la formalisation des savoirs professionnels est porteuse de progrès cognitif, de rationalisation possible, de prestige social mais aussi de risque de dépossession. Une approche de type « ingénierie des compétences » n’est qu’un élément très modeste du processus social qui peut conduire à la formalisation des compétences au sein d’un groupe professionnel.
19C’est sans doute en termes de valeur ajoutée (pour le service rendu à la population et pour les professionnels eux-mêmes) qu’il convient de penser cette problématique de formalisation des savoirs professionnels.
20C’est bien la question du bénéfice que pourrait apporter une évolution de la formation qui comprendrait désormais d’une part, une formation relative aux compétences spécifiques mises en œuvre par tel ou tel corps professionnel et d’autre part, une formation commune autour des compétences partagées éventuellement reconnue dans le cadre d’un master de santé publique qui est posée.
21Les personnes enquêtées ont réagi très positivement, la question de la polyvalence a même été illustrée. Par exemple, un des professionnels a fait part d’une expérience visant à avoir en permanence une réponse de médecin de santé publique en cas de crise (l’exemple était celui de cas de méningite se déclarant sur un département). Un tel événement nécessite la mise en œuvre de procédures et leur coordination par un médecin de santé publique. Un dispositif faisant appel à la polyvalence ne peut se concevoir que si ces médecins ont effectivement acquis les mêmes compétences et peuvent se remplacer sur les compétences qu’ils partagent. L’un des effets attendus de la mise en œuvre des compétences est bien qu’elle permette de développer la polyvalence et, avec elle, de donner de la souplesse à l’organisation du travail [27]. Il s’agit en fait, dans le cadre du modèle que nous avons utilisé, de travailler sur la capacité des professionnels à transposer dans des contextes différents les « démarches intellectuelles » qui leur sont communes. La logique « acquisition des compétences partagées en santé publique » des médecins de santé publique permettrait qu’ils aient la capacité d’assurer les missions de santé publique communes aux différents postes qu’ils occupent. Il ne s’agit pas d’occuper plusieurs postes dans une logique « poste de travail » ni d’élargir la surface d’application de leurs compétences dans une perspective de pluri-technicités, pluri-spécialités, pluri-fonctionnalités. Une approche « compétence », lorsqu’on évoque la polyvalence, est intéressante à deux niveaux : la référence à un rôle ou une mission clairement identifiés qui permet de donner sens et unité au travail et le fait que le développement de compétences sur cette mission soit a priori sans limite [27]. Il nous semble que le fait d’identifier le socle des compétences partagées par les médecins de santé publique donne une visibilité aux missions de ces médecins en leur donnant un sens en tant qu’entité professionnelle alors que la lecture séparée des missions de ces médecins par corps professionnel ne le permet pas.
22Cette réflexion sur un référentiel des compétences partagées par les médecins de santé publique nous amène naturellement à considérer les questions de formation professionnelle. En effet, cet outil est susceptible de constituer une base pour en construire d’autres tels qu’un outil de positionnement lors de l’entrée en formation des médecins de santé publique. Il s’agirait de leur permettre de se situer en regard des compétences référencées de façon à ce que l’on puisse leur proposer une formation individualisée, un parcours qui tienne compte de leur « vie professionnelle antérieure » (qui est souvent conséquente dans le public visé) et du poste qu’ils occupent (puisqu’ils sont tous « en alternance » lorsqu’ils sont en formation initiale et en fonction s’ils sont en formation continue). Un référentiel de formation pourrait aussi être élaboré à partir de ce référentiel de compétences. Il serait constitué de modules correspondant aux compétences identifiées et aux connaissances-clés correspondantes. Les modules doivent être des unités cohérentes de façon à être accessibles en formation initiale et formation continue. Il devrait comporter également des situations de travail professionnalisantes pour chaque compétence de façon à pouvoir s’articuler avec le stage et permettre un lien avec les maîtres de stage. Enfin, cet outil peut aussi servir de base à l’élaboration de la structure d’un master de santé publique ou au moins un parcours dans un tel master pour des médecins développant des activités dans ce champ.
23Nous avons d’ores-et-déjà pu expérimenté que cet outil était une base pour proposer des formations à des médecins en santé publique. En effet, il a servi à établir, après analyse des besoins, un programme de formation pour les médecins inspecteurs régionaux du travail et de la main d’œuvre (MIRTMO) qui ont demandé à être formés en santé publique. Le travail initial ébauché en 2002 a également alimenté la réflexion relative à l’évolution de la formation des médecins des collectivités territoriales [11, 20].
24En conclusion, notre travail est susceptible de contribuer à la réflexion en cours sur la formation en santé publique. La promulgation de la loi d’août 2004 nous paraît être une opportunité pour que les institutions de tutelle explicitent, d’une façon globale et cohérente, quels sont les professionnels dont elles ont besoin pour mettre en œuvre cette loi. Il sera donc nécessaire de déterminer quelles compétences devront être maîtrisées par les différents acteurs, comment elles seront reconnues et valorisées, quel type de formation, initiale et continue, peut permettre de les faire acquérir… Cette loi et les deux qui ont été votées dans le même temps [18] nous paraissent aussi être l’occasion pour ces professionnels de s’exprimer pour dire comment ils souhaitent être formés en santé publique, tant dans le cadre de la formation initiale que dans celui de la formation continue. Notre référentiel peut constituer une base de dialogue commune à toutes les professions de la santé publique en France.
BIBLIOGRAPHIE
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- 2Barbier JM. Savoirs théoriques et savoirs d’actions. Éducation et formation, biennales de l’Éducation. Paris : PUF, 1998.
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- 4Bellier S. In : Traité des Sciences et des techniques de la formation : 226. Paris : Éd. Dunod, 1999, 512 p.
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- 6Bettcher DW, Sapiries S, Goon EHT. Essentiel public health functions: results of the international Delphi study. 1998 in : Quelles sont les fonctions essentielles de la santé publique ? Revue de la littérature. SFSP. Janvier 2003.
- 7Carvalho J. Référentiel de compétences des médecins de l’éducation nationale, ENSP. 2003, non publié.
- 8Carré PH, Caspar P. Traité des sciences et des techniques de la formation. Paris : Dunod, 2003.
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- 10Décrets n° 91-1025 modifié 2000-956, n° 91-1195, n° 92-851 portant statut particulier du cadre d’emploi respectivement des MISP, MEN et médecins territoriaux.
- 11Delhoume B, Riffaud A. Proposition de réforme de la FIA des médecins territoriaux. INET-ENSP, 2003. (Document de travail interne).
- 12Demailly L. Compétence et transformations des groupes professionnels. In : Minet F, Parlier M, de Witte S. La compétence, mythe, construction ou réalité. Paris : L’Harmattan 2001 ; 7.
- 13Friedberg E, Crozier M. L’acteur et le système. Seuil, 1977.
- 14Hillau B. De l’intelligence opératoire à l’historicité du sujet. In : Minet F., Parlier M, de Witte S. La compétence, mythe, construction ou réalité. Paris : L’Harmattan, 2001.
- 15Le Boterf G. Ingénierie et évaluation des compétences. 4e édition. Paris : Éd. D’organisation, 2002.
- 16Le Boterf G. Compétence et navigation professionnelle. 3e édition, Paris : Éd. D’organisation, 2000.
- 17Ledru M. Capital compétence dans l’entreprise, une approche cognitive. Paris : ESF, 1991.
- 18Loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique.
- 19Loi du 13 août 2004 relative à la réforme de l’assurance maladie et Loi du 13 août 2004 relative aux libertés publiques.
- 20Micheletti P. La nécessaire réforme de la formation des médecins territoriaux. Santé Publique 2004 ; (3).
- 21Norme AFNOR 50-750. Formation, terminologie. Avril 1992.
- 22Rapport annuel de l’observatoire de l’emploi public 2002. Paris : La documentation française, 2003.
- 23Rapport du conseil national de l’ordre des médecins relatif à la démographie médicale, décembre 2003.
- 24Rapports du Haut Comité de la Santé Publique (HCSP). La santé en France 2002. Paris : La documentation française.
- 25Référentiel de compétences des médecins scolaires. Académie de Rennes, 1998, non publié.
- 26Vergnaud G. La théorie des champs conceptuels, recherches en didactique des mathématiques 1990 ; (23) : 133-70.
- 27Vergnaud G. La formation des concepts scientifiques. Relire Vygotski et débattre avec lui aujourd’hui. Enfance 1989 ; 111-8.
- 28Zarifian PH. Objectif compétence. Pour une nouvelle logique. Paris : Éditions liaisons, 2001 ; 101-5.
Mots-clés éditeurs : formation, médecins, référentiel, compétences, santé publique
Date de mise en ligne : 01/01/2008
https://doi.org/10.3917/spub.061.0131Notes
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[1]
École nationale de santé publique et équipe de recherche en éducation à la santé en milieu scolaire, laboratoire PAEDI, JE 2436, Avenue du Pr Léon Bernard, 35000 Rennes.
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[2]
Institut Universitaire de Formation des Maîtres d’Auvergne, équipe de recherche en éducation à la santé en milieu scolaire, laboratoire PAEDI, JE 2436.
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[3]
Département de santé publique, CHU de Clermont-Ferrand et équipe de recherche en éducation à la santé en milieu scolaire, laboratoire PAEDI, JE 2436.
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[4]
Le passage du terme ingénierie dans le domaine de la formation date des années 1985 avec G. Le Boterf « Ingénierie du développement des ressources humaines, de quoi s’agit-il ? » Éducation permanente, n° 81 (p. 9).
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[5]
Il a donné lieu à la soutenance d’un mémoire de DESS consultable en ligne http://www.bdsp.tm.fr/Base/Scripts/ShowA.bs?bqRef=311865
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[6]
P. Zarifian, dans le cadre de travaux menés au CEREQ en 1998, est le premier à utiliser le terme de « modèle compétence » [16].
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[7]
B. Hillau explique que « dans certaines professions comme la médecine, le titre qui atteste de la détention d’un savoir spécialisé confère en même temps le droit d’exercice de l’activité » « cette liaison entre savoir spécialisé et légitimité sociale a été longuement étudiée » in « la compétence, mythe, construction ou réalité » – F. Minet, S. Parlier, S. de Witte. Éd. l’Harmattan, 2001 [14].