1Fondé en 1964, le Syndicat national d’union des psychomotriciens (snup) est la première organisation rassemblant et représentant les psychomotriciens. Il a pour but de soutenir et de développer l’exercice de ces professionnels. Et par là même, il est en charge de promouvoir la pratique de la psychomotricité et de favoriser la visibilité des soins psychomoteurs dans le paysage sanitaire, socio-sanitaire, médico-social, à visée thérapeutique, rééducative, éducative et préventive.
2Parmi ses actions, en partenariat avec les associations locales de psychomotriciens, le snup organise tous les ans un congrès scientifique de trois jours. Par ailleurs, grâce à un comité de professionnels, il publie une revue scientifique, Thérapie psychomotrice et recherches. Ainsi, il contribue à la professionnalisation des pratiques de soins, au développement des connaissances sur la psychomotricité et à leur diffusion.
3Avec ces deux supports, on retrouve, tel un fil rouge, l’un des paradigmes fondamentaux de la psychomotricité : la qualité du déploiement de l’organisation psychomotrice de l’individu en lien avec la qualité de son accordage à son environnement (familial, social, écologique). On y comprend que la construction d’une sécurité interne (que celle-ci soit physique, affective, psychique), se tisse en interaction étroite avec l’environnement maternant lorsqu’il s’agit de l’enfant. Intériorisant ce sentiment de sécurité, le tout-petit pourra alors développer les habilités et compétences motrices, locomotrices, cognitives, représentationnelles, qui sont les siennes.
4Aux membres du snup, tous acteurs de soins, travaillant au quotidien avec ce repère fondamental de l’interaction sujet-environnement, il est apparu comme une évidence d’inscrire leur organisation dans l’Alliance francophone pour la santé mentale périnatale.
Psychomotricité : une indication pour le tout-petit et son parent en périnatalité
5Il y a quelques grandes étapes dans une vie ; la naissance d’un enfant en est une. Toute naissance est un moment de grande émotion pour chaque femme, chaque homme qui transmet la vie à son bébé. Parfois le temps de la naissance s’assombrit, car des problèmes pour le bébé et/ou sa mère surviennent.
L’histoire de Marcel
6Nous avons rencontré Marcel très tôt, dans le service de néonatologie : Marcel est né à 30 semaines d’aménorrhée (sa), dans un contexte de pré-éclampsie maternelle. D’un hôpital de niveau 3 (service de réanimation et de soins intensifs), son transfert en hôpital niveau 2A (où je travaille) devient possible au bout d’un mois et demi. Dès la relève, il n’est question que de la maman de Marcel, âgée de 42 ans, que l’équipe voit peu mais qui est débordante, aussi bien par téléphone que de visu. Elle est dans une logorrhée interminable, expose sans aucun voile les aléas de ses précédentes fausses couches, de sa grossesse et de son accouchement… Madame ne veut pas rencontrer de psychologue (comme dans le précédent service) mais est d’accord pour une prise de contact avec la psychomotricienne. Je rejoins donc madame et monsieur dans la chambre de Marcel. Madame immédiatement me happe par son discours et son regard, son accouchement où elle a eu l’impression que l’obstétricien était dépassé, me parle de la photo que monsieur (beaucoup plus jeune que sa compagne) a faite pour elle de Marcel et qu’il lui amène en salle de réveil. « C’était horrible, cette photo, une crevette toute repliée sous un masque, avec des fils de partout ! » Elle exige que monsieur me la montre sur son téléphone. Je la regarde et me tourne vers Marcel. Je souligne qu’il a bien changé, qu’il est beau, tout paisible dans son berceau, ses mains bien détendues. Madame est très anxieuse et exprime sa peur de donner le bain à son bébé, peur de lui faire boire la tasse, de ne pas le tenir suffisamment. Face à madame, non seulement débordée mais débordante, et pour border un peu cette angoisse diffuse qui l’habite, je propose alors que le bain soit très entouré par notre équipe, les auxiliaires de puériculture en première intention. Et dans quelques jours, je donnerai son bain à Marcel avec elle, à quatre mains, si la situation reste compliquée pour elle. Je m’adresse à Marcel. À notre deuxième rencontre, seul monsieur est là car madame a de gros soucis avec son chat vieux de 15 ans ! Monsieur a son bébé dans ses bras et dit que c’est un petit garçon courageux, qui s’est battu et qui s’en sort bien. Il m’informe que le bain a été fait par madame qui a été étonnée de s’en sortir si bien, en présence de l’auxiliaire de puériculture qui la guidait et de lui-même. Monsieur est intéressé pour que je lui montre différents portages. Je le guide. Le retour à domicile de Marcel s’annonce pour le début de la semaine suivante.
7À la consultation prévue quelques mois plus tard (Marcel a 5 mois et demi en âge corrigé, soit 8 mois en âge réel), la pédiatre souhaite ma présence car son développement l’inquiète. Madame accepte. Tout au long de la consultation, Marcel est très accroché au regard de sa mère, sa courbe staturo-pondérale est stagnante. Les rythmes de vie de Marcel se construisent difficilement. Marcel est un bébé qui se fait très discret, et il ne sera pas facile d’accrocher son regard pendant cette consultation. Madame semble percevoir difficilement les manifestations émotionnelles de son petit garçon. Ses propos sont très discordants. La pédiatre dit son inquiétude, propose un rendez-vous avec la psychologue que madame refuse. La pédiatre lui demande d’appeler rapidement le pôle « Bébés vulnérables » qui complèterait l’intervention de la pmi déjà assurée. Il n’y a presque pas d’appui familial possible pour le couple.
8Le pôle « Bébés vulnérables », service ressource du Centre d’action médico-sociale précoce (camsp), offre un accompagnement après le retour à domicile aux bébés nés avant 32 sa, et aux nourrissons ayant des problèmes somatiques graves, hospitalisés en période néonatale, jusqu’à leurs 2 ans. Les axes de travail consistent à soutenir le développement du bébé et le lien parents-enfant.
9Dans le cadre du suivi de Marcel assuré par le pôle (visite à domicile et co-consultation), ma collègue psychomotricienne se rend au domicile. Il est alors âgé de 6 mois et demi en âge corrigé (9 mois en âge réel). Il est frêle, assez vite, il s’intéresse à la professionnelle. Marcel a des velléités de déplacement qu’il ne peut satisfaire. Toute tentative de mouvement de sa part génère une angoisse maternelle massive. L’espace est vécu comme un danger par madame. Le domicile est saturé de meubles. L’expressivité émotionnelle de Marcel est colmatée par sa mère, qui ne supporte pas l’idée qu’il puisse pleurer. Et l’ambiance de la maison est aussi particulière avec une flopée d’animaux domestiques (oiseaux, chats…). Avec l’accord des parents, la psychomotricienne se rapproche de la puéricultrice de pmi. Une temporalité supportable pour madame peut alors s’organiser : une semaine la psychomotricienne se rend au domicile, la semaine suivante, ce sera la puéricultrice (dont les visites étaient jusqu’à présent fréquemment annulées ou repoussées par madame). Avec l’aide de la puéricultrice, du « vide » se fait dans l’appartement. Et, quelques semaines plus tard, un espace de jeu s’entrouvre pour Marcel, car il y a un minimum de place pour que ma collègue déroule son tapis au sol. Des séquences de plaisir sensorimoteur à travers de petits jeux se partagent : Marcel sourit. Madame se mobilise même pour se rapprocher du sol, malgré tous ses soucis somatiques (mal de dos, genoux…). Les réactions maternelles déconcertent parfois non seulement le petit garçon mais aussi ma collègue. Au fil des semaines, Marcel cherche à se regrouper, à ramper. Il apprécie d’être guidé par ma collègue pour, du sol, émerger en position assise. D’abord un peu seul, Marcel échange avec elle de plus en plus de regards, de vocalises. Madame est d’accord pour se rendre à l’atelier maternage proposé par la pmi mais qui, faute de moyens, ne fonctionne que deux fois par mois. Madame prend l’initiative d’installer au sol un matelas mou pour Marcel. Mais, toujours très taraudée par la crainte que Marcel ne se blesse, elle ne le laisse évoluer sur ce matelas qu’en présence de la psychomotricienne ou de son conjoint. Une certaine distance s’opère la nuit. Marcel a toujours beaucoup besoin des bras de sa mère pour l’endormissement, mais le lit de l’enfant est un peu « décollé » du lit parental. Les difficultés d’alimentation de Marcel s’apaisent. Une véritable alliance se construit. Madame confie alors à la psychomotricienne ce que symbolisent pour elle ses animaux domestiques. L’arrivée de chaque animal est consécutive à une de ses fausses couches.
10Au domicile, monsieur est parfois présent lors des visites. Il est dans un contact chaleureux et joueur avec son petit garçon, mais il demeure toujours très silencieux durant les co-consultations que la médecin pédiatre et moi-même avons avec eux tous les trois mois.
11Madame est enceinte une nouvelle fois mais ne peut mener à bien cette grossesse. Elle en est très perturbée. Lors de la co-consultation, nous l’encourageons à mettre en place un suivi psychologique pour elle, compte tenu de ces derniers évènements très douloureux. Madame nous informe qu’elle a pris rendez-vous avec la psychologue de pmi (ces rendez-vous seront souvent annulés ou reportés). Nous soutenons par ailleurs l’ouverture du champ social de Marcel, avec son inscription en crèche. Malgré ses craintes, madame accepte que Marcel fréquente cet accueil deux après-midi par semaine.
12L’état psychique de madame reste inquiétant. Une concertation entre les équipes respectives de pmi et du pôle « Bébés vulnérables » aboutit à la nécessité d’une orientation vers une unité parents-bébé, pour Marcel et sa maman. Le médecin de pmi et la puéricultrice, avec l’appui de la psychologue, en parlent à la famille. Lors de la co-consultation suivante, au pôle, la pédiatre et moi-même soutenons cette indication, d’autant plus que madame se plaint des difficultés de sommeil importantes que présente à nouveau Marcel. La pédiatre propose à la famille de se mettre en lien au préalable avec le médecin pédopsychiatre de l’unité, ce qui semble soulager madame. Au premier rendez-vous fixé à l’unité de soins conjoints hospitaliers parents-bébé (située à plus de 50 km du domicile), la psychomotricienne accompagne Marcel et sa mère car monsieur ne peut se libérer. Un second rendez-vous s’ensuit, avec la famille au complet. Une proposition d’hospitalisation de deux jours avec une nuit est faite à madame, qui refuse : cette unité, selon elle, fait « trop » hôpital, et elle ne veut pas que son enfant soit « interné », nous dira-t-elle plus tard.
13La psychomotricienne effectue alors ses visites à domicile accompagnée par l’éducatrice spécialisée du pôle. Ainsi, elle peut se consacrer à Marcel et l’éducatrice, plutôt à madame. D’abord réticente, madame apprécie ce dispositif. Et Marcel s’en saisit. Il a du plaisir à se mettre debout, à jouer sur ses points d’équilibre lors des comptines. Des jeux se construisent : l’enfant sourit, participe, anticipe… Il fait des prouesses en tentant, sous le regard des collègues et de sa mère, quelques pas seul. Mais Marcel reste craintif dans la relation, vite sur la réserve. Il dit quelques mots (maman, papa, là…). Il ne peut plus être accueilli à la crèche car priorité est donnée aux enfants dont les parents travaillent.
14Aux 2 ans de l’enfant, le suivi au pôle « Bébés vulnérables » s’arrête, l’équipe du pôle reste inquiète quant au devenir de Marcel et de sa maman, qui ne dispose pas de relais envisageable à proximité. La dernière concertation entre les deux équipes du pôle et de la pmi conduit cette dernière à envisager une information préoccupante (ip), qui permettrait l’obtention d’une place en crèche et l’intervention d’une éducatrice à domicile.
Réflexions
15L’accompagnement de mères en difficulté psychique n’est pas la mission première du pôle « Bébés vulnérables », mais Marcel, bébé né prématuré, est arrivé au pôle avec sa maman. Cette vignette clinique met en évidence l’intérêt de l’indication en psychomotricité : le parent est « convoqué » « au nom de son bébé », pour le développement de celui-ci. Il se sent ainsi moins « exposé », moins « interpellé » du côté de ses propres éprouvés. Et dans un second temps, le parent peut plus facilement envisager de rencontrer une psychologue.
16Nos idéaux de soin peuvent être aussi souvent mis à mal. Il est évident que Marcel et sa mère auraient tiré profit d’un accueil en unité de soins conjoints hospitaliers ou ambulatoires parents-bébé. La psychiatre spécialisée en périnatalité n’avait pas encore rejoint notre équipe ; elle aurait sûrement été d’une aide précieuse pour faire valoir cette orientation. Madame m’a toujours laissé penser qu’elle avait eu un suivi en structure psychologique ou psychiatrique à un moment de sa vie. Et qu’elle ne pouvait aujourd’hui accepter qu’un soutien « à la marge », d’où l’importance du travail en réseau et des liens entre professionnels. Les champs du social, du sanitaire, du médico-social, ont pu « mailler » autour de Marcel et sa famille et œuvrer ensemble à la recherche de plus de cohérence et de continuité dans le suivi.
17La périnatalité est une clinique exigeante qui nécessite des moyens à la hauteur des enjeux qu’elle mobilise. C’est lors des 1000 premiers jours que se construisent les premières assises psychomotrices dont la qualité engagera l’avenir de nos enfants, et dont les obstacles rencontrés seront d’autant plus difficiles à franchir que du temps sera passé…
18L’approche psychomotrice en périnatalité se centre sur le corps du bébé : corps fonctionnel et instrumental, mais aussi corps en relation. Le psychomotricien soutient le développement du bébé et le lien parent/enfant. Il sait combien l’environnement familial, les repères qu’il propose, ses qualités de réassurance, sont essentiels au développement de l’enfant. Or, la période périnatale où se met en place le lien parent-bébé est parfois source de fragilisation pour les parents. Nous savons qu’un maillage entre professionnels, acteurs de santé, sociaux ou usagers eux-mêmes, est précieux pour offrir des points d’appuis indispensables à l’enfant et à sa famille.
19Le snup souhaite œuvrer, au sein de l’Alliance francophone pour la santé mentale périnatale, à tisser et à constituer ce maillage essentiel autour de la cellule familiale qui accueille un jeune enfant. Acteurs de santé au quotidien, côtoyant le handicap, les professionnels que le snup représente appellent à mettre en place des interventions précoces, en nombre et en intensité suffisants, afin de prévenir l’installation et l’apparition de troubles dans la suite du parcours de vie des jeunes individus.
20De sa collaboration avec l’Alliance, le snup attend la constitution des fondements du repérage précoce des troubles et le développement d’axes de prévention dans un travail de réseau entre acteurs en périnatalité.