Notes
-
[1]
https://www.mamanpourlavie.com
-
[2]
musiquedesgenies.fr
-
[3]
The Journal of Neuroscience, 3 septembre 2014, https://northwestern.app.box.com/s/ccbjn9g45e08wupn292 jok1v8y80j6kk
-
[4]
S. Maushart, Pause, Paris, Marabout, 2014.
-
[5]
Voir le travail réalisé par l’Association française des orchestres.
- [6]
-
[7]
https://www.clarin.com/espectaculos/video-colon-bebes-propuesta-musical-corporal-facilitar-estimular-etapas-desarrollo-temprano-favorecer-vinculo-bebe-adultos-acompanantes_3_YSHxr2xMy.html
-
[8]
https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/wp-content/uploads/2016/05/Rapport-Giampino-vf.pdf
-
[9]
http://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Education-artistique-et-culturelle/Eveil-artistique-et-culturel-des-jeunes-enfants
-
[10]
http://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Education-artistique-et-culturelle/Eveil-artistique-et-culturel-des-jeunes-enfants/Mission-Culture-petite-enfance-et-parentalite
-
[11]
S. Pinker, Comment fonctionne l’esprit, Paris, Odile Jacob, 2000, p. 556-57.
-
[12]
F. Wolff, Pourquoi la musique ?, Paris, Fayard, 2015, p. 352.
« Dès la naissance et parfois avant, les “bons” parents sont censés stimuler leurs enfants. Tapis d’éveil, portique d’éveil, jeu d’éveil, éveil musical, éveil corporel, aquatique, etc. Tout est bon pour que le bébé soit “éveillé”, ce qu’on considère souvent comme synonyme d’intelligent. Jeux sonores, xylophones qui sonnent faux, animaux aux cris stridents, cubes parlants aux messages abominablement répétitifs, l’univers sonore supposé adapté au tout-petit a de quoi rendre hystérique n’importe quel adulte équilibré ! »
Emmanuelle Rigon, Turbulent, agité, hyperactif : vivre avec un enfant tornade,
Albin Michel, 2008
1Les enfants et la musique, une histoire d’amour ? Pas si sûr que ça ! Lang Lang, pianiste virtuose, étoile internationale du piano classique et véritable rock star, ne garde pas un très bon souvenir de ses débuts au piano à 3 ans. Ses parents s’étaient ruinés pour acheter un piano avant même sa naissance. Son père, musicien dans l’orchestre de l’armée de l’air chinoise, va se révéler un vrai tyran. Tel le paternel de Mozart, il oblige son fils à travailler de très nombreuses heures chaque jour, quelles que soient les circonstances. Il faut dire que ce père va tout sacrifier pour la « carrière » de son fils : sa vie professionnelle et même sa vie familiale, car lorsque Lang Lang va aller à Pékin pour tenter le conservatoire de musique, sa mère restera dans sa petite ville de province pour subvenir aux besoins matériels de toute la famille. Ce qui n’empêche pas la lucidité du pianiste : « J’ai eu une enfance tout à fait anormale. Ou plutôt : pas d’enfance. »
2Le lendemain du concert qu’il donna lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Pékin, 40 millions d’enfants s’inscrivirent dans des écoles de musique à travers le pays. On appela cela « l’effet Lang Lang ».
Aller plus vite que la musique
3Les bienfaits de l’intégration de la musique dans le quotidien du bébé sont vantés chaque jour. Avant même la naissance, les bébés sont sensibles aux sons qui leur parviennent, peut-on lire partout dans la presse et sur Internet. Ainsi : « L’éveil aux sons et à la musique contribue à la détente, à l’écoute, à la coordination motrice, aux habiletés intellectuelles et au développement du langage verbal, social et affectif [1]. » Que demander de plus !
4Ou bien encore : « La musique éveille les fonctions mentales et physiques de l’enfant, développe ses capacités intellectuelles. La musique participe au bon développement global du nourrisson. Quand il écoute, son cerveau est fortement sollicité : il analyse, dissèque, tente de comprendre le fonctionnement et le langage musical. Très vite, l’enfant comprend que la reproduction des sons et l’écoute de la musique sont deux choses bien différentes. N’hésitez pas à stimuler sa curiosité musicale en lui achetant des instruments [2]… »
5Nombreux sont les articles où l’on peut se convaincre, s’il en est encore besoin, des mille et une vertus de la musique.
6Les neurosciences viennent également confirmer tout cela : la musique fait du bien au cerveau. Comme cette étude publiée en 2014 par une équipe de chercheurs de l’école de communication de la Northwestern University de Chicago [3]. Elle fournit les preuves de l’évolution neurobiologique dans les cerveaux des enfants initiés pendant au moins deux ans à l’apprentissage de la musique. Cette étude est la première à avoir analysé in situ l’évolution de la perception sonore par le cerveau des enfants participant pendant au moins deux ans à un programme de formation musicale. L’apprentissage de la musique peut donc améliorer l’acquisition et la compréhension du langage chez les enfants. « Nos observations démontrent que l’apprentissage de la musique peut littéralement remodeler le cerveau d’un enfant de façon à améliorer sa réception sonore, ce qui améliore automatiquement ses aptitudes d’apprentissage et d’acquisition du langage », affirme l’auteure de l’étude Nina Kraus, professeur des sciences de la communication… Mais cela suppose d’avoir respecté sa petite enfance, de l’avoir laissé jouer, inventer, s’ennuyer et se défouler, pourrait lui répondre Myriam Szejer, pédopsychiatre et présidente de La cause des bébés.
« Tout se joue avant six ans » refait surface
7Un enfant ayant été en contact avec la musique, et donc stimulé par elle pendant sa tendre enfance, aura plus de facilité à s’adapter à son environnement au moment de son entrée à l’école, puisque son écoute, sa concentration et sa curiosité auront été sollicitées. Sensibiliser son enfant à la musique, l’inscrire à un « cours » d’éveil musical de peur de rater son éducation et sa future inscription socioprofessionnelle dans un monde miné par la crise, comment un parent normalement constitué et soucieux de bien faire peut-il résister à une telle pression et à de telles injonctions ?
8« Comment devenir parent et donner les bonnes clés à son enfant », professe depuis presque cinquante ans le bon docteur Fitzhugh Dodson, dans son livre Tout se joue avant six ans. Tout se joue avant de mourir, pourrions-nous répliquer, ou encore, pour retrouver à nouveau Lang Lang : « L’âge idéal pour commencer le piano, c’est entre 2 et 100 ans ! »
9À l’image des parents qui hurlent sur leur progéniture au bord du stade de foot de peur de rater un nouveau Mbappé, j’aimerais bien un nouveau Mozart dans la famille. Dis autrement : comment bloquer un gamin pour rassurer ses parents… Le dépistage précoce des talents artistiques et la plasticité du cerveau ont encore de beaux jours devant eux.
Scène vécue
10Dans un restaurant, à l’heure du dîner, la maman essaie de donner à manger à sa fille qui doit avoir 14 mois. Mais ça résiste… Elle prend alors son téléphone, se connecte sur YouTube et passe des chansons et comptines pour enfant. Apparemment cela fonctionne ! La scène est étrange : comme les spectateurs lors d’un match de tennis, on voit la tête de l’enfant passer de la cuillère à l’écran et vice versa. Un peu plus tard, pendant que les parents finiront leur repas, les clips musicaux continueront à s’enchaîner automatiquement sous le regard hypnotisé de l’enfant.
11Peut-être devrions-nous nous inspirer de la journaliste new-yorkaise Susan Maushart. Dans son livre Pause [4], elle raconte l’expérience qu’elle a menée pendant six mois avec ses adolescents : vivre « unplugged ». En supprimant à la maison l’usage du smartphone, d’Internet, de Facebook, de la télévision et des jeux vidéo, elle a assisté à la sortie de l’état de « Cognitus interruptus » qui caractérisait ses enfants, c’est-à-dire l’incapacité de penser ou de travailler sans perdre leur attention face aux nombreuses perturbations potentielles, pour les voir « devenir des penseurs plus logiques et plus concentrés ».
12Et si nous explorions avec le bébé le plaisir de la voix chantée, susurrée, en direct, yeux dans les yeux !
Musiciens en herbe
13Il y a encore quelques années, on venait à l’atelier d’éveil pour découvrir la musique ! Plaisir de jouer ensemble avec les sons et d’en produire à sa guise. Initiation musicale, atelier d’éveil sonore, jardin musical…, les noms ont fleuri pour désigner ce moment avec l’enfant et ses parents. Comptines, berceuses, jeux de doigts, chansons à gestes, instruments adaptés, faire du bruit, multiplier ses expériences sonores, aujourd’hui encore, les propositions sont riches et variées.
14Or, on y vient de plus en plus pour utiliser la musique comme une sorte de prétexte. Le public (enfants, parents) sent, parfois précisément, en général confusément sinon inconsciemment, que ce moment cache d’autres choses et dépasse, chez l’enfant ou l’adulte, la simple rencontre avec la dimension artistique.
15On parle des bénéfices de la musique, et les neurosciences ont considérablement amplifié ce phénomène, les expériences musicales aidant à l’épanouissement de l’enfant. Pourtant, rares sont ceux qui parlent de musique pour la musique (plaisir, rêverie, émotions…).
Le goût de la musique
16Au-delà de ces commentaires qui peuvent sembler « critiques », l’éveil musical a le vent en poupe et, chose récente, les orchestres symphoniques bougent, eux aussi ! Les festivals, concerts et autres manifestations en direction de ce très jeune public se sont multipliés ces dernières années, et le monde de la musique dite « classique » n’a pas été en reste [5].
17– Le compositeur britannique Lliam Paterson s’est demandé à quoi pouvait bien ressembler une œuvre pour tout-petits. Avec le Scottish Opera de Glasgow, et aidé par le metteur en scène Phelim McDernott, ils ont donné naissance à BambinO, un opéra pour mélomanes en couches-culottes, amateurs éclairés par six à dix-huit mois d’existence [6]. C’est donc un véritable opéra qui est proposé, avec une ouverture, des actes et une histoire de maman oiseau qui couve son œuf jusqu’à l’éclosion et découvre alors un poussin qui s’avère bien plus grand qu’elle ! Elle lui montrera le monde et l’aidera à développer ses sens, jusqu’à ce qu’inévitablement elle réalise que sa progéniture doit voler de ses propres ailes et quitter le nid. Lliam Paterson s’est penché sur différents travaux pour identifier les capacités auditives des bébés et les schémas sonores qui les font le plus réagir : « J’ai intégré tout cela dans ma partition pour avoir le maximum d’interactions avec les enfants. Je me suis vraiment mis dans la peau d’un bébé pour imaginer tout cela, c’était un processus de création très amusant. J’ai également créé volontairement des espaces dans la partition, pour laisser le temps aux rires ou à l’excitation – forcément sonore – des bébés. Ainsi, à la moitié du spectacle, les deux chanteurs babillent et improvisent en fonction des réactions du jeune public. » Tout cela au rythme des percussions et du violoncelle. Les bébés sont libres de gambader au gré de leurs envies et la mise en scène a été pensée pour cela !
18– À l’origine d’un autre projet, Isabelle Robin, responsable du relais assistantes maternelles (ram) de Mulhouse, et son homologue de Riedisheim. « Le but est d’ouvrir les enfants à la culture et à l’art, de leur permettre de découvrir la musique d’une façon ludique, de comprendre ce qu’est la musique classique », explique Isabelle Robin. Les deux femmes ont contacté l’Orchestre symphonique de Mulhouse qui a répondu présent. Des séances sont proposées gratuitement le temps d’une matinée aux assistantes maternelles et aux bébés, avec au programme : musique, conte, chant et découverte des instruments.
19– L’emblématique Théâtre Colon de Buenos Aires a lui aussi ouvert ses portes aux bébés, pour le plus grand plaisir des parents soucieux de faire de rencontrer les enfants, la musique classique, la danse et le théâtre [7]. « Plaisir, curiosité et surtout la magie de l’endroit feront de votre sortie au Théâtre Colon avec les enfants un moment inoubliable », nous dit la brochure. Et c’est vrai que la magie opère, parce que des professionnels de la musique et des spécialistes du jeune enfant ont pris le temps de réfléchir à des propositions adaptées, ce qui n’est pas une mince affaire !
20– Citons encore l’Opéra de Rouen Normandie, avec son Musique et doudou, la Philharmonie du Luxembourg, l’Orchestre d’Auvergne, La Philharmonie de Paris… Sans pouvoir toutes les nommer, nombreuses sont les structures qui cherchent aujourd’hui à s’adresser à ce nouveau public. Des actions qui, de toute évidence, seront contagieuses.
21Les travaux menés par Sylviane Giampino, « Développement du jeune enfant, modes d’accueil et formation des professionnel(le)s [8] », le protocole d’accord « Pour l’éveil artistique et culturel des jeunes enfants [9] » signé entre le ministère de la Culture et de la Communication et le ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, le 20 mars 2017, le rapport « Une stratégie nationale pour la Santé culturelle – promouvoir et pérenniser l’éveil culturel et artistique de l’enfant de la naissance à 3 ans dans le lien à son parent [10] », de la psychologue et psychanalyste Sophie Marinopoulos, s’inscrivent dans un contexte de mutation de la famille et de la parentalité, comme du monde des arts et de la culture. Ils sont des points d’ancrage essentiels pour ne pas tomber dans l’ornière des surstimulations déguisées en éveil culturel.
22« Pourquoi la musique ? » se demande le philosophe Francis Wolff. Et le biologiste évolutionniste Steven Pinker de répondre : « pour rien » : « En termes de causes et d’effets biologiques la musique est inutile. La musique pourrait disparaître sans que le mode de vie de notre espèce en soit modifié en rien [11]. » Et l’ethnomusicologie et la sociologie de la musique de lui répondre : « La musique permet une coordination des comportements dans le groupe, elle est le vecteur essentiel de la cohésion sociale, elle sert au maternage (par exemple, le rythme et les sonorités des berceuses), elle est au service de l’expression émotionnelle collective, elle est un régulateur des émotions [12]. »
23Si loin que l’on remonte dans le temps, il n’y a pas d’humanité sans musique. Partout où il y a des hommes, il y a de la musique.
24Quelle place pour le rêve, l’imagination et l’ennui dans ce tourbillon ambiant ? Éveiller l’enfant à la musique veut dire le mettre et se mettre dans un bain musical : écouter, chanter avec lui, manipuler les premiers objets sonores et instruments simples, éveiller tous ses sens à l’expérience musicale.
25S’amuser, jouer, prendre plaisir, être curieux, rêver, s’émouvoir, voyager… une certaine inutilité en quelque sorte.
Mots-clés éditeurs : neurosciences, bébés, cerveau, Musique, surstimulation, éveil, orchestre symphonique
Date de mise en ligne : 05/12/2019
https://doi.org/10.3917/spi.091.0119Notes
-
[1]
https://www.mamanpourlavie.com
-
[2]
musiquedesgenies.fr
-
[3]
The Journal of Neuroscience, 3 septembre 2014, https://northwestern.app.box.com/s/ccbjn9g45e08wupn292 jok1v8y80j6kk
-
[4]
S. Maushart, Pause, Paris, Marabout, 2014.
-
[5]
Voir le travail réalisé par l’Association française des orchestres.
- [6]
-
[7]
https://www.clarin.com/espectaculos/video-colon-bebes-propuesta-musical-corporal-facilitar-estimular-etapas-desarrollo-temprano-favorecer-vinculo-bebe-adultos-acompanantes_3_YSHxr2xMy.html
-
[8]
https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/wp-content/uploads/2016/05/Rapport-Giampino-vf.pdf
-
[9]
http://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Education-artistique-et-culturelle/Eveil-artistique-et-culturel-des-jeunes-enfants
-
[10]
http://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Education-artistique-et-culturelle/Eveil-artistique-et-culturel-des-jeunes-enfants/Mission-Culture-petite-enfance-et-parentalite
-
[11]
S. Pinker, Comment fonctionne l’esprit, Paris, Odile Jacob, 2000, p. 556-57.
-
[12]
F. Wolff, Pourquoi la musique ?, Paris, Fayard, 2015, p. 352.