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Article de revue

Les bébés riront-ils jaune en 2019 ?

Pages 7 à 12

Notes

  • [1]
  • [2]
    Le mouvement des Gilets jaunes est l’événement qui a le plus marqué les Français en 2018, devant les attaques terroristes, selon un sondage Ifop réalisé en ligne du 14 au 17 décembre 2018.
  • [3]
    F. Lelord, Hector et les lunettes roses pour aimer la vie, Paris, Odile Jacob, 2018.
  • [4]
    F. Lelord, Le voyage d’Hector ou la recherche du bonheur, Paris, Odile Jacob, 2002.
  • [5]
    J.H. Fowler, N.A. Christakis, « Dynamic spread of happiness in a large social network : Longitudinal analysis over 20 years in the Framingham Heart Study”, bmj , 337, n° a2338, 2008.
  • [6]
    Les 10e Journées Spirale se tiendront à l’université Paul-Sabatier.
« Cette année, le Père Noël a le cœur lacrymogène,
Pour des millions d’oubliés des fractures républicaines.
Cette année le Père Noël a la hotte qui sent l’automne.
Quand il descendra du ciel, mettra-t-il un gilet jaune ? »
« Fin du monde et fin de mois », I Muvrini[1]

1 C’est en 1989, le 17 décembre aux États-Unis, et le 22 décembre 1990 en France, que Petit Papa Noël a fait sa première apparition dans le pilote de la série télévisée d’animation Les Simpson. Le chien des Simpson – puisque vous l’aviez reconnu, n’est-ce pas ? –, bon dernier d’une course de lévriers sur laquelle Homer avait parié son misérable salaire de13 $, devient le cadeau de Noël du père Simpson à son fiston Bartholomew JoJo, dit « Bart », et toute sa famille. « Noël mortel », titre français de ce premier épisode, raconte les péripéties inaugurales de l’histoire de ce petit ouvrier de centrale nucléaire, vulgaire, alcoolique, obèse et paresseux mais dévoué à sa famille, de son épouse Marge, stéréotype de la femme au foyer, bienveillante et sécurisante, et de leurs trois enfants, Bart, 10 ans, Lisa, 8 ans, et Maggie, 2 ans.

2 Il ne vous a pas échappé, au bout de trente ans de cette série culte, que la famille Simpson a la peau jaune. Choix esthétique mais aussi marketing du créateur de la série, qui s’était rendu compte que le jaune est l’une des rares couleurs qui parvient à capter l’attention sans agresser l’œil.

3 Voir la vie en jaune. C’est ce que nous avons tous fait en cette fin d’année 2018 [2]. Mais voilà, la vie en jaune n’est pas la vie en rose ! Et que ne ferions-nous pour tout voir en rose et pour donner des couleurs et du peps à nos vies ? Chausser de nouvelles lunettes s’imposerait-il, comme le psychiatre François Lelord nous le propose [3], à travers ses voyages d’Hector – vous savez, ce jeune psychiatre qui n’arrive pas à rendre les gens heureux et qui n’est du coup pas très content de lui. Il part alors autour du monde en quête du bonheur [4].

4 Ces dernières années, je n’en peux plus de la dictature du bonheur, du culte de la pensée positive, des huit conseils pour voir la vie en rose, des trois idées pour lâcher prise, des dix bonnes raisons pour cultiver l’optimisme, des carnets de félicité… Je n’en peux plus de ne trouver au rayon psychologie des librairies, même spécialisées, mais tout autant dans le top 10 des ventes de livres que des feel-good books ; « c’est bon pour le moral », chantait la Compagnie Créole dans les années 1980. Je n’en peux plus des formidables leçons d’optimisme et de courage, des héros inspirants, des laïus sur notre capacité à rebondir, à croire en nos rêves, à nous adapter à des situations difficiles pour en tirer le meilleur parti. Je n’en peux plus de ceux qui célèbrent à longueur d’émissions de radio, de télé, de milliers de pages de livres ou de kilomètres de pellicule, notre capacité à nous réinventer, à changer de vie, à vivre de folles aventures... Bref, je n’en peux plus de cette colossale arnaque du siècle qui s’appelle le développement personnel et qui nous décline à l’infini le même discours : pour un prix abordable (parce que tout cela se paie, bien entendu !) nous allons enfin arriver à nous connaître, à identifier les blessures qui nous font souffrir, à les panser, à atteindre le meilleur de nous-mêmes, à nous dépasser, à nous élever, en développant nos forces et nos talents, en gouvernant efficacement nos émotions – bon, j’arrête, je vais y perdre ma neutralité bienveillante !

5 De toute façon, vous n’en avez rien à faire de cet avis ! Vous avez déjà le vôtre et c’est celui qui compte, n’est-ce pas ? Ne vous a-t-on pas expliqué que vous êtes l’expert de ce qui vous pose problème, et que vous disposez en vous-mêmes des ressources nécessaires pour faire naître votre future solution ? Nous avons les moyens de vous faire changer, psalmodient les apôtres de la nouvelle vague du Think Positive et du Self-Help. (Eh oui ! Faut causer anglais, ça fait plus scientifique et éclairé ! « Just do it » affiche la pub de Nike. « Yes we can » lui répondit Barack Obama : trois mots, juste trois, qui ont pourtant eu une portée incroyable). Comment et pourquoi ne pas les croire, tous, quand ils vous promettent tant, enfin, en tout cas de trouver – précisons : vite et bien – les recettes du bonheur.

6 Je vous entends déjà, à dénoncer mon pessimisme malsain. J’entends déjà votre couplet dans le style ça vous saoule, les ceux qui pleurnichent tout le temps, qui disent que la vie est moche, pas juste, trop dure, qui se plaignent à longueur de jour. Vous pensez qu’il faut que j’arrête de faire mon Bacri, de faire la tête, de râler. En gros, de voir la vie en noir. Vous en avez plein le popotin des miteux croquemitaines, genre ce Grinch version psy, qui s’acharnent à vouloir vous gâcher la vie. Vous voulez Noël tous les jours et vivre votre vie chamallow-marshmallow au doux Pays des Bisounours ! Mettez donc au chômage technique votre usine à jérémiades, sieur Ben Soussan, apprenez à po-si-ti-ver, ça vous changera la vie !

7 Ben voyons !

8 Vous voulez vraiment que je vous lâche, que je vous laisse croire, espérer, nous penser forts. Fi de la sinistrose ambiante, en ces temps troubles, n’avons-nous pas un incessant besoin de consolation, de réconfort, d’assurances, d’élans ! Et puis, c’est maintenant scientifiquement prouvé, l’optimisme est contagieux, le bonheur des uns dépend du bonheur des autres, ça, nous le savons depuis les recherches menées par les équipes américaines des professeurs James Fowler, de l’Université de Californie à San Diego, et Nicholas Christakis, de la Harvard Medical School, à Cambridge, auprès de 4 739 personnes, de 1983 à 2003, à Framingham, ville du Massachusetts, aux États-Unis. Digest en deux lignes : « Les gens qui sont entourés par beaucoup de gens heureux (...) ont plus de chances d’être heureux dans le futur. Les statistiques montrent que ces groupes heureux sont bien le résultat de la contagion du bonheur et non seulement d’une tendance de ces individus à se rapprocher d’individus similaire [5]. » Alors, entourons-nous d’optimistes et vade retro les pessimistes atrabilaires ! Encore qu’on pourrait leur pardonner, à ces tarés du gène, puisque les neurosciences tellement en vogue aujourd’hui nous apprennent aussi que le bonheur est une aptitude innée, inscrite dans nos gènes. Les acariâtres sombres, en fait, ce n’est pas leur faute, ils ont été mal programmés ! Euh, c’est un peu vite dit, reprend le pisse-vinaigre de service, car vous en faites quoi de l’épigénétique, vous savez, tous ces mécanismes moléculaires capables de transformer le matériel génétique dont vous avez hérité à la naissance, en changeant la manière dont vos gènes vont s’exprimer ? Et ces changements sont dus à notre environnement, à tous ces événements qui, depuis notre première enfance, ont marqué nos vies (les expériences que nous avons vécues mais aussi la façon dont nous avons été entourés, élevés...) et ont modifié notre patrimoine génétique. Mais vous allez me dire que, du coup, si notre environnement est capable d’agir sur notre bagage de départ voire de le transformer, pourquoi ne pourrions-nous pas, par nos actions, nos pensées, nos attitudes, modifier nous-mêmes notre génome et la chimie de notre cerveau ? Et viva le sport, la méditation, la positive attitude, la gestion du stress, l’alimentation saine, une hygiène de vie irréprochable, un environnement propice, l’entraide, l’empathie… Encore, vous en voulez encore ? Non, suffit de se persuader que cultiver son bonheur, ça s’apprend et… ça rend heureux ! Alors, qu’attendons-nous pour nous préparer au bonheur ?

9 Ok, vous voulez donc un équipement complet pour partir à la conquête de votre bonheur ? Un kit prêt à l’emploi pour booster votre moral ? Ne vous inquiétez pas, nous avons tout ça en rayon. Le bonheur est un produit vendeur. Nous vous offrons quelques molécules de bien-être, des vitamines mentales, le secret de la manufacture des petits plaisirs de la vie et, allez, osons, de quoi réenchanter votre monde… et le nôtre. Du coup, vous allez sûrement trouver autour de vous – il y en a tant et tant aujourd’hui – des coachs, des experts, des livres, des shows télé, enfin, toute une industrie du bonheur, de la vie belle, de la santé essentielle. Qui vous promettra le ciel et l’éternité.

10 « Le spleen n’est plus à la mode, c’est pas compliqué d’être heureux » cartonne Angèle à la radio. Mais elle ajoute, subtile, dans le refrain, comme un mantra à répéter pour s’en persuader : « Tout, il faudrait tout oublier. Pour y croire, il faudrait tout oublier. »

11 Que faudrait-il oublier pour être heureux ?

12 Les bébés de 2019 verront-ils la vie en rose ? Vertu magique et incontournable de ces derniers mois, la parentalité positive nous assure que nous pouvons arriver à avoir des enfants de rêve, qui se développeront merveilleusement et seront des adultes épanouis et heureux. Nous pouvons y arriver. Il convient juste d’y travailler, commencer par acquérir le kit de démarrage de parent bienveillant et…

13 Rendez-vous les jeudi 21 et vendredi 22 novembre 2019, à Toulouse [6], pour les 10 e  Journées Spirale. Devinez leur titre… : « La parentalité positive ?! »

14 En attendant cette date festive, marquée en rouge sur vos agendas papier (il en reste ?) ou taguée sur le calendrier de vos smartphones, passez une belle année 2019, rose, jaune, grise, noire, bleu, oubliez le brun et ajoutez-y des paillettes, quelques rêves, de la magie, du courage et de la santé. Et si, par hasard ou infortune, quelques nuages entrent dans votre ciel, « légers et vagues », comme disait Boris Vian, je ne vous les souhaite qu’à l’« odeur de coriandre et d’herbe des montagnes ».


Date de mise en ligne : 29/01/2019

https://doi.org/10.3917/spi.088.0007

Notes

  • [1]
  • [2]
    Le mouvement des Gilets jaunes est l’événement qui a le plus marqué les Français en 2018, devant les attaques terroristes, selon un sondage Ifop réalisé en ligne du 14 au 17 décembre 2018.
  • [3]
    F. Lelord, Hector et les lunettes roses pour aimer la vie, Paris, Odile Jacob, 2018.
  • [4]
    F. Lelord, Le voyage d’Hector ou la recherche du bonheur, Paris, Odile Jacob, 2002.
  • [5]
    J.H. Fowler, N.A. Christakis, « Dynamic spread of happiness in a large social network : Longitudinal analysis over 20 years in the Framingham Heart Study”, bmj , 337, n° a2338, 2008.
  • [6]
    Les 10e Journées Spirale se tiendront à l’université Paul-Sabatier.

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