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Article de revue

Les congés parentaux au Québec : une source d’inspiration ?

Pages 118 à 125

Notes

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Une initiative audacieuse

1 Avec le Régime québécois d’assurance parentale (rqap), le Québec peut se targuer d’une initiative audacieuse, mise en place après bien des tractations avec le gouvernement canadien, moins généreux.

2 De quoi s’agit-il ? Sur le site dédié au dispositif [2], on peut lire : « En vigueur depuis le 1er janvier 2006, le Régime québécois d’assurance parentale (rqap) constitue un moyen concret, pour les travailleuses et les travailleurs, de mieux concilier leurs responsabilités familiales et professionnelles. Il vise à soutenir financièrement les nouveaux parents, à les encourager dans leur désir d’avoir des enfants et à les soutenir dans leur volonté de consacrer plus de temps à leurs enfants dans les premiers mois de leur vie. »

3 La loi sur les normes du travail qui définit les congés parentaux, concerne la majorité des salariés québécois [3]. Il s’agit de périodes non salariées, mais soutenues par une aide financière du rqap, régie par le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale. Il s’agit d’un revenu de remplacement auquel ont droit tout salarié ou travailleur autonome. Tous les employeurs et tous les travailleurs cotisent à l’assurance parentale.

4 En résumé, existent donc :

5 le congé de maternité de 18 semaines continues, qui peut être pris au plus tôt à la 16e semaine précédant la date présumée de l’accouchement ;

6le congé pour le conjoint à l’occasion de la naissance de l’enfant, d’une durée de 5 jours (dont deux, c’est la seule exception, sont payés par l’employeur) ;

7le congé de paternité de 5 semaines continues, incluant les 5 jours précités, et non transférables à la mère ;

8 – périodes auxquels s’ajoute, depuis 2006, le droit de prendre 52 semaines maximum de congé parental, à partager ou non entre les parents.

9 On trouve des mesures équivalentes pour les cas d’adoption.

10 Certains travailleurs, toutefois, sont exclus de ces droits pour diverses raisons, notamment : l’absence d’un nombre de mois suffisant de cotisations, le chômage, ou la non-résidence au Québec au 31 décembre de l’année précédant le début de la période de prestation.

11 Rappelons aussi que les chiffres en semaines indiquent non pas des minimums obligatoires, notions absentes de la loi, mais des durées maximales d’éloignement du travail rémunéré, à l’issue desquelles l’employeur doit réintégrer le/la salarié(e) à son poste habituel avec les mêmes salaires et avantages.

Une grande souplesse d’application

12 Certaines femmes n’utilisent pas ce maximum de 70 semaines (18 + 52) « autour » de la naissance, et les modalités de l’aide financière représentent un des facteurs décisifs.

13 Dans le régime de base, les 18 semaines maternelles, les presque 6 semaines paternelles, ainsi que les 7 premières semaines parentales, font l’objet d’un soutien financier de l’aqrp représentant 70% du revenu hebdomadaire moyen (de l’un ou des deux parents, selon qu’ils sont tous les deux ou non en « congés »). Ensuite, pour les 25 semaines parentales suivantes, le soutien financier passe à 55% du revenu hebdomadaire moyen. Enfin, les vingt dernières ne sont pas soutenues financièrement. Ce sont le plus souvent les femmes qui prennent le congé parental, et certaines ne peuvent se permettre de prendre tous les congés auxquels elles ont droit. À 55% d’un salaire maigre, cela devient vite très maigre !

14 Les parents peuvent néanmoins choisir le régime particulier qui limite la durée des congés : 15 semaines au lieu de 18 pour la maternité ; 3 semaines au lieu de 5 pour la paternité ; 25 semaines au lieu de 52 pour le parental. L’aide financière est alors calculée à 75% du revenu hebdomadaire moyen. En gros, si la mère s’octroie les congés parentaux, cela correspond à un maximum de 40 semaines, soutenu financièrement à 75% de son revenu. Même en prenant quelques semaines avant l’accouchement, elle peut compter sur environ 8 mois avec son bébé.

15 Ajoutons que, dans ce dernier régime, le parent en congé a le droit de reprendre le travail rémunéré, à condition que les revenus engendrés ne dépassent pas 25% de ses rentrées moyennes – en cas de dépassement, il devra rembourser l’aqrp en conséquence.

Des priorités différentes pour chaque famille

16 La grande souplesse d’application des différents régimes de soutien parental permet de nombreux choix individuels, et les priorités qui président aux choix sont aussi variées que les individus intéressés. Les aspects financiers font bien sûr partie des facteurs décisionnels. Pour certaines femmes qui ont des revenus bas [4], le soutien se réduit parfois à peau de chagrin [5], et la situation peut devenir intenable au point de précipiter le retour au travail rémunéré. Certains parents m’ont confié s’être endettés, notamment pour continuer d’allaiter un enfant de santé fragile.

17 D’autre part, l’aide financière aux enfants – automatique et régie par la caisse des… retraites – est proportionnelle au nombre d’enfants à charge, et inversement proportionnelle aux revenus du ou des parents. Une situation plus rare : quand la femme touche un salaire beaucoup plus élevé [6] que son conjoint, elle renonce à son « temps maternel possible » pour éviter de retrancher 25 ou 45% du salaire familial principal. Certains couples optent donc pour un congé parental du père. La mère reprend le travail rémunéré assez rapidement, quelquefois au détriment de sa santé. Car, même si elle n’allaite pas, c’est elle qui a été enceinte et a accouché ; quant au gigantesque chantier physique postnatal de retour à l’équilibre physiologique non gravide, il fait l’objet d’un déni total, tant de la part de la population que de la gent féminine concernée [7].

18 Sur le plan des instances gouvernementales, le mode d’alimentation du bébé n’est pas pris en compte dans ces mesures : il n’y a pas de privilèges accordés aux mères qui allaitent, même si, au départ, ce sont des personnes impliquées dans la mouvance « allaitement » qui ont soutenu la loi sur les congés parentaux. Pour rappel, le taux d’allaitement du Québec est de 89% à la naissance, et 19% des bébés de 6 mois bénéficient d’un allaitement exclusif [8].

De nouveaux espaces relationnels

19 Qu’est-ce que le congé parental augmenté a changé pour les mères, les pères ? Celles qui ont pu comparer les deux régimes apportent des réponses particulièrement éloquentes, soit qu’elles aient eu leurs premiers enfants avant la loi de 2006, soit qu’elles aient accouché dans un autre pays.

20 « Pour mes deux premiers, j’étais en France, mais dans une entreprise familiale, à notre domicile. Ils ont commencé la garderie à 5 mois, le matin uniquement. Avec les deux enfants nés au Québec, je n’ai travaillé que trois mois en trente-deux mois, et je suis passé de deux à quatre enfants dans la même période. J’ai tenté de reprendre mon ancien travail mais j’ai changé de carrière après un an, afin d’avoir du temps avec mes enfants. Travailler à temps plein à l’extérieur n’avait plus aucun sens. En raison de la longueur du congé ? du nombre d’enfants ? Difficile à dire… » (Raphaëlle P.). 

21 Lors de notre entretien téléphonique, Raphaëlle témoigna à quel point ce temps avec ses enfants avait représenté une découverte de nouveaux espaces de relation et de créativité, dont elle s’est sentie privée lors de son retour au travail.

22 Élodie D.P., ayant récemment émigré de Belgique et sans travail, confie : « Je n’avais pas cotisé au rqap, donc c’est mon conjoint qui a pris tout le congé. Je pense que cela m’a évité la dépression car mon deuxième bébé était très intense et demandant. Si j’avais dû me retrouver seule avec mon plus grand et mon nouveau-né en plein hiver québécois, je pense que ça aurait été une catastrophe. Et si je compare avec mon pays d’origine qui offre à peine trois mois pour maman et dix jours pour papa, ça a clairement une incidence sur l’allaitement et sur la qualité des relations familiales et du réseau qui se crée entre les mamans. »

23 Au niveau de leur relation avec leur bébé, beaucoup évoquent de manière positive ce temps précieux et un investissement qui parfois même les surprend : « J’ai pu respecter les rythmes de mon bébé, l’accompagner pas à pas dans cette année de développement si fulgurante. Nous respections nos besoins au quotidien » (Annick B.). « Cela m’a permis de prendre du recul vis-à-vis ma carrière, de voir qu’il y avait autre chose et de revoir mes priorités » (Édith L.). « Nous avons de la chance de pouvoir prendre le temps avec nos bébés, et même si ce n’est pas facile, ni de tout repos, je ne me serais jamais vue retourner [travailler] quand notre troisième bébé avait 3 mois... Je n’y aurais pas survécu ! » (Marie-Ève D.). « Moi, cela m’a permis de réussir mon allaitement, de faire une formation comme marraine d’allaitement, de prendre le soleil, car j’allais presque tous les jours marcher en poussette ou en portage, je me suis rendue à des rencontres de mamans, des cours de natation, des cours de motricité avec bébé. J’ai un lien très fort avec mon enfant. J’ai repris le boulot quand mon fils avait 16 mois, ce qui a facilité l’allaitement à long terme » (Alexandra E.).

24 Certaines mères sentent qu’elles s’y perdent un peu, et parfois beaucoup : « Cela m’a permis de m’investir émotionnellement et affectivement auprès de mon fils et ce, à un rythme tout autre que je ne l’aurais imaginé. Au point que j’ai dû prendre un an sans solde pour me réadapter, me redéfinir dans mon cercle familial, amoureux, social, redéfinir mes limites et mes besoins. Pour le second bébé, je prends ce temps pour m’investir dans ma relation avec mon bébé, bien sûr, mais aussi dans mon nid, mon couple, ma famille. Peaufiner le travail entamé lors la première aventure » (Marie-Jeanne B.).

25 Marie-Jeanne évoque un phénomène que plusieurs m’ont décrit lors de nos conversations : ce temps de plusieurs mois est aussi une plongée dans l’inconnu, un territoire sans balises, sans les repères du temps morcelé auquel nous sommes formatés depuis l’école.

Quand l’autre parent reprend le travail

26 Le cap des six semaines, quand le conjoint/l’autre parent reprend le travail extérieur, peut être particulièrement éprouvant.

27 « Quand mon conjoint est reparti travailler après six semaines de cocon tissé serré, ces six semaines où nous avions tout partagé, j’ai eu un passage à vide, une sensation de désert à traverser, de panique devant les longues journées seules à la maison. Et aussi, notre bébé s’attachait moins à lui, elle est devenue très “colleuse” avec moi, il n’y avait plus que moi qui parvenais à la calmer. J’avais l’impression qu’un piège se refermait sur moi. Bien sûr, il se rattrapait les fins de semaine ; bien sûr, j’ai planifié des sorties et des visites pour occuper les journées, pour voir du monde. Mais j’ai un très mauvais souvenir de ces premières semaines où le cocon à trois a littéralement éclaté et je l’appréhende encore pour la prochaine maternité » (Inès B.). « Je me souviens avoir tellement pleuré et pensé que je n’y arriverais pas seule – pour le premier bébé seulement ; au troisième bébé, je me sentais plus expérimentée » (Marie-Ève D.). « Notre fils faisait souvent des crises de pleurs. Tant que mon conjoint était là, on se sentait impuissants mais on se relayait, on était ensemble. Quand il est retourné au travail, j’ai paniqué. J’ai senti la responsabilité du bien-être de mon fils me revenir presque exclusivement, et les occasions de prendre du temps juste pour moi sont devenues quasi inexistantes, vu l’intensité de mon bébé. J’ai le sentiment d’avoir perdu de vue ma fille de 3 ans tellement mon fils avait besoin de moi. Et pourtant, pour rien au monde je ne regrette cette année passée avec lui. Je suis convaincue que cette proximité a favorisé son apaisement et sa joie d’être avec nous » (Pauline R.).

Rester en lien

28 Plusieurs mères évoquent les activités proposées aux nouvelles mères. D’autres regrettent le manque de vie sociale, même entourées d’amis : « Sur le plan social, comme la plupart de mes amis n’avaient pas d’enfant, je ne vivais plus sur le même fuseau horaire. Je me suis sentie très seule par moments, d’autant que mon bébé, aux besoins intenses, occupait presque tout mon temps et mon énergie [9] » (Annick B.).

29 Où trouver alors ce surcroît d’énergie pour sortir de chez soi et rencontrer d’autres personnes ? « J’ai adoré passer beaucoup de temps à tisser le lien entre moi et mon fils, et à bâtir cette belle confiance. Des fois, on se sent seule, mais ça nous pousse à sortir avec notre petit et à rencontrer d’autres mamans et à apprendre sur les bambins » (Martine D.). « Cela m’a permis de vraiment m’investir dans la maternité, prendre des cours, assister à des conférences. J’ai aussi pu créer beaucoup de liens avec d’autres mamans, aussi en congé. Et aussi, de m’impliquer dans ma communauté en étant bénévole » (Édith L.). « Avec un bébé de 4 mois, deux grands à la maison à temps plein et une envie croissante de voir des adultes, j’avais besoin de me trouver une activité qui me fasse vibrer, mais sans laisser mon tout-petit sur de trop longues périodes. J’ai trouvé une chorale gospel dont la directrice elle-même amenait sa petite fille aux répétitions. Encore aujourd’hui, je m’amuse, me ressource et remplis mes réservoirs d’amour et de patience, en chantant avec les autres, mon fils en portage, tétées à volonté, bercé par les rythmes des chœurs » (Lucie M.).

30 Parfois, c’est la famille elle-même qui aide la nouvelle mère à structurer le temps : « Du point de vue social, avec toutes les activités maman-bébé proposées dans la région – café-rencontre entre mamans, groupe d’allaitement, etc. –, je n’ai aucunement senti d’isolement. Mes jumeaux, d’âge scolaire, venaient dîner à la maison. Ma journée était merveilleusement bien scindée en deux. De retour tôt de l’école, les devoirs étaient faits avant le souper pour laisser toute la place à la famille le soir » (Marie L.).

31 Ou encore, certaines mères tirent parti de la possibilité, dans le régime particulier, de reprendre un peu de vie professionnelle : « Ce fut important pour moi de faire des petits bouts au travail, de retrouver mon cerveau et mes copines, et de bonifier le revenu familial » (Marie-Ève D.).

32 Et les réseaux sociaux ? « Facebook m’a sauvé la vie. Je restais en contact avec mes copines, j’avais des nouvelles de mes collègues de travail. Avec celles qui avaient des enfants du même âge, nous avons créé un mur pour organiser nos sorties, échanger nos trucs et nos conseils. On se retrouvait au parc, on faisait un potluck [10] chez l’une ou l’autre » (Sabine L.). « Ma famille vit dans un autre pays. Les photos et les vidéos postées, les placotages [11] sur Skype, c’est bien, mais cela ne remplace pas la vraie présence. Je ne connaissais personne dans ma ville et c’était très dur » (Lise D.).

Le danger de l’invisibilité sociale

33 La capacité de s’adapter à la nouveauté et à s’organiser dans un temps moins défini est une manifestation de santé et d’équilibre suffisamment bons. Mais quand les capacités d’adaptation sont chroniquement débordées, que se passe-t-il ? Je pense notamment aux mères qui ont peu de ressources sociales, et/ou qui n’osent pas sortir avec un bébé dit « aux besoins intenses », qui réagit vite et bruyamment.

34 Valérie N., médecin et ostéopathe spécialisée en périnatalité, remarque : « Mon observation (je n’ai pas eu mes enfants au Québec), c’est que ce temps peut être fantastique quand tout va bien du point de vue psycho-socio-émotionnel. En présence de facteurs de risques, certaines mamans peuvent sombrer dans l’isolement et la détresse, et deviennent invisibles à la société qui, ne les voyant pas, pense que tout va bien – elles ne demandent pas d’aide. De là l’importance de professions entourant la périnatalité, et surtout la période postnatale : infirmières, intervenants sociaux, doulas [12], visiteuses à domicile, etc. »

Les filets de sécurité sont-ils suffisants ?

35 L’invisibilité sociale est effectivement un défi de taille pour toutes ces mères. Qu’en est-il du filet de sécurité social ? Dans les premiers temps, il y a les visites des infirmières si le bébé est né à l’hôpital, ou des sages-femmes si le bébé est né en Maison de naissance.

36 Sur le site du ministère de la Famille, il est possible de consulter les différents programmes de services publics [13]. La liste est impressionnante, mais en ces temps d’austérité, les coupures budgétaires ont lieu partout. Ainsi, les services de garde, autrefois bien subventionnés, demandent maintenant une contribution accrue aux parents [14]. Le secteur privé est dynamique et propose des solutions innovantes, tels les Centres de ressources périnatales, qui offrent, outre des ateliers à thèmes, des services de répit à domicile. Mais là aussi, les subventions diminuent.

37 Citons, par exemple, Naissance-Renaissance-Estrie [15], qui est « né grâce à un groupe de mamans qui estimaient que les services de soutien en postnatal ne répondaient pas à leurs besoins. Chapeautées par le Centre de santé des femmes, elles ont créé un service bénévole de soutien à domicile ». Par la suite, ce service est devenu un Centre de ressources périnatales (crp). La mission d’un crp est de contribuer à la consolidation et au développement des services en périnatalité déjà existants sur un territoire [16]. Or, suite aux coupures budgétaires, le nombre de visites-répits a été fortement réduit. Quand on sait à quel point ces visites sont précieuses en termes de prévention de l’isolement et des difficultés maternelles, on peut craindre que ces « économies » ne préparent des catastrophes sociales.

Stop, ou… encore ?

38 Une fois ce temps de maternage terminé, qu’en disent les mères ? Stop, ou… encore ? Les avis sont bien sûr partagés : « Je trouve que c’est très bien quand on pense au côté soins à l’enfant et présence. Je trouve qu’il serait encore mieux qu’il [ce congé] soit allongé pour aider les familles encore davantage » (Pascale O.). « Il était temps que je retourne travailler. Parce que, comme je ne travaillais pas à l’extérieur, j’étais responsable de 100% des repas, courses, entretien de la maison et besoins du bébé 24 h/24... Je n’en pouvais plus ! » (Anouchka T.). « J’avais pris 12 mois pour mes jumeaux, mais ce n’était pas suffisant. Je trouve qu’on commence à peine à s’en sortir quand ils ont environ 2 ans. Pour ma fille, en 2014, j’ai même prolongé mon congé d’un an [sans solde, ndr]. Deux ans de pur bonheur à la maison, à ralentir le rythme » (Marie L.). « L’association des parents de jumeaux [17] a déjà déposé une pétition à l’Assemblée nationale pour avoir un congé parental allongé, mais ça n’a rien donné » (Karine F.).

39 Certaines femmes expriment leur ambivalence : à la fois la difficulté de se séparer, et le soulagement de se réaménager un espace personnel : « L’autre moment de transition difficile fut le temps de mon retour au travail avec, à la fois, le désir de retourner travailler et le déchirement de remettre mon bébé entre les mains d’une éducatrice en garderie. Après dix mois, on commençait enfin à naviguer plus facilement, bébé marchait à quatre pattes et commençait à jouer autour de moi pendant que je faisais autre chose. Un peu de confort et hop ! on passe à un tout autre rythme... Après deux mois d’apprivoisement, mon fils s’accommode de la garderie, et de mon côté, je sens que l’énorme stress de cette période de changement diminue tranquillement. J’aurais pu prendre encore du temps sans solde, mais je sentais en moi l’urgence de retrouver mon espace » (Pauline R.). 

40 Un autre témoignage pose d’ailleurs la question du soutien et du fait de pouvoir confier le bébé, même pendant le congé parental. « Quand je suis retournée au travail, j’ai eu la sensation de prendre des vacances. Pourtant je suis infirmière, mais, même avec l’étage qui déborde, cela me semblait moins stressant que mon imprévisible bébé chéri. Pouvoir le confier sans me sentir coupable et pouvoir faire quelque chose sans lui, quelle libération ! Après huit mois collés-serrés, j’avais hâte de respirer sans lui » (Inès B.).

41 Plusieurs jeunes mères m’ont parlé de leur gêne à demander de l’aide ou quelques heures de garde, puisque « je suis en congé et payée pour m’occuper de lui ». D’autres ont ressenti la désapprobation de leur entourage parce qu’elles plaçaient les aînés en garderie pour se consacrer au cadet : « Pas facile à vivre, le jugement des autres quand tu choisis d’envoyer quand même les grands à la garderie… Ce que je ne regrette aucunement, vu l’état de santé du petit dernier ! » (Marie-Ève D.).

Une société parents et enfants admis

42 En conclusion (provisoire), retenons deux points forts : tout d’abord, comparés à ceux des autres pays industrialisés, et à l’exception des pays d’Europe du Nord, les congés parentaux du Québec sont particulièrement généreux ; en outre, leur souplesse d’application permet une large palette d’arrangements.

43 Demeure cependant le souhait que le filet de sécurité social et sanitaire continue de se tisser entre secteurs public et privé.

44 Enfin, subsiste l’inquiétude que l’obsession des économies à court terme défasse ce que des années de réflexion et d’action avaient mis en chantier : une société parents et enfants admis.


Date de mise en ligne : 16/08/2017

https://doi.org/10.3917/spi.082.0118

Notes

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