1 Moi aussi, ça m’arrive que des gens m’énervent…

2 Précisons, là : c’est Ségolène Neuville, secrétaire d’État en charge des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, qui m’énerve. Le 21 avril dernier, à la mairie de Paris, lors du comité national Autisme qui avait pour objectif de faire le bilan d’étape du Plan Autisme 2013-2017, M^me Neuville a tenu à « apporter des précisions sur la pratique du packing ». Je la cite, in extenso : « Le sujet n’est pas tant de savoir si cette pratique fait polémique ou pas. Cette technique n’est pas recommandée par la has [2] et l’anesm [3]. Et en tant que responsable politique et dans les fonctions qui sont les miennes, mon rôle est de garantir la qualité des interventions auprès des enfants et adultes autistes, et donc la mise en œuvre des recommandations de bonne pratique produites par nos deux agences en charge de la qualité des soins et des interventions médico-sociales. Je veux rappeler que l’onu a estimé que le packing est un acte de maltraitance [4], et c’est aussi notre position. Cette pratique doit donc ne plus être utilisée dans les établissements. C’est pour cela que la circulaire adressée aux ars [5] dans les tout prochains jours indiquera clairement que la signature des contrats d’objectifs et de moyens des établissements médico-sociaux est strictement subordonnée au respect d’engagements de lutte contre la maltraitance, et donc à l’absence totale de pratique du packing [6] ».

3 Et histoire de joindre le geste à la parole, la circulaire en question, publiée le 3 mai et adressée pour exécution immédiate à toutes les ars, stipule que « la signature des Contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens [cpom] avec des gestionnaires d’établissements et services accueillant les personnes avec des troubles du spectre de l’autisme est strictement subordonnée au respect d’engagements de lutte contre la maltraitance, et donc à l’absence totale de pratique du « packing » au sein des établissements et services médico-sociaux couverts par le cpom […] cette pratique doit être considérée comme une mise en danger de la santé, de la sécurité et du bien-être moral et physique des personnes accompagnées par ces établissements, et doit donc faire l’objet des mesures appropriées et prévues dans le Code de l’action sociale et des familles (articles L. 331-5 et suivants) [7] ».

4 Quelle mouche a donc piqué M^me Neuville, qui décide d’interdire le packing des établissements médico-sociaux français et menace de « fermeture totale ou partielle, définitive ou provisoire, tout établissement n’ayant pas satisfait à l’injonction de l’État dans le délai escompté » ?

5 Le packing, le packing, le packing…

6 Mais quésaco, le packing ? Je ne vais pas vous refaire l’histoire des enveloppements humides, un truc vieux comme le monde ou presque, pratiqué depuis la haute Antiquité et qui mêle le thermalisme à la balnéothérapie, à l’hydrothérapie ou à la thalasso. Ces pratiques se sont aussi développées dans le champ médical puis psychiatrique, et les asiles du xvii^e et du xviii^e siècle s’en donnaient à cœur joie des douches froides, des enveloppements et des contentions forcés, dans des camisoles trempées – on comprend mieux pourquoi le packing souffre d’un sinistre imaginaire asilaire et convoque des fantasmes de pratiques d’un autre temps, honteuses, choquantes, violentes… Quelques esprits moins expéditifs inventaient cependant des pratiques moins brutales qui témoignaient de leurs qualités apaisantes ou tonifiantes, dynamisantes chez les patients, à la fin du xix^e siècle. Des maisons d’hydrothérapie et des bains thérapeutiques apparurent d’ailleurs en Europe, à cette époque, utilisant les bienfaits de l’eau, des bains et des « emmaillotements humides », à des fins thérapeutiques ou de bien-être. Tout cela a vécu son temps, sans grand chambardement, une proposition ou une technique très ancrées dans tout un imaginaire populaire et anthropologique à la fois hygiéniste, naturel mais aussi carrément ésotérique. Et puis, l’histoire de l’hydrothérapie a croisé celle du maternage, du holding, de la biologie même, et s’est refait une santé dans le champ de la psychiatrie voire de la psychiatrie institutionnelle et de la psychanalyse.

7 La polémique est née de la pratique du packing, réintroduite en France dans les années 1970 et réactualisée auprès d’enfants autistes ou souffrant de graves troubles du développement ou de la personnalité. Il s’agit d’envelopper dans des linges le plus souvent froids (tenus au réfrigérateur [8]) le corps entier et les membres de ces petits patients (ni tête ni visage), et de les réchauffer rapidement. Ce soin se déroule en présence de deux ou trois soignants, toujours à proximité de l’enfant, attentifs à ses demandes et utilisant ce temps du réchauffement pour retisser lien, échange langagier, travail sur les ressentis, les émotions, le schéma corporel… Il dure de quelques minutes à quelques dizaines de minutes (une heure au plus).

8 Bon, passons, l’essentiel n’est pas là, ni même dans ces quelques humbles rappels :

9 – le packing est une technique de soin non médicamenteuse et, à ce titre, ne peut être isolé de la prise en charge singulière et globale de l’enfant, élaborée dans et avec l’institution qui le reçoit, et avec ses parents ;

10 – il s’agit d’une pratique marginale utilisée dans quelques cas graves, des situations d’impasses thérapeutiques, des troubles majeurs du comportement (par exemple, automutilations, agitations ininterrompues, violences graves, cris et hurlements incessants) ;

11 – il est réalisé par quelques dizaines d’équipes en France, le plus souvent des équipes de pédopsychiatrie [9], qui ont été formées, longuement, minutieusement, à cette pratique, et qui sont supervisées régulièrement ;

12 – l’efficacité thérapeutique du packing a été prouvée mais, à ce jour, de façon empirique (les automutilations cessent, les enfants agités sont apaisés, leurs productions sonores diminuent) plutôt que physiologique (les effets du passage du froid au chaud, la sécrétion d’endorphine activée, l’hormone de la détente…).

13 L’essentiel est ailleurs :

14 – dans cette violence des vindictes et des accusations qui depuis quelques années ont salué le travail des promoteurs de cette technique, vilipendés, « assassinés » sur l’autel de la bonne conscience et de l’éthique ;

15 – dans cet élan parental presque unanime (mais entend-on ceux des parents qui disent comment et combien le packing a été un soin bienveillant pour leur enfant ?), combien d’associations de parents, de collectifs qui se sont saisis de cette pratique pour en faire le fer de lance d’une attaque (une de plus) contre la psychanalyse et son « obscurantisme », instituée comme instigateur de cette méthode de soin qualifiée de honteuse, maltraitante, éthiquement incorrecte, violente, un outrage à l’enfance, au soin, une torture infligée à un enfant, malade qui plus est…, et d’une promotion insistante de techniques éducatives [10] ou comportementales, telles les méthodes teacch [11], aba [12], pecs [13], makaton et autres, citées habituellement ;

16 – dans le travail de lobbying incessant (et redoutablement efficace, il faut le dire) auprès d’élus, d’instances officielles, gouvernementales, supranationales, pour dénoncer cette pratique et l’interdire.

17 Et au final, dans le choix de la secrétaire d’État, qui décide d’abonder dans le sens, radical, de ces voix qui crient à la curie contre le packing.

18 Le nom de Fouquier-Tinville est passé à la postérité, depuis la Révolution française, comme le type même de l’accusateur ou de l’intellectuel violemment inquisitoire, arbitraire, sans nuances et sans respect pour les droits de l’accusé. M^me Neuville se fouquier-tinvillerait-elle ?

19 Elle a surtout réussi à réveiller une discipline, celle des psys, générique improbable sous lequel se rangent nombre de pratiques et de théories, pas des plus prompts, les psys, à prendre part aux débats sociétaux et à s’engager, préférant souvent traiter dans la pénombre de leurs cabinets les souffrances de l’intime et les malaises singuliers de nos civilisations modernes. Mais là, point trop n’en faut, ils en ont un brin marre, les psys, d’être accusés d’avoir « confisqué » la prise en charge des patients, d’avoir présenté les médicaments et l’isolement dans des centres psychiatriques, des hôpitaux de jour, comme la seule « issue », d’avoir culpabilisé les parents, notamment les mères, marre qu’on leur répète à longueur de jour qu’ils sont les serfs et les suppôts mêmes d’une dite « psychanalyse », absconse et obscurantiste, marre qu’on leur assène que la seule façon de penser l’autisme, c’est de traiter ceux qui en sont atteints comme s’ils avaient un handicap, une maladie neurobiologique, un trouble du développement affectant les fonctions cérébrales, et surtout pas une affection psychologique ou une maladie psychiatrique.

20 Marre, marre, marre… que des communautés de parents revendiquent de savoir pertinemment ce qui est bon pour leurs enfants, dans un champ aussi complexe qui mêle tant de disciplines et d’ignorances scientifiques encore vives ; plus, qu’elles vomissent toutes les pratiques existantes, hors celles qu’elles reconnaissent et valorisent.

21 Pour rappel, l’aba a été rendue obligatoire au Québec en 2003, avec pour effet de monopoliser tous les budgets, pour des résultats à ce jour non démontrés ; elle pose de gros problèmes éthiques, se fonde sur des références scientifiques dépassées, et le niveau de preuve de son efficacité a été coté C, soit « d’insuffisant à bas » par le rapport Warren de l’Académie de pédiatrie américaine, en 2011. Et précisons qu’il n’existe à ce jour aucune étude documentée et scientifique sur les effets à long terme – positifs ou négatifs – de cette méthode. Ce que ses tenants reprochent vertement au… packing !

22 Mais au fait, une recherche menée dans le cadre d’un Programme hospitalier de recherche clinique (phrc) national [14], validée par des experts habilités et financée par le ministère de la Santé, portant sur l’efficacité du packing dans les troubles graves du comportement des enfants présentant des troubles envahissants du développement et des troubles du spectre autistique (ted/tsa), ne serait-elle pas en voie de publication d’ici l’été 2016 ?

23 Quel empressement, dès lors, Madame la secrétaire d’État, à publier cette circulaire ? Cette prise de position ne devrait pas être de nature à apaiser les confrontations qui existent, déjà si vives. Elle aura eu le mérite en tout cas de mobiliser et de fédérer équipes, sociétés et instances de psychiatrie – le fait est suffisamment rare pour être signalé –, qui viennent de publier un communiqué commun et une lettre ouverte au président de la République lui demandant d’intervenir pour qu’une discrimination ne s’installe pas en France, « imposant un modèle unique et interdisant des approches plurielles et soignantes lorsqu’elles sont nécessaires [15] ».

24 Et au fait, comment réagiront les pouvoirs publics si les résultats de la recherche sur le packing s’avéraient encourageants ?