Couverture de SPI_070

Article de revue

« C'est dans la cuisine qu'on en parle »

L'expérience d'un lieu d'accueil parents/enfants innovant

Pages 56 à 70

Notes

  • [1]
    Le lieu d’accueil Les Pâtes au Beurre se trouve à Nantes (44). Il est le seul concept en France qui propose l’accueil des familles sans limite d’âge pour les enfants. Une antenne existe à Carquefou (44). Une première association a adhéré à la Fédération ppsp, « Atout-familles Pâtes au Beurre », aux Mureaux, et ouvrira en septembre 2014.
  • [2]
    S. Freud, Inhibition, symptôme, angoisse, Paris, Puf, 2011.
  • [3]
    I. Nisand, J.-F. Mattei, Où va l’humanité ?, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2013.
  • [4]
    J.-P. Pierron, Où va la famille ?, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2014.
  • [5]
    S. Fraiberg, Fantômes dans la chambre d’enfants, Paris, Puf, coll. « Le fil rouge », 2012.
  • [6]
    Liste non exhaustive…
  • [7]
    D. N. Stern, Le monde interpersonnel du nourisson, Paris, Puf, 1985.
  • [8]
    F. Dolto, Les étapes majeures de l’enfance, Paris, Folio Essais, 1998.
  • [9]
    J.-P. Lebrun, Les couleurs de l’inceste : se déprendre du maternel, Paris, Denoël, 2013.
  • [10]
    C. Allione, La haine de la parole, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2013.
  • [11]
    S. Marinopoulos, Le corps bavard, Paris, Fayard, 2007.
  • [12]
    Otto Rank, en 1926, publie le Traumatisme de la naissance, où il se place du côté de l’enfant. Je propose avec le traumatisme de la naissance maternelle de se placer du côté de la mère.
  • [13]
    S. Marinopoulos, Le corps bavard, Paris, Fayard, 2007.
  • [14]
    L. Martin, psychologue, lors d’une réunion théorique aux Pâtes au Beurre en 2013.
  • [15]
    M. Fourment, psychologue, lors d’une réunion théorique aux Pâtes au Beurre en 2014.
  • [16]
    Écrit non publié, à des fins de réflexions théoriques, de M.-V. Riou et J. Le Gall, psychologues aux Pâtes au Beurre.

Sophie Marinopoulos

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Sophie Marinopoulos

1« Vous entrez dans la cuisine, vous ne prenez pas rendez-vous, vous ne donnez pas votre nom, vous pouvez venir avec ou sans votre enfant et ce quel que soit son âge, et deux professionnels psychologues et psychomotriciens seront là pour vous accueillir. »

2Les Pâtes au Beurre est un lieu d’accueil parents/enfants/adolescents créé en 1999 afin de répondre aux préoccupations des parents, à leurs questions, à leurs incompréhensions face aux manifestations de leurs enfants, mais aussi pour démêler des situations conflictuelles. L’accueil se fait dans une cuisine, pièce familière qui facilite les échanges. La présence de deux professionnels accueillants s’inscrit alors dans une approche préventive de la santé psychique que nous définissons comme la santé relationnelle et affective. Alors que depuis 1970, grâce aux Maisons vertes de Françoise Dolto, nous avions su être présents pour accompagner la nécessaire séparation mère/enfant garante de la socialisation de l’enfant, les questions plus larges sur les enjeux familiaux avec l’enfant, quel que soit son âge, n’avaient pas leurs lieux d’expression. Seules les consultations en centres médico-psychologiques et leurs listes d’attente interminables, leurs démarches administratives incontournables et sectorisées, pouvaient répondre aux préoccupations parentales quand l’équilibre psychologique était atteint en famille.

3Les Pâtes au Beurre, par son concept, a voulu répondre à un manque criant dans l’accueil des familles, en prenant en compte les 70 % des familles qui ont des enfants de plus de 4 ans. Quand on travaille dans la prévention, quand on a mis en place un lieu d’accueil parents/enfants en vue de soutenir les liens familiaux, on se pose la question centrale suivante : pourquoi tenir à la prévention ? Question d’autant plus cruciale dans une société de progrès et de modernité qui consacre moins de 5 % de son budget national à cette question.

4Nous nous proposons de lister quelques réponses non exhaustives afin de soutenir tous ceux qui se sont lancés dans ce travail délicat, peu reconnu par nos programmes de santé publics, tout particulièrement quand il s’agit de santé psychique.

51. Parce que nous devons collectivement relever un nouveau défi sanitaire en termes de santé, de santé mentale. Être en bonne santé ne se résume pas à avoir un « corps sain » mais « être sain de corps et d’esprit ». Cela revient à dire que le corps n’est pas seulement un organe, mais un corps traversé par l’expérience de l’autre – expérience précoce, féconde, porteuse d’expérimentations et de promesses.

62. Ce nouveau défi sanitaire renvoie au fait même de la naissance du petit homme : notre condition néotonique – terme qui vient du scientifique Louis Bolk pour qui l’homme naissant est un « néotène » – fait que le petit humain entre en contact avec le monde qui l’entoure, l’appréhende et l’interprète à partir de l’autre. Seul il n’est rien. Aucune autonomie, comme nous le rappelle D.W. Winnicott avec sa célèbre phrase « un bébé tout seul ça n’existe pas ». Donc l’image est forte : le petit Homo sapiens sapiens naît toujours prématuré, manquant de l’élémentaire. Le petit homme naît dépendant.

7Freud écrit en 1926 dans Inhibition, symptôme et angoisse que la première cause de névrose vient de l’état de détresse et de dépendance du petit homme, explicitement lié à sa néotonie : « Ce facteur biologique instaure les premières situations de danger et crée le besoin d’être aimé qui ne quittera plus l’être humain [2]. » On compenserait ainsi le néotonique par le névrotique [3]. Inachevé dans le monde, sujet en détresse, le petit homme a une insatiable demande de liens, besoins vitaux. C’est donc la rencontre avec un autre que soi qui va construire dans les liens précoces un Moi corporel-Moi sensoriel qui va permettre au petit homme de se sentir exister avant de se savoir en vie.

8Et la force de ce faible par nature va être d’imposer l’avènement de la culture humaine. Pendant que l’animal habite et épuise son intelligence dans l’instant, n’ayant ni passé ni avenir, l’homme, lui, pour survivre, compense sa faiblesse en habitant le temps. Il sait anticiper, il sait qu’il va mourir et son instrument, le langage, lui permet de ramener les choses absentes dans le présent, de se les re-présenter. Le langage met un signe, une image à la place d’une présence… Nous voyons là toute l’activité mentale du tout petit humain qui doit consentir à l’absence pendant que sa mère met fin à la jouissance qu’elle engage avec lui. Ainsi, l’éducation s’inscrit comme un lieu de transmission, transmission du trajet de l’humanisation qui va de la présence à l’absence. Parler permet de rendre présent ce qui est absent, inscrivant la capacité humaine à symboliser… Dolto associait d’ailleurs éduquer et humaniser. Notre tissu narratif est une seconde nature.

93. Il s’agit de prendre soin du lien, des liens que l’enfant tisse dès la naissance de façon non univoque, mais aussi avant celle-ci. L’attente de l’enfant, la grossesse est un temps à la fois historique, interprétatif, mutatif, maturatif. Mais les premiers liens dits d’amour sont avant tout des liens qui doivent être adaptés, confer la carence affective. Quand on fait de la prévention en santé mentale, c’est que l’on a pris la mesure de l’importance des premiers liens ; et l’importance des liens intimes que le sujet a créés et sur lesquels il appuiera sa vie relationnelle.

104. La question de la relation est au cœur de ce nouveau défi. La santé relationnelle est ce qui est en attente d’attention, de prévention et de soin. C’est le trait d’union entre la santé et la parentalité. La santé relationnelle est aujourd’hui la préoccupation majeure de tous les parents, et ce quels que soient le milieu familial et le vécu partagé. Ils ont une conscience aiguë que leur enfant est un être de relation. Le plus petit atome du social, est-ce l’individu ou la relation ?

115. Parce que la prévention permet de créer des espaces de résistance ou plus exactement de refusant. Des espaces où la parole est reconnue dans sa fonction prévenante et soignante, c’est-à-dire des mots qui nomment et aussi séparent. Bien entendu, il s’agit de prévention prévenante, alors que le mouvement général que nous craignons tous tend à nous entraîner vers une prévention sécuritaire, qui se situe de plus en plus sous le spectre des normes et du « dépistage précoce des troubles psychiques ».

126. La prévention en santé mentale, on y tient dans une société néolibérale qui nous entraîne vers un déficit de la parole et du récit. C’est donc une résistance à ce déficit. Nous sommes des lieux où nous reconnaissons le sujet, où nous accueillons son récit, sa vérité psychique et où nous savons que la famille, « il ne suffit pas d’y être pour en être [4] ». La dimension maturative, mutative, interprétative et narrative, apparaît pleinement dans ce lieu. Le cheminement de la reconnaissance est au cœur de notre travail.

137. Si la parentalité est un concept que les professionnels ont adopté communément, l’être parent est une expérience de vie singulière qui ne peut être appréhendée dans des protocoles, qui ne s’enferme pas dans des normes. La première peut facilement être mise en page et apparaître sous des tableaux, le second est un éternel brouillon insaisissable fait de récits variés qui prennent sens dans l’histoire de chacun. On devient parent dans une famille avec d’autres parents qui nous ont précédés. Les figures parentales archaïques sont convoquées et réactualisées par la rencontre avec le bébé, dans le dialogue intime qui s’instaure.

148. Nous tenons à la prévention qui vient mettre un point d’arrêt à l’efficience, la rentabilité, la rationalisation. L’ombre des nouvelles valeurs de notre société néolibérale, c’est l’isolement, la désolidarisation, et la famille est aux prises avec ce sentiment de solitude. Nous devons lutter contre cette déliaison qui est bien au-delà la question de la socialisation. Nous luttons contre un nouveau fléau sanitaire, la déshumanisation de l’homme, qui passe par cette déliaison laissant à penser que l’homme est un individu autonome autodéterminé, c’est-à-dire libre et possesseur de lui-même, qui n’est traversé par rien, ni ne dépend de personne. L’humain serait alors un être en pièces détachées, nié dans son cheminement psychique.

15Les lieux de parole sont donc des lieux de prévention, des lieux où le récit se déploie et s’anime, où la vie reprend ses droits. Ces lieux, aujourd’hui en danger du fait du peu de subventions publiques accordées, doivent être encouragés et soutenus collectivement pour que nos politiques de santé publique prennent la mesure des besoins de tout être humain dans ses différents parcours de vie. Hors les mots le petit homme ne peut pas grandir et se développer.

Les Pâtes au Beurre

Les origines

16Au départ, en tant que professionnelle travaillant en cmpp et camsp, j’étais préoccupée par nos listes d’attente qui laissaient les parents en attente de longs mois avant de pouvoir être accompagnés dans leurs préoccupations parentales. Nous sentions en équipe que nous n’étions pas suffisamment adaptés aux besoins des parents. Le désir de répondre autrement, de faciliter l’accessibilité, doublé de la volonté d’aider le public à mieux comprendre notre rôle de psychologue, est né. Nous pouvons parler d’éducation populaire sur ces questions de santé psychique.

17L’accessibilité s’est inspirée de Selma Fraiberg, qui a évoqué la psychothérapie dans la cuisine. Selma Fraiberg [5] est américaine, assistante sociale de formation, psychanalyste, elle a développé des techniques thérapeutiques mère/enfant. C’est une pionnière qui a d’emblée développé un centre universitaire afin de former les professionnels à son approche, prenant conscience de l’importance de la transmission. Dans ses psychothérapies mère/enfant, elle montre combien les expériences traumatiques de la propre enfance de la mère influent de façon considérable sur les relations de soin qu’elle instaure avec son enfant dès les premières semaines de vie. L’image maternelle de la mère, faite de représentations complexes, soulignant des conflits plus ou moins réglés, va prendre une place majeure dans le monde représentationnel de cette mère dans la relation à son enfant. Mais une grande accessibilité au monde intérieur de la mère favorise les soins psychiques et permet de reprendre avec les parents les interactions qui se sont instaurées.

18Ces formes d’intervention thérapeutique mère-enfant sont divisées en trois catégories :

  • l’intervention brève, en période de crise, présente une phase aiguë autour du bébé, la capacité du parent à répondre au soin rapidement sera fondamentale ;
  • le traitement de soutien, qui est une forme de guidance, offre un soutien émotionnel et renforce les capacités parentales dans des approches informatives, des discussions et des interprétations.
  • enfin, la psychothérapie nourrisson/parent est proposée quand le bébé représente aux yeux de ses parents des figures appartenant à leur passé, reliées à un moi parental nié ou refusé. Le traitement permet une double attention : une consacrée aux parents et leurs problématiques, et une sur l’enfant.

L’objectif de ce lieu

19La prévention en santé mentale, que nous nommons la santé psychique ou santé relationnelle, est au cœur de nos actions. Il s’agit de permettre à l’enfant et à son parent, quand c’est nécessaire et quand ils jugent qu’ils ont besoin d’être soutenus, de favoriser l’équilibre familial. L’originalité de notre approche repose sur l’accueil des dyades mère-enfant, des triades mère-père-enfant, des « pluriades », avec en plus les frère et sœur.

Le concept général

20– Accueil gratuit, anonyme et sans rendez-vous : support administratif à la prévention.

21– Accueil avec ou sans son enfant : met d’emblée le parent acteur de son lien à l’enfant, qui va faire le choix de s’exprimer en sans présence ou bien en dehors : il s’en explique d’ailleurs dès son arrivée et met ainsi au travail sa pensée propre. Ce dispositif permet aussi aux parents n’ayant pas la garde de leur enfant de venir évoquer leurs préoccupations.

22– Accueil sans limite d’âge pour mettre en évidence le continuum dans le lien à l’enfant : si les questions sont différentes la problématique est identique et la dynamique du groupe prendra appui sur la diversité des parents présents autour de la table de cuisine.

23– Un cadre constitué d’un lieu (une cuisine), d’un espace/temps (des créneaux d’ouverture fixes), de professionnels diplômés en psychologie, psychomotricité, venant en leur nom propre et sensibilisés à la psychanalyse, une équipe active qui questionne sans cesse sa pratique.

Quelques concepts de théoriciens inspirants [6]

Serge Lebovici (1915-2000)

24La transmission transgénérationnelle nomme tout le travail psychique dynamique du bébé qui peut incarner dans son corps ou dans son théâtre comportemental toute une série de conflits intrapsychiques de ses parents. L’enfant peut figurer dans ses multiples facettes communicantes, en les mettant en scène, les thématiques fantasmatiques exprimées par la problématique ou les discours parentaux.

Donald W. Winnicott (1896-1971)

25Avec D. W. Winnicott, nous découvrons cet état particulier, la « préoccupation maternelle primaire », qui se développe graduellement pour atteindre une sensibilité accrue pendant la grossesse, et qui se poursuit quelques semaines après la naissance de l’enfant. Cet état d’être doit favoriser une adaptation aux besoins de l’enfant qui rend la mère « suffisamment bonne » pour permettre au bébé d’avoir l’illusion que le sein de sa mère fait partie de lui. C’est ensuite qu’elle aura pour tâche de le désillusionner pour le rendre autonome et lui permettre d’accéder au « je ». Les qualités du holding (façon de porter l’enfant), du handling (façon de le manipuler) et de l’object presenting (manière de lui présenter l’objet et de le laisser l’utiliser) seront déterminantes pour le développement de l’enfant dans son accès à sa place de sujet.

26Le holding fait partie intégrante de notre approche clinique préventive et soutient la mise en place de notre concept de « scène interactive et relationnelle ».

Daniel N. Stern [7] (1934-2012)

27Nous retiendrons en particulier ce qu’il qualifie de « constellation maternelle », désignant l’organisation psychique que connaît la mère à la naissance de son bébé (état d’autant plus fort quand il s’agit d’un premier enfant). Si la mère est très aux prises avec cette organisation mentale, n’oublions pas que le père est lui-même dans une organisation psychique similaire qui le mobilise tout autant. Il se produit chez l’adulte face au bébé une certaine « correspondance », et l’objet de celle-ci, selon Stern, n’est pas le comportement en soi, mais plutôt l’aspect d’un état affectif interne. Cette observation portera notre pensée dans notre approche préventive pour faire la part entre la manifestation comportementale externe et le vécu interne affectif ainsi que ses ramifications fantasmatiques, dans le lien parent-enfant. Nous aurons alors pour référence le phénomène d’accordage affectif qui occupe une place essentielle dans la compréhension des mécanismes qui sous-tendent des questions cliniques telles que l’empathie, les interactions fantasmatiques, la réaction en miroir. Dans sa notion d’accordage affectif, Stern développe que le sentiment de soi du bébé, qui est reflété par les parents, sera formé par l’histoire passée et présente des accordages et des désaccordages. Stern rappelait aux mères, mais aussi aux pères, que pendant les premières années de la vie de leur bébé, ils se forgeront une identité maternelle et paternelle, mais auront également l’occasion de se réinventer en tant qu’individu. Il est évident que ce passage d’un état d’adulte et de conjoint à un état de parent est une métamorphose, exigeant des aménagements psychiques conduisant vers une sorte de re-naissance pour celui qui le vit.

Paul-Claude Racamier (1924-1996)

28Il a introduit le terme de maternalité pour désigner les processus maturatifs, psychoaffectifs qui se développent et s’intègrent chez la femme à l’occasion de sa maternité. Pour lui, ce processus est comparable à celui de l’adolescence par ces transformations (corporelles, sociales, pulsionnelles) avec la réactivation des remaniements des conflits infantiles oraux et œdipiens en particulier. La maternité est donc une sorte de crise d’identité et de la personnalité ; crise dans le sens d’une transformation majeure, maturative, qui reste aléatoire dans son issue mais qui devrait être susceptible de déboucher sur un nouvel équilibre. Ces remarques notent à quel point l’amour maternel est ambivalent.

Françoise Dolto (1908-1988)

29Elle fut de ces psychanalystes qui ont établi une approche du corps comme équivalent psychique. Elle a institué l’enfant comme être de langage, même quand son code symbolique paraissait indéchiffrable, et a su être à l’écoute de ce qui ne pouvait se dire avec les mots pour entrer en relation avec l’enfant en utilisant son langage du corps.

30– Image inconsciente du corps (iic) : pour Dolto, il s’agit de prendre en compte la dimension désirante du corps du petit homme inscrit dans le langage dès avant sa naissance, et où se donne toujours à entendre l’appel d’un sujet à la communication désirante. C’est sur ce socle que vient se développer la thématique de l’iic. Il s’agit de conceptualiser qu’il existe une mémoire inconsciente du vécu relationnel précoce qui se distingue du schéma corporel (commun, lui, à l’ensemble des individus). Le schéma corporel est le lieu des pulsions ; l’image inconsciente du corps est celui de leurs représentations.

31– Castration symboligène : « Dès qu’il y a un témoin humain, réel ou mémorisé, le schéma corporel, lieu de besoin qui constitue le corps dans sa vitalité organique, se croise à l’image du corps lieu du désir [8]. » La parole est l’organisateur qui permet le croisement du schéma corporel et de l’image du corps. L’iic doit être unie par la relation symbolique continue pour que le nourrisson puisse assumer de façon non morcelante les perceptions rencontrées.

32Les paroles parentales et les interdits qui les accompagnent conduisent au fur et à mesure à la symbolisation des objets de jouissance ; épreuves structurantes qui, tout au long de l’enfance, permettront les remaniements narcissiques qui contribueront à modeler l’iic et, avec elle, toute la personnalité de l’enfant.

33Ces épreuves, Dolto les dit « symboligènes » dans la mesure où elles ouvrent des possibilités de métaphorisation, de sublimation, de production symbolique. Le concept de castration symboligène rend compte de l’acte symbolique positif effectué par la parole. Et ce, dès la naissance. Premières castrations symboligènes donc grâce à l’acte de nomination qui les accompagne, et permet l’inscription du petit homme dans l’univers symbolique des humains.

Wilfred R. Bion (1897-1979)

34Les humains disposent d’un espace psychique interne dont la fonction est d’être un lieu de traitement, un sas, capable de recevoir les pulsions, les émotions, les fantasmes, mais aussi tout ce qui compose les agressions et de les rendre assimilables.

35Être capable de bien « digérer » ce qui vient de notre inconscient et aussi ce qui vient du monde dans lequel nous vivons, est en somme une bonne définition de l’équilibre personnel.

36Par conséquent, comprendre comment fonctionne ce « contenant psychique » est de toute première importance, puisque cette compréhension pourra nous servir si un soin est nécessaire.

37Bion a formalisé la théorie de la mise en place, dans la toute petite enfance, de ce contenant psychique qu’il appelle « l’appareil à penser ». Le psychisme du bébé n’est pas assez élaboré pour contenir et traiter les émotions et les sensations. Ainsi est-il submergé de vécus violents. Avoir faim, c’est comme être véritablement dévoré, avoir les entrailles arrachées, alors qu’être rassasié rapproche le bébé de la complétude et de l’apaisement.

38Ces « vivances émotionnelles » telles que les appelle Bion (sensations, émotions), n’ont pas de mots ni de représentations pour les formaliser. Elles traversent donc le bébé comme des vécus étranges, dénommés « éléments ? ». L’appareil à penser du bébé va se constituer progressivement en s’appuyant sur l’appareil psychique de sa mère et en l’intériorisant. Appareil à penser maternel qui interprète, donne du sens à ce qu’il reçoit et qu’il ne peut pas seul, interpréter.

39Ainsi la mère, pour soutenir l’enfant et lui permettre de se constituer un espace psychique fiable, doit pouvoir s’identifier aux vécus de son bébé, recevoir ces vécus, les traiter et les rendre à l’enfant sous une forme détoxiquée et assimilable. Pour Bion, ce travail psychique que fait la mère revient à transformer les éléments ? de l’enfant en « éléments ? », c’est-à-dire en vécus délimités par une forme, une image, grâce à sa « capacité de rêverie ».

Jean-Pierre Lebrun [9]

40L’auteur insiste sur l’importance du vécu par le bébé de l’absence. L’absence doit prévaloir sur la présence pour que la dialectique du langage se mette en place. Il y a nécessité pour l’enfant et la mère de se séparer (le retrait de la mère). Il parle de sevrage pour la mère et donc de la naissance, pour l’enfant, de son statut d’enfant phallique (enfant de l’autre et donc enfant du social). Ce n’est pas le père qui compte mais ce qui sera mis à l’œuvre pour rendre l’enfant parlant. Ce n’est pas la prévalence du père sur la mère mais la prévalence de ce qui va instaurer le langage, à savoir l’absence (le manque). Cela doit être au programme parental. « Avec » ou « sans » le père, il va bien falloir que la mère renonce à la toute-jouissance de l’enfant. Il y a donc là, à la fois, la loi de la famille (ce qui va se passer dans la famille) et la loi de la cité, qui oblige à un langage commun (il faut parler la langue de tous, c’est une contrainte, une autorité – l’enfant doit devenir un parmi d’autres [socialisation]).

41Il évoque la souffrance du petit homme dans ce passage obligé. Pour lui, il y a à la fois une crise de l’humanisation et un trajet à maintenir pour accompagner l’enfant dans son devenir.

Claude Allione [10]

42Le holding est un concept introduit par Winnicott. Il représente une des réactions « naturelles » à la sensation primordiale (en ce sens qu’elle est la première du sujet aérien) découlant pour le nourrisson de la découverte corporelle de la pesanteur. À cette découverte doit répondre une action maternelle appropriée, le holding. S’il n’existe pas (dépression maternelle), ou mal (angoisse, émotivité anxieuse), le bébé se trouvera confronté à l’impossibilité de se représenter le soutenant-maintenant-contenant indispensable pour lutter contre cette terreur interne – peur de tomber sans fin –, terreur qui réapparaîtra alors dans la construction psychique des sujets futurs. Il faudra alors les soigner par un holding thérapeutique approprié : les enfants qu’on a laissés tomber malencontreusement à des stades précoces peuvent quasiment être « guéris » de leurs débuts désastreux, grâce à des soins thérapeutiques assurés à des stades ultérieurs. Mais ce que Winnicott n’explore pas, c’est le point d’appui du holding. Porter est essentiel, mais porter suppose que l’on s’appuie, que l’on ne soit pas soi-même lâché dans le vide, faute de quoi ce serait la chute, non seulement du nourrisson mais de l’ensemble mère-nourrisson, c’est-à-dire, pour ce qui nous occupe, de l’ensemble soignant/soigné ; et ce serait ainsi la libération du fantasme de tomber. Il faut donc qu’à chaque élément de la chaîne des éléments du soin, corresponde un holding du holding, de nature à assurer un point d’appui stable pour chacun des intervenants de cette chaîne.

43L’hypothèse ici développée est que l’évaluation est destructrice des holdings du holding, parce que le chiffrage est déjà en soi une dérive ; il ne prédispose plus parce qu’il exclut l’indispensable mise en récit, vecteur essentiel de toute la fonction petit a de Bion.

Sophie Marinopoulos [11]

44J’introduisais mon texte sur le défi sanitaire qui a changé de corps, et donc qui a changé de lieu de naissance. Ce n’est plus en salle d’accouchement que la naissance va se jouer mais dans une cuisine – retour à l’accouchement à domicile –, dans un lieu où les mots vont donner corps à la vie et permettre aux corps de se séparer – à l’altérité de s’imposer. Hors la technique, hors les progrès, transformés en « accoucheurs du Sujet » (Otto Rank), nous tentons des accouchements qui ne pourront pas être sans douleur, où nous refusons les forceps, acceptant que le temps des corps soudés soit singulier, nous armant de patience, conscients toutefois qu’il va falloir parfois batailler… avec la mère ! Toutes les mères ne veulent pas accoucher. Elles y seront poussées par leur corps de chair qui, de gré ou de force, expulsera l’enfant. Et psychiquement ? « Se déprendre du maternel », dirait Jean-Pierre Lebrun, rappelant la nécessaire séparation non pas des corps (marquée par l’accouchement) mais des âmes. Chaque sevrage sera, telle une contraction que la mère va subir, serrant les dents et venant affronter courageusement l’inéluctable séparation. Nos nouvelles actions sanitaires se trouvent ainsi au cœur même de ce qui nous constitue. Parler, faire le récit, pas seulement pour relier mais aussi pour séparer, séparer les corps soudés, mettre un écart, du face-à-face, un regard qui autorise, encourage mais aussi impose la séparation. Pour permettre que l’accouchement se fasse, que chacun naisse à la vie psychique.

45J’évoque aussi comment ce que je nomme le traumatisme de la naissance maternelle [12] va devoir être reconnu pour que les professionnels accueillant des mères puissent entendre cette part maternelle souffrante. Le traumatisme de la naissance maternelle, c’est une perte, une séparation, une tragédie, qui la plonge dans un vécu conflictuel interne. Il s’agit de la naissance d’une ambivalence fondamentale dans la relation à l’enfant, de l’alternance plus ou moins chaotique des moments de fusion et des moments de séparation générateurs d’angoisse.

46C’est donc la conscience douloureuse, pour la mère, de la différence. C’est la prise de conscience de la vie de soi et de l’autre, tel un passage obligé (parfois aux forceps) des processus d’individuation successifs. C’est l’horrible constat que un et un ne font pas un, la terrible obligation de devoir renoncer à la symbiose, à cet hybride mèrenfant[13]. L’hybride est un Umwelt, une mère univers ensemble. Mère et enfant vivent ensemble tel un grand Tout.

Le dispositif, un support conceptuel

L’accueillant

47« L’accueillant n’est pas un consultant, mais c’est parce qu’il est un consultant qu’il peut être un accueillant. » On doit pouvoir avoir des hypothèses, des suppositions, des interrogations, c’est-à-dire un ensemble de préconceptions qui se construisent au fil des mots de celui qui vient se dire ; ce sont des « préconceptions fécondes » (Nasio) issues de sa formation. Toute la présence verbale, paraverbale et non verbale du parent passe à travers le filtre du savoir théorique et du savoir clinique de l’accueillant. C’est ainsi qu’il peut dégager très vite les grandes lignes de la problématique clinique de celui qui se présente. L’expérience et la disponibilité de l’écoute psychique sont au cœur du dispositif de prévention en santé mentale. L’accueillant est hors appartenance institutionnelle extérieure ; il est salarié de notre dispositif.

Le groupe

48Le groupe de parents est un outil intéressant pour la notion de « un parmi les autres ».

49« Tous les parents ont la même partie à jouer mais tous n’ont pas les mêmes cartes [14]. » Les subtilités sont différentes mais les préoccupations majeures sont les mêmes. Chaque singularité est entrouverte dans la prévention. « À quoi cela vous fait-il penser ? » est une phrase inductive qui ouvre et propose le dialogue fécond.

50« Le groupe sert à se réunir pour mieux transformer l’intime [15]. »

51Les arrivées incertaines parfois nombreuses interpellent sur « comment faire de la place » ; la question du partage qui se joue aussi en famille se met en pratique dans la cuisine. On relie le parent dans une communauté humaine parentale. Le groupe permet l’écart qui ne se fait pas toujours dans le face-à-face.

52Les parents se trouvent dans le contexte groupal à vivre à la fois la déception (pas de recette, pas d’accueillant supposé savoir, chute de l’idéal face à la réalité) et en même temps du soulagement. L’appareil psychique groupal est facilitateur et permet une désillusion plus rapide sur le supposé savoir qu’en consultation moins de risque d’aliénation avec un clinicien sachant.

Le lieu

53L’organisation architecturale du lieu d’accueil Les Pâtes au Beurre est un appartement comprenant des pièces distinctes, chacune permettant des mises en scènes relationnelles :

  • la cuisine comme le lieu du lien, y compris dans ses excès, ses violences, sa privation d’intime, ses distances, le soutenant-maintenant-contenant indispensable pour lutter contre cette terreur interne ; notre holding sur lequel le parent s’appuie pour lui-même permettre le holding de l’enfant ;
  • le couloir comme l’entre-deux, caché-coucou : voir, se faire voir/entendre et écouter ;
  • la pièce de jeux, qui permet de travailler la mise en image de l’enfant par le parent, et du parent par l’enfant.

54« L’accueil collectif est un contenant qui “oblige” puisqu’il permet aux parents et aux enfants de ne pas occuper toute la place [16]. » L’enfant est aussi invité à être « un parmi d’autres », tel que l’évoque J.-P. Lebrun. Le travail de liaison et de transformation par le professionnel favorise ainsi le mouvement de l’individuel au collectif.

Les outils conceptuels

55Notre travail s’appuie aussi sur des ancrages corporels, affectifs, fantasmatiques, interactifs, constitutifs de la relation parent-enfant plus ou moins à l’œuvre lors de ces séances collectives. La parole qui accompagne ces mouvements réels et inconscients se veut à la recherche du sens de ce qui se vit entre le parent et son enfant. Nous prendrons appui sur plusieurs outils conceptuels.

56Une écoute féconde qui prend appui sur un savoir théorique et un savoir clinique et se double d’une capacité verbale sobre. Les parents viennent car le lien à l’enfant est fragilisé ou malmené, ou attaqué, et qu’il va falloir donner du sens à ce qui se joue. Il y a une grande importance à comprendre les événements qui ont fait émerger le trouble. La première apparition de la difficulté doit être repérée, car nous savons que ce qui n’a pas trouvé de sens dans la tête des protagonistes d’une relation va revenir en acte.

57L’écoute observante de ces scènes interactives familiales permet d’associer la réalité objective des comportements à la subjectivité de la fantasmatique, que ces comportements sous-tendent ou sous-entendent. Notre attention se portera sur la façon dont se conjuguent les associations verbales parentales aux interactions comportementales, ponctuant et validant les énoncés. Les projections jouées, mises en scène corporellement et spatialement par l’enfant, sont directement en lien avec les contenus fantasmatiques énoncés dans le discours de la mère.

58La proxémie permet d’observer les distances comme signifiantes. L’utilisation de nos pièces de vie sont des équivalences aux mouvements psychiques : l’enfant qui a besoin de s’isoler, de s’éloigner, de se cacher, de se soustraire au regard de sa mère et même parfois à sa pensée envahissante. La notion de proxémie entre dans une sémiologie comportementale et situe le corps dans le désir (ou non-désir) d’être en relation. Le rapport à l’autre peut être proche, adhésif, distant, évitant, figé ou dynamique (dialectique), traduisant chez l’enfant des états émotionnels défensifs ou adaptés. Des comportements d’ouverture, d’autonomie ou de fermeture en lien à la fois avec l’immédiateté relationnelle réelle et la dimension fantasmatique. La proxémie structure la communication et permet à l’accueillant de saisir le périmètre de sécurité de l’enfant, les points de jonction possibles ou les ruptures. Il est intéressant de repérer comment le corps de l’enfant est rattaché à la mère, ou en mouvement, en réponse ou en lien avec le discours réel ou fantasmatique de la mère sur lui. L’enfant plus grand agit et met en scène préférentiellement son histoire, sur le mode expressif ludique.

59Ce que l’on ressent au moyen des vécus transférentiels et de nos propres mouvements identificatoires, nous renseigne sur les vécus internes et sur ce qui est en jeu dans l’interaction. Au niveau contre-transférentiel, ce qui est reçu, ressenti dans notre corps peut être compris comme équivalent de ce qui est éprouvé par le tout-petit, par l’élaboration du contre-transfert émotionnel. L’action de présence préventive peut permettre parfois un engagement vers un travail thérapeutique. Notre présence s’apparente à la fonction ? maternelle décrite par Bion dans la capacité à effectuer des liens, à penser, à transformer, à donner sens. Les vécus émotionnels du bébé (éléments ? de Bion) sont non seulement contenus et compris mais restitués à l’enfant chargés de sens.

60Comme nous l’enseigne Lebovici, l’empathie est la possibilité pour le thérapeute – pour l’accueillant – d’une identification dépassant la notion de contre-transfert. Ainsi, la réponse empathique implique la créativité du thérapeute et le travail de métaphorisation. Elle introduit également la dimension d’énaction qui est l’utilisation du contre-transfert, dans le sens où nous ressentons dans notre corps quelque chose de l’autre que nous restituons sous la forme d’un geste ou d’une cocréation.

61– Une reformulation de la situation à l’origine du questionnement, de l’inquiétude, de la crise : la clinique du détail, qui permet une mise en pensée par la remémoration. La clé est dans les détails. Pouvoir raconter permet de remettre de la pensée là où seule l’émotion demeure. Alors que la psychanalyse est une cure de parole par excellence, prendre appui sur un cadre psychanalytique dans un lieu de prévention qui n’est pas un lieu de cure, revient à nommer comment ce temps est avant tout un temps de présence : « être là ». Cette présence est celle d’une parole qui trouve ses racines dans la corporéité (gestes, postures), dans la sensorialité (vu, entendu, senti), dans les affects, et qui a pour vocation de se transformer en « parole pleine » à valeur interprétative.

62– Enfin, la cocréation des deux psychés des accueillants, attentives à ce qui se joue dans les liens exposés.

Quels parents dans la coconstruction préventive ?

63Des parents ordinaires, préoccupés par la tournure inquiétante, déroutante ou conflictuelle que prend leur relation avec leur enfant, qui questionne leurs compétences parentales.

64Des parents ordinaires empêchés dans leur autorité et qui en deviennent isolés, confrontés à des enfants tyrans tout-puissants, qui refusent systématiquement toute situation de frustration. Situation en miroir d’une société adulte qui ne supporte plus des situations de manque qu’elle tente de combler en permanence dans une surconsommation. Une société d’adultes pour qui la « castration », à savoir le renoncement – renoncer à ne pas tout avoir, tout vivre, tout expérimenter –, est devenue insupportable. Des enfants qui, face au mou parental, construisent du dur enfantin (cris, agressivité, toute-puissance, exigence).

65Des mères ordinaires épuisées, à la limite du burn-out, incapables de se dégager de leur enfant, vivant dans un « trop » avec lui. L’enfant aux prises avec le désir maternel jamais assouvi et « livré » à sa mère tente, par des manifestations somatiques ou comportementales, de tenir sa mère à distance. On est là face à des mères saturées (« société de saturation »), la saturation étant la négation du manque ; le déni du manque. Les mères épuisées saturées se saoulent du corps de l’enfant, refusent toute séparation, sidèrent tout processus de pensée, et cette saturation est vécue comme un automatisme pulsionnel qui les conduit à l’agir, c’est-à-dire qu’elles ne mettent pas fin à la jouissance qu’elles engagent avec l’enfant, elles ne sont pas dans la transmission du trajet d’humanisation ; le travail ne se fait pas, les mots n’adviennent pas et elles frappent. Pour Irène Diamantis, ces mères sont incestueuses, c’est-à-dire non séparées ; l’interdit n’est pas inscrit, donc pas de transgression ; absence d’altérité.

66Des parents en situation de crise, désemparés face aux comportements très anxiogènes pour eux de leurs préados et ados (fugues, décompensations graves, comportements de fuite, d’agression, de non-communication…). On retrouve des problématiques d’enfant qui ne supporte pas le manque, l’absence avec une hausse de dépression qui s’exprime par des addictions ; des jeunes qui ont du mal à avoir une identité dans le collectif – ils sont désaffiliés et hyperconnectés (polyaddiction, société de l’incestuelle, des non-séparés) –, ont du mal avec la contrainte, sans limite avec des confusions veille/sommeil ; la douleur qui prime sur la sexualité – la parole est désavouée et les médicaments vantés.

67Des parents dans des conflits de contre-identification parentale, ou dans des problématiques anciennes liées à une enfance douloureuse, qui sont dans l’incapacité d’entendre les besoins fondamentaux de leur enfant ou de se situer face à lui.

Conclusion

68Les Pâtes au Beurre ont fait le choix « d’être là », définissant ainsi le sens de la prévention : une disponibilité psychique dans un cadre pensé qui organise l’accueil de la parole. Les professionnels accueillants, spécialistes de la psyché, interprètent ce qui est confié par les parents, donnant ainsi du sens au non-sens de la situation conflictuelle décrite. Ainsi, il ne s’agit ni de conseils ni de recettes, mais bien d’un travail d’élaboration que le parent peut faire en prenant appui sur notre cadre, trouvant ainsi ses propres réponses à ses questions. Là est tout le sens de l’esprit de restauration – de transformation. Par ce holding du holding parental qu’offre l’équipe des Pâtes au Beurre, le parent est acteur de sa propre transformation, de son devenir de parent, de son équilibre familial. Par ce regard nouveau sur leur enfant et sur les liens qui les unissent, ils construisent leur destin familial, fortifient leur devenir avec leur enfant, participant ainsi à l’équilibre collectif du futur.

69La prévention, c’est penser aujourd’hui à demain.


Date de mise en ligne : 07/08/2014

https://doi.org/10.3917/spi.070.0056

Notes

  • [1]
    Le lieu d’accueil Les Pâtes au Beurre se trouve à Nantes (44). Il est le seul concept en France qui propose l’accueil des familles sans limite d’âge pour les enfants. Une antenne existe à Carquefou (44). Une première association a adhéré à la Fédération ppsp, « Atout-familles Pâtes au Beurre », aux Mureaux, et ouvrira en septembre 2014.
  • [2]
    S. Freud, Inhibition, symptôme, angoisse, Paris, Puf, 2011.
  • [3]
    I. Nisand, J.-F. Mattei, Où va l’humanité ?, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2013.
  • [4]
    J.-P. Pierron, Où va la famille ?, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2014.
  • [5]
    S. Fraiberg, Fantômes dans la chambre d’enfants, Paris, Puf, coll. « Le fil rouge », 2012.
  • [6]
    Liste non exhaustive…
  • [7]
    D. N. Stern, Le monde interpersonnel du nourisson, Paris, Puf, 1985.
  • [8]
    F. Dolto, Les étapes majeures de l’enfance, Paris, Folio Essais, 1998.
  • [9]
    J.-P. Lebrun, Les couleurs de l’inceste : se déprendre du maternel, Paris, Denoël, 2013.
  • [10]
    C. Allione, La haine de la parole, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2013.
  • [11]
    S. Marinopoulos, Le corps bavard, Paris, Fayard, 2007.
  • [12]
    Otto Rank, en 1926, publie le Traumatisme de la naissance, où il se place du côté de l’enfant. Je propose avec le traumatisme de la naissance maternelle de se placer du côté de la mère.
  • [13]
    S. Marinopoulos, Le corps bavard, Paris, Fayard, 2007.
  • [14]
    L. Martin, psychologue, lors d’une réunion théorique aux Pâtes au Beurre en 2013.
  • [15]
    M. Fourment, psychologue, lors d’une réunion théorique aux Pâtes au Beurre en 2014.
  • [16]
    Écrit non publié, à des fins de réflexions théoriques, de M.-V. Riou et J. Le Gall, psychologues aux Pâtes au Beurre.

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