Couverture de SPI_067

Article de revue

Et pourquoi pas dans les parloirs ?

Pages 114 à 117

Notes

  • [1]
    M. Petit, Éloge de la lecture. La construction de soi, Paris, Belin, 2002.
  • [2]
    Ibid.

1C’est dans le cadre de leurs actions lectures avec les familles que les lectrices de l’association « 3 petits tours... », munies de leurs paniers de livres, poussent chaque semaine les portes du centre pénitentiaire de Perpignan. Avant d’être accueillies dans les parloirs femmes, elles accompagnent les familles des détenues dans chacune des étapes qui les amènent à vivre ce temps des retrouvailles.

2La première rencontre avec ces visiteurs se fait dans la salle d’attente extérieure du milieu carcéral, un lieu de passage, de croisement des familles qui, pour certaines, sortent d’une visite et pour d’autres l’attendent. Dans ce lieu carcéral, non pensé pour l’accueil du jeune enfant, les lectrices aménagent un espace de lecture coloré, tout comme elles le feraient dans les salles d’attente des consultations de nourrissons avec un tapis, des coussins et des paniers de livres, invitant adultes et enfants à découvrir des albums de jeunesse, écouter des histoires, lire, rêver, se rencontrer autour de la littérature…

3Et c’est ainsi qu’au son des lectures à haute voix, l’espace terne et froid s’anime et que s’établit une première approche avec les adultes et les enfants : un temps essentiel à la poursuite du projet.

Des lectures en milieu carcéral, ce n’est pas banal

4Quand l’heure de l’entrée dans la prison est venue, les lectrices suivent les quelques familles appelées pour la visite en parloir. Après les démarches administratives, après les nombreuses portes passées et avant le temps des retrouvailles, les familles transitent dans une seconde salle d’attente, très petite cette fois. On y entre silencieusement… Impatience, inquiétude, angoisse habitent ce lieu.

5Pas de tapis, pas de coussin, mais toujours des livres et les mêmes lectrices qui vont et viennent auprès des enfants et des adultes. Une drôle de configuration tout de même qui fait se côtoyer l’intime et le collectif. Des lectures y résonnent et c’est tout le monde qui en profite… Il n’est pas rare de voir alors des regards se poser sur les livres lus à haute voix, des sourires sur les visages qui font écho à l’humour présent dans la littérature de jeunesse, et quand les comptines s’animent, faisant renaître chez certains des souvenirs d’enfance, c’est un enchantement ! Et si les histoires avaient le pouvoir de nous emporter dans un autre univers ? de nous faire oublier le temps ?

6Ces moments de rencontre, dans les deux salles d’attente, sont d’une réelle importance car c’est dans ces instants que se tissent les liens de confiance entre les familles et les lectrices, une des clefs de l’entrée des lectures en parloir.

Des lectrices dans les parloirs, est-ce illusoire ?

7Lorsque l’idée de faire entrer des lectrices dans les parloirs a été émise, la majorité des surveillants qui accompagnent les familles et les détenues dans ce moment ont pensé « que les familles ne [nous] autoriseraient pas à entrer dans leur intimité, le temps court des retrouvailles étant si précieux qu’un intrus n’y aurait pas sa place ».

8La lectrice est peut-être vécue comme une intruse, mais les albums qu’elle apporte ne le sont pas. Michèle Petit écrit : « La lecture relance une activité de symbolisation et sans doute est-ce là l’essentiel. Un texte peut être l’occasion de renouveler, de recomposer les représentations que l’on a de sa propre histoire, de son monde intérieur, de son lien au monde extérieur [1]. » N’est-ce pas parce que les albums nous donnent tout cela à la fois que les portes se sont peu à peu ouvertes, offrant aux détenues privées de liberté ce lien entre l’intérieur et l’extérieur ?

9C’est sur le temps de visite des parloirs femmes que les lectrices proposent ces rencontres autour du livre, privilégiant leur venue auprès des enfants qui rendent visite à leur maman incarcérée. La lectrice est accueillie dans le parloir avec l’accord de la détenue et de ses proches. C’est dans une posture bienveillante qu’elle s’installe, soucieuse de la place à laisser à la famille. Elle se fait présente et petite à la fois, les livres et les trésors qu’ils contiennent sont au cœur de cet espace et de ce temps partagés avec la famille. Ensemble, on découvre des albums, des histoires, on vit des émotions, dans l’exiguïté de cette pièce de 2 mètres carrés. Certes, il arrive parfois que la lectrice se sente mal à l’aise dans cette proximité, elle doit alors savoir s’échapper au bon moment.

Des mamans, des enfants, des familles, des livres…

10Proposer des lectures dans les parloirs va bien au-delà de la volonté d’offrir à l’enfant et à ses proches la découverte du livre de jeunesse. L’album peut être à la fois objet culturel, objet d’éveil, objet de relation, objet de plaisir partagé, objet de construction, objet transitionnel… Et quand le livre fait lien, qu’il devient support d’une union possible qui ne demande qu’à se construire, qu’il est à l’origine d’une expérience commune à la fois intime, littéraire, familiale, parentale…, c’est un émerveillement !

11J’ai le souvenir de cette maman qui propose à son fils de 2 ans la lecture d’un album qu’elle a choisi ; l’enfant l’ignore, prend d’autres livres et va vers son père. La maman me dit alors : « Mon enfant, il ne me connaît pas, c’est pour ça qu’il ne vient pas vers moi et qu’il va toujours avec son père, c’est lui qui l’élève. » Cette confidence fait naître une certaine émotion… Je propose alors à la maman de lui lire Beaucoup de beaux bébés, album réunissant des photos de bébés dans des situations et postures de vie quotidienne. La maman accepte, elle est attentive à cette lecture, Dans le même temps, le papa lit à l’enfant qui va et vient du regard d’un livre à l’autre. À la fin de l’histoire, la mère me confie avec tristesse qu’elle n’a pas vu grandir son fils, tout en reprenant le livre lu pour le commenter avec jubilation à son mari et à son fils. Ils s’y attardent ensemble, la mère prenant la lecture en main, projetant son fils dans chacune des photos qu’elle interprète. Lors des visites suivantes, la maman me redemandera ce livre autour duquel la famille s’installera à nouveau.

12N’est-il pas probable que cet album soit également venu nourrir un temps que la mère n’avait pas vécu avec son enfant ? Cette rencontre autour du livre n’a-t-elle pas permis à cette mère d’être maman ? N’a-t-elle pas valorisé ses compétences maternelles alors que les liens semblaient être fragilisés ?

13Au-delà de la relation qui s’est construite autour du livre, j’ose penser que ces temps de plaisirs partagés vont nourrir les familles et s’inscrire dans les mémoires, les aidant peut-être à vivre l’épreuve de la séparation.

14Ces enfants qui s’accrochent au livre qu’ils ont partagé avec leur maman, qu’ils font leur jusqu’à la sortie du parloir et le départ de la prison, nourrissent l’idée que le livre s’inscrit dans une relation privilégiée et de confiance, rassure tel un objet transitionnel.

15C’est probablement parce que les lectures ouvrent un autre univers que les familles, que l’on retrouve chaque semaine pendant quelques mois, nous disent le bonheur de voir entrer les livres dans les parloirs. Des livres qui viennent habiter un temps et un espace. « La lecture ouvre un autre univers où l’on se sent suffisamment paisible, protégé pour avoir l’esprit ailleurs […] à l’écart du quotidien, là où la rêverie a libre cours et permet d’imaginer d’autres possibles [2]. » Les lectures viendraient-elles faire oublier l’appréhension de la séparation à venir qui plane sur le temps des retrouvailles ?

16La littérature de jeunesse nous invite à une liberté de penser, c’est une fenêtre ouverte sur le monde, une invitation à voyager, à l’évasion… Le livre serait-il donc un moyen de s’échapper ? Et s’échapper, en milieu carcéral, n’est-ce pas transgresser la punition ?

Bibliographie

Bibliographie

  • Beaucoup de beaux bébés, D. Ellwand, Paris, Pastel/L’école des loisirs, 2009.

Notes

  • [1]
    M. Petit, Éloge de la lecture. La construction de soi, Paris, Belin, 2002.
  • [2]
    Ibid.
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