Notes
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[1]
G. Tarde, Philosophie pénale (1890), Paris, éd. Cujas, 1972, p. 496.
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[2]
A. Garapon, F. Gros, T. Pech, Et ce sera justice, punir en démocratie, Paris, Odile Jacob, 2001.
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[3]
B. Guillarme, Penser la peine, Paris, puf, coll. « Questions d’éthique », 2003.
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[4]
Ibid., p. 105.
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[5]
Aristote, Éthique à Nicomaque, Livre V, chap. 14.
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[6]
É. Borne, Le problème du mal, Paris, puf, 1958, p. 19.
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[7]
Ibid., p. 21.
« Il y a dans la justice moderne et chez ceux qui la distribuent une honte à punir, qui n’exclut pas toujours le zèle ; elle croît sans cesse : sur cette blessure, le psychologue pullule, et le petit fonctionnaire de l’orthopédie morale. »
1Nous associons souvent ces deux termes de justice et de punition, au point de réduire l’action de la justice aux procédures de décision permettant de déterminer une punition. Rendre justice, c’est d’abord et avant tout punir, c’est-à-dire répondre à une injustice par une souffrance dont on attend qu’elle répare, voire efface l’injustice et restaure ainsi la justice. La représentation classique de la Justice ne la symbolise-t-elle pas par deux attributs nettement reconnaissables : la balance et le glaive ? Si la balance symbolise immédiatement à nos yeux l’idée d’égalité à travers l’image de l’équilibre, le glaive, lui, symbolise la force dont fait preuve l’institution judiciaire quand elle punit et châtie. Du moins le pense-t-on.
2Nous aimerions interroger cette évidence de la punition, et cette réduction de la justice à ses formes punitives. Ce lien entre la justice et la punition semble aller de soi. Mais pourquoi et comment avons-nous associé ces deux idées ? Pourquoi vivons-nous avec l’idée qu’il est juste de punir celui qui a commis une injustice ? Si nous sommes si prompts à punir, c’est peut-être parce que nous en attendons la justice. Mais pourquoi pensons-nous que la punition soit un moyen et même un bon moyen, ou le seul moyen, de rétablir cette justice ? Je vois trois raisons d’en douter et de remettre en cause ce lien entre justice et punition :
3- Tout d’abord, la question de la punition ne se réduit pas au seul champ de l’institution judiciaire. Bien souvent, les réflexions sur la punition se réduisent à l’examen critique de l’institution judiciaire elle-même, rabattant et superposant la question de la punition à celle de la peine. Or, il nous semble que le fait de la punition ne se réduit pas à sa seule dimension institutionnelle. Certes, celle-ci est importante. Mais si la punition doit être un objet de réflexion et d’interrogation, c’est aussi parce que sa réalité déborde très largement le cadre des tribunaux et des prisons d’État. Il nous arrive de punir nos enfants, sans autre forme de procès et sans nous référer à un corps constitué de lois. Les équipes pédagogiques et éducatives sont elles aussi confrontées à la question de la punition et doivent parfois prendre des décisions qui sont des punitions. Il nous arrive de devoir punir sans être préparé à cela. La question de la punition n’est pas réservée aux seuls métiers de la justice. Et la question de la justice ne se limite pas à un ensemble de métiers auxquels nous aurions délégué la délicate mission de mettre en œuvre cette justice, sans avoir à nous en préoccuper.
4- Par ailleurs, s’il nous semble parfois évident qu’il faut punir, il est toutefois difficile de déterminer clairement quelle doit être la punition la plus juste. Si le principe de la punition nous semble évident et incontournable, il reste difficile d’avoir les idées claires et précises sur ce que serait une punition juste. Il est, en revanche, facile d’imaginer ce que serait une punition injuste : une punition cruelle, qui ferait souffrir inutilement. Mais il est mal aisé de trouver des exemples simples de punitions injustes. Est-ce une punition équitable qui inflige au coupable la même souffrance que la victime, selon l’idée que la justice suppose l’égalité ? Est-ce une punition efficace qui rend impossible la récidive ? Est-ce une punition qui satisfasse la victime et la soulage de sa souffrance ? Est-ce une punition qui permette la prise de conscience du mal commis, et qui dans ce cas serait dans l’intérêt même de la personne que l’on punit ? Toutes ces possibilités de punition ne se recouvrent pas tout à fait. Et il est même fort probable que tous ces buts ne puissent être atteints en même temps. Il nous faudra donc choisir parfois entre plusieurs possibilités. Mais selon quelle hiérarchie de critères ? Aujourd’hui, dans nos sociétés démocratiques, la privation de liberté semble s’être imposée comme la forme de punition la plus juste. Certes, la privation de liberté n’a pas la cruauté des supplices. Elle permet d’adapter la punition à chaque crime puisque sa durée peut être plus ou moins longue. On pense souvent qu’elle correspond à une humanisation des peines. Néanmoins, il convient de se demander comment s’est forgée dans notre esprit l’idée que priver quelqu’un de sa liberté pouvait être une forme de punition, et même de punition juste ? Ainsi que le montre Michel Foucault dans son livre Surveiller et punir, cette idée est relativement récente dans l’histoire, et qui ne va pas de soi. Déjà, en 1890, lorsque le sociologue Gabriel Tarde publia sa Philosophie pénale, il insista sur la nécessité de réformer les peines parce que le caractère irrationnel et aléatoire de la sanction pénale était devenu évident. En effet, Gabriel Tarde soulignait que la nature de cette dernière n’était pas déterminée par son caractère juste ou humain mais par la nature des biens les plus appréciés par une société donnée, à un moment donné : « À chaque époque, à notre siècle comme aux siècles passés, un genre de pénalité s’impose au législateur et il est à remarquer que la nature de cette peine dominante est toujours en rapport avec la nature des biens les plus appréciés. Aux âges religieux, où il n’est pas de richesse comparable à la faveur divine, l’excommunication est la peine majeure [1]. » Si la privation de liberté nous semble une peine juste, c’est avant tout parce que, pour nous, depuis la Révolution, la liberté est devenue une valeur dominante. La privation de liberté n’est pas en soi une punition juste. C’est une punition juste pour nous qui faisons de la liberté une valeur. Punir, c’est toujours porter atteinte à une valeur, à ce qui a de l’importance à nos yeux.
5- Et c’est là un dernier point de problématisation sur lequel on passe parfois trop vite. Punir, c’est faire souffrir. C’est priver quelqu’un de ce à quoi il tient. Une punition qui serait agréable ne serait pas vraiment vécue comme une punition. Mais cette souffrance intrinsèque à la punition pose problème. Elle ne saurait à elle seule résumer tout le sens de la punition. Pour expliquer ce point, il nous faut proposer une distinction conceptuelle entre la punition, la sanction et le supplice. Posons que la sanction n’est autre que la mise en œuvre des conséquences d’un acte telles qu’elles sont définies par une règle ou un ensemble de règles. Dans le célèbre jeu du Monopoly, les joueurs peuvent tomber sur une case qui les envoie en prison. Ils doivent alors déplacer leur pion jusqu’à la case « prison » et attendre de pouvoir en sortir. Personne ne vit cela comme une punition véritable, même si c’est parfois désagréable de voir les autres joueurs prendre l’avantage. Mais à aucun moment on ne demande au joueur de penser qu’il a mal agi, qu’il a commis une faute et qu’il doit maintenant réparer cette injustice. C’est une suite de conséquences qui échappe à sa responsabilité, après acceptation des règles. Telle serait la sanction. Aucune idée de souffrance ne lui est intrinsèquement liée, ni aucun sens des responsabilités. À l’inverse, le supplice n’est que souffrance. Il est la mise en place d’une situation de souffrance. Et si elle nous semble injuste ou cruelle, ce n’est pas en premier lieu que la souffrance du supplice soit excessive. Ce qui nous scandalise d’abord, c’est que cette souffrance semble tout à fait arbitraire, dans sa forme, sa durée ou sa finalité. C’est une souffrance sans raison. La punition est entre ces deux extrêmes : entre l’absence de souffrance de la sanction qui déresponsabilise et la souffrance arbitraire qui bascule dans l’injustice. Il y a donc, dans la punition, de la souffrance mais aussi, toujours, en même temps et de manière absolument nécessaire, quelque chose d’autre. Mais quoi ? À défaut de pouvoir le préciser, il y a de fortes chances pour que la punition que nous infligeons soit confondue soit avec une simple sanction, soit avec un supplice injuste.
6La punition est donc juste dans la mesure où c’est une souffrance qui sert à quelque chose. Nous ne savons pas vraiment quoi. On peut bien sûr proposer plusieurs réponses. Mais finalement, sommes-nous bien certains que cette souffrance serve effectivement à quelque chose ? Et cette chose a-t-elle quoi que ce soit à voir avec la justice ? L’hypothèse que nous souhaitons mettre à l’épreuve maintenant est la suivante : il n’y a pas de punition juste. Il ne s’agit là que d’une hypothèse, mais qui permet de questionner l’évidence de la punition, aussi bien dans son principe (il faut répondre à l’injustice par la punition) que dans ses formes particulières d’application.
Expliquer la punition, c’est justifier la punition
7Tout d’abord, remarquons que les études qui interrogent la question de la punition juste déplacent souvent leur questionnement. En analysant les différentes théories de la punition, on en vient souvent à justifier la punition, le droit de punir.
8Deux ouvrages parus dans la dernière décennie proposent une présentation claire et précise des différentes théories de la peine : Et ce sera justice, punir en démocratie [2] et Penser la peine [3]. Ils présentent tous deux l’avantage de discuter chacune de ces théories et d’en souligner les limites. Toutefois, leur étude de la punition s’en tient au cadre strict de l’institution judiciaire, sans vraiment questionner le sens de la punition hors de ce cadre. En outre, l’ensemble de ces auteurs choisissent une réponse à la question de la justification de la peine qui nous laisse insatisfait.
9La première partie de l’ouvrage Et ce sera justice a été rédigée par Frédéric Gros, professeur de philosophie. Il présente les grandes théories classiques de la peine, comme rappel de la loi, comme défense de la société, comme éducation de l’individu. Il en ajoute une quatrième : punir, c’est permettre à une victime de faire son deuil. Laquelle faut-il privilégier ? Aucune, selon Frédéric Gros. Il convient bien plutôt de passer de l’une à l’autre pour toujours donner plusieurs sens à la peine. Frédéric Gros voit dans ce mouvement dialectique un moyen d’éviter à la fois le terrorisme et le relativisme : « Il n’y a pas un sens vrai de la peine. La vérité n’est pas dans un discours, elle est dans le mouvement qui nous fait passer d’un discours à un autre. La vérité comme cheminement, c’est le contraire du relativisme. »
10Avec cette conception de la vérité comme cheminement, la question n’est plus : a-t-on raison de punir ? Elle se transforme et devient : quelles raisons a-t-on de punir ? Ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Plus précisément, on passe de la question du fondement de la punition à celle de sa justification.
11Dans la suite de l’ouvrage, la dernière partie rédigée par Antoine Garapon revient bien à la question de la punition juste. Il propose l’idée qu’une peine juste serait une peine qui permet au criminel de se reconstruire. Mais cette reconstruction passe par le fait de comprendre la peine, et donc de lui donner un sens. À ce titre, les difficultés de la première partie valent, nous semble-t-il, aussi pour la suite de l’ouvrage.
12Bertrand Guillarme, au terme de son étude, propose une solution complexe qui est un montage ou une conciliation des deux grandes options théoriques qu’il a examinées. S’inspirant de Kant, il propose une justification de la peine et de la punition à la fois déontologique et conséquentialiste. La punition doit s’appuyer sur un principe qui donne le droit de punir (déontologie). Mais au moment de déterminer la forme concrète de la punition, il faut adopter une approche conséquentialiste, c’est-à-dire qui prenne en compte les conséquences supposées et les circonstances particulières. Mais alors, qu’est-ce qui justifie ce principe qui donne le droit de punir ? Selon Guillarme, la punition se justifie par son efficacité. Elle rend possible la coopération entre citoyens.
13La menace de la punition permet de créer une situation de confiance entre les sujets :
« Le problème particulier qu’il s’agit de résoudre est celui de la confiance […]. C’est le rôle que joue le système pénal : la simple existence d’un État efficace, ou même la croyance générale en son efficacité, produit l’assurance que les limites que les partenaires rationnels s’imposent volontairement sera effectivement payée de réciprocité par les autres [4]. »
15Comme le montre cette dernière phrase, il semble qu’il y ait un glissement de sens du terme « confiance » au terme « assurance ». Le principe de la punition rassure. Ce n’est pas exactement la même chose que de créer un climat de confiance entre les acteurs de la vie sociale.
16Ces deux ouvrages tentent de proposer une solution à plusieurs facettes, conciliant des points de vue différents. Nous aimerions pour notre part proposer non pas une nouvelle manière de concilier ces points de vue, mais un autre point de vue que nous ne trouvons pas dans ces recensions. Ce déplacement de la question de la punition, en la faisant sortir de son cadre strictement juridique, a pour premier objectif de donner à penser, de faire réfléchir. Pourquoi croire qu’une punition puisse être juste ?
Une théorie de la punition juste
17La première réponse à cette question serait de trouver, dans la définition même de la notion de justice, l’idée de punition, comme un moment nécessaire ou un aspect essentiel de cette justice. Il y aurait ainsi un lien intrinsèque et nécessaire entre justice et punition.
18Nous trouvons une telle théorie dans la philosophie de Hegel, dans les Principes de philosophie du droit. Hegel part d’une critique de Kant. Kant avait écrit dans sa Doctrine du droit que la faculté de contraindre est liée avec tout droit au sens strict - jus strictum. Mais Kant avait écrit cela dans l’introduction de son ouvrage. Il avait posé cette idée que la punition est nécessaire à la justice sans la démontrer. Hegel entreprend donc de corriger cette faiblesse de l’argumentation kantienne en faisant de la contrainte, de la peine et de la punition, un moment nécessaire et essentiel de réalisation du droit.
19Le crime et la faute sont des formes de négation du droit. Comme ce sont des négations du droit, on ne rétablit le droit qu’en niant ce qui le nie, en niant la négation elle-même. Ainsi, le crime est une contrainte. Le crime appelle donc une contrainte contre lui, une contrainte juste car seconde, répondant à une contrainte première. Remarquable argumentation de Hegel qui justifie la punition en en faisant un moment essentiel de la réalisation de la justice, moment essentiel au cours duquel ce droit compris de manière abstraite et vide devient tout à coup concret et effectif. On ne peut pas penser la justice sans penser aussi la punition et la peine, puisque celle-ci est un point de passage incontournable du développement du droit.
20Mais alors, toute punition devient juste. Il n’y a plus de distinction possible entre la punition juste et la punition injuste. Conscient de ce problème, Hegel ramène la question de la punition à la loi du talion. Ce qui compte, c’est l’équivalence ou l’égalité entre le crime et la punition. Mais cette égalité est une égalité suivant la valeur. Nous ne serons jamais certains de parvenir à une parfaite équivalence, sauf dans un cas. Il n’y a qu’une punition qui soit juste, parce que nous parvenons à une équivalence sans équivoque : lorsque le criminel a porté atteinte à la vie elle-même. Dans ce cas, il est possible et même facile de trouver une équivalence de valeur en le privant de sa vie. Hegel justifie ainsi la peine de mort (add. §101) presque comme la seule peine sans équivoque. Par ailleurs, cette stricte équivalence ne permet pas de différencier la peine de la vengeance. Hegel propose alors de les distinguer de la façon suivante : la vengeance est encore le fruit d’une conscience qui pense d’un point de vue particulier. Elle vise à satisfaire un intérêt subjectif. On ne sort donc de la vengeance qu’en s’élevant à un point de vue universel, c’est-à-dire au point de vue de la moralité. C’est l’universalité de la loi morale qui va en quelque sorte moraliser la peine. Hegel va même plus loin, la morale est née, issue, de ce mouvement même par lequel la justice se pose la question de la punition juste. Une punition juste est celle qui aspire à se libérer des intérêts particuliers pour viser l’universel. La morale est née de la distinction entre vengeance et justice.
21C’est là une théorie très cohérente, qui accorde une place centrale à la punition dans la réalisation de la justice. La punition est nécessaire car elle corrige le crime. Elle est négation de la négation. Mais cela suppose bien sûr que le crime soit lui-même nécessaire. Pour Hegel, ce moment de négation est essentiel au développement de l’idée même de droit. Sans sa négation, le crime, et sans la négation de la négation, la punition, le droit, la loi ou la règle, restent des idées abstraites, non réalisées. C’est donc par l’intermédiaire de ce concept de crime que punition et justice se trouvent liées.
22Nous retrouvons la même relation dialectique dans le cadre éducatif, entre la règle et sa transgression. La punition est ce qui attend celui qui transgresse la règle posée. Elle donne son poids à l’interdit, avec l’idée que la peur de la punition entraînera le respect de la règle ou de l’interdiction. Pourtant, la transgression de la règle ou de l’interdit n’est en aucun cas une contestation de l’interdit. Elle en est la consécration, ou la mise à l’épreuve. De telle sorte qu’en un sens, on peut parler d’une complémentarité de l’interdit et de sa transgression. Ce n’est qu’au moment de sa transgression que l’interdit se vérifie comme tel. Si j’interdis à un enfant de faire quelque chose ou de toucher quelque chose, l’une des raisons pour lesquelles il désire immédiatement le faire, c’est que cet interdit est créateur de valeur. Puisque la transgression est inscrite dans l’interdit, la punition qui s’ensuit est alors justifiée.
23Nous pensons que l’on peut désolidariser les idées de justice et de punition. Pour cela, il nous faut procéder en deux temps : en montrant tout d’abord que l’on peut penser une théorie de la punition très cohérente sans la relier nécessairement à l’idée de justice, puis que l’on peut penser une théorie de la justice sans la relier nécessairement à l’idée de punition. Il peut y avoir punition sans justice, comme il peut y avoir justice sans punition.
La punition sans la justice
24Punir est très utile. Cela peut même être nécessaire. Mais cette nécessité et cette utilité n’impliquent nullement que cela soit juste de surcroît. On peut tout à fait élaborer une théorie de la punition déconnectée de l’idée de justice. On peut imaginer de nombreuses raisons de punir sans rencontrer à aucun moment la question de la justice.
25La punition est un problème d’abord relatif à la question de l’autorité. Nous trouvons cette idée sous la plume de Michel Foucault dans son ouvrage Surveiller et punir. L’ouverture célèbre du livre analyse ce que Foucault nomme « l’éclat des supplices ». On retient souvent la violence de la description que Foucault présente du supplice de Damiens. Damiens avait tenté de tuer Louis XV. Il échoua et ne parvint qu’à lui donner un coup de canif. Il fut arrêté et condamné à mort par écartèlement. Il fut la dernière personne en France à subir ce châtiment. On oublie souvent de rappeler les conclusions de l’analyse de Foucault. La punition spectaculaire, le supplice, n’est pas là pour rétablir une quelconque justice. Sa violence n’est pas proportionnelle à l’acte commis : la blessure du roi s’avéra être finalement superficielle. La violence de la punition n’est pas proportionnelle au tort mais à l’importance de l’autorité ébranlée par cet acte. En blessant le roi, Damiens porte atteinte à l’autorité la plus haute. Il s’expose donc à la punition la plus haute. Le but de la punition n’est pas de rétablir un équilibre, une égalité ou un ordre juste, mais de réactiver une autorité, que ce soit celle du roi, celle des lois ou même celle des parents. La punition est alors nécessaire, non pas pour rendre justice mais dans la constitution d’une relation d’autorité. Or, l’exercice de l’autorité et l’établissement d’un ordre juste sont deux questions qui ne se recouvrent pas tout à fait. Le grand problème de l’autorité est : comment amener des individus à obéir ? Et Foucault montre que les supplices tombent en désuétude quand se met en place un nouveau mécanisme susceptible de rendre les corps obéissants et dociles : c’est l’âge de la société disciplinaire, dont la prison n’est qu’un phénomène parmi d’autres. Lorsque nous exerçons une autorité, nous attendons des corps disciplinés. La punition sanctionne l’indiscipline plus que l’injustice. Et la peur de la punition rend les hommes obéissants. Elle ne les rend pas justes. Il est possible que l’obéissance soit une condition nécessaire à l’établissement d’une société juste (cela reste à voir). Mais elle ne nous semble pas une condition suffisante.
26Lorsque nous punissons un enfant en pensant que cette punition aurait des vertus éducatives, ce que nous attendons de la punition, c’est qu’elle rende l’enfant obéissant. Elle ne le rend pas plus sage, ni plus vertueux, ni plus juste. Cela pose autrement problème dans le cadre éducatif. Car si l’obéissance est une des finalités possibles de l’action politique et du gouvernement des hommes, elle n’est pas un des enjeux de l’éducation. Éduquer un enfant ne consiste pas à le rendre obéissant. L’analyse de Foucault est d’inspiration nietzschéenne. On trouve ainsi, dans la deuxième Dissertation de la Généalogie de la morale de Nietzsche, ce que l’on peut appeler une généalogie de l’idée de punition. Pour Nietzsche, l’idée que la punition sert à rétablir la justice et qu’il faut punir le criminel parce qu’il le mérite est une idée très tardive, apparue longtemps après que la pratique de la punition a été mise en place au sein de la société. À l’origine de la pratique punitive on trouve deux choses (§ 4) : d’une part on a d’abord puni le criminel comme les parents punissent leur enfant, c’est-à-dire poussés par la colère ; d’autre part la punition suppose une croyance fort ancienne selon laquelle tout dommage peut être compensé, et même que la douleur d’autrui peut être équivalente au dommage subi. C’est cette équivalence du dommage et de la douleur qui est au cœur de l’étrange idée de punir. Mais cette équivalence elle-même vient en fin de compte du mécanisme de l’échange entre deux sujets de droit. Elle vient de ce que Nietzsche nomme d’un mot : le trafic. Des deux attributs symboliques de la justice, il apparaît que du glaive ou de la balance, c’est finalement cette dernière, la balance, qui représente le mieux le droit de punir.
27Au §13, Nietzsche donne une longue liste de tous les sens que l’on peut donner à la punition et au châtiment. La liste est impressionnante : un moyen de mettre hors d’état de nuire ; de prévenir des dommages ultérieurs ; de dédommager l’homme lésé ; d’inspirer la peur à ceux qui appliquent le châtiment ; d’éliminer un élément dégénéré ; de créer une mémoire ; de faire un compromis avec l’état naturel de la vengeance, et d’autres encore. Mais, dans cette liste, il y a une chose qui brille par son absence et que la punition ne parvient pas à obtenir, c’est le sentiment de culpabilité, susceptible d’éveiller un remords authentique dans l’esprit du criminel. Au contraire, le châtiment endurcit et entrave le développement de ce sentiment. En fin de compte, la punition empêche le criminel de voir ce qu’il y a de condamnable dans son acte puisqu’il voit au contraire qu’on emploie la même violence contre lui. La conséquence en est que la punition est un obstacle au développement du sentiment de la justice. Punir, c’est renoncer à la justice.
La justice sans la punition
28De manière symétrique, on peut concevoir une théorie de la justice sans rencontrer nécessairement la question de la punition.
29L’exemple célèbre du jugement du roi Salomon en est une bonne illustration, car c’est une histoire que même de jeunes enfants peuvent comprendre. On la trouve dans l’Ancien Testament, dans le Premier livre des Rois (chap. III, 16-28). Le roi Salomon était connu pour sa grande sagesse. Il est un homme juste, roi et juge à la fois. Il aurait reçu de Dieu la connaissance du bien et du mal. L’histoire aurait eu lieu entre 970 et 930 av. J.-C. Deux femmes se présentent au roi en prétendant toutes deux être la mère d’un même enfant.
30On demande donc au roi de rendre justice. Le roi commence par ordonner de couper l’enfant en deux, suivant en cela l’idée que la justice, c’est d’abord l’égalité, attribuant à chacune la même chose. Or, il apparaît immédiatement que dans ce cas de figure, la stricte égalité serait une injustice flagrante. À ce moment, l’une des deux mères avoue avoir menti et ne pas être la mère naturelle de l’enfant. Elle demande que l’on donne l’enfant à l’autre mère. La menace de l’égalité froide a permis de démasquer la menteuse, pense-t-on. Mais le roi décide alors d’attribuer l’enfant à celle-là même qui vient d’avouer sa tromperie. Nous comprenons, et les enfants très jeunes le comprennent aussi, qu’il a choisi de confier l’enfant à la meilleure des deux mères. Et c’est là justice. Il rend justice en ayant en vue l’avenir, sans chercher à savoir qui est la mère naturelle de l’enfant ni ce qui a pu se passer. Mais surtout, il n’est à aucun moment question de punir l’autre mère. On peut donc comprendre et donner à comprendre ce qu’est la justice, ou ce qu’elle devrait être, sans nécessairement parler de punition.
31L’enjeu éducatif est ici essentiel : comment fait-on comprendre aux enfants le sens de la justice ? Faut-il nécessairement en passer par l’idée de punition ? Il faut bien pouvoir donner aux enfants une autre idée de la justice, sans la réduire finalement au simple droit de punir.
32Nous trouvons une autre confirmation de cette intuition dans la théorie de la justice que propose Aristote au Livre V de l’Éthique à Nicomaque. Cette analyse célèbre de la justice repose sur la distinction entre deux formes de justice : la justice distributive qui permet de répartir des biens, à chacun selon ses besoins et ses mérites ; et la justice corrective ou commutative qui intervient pour rétablir ou garantir un équilibre dans l’échange de biens. Ainsi dans le cas d’un vol, c’est à la justice corrective d’intervenir pour redonner à la victime ce qu’on lui a pris. Si on m’a volé un bien, la justice est rendue au moment où je récupère ce bien.
33Deux questions se posent alors : 1. Si la justice est rendue au moment où l’on récupère ce qui nous a été pris, pourquoi ajouter en plus la punition ? Pourquoi faire souffrir le coupable ? Cette punition, cette souffrance supplémentaire déborde le cadre strict de la justice corrective. Il y a bien sûr des cas, nombreux, où on ne peut pas rétablir l’équilibre perdu, où l’on ne peut pas me rendre ce qui m’a été pris. Il faudra donc imaginer un autre moyen de retrouver la justice perdue ; 2. Mais pourquoi penser que la punition, c’est-à-dire la souffrance de l’autre, serait un bon moyen ?
34Au chapitre 14 du Livre V, Aristote dresse un portrait célèbre, celui de l’homme équitable. Il est l’homme juste par excellence. Mais il l’est précisément parce que sa grande vertu est de ne pas appliquer aveuglément la loi. Sa vertu est de savoir adapter la loi aux cas particuliers. Il en découle que l’homme équitable est aussi celui qui est capable de renoncer librement à ce à quoi il a droit, pour réaliser plus de justice. Il est capable de renoncer à son dû, quand le fait de réclamer ce dû serait susceptible de créer plus d’injustice : « On voit ainsi clairement ce qu’est l’équitable, que l’équitable est juste et qu’il est supérieur à une certaine sorte de juste. De là résulte nettement aussi la nature de l’homme équitable : celui qui a tendance à choisir et à accomplir les actions équitables et ne s’en tient pas rigoureusement à ses droits dans le sens du pire, mais qui a tendance à prendre moins que son dû, bien qu’il ait la loi de son côté, celui-là est un homme équitable, et cette disposition est l’équité, qui est une forme spéciale de la justice et non pas une disposition entièrement distincte [5]. »
35Rapportée à notre question de la punition, cette remarque signifie que l’homme équitable est celui qui sait aussi se retenir de punir. Et dans le geste de cette retenue, il donne à comprendre plus exactement le sens véritable de la justice. Voilà donc un point important pour notre démonstration. On enseigne mieux à un enfant ce qu’est la justice, parfois, en retenant la punition. L’homme juste est aussi celui qui sait parfois, dans certaines circonstances bien précises, renoncer à la punition. Et ce sera alors justice…
L’impossible réparation
36Terminons en examinant un dernier présupposé du droit de punir. Nous punissons parce que nous pensons que l’injustice ne doit pas rester sans réponse, qu’elle doit être réparée. Et la punition, quelles que soient ses formes, dans ses imperfections mêmes, est cette tentative de réparer l’injustice. Avant même de savoir si la punition est un bon moyen de réparer l’injustice, cela suppose qu’il puisse y avoir réparation de l’injustice. Est-ce si évident ?
37En 1958, Étienne Borne publie un essai intitulé Le problème du mal. Dans cet essai, ce philosophe, proche de la revue Esprit, fait de l’expérience du remords l’une des trois expériences humaines du mal. Le remords n’est pas tant la reconnaissance du mal et du crime. Il est bien plutôt la reconnaissance de l’impossibilité de réparer le mal. C’est une extraordinaire lucidité. Le remords, c’est donc penser au mal comme à une réalité. Pourtant, cela s’oppose à une idée vivace en nous, qui persiste comme une évidence ou comme un préjugé, et qu’Étienne Borne examine plus précisément : nous pensons que l’injustice peut être réparée, voire effacée. Or, il y a de l’éternellement ineffaçable dans le mal. Étienne Borne rappelle la conclusion du Livre de Job dans la Bible. Dieu met à l’épreuve la foi de Job en le livrant à Satan. Et Job perd ses richesses, ses enfants, et tout son corps n’est plus qu’une plaie géante. Il n’est plus que souffrance. Et c’est là une souffrance injuste puisqu’elle frappe celui qui ne la mérite pas. Pourtant, Job ne perd pas la foi dans son Dieu. Et après avoir éprouvé sa foi, Dieu rend à Job tout ce qu’il lui a pris avec une parfaite exactitude arithmétique, tête de bétail pour tête de bétail, fille pour fille, garçon pour garçon. L’histoire est presque trop belle pour être vraie.
38Y a-t-il vraiment, dans ce cas, réparation ? Ce sont d’autres enfants que Dieu rend à Job. Il lui rend la santé. Mais la santé retrouvée n’efface pas la douleur passée. « Dénouement postiche ou humour noir, car ce qui a été perdu est, lorsqu’il s’agit d’êtres humains et non de troupeaux, à jamais introuvable et irrécupérable en ce monde. Réparations et réhabilitations réduisent la justice à n’être que cérémonie et symbole [6]. »
39L’analyse de Borne ne porte pas directement sur la punition, mais elle propose un point de vue radical : l’injustice ne peut être réparée. Il est donc inutile de penser que la punition puisse valoir comme réparation. On attend parfois de la punition qu’elle permette au puni de prendre conscience de sa faute, du mal qu’il a accompli. Mais s’il comprend véritablement le mal et l’injustice, il comprend aussi que ce mal ne peut être effacé, ni réparé. Prendre conscience du mal, c’est prendre conscience de son impossible réparation. C’est pourquoi cette conscience ne peut être, pour Borne, qu’angoisse, angoisse métaphysique ou, si l’on veut, remords : « L’angoisse est alors savoir du mal, et qui sait de science que tout crime a réussi dès lors qu’il est accompli, que tout crime au fond est impuni parce qu’il est métaphysiquement sans intérêt que le crime conduise le criminel au gibet ou sur le trône, car ce qui était dû en toute justice au crime comme au non-sens, c’était de ne pas être ; et cette justice a manqué une fois et donc pour toujours [7]. » Faut-il conclure, comme le dit Étienne Borne, que le mal et l’injustice sont « le problème qui décourage d’avance toute solution » ? N’y a-t-il rien à faire face à l’injustice, à part attendre une impossible réparation ? Car que peut-on attendre face à l’injustice, si ce n’est la réparation ? Nous proposons deux voies possibles dont il faudrait mener une analyse plus précise. Nous ne faisons que les indiquer ici. Mais nous pensons que cette alternative a bien sa place dans l’éducation d’un enfant.
40La première de ces voies serait celle du pardon. Face à l’injustice, puisque nous ne pouvons pas la réparer ou l’effacer, il nous faut apprendre à vivre avec, l’accepter sans nous résigner, dépasser notre souffrance sans l’oublier. C’est toute la difficulté qui est au cœur même du pardon. Le pardon, au-delà du don, consiste à donner ce qu’il nous semble impossible de donner. Le pardon n’est pas non plus synonyme d’oubli. Il ne s’agit pas d’oublier. Au contraire, sans oublier, il s’agit de continuer à vivre, sans haine ni désir de vengeance, sans violence. C’est peut-être un idéal impossible à atteindre ou alors inscrit presque nécessairement dans un horizon religieux. Mais finalement, si la justice pouvait amener le coupable à demander pardon, sincèrement, et la victime à pardonner, on peut estimer que justice serait rendue. Il serait alors inutile d’ajouter à cela la souffrance de la punition. Nous comprenons par là que le pardon est tout sauf naturel, que cela doit donc s’apprendre. L’éducation est ici une partie de la réponse.
41On peut préférer à cet idéal le projet d’une réconciliation. Le dommage a conduit les hommes à s’opposer ; la justice doit alors œuvrer à recréer les conditions d’une vie commune, à rendre possible à nouveau une vie ensemble, par-delà les fautes passées, les différends et les oppositions. C’est le mot que Nelson Mandela et Desmond Tutu avaient choisi, lorsqu’il a fallu, après la chute de l’Apartheid, recréer les conditions d’une vie commune en Afrique du Sud. Ils avaient alors élaboré une commission « Vérité et réconciliation ». Il ne s’agissait pas de punir. Il ne s’agissait pas non plus de pardonner. Mais d’échanger une amnistie pleine et entière en échange d’une confession publique. Il s’agissait donc d’échanger cette réconciliation contre une parole de vérité, une part de vérité, juste assez de vérité pour rendre possible à nouveau le vivre ensemble. Imaginons la dispute entre deux frères, deux sœurs ou entre frères et sœurs. N’y a-t-il d’autres issues à la dispute que la punition de l’un des deux enfants ? Le conflit suppose déjà de la souffrance. Sa résolution est-elle aussi dans la souffrance ?
42Revenons alors pour finir au symbole de la justice. Le glaive de la justice ne symbolise pas, comme nous le pensions, le pouvoir de punir et de châtier. Ce symbole renvoie en réalité au pouvoir de la raison de discriminer et de juger. On l’oublie souvent. Ce dont nous avons besoin pour rendre justice, avant de penser au pouvoir de punir, c’est peut-être ce discernement, cette capacité à découper le réel comme il doit l’être.
Conclusion
43Concluons par une histoire, un mythe que nous rapporte Platon. Ce n’est qu’un mythe bien sûr. Mais comme souvent le sont les mythes, il est riche en enseignements. Dans La République, Platon se pose justement cette question de la justice. Tout le livre est une réflexion sur la justice. Or au Livre IV, pour poser le problème de la justice, Platon rapporte l’histoire de l’anneau de Gygès. Gygès est un pasteur connu pour sa justice et sa bonté. Il trouve un jour un anneau qui lui donne le pouvoir de se rendre invisible. Il va alors, nécessairement nous dit Platon, s’en servir pour commettre l’injustice, tricher, tuer le roi et prendre le pouvoir pour devenir l’un des pires tyrans que la Grèce ait connu. C’est un triste constat : quand l’homme peut échapper à la punition, quand il peut accomplir l’injustice, en étant certain de ne pas être puni, nécessairement, il sera injuste. C’est pour combattre cette idée que Platon élabore sa théorie de la justice dans la suite de son livre. Cette histoire sert à poser très précisément le problème de la justice. Être juste, ce n’est pas simplement suivre les règles, car cela pourrait être par seule crainte de la punition. C’est respecter ces règles et ces lois, même si nous étions certains d’échapper à la punition. L’homme qui ne respecte la loi que par crainte de la punition n’est pas encore juste.
44Si cette histoire résume bien l’esprit de notre propos, c’est qu’il nous semble problématique de réduire notre conception de la justice à une théorie des peines et des punitions. Dans le cadre éducatif, il y a même une grande différence entre punir quelqu’un parce que nous sommes en colère, agacés ou à bout de nerfs, et punir quelqu’un en lui demandant de croire, en plus, que sa souffrance est juste. Il se peut néanmoins que la punition ait une certaine efficacité, pour rendre un enfant obéissant. Il ne s’agit donc pas de renoncer à la punition, ni de croire que les hommes seront plus justes si l’on renonce à toute forme de punition. Il s’agit plutôt, à l’occasion de la punition, quand nous décidons de punir, de nous poser à nouveau la question de la justice : qu’est-ce qui est juste ? Certes, la réponse n’est pas aisée. C’est une question redoutable et difficile. Mais cette difficulté ne doit pas nous servir de prétexte pour ne plus nous poser cette question. Alain disait que la justice est ce doute sur le droit qui sauve le droit. Nous dirions en le paraphrasant que la punition est ce doute sur la justice qui sauve la justice, à condition qu’il y ait bien un doute sur la punition. Sinon la justice est perdue.
Notes
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[1]
G. Tarde, Philosophie pénale (1890), Paris, éd. Cujas, 1972, p. 496.
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[2]
A. Garapon, F. Gros, T. Pech, Et ce sera justice, punir en démocratie, Paris, Odile Jacob, 2001.
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[3]
B. Guillarme, Penser la peine, Paris, puf, coll. « Questions d’éthique », 2003.
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[4]
Ibid., p. 105.
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[5]
Aristote, Éthique à Nicomaque, Livre V, chap. 14.
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[6]
É. Borne, Le problème du mal, Paris, puf, 1958, p. 19.
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[7]
Ibid., p. 21.