1Le réseau de santé du haut Nivernais (rshn) s’est construit au début des années 1990, sous l’impulsion des médecins généralistes d’un secteur caractérisé par un isolement géographique relatif et une population socialement défavorisée. Il s’est articulé autour de la maternité du centre hospitalier de Clamecy, de niveau I. À l’époque, l’absence de liens et de coordination amenait celle-ci à recevoir en urgence des grossesses pathologiques alors que les patientes à bas risque se rendaient préférentiellement dans des centres plus éloignés, de niveau II parfois.
2Le réseau a donc vu le jour avec pour objectifs :
- de participer à l’amélioration de la qualité des soins ;
- d’assurer une coordination et une meilleure orientation des patientes ;
- d’améliorer les liens entre les partenaires ;
- d’évaluer ce système et son impact.
Améliorer la qualité des soins
3On distinguera trois axes différents pour répondre à cet objectif (outre la nécessité d’adapter le niveau de soin à la pathologie présentée). Il est nécessaire, tout d’abord, de sensibiliser les patientes aux modalités du suivi des grossesses, puis de s’assurer de la formation des professionnels concernés, et enfin de permettre un accès aisé aux soins.
4Rendre la patiente actrice de son propre suivi. C’est l’action que le réseau a choisi de mener afin d’améliorer les connaissances des patientes quant aux examens et consultations recommandés pendant la période périnatale. Il s’agit là d’un défi permanent car de nombreux champs entrent en jeu (sociologie de la santé, précarité, désertification médicale). Cette responsabilisation est rendue possible grâce aux informations fournies lors de l’entretien prénatal précoce et à la remise d’un carnet de suivi de grossesse comportant une synthèse du parcours de soin. Grâce à ce travail, mené en parallèle avec la coordination que le réseau permet entre les secteurs libéraux, territoriaux et hospitaliers, le rshn a permis de réduire significativement le taux de grossesses peu ou pas suivies (moins de sept consultations prénatales) sur son territoire. Cependant, à l’heure actuelle, les indicateurs indispensables pour s’assurer que ce taux reste bas sont difficiles à recueillir, car le carnet de suivi de grossesse édité par le rshn, bien que compulsé par les professionnels des nouveaux lieux d’accouchement, n’y est que peu renseigné. Une réflexion est actuellement menée afin de recueillir ces indicateurs par un autre biais.
5La formation et la sensibilisation des professionnels relèvent également d’un des axes de travail du réseau. Ainsi, dans son développement permanent (qui se concrétise par la création de nouvelles « branches » thématiques), le rshn s’est doté très tôt d’un groupe dédié à l’évaluation et à l’amélioration des pratiques (gleap). De nombreuses soirées de formation ont pu être organisées, permettant une mise à jour régulière des connaissances spécifiques des professionnels locaux. C’est à travers ce groupe que le réseau a œuvré afin de répondre avec succès à des objectifs spécifiques (notamment, diminution du taux de non-proposition du dépistage sérique des trisomies 21, prise en charge du diabète gestationnel, dépistage précoce de troubles du post-partum). Encore à ce jour, le rshn organise une formation annuelle concernant la périnatalité. À titre d’exemple, le taux de proposition de réalisation des marqueurs sériques de dépistage a été étudié et jugé relativement faible, donnant lieu à une réunion technique auprès des professionnels en 2004. Il a augmenté de façon significative par la suite (74 % en 2001-2002 vs 84 % en 2007-2008 ; ic [1,07 ; 2,18], p ? 0,02).
6La difficulté principale rencontrée dans la formation est la mobilisation des professionnels libéraux autour du thème « Périnatalité », qui ne représente pas, semble-t-il, une part suffisante de leur activité. Ainsi, les nouvelles modalités de prises en charge, en particulier, le dépistage précoce des trisomies 21 et du diabète gestationnel, restent un défi à relever, malgré les formations organisées. De nouveaux outils pédagogiques sont en cours d’élaboration au sein du réseau afin de remédier à cette difficulté.
7Par ailleurs, le rshn recueille les informations nécessaires à l’établissement d’un diagnostic permanent en santé sur son territoire. De par le contenu de l’entretien prénatal précoce, l’analyse a posteriori des carnets de suivi de grossesse, la réception de fiches de problématiques de prise en charge et ses contacts avec les différents partenaires institutionnels (conseils généraux, centres hospitaliers, réseau de santé tant régionaux que locaux…), le rshn est destinataire de nombreux indicateurs tant qualitatifs que quantitatifs, intéressant l’état de santé comme les besoins des populations et ceux des professionnels. Par ailleurs, l’échelle de proximité du réseau lui permet de mener des analyses fines et spécifiques de la population qu’il prend en charge et du territoire qu’il couvre. C’est grâce à ce système de recueil systématique, et en temps réel, des données reçues, que le rshn peut mener des actions concourant à améliorer la santé et la qualité des soins en veillant à l’adéquation entre l’offre de soins et les besoins en santé sur le territoire. Cependant, cette étude diagnostic permanente ne peut exister sans un recueil quasi exhaustif des données. C’est là la limite actuelle rencontrée par le rshn. En effet, ces informations ne peuvent être utilisées par le réseau que si les professionnels les lui fournissent directement (réception de fiches) ou indirectement (remplissage du carnet de suivi de grossesse). On pourrait penser que la fermeture du service d’obstétrique local, en éclatant les suivis, a rendu ce recueil plus difficile. Ce fut le cas dans un premier temps, mais le réseau a su – nous le verrons – réorganiser ce système pour redevenir la plaque tournante des informations que s’échangent les différents partenaires. Ainsi, par exemple, dès lors que les accouchements se sont « délocalisés », le rshn a pu constater que, d’une part, les situations nécessitant une attention particulière dans le post-partum immédiat (au retour à la maison) étaient plus nombreuses (un effet de la diminution du temps de séjour ?), et d’autre part, que ces suivis étaient le plus souvent réalisés sur le lieu d’accouchement, soit à une cinquantaine de kilomètres du domicile, au minimum. Par ailleurs, ces situations touchent majoritairement les foyers les plus démunis, fréquemment sans moyen de locomotion. Le réseau a réagi en proposant aux maternités de contacter lui-même ces patientes à leur retour au domicile, afin d’organiser un suivi adapté à chaque situation en privilégiant la proximité des acteurs. Cette organisation offre également aux services émetteurs la garantie qu’un professionnel dédié, avec une bonne connaissance du territoire, met en place la surveillance demandée. Un retour d’information est ensuite effectué à ces établissements extérieurs.
8Assurer une coordination et une meilleure orientation des patientes, et améliorer les liens entre les partenaires. Ces deux objectifs sont très intimement imbriqués. En effet, on ne peut imaginer l’orientation d’une patiente dans des conditions optimales sans coordination des soins ; et cette coordination est impensable sans liens entre les différents partenaires.
9Le rshn a su construire les outils nécessaires à la création et au maintien de ces liens. En effet, le carnet de suivi de grossesse remis à la patiente a également été conçu pour qu’y soient consignés non seulement les informations nécessaires à la bonne connaissance du dossier médical maternel, mais aussi les différents éléments du suivi (consultations et biologie). Il constitue donc un véritable dossier médical, mis à jour à chaque consultation, qui présente l’originalité d’appartenir à la patiente, qui devient actrice de son propre suivi. Mais il constitue également le lien principal entre les différents professionnels intervenant dans le suivi. Parallèlement à ces liens créés à travers ce dossier médical commun, le réseau met à disposition et fait circuler des outils spécifiques permettant le partage d’informations médicales entre professionnels (courriers de synthèse de l’entretien prénatal précoce, fiche d’informations postaccouchement, par exemple). Il est primordial que les acteurs s’approprient ces documents afin de les utiliser. À cet effet, ils ont fait l’objet d’une élaboration commune en comité de pilotage, où des représentants de chaque corps de métier impliqué dans le champ de la périnatalité sont conviés.
10Par ailleurs, les informations se doivent de circuler à double sens, depuis le réseau vers les professionnels, et inversement. Ce travail constitue un préambule à toute coordination et il induit, certes, une relation de dépendance entre partenaires. Par exemple, le réseau doit faire face à une augmentation significative du taux de grossesses non signalées directement par un praticien ayant présenté les actions du réseau en proposant l’entretien prénatal précoce (31 % en 2001-2002 vs 43 % en 2007-2008 ; ic [1,26 ; 2,32], p ? 0,001). Ceci a pour effet de retarder la tenue de l’entretien avec une sage-femme (augmentation sensible quoique non significative vu le faible effectif, mais ce taux d’epp après 23 sa a doublé entre les deux périodes études) et d’augmenter significativement le taux de refus de visite à domicile (0,8 % en 2001-2002 vs 6 % en 2007-2008 ; ic [2,46 ; 4,98], p ? 0,001), preuve que les liens existants ou pas entre les professionnels et le réseau ont un effet direct sur ces performances en termes de coordination des suivis. Cette difficulté rencontrée a été évoquée lors des différentes soirées de formation organisées, la prochaine évaluation renseignera sur les effets de cette resensibilisation des professionnels.
11Si cette communication entre les acteurs rend possible la coordination des soins, elle est cependant insuffisante pour mettre en place le suivi global de la grossesse. En effet, si on considère que chaque patiente doit faire l’objet d’une attention qui corresponde à ses besoins particuliers et spécifiques, il est nécessaire de réaliser au préalable un diagnostic individuel. Ainsi, dès sa création, le rshn a pensé et mis en œuvre cet entretien proposé systématiquement et réalisé préférentiellement au domicile de la patiente, précurseur de l’actuel entretien prénatal précoce préconisé depuis par la has. Il s’agit là d’une des plus belles réussites du rshn, qui a su se construire en innovant pour répondre aux besoins de ses patientes. Toute la coordination des soins est basée sur les conclusions de cet entretien, si bien que sa réalisation (comme la signature de l’engagement de la patiente) constitue la condition pour que le réseau puisse assurer ses missions. Enfin, l’ultime expression de cette coordination sous l’égide du rshn est la tenue de staffs réguliers avec les équipes du centre hospitalier de Clamecy et la pmi de la Nièvre et de l’Yonne.
12Cependant, tout ce travail a été mis à mal par la fermeture de la maternité pivot. En effet, si le centre périnatal de proximité qui l’a remplacée permet toujours le suivi des grossesses et les avis spécialisés, toutes les hospitalisations strictes ont lieu à l’extérieur du territoire du réseau. Ces dernières années ont donc été consacrées à l’élaboration d’une coordination satisfaisante entre les maternités extérieures et les acteurs locaux. La tâche est complexe ; le réseau s’en est pourtant partiellement acquitté en l’espace de deux ans, par la création concertée de fiches de liaison (concernant les prestations assurées par les hôpitaux extérieurs), leur centralisation et diffusion auprès des acteurs locaux par le rshn. Toutefois, la mise en place d’un suivi coordonné satisfaisant reste dépendante des partenaires, le rôle du réseau est alors de s’adapter aux réalités de travail de chacun afin de rendre compatibles les prises en charge et les outils qui s’y rattachent. Malgré toute sa souplesse, le rshn ne peut remplir pleinement sa fonction de coordination sans la bonne volonté des acteurs impliqués dans le suivi (charge à lui de promouvoir, de valoriser et ainsi de favoriser une participation active de chacun).
13Cette coordination entre les différents professionnels permet enfin, concrètement, d’orienter les patientes vers les structures les mieux adaptées en fonction du niveau de risque intrinsèque et des pathologies survenant en cours de grossesse. Que ce soit par une sage-femme à la suite de l’entretien prénatal précoce ou, en réaction à un événement ultérieur, par les participants au staff, des propositions peuvent être émises rapidement, permettant une prise de décision éclairée des professionnels responsables du suivi de chaque grossesse. Les compétences du rshn en la matière ont pu être appréciées par une diminution significative du taux de transferts in utero sans augmentation du taux d’accouchement en milieu inadapté. En effet, les patientes présentant une pathologie incompatible avec le niveau de la maternité qu’elles ont choisie sont réorientées au plus tôt. Ainsi, les taux d’accouchements prématurés et de petits poids de naissance étaient quasi nuls à la maternité de Clamecy (niveau I) ; en outre, la fermeture de ce site n’empêche pas le rshn de poursuivre ce travail d’orientation avec l’appui du centre périnatal de proximité.
Évaluer ce système et son impact
14Le rshn est une association loi 1901 à but non lucratif, financée par fonds publics. Il se plie dans ce cadre à des évaluations triennales, qui sont aussi l’occasion de faire l’état des lieux de l’état de santé (définition oms) des femmes enceintes du territoire.
15À ce jour, cinq évaluations « bilans » ont été menées au sein du réseau. Elles ont pour but de constater les progrès accomplis au regard des objectifs globaux fixés à la création du réseau, par l’atteinte ou non des objectifs spécifiques fixés à chaque action menée par le réseau. C’est aussi l’occasion de reprendre l’organisation et le fonctionnement de l’association. Mais l’intervalle de trois ans semble long pour maintenir une bonne réactivité du rshn.
16Ainsi, certains indicateurs spécifiques sont recueillis et analysés en temps réel, au cas par cas parfois. C’est le cas des fiches de problématiques de prise en charge reçues au réseau. Leur accumulation ou leur caractère préoccupant peuvent amener à ajuster des procédures internes afin de remédier le plus rapidement possible à une difficulté ponctuelle ou non. Ces données sont alors référencées pour un bilan intermédiaire effectué avec les acteurs concernés. Cette démarche a permis d’améliorer rapidement les liens avec certaines des maternités avoisinantes, un point étant effectué à chaque réunion trimestrielle, permettant de diminuer les délais d’action. De même, elles permettent au réseau de prendre en charge immédiatement des demandes concrètes (patientes perdues de vue, carnets de suivi ou résultats sanguins conservés dans une maternité lors d’une hospitalisation…). L’une des grandes forces du rshn réside dans cette réactivité et ces habitudes de travail. Cependant, ces liens informels, ces adaptations apportées en temps réel au fonctionnement de l’association, sont difficilement évaluables.
17Une autre difficulté rencontrée quand on analyse les indicateurs recueillis est le faible effectif pris en charge par le réseau (entre 250 et 300 grossesses par an, soit plus de 80 % des grossesses déclarées). Il semble en effet compliqué de dégager des tendances significatives sur un nombre de cas trop faible. Ainsi le rshn a-t-il participé à la création de la Fédération bourguignonne des réseaux périnatals de proximité (fbrpp). Cette association qui compte à ce jour cinq réseaux de proximité bourguignons a défini des critères communs à l’ensemble des structures membres, afin qu’elles puissent, ensemble, effectuer des comparaisons (caractéristiques des populations prises en charge et fonctionnements internes proches), des évaluations, voire mener conjointement des actions actuellement en projet.
18La première évaluation globale des réseaux de proximité est en cours de réalisation avec le soutien du réseau périnatal de Bourgogne. Mais cette évaluation, qui comparera le pronostic des grossesses prises en charge dans un réseau de proximité versus le pronostic des grossesses prises en charge hors réseau de proximité, devra se focaliser essentiellement sur des critères médicaux, les indicateurs sociaux, psychologiques ou économiques n’étant que peu recueillis en dehors des réseaux de proximité.
19Cependant, pour résoudre ce problème du faible effectif, possibilité pourrait être offerte aux réseaux de proximité d’étendre leur rayon d’action à des territoires actuellement non couverts par des réseaux. C’est ce que le rshn a fait en 2008, en élargissant son territoire à de nouveaux cantons. La difficulté est alors de maintenir un taux de refus d’entretien prénatal précoce relativement faible. En effet, ce taux augmente de manière significative, et il est tout particulièrement important sur ce nouveau territoire. La raison qui se dégage de ces refus est principalement liée à l’absence d’information fournie à la patiente avant l’appel du réseau. Quant au motif retenu pour justifier cela, il tient en une seule phrase : « La patiente habite loin de Clamecy et ne s’y fait pas suivre. » Il semble que les professionnels de ces nouveaux secteurs (médecins généralistes, sages-femmes…) n’envisagent pas le réseau comme une structure de coordination mais plutôt comme une organisation d’encadrement du suivi. Un long travail attend donc les instances de coordination du rshn pour améliorer cette situation. Cependant, cette difficulté qui s’était déjà fait sentir à la création du réseau a été surmontée sur le territoire historique, on peut donc se permettre d’être optimiste pour la suite…
20Le dernier volet de l’évaluation concerne le diagnostic de santé. Les indicateurs recueillis lors de l’entretien prénatal précoce, et maintenant lors de l’entretien postnatal précoce (récemment mis en place, en septembre 2011), ainsi que dans les carnets de suivi de grossesse et les questionnaires de satisfaction, permettent de réaliser ce diagnostic et d’orienter les actions menées par le réseau. Parallèlement à cela, des enquêtes ponctuelles et spécifiques sont actuellement à l’étude afin de pousser encore un peu plus loin ce bilan de santé (impact du tabagisme, des cours de préparation à la naissance, par exemple). C’est là aussi une grande réussite du réseau que de pouvoir bénéficier d’une photographie en temps réel des besoins en santé sur un territoire spécifique, pour des populations spécifiques.
Bilan
21Les difficultés que rencontre le rshn sont essentiellement liées à l’implication des acteurs de terrain. Elles concernent les liaisons, mais aussi directement les prises en charge, et impactent de manière claire les capacités de coordination du réseau.
22Un autre aspect délicat tient à la réalisation d’évaluation et tient principalement au faible effectif pris en charge et à la volonté de monter au plus vite des actions concrètes pour améliorer l’état de santé des patientes ou le fonctionnement même du réseau.
23Mais cette dernière difficulté révèle également une des grandes réussites du rshn : sa réactivité, son dynamisme et sa capacité à rester lié en permanence avec la population qu’il dessert. C’est ce qui lui a permis de dresser un diagnostic permanent du territoire, de s’être réorganisé rapidement après la fermeture de la structure pivot, d’inventer les premiers entretiens prénatals précoces, ou encore d’améliorer les prises en charge de manière concrète.