Couverture de SPI_058

Article de revue

Un bébé s'endort, un enfant s'éveille

Pages 109 à 113

« Vive les vacances. Point de pénitence… »

1Point de pénitence…

2Et souffle un petit air de fantaisie, de rêve, de liberté… Les sacs se font plus légers… Le soleil levant caresse les petits corps ensommeillés, promesse d’un nouvel été…

3Les journées se font douces, la nature accueillante, et les petits galopent dans le jardin, accompagnant les oiseaux de leurs cris… Ils « s’éveillent » de la torpeur de l’hiver… Grisaille oubliée…

4Papa et maman ressentent moins la fatigue qui pesait autant que le brouillard du matin, comme ragaillardis par le soleil… Les vacances approchent… chaleur, douceur retrouvées…

5Et leur assistante maternelle se laisse entraîner par la joie ambiante, à l’aube de ce repos bien mérité ! Que de travail accompli tout au long de cette année ! Le tout-petit commence à s’asseoir, il a déjà appris à attendre, il a accepté progressivement tous les nouveaux plats proposés… Le plus grand va aux toilettes, comme papa…, et la princesse de la troupe sait se faire comprendre, s’appliquant à utiliser les dizaines de mots nouveaux qui sont aujourd’hui à sa portée… Un dialogue constructif a pu être établi avec chacun des parents. La relation s’est construite doucement au fil des prouesses des petits, des incertitudes et des joies de leurs parents, des interrogations et des sourires de leur assistante maternelle…
Que d’efforts pour les grands, et pour les petits grandissants ! Pour eux aussi, elles sont de bon augure ces vacances : après tout, leurs journées valent bien celles de leurs parents ! Apprendre à manger sans « louper » la cuillère rebelle, à parler un langage commun, à manipuler, à respecter des règles « barbares »… Apprendre à gérer des émotions envahissantes, à s’exprimer, avec des mots, sans crier, comme on doit le faire quand on est grand… Obéir, écouter, respecter des consignes parce qu’on n’est pas tout seul et qu’il faut bien s’organiser… Apprendre à attendre, attendre son tour, attendre le bon vouloir de petits copains obstinés, attendre que la couche soit changée pour retrouver sa liberté…, et s’adapter au rythme « impitoyable » de papa et maman, aux habitudes parfois bien différentes des uns et des autres, et à toutes ces étapes de la vie des tout-petits qui ne sont pas toujours reposantes !

Vive les vacances. Entrez dans la danse…

6Et la petite fête de fin d’année honore comme il se doit ces formidables réussites.

7« Au revoir mes tout-petits ! Bonnes vacances ! Soyez bien sages ! » Chaleur… douceur… liberté retrouvée…

8Les corps reposés, les esprits ressourcés, les petits reviennent enfin, rayonnants. L’assistante maternelle leur ouvre ses bras, heureuse de les revoir, émerveillée de les voir grandis, encore, curieuse de leurs nouveaux exploits… Papa et maman racontent avec bonheur ces temps partagés où ils ont découvert un petit être extraordinaire qui les a surpris de ses progrès constants. Ils ont besoin de refaire le point tant ils ont le sentiment que les choses ont changé, évolué, pour leur bébé… Et ces premiers jours s’écouleront dans la gaieté et la douceur de l’été finissant, tout au bonheur des retrouvailles…

9Oui, les petits ont fait des progrès durant ces quelques semaines de vacances. Comme toujours, ils font un « grand bond en avant » lors de ces moments privilégiés de détente avec leurs parents… Moins de contraintes, de tensions, un rythme plus souple, plus en harmonie avec celui de bébé, et le regard attentif de papa et maman sur les prouesses de leur petit aventurier, sur ces petites choses du quotidien qui le font grandir parce qu’elles ont de l’importance pour eux, et qu’ils les vivent d’autant plus intensément qu’ils en sont frustrés bien souvent sur ces longues journées de travail qui les « éloignent » de leur enfant.

10Alors, les premiers jours de cette nouvelle année, les bébés s’égailleront, se réappropriant les lieux, redécouvrant leurs jouets sous le regard « inquisiteur » de leur « nounou » qui s’emploiera quelque temps à les observer. Elle aussi a besoin de les redécouvrir, comme un besoin de refaire connaissance, et effectivement, elle perçoit très vite des changements. Le « vétéran » du petit groupe fait preuve de beaucoup d’autorité envers ses petits camarades. Il a vécu de nouvelles expériences auprès de ses cousins. Il a exercé son autonomie toute nouvelle : il nous démontre avec assurance comme il sait se déshabiller, boire au verre sans renverser… Les copains sont épatés et il est très fier de se sentir grand ! Bien sûr, il a oublié quelques règles de « bienséance », mais, avec une petite réadaptation, il n’y paraîtra plus.

11Le tout-petit commence à se déplacer, avide de liberté et de découvertes, il aura besoin de plus d’espace et d’attention. Il faudra peut-être aussi réorganiser les espaces de jeux de manière à ce que les explorations du petit téméraire ne mettent pas en péril les constructions laborieuses des plus grands…

12Mais c’est la petite fée qui intrigue le plus son assistante maternelle. Bien sûr, elle parle mieux encore, libérée par une myriade de mots qu’elle chantonne à longueur de temps, manipule et réinvente au gré de son imagination, ayant plus de mal à s’endormir, stimulée de toutes ses nouvelles expériences qu’elle a besoin de raconter. Mais surtout, elle refuse de manger. Ce n’est pas bien grave, mais quelques jours de jeûne remettent en question la théorie de « la cool attitude ». À 16 mois, il est un peu tôt pour être en période d’opposition… Il y a l’inquiétude omniprésente de sa maman, qui était déjà vigilante sur ce point pour avoir vécu elle-même des problèmes de poids, les froncements de sourcils de son papa qui a du mal à tolérer les caprices, et l’obstination tranquille du bébé qui perçoit, avec toute la sensibilité de son petit être, les « turbulences » que ces nouvelles données provoquent autour de lui…

13Que se passe-t-il donc ? Comment se sont déroulées les vacances ? A-t-elle pris d’autres habitudes ? A-t-elle mangé avec autant de plaisir que ce qu’elle a montré jusque-là ? Toutes ces questions interpellent l’assistante maternelle qui s’interroge. Elles retiennent l’attention de la jeune maman qui culpabilise : « Il est vrai que tout le monde était beaucoup plus détendu, nous avons été moins exigeants… Elle a grignoté, les repas n’étaient pas toujours pris à des heures raisonnables… Et puis il y avait la famille qui voulait profiter de la petite futée. Alors elle circulait sur les genoux des uns et des autres, picorant au gré de ses envies et des opportunités… Peut-être doit-on faire preuve de plus de fermeté ? »

14Alors d’un commun accord, tout le monde fait front avec autorité : « Petite poupée, les vacances sont terminées. Maintenant on reprend les bonnes habitudes et on mange, correctement, assis à table ! »

15La petite semble alors obtempérer, mais seulement pour les premiers repas. Très vite son refus refait surface, et elle tourne la tête devant la cuillère désespérément pleine. La forcer n’est pas une option, « l’autoriser » à ne pas se nourrir tenterait bien le papa, mais semble bien difficile pour la maman qui propose malgré tout le biberon de lait avant la longue nuit…

16Chacun s’interroge, tâtonnant. L’assistante maternelle, qui connaît bien les ressources incroyables des petits futés, se demande si la petite n’aurait pas perçu l’inquiétude qu’elle suscite, le « conflit » entre papa et maman concernant l’attitude à adopter, bref, son formidable pouvoir d’influence sur le monde des grands ! Les parents désœuvrés sont tendus, la nounou ne sait pas trop comment sortir de cette impasse et tente de dédramatiser, et le bébé continue sa petite vie bien remplie sans soucis particuliers.

17Ce jour-là, c’est « jour de fête », un pique-nique est prévu avec les copains, et chacun aura le droit de manger avec les doigts, assis sur une couverture. Le rythme et le contenu du repas restent imposés par « la nounou » vigilante, mais l’originalité de la chose ne manque pas de ravir les tout-petits qui dévorent avec bonne humeur tout ce qui leur est proposé, y compris la petite fripouille qui en oublie ses réticences, et qui semble même rattraper ses derniers jours de jeûne !

18— Tu avais faim aujourd’hui ! Tu as très bien mangé, bravo bébé ! s’exclame l’assistante maternelle ravie.

19— Pas Bébé ! Ylette ! proteste l’enfant outrée.

20— C’est vrai, tu t’appelles Juliette…, reconnaît la « nounou » dubitative…

21Une idée germe alors dans son esprit. Elle sourit devant la petite gloutonne… Et si elle avait grandi durant ces dernières vacances ?… Et si elle voulait se démarquer du bébé, qui se contente d’ouvrir grand la bouche devant la cuillère qu’on lui propose, pour « égaler » son autre copain que l’on félicite si souvent de tout ce qu’il accomplit tout seul…

22Pas de temps à perdre ! Le soir même, les parents inquiets se réjouiront de cette idée nouvelle, enfin de l’action ! Enfin la sensation de toucher du doigt le fameux message qu’essaie de nous transmettre notre toute petite ! Et ce n’est pas qu’elle n’insistait pas dans sa volonté farouche de bousculer nos acquis ! Elle veut peut-être manger toute seule. Elle a pris goût à l’autonomie dont elle a pu profiter au cours de ces dernières vacances… Pourquoi ne pas essayer de la laisser se débrouiller comme une grande ?
Et le miracle a lieu ! Notre proposition à la fillette résolue est accueillie avec un très grand sérieux : pas de cris de joie intempestifs, pas de démonstrations particulières ; elle s’empare simplement de la cuillère, objet sacré qui désormais lui appartient, et toute droite, avec beaucoup d’application, la gamine porte la nourriture à sa bouche très consciencieusement, soucieuse de bien faire, et peut-être de démontrer que c’est elle qui avait bien raison, du haut de ses 80 cm !
Papa et maman sont soulagés. Ils bombent le torse devant ce nouveau petit miracle, tout étonnés de la voir « grandie » si vite. L’assistante maternelle regarde avec attendrissement le bout de chou, promu tout à coup au « statut de grand », franchissant cette étape avec toute l’assurance de ses 17 mois, inconsciente de cette petite nostalgie qui pince peut-être un peu le cœur des adultes…
Les vacances ont œuvré, comme d’habitude, à faire pousser plus vite encore les petits bonhommes. Les retrouvailles avec papa et maman, à l’occasion de ces moments privilégiés de détente, leur ont insufflé une énergie renouvelée, comme une envie d’émerveiller ces regards bienveillants, d’apprendre encore pour se rassurer des bravos qu’ils suscitent, et grandir toujours davantage, pour un jour « quitter le nid » et — récompense suprême — entrer à l’école.


Date de mise en ligne : 18/06/2011.

https://doi.org/10.3917/spi.058.0109

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