Vous n’étiez pas nés

2Nombre d’entre vous, lecteurs de Spirale, n’étaient pas nés lors de la parution du premier numéro des Cahiers du nouveau-né, Naître… et ensuite ?, en 1978 aux éditions Stock. Il témoignait alors de l’élaboration d’un groupe d’étude qui depuis 1975 se réunissait à l’hôpital de Saint-Cloud, dans le service de gynécologie obstétrique du docteur Pierre Bertrand, et qui, de genn, se constitua en association loi 1901 pour devenir le grenn (Groupe de recherche et d’étude sur la naissance et le nouveau-né), sous l’impulsion de Bernard This et de Danielle Rapoport. C’était (et c’est toujours) un groupe de recherche pluridisciplinaire réunissant des obstétriciens, des sages-femmes, des pédiatres, des psychiatres, psychologues et psychanalystes, des éthologues, des sociologues, des spécialistes en physiologie humaine ou animale…

3Ce premier numéro, qui affichait en sa couverture un nouveau-né levant son index, comme un appel à la parole et à prendre place en ce monde qu’il découvrait, reprenait les exposés et débats des rencontres de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul, organisées en juin et octobre 1977 par Étienne Herbinet, alors gynécologue-obstétricien dans cet hôpital. Les collaborateurs – de renom – de ce premier numéro sont, de manière indélébile, associés à l’histoire de la naissance et de la périnatalité, tels Françoise Dolto, Léon Kreisler, Danielle Rapoport, Bernard This, Michel Odent, Pierre Strauss, Dominique Girodet et Étienne Herbinet.

4À sa suite, se sont égrenées huit fabuleuses perles – et le qualificatif n’est pas trop emphatique : D’amour et de lait sur l’allaitement ; Corps de mère, corps d’enfant, sur les positions obstétricales et les représentations de l’enfant pendant la grossesse ; Un enfant prématurément ; Origines. D’où viens-tu ? Qui es-tu ? ; Délivrances ou le placenta dévoilé, jusqu’en 1989. Ces ouvrages ont été régulièrement réimprimés par les éditions Stock jusqu’en 2006. Les différents titres qui ne sont plus commercialisés à ce jour sont pour la plupart tous épuisés et introuvables, sauf en bibliothèques ou auprès de rares fournisseurs. Les Cahiers du nouveau-né sont depuis peu sur la toile [1]. Le projet du site est de mettre progressivement à la disposition du public, sous forme électronique et gratuite, l’entièreté des huit numéros ainsi que Le langage des bébés. Savons-nous l’entendre [2] ?

5L’aube des sens était le cinquième numéro des Cahiers, il est paru en 1981. Il y a trente ans [3]. Les auteurs de cet ouvrage collectif sur les perceptions sensorielles fœtales et néonatales, paru sous la direction d’Étienne Herbinet, ancien chef de clinique à la faculté de médecine de Paris, spécialiste en gynécologie-obstétrique, et Marie-Claire Busnel, chercheur inra et universitaire, ont jeté un véritable pavé dans la mare en dévoilant les capacités sensorielles du fœtus et du nouveau-né, car était remise en question la manière dont on considérait le bébé avant la naissance : un tube digestif, une chose… Imaginez qu’avant ce travail de recherche associant des scientifiques, des cliniciens, des psychanalystes, la grossesse n’était qu’une sorte de mystère qui laissait libre cours à tous les fantasmes.
Si vous voulez en savoir davantage, vous consulterez avec intérêt L’aube des sens mais également le Cahier du nouveau-né Le placenta dévoilé, qui suivit sa parution, et qui mit en évidence la fonction de cette enveloppe à une époque où elle était traitée comme un déchet.

Une révolution inachevée

6L’usage est de rendre hommage aux personnes disparues mais là n’est pas notre intention. Que nous soyons d’anciens membres du grenn, émanant de l’équipe des Cahiers du nouveau-né, ou des militants de Spirale, nous sommes tous impliqués dans le même combat : le bien-être du bébé. Il nous a donc paru important de demander aux auteurs de L’aube des sens de dresser un état des lieux quelques décennies après sa parution. Ainsi, Étienne Herbinet, Bernard This et Catherine Dolto vous éclaireront sur les origines de leur vision et son devenir. Danielle Rapoport nous replongera dans l’après-68 et « le printemps des crèches ». Bref, il s’agit d’un constat qui met en évidence des avancées considérables mais aussi des manques criants, que rappelle Marie-Claire Busnel.

7Nous avons donc réuni dans cette première partie [4] les témoins de cette révolution et ceux qui ont pris leur suite, que ce soit dans le domaine de l’haptonomie (Hélène Sallez) ou de la psychanalyse (Bernard Golse), voire les deux (Isabelle Porton-Deterne), pour nous placer dans une dynamique temporelle et témoigner de cette histoire et de cette révolution inachevée de l’aube des sens.

Des témoignages

8Dans L’aube des sens, à chaque texte, faisaient écho des contre-points. Aux connaissances scientifiques, pluridisciplinaires, qui tissaient le fil du livre, s’adossaient des propos différents, sensibles, petites variations musicales sur le thème. À Spirale, nous nous adressons à la fois aux professionnels de la petite enfance et aux parents, et il nous est apparu essentiel de donner la parole à ces derniers, au travers de leurs témoignages qui, en autant de varia, illustreront certains articles et donneront des éclairages surprenants à d’autres.

9Nous sommes désolés de ne pas vous fournir de témoignages pris sur le vif par des bébés à naître ou des nourrissons… Mais les psychanalystes nous en parlent, à leur manière…

Une révolution en marche

10Le débat reste encore en ce champ grandement ouvert. Que la bataille pour changer les mentalités et la manière d’accueillir le bébé soit loin d’être achevée, c’est bien ce qui nous est donné à lire ici. Et que le combat pour le bien-être et le bien-naître du petit d’homme doit se poursuivre.