Notes
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[1]
Consultable à : http://www.agoravox.fr/IMG/Discours_politique fam_Sarkozy_13022009.pdf
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[2]
L. Ferry, Familles je vous aime. Politique et vie privée à l’âge de la mondialisation, Paris, XO éd., 2007.
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[3]
De mai 2002 à mars 2004, sous le gouvernement Raffarin, pendant la présidence de Jacques Chirac.
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[4]
L. Ferry, A. Renaut, La pensée 68. Essai sur l’anti-humanisme contemporain, Paris, Gallimard, 1985, coll. « Folio essais », 1988.
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[5]
K. Marx (1847), Manifeste du Parti communiste, chapitre 1 (Bourgeois et prolétaires), texte intégral consultable gratuitement en ligne à : http://www.marxists.org/francais/ marx/works/1847/00/kmfe18470000.htm
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[6]
P. Murray, Après l’Histoire, 2 tomes, Paris, Les Belles Lettres, 1999 et 2000 (réédition 2002 et 2010).
« Redire mon attachement à la politique de la famille et mon souci de soutenir toutes les familles, car elles sont la base de notre société. Et particulièrement en période de crise, heureusement qu’il y a cette base.
Les familles apportent une contribution essentielle à notre équilibre social. Elles offrent un soutien irremplaçable à nos parents les plus fragiles et elles garantissent la transmission aux plus jeunes des repères de l’autorité – c’est un repère –, de l’affection – c’est un repère –, du respect – c’est un repère.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les régimes totalitaires ont toujours voulu exploiter la jeunesse en séparant les jeunes de leurs familles. Je suis convaincu que l’esprit de famille est indispensable à la bonne marche de notre société.
La plupart des problèmes auxquels nous devons trouver des solutions ont une dimension familiale. Et la famille est au cœur des questions actuelles : évolution des mœurs, pouvoir d’achat, enjeu de l’Éducation, place des femmes dans notre société, défi de la solidarité. Ne nous voilons pas la face : la crise de la famille est une cause des difficultés pour beaucoup de nos concitoyens et la source de nombre de nos problèmes sociaux. »
1Luc Ferry, dans son ouvrage Familles, je vous aime [2], prônait il y a peu l’avènement d’une nouvelle valeur, proprement humaniste, à savoir celle de la vie privée et de la famille. L’ancien ministre de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche [3], développait une brillante argumentation, selon laquelle l’histoire de la philosophie se résout, depuis deux siècles, à une gigantesque entreprise de « déconstruction ». Comme un acide, elle a rongé les piliers de nos valeurs traditionnelles et vidé de sens les grands mots dont nous nous nourrissions – Dieu, travail, patrie, fraternité, égalité, altérité… La mondialisation libérale, totalisante, a, simultanément, amené la « dépossession » des individus, qui n’imaginent plus être en mesure de maîtriser le cours du monde, aujourd’hui désenchanté. Luc Ferry tente de déceler, dans l’obscurité d’un monde désormais en proie au drame nihiliste, le soubresaut d’une valeur collective, universelle et transcendante, à savoir celle de la vie privée et de la famille, qu’il juge dotée d’« un extraordinaire potentiel d’élargissement de l’horizon : la vérité d’un humanisme enfin parvenu à maturité et non son dévoiement dans l’égoïsme et l’atomisation du social ». Reprenant un thème déjà présent dans ses livres antérieurs [4], le philosophe affirme que les valeurs de la vie privée prendront demain la place des anciennes religions et il pronostique « une véritable divinisation de l’humain qui, sous l’effet des évolutions de la famille moderne, va donner chair à un sacré incarné au cœur de l’humanité ».
2Quelle perspective séduisante, cette magnifique leçon de réhabilitation culturelle de la famille, métamorphosée, et de l’intimité, réinventée ! Quel réenchantement du monde nous est proposé par le philosophe qui nous invente une nouvelle idole, immanente, propre à accomplir le vieux rêve d’une société enfin réunifiée, humaine et humaniste ! Nous tenons notre nouveau Veau d’or… La famille, notre nouvelle religion ! La geste du philosophe était certes bien plus politique qu’il n’y semblait : elle s’inscrivait de fait dans l’air du temps, contribution éclairée à une vaste entreprise idéologique, la restauration d’un certain ordre moral. Discours réactionnaire me direz-vous, au sens même de Marx, qui désignait ainsi ceux « qui cherchent à faire tourner à l’envers la roue de l’histoire [5] », apologues de l’ordre, de l’autorité, de la sécurité, de la restauration des valeurs, voire du culte des racines et des identités, en bref, zélateurs avérés de croyances un brin nostalgiques, esprits chagrins qui veulent nous resservir cette soupe tiédasse de bons sentiments partagés.
3Mais qu’on ne s’y trompe pas, Ferry n’est pas Murray, qualifié un temps lui aussi de « nouveau réactionnaire » et qui dénonçait avec acuité, drôlerie et érudition, l’infantilisation des esprits, le charabia du langage, la « festivisation » de l’humanité, l’idolâtrie du jeunisme, la transgression érigée en norme, l’éradication du passé, le pouvoir matriarcal, la traque vertueuse de toute forme de mal-pensance, j’en passe et des plus vertes [6] ! Murray rétorquait d’ailleurs que si être « réac », c’est s’horrifier de la vandalisation de notre civilisation et de ses fondements judéo-chrétiens, de l’amnésie collective et bienheureuse, « rien ne me paraît plus honorable ». Plutôt « mutin de Panurge », monsieur Ferry, au sens de Murray encore, soit celui d’un individu dont la rébellion est factice et en accord avec l’air du temps…
4Plutôt « maton de Panurge », notre cher président, au sens encore du même Murray, soit celui d’un individu qui tente par tous les moyens de faire taire les voix qui s’opposent au consensus politiquement correct qu’il souhaite édicter. Le voilà donc fervent défenseur de la famille, tenant discours, ampoulé, à son encontre, vantant ses mérites et le socle républicain qu’elle constitue (cf. citation d’introduction). La Famille majuscule comme garant de la transmission entre les générations, « re-père » sanctuarisé de l’autorité, de l’affection et du respect – à œuvrer dans la psychanalyse à deux balles et l’analyse syntaxique, on ne manquera pas de remarquer la triple répétition de ce terme « repère » dans une même phrase. Mais aussi la famille, ou plutôt sa crise, comme responsable de « nombre de nos problèmes sociaux », la famille, mère de tous les maux, la famille qu’il faut dès lors soutenir, aider (« dans le cadre d’écoles de parents » !), cadrer et puis responsabiliser, voire rappeler à l’ordre (« la suspension ou la mise sous tutelle des prestations familiales »). Antienne bien connue maintenant, rabattue depuis un certain mai 2007, après quelques années de chiraquisme mou. Antienne entonnée par quelques nouveaux chiens de garde de l’empire du Bien, tel ce « collectif de la droite populaire », enfanté à l’été 2010 et qui se revendique de la droite dite « décomplexée », celle qui s’emploie à porter le fer sur « les fondamentaux de droite », au premier rang desquels la politique familiale, et qui s’assure faire « œuvre de salubrité publique pour la démocratie ». Le collectif de la droite populaire, formé, à l’occasion de la fête de la Nation du 14 juillet 2010 (sic !), de députés de la majorité, dont nombre sont connus pour leur engagement bruyant, « croit en la famille, pilier qui garantit la solidité de notre cohésion sociale ». Ne serait-ce pas là un procédé – gros sabots et précaire stratégie – pour chasser sur les terres du fn, car quelles différences entre les propositions de ce collectif et celles proclamées depuis longtemps par l’extrême droite ?
5Notre président et ses nouveaux parangons des vertus familiales avaient donc trouvé un nouveau terrain de jogging.
6Et voilà qu’à la mi-novembre, à la suite de ce remaniement ministériel si attendu, la question est sur toutes les lèvres : où est passée la famille ? Disparu, le ministère chargé de la Famille précédemment dévolu à Nadine Morano. Et même si l’on suppose que la compétence ira à Roselyne Bachelot, nouvelle ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale, l’absence d’une réelle représentation ministérielle pour la famille est un symbole étonnant, éloquent aussi, qui ne manque pas d’interroger sur « les orientations données au gouvernement pour la fin du quinquennat ».
7Un peu plus d’un an plus tôt, la famille était le soutien attesté de l’État, le cœur des préoccupations gouvernementales et des priorités politiques. Après le 15 novembre 2010, elle perd toute la sollicitude du gouvernement, est résolument mise au second plan, voire témoigne pour certains d’un désintérêt du gouvernement pour la famille. Plus encore, le ministère de la Famille disparaît le jour même où le Défenseur des enfants, Dominique Versini, présente son rapport annuel au Premier ministre, et dans lequel elle alerte les pouvoirs publics sur l’aggravation de la pauvreté des enfants vivant dans des familles qui connaissent le chômage, la rupture ou l’isolement.
8Dix-sept millions de familles en France se sentent d’un coup orphelines.
9Alors, oubli ou choix délibéré ? Même dans un gouvernement resserré, oublier la famille est un choix symbolique. Tenez, le sport, lui, n’a pas été oublié ; mais la famille, oui ! S’agirait-il donc d’un sujet impossible au sein de l’ump ? « Rayer la famille du gouvernement peut se lire comme une forme habile d’évitement politique », avance le sociologue François de Singly.
10Ravaler la politique familiale au rang de politique de solidarité, quel étrange dessein ! La famille se réduirait donc à un groupe d’individus, se soutenant au nom de liens électifs et affectifs. Une petite entreprise sur le modèle de Foucault, qui doit s’auto-alimenter et du coup être taxée, redevable, contrôlée. La famille comme Unité d’exploitation et de consommation. Marx, réveille-toi, ils sont devenus fous !
11Allez, gardons quand même espoir. Avec la famille, un autre ministère a disparu, celui de l’ignominie identitaire, de l’indignité nationale, « marqueur » du sarkozysme s’il en est, le ministère de l’Immigration, Intégration, Identité nationale et Développement solidaire (ouf !). Celui-là, personne ne le regrettera ! Enfin, espérons-le ! Espérons aussi qu’il ne s’agisse pas là d’un subtil leurre, tant il est manifeste que le virus lepéniste de la xénophobie s’est solidement et durablement enkysté dans le grand corps malade de l’ump, voire du rpr canal historique, qui semble s’être réapproprié les manettes du pouvoir. Le virus aurait-il tout juste muté au ministère de l’Intérieur avec, là, un terrain plus que favorable ? Pour rappel, monsieur Hortefeux n’a-t-il pas déjà été officiellement « diagnostiqué » pour injure raciale ? Quant à l’arrivée de Thierry Mariani, nouveau secrétaire d’État aux Transports, elle affiche également cette même couleur brune : n’est-il pas l’auteur d’un amendement pour le moins contesté, en 2007, qui voulait autoriser le recours aux tests adn lors de la délivrance des visas de plus de trois mois, « en cas de doute sérieux sur l’authenticité de l’acte d’état civil » ? Les bébés d’aujourd’hui, d’ici et d’ailleurs, peuvent-ils vraiment garder espoir ?
Notes
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[1]
Consultable à : http://www.agoravox.fr/IMG/Discours_politique fam_Sarkozy_13022009.pdf
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[2]
L. Ferry, Familles je vous aime. Politique et vie privée à l’âge de la mondialisation, Paris, XO éd., 2007.
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[3]
De mai 2002 à mars 2004, sous le gouvernement Raffarin, pendant la présidence de Jacques Chirac.
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[4]
L. Ferry, A. Renaut, La pensée 68. Essai sur l’anti-humanisme contemporain, Paris, Gallimard, 1985, coll. « Folio essais », 1988.
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[5]
K. Marx (1847), Manifeste du Parti communiste, chapitre 1 (Bourgeois et prolétaires), texte intégral consultable gratuitement en ligne à : http://www.marxists.org/francais/ marx/works/1847/00/kmfe18470000.htm
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[6]
P. Murray, Après l’Histoire, 2 tomes, Paris, Les Belles Lettres, 1999 et 2000 (réédition 2002 et 2010).