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Article de revue

L'annonce du handicap

Pages 93 à 97

Notes

  • [1]
    Conférence du 28 février 2007.

1Si je dois aujourd’hui écrire sur l’accueil d’un enfant avec un handicap, je parlerai :

  • de l’enfant ;
  • de sa mère ;
  • de son père ;
  • de l’amour qui lui a permis de naître vivant et dans l’état de santé qu’il possède ;
  • de sa famille, ses grands-parents, ses frères, ses sœurs ;
  • des professionnels ;
  • de la société. Nous aborderons tour à tour les problématiques de chacun de ces protagonistes et nous commencerons par les plus vulnérables.
À votre avis !

2Le plus vulnérable, c’est d’abord celui qui a un seuil de tolérance, d’une résilience, pourrait-on dire, le plus bas, c’est-à-dire celui qui risque de ne pas s’en remettre, celui qui a le pouvoir de vie ou de mort et nous commencerons par… la société.

3Cette société qui pense, réfléchit et agit à son rythme, en fonction de son savoir, mais aussi en fonction de ses craintes voire de ses fantasmes :

  • problème de l’interruption thérapeutique de la grossesse ;
  • problème de l’accès à des pensions et aux cartes d’invalidité ;
  • problème de l’histoire des établissements spécialisés et des équipes ;
  • problème de la stratégie que l’on peut mettre en œuvre.
Plusieurs questions se posent. L’enfant avec son handicap est-il malade ou non ? Que peut-on faire pour le soigner ? Si on soigne, on améliore l’espérance de vie. Si on améliore l’espérance de vie, est-on certain d’améliorer la qualité de la vie ?

4Ne pourrait-on pas poser le problème autrement ? Tout est en place comme si l’apparition du handicap était une faute, le fruit d’une erreur dont forcément quelqu’un doit être coupable : un ancêtre, la famille, la société, Tchernobyl, la « vache folle »… Et si on essayait d’admettre, une bonne fois pour toutes, que d’après les connaissances que nous avons aujourd’hui, un certain nombre de désavantages apparaissent selon une certaine fréquence dans une population donnée et que les mécanismes que l’on peut mettre en œuvre pour faire diminuer ce taux n’ont bien souvent d’intérêt que statistique ?

5Que vouloir faire disparaître la notion de handicap ou de vouloir le réduire, c’est implicitement admettre qu’être handicapé, c’est mal, coûteux, douloureux, pénible, sans voir forcément la complexité et la diversité par lesquelles la vie est capable de s’exprimer et en oubliant que notre société n’a pu faire des avancées qu’à partir de la prise en compte de minorités « déviantes ».

6Chacune d’entre nous, par le système démocratique dans lequel nous vivons, se doit d’intervenir pour que cette question se pose au moins sous forme de débat dans lequel chacun pourrait avoir la parole, et je rappelle l’importance de pouvoir entendre, comprendre et soutenir la parole des premiers intéressés, c’est-à-dire les enfants et les adultes avec un handicap mais aussi leur famille et tous ceux qui les aiment, et aussi tous ceux qui peuvent les aider à vivre : les professionnels médicaux et paramédicaux, éducateurs et pédagogues, travailleurs sociaux et législateurs.

7Plus nous aurons la compétence d’accueillir ces enfants avec leur différence, plus nous serons capables de les aider à acquérir une communication, et plus ils seront capables de nous faire participer au monde qu’ils perçoivent, qu’ils ressentent, qu’ils analysent et donc tous les enrichissements qu’ils sont capables de nous en apporter.

8Et ceci nous amène donc naturellement aux professionnels. Être professionnel, c’est être porteur de connaissances qui peuvent être utiles à lui-même et parfois aux autres.

9Or, en la matière, le professionnel est souvent décontenancé. C’est variable selon le type de fonctionnement de l’équipe dans laquelle il travaille et selon le temps pendant lequel il rencontrera la personne porteuse de ce handicap.

10Dans une équipe type pyramidale, très hiérarchisée, c’est le supérieur hiérarchique qui impose à ces subalternes les directives qu’il convient d’appliquer devant tel ou tel cas clinique. Mais comment résumer la personnalité d’un enfant à un cas clinique ; surtout si cet enfant est porteur d’un handicap, d’un désavantage, d’une déficience ?

11Le problème est alors bien plus complexe qu’un cas clinique, et jamais la médecine ne pourra à elle seule résoudre un problème aussi complexe.

12Certes, la médecine peut aider en permettant au moins à chacun dans ces circonstances de ne pas devoir se confronter à un problème supplémentaire qui est celui de réussir à convaincre une équipe de professionnels qui n’y croient pas et qui se méprennent, et qui répondent d’une manière inadaptée à une formulation cependant claire mais toujours complexe.

13Le médical en la matière, s’il a un rôle essentiel à jouer, doit disposer d’une lucidité et d’une humilité suffisante pour prendre conscience et aider à prendre conscience que, face à ce problème complexe, plusieurs formes de réponses sont possibles et que, bien au contraire, à l’endroit où l’on n’imagine plus aucune solution médicale, il existe en réalité une foule de réponses, partielles elles aussi, mais qui seront du domaine familial, amical, social, philosophique, culturel, pédagogique, éducatif, etc.

14Il revient donc au professionnel qui prend conscience qu’il a atteint sa limite à rechercher dans son environnement toute aide et tout soutien, et toute formation dont lui-même a d’abord besoin afin de lui permettre tout simplement de rester d’abord un professionnel, recherchant dans un environnement proche, dans son équipe ou à l’aide d’autres équipes, d’autres professionnels, qu’il convient de solliciter de telle manière qu’au moment où j’ai moi-même atteint ma limite, la famille et l’enfant ne se retrouvent pas seuls et que d’autres professionnels soient activés pour qu’ils émergent, eux, à leur forme de compétence en ce temps-là et pour un temps donné.

15Il s’agit de construire un véritable réseau en temps réel et à la demande pour un enfant et une famille donnée, pour une période déterminée.

16Un tel réseau ne peut donc s’établir que si des contacts préalables ont été faits. Il ne s’agit pas seulement de savoir qui fait quoi. Il faut aussi connaître les hommes et les femmes qui font partie de ce réseau.

17Au-delà du professionnalisme de chacun, il convient de connaître l’autre de telle manière qu’on puisse le présenter le plus humainement possible à la famille, au moment où le besoin en est ressenti.

18Se rencontrer, se parler, se respecter est tout à fait essentiel dans ce contexte où la sensibilité de chacun est exacerbée.

19Et nous en arrivons à la famille.

20C’est quoi, la famille aujourd’hui ?

21Y a-t-il eu déjà des naissances ?

22Comment se sont-elles déroulées, joies et plaisirs, tristesses et chagrins, histoires de trajectoire, bilans de force et de vulnérabilité sur lesquelles il conviendra de s’appuyer.

23Respect à la fois de l’entité famille mais aussi de la sensibilité de chacun et des émotions légitimes qui vont se vivre. La mère, le père, les enfants, les grands-parents, les traditions et les coutumes, les savoir-faire pour faire face aux crises sont extrêmement divers.

24Faut-il encore reconnaître qu’elles existent et qu’elles en sont les limites. Il faut ici introduire les notions de culture et de croyance, les liens avec le travail, la représentation sociale, l’exclusion, la nécessité de soins multiples, la capacité de résilience.

25En ce domaine, les professionnels doivent être extrêmement prudents, surtout s’ils ne sont pas reconnus par les familles et a contrario si les professionnels ne connaissent pas non plus les familles. Le risque de choc culturel est grand.

26Les familles qui peuvent être décontenancées par les attitudes et les modes de pensée des professionnels ont, dans ces circonstances, leur sensibilité exacerbée et leur seuil de tolérance réduit souvent au minimum.

27Nous ne devons donc pas nous contenter, en la matière, du seul avis des professionnels. L’avis des familles est tout à fait important pour que l’enfant puisse se développer au sein de cette famille, il a besoin tout à la fois de la protection de celle-ci, à partir du moment où on ne dévalorise pas son action et qu’on ne la disqualifie pas.

28Pour grandir, cet enfant a lui aussi besoin de cette nidation culturelle. Il a besoin de cette intimité et de cet espace d’intimité suffisant, clair-obscur qui lui permet lentement de chercher la lumière, la lumière qu’il a en lui et qui est celle qui lui permettra d’accéder à sa connaissance. Sans cette intimité, sans cette sécurité suffisante, mises en place en des temps opportuns, le risque est grand d’empêcher l’enfant de grandir et de se développer, le handicap n’étant plus qu’un facteur aggravant et complexifiant.

29Mais attention, on ne peut éduquer l’adulte. L’adulte doit être considéré avec toute la citoyenneté et avec toute la liberté requise. Il nous faut renoncer à la capacité que nous avons d’éduquer les parents qui, par leur état d’adulte, eux-mêmes sont inéducables.

30Il convient par contre d’aider à construire cette espace, chacun peut se sentir suffisamment protégé, être reconnu et en sécurité suffisante.

31Le rôle que nous, les professionnels, allons jouer en la matière est souvent celui d’une interface entre cet espace privé et cet espace public qui permet seul la rencontre humaine.

32Il ne s’agit pas du tout d’être un super « pro » ni de devenir une « super » famille face à la naissance d’un enfant avec des vulnérabilités, des déficiences ; bien au contraire, savoir reconnaître à chacun ses limites, ses peurs voire ses incompréhensions, c’est cela qui crée l’ouverture, l’échange de savoirs, l’échange de pensées dans lesquels l’enfant pourra cheminer, évoluer et faire évoluer chacun.


Date de mise en ligne : 03/01/2011

https://doi.org/10.3917/spi.055.0093

Notes

  • [1]
    Conférence du 28 février 2007.

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

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